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Paul Régnier : témoignage

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Academic year: 2021

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To cite this version:

Paul Regnier. Paul Régnier : témoignage. Archorales : les métiers de la recherche, témoignages, 13, Editions INRA, 159 p., 2008, Archorales, 978-2-7380-1258-6. �hal-02817990�

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1 BTA : brevet de technicien agricole.

Quelles études avez-vous faites ?

J’ai commencé l’école à sept ans à Belloy-sur-Somme, car dans l’Oise, il fallait faire trois kilomètres à pied ou à vélo pour se ren- dre à l’école.Après le certificat d’études primaires, je suis allé au lycée agricole d’Amiens, le Paraclet, où j’ai obtenu le BTA1.Tout de suite après, j’ai travaillé pendant un an à Neuville-Oneux (Somme), chez une agricultrice, madame Nicole Bouthors, qui venait de perdre son mari. Ensuite, j’ai fait mon service militai- re au camp de Frileuse à Beynes près de Plaisir-Grignon dans le 5èmerégiment d’infanterie pendant 16 mois, de fin 1968 à début 1970. En tant que chauffeur du capitaine, je passais souvent devant l’INRA pour me rendre à Paris ou à Versailles et je ne savais pas qu’un jour j’entrerais à l’INRA.

Après l’armée, j’ai travaillé à la ferme paternelle ; malheureu- sement, j’ai eu un accident de tracteur, ce qui m’a valu d’être alité quelques mois. Un jour, ma sœur Marie-Thérèse a relevé une offre d’emploi dans le journal local Le Courrier Picard :

“L’INRA d’Amiens recrute un prospecteur pédologique”. Je ne savais pas que l’INRA existait à Amiens. J’ai téléphoné pour prendre un rendez-vous. J’ai eu un entretien avec le directeur qui s’appelait Guy Lefebvre, et j’ai été recruté le 1erfévrier 1971 sur simple entretien.

Saviez-vous ce qu’était un prospecteur pédologique ? Je ne connaissais pas la pédologie, je n’en avais jamais fait ; mais je suis curieux de nature et je trouvais que c’était formi- dable d’apprendre à connaître des sols. C’est la découverte qui m’a plu tout de suite. Dans un premier temps, j’ai appris le métier dans les livres, et ensuite je suis allé en stage : 3 mois avec l’équipe pédologique de Jean-Claude Bégon et Marcel Jamagne, basée à Versailles (ce service a été ensuite transféré à Orléans et J.-C. Bégon a été président du centre INRA d’Orléans) pour faire la carte pédologique de l’Oise et 3 mois avec l’équipe de Jean Maucorps à Laon qui faisait la cartogra-

phie des sols de tout le département de l’Aisne. La pédologie, c’est une science qui étudie les conditions de formation du sol et son évolution. Un prospecteur pédologique est une person- ne qui va sur le terrain pour faire des relevés en vue d’établir des cartes des sols. J’ai donc appris à faire des profils pédolo- giques et des cartes des sols. Sur le terrain, je travaillais soit avec la sonde de 1m20, soit avec le couteau dans une tran- chée pour faire un profil pédologique. En fait, pour les sonda- ges, il suffit de remonter des échantillons de terre -que l’on

appelle carottes- de 20 en 20 cm avec la sonde et d’en pren- 59

Paul Régnier

Je suis originaire du Pas-de-Calais, d’un petit village qui s’appelle Zoteux, situé entre Boulogne et Montreuil-sur- Mer, où je suis né le 9 août 1947. Mes origines sont agricoles et chez nous, on est agriculteur de génération en génération.

Mes grands-parents étaient agriculteurs à Bezinghem et Zoteux, ils exploitaient une centaine d’hectares.

Mon grand-père paternel a été vice-président de la Société d’agriculture de Montreuil-sur-Mer. Mon père était le cinquième d’une fratrie de sept enfants. Mes parents ont eu 3 filles et 3 garçons, je suis l’avant-dernier et j’ai quatre enfants ; l’aînée a 34 ans et le petit dernier 13 ans.

Mes parents ont quitté le Pas-de-Calais en 1949 pour reprendre une exploitation plus grande ; d’abord à la Potière, hameau de Lassigny dans l’Oise, pendant cinq ans, puis à Belloy-sur-Somme en 1954. Mes sœurs et l’un de mes frères sont aujourd’hui agriculteurs à la retraite.

Après la reprise de la ferme paternelle par mon frère aîné, j’ai dû chercher du travail, et c’est par hasard que j’ai été recruté comme prospecteur pédologique à la station d’Agronomie d’Amiens en 1971.

1910, mon grand-père Alfred Régnier avec son épouse, ses enfants et ses ouvriers (berger, faucheur, charretier, ...).

Mes parents.

1èreannée d’école, 1954, à Belloy-sur-Somme : P. Régnier est au 1errang, 2èmeà partir de la gauche.

À l’armée, février 1969 : manœuvres dans la forêt de Fontainebleau.

P. Régnier est le 4èmeà partir de la gauche.

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dre une partie entre le pouce et l’index : si ça gratte, c’est sableux ; si ça colle, c’est argileux ; et si c’est doux comme le talc, c’est plutôt limoneux. Au doigt, vous arrivez à estimer le taux d’argile à 1 ou 2% près. Je relevais la texture (granulomé- trie), le calcaire, l’hydromorphie, la pierrosité. Dans le profil pédologique, je regardais plutôt la structure, la couleur (code Munsell), la consistance, la porosité, l’enracinement, l’activité biologique. Une parcelle, ce n’est jamais homogène.Vous pou- vez avoir trois ou quatre types de sols, voire plus. Le plus diffi- cile est de savoir estimer avec précision la texture sur le terrain.

Il fallait aussi avoir des notions de dessin. Je dessinais les car- tes de sol manuellement avec des crayons de couleur suivant une codification bien précise. Après ma formation, ma premiè- re carte a été celle du lycée agricole d’Amiens Le Paraclet où j’avais fait mes études agricoles. Ce travail me plaisait beau- coup et j’avais acquis une solide expérience sur les différents types de sols de la région Picardie. J’ai aussi travaillé à dif- férentes échelles : au 25 000èmesur des cartes IGN 2et au 5 000èmeet 2 500èmesur des photos aériennes.

C’est donc un métier qui vous convenait ?

Tout à fait, oui. C’est un métier qui me plaisait bien et que j’ai appris sur place. C’était quand même un métier assez dur parce qu’à l’époque on avait une sonde qui descendait à 1,20 mètre et qu’il fallait manipuler manuellement. Je devais aussi faire des tranchées à la bêche pour observer les profils de sols.

À l’époque, je faisais environ 50 m par an de profils pédolo- giques. En ajoutant les profils culturaux, ça fait à peu près 2 km de tranchée sur toute ma carrière ! J’ai eu souvent mal aux reins. Depuis 1988, le service s’est équipé d’une petite pelle hydraulique JOB pour creuser les fosses.

Cela dit, ces connaissances de terrain sur la pédologie m’ont beaucoup servi par la suite pour le choix des parcelles d’expé- rimentation et l’implantation d’essais. Une fois formé, j’ai sou- vent été sollicité par des collègues : INRA, CETA 3, Chambres d’Agriculture, ITB 4et lycées agricoles.

Avec qui travailliez-vous ?

À la station agronomique d’Amiens, j’étais le dernier recruté et donc le plus jeune. Nous étions une quinzaine de personnes, de la catégorie 5B jusqu’à directeur de recherche. Les cher- cheurs avaient une cinquantaine d’années et donc une bonne expérience. J’ai travaillé directement avec le directeur Guy Lefebvre qui m’a appris énormément de choses. Avec un ingé- nieur, Gérard Hiroux, et lui, je suivais deux essais chez des agri- culteurs de la Somme, à Omiecourt, chez monsieur Jean-Marie Bourdon, pour la production de légumes-pommes de terre- betteraves sucrières-blé ; et à Allonville, chez monsieur Van De Kerchove, pour les grandes cultures, luzerne-blé-betterave. Ces expérimentations existaient respectivement depuis 1954 et 1955. C’était des essais pour tester la dose de fumure potas- sique (0, normale ou double dose) et la forme de la potasse (sulfate ou chlorure), avec la Société des Potasses d’Alsace. Je travaillais avec un ingénieur, Jean Frémy, et un technicien, Claude Béranger, employés par les Potasses d’Alsace. Nous récoltions des échantillons de sols et de végétaux que nous analysions dans notre laboratoire pour connaître les bilans de potasse. J’ai gardé de bons contacts avec Guy Lefebvre et, même retraité, il venait à la station de Mons tous les ans pour présenter ses vœux. Hélas, il est décédé cette année. J’avais également un collègue, Jean-Claude Hulot, qui travaillait avec moi. Nous sortions de la même école et il avait été recruté un mois avant moi, en tant que prospecteur pédologique égale- ment. Mais il était agent technique 5B car il n’avait pas eu son BTA et il a quitté l’INRA en 1982. Quand je suis arrivé à Estrées-Mons, j’étais le plus ancien.

Avez-vous été recruté en 2B ?

J’ai été recruté en 3B, catégorie qui correspondait au BTA dans notre statut de contractuel de la Fonction publique. C’était plus facile d’intégrer l’INRA et il n’y avait pas de sous-classement comme aujourd’hui. Au début des années 70, il n’y avait pas beaucoup de chômage. J’aurais pu aussi entrer au Crédit Agricole ; un copain m’avait dit : “Il y a des places au Crédit Agricole et tu peux venir”. J’ai dit : “Non, je viens d’accepter à l’INRA”. Je n’ai jamais regretté ce choix.

L’INRA était-il connu à l’époque ?

Comment était-il perçu par la profession agricole ?

L’INRA n’était pas très connu à l’exception peut-être du cen- tre de Versailles. J’étais loin de penser qu’il pouvait y avoir l’INRA à Amiens. Même mes parents, agriculteurs, ne connais- saient pas l’INRA. On le connaît davantage aujourd’hui car il y a peut-être beaucoup plus de publications et d’échanges avec les Chambres d’Agriculture. Il existe aussi des structures com- me Agro Transfert Picardie qui font la liaison avec les Cham- bres d’Agriculture et les agriculteurs.

2 IGN : Institut Géographique National.

3 CETA : Centre d’Études Techniques Agricoles.

4 ITB : Institut Technique de la Betterave.

Haut : inauguration de la station d’Amiens en 1960.

Bas : les personnes qui travaillent à la station d’Amiens en 1960 ; de droite à gauche : Guy Lefebvre, H. Malterre et G. Joret.

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5 Mons-en-Chaussée à côté de Péronne (Somme).

Bien avant l’INRA, pouvez-vous nous parler de l’histoire de la station agronomique d’Amiens ?

Celle d’Amiens était l’une des plus vieilles de France. Elle avait été créée en 1879. Le premier directeur s’appelait Charles Guignet. Il travaillait sur l’emploi des tourbes comme engrais.

Ensuite, en 1880, c’était A. Nantier qui dirigeait la station. Il étudiait la culture du maïs fourrage. Il faisait aussi des essais de variétés de betteraves dans des fermes pour rechercher les varié- tés les plus riches en sucre. En 1887, c’était une première parce qu’il proposait aux sucreries d’acheter les betteraves sucrières en fonction de la teneur en sucre et non plus seulement au poids. À la sucrerie, c’est plus rentable d’extraire le sucre de la racine quand la concentration en sucre est élevée. Plus les bet- teraves étaient riches en sucre, plus elles étaient payées cher ; ça incitait les producteurs à faire de la qualité et pas seulement du rendement en tonnage. Ces fermes étaient un peu la référence du département, surtout pour les gros agriculteurs. Ensuite, à partir de 1924, G. Joret a été directeur pendant trente ans. Ce n’était pas quatre ou huit ans comme aujourd’hui ; à l’époque, les directeurs pouvaient rester une trentaine d’années. Il a beau- coup étudié les sols dans le département de la Somme. Il était aidé par H. Malterne. Il a été remplacé en 1954 par un directeur que j’ai connu et qui m’a embauché, Guy Lefebvre. Lui aussi a dirigé la station plus de trente ans. Il a travaillé sur le climat et le sol car il était également président de l’association météoro- logique d’Abbeville (Somme). Il a étudié les systèmes de culture (études physico-chimiques avec le CETA de Ham dans la Som- me), les effluents industriels et urbains, la fertilisation minérale, l’érosion, les lysimètres...

Que s’est-il passé en 1946 à la création de l’INRA ?

La station a été intégrée à l’INRA, et G. Joret en a pris la direc- tion puisqu’il était déjà directeur de la station agronomique d’Amiens. Il y avait à peu près une station agronomique par département. Pourquoi les a-t-on rattachées à l’INRA ? Parce que chacun faisait ses petites recherches dans son coin. Là, l’INRA est intervenu en disant : “Telle station maintenant fera telle recherche ; telle autre, telle recherche”. Il fallait harmo- niser.

Vous êtes resté à Amiens de 1971 jusqu’à quand ?

Jusqu’en 1985, c’est-à-dire jusqu’au départ à la retraite du directeur, Guy Lefebvre. La station a fermé et, là, cela n’a pas été facile. Déjà la station, qui était située au 5 boulevard de Guyencourt, avait déménagé en 1960 pour s’installer au 23 rue Debray, dans une ancienne maison bourgeoise des beaux quartiers d’Amiens. Mon bureau était l’ancienne salle de billard, une pièce de 10 m sur 4, avec un parquet en chêne.

Dans les autres bureaux, il y avait une cheminée en marbre. La salle où étaient installés les équipements informatiques était le grand salon, avec une immense cheminée en bois sculpté de plus de 3 m de haut et des fenêtres à vitraux donnant sur le jardin.

Pourquoi cette station a-t-elle fermé ?

Elle était un peu en concurrence avec la station de Laon dans le département de l’Aisne. À l’époque, on voulait regrouper les

deux stations pour diminuer les coûts de fonctionnement et de chauffage notamment. Dans un premier temps, nous devions par- tir à Laon et cela ne s’est pas fait.

Le directeur, Guy Lefebvre, a dit :

“Si on doit fermer, il faut rester dans le département de la Som- me et nous mettre à Mons 5”. À

l’époque, le chef de département, Jean-Claude Rémy, ancien chercheur à la station INRA de Laon, disait : “Si on rate la fer- meture d’Amiens, les personnels d’Amiens et de Laon iront directement à Grignon”.

Qu’est-ce qui plaidait en faveur de Laon ? Le directeur était Jean Hébert, très connu des médias parce qu’il avait lancé la campagne

“azote”. En fait, Jean Hébert a commencé à Amiens avec Guy Lefebvre et je crois qu’ils ne s’entendaient pas trop. Quand le directeur de la station de Laon est parti à la retraite, Jean Hébert a quitté celle d’Amiens pour diriger Laon. Jean Hébert était d’un an plus jeune que Guy Lefebvre, et ce dernier a été contraint de partir le premier à la retraite. Les deux unités devaient être regroupées à Laon, mais au dernier moment nous sommes partis à Mons.

Je pense que Jean Hébert s’est plus battu pour gar- der sa station que Guy Lefebvre qui aurait pu main- tenir Amiens s’il avait été plus combatif. Il y avait place pour les deux stations, et maintenant certains

regrettent d’avoir fermé Amiens parce que c’est la capitale régionale de la Picardie, avec des universités, la Chambre d’Agriculture régionale...

Qu’est devenue cette station d’Amiens après sa fermeture ? Les bâtiments ont été rachetés par la clinique Jules Verne, toute proche. À l’époque, en 1985, ils ont été vendus 1,6 million de francs. Cela ne paraît pas beaucoup aujourd’hui, mais il n’y avait que des bâtiments. Les expérimentations se passaient chez les agriculteurs, et l’INRA possédait un domai-

23 rue Debray - 80000 Amiens (côté jardin).

Grand salon où étaient les équipements informatiques et la bibliothèque avec la cheminée

en bois sculpté.

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ne de 120 ha à Mons-en-Chaussée, à 60 km d’Amiens, trouvé en 1968 par Guy Lefebvre. C’était une ancienne base de l’OTAN. Si les terrains expérimentaux avaient été trouvés plus près d’Amiens, cela aurait été préférable ; la station d’Amiens existerait encore sans doute. L’argent de la vente a permis de bâtir les nouveaux bâtiments et bureaux de la station de Mons.

Que sont devenus les personnels ?

J’étais le seul technicien de terrain à Amiens, et tous les autres faisaient plutôt du laboratoire et du secrétariat. C’était surtout des femmes. Elles n’ont pas voulu déménager parce que leurs maris travaillaient à Amiens. Cela n’a pas été facile pour elles non plus, parce que trois d’entre elles, Nelly Cotrel, Marie- Aurore Gaffet et Charline Desmet, se sont retrouvées à la DIREN 6, dédiée à la pollution de l’eau, et Nicole Bracquart et Jimmy Krakoviack à la DDA 7. Ils ont été détachés dans un premier temps mais leur promo- tion a été bloquée. Cela a été un peu du personnel sacrifié. Des six, j’étais donc le seul à rester à l’INRA et de tous les personnels de la station d’Amiens, je suis le seul à avoir déménagé à Mons.Aujourd’hui, cela ne se fait plus trop, mais à l’époque, pour fermer une station, l’administration attendait plutôt le

départ à la retraite de son directeur...

Une solidarité s’est-elle manifestée à ce moment-là ? Oui, il y a eu des choses fortes, nous étions tous unis pour gar- der notre station. Je me souviens de Gérard Hiroux, qui partait à la retraite et donc qui ne craignait plus grand-chose. On s’est battu pour garder son poste et pour qu’il soit remplacé. Un concours d’ingénieur de recherche a été ouvert -les premiers concours issus de la loi Durafour- et c’est Hubert Boizard qui a réussi. Il a été recruté en décembre 1983 et c’est à ce moment- là que tout espoir a été un peu perdu..., puisqu’il était déjà basé à Mons en tant que conseiller agricole pour la Chambre d’Agriculture d’Amiens. Il a fait le trajet Mons - Amiens pen- dant un an et demi pour être sur place jusqu’au déménage- ment de la station à Mons.

Gérard Hiroux écrivait des lettres aux politiques et nous étions derrière lui. Il y a eu des lettres envoyées aux ministres de

l’époque, Messieurs Laurent Fabius, Premier Ministre, et Michel Rocard, ministre de l’Agriculture. Dans un premier temps, ils nous ont répondu qu’ils allaient étudier la situation ; ensuite, ils ont dit qu’à moyen terme on allait regrouper les stations d’Agronomie d’Amiens et de Laon, puisque toutes deux sont rattachées au centre INRA de Lille. Je pense que les agricul- teurs de l’Aisne ont fait pencher la balance pour Laon et on a sacrifié la station d’Amiens. C’est un peu la profession qui a décidé.

Cet épisode-là vous a-t-il meurtri ?

En 1983 déjà, il était question de fermer Amiens, et nous som- mes restés dans l’incertitude pendant 2 ans. C’est toujours des périodes d’hésitation. De 83 à 85, nous ne faisions plus grand- chose, sachant que la station allait fermer ; aussi j’en ai profi- té pour me former à l’informatique. Grâce à cela, j’ai acquis des compétences dans ce domaine, et c’est aussi pour cela que j’ai choisi de rester à l’INRA.

Et puis quand la station a fermé, en septembre 1985, il a fallu tout déménager à Mons. Physiquement ce déménagement a été très dur. Il a fallu trier les échantillons de terre qui étaient stockés au grenier. Il fallait les descendre par l’escalier sur trois étages et nous étions couverts de poussière. À Mons, les nou- veaux bâtiments n’étaient pas encore construits. Nous nous sommes installés dans un sous-sol que l’équipe de Bio- climatologie de Raymond Bonhomme venait de libérer. Avec les gros orages du printemps, il y avait 20 cm d’eau dans mon bureau et je travaillais en bottes. Ça nous changeait de notre belle station d’Amiens. Si j’avais su dans quelles conditions on allait être installé, je n’aurais pas accepté.

Comment cela s’est-il passé au niveau familial ?

Nous avons loué la maison dont nous étions propriétaires 31 rue Jeanne d’Arc à Amiens, et nous avons déménagé à Ham, à 20 km de Mons, en 1985. Ma femme étant institutri- ce, a réussi à obtenir un poste à une quinzaine de kilomètres de Mons. En 1985, j’avais trois enfants et ce n’était pas facile.

Nous ne nous y sommes pas vraiment plu. Puisque les enfants allaient bientôt rentrer au lycée et qu’il n’y en a pas beaucoup vers Mons, nous sommes repartis en 1988 à Amiens. Ma fem-

6 DIREN : Direction Régionale de l’Environnement.

7 DDA : Direction Départementale de l’Agriculture.

Appareil conçu à Amiens pour broyer des échantillons de terre (inférieurs à 2 mm) avant analyse. Pierre Lefebvre (chargé de recherche).

Photos :©INRA

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me y a retrouvé un poste et je fais la route depuis ce temps-là, environ 150 km aller-retour, 2 h par jour, 5 fois par semaine. Je me suis amusé à calculer le nombre de kilomètres parcourus pour me rendre à l’INRA pendant mes 37 ans de carrière : plus de 700 000 kilomètres ! J’ai ainsi fait plus de dix-sept fois le tour de la terre. Jusqu’à 50 ans, je n’y ai pas trop pensé, cela se faisait à peu près bien. Mais cela commençait à devenir pesant, et à 55 ans j’ai pris la décision de travailler à mi-temps en CPA 8, et ça se passe bien. Pour ma femme, cela n’a pas été facile parce qu’elle a dû changer d’école trois fois. Pour les enfants non plus : un de mes fils a raté une année scolaire.

Lorsque vous êtes arrivé à Mons en 1985, quelles tâches vous a-t-on confiées ?

À partir du premier septembre 1985, j’ai été muté à l’unité d’Agronomie de Laon-Péronne sur le site de Mons ; le direc- teur était Jean Hébert. J’ai passé la première année à transfé- rer les données d’Amiens d’un ordinateur MBC Alciane sur sys- tème compatible PC. La deuxième année, Jean Boiffin est arri- vé comme directeur de l’unité. Là, j’ai été responsable d’en- quêtes et d’expérimentations sur l’implantation des cultures du maïs et de la betterave sucrière. J’avais en charge plus par- ticulièrement le repérage et le choix des parcelles chez des agriculteurs, la mise en place des protocoles et le traitement des données. Je gérais les données que j’avais recueillies sur le terrain, mais aussi celles des autres collègues. D’abord, il fallait mettre les données en forme, faire des calculs statistiques, et ensuite, les mettre sous tableur de type Excel et les rassembler

dans un fichier pour les chercheurs. Le fait de bien connaître l’agronomie m’a permis de faire rapidement des programmes.

Tout expliquer à un informaticien, c’est beaucoup plus long.

C’était intéressant et j’aimais bien. En fait, mon travail se divi- sait en trois parties à peu près équivalentes : l’aspect “terrain”

avec des expérimentations, le recueil des données sur les pro- fils culturaux, et enfin l’aspect informatique.

En 1989 s’est mis en place un essai sur les systèmes de cultu- re pour étudier l’état physique du sol en fonction des différen- tes contraintes. Nous sommes au nord du Bassin parisien, avec un climat assez humide et un gros problème de compactage des sols. C’est une région de grande culture, betteraves, pom- mes de terre et les agriculteurs ont de gros tracteurs. Ils peu- vent récolter les betteraves, les pommes de terre et le maïs grain jusqu’au 15 novembre, moment où les sols sont toujours humides, ce qui a pour effet de les compacter. Cela provoque une baisse de porosité du sol, et l’eau a du mal à pénétrer. La préparation du sol est alors difficile parce que l’on a beaucoup de mottes et qu’il faut passer plusieurs fois pour affiner et semer les différentes graines. Les sols étaient dégradés et il fal- lait étudier le problème. Nous avons travaillé sur trois systè- mes.Tout d’abord un système qui dégrade le sol avec des rota- tions blé/betteraves, blé/maïs : on semait les betteraves au plus tôt, pour les récolter au plus tard fin novembre. À cette pério- de, les sols de cette région ont 24% d’humidité. En plus, on a des rendements qui font 100

tonnes de betteraves par hec- tare et des arracheuses de bet- teraves qui font 15 à 20 ton- nes aussi. Ça fait des engins et des remorques qui sont très lourds et qui passent et repas- sent dans les champs. Donc, à tous les coups, ce système-là compacte les sols. Nous avons étudié un deuxième système moins dégradant, où les bette- raves sont semées dans de meilleures conditions, quand il fait beau, et on les récolte au plus tôt, c’est-à-dire fin sep-

8 CPA : cessation progressive d’activité.

Mesure de la richesse en saccharine de betteraves ; Gérard Hiroux, 1960.

De gauche à droite : Jean Hébert, Guy Lefebvre, Jean Frémy, M. Vilain, Paul Régnier, le directeur du lycée agricole, Claude Béranger, 1980.

Implantation des cultures, semis de betteraves, réglage de la profondeur de semis.

Domaine de Mons (vue aérienne).

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tembre à la date d’ouverture des sucreries, et là le sol est enco- re sec. Il peut arriver qu’une année sur cinq le sol soit humide, mais c’est moins dégradant. En revanche, en récoltant plus tôt, le rendement en betterave est moindre (85 tonnes par hecta- re), mais elles sont plus riches en sucre. Il faut savoir si l’on veut protéger son sol ou faire du rendement. On gagne aussi sur le blé suivant qu’on peut semer plus tôt. Enfin, nous avons expé- rimenté un troisième système, non dégradant : avec du blé, du pois ou du lin, mais sans betterave, c’est-à-dire que toutes les récoltes ont lieu l’été ; de ce fait, on ne compacte pas les sols.

Ce sont à peu près les trois systèmes que pratiquent les agri- culteurs dans la région.

Quel était votre rôle exact dans ces essais ?

J’avais en charge la gestion de cet essai pluriannuel “systèmes de culture / structure du sol” qui mettait en œuvre plusieurs rotations, modalités de travail du sol et conditions de semis et de récolte. J’assurais le fonctionnement au quotidien de cet essai, en relation avec le responsable Hubert Boizard et les autres chercheurs de l’équipe de recherche “Maîtrise de l’état physique des sols cultivés” dirigée par Guy Richard. Mon rôle consistait à planifier les interventions culturales avec le domai- ne, à vérifier les modalités d’intervention et à enregistrer leurs caractéristiques. J’organisais et assurais les mesures des carac- téristiques de l’état physique du sol, avec les techniciens de mon équipe et ceux de Laon qui venaient donner un coup de main quand il y avait beaucoup de travail : Bertrand Chau- chard, Jean-François Lievin, Frédéric Mahu, Charles Leforestier, Daniel Boitez, Caroline Dominarzik. Non seulement nous regardions l’évolution de la structure des sols, mais nous fai- sions aussi beaucoup de profils culturaux. Nous mesurions la porosité par gammamétrie et cylindre, la granulométrie des lits de semence, l’état de surface du sol, le suivi hydrique et la tem- pérature. J’étais responsable de l’enregistrement et du traitement des données collectées au cours des essais. Nous nous intéressions également à l’implantation de dif- férentes cultures : comment les plantes développent leur système racinaire dans le sol. Plus le sol est motteux et plus les mottes repré- sentent des obstacles à la germi- nation et la levée des plantes. Si le sol est trop compacté, il n’y a pas d’air et pas assez d’humidité.

Aussi, la plantule doit contourner la motte pour arriver à lever. Alors les plantules ne sortent pas de terre toutes le même jour, et la levée peut durer parfois une semaine. J’ai fait des programmes informatiques pour faire la cartographie des plantules. J’ai également mis au point un protocole de traitement par analyse d’image (avec les systè- mes Visilog puis Optimas) des photos des profils culturaux, notamment pour mesurer la surface, le périmètre et les dimen- sions des mottes de terre. J’ai fait plus de 1000 photos par an.

Parmi les chercheurs, mes principaux interlocuteurs ont été depuis 1988 : Jean Boiffin, Guy Richard, Hubert Boizard, Carolyne Dürr, Yves Duval, Pauline Défossez, Joël Léonard,

Jean-Marie Machet, Martine Guérif, Frédéric Bornet et Pascal Dubrulle. J’étais également en relation avec le domaine de Mons tous les jours. Un essai comme celui sur le compactage des sols nécessite une soixantaine d’interventions par an : semis, récoltes, traitements phytosanitaires... Là, il fallait de bonnes qualités en matière de relations humaines pour éviter des petits conflits au moment où tout le monde a besoin du matériel en même temps.

Comment cela se passait-il

avec le domaine expérimental de Mons ?

Le domaine de Mons est rattaché au département de Géné- tique et d’Amélioration des Plantes, il ne dépend pas de mon unité. Nous étions demandeurs, et ils étaient prestataires de service : travail du sol et traitements phytosanitaires. Nous faisions les réglages du matériel pour la vitesse d’avancement du tracteur, pour la profondeur du travail du sol. Au domaine, ils ont leurs méthodes de travail ; leur objectif est de travailler dans de bonnes conditions, contrairement à nous qui sommes amenés à travailler dans de mauvaises conditions pour des essais en sols dégradés. Quelquefois, ils disaient : “Ils sont fous à l’agronomie ! Ils travaillent sur des betteraves dans des conditions humides !”. C’est là qu’il fallait être assez diploma- te pour expliquer : “C’est notre protocole. On n’est pas là pour semer dans de bonnes conditions, mais pour identifier les pro- blèmes”. Ils ont quand même tiré profit de tout ce que l’on a fait au niveau du travail du sol et il leur arrivait de copier un peu sur nous.

Pour cet essai sur les systèmes de culture, d’où venaient les financements ?

La région a beaucoup investi et en contrepartie l’INRA devait doubler le nombre de chercheurs en Picardie pour arriver à 25... ! Par chance, notre directeur, Jean Boiffin, était aussi délé- gué régional pour l’INRA. Au départ, il était directement responsable des essais sur l’état physique du sol ; par la sui- te, il y a eu d’autres chercheurs de mon unité, Guy Richard, Hubert Boizard, Carolyne Dürr. Des chercheurs de l’INA-PG 9, d’Orléans et d’Avignon sont venus aussi travailler sur nos essais parce qu’ils savaient pouvoir disposer chez nous de sols dégradés sur certaines parcelles. Quand on avait une grosse manip, elle durait la semaine et cela se terminait par un barbe- cue. C’était très bien.

Vous êtes-vous servi de ces résultats et de vos compétences pour aider vos frères et sœurs agriculteurs ?

Tout à fait, ils m’écoutent. Il m’est arrivé d’aller examiner la structure de leur sol. Maintenant, ce sont mes neveux qui m’appellent pour le choix de leurs interventions culturales.

J’interviens aussi quelquefois auprès de la Chambre d’Agri- culture. Je me souviens d’un agriculteur d’Estrées-Saint-Denis, dans l’Oise, qui avait des problèmes de rendement et nous avons décidé de faire la cartographie de son exploitation de 200 hectares en cultures intensives. Puisque l’agriculteur n’était pas loin de Paris, il vendait aux Halles à Paris : des pom- mes de terre et des fruits. Il arrosait et passait par n’importe

9 INA-PG : Institut National Agronomique Paris Grignon.

Visite de l’essai-système de Mons ; de gauche à droite : Paul Régnier, Ghislain Gosse et Guy Richard.

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10 Le Cahier des Techniques de l’INRA est une revue pour faire connaître dans l’Institut les dispositifs techniques, souvent originaux,

que les techniciens sont amenés à réaliser pour satisfaire les demandes des chercheurs : (http://www.INRA.fr/intranet/

Produits/cahiers-des-techniques/

presentation.htm) Deux protocoles mis au point par Paul Régnier vont être publiés dans le Cahier en 2008.

quel temps dans ses parcelles ; à un certain stade, cela ne mar- chait plus trop. Il a fallu faire des profils culturaux et on a trou- vé une grande semelle de labour à 30 centimètres. Ces sols étaient compactés et dégradés. On a réglé le problème en cas- sant les semelles de labour qui empêchaient l’eau de circuler et les racines de pénétrer dans le sol. J’ai eu l’occasion aussi de tester différents matériels avec les Chambres d’Agriculture pour voir le résultat d’enfouissement de pailles ou de déchau- mages. J’avais un rôle d’expert pour le choix du matériel.

Pendant ma retraite, je pense que je vais continuer d’aller voir ce que font les agriculteurs dans ce domaine.

Les techniques qui s’inscrivent

dans une démarche dite d’agriculture durable sont-elles transmises aux agriculteurs ?

Les publications sur ce sujet sont nombreuses dans les revues de la profession agricole. Par exemple, dans la revue Pers- pectives Agricoles, je suis co-auteur avec Hubert Boizard, Guy Richard et Jean-Roger Estrade d’un article sur l’évolution de la structure du sol dans les systèmes de culture :La dégradation de la structure est-elle une crainte justifiée ? Une structure a été créée par Jean Boiffin, qui s’appelle Agro Transfert Picardie, présidée par l’INRA et financée par le Conseil Régional de Picardie. Son rôle est de valoriser les résultats de la recherche INRA auprès des Chambres d’Agriculture. Cette structure rem- place un peu les stations d’Agronomie qui existaient autrefois dans chaque département. Cela a commencé dans notre région, et maintenant c’est devenu un modèle. Je pense que les Chambres d’Agriculture ont de moins en moins de pouvoir à travers leurs conseillers agricoles. Les agriculteurs ont acquis un bon niveau de formation et savent aller chercher l’informa- tion directement.

J’ai fait beaucoup de programmes informatiques, mais cela n’a pas toujours été valorisé. Cela aurait pu être publié dans Le Cahier des Techniques de l’INRA 10, mais ne l’a pas été. Je pense qu’il faut quand même le temps de le faire. J’ai aussi écrit plusieurs notices internes pour expliquer ces techniques.

J’ai pris plaisir à le faire pour améliorer le travail des collègues.

Que pensez-vous des exploitations d’aujourd’hui qui sont de plus en plus grandes,

avec peu de main-d’œuvre ?

À la ferme de mon grand-père Alfred Régnier, je crois qu’il y avait 15 ouvriers permanents et 25 en période de grands tra- vaux (récoltes...) pour cultiver 100 ha de grandes cultures (blé, orge, avoine, betteraves, fourrages) avec de l’élevage (vaches

laitières, moutons, porcs, volailles). Actuellement, mon cousin Jean Régnier, qui a repris la ferme après son père Edgard et son oncle Louis, cultive seul la même surface avec une cin- quantaine de vaches allaitantes et 1000 porcs d’engraisse- ment. Son épouse est professeur des écoles. La relève sera assurée l’année prochaine par son fils Sébastien.

Maintenant, il faut manger son voisin pour avoir de plus en

plus d’hectares, ou avoir une autre activité en plus du travail de la ferme. Pour travailler plus vite, Ies engins sont de plus en plus lourds, et donc on retombe sur les mêmes problèmes de dégra- dation des sols. Si l’on fait du non-labour, il y a le problème du salissement des sols. Alors que faire ? On emploie encore plus de produits chimiques pour nettoyer les mauvaises herbes et pour aller toujours plus vite. Je pense que l’avenir est un peu compromis. Les agriculteurs n’ont pas conscience des limites de ce système. Beaucoup d’agriculteurs aujourd’hui font un autre métier en plus de leur métier d’agriculteur. Qui fait les tra- vaux ? C’est le Papa qui est à la retraite et qui va dans les champs. On voit de plus en plus de retraités qui viennent cher- cher l’engrais le vendredi à la coopérative pour que le fils puis- se l’épandre le samedi. Il n’est pas rare non plus de voir un exploitant reprendre deux exploitations distantes de plus de 50 km.

À l’époque de mon grand-père et de mon père, ils prenaient le temps de vivre et ils savaient s’arrêter le dimanche. Aujour- d’hui, on va de plus en plus vite et on travaillera bientôt 7 jours sur 7 et 24 h sur 24. Je me souviens d’un agriculteur qui me disait un jour : “Avec les chevaux, quand des agriculteurs se croisaient, ils s’arrêtaient et prenaient le temps de parler des nouvelles du pays en fumant une cigarette”. Maintenant, avec les tracteurs, les agriculteurs se font signe sans s’arrêter et depuis peu, ils ne se connaissent même plus, puisqu’ils repren- nent des exploitations distantes de plusieurs kilomètres. Déjà, mon grand-père disait à mon père “Le progrès tuera l’hom- me...”. Moralité : plus on est moderne et plus on court. Où est

le progrès ? Où est la qualité de vie ? 65

Binage de betteraves à l’époque du grand-père de Paul Régnier.

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Par rapport à votre vécu professionnel depuis 1971, avez-vous l’impression que la dimension environnementale a été vraiment prise en compte par l’INRA ?

Il est sûr qu’elle n’a pas été suffisamment prise en compte.

L’évolution des structures et des techniques au niveau des exploitations agricoles a été dictée par l’économie, par la puis- sance commerciale des groupes phytopharmaceutiques, semenciers et autres fournisseurs des agriculteurs. Elle a été génératrice de la révolution agricole de ces dernières décen- nies sur les grandes productions agricoles. Peu d’alternatives scientifiques ont été encouragées. L’État français voulait être un pays exportateur. Je pense que l’INRA n’a pas pu ou su donner les moyens aux études et aux recherches plus critiques par rapport à cet état de fait. En ce sens, le statut et l’éthique du chercheur se sont un peu laissé dévoyer par la dimension mercantile du progrès.

J’ai discuté avec un directeur de recherche qui me disait : “Je ne suis pas toujours fier de ce qu’on a fait, parce qu’on a un peu écarté les aspects environnement et qualité”. Il ne suppor- tait pas de voir 100, 200 vaches laitières “entassées” au mê- me endroit. Il faut aller chercher leur nourriture dans les champs et la leur apporter. Pourquoi ne pas les laisser pâtu- rer ? Maintenant, on a un système où l’on paie les agriculteurs pour qu’ils laissent leurs terres en jachère. Va-t-on revenir en arrière ? Je ne sais pas. Ce que veulent les agriculteurs, de toute façon, c’est toujours produire plus, remplir leur porte-monnaie et continuer à percevoir des aides. L’INRA aussi sollicite les régions pour avoir de l’argent, et donc on ne fait peut-être pas toujours ce que l’on veut. Par ailleurs, dans la région Picardie, les agriculteurs sont très puissants et les politiques ne veulent pas les contrarier.

Je pense aussi qu’il faudrait s’orienter un peu plus vers la qua- lité, mais il est vrai qu’on ne la paie pas. Il faut trouver le bon compromis entre la qualité et la production. Quelles sont les marges de manœuvre des agriculteurs aujourd’hui ? S’agrandir, ou alors travailler à plusieurs, se regrouper : une solution pour diminuer les charges, c’est-à-dire acheter moins de matériel.

Mais leur mentalité est plutôt individualiste. Peut-être va-t-elle

changer avec la nouvelle génération. Les jeunes qui ont des ani- maux aiment bien avoir leur week-end aussi et, quand cela marche bien, ils s’arrangent à deux ou trois. Ils y trouvent quand même un intérêt.

Que pensez-vous des cultures de biocarburants expérimentées sur le domaine de Mons ?

Dans des terres comme le Santerre, je pense que ce serait un peu dommage de faire des plantes comme le Miscanthus, alors qu’on peut faire du blé de bonne qualité, des légumes et des pommes de terre aussi. Produire ces plantes dans des sols profonds et de bonne qualité comme ici, c’est du gaspillage.

L’INRA a un essai en place depuis deux ans et les agriculteurs restent sceptiques.Actuellement, ils ne sont pas prêts à le faire.

Ils disent : “Ce que l’on veut, c’est gagner de l’argent”. S’ils s’y retrouvent financièrement, ils le feront ; mais ils n’y croient pas trop.

Avez-vous eu d’autres responsabilités à l’INRA ou ailleurs ? J’ai été conseiller municipal dans un petit village de 380 habi- tants, Bourdon, le village natal de mon épouse, où j’ai fait bâtir une maison en 1992 à la campagne, à un quart d’heure d’Amiens. Lorsque j’ai été élu conseiller municipal, je me suis dit qu’il n’y avait rien pour les jeunes dans le village, et alors je me suis lancé dans une association en créant un club de foot, il y a une dizaine d’années. J’ai moi-même joué au football jus- qu’à 31 ans. Être avec des jeunes, j’aime bien. Cela m’a per- mis aussi d’évoluer en dehors du travail.

Dans les fonctions parallèles à l’INRA, j’ai été délégué du per- sonnel. J’ai connu les débuts du centre de Lille. C’est Jean- Benoît Duburq, délégué régional au CNRS maintenant, qui est venu me chercher comme suppléant. Il était 2B à l’époque et moi 3B. À partir de là, dès que l’on met le doigt dans tous ces aspects-là, on se retrouve vite élu dans les différentes instan- ces de centre, comme le conseil de gestion. Dans cette struc- ture, on peut faire remonter tous les problèmes et pousser la hiérarchie à prendre conscience qu’il faut agir. Je pense que ce

L’équipe d’Orléans sur l’essai-système de Mons.

(10)

11 ADAS : association pour le développement des activités sociales à l’INRA.

12 ITA : Ingénieurs,Techniciens, Administratifs qui étaient contractuels jusqu’en 1985, contrairement aux chercheurs qui étaient fonctionnaires.

serait bien que les collègues techniciens participent un jour ou l’autre à ces instances pour voir un peu ce qui s’y passe. Par exemple, concernant les promotions, en étant délégué du per- sonnel, on sait comment cela se passe, et c’est plus facile pour comprendre. J’ai aussi été élu à la CLFP, la Commission Locale de la Formation Permanente. J’ai fait le tour de tous ces aspects-là et j’ai aimé le faire. J’ai créé la section ADAS 11 d’Amiens, mais nous n’étions qu’une quinzaine. On faisait un repas à Noël pour rassembler le personnel. J’ai aussi été secré- taire de l’ADAS à Mons. Ma grande qualité, c’est mon sens des relations humaines. Dès qu’il y avait un problème, notamment parmi mes collègues techniciens, on venait voir Paul et on en discutait avec l’équipe. Cela se passait toujours dans un climat de confiance. On trouvait toujours des solutions.

Avez-vous eu des promotions ?

Jusqu’en 1981, je n’avais jamais été délégué du personnel.

On ne pensait pas du tout aux promotions. La vie à l’INRA, ce n’était pas cela. Après la titularisation des personnels ITA 12en 1984-85, il y a eu des concours et je pense que le climat s’est un peu dégradé à l’INRA. Il y en a qui réussissaient et d’autres pas. J’étais 3B et j’ai dû passer 3 ou 4 fois des concours pour être assistant-ingénieur.Au début, ce n’était pas bien organisé.

Il n’y avait pas toujours dans les jurys les personnes compéten- tes pour nous interroger sur le travail que l’on faisait : si l’on n’a pas les bonnes questions, on n’a pas toujours les réponses.

Maintenant, cela s’est un peu amélioré. Mais je pense que c’est important, parce que cela nous oblige à nous former.

Personnellement, je me suis formé facilement en informatique.

On m’avait promis qu’avec l’informatique, j’aurais une promo- tion assez rapidement. Finalement le temps a passé, et j’ai réussi le concours AI en 1998. Cela me paraît un peu tard. Si j’étais passé plus tôt, j’aurais peut-être eu une autre promotion avant de partir à la retraite. Cela aurait été une reconnaissan-

ce, parce que je me suis tout de même beaucoup investi dans l’informatique pour l’expérimentation et dans différentes fonc- tions. J’ai été un peu déçu quand je suis arrivé à Mons parce que j’aurais dû avoir une promotion assez rapidement en rai- son de ma mobilité. Mon chef de département me l’avait pro- mis. En fait, les promesses, à l’INRA, ne sont pas très fiables.

Avez-vous eu l’occasion d’aller visiter d’autres centres, de faire par exemple des relevés pédologiques dans d’autres régions ?

Oui, à Avignon et à Orléans, et j’ai découvert autre chose.

J’aime tout ce qui est nouveau et c’est pour cela que j’ai apprécié la recherche à l’INRA. Du début à la fin, on apprend toujours. Je pense qu’on ne peut pas faire cela dans tous les métiers.

Avez-vous transmis à vos enfants l’envie de travailler dans la recherche ?

Je leur ai transmis le goût d’apprendre et de la découverte.

L’aînée, Estelle, est institutrice comme sa mère, à Saint-Ouen, dans la vallée de la Nièvre. Le deuxième, Fabien, est informati- cien à l’hôpital d’Abbeville. Le troisième, Gaël, est salarié dans une exploitation agricole de 500 ha à Gorenflot. Ils travaillent et habitent tous les trois à un quart d’heure en voiture de chez nous. Le petit dernier, David, qui a 21 ans d’écart avec l’aînée -il a 13 ans- veut être architecte, il n’en démord pas. J’entends parfois des parents dire : “Les enfants ne veulent pas faire comme les parents”. Là, c’est plutôt l’inverse qui s’est passé.

Je pense que le fait d’avoir déménagé plusieurs fois a dû ser- vir aussi pour mes enfants. Quelque part, ce n’est pas négatif.

Avez-vous des loisirs ?

La chasse. En fait, je chassais avant de partir à l’armée, et puis j’ai arrêté. Mes parents n’étaient pas chasseurs, mais mes grands-parents l’étaient. Un de mes frères chasse depuis plu- sieurs années, et lui, c’est un acharné. J’ai repris cette activité il y a seulement cinq ans, dans mon village et les villages voi- sins. Je traque le lièvre, et d’autres gibiers, pas dans les bois mais en plaine. Depuis deux ans, c’est plutôt la pénurie. Je pense que c’est lié aux hivers ou aux printemps humides et froids. Le gibier, ce n’est pas parce que l’on en prélève que l’an-

Profil de sol et cylindres.

Études de profil de sol (Paul Régnier à Avignon à gauche et Hubert Boizard à Mons à droite).

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née d’après il y en a moins. Je pense que c’est lié plutôt à la réussite des couvées. Les préda- teurs sont de plus en plus nombreux : les renards, les rapaces et les corbeaux. Les pesti- cides ont aussi un rôle négatif. Mon frère Francis chasse très bien, et moi, c’est pour le plaisir d’être avec lui. J’aime bien le contact humain, voir des gens pour discuter. Et puis je participe aux chasses sur le domaine de Mons avec l’ADAS.

Nous sommes une dizaine, et c’est le directeur du domaine qui s’en occupe. Cela fait vingt-deux ans que je suis là, et j’ai tou- jours connu ça. Nous organisons des journées de chasse. C’est très sympathique. À la fin de la journée, nous étalons le

tableau et nous nous partageons les prises.

J’aime bien aussi la photo. J’ai appris à en faire, lorsque je suis entré à la station d’Amiens avec un chercheur passionné de photo, Pierre Lefebvre. Il était géologue de for- mation, et dès qu’il se passait quelque chose, par exemple une inondation du Marquenterre, nous faisions un reportage le lendemain. Avec nous, il y avait aussi l’ingénieur de recherche, Gérard Hiroux.

Je pars également en vacances en camping ; j’aime bien l’am- biance. Chaque année maintenant, nous partons à Aubazine en Corrèze, au camping du Coiroux, environ 3 semaines l’été dans notre caravane qui reste sur place. C’est un peu notre village d’adoption depuis 1981. Nous partons aussi ailleurs en vacances avec l’ADAS.

Quel regard portez-vous sur l’INRA d’aujourd’hui et de demain ?

Je pense que pour bien réussir à l’INRA aujourd’hui, il faut au moins être ingénieur. Pour moi, les techniciens deviennent de plus en plus souvent des bouche-trous, des larbins. Il y a beau- coup de travail, et on leur fait faire un peu de tout et de rien, ce qui fait qu’ils ont du mal maintenant à traiter leurs données.

C’est vrai que l’on prend beaucoup de stagiaires aussi. On leur fait traiter des données par ordinateur, ce qui fait que les rela- tions entre les chercheurs et les techniciens se distendent un peu. Je pense qu’un technicien n’a pas trop le choix. Il doit se former pour monter dans la hiérarchie et évoluer à l’INRA, sinon ce sera de plus en plus difficile.

Mais les techniciens sont indispensables. Ils ont aussi beau- coup d’expérience et font des tâches pour lesquelles il faut des connaissances. Par exemple, pour un profil cultural, je ne vois pas comment on peut sous-traiter la connaissance du sol.

L’expérience à l’INRA constitue aussi un acquis. La CPA m’a per- mis de former un jeune technicien, et j’ai essayé de lui donner un peu de mon expérience en informatique et en agronomie. Je pense que la bonne solution consiste à s’arrêter progressive- ment avant la retraite. La qualité de vie, je pense que c’est important aussi. Plutôt que de retarder l’âge de la retraite, ne pourrait-on pas arrêter progressivement ? Pour ma part, j’ai essayé de transmettre au maximum, mais je ne l’ai pas fait pour la connaissance du sol, la pédologie. C’est dommage, parce que c’est un métier qui se perd à l’INRA. Maintenant, on fait des cartes de sol par photos satellite, photos aériennes. Dans le détail, il faut plus que cela. Implanter un essai ici ou là, cela paraît facile, mais dans une parcelle il y a souvent trois types de sols et il faut le savoir. Le contrôle au doigté s’est perdu.

Avant, l’INRA était plus souple, nous avions plus de liberté, nous ne comptions pas nos heures comme aujourd’hui. Par exemple, on a mis la pointeuse il y a quatre ou cinq ans. C’est pareil, c’est un système qui a dégradé beaucoup de choses.

Maintenant les gens comptent, alors qu’ils ne comptaient pas.

Ce qui fait qu’à midi on mange, et tout le monde repart dans son coin, alors qu’avant on se retrouvait à la cantine.Tout cela, je pense que c’est fini. C’est négatif.

Une conclusion ?

Cet exercice de mémoire m’amène à porter un regard sur tant d’années qui me semblent peser si peu. J’ai le sentiment d’a- voir vécu une harmonie assez heureuse entre ma vie de famille, ma vie professionnelle et ma vie associative. Ce témoi- gnage me permet d’exprimer tout ce qu’il m’a été permis de réaliser avec l’Institut et ceux avec qui j’ai partagé tant d’heu- reux moments. Même, si mon activité professionnelle s’achè- ve, j’ai grand plaisir à penser à tout le temps que je vais pou- voir passer avec mes proches et à cultiver tous les rapports humains que j’apprécie tant.

Je dédie ce témoignage à mes parents, Andrée et Paul Régnier, et à Guy Lefebvre, le dernier directeur de la station d’Agronomie d’Amiens.

Exploitation des molières de Cayeux dans le Marquenterre avec les moutons de “prés-salés”.

Photo de Paul Régnier ayant gagné un concours ADAS.

Équipe de football de Le Hamel, 1978. Paul Régnier (capitaine) est en bas à droite.

Mons, après la chasse.

Imaïs betterave sucrière sol (structure, propriétés physiques, compactage) engins lourds sys- tème de culture profils culturaux

informatique agriculture dura- ble exploitations biocarburants

Agro Transfert Picardie implan- tation des cultures

IJean Hébert Jean Boiffin Guy Richard Hubert Boizard Guy Lefebvre Carolyne Dürr

IBassin parisien Amiens Mons

Laon Lille Picardie

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