La vie dépend de l’énergie nucléaire
Charles Hirlimann
Photo de couverture : Levé de soleil sur Paris, © Éric Hirlimann
Ce livre est dédié à : Marie-‐France
et Jean-‐Marie
V IVE LE N UCLEAIRE !
La vie dépend de l’énergie nucléaire
There are more things in heaven and earth, Horatio, than are dreamt of in your philosophy.
Il y a plus de choses sur la Terre et au Ciel, Horatio, qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie.
William Shakespeare, The tragical history of Hamlet, scène 5, 1603
Charles Hirlimann
Directeur de recherche émérite CNRS
À un moment de l’histoire de l’humanité où les besoins en énergie se font toujours plus pressants, à un moment où de nouveaux grands groupes humains, en Chine, en Inde, au Brésil, demain en Afrique commencent à accéder à une vie meilleure, à ce mo-‐
ment donc de très nombreuses institutions internationales sonnent l’alarme sur les con-‐
séquences environnementales d’une consommation effrénée d’énergie. Brûler des com-‐
bustibles fossiles avec une croissance exponentielle, comme nous le faisons depuis les débuts de la révolution industrielle, a pour conséquence d’avoir élevé de deux petits degrés la température moyenne de notre atmosphère. Cela semble peu, mais cela suffit pour dérégler le climat et nous en subissons déjà les conséquences sous la forme d’épisodes météorologiques extrêmes : inondations à répétition, froideurs et chaleurs hors normes, augmentation du nombre de cyclones et de typhons, de tempêtes destruc-‐
trices, bientôt les ours blancs n’auront plus de banquise où poser leurs pattes… Un con-‐
sensus s’est établi dans le monde scientifique pour dire que cet échauffement est, au moins pour une part, de nature anthropomorphe. Il est peut-‐être déjà trop tard pour éviter un dérèglement irréversible de l’équilibre de notre atmosphère et de nos océans.
Il faut pourtant quand même agir, au moins pour limiter les dégâts, et la première action doit porter sur une diminution drastique de nos largage de gaz carbonique, premier res-‐
ponsable du réchauffement global que nous provoquons. Or, au lieu de cela, nous voyons de grands états, en principe responsables, s’éloigner de la production propre d’électricité de masse à l’aide du nucléaire et pratiquer une transition énergétique vers une production par le charbon. Au lieu de baisser, la libération de C0
2augmente !
Les déchets nucléaires font peur, à juste titre bien sûr. Personne ne souhaite laisser une planète polluée aux transuraniens et autres atomes radioactifs à ses petits enfants, même pas les acteurs de l’industrie nucléaire. Toutes sortes de mesures sont prises pour limiter l’impact des déchets au point que la sureté nucléaire d’une centrale à l’uranium est devenue meilleure que celle d’une centrale au charbon. Il va bien falloir rapidement sortir du déni de réalité et voir que le nucléaire est source de vie.
Entre deux maux on choisit habituellement le moindre. Les centrales à charbon pro-‐
duisent du gaz carbonique qui se répand dans toute l’atmosphère même chez ceux qui n’en produisent pas ; les pollutions accidentelles des centrales nucléaires, au contraire restent localisées et n’affectent que le pollueur
1. Alors pourquoi ce choix inversé du charbon contre le nucléaire
2? Comment est-‐il possible de voir des mouvements envi-‐
ronnementalistes ou des partis politiques qui se disent écologistes se comporter en al-‐
liés objectif des climato-‐sceptiques niant la contribution humaine au réchauffement glo-‐
bal, en s’opposant au nucléaire et en laissant monter la consommation de combustibles fossiles ? La négation de l’impact de l’activité humaine sur le climat est une attitude obs-‐
curantiste qui ne pourra pas rester encore longtemps politiquement correcte.
-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐-‐
Il y a 400 000 ans homo erectus maîtrise le feu, la première source d’énergie exté-‐
rieure qui complète en l’amplifiant son énergie animale. Cette conquête énergétique ma-‐
jeure lui permet de cuire ses aliments dont la valeur énergétique se trouve accrue. Il évite ainsi à la fois de nombreuses parasitoses et son cerveau reçoit plus facilement la grande quantité d’énergie nécessaire à son plein fonctionnement. C’est le début de
1 La pollution chinoise par le charbon exaspère les japonais, les rejets de Fukushima n’ont pas affecté les chinois.
2 En cette fin 2014, la République Populaire de Chine a pris conscience de l’impact sur la population des émissions des centrales au charbon et lance un grand plan de relance des constructions de centrales nucléaires et d’énergies renou-‐
velables.
l’essor de l’humanité. L’évolution humanoïde est indubitablement corrélée à la maîtrise d’énergies en quantités toujours plus importantes.
À très grands traits, l’évolution des civilisations est liée à l’accès à l’énergie. Au com-‐
mencement était l’esclave, l’énergie utilisable était fournie par l’homme lui-‐même puis vinrent les animaux de traits. Puis vinrent les machines : bateaux à voiles, moulins à vent et à eau, suivis, beaucoup plus tard, de la machine à vapeur qui a réellement donné un accès général à une énergie bon marché en ennoblissant la consommation du charbon.
Quand apparaît la machine à vapeur, la population mondiale est d’environ 1,3 milliards d’individus et un siècle plus tard, dans les années 1930 elle est déjà de 2 milliards tant l’apport énergétique de la révolution industrielle est important. En 2014, on estime la population humaine à un peu plus de 7 milliards et il convient de remarquer que cet énorme accroissement est concomitant du développement d’une source nouvelle d’énergie à grande échelle : l’énergie nucléaire.
Dans notre compréhension actuelle de la Nature, il n’existe que quatre forces et comme en dernière analyse une énergie utilisable est toujours le travail d’une force, on voit que les familles de sources d’énergie sont vraiment limitées en nombre et nous de-‐
vons nous adapter à ce fait dans nos activités. En pratique, toutes nos sources d’énergie sont d’origine nucléaire.
L’exploitation directe de l’énergie nucléaire est pour sa plus large part spécialisée dans la production d’électricité, même si ici ou là apparaisse des essais d’utilisation de la chaleur produite. Par ailleurs des quantité importantes d’énergie sont aussi utilisées pour notre chauffage et nos déplacements, qui, ne reposant pas sur le contrôle de réac-‐
tions nucléaires, ne seront pas examinées ici. Ce livre ne traite pas du problème général de l’énergie, il essaye seulement de montrer qu’il n’est pas possible de faire son marché de manière simple parmi les différentes sources d’énergie disponibles pour produire de l’électricité, que tout choix a des répercussions négatives et positives.
L’objet central de ce livre est donc d’exposer les connaissances nécessaires à la com-‐
préhension du monde électrique qui nous entoure, en prenant conscience de ce que l’origine première de toutes les formes d’énergie que nous consommons est nucléaire
3. Pour surmonter une éventuelle aversion pour le nucléaire il faut d’abord se donner la connaissance des choses telles qu’elles sont et non pas telles que l’on voudrait qu’elles soient.
Ce livre n’est pas non plus un plaidoyer exclusif pour le nucléaire, on y aborde toutes les formes de l’énergie utilisées pour produire de l’électricité, qu’elles soient renouve-‐
lables ou pas en s’efforçant à chaque fois d’en souligner les avantages et les inconvé-‐
nients. Cette connaissance devra ensuite être utilisée come support de réflexion par tout citoyen qui s’interroge sur le sens et la nécessité des transitions énergétiques dans un monde qui subit un réchauffement climatique dont on se demande si on peut encore le contrôler et à un moment où les dérives du principe de précaution inhibent les prises de décisions rationnelles. Nous vivons dans un monde complexe, les « yaka » n’y ont pas cours. De même que tout médicament, utilisé pour améliorer la santé des personnes, présente des effets secondaires quelques fois très sévères, de même toute technologie présente-‐t-‐elle un versant négatif. Tout est affaire de compromis. L’homme doit, en per-‐
manence, résoudre les problèmes que lui posent les technologies qu’il invente.
3 À l’exclusion de l’énergie des marées négligeable en quantité.
Deux attitudes sont possibles devant la complexité du monde : le repliement sur soi ou la marche en avant. Le repliement, la crainte des nouveautés par ignorance ou le dy-‐
namisme à la recherche permanente de solutions aux problèmes qui ne cessent de se présenter.
La lecture de ce livre peut se faire à deux niveaux. L’ensemble de la lecture est main-‐
tenu au niveau abordable par tout lecteur curieux de comprendre les faits scientifiques et techniques qui se cachent derrière des débats enflammés sur une transition énergé-‐
tique mal définie ou sur les graves problèmes environnementaux qui conduisent à un réchauffement global de la planète. Un appareil de notes de fin, appelé par des chiffres romains entre parenthèses droites, permet à ceux qui le désirent d’approfondir un peu quelques uns des points scientifiques ou techniques.
Table des matières
V
IVE LEN
UCLEAIRE! ... 1
VIVE LE NUCLÉAIRE ... 1
SUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ... 5
DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION ... 6
QUELQUES MOTS SUR L’ÉNERGIE ... 9
L’énergie un concept extraordinaire ... 9
L’énergie d’origine électromagnétique ... 9
L’énergie d’origine nucléaire ... 10
L’énergie d’origine gravitationnelle ... 12
Hiérarchisation de l’énergie ... 12
Sur le stockage de l’énergie ... 14
PRODUIRE ET CONSOMMER DE L’ÉLECTRICTÉ ... 16
Centrales thermiques ... 16
Machines thermiques ... 16
Très peu de thermodynamique, vraiment très peu ... 17
L’alternateur ... 18
Il faut bien transporter l’électricité ... 20
Le miracle du transport triphasé ... 20
Les causes de pertes en ligne ... 21
Il faut réguler le réseau ... 22
Blackout ... 24
Réseau intelligent. Smartgrid. ... 25
L’arrivée chez le consommateur ... 27
La conversion directe ... 27
L’effet photovoltaïque ... 27
L’effet Seebeck ... 30
Générateur à radio-‐isotope ... 30
LES CENTRALES NUCLEAIRES ... 31
La part du nucléaire ... 31
Quelques types de réacteurs ... 32
Réacteurs actuels ... 32
La génération IV ... 33
Les réacteurs à neutrons rapides ... 33
Les réacteurs à très haute température, refroidis au gaz ... 33
Hors la génération IV et au-‐delà ... 34
Les mini-‐centrales nucléaires ... 35
La sécurité nucléaire ... 35
Quelques mots sur la fusion thermonucléaire ... 36
SUR LES COÛTS DES kWh
e... 39
Coûts de construction ... 39
Coûts financiers et autres ... 40
Coût énergétique ... 40
Immobilisation de capital ... 42
Coûts de production
,,... 42
Coûts externes ... 44
Sur le démantèlement nucléaire ... 46
Privatisation. ... 46
LES SOURCES D’ÉNERGIES RENOUVELABLES ... 47
L’énergie géothermique ... 48
Les énergies solaires ... 49
L’effet de serre ... 49
Le solaire domestique, effet de serre et photovoltaïque ... 51
Le photovoltaïque professionnel ... 52
Les centrales solaires thermodynamiques ... 53
Les tours solaires ... 55
Les biocarburants ... 55
Éthanol, biodiesel ... 55
La méthanisation ... 57
Usage du bois ... 57
L’énergie hydroélectrique ... 58
L’énergie éolienne ... 59
Sur l’impact environnemental des champs éoliens ... 61
Les énergies des mers ... 62
L’énergie des marées ... 62
L’énergie hydrolienne ... 62
L’énergie des vagues ... 63
L’énergie thermique des mers (ETM) ... 63
Société de l’hydrogène ... 64
Stockage de l’hydrogène ... 64
Utilisations de l’hydrogène ... 65
Production de l’hydrogène ... 66
LES SOURCES D’ÉNERGIES NON-‐RENOUVELABLES ... 68
Les houilles ... 68
Les pétroles ... 69
Avons nous atteint le pic pétrolier ? ... 69
Le gaz naturel ... 70
Le gaz de schiste ... 71
L’uranium ... 72
FACTEUR DE CHARGE DES SOURCES D’ÉNERGIE ... 73
L’intermittence ... 73
Le pot de fer contre le pot de terre ... 74
La guerre des lanthanides aura-‐t-‐elle lieu ? ... 75
LA RADIOACTIVITÉ ... 77
La découverte ... 77
La radioactivité dans l’environnement ... 79
Le radon ... 79
Les eaux minérales ... 79
Les sables radioactifs ... 80
L’irradiation cosmique ... 80
La réparation de l’ADN ... 80
Réaction en chaîne naturelle ... 80
Les utilisations de la radioactivité ... 81
Radioactivité et médecine ... 81
Les radioéléments dans la vie de tous les jours ... 82
Que faire des déchets de l’industrie ? ... 83
Les déchets radioactifs de la production électrique ... 83
Sur les conséquences à long terme ... 85
Nécessité d’éliminer les déchets nucléaires ... 85
Scellement dans des verres ... 85
Confinement géologique ... 86
Transmutation des déchets ... 86
LES ACCIDENTS NUCLÉAIRES ... 87
Classement des évènements nucléaires ... 87
Tchernobyl ... 88
Fukushima ... 89
Three Mile Island ... 90
ET L’ENVIRONNEMENT DANS TOUT CELA ? ... 90
Le carbone ... 91
Origine du carbone ... 91
Carbone fossile, carbone mobile ... 91
Analyse du cycle de vie d’une éolienne ... 91
La course au charbon ... 93
Les gaz à effet de serre ... 94
Sur la dégradation de l’environnement ... 96
La Grande-‐Bretagne coule ... 96
Des îles d’ordures plastiques. ... 96
DE QUOI DEMAIN SERRA-‐T-‐IL FAIT ? ... 97
ANNEXES ... 100
Quelques ordres de grandeur ... 100
Mesure de l’énergie ... 100
Mesure de la puissance ... 100
Ordres de grandeur ... 100
Lectures générales ... 101
Sites d’intérêt ... 102
Radioactivité d’eaux minérales françaises ... 103
Radioactivité du sable à Copacabana ... 103
Acronymes ... 105
Notes de fin ... 107
VIVE LE NUCLÉAIRE
Au cours de la campagne législative de 2007 j’ai accepté de jouer le méchant scienti-‐
fique pro-‐nucléaire lors d’une réunion publique d’information sur l’énergie organisée par le parti écologiste de ma région. Mon effarement a été grand devant la naïveté du public, pourtant cultivé a priori, dont j’ai pu mesurer la profonde méconnaissance des sciences et des techniques.
Le décalage entre la culture scientifique nécessaire à une compréhension minimum de la société actuelle et la culture dite humaniste
[i]de la majorité des personnes culti-‐
vées est telle qu’elles se trouvent en situation de handicap intellectuel quasi perma-‐
nente. Comme l’a dit, déjà en 1959 Charles Snow, les personnes instruites d’aujourd’hui en savent en sciences à peu près autant que leur ancêtre du néolithique
4.
Mon étonnement, lors de cette réunion avait été plus grand encore devant l’attitude du gentil scientifique anti-‐nucléaire. Lorsqu’après un long dialogue de sourds, je posai la question :
-‐ Donc pour vous le nucléaire est le diable ? La réponse fût :
-‐ Oui.
On est là dans l’irrationnel, l’affectif , vraiment très loin de la démarche scientifique.
Ce dérapage idéologique qui s’éloigne d’une pensée rationnelle mène directement à l’obscurantisme intolérant. L’obscurantisme est ce mode de pensée qui nie le savoir, met un frein à sa diffusion et refuse les théories nouvelles car contraires à ses croyances.
Certains chrétiens fondamentalistes américains constituent un cas d’école de l’obscurantisme. Il nient la théorie de l’évolution de Darwin et s’opposent par tous les moyens à son enseignement. Ils opposent à la pratique scientifique d’accumulation de faits observés et démontrés une connaissance de révélation souvent basée sur des croyances mystiques. Ils sont suivis en cela par une frange fondamentaliste de l’islam
5.
Il existe sans conteste un obscurantisme anti-‐nucléaire dans une frange périphérique du mouvement écologiste qui rejoint les mouvements radicaux de toutes sortes qui dans des oppositions multiformes rejettent en fait les dérives de la société de consommation actuelle et rêvent d’un âge d’or où tout était plus simple. La très grosse majorité de ceux qui rejettent le nucléaire ne le font, en toute bonne foi, que par manque de connaissance de la réalité complexe dans laquelle ils vivent (il y a plus de choses dans le ciel et sur Terre que tu ne peux imaginer Horatio…). Plus que jamais l’éducation doit être privilé-‐
giée dans nos sociétés chaque jour plus complexes, un citoyen responsable est un ci-‐
toyen éduqué
[ii].
La peur du nucléaire est peut-‐être ancrée dans les bombardements de Nagasaki et Hi-‐
roshima à la fin de la deuxième guerre mondiale, ou dans le rejet des sociétés qui ont
4 Cité dans : Ian Stewart, « 7 équations qui ont changé le monde », Robert Laffont 2012, p. 248.
5 Faouzia Farida Charfi, « La science (voilée) », Odile Jacob, Paris, 2013.
permis un tel massacre. Si cela est vrai, s’attaquer au nucléaire civil est un mauvais com-‐
bat qui se trompe de cible.
Le titre de ce livre est donc, à lui seul, pour certains, une provocation. Il ne s’agit pour-‐
tant que d’attirer l’attention de tous sur le fait que nous vivons dans un monde complexe dans lequel un maître mot est l’interconnexion qui implique que toute décision produit des effets secondaires imprévus qui sont quelques fois bénéfiques mais malheureuse-‐
ment quelques fois aussi néfastes.
L’énergie nucléaire est la source de la vie. Akhenaton ne s’y était pas trompé en déci-‐
dant d’un culte unique à la gloire du Soleil
[iii]. Car c’est bien l’énergie solaire qui est le moteur de la vie sur Terre. Les rayons infra-‐rouges absorbés par l’atmosphère la chauf-‐
fent à une température moyenne acceptable. La lumière déversée par notre astre central est transformée et stockée par les plantes chlorophylliennes en énergie chimique, base de la chaîne alimentaire
[iv]. Les rayons ultraviolets eux transforment une partie de l’oxygène de la haute atmosphère en ozone ce qui nous en protège. Si la fusion nucléaire de quatre atomes d’hydrogène en un atome d’hélium avec la libération d’une énorme quantité d’énergie n’existait pas, il n’y aurait pas de vie possible dans l’univers. Y aurait-‐
il même un univers ? S’il n’y avait pas d’atomes instables dans la composition de la Terre, l’uranium, le thorium et bien d’autres, notre planète serait beaucoup plus froide, car c’est leur désintégration qui maintient chaud son cœur. Pire elle ne possèderait pas en son cœur un noyau de fer fondu dont la rotation produit un champ magnétique qui nous protège des dangereux rayonnements ionisants en provenance du soleil
[v]. Avan-‐
çons encore un peu. Le potassium est indispensable à la vie ; il contrôle les canaux par lesquels les cellules des êtres vivants échangent des ions et des molécules avec leur en-‐
vironnement. Bien qu’il ne représente qu’un quart de pourcent du poids d’un corps hu-‐
Figure 1. Akhenaton en famille avec la reine Néfertiti et ses en- fants recevant les bienfaisants rayons du Soleil.
main le potassium est absolument essentiel à la vie. Un de ses isotopes, le potassium-‐40 émet un électron quand il se désintègre
6 [vi]. Cet isotope radioactif n’existe qu’en très petite quantité, 0, O12% du potassium total, mais sa présence suffit à rendre notre corps lui même radioactif (si, si). Cette radioactivité se mesure et elle vaut 4 400 Becquerels
[vii]
ce qui signifie qu’il se produit 4 400 désintégrations par seconde dans notre corps dues au potassium. À cela s’ajoute la radioactivité du carbone-‐14 (
14C) qui est incorporé dans toutes les molécules organiques qui constituent notre corps et celle d’un peu de rubidium-‐87. Au total la radioactivité d’un corps humain de 80 kg est de 8 000 Bq envi-‐
ron. C’est une valeur stable car les atomes qui se désintègrent sont compensés par notre alimentation
7. Ce nombre appelle deux remarques. Tout d’abord il faut garder à l’esprit que toute la vie est adaptée à ce niveau de radioactivité et même à bien plus pour les personnes qui vivent dans des régions granitiques, en Bretagne ou ailleurs, et qui subis-‐
sent sans le savoir la radioactivité des éléments contenus dans la roche
8. Nous sommes donc adaptés aux niveaux naturels de radioactivité. Or les appareils de mesure dont nous disposons sont sensibles à des niveaux de radioactivité bien plus faibles que ceux auxquels nous sommes exposés ; et trop souvent on alerte le public sur des traces ra-‐
dioactives sans aucune importance. La deuxième remarque qu’il faut faire sur la radioac-‐
tivité naturelle du potassium, et de ses collègues, porte sur son caractère bénéfique pour la vie. On sait que les électrons émis par le potassium lors de sa désintégration provo-‐
quent les mutations génétiques qui se produisent dans les cellules séminales des êtres vivants
9et ce sont ces mutations génétiques qui sont le moteur de l’évolution qui pro-‐
duit des êtres vivants adaptés à leur environnement.
Alors louons haut et fort les réactions nucléaires qui rendent la vie possible sur Terre, qui permettent le confort et la sécurité !
J’habite une maison nucléaire et je m’en félicite chaque jour car cette maison est con-‐
fortable. Nucléaire n’est, bien sûr, qu’une image pour dire que seule la forme électrique de l’énergie y est utilisée ; pas de bois, pas de charbon, ni de fioul, ni de gaz. Ah, si un peu de bois dans la cheminée pour réchauffer les après-‐midis frisquets et mettre une am-‐
biance chaleureuse à l’heure de l‘apéritif du soir.
Le monde de l’énergie est un monde global, il est absurde de vouloir y faire son mar-‐
ché, de choisir de dépendre de telle ou telle forme de production sur de seuls critères idéologiques. Il n’y a pas de doute possible, une production massive d’énergie bon mar-‐
ché constitue, de tous temps, l’épine dorsale des civilisations. Il n’est pas neutre de re-‐
marquer que l’abolition, en 1833, de l’esclavage par la Grande-‐Bretagne coïncide avec le développement explosif de la machine à vapeur qui, dans un mouvement dialectique, a favorisé et a bénéficié de l’énergie du charbon.
La secte religieuse mennonite des Amish, du Deutsch County en Pennsylvanie, illustre le choix d’un mode de vie qui refuse l’usage de l’énergie de masse bon marché. Les che-‐
vaux constituent leur source d’énergie extérieure pour le transport et les activités agri-‐
coles, même si certains utilisent des énergies renouvelables rudimentaires pour leurs activités artisanales. Il est loisible d’imaginer que puissent se créer de nouvelles com-‐
munautés idéologiques qui refuseraient l’usage de l’énergie de masse et se réfugieraient dans des sortes de réserves. Pourquoi pas ? Cela ne peut concerner, bien sûr, que des fractions faibles de population.
6 Le potassium-‐40 est un émetteur béta.
7 Faut-‐il avoir peur de la radioactivité ? Pierre Bey, Jean-‐Pierre Gérard, Martin Schlumberger. Odile Jacob. 2013.
8 Principalement de l’uranium et du thorium.
9 Une autre contribution aux mutations provient des rayons cosmiques qui traversent sans cesse notre corps.
L’énergie électrique ne se stockant pas facilement, sa production doit en permanence être adaptée à la demande de consommation. Chaque état européen, possède donc un réseau de salles de contrôle où du personnel hautement spécialisé, aidé de lourds logi-‐
ciels informatiques ajuste en continu la production à la demande, envoyant des ordres d’allumage et d’extinction à de petites centrales de production à réaction rapide, au fioul ou au gaz. Cette production s’ajoute à la production de fond réalisée par les centrales nucléaires et de grosses centrales à énergie fossile. Parmi les centrales capables de réa-‐
gir rapidement il convient de distinguer les barrages hydroélectriques qui permettent de plus le stockage d’une petite partie de l’énergie produite en période creuse.
La France après les crises pétrolières du début des années 1970 a fait le choix de pro-‐
duire massivement son électricité à partir de réactions nucléaires de fission de l’uranium. Il s’agit bien sûr d’un choix politique, en partie dicté par une volonté de des-‐
serrer l’étreinte des pays producteurs du précieux liquide dans un esprit gaullien d’indépendance. Il y avait aussi la volonté d’obtenir un retour sur les investissements colossaux qui avaient été consentis pour développer l’indépendance du nucléaire mili-‐
taire du pays. Ce choix s’est avéré plutôt judicieux car il nous a doté d’un dispositif de production massif d’énergie électrique bon marché grâce auquel nous avons pu mainte-‐
nir une économie forte dans une période d’ouvertures sauvages à la concurrence de pans entiers de notre économie.
Fixons nous dès maintenant les idées sur la production et la consommation d’énergie en France pour éliminer quelques aprioris incorrects. En 2012, on a produit en France 136 Mtep
10d’énergie dont 119 Mtep d’électricité et on a importé pour 151 Mtep de gaz et de pétrole
11, [viii]. 87,5% de l’électricité a été d’origine nucléaire mais cela ne repré-‐
sente que 41,4% du total de l’énergie produite. Cette part du nucléaire n’est plus en 2013 que de 73,3%, en nette diminution.
Pas d’énergie nucléaire, pas de vie. On entend souvent dire que la Terre est un sys-‐
tème fini, c’est juste. Ce qui ne l’est pas c’est de penser qu’il s’agit d’un système fermé. Le Soleil, cette bombe H géante
[ix], nous arrose avec une puissance de 1 361 Watt par mètre carré
[x]. Une valeur considérable qui laisse de grands espoirs pour le futur. C’est cette énergie qui est le moteur de la vie. Les réactions de photosynthèse stockent la lumière sous la forme de molécules carbonées qui se propagent jusqu’à nous à travers la chaîne alimentaire. Les réactions nucléaires de fission qui se produisent au cœur même de notre planète lui donnent sa température clémente sans laquelle la vie ne serait pas pos-‐
sible. Vive le nucléaire donc.
Avant d’attaquer le cœur du texte, nous allons d’abord faire un court détour par les notions de
« transition énergétique » et de « principe de précaution », car c’est dans ce cadre que se pose la question des choix que l’on doit faire des moyens de production de l’électricité dont nous avons besoin pour assurer le fonctionnement de l’économie et une partie de notre confort.
10 Le tep, tonne équivalent pétrole, est une unité de mesure de l’énergie qui en ramenant toutes les mesures à l’énergie contenue dans une tonne de pétrole permet des comparaisons faciles. Un Mtep = un million de tep.
11 Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, Références -‐ Bilan énergétique de la France pour 2012.
SUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Pour de très nombreuses personnes les mots transition énergétique signifient l’abandon simple et immédiat de la filière nucléaire de production d’électricité rempla-‐
cée par des éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Ces personnes ne sont pas né-‐
cessairement de mauvaise foi, elles n’ont probablement eu accès qu’à un niveau mé-‐
diocre d’information de la part des media qu’elles consultent. Ce à quoi nous essayons de faire face, c’est à une pénurie à moyen terme de produits pétroliers ; quand on aura tout brûlé il faudra bien faire autre chose. Revenir au charbon, par exemple, dont les réserves connues sont encore très importantes ? Ou, comme les EUA
12, se tourner vers le gaz de schiste !
Tout d’abord, une transition énergétique ne peut pas être rapide
13, il lui faut de 50 à 60 ans pour atteindre sa plénitude. De nombreuses contingences s’opposent à des évolu-‐
tions rapides dans le domaine de l’énergie. Madame Royal, ministre responsable de l’environnement l’a exprimé d’une superbe formule lapidaire : « on n’arrête pas une cen-‐
trale nucléaire en tournant un bouton ». Il faut dix ans pour construire une centrale et sa durée de vie est d’au moins quarante ans. Toute transition énergétique suppose de lourds investissements nouveaux, il faut revoir, non seulement les moyens de produc-‐
tion, mais aussi les infrastructures qui vont avec. Pour installer une ligne d’éolienne sur une crête montagneuse, il faut bien construire une route pour s’y rendre, installer une ferme éolienne en mer suppose de poser les lignes électriques qui permettront de rapa-‐
trier l’électricité à terre. La taille des investissements qui sont faits à un instant donné est telle qu’aucun gouvernement ne peut y renoncer sur un coup de tête, ni même pour faire un coup électoral. Notre voisin allemand s’est engagé de fait dans une transition énergétique vers le charbon pour pallier à ses besoins immédiats en électricité.
Le passage de l’énergie du bois à l’énergie du charbon a duré le temps qu’il a fallu pour mettre au point des machines à vapeur performantes et ouvrir de nouvelles mines de charbon plus productives, environ 60 ans
14. Le passage au pétrole a aussi nécessité le temps du développement de moyens de forage efficaces et la mise en évidence de gise-‐
ments économiquement exploitables, le développement d’oléoducs, la mise au point de raffineries complexes. En France la transition pétrole-‐nucléaire a été décidée à la suite des chocs pétroliers du début des années 1970 et n’a atteint sa plénitude qu’au début des années 2000 lorsque la production électrique nucléaire a atteint les ¾ environ de la production électrique totale. Trente ans seulement, mais parce que cette transition a bénéficié de l’existence dans notre pays d’une industrie nucléaire dûment installée sur un substrat militaire. Tout le monde n’a pas eu cette chance.
Pourquoi devons nous effectuer une transition énergétique maintenant ? La réponse est claire, simple : pour essayer de limiter s’il en est encore temps le réchauffement glo-‐
bal en essayant de limiter le largage de CO
2d’origine fossile dans l’atmosphère
15, mieux pour laisser à nos descendants un environnement le plus propre possible. Brûler des combustibles fossiles libère dans l’atmosphère des métaux lourds, des oxydes de soufre
12 États-‐Unis-‐d’Amérique.
13 Vaclav Smil, « Énergies renouvelables : l’essor sera lent », Pour la Science, 441, 65, juillet 2014.
14 On peut l’estimer à la durée nécessaire pour passer de la machine de Newcomen, 1712 à la machine de Watt, 1769.
15 L’opinion des climato-‐sceptique n’a aucun intérêt, car même si le réchauffement global n’est pas anthropique il faut penser à laisser un environnement sain à nos descendants.
et d’azote, de l’ozone, qui ont un effet délétère sur nos bronches, des suies cancérigènes.
Par temps ensoleillé la soupe de pollution des villes se transforme en smog
16, quand il pleut, les pluies acides détruisent les forêts. L’argument qui vaut pour les déchets nu-‐
cléaires, vaut bien sûr pour toute forme de pollution agressive : nous ne pouvons pas laisser une atmosphère dégradée à nos petits enfants. Cette pollution par la combustion des ressources fossiles est diffuse, continue, irréversible à moyen terme, elle affecte tout le monde, pas seulement ses producteurs. À l’inverse, les déchets nucléaires, qui ne sont déchets que tant qu’ils ne sont pas valorisés, sont localisés et sous contrôle, ils affectent éventuellement d’abord leurs producteurs et l’état psychologique de quelques per-‐
sonnes fragiles.
Le bon sens dicte donc de faire une transition énergétique vers des moyens de pro-‐
duction qui ne dégradent pas l’environnement, qui évitent surtout le largage massif de gaz à effet de serre d’origine fossile. L’éolien, le photovoltaïque vont dans le bon sens bien sûr, mais leur intermittence les disqualifie comme producteurs continus d’énergie de fond, cette énergie dont on a besoin en permanence. L’hydraulique est au maximum de ses capacités dans nos pays et doit être préservé pour faire face à la consommation électrique des heures de pointe. D’autres formes de production verront le jour, mais on ne peut pas compter sur elles pour le moment. La logique voudrait donc que l’on aug-‐
mente la part du nucléaire, qui est propre lui, dans la production d’énergie. Qu’observe-‐
t-‐on ? À l’inverse l’Allemagne, par exemple, s’est éloignée du nucléaire sur des argu-‐
ments électoralistes et augmente massivement sa production de charbon, allant même, c’est un comble, jusqu’à produire 24% de son électricité à partir de lignite (autant que par le nucléaire, 23%), la forme la plus polluante des houilles
17. Croyez-‐vous qu’elle ac-‐
ceptera de fermer cette centrale avant 30 ans, quand ses investissements auront été amortis ? Ses déjections en arrivent à couvrir Paris de smog dans l’indifférence quasi générale.
LA transition énergétique est perçue comme LA solution finale de nombre de nos problèmes énergétiques. Il n’en est rien bien sûr, cette transition sera suivie de nombre d’autres transitions. Si dans les 50 ans années à venir, le contrôle de la fusion nucléaire trouve une solution économiquement acceptable, nous aurons à faire face à une nouvelle transition énergétique qui posera ses problèmes spécifiques. Et on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise après tout, de nouvelles sources d’énergie pourraient apparaître que rien aujourd’hui ne permet d’imaginer
[xi].
DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION
Une des difficultés de nos sociétés trouve son origine dans une idéologie dominée à tort par l’idée que le « zéro défaut » ou le « zéro mort » sont possibles. Même si on peut poser ces souhaits en valeurs, ils n’en restent pas moins des souhaits. Un individu ou une société ne sont forts que s‘ils mesurent le plus précisément possible leurs limites. Or le principe de précaution en posant des limites inatteignables mène directement à l’inaction.
16 Brouillard épais et brun qui stagne au-‐dessus des villes polluées par les fumées industrielles les jours d’anticyclone, ensoleillés et sans vent.
17 Nathalie Versieux, « L’Allemagne cède à la tentation du lignite », Le Temps – Science et Environnement, jeudi 14 août 2014.
Le principe de précaution est l’enfant du développement débridé, de l’activité souvent chaotique de la révolution industrielle au XIX
esiècle. L’absence totale de régulation à conduit à d’innombrables catastrophes environnementales, déforestation de l’Angleterre, sites de production de gaz pollués gravement pour cent ans, catastrophes industrielles innombrables… En réaction, nos sociétés ont créé de nombreuses règles d’encadrement qui ont trouvé leur aboutissement dans le cadre légal du principe de pré-‐
caution à la fin du siècle dernier.
Le principe de précaution repose sur le vieil adage de bon sens qui dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Il prend une tournure juridique à partir de la déclaration de Rio de 1992
18. L’article 15 de la déclaration dit : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de pré-‐
texte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dé-‐
gradation de l'environnement. ». Cette déclaration est évidemment en soi un progrès de civilisation qui oblige à ne pas faire n’importe quoi à partir des avancées de connais-‐
sance et d’innovation. Malheureusement ce principe a dérivé vers une interprétation restrictive développée par les extrémistes environnementalistes qui estiment que tout développement technologique ou toute innovation comporte des risques de dommages graves ou irréversibles en l’absence de quelque évidence que ce soit. Si on part de ce présupposé alors il ne peut de toutes les façons pas y avoir de certitude scientifique et bingo on arrête tout, c’est trop dangereux pour l’environnement.
« Gasland », le film de propagande anti gaz de schiste de Josh Fox est une illustration caricaturale de la dérive du principe de précaution
19. La scène emblématique de ce film, que nous avons revue en boucle dans les media vidéo, sans aucun commentaire critique, est celle, spectaculaire, d’un robinet d’eau qui s’enflamme à cause d’une pollution de l’eau provoquée par l’exploitation de gaz de schiste. À partir de là (risque de dommages graves ou irréversibles) on dérive sur un gouvernement de la France qui décide le 13 juillet 2011 d’interdire la technique de la fracture hydraulique, même à des fins d’exploration. Le pays n’a donc plus aucun moyen d’évaluation ni du potentiel en gaz de schiste, ni des risques. Le procès d’intention qui a mené à cette situation ubuesque est limpide : si on « les » laisse explorer de possibles réserves sur le territoire national, après « ils » demanderont à exploiter ces réserves. Autant les stopper maintenant, c’est plus facile. Tel est le mode d’expression typique
20tenu par les éco-‐extrémistes. On est bien loin des risques graves, on est en plein délire idéologique on s’enfonce sans ver-‐
gogne dans l’obscurantisme en agitant des peurs primales.
Je ne sais pas si le gaz de schiste a en France quelque intérêt économique que ce soit, je ne suis pas à même d’en juger, mais je trouve que le procès idéologique qui lui est fait est insupportable sur le plan des principes. Il est insupportable de voir une minorité in-‐
signifiante faire peur à ses concitoyens au lieu de provoquer un débat rationnel, au lieu de s’attaquer au vrai problème qui est de reconnaître que les difficultés exposées dans
« Gasland » sont celles d’une société du « laisser-‐faire » et d’entreprises uniquement in-‐
téressées par leur profit. La situation atteint le surréalisme quand on voit une chance-‐
lière allemande qui, pour des raisons de négociations électoralistes, annonce la sortie de
18 Du 3 au 14 juin 1992 se tint à Rio de Janeiro au Brésil une conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement qui a réuni 110 pays. C’est la première grande conférence qui cherche à prendre en compte l’effet de l’activité humaine sur l’environnement et les conséquences que cela pourrait avoir sur le développement des pays en émergence.
19 « Gasland » est disponible en DVD et VOD sur la boutique ARTE : http://boutique.arte.tv/rechercheSimple.html
20 Le mot raisonnement ne convient évidemment pas ici
son pays du nucléaire, l’engage dans une course effrénée à l’éolien et qui devant une si-‐
tuation géopolitique inquiétante décide de lancer l’exploration du gaz de schiste qui lui éviterait d’acheter son gaz à la Russie. Cette même chancelière, qui, si elle n’avait pas fuit le nucléaire, serait dans une position bien plus forte face aux menaces que font peser sur elle le gaz Russe utilisé comme arme politique
21.
Sur un mode plus léger, étudions maintenant une version édulcorée du principe de précaution que je nomme, par commodité, le syndrome amish. Ce syndrome est partagé par de nombreuses personnes qui n’en ont bien sûr pas conscience. Le syndrome amish est une attitude de refus devant les choses de la vie, qu’on découvre, qui sont nouvelles pour soi, c’est une attitude, héritée de la sélection naturelle, de défense contre ce qu’on ne comprend pas. Chez la plupart d’entre nous cette réaction est seulement superficielle, elle disparaît très vite dans l’enfance pour faire place à la curiosité, un mode d’exploration et d’apprentissage au cours duquel nous déterminons si la nouveauté à laquelle nous sommes confrontés ne pourrait pas nous être utile et favorable et s’il vaut la peine de passer du temps à en apprendre l’usage.
Les Amishs, secte mennonite chassée de Suisse au XVI
esiècle pour excès théologique, après être passés par le Val d’Argent en Alsace, peuplent maintenant le Dutch county (comté de Lancaster) dans l’état de Pennsylvanie aux États-‐Unis-‐d’Amérique où ils pra-‐
tiquent leur religion sous une forme radicale
22. Le film Witness de Peter Weir, avec Har-‐
rison Ford, les a rendu célèbres et tout le monde garde en mémoire leurs voitures à che-‐
val, leur agriculture bio et leur mode de vie collectif à l’abri du téléphone, de l’électricité et du pétrole. Même dans leur communauté cultuelle, ces habitants de Straßburg et Lan-‐
caster (Pennsylvanie) sont des absolutistes minoritaires. Leur crédo est fondé sur l’utilisation des seules technologies que l’individu ou sa communauté peut maîtriser
23. Ils ignorent ainsi les boutons pour tenir les vêtements, ne s’éclairent qu’à la chandelle et la lampe à huile et labourent leurs champs en utilisant la traction hippomobile. Ils repré-‐
sentent un cas spectaculaire de refus des avancées technologiques.
Les membres de cette secte sont peut-‐être un modèle, au moins inconscient, pour des éco-‐absolutistes, car ils ont montré depuis 300 ans déjà que leur société et leur mode de vie sont stables. Les sectes écologiques les plus virulentes, telle Horus, par exemple, avec leur vision autarcique sont très proches, par l’esprit, des Amish, la religion en moins quelques fois. Ce qu’égoïstement ces groupes humains ne perçoivent pas est qu’ils ne peuvent exister que parce qu’ils ne constituent qu’une toute petite minorité dans un océan d’humanité technologique
[xii]. Positivement, en cas d’effondrement technologique de nos sociétés eux survivraient, peut-‐être.
« La transition énergétique » est un argument électoral utilisé par les politiques. Dans la réalité, les sociétés pratiquent la transition en permanence pour améliorer leur accès à une énergie abon- dante et bon marché. Cette transition continue est aujourd’hui encadrée par le « principe de pré- caution » qui permet d’éviter les excès du XIXe siècle, mais risque dans le même temps de devenir un frein pour l’innovation.
Le cadre de réflexion maintenant fixé, nous allons nous intéresser à l’énergie, explorer superfi- ciellement ce qui est peut-être le concept universel qui unifie le plus grand nombre de phénomènes physiques et chimiques. L’énergie recouvre trop de manifestations différentes pour qu’on puisse ici en faire le tour en quelques pages, mais quand même nous allons regarder les quatre grandes forces qui font le monde.
21 La démarche est d’autant plus étonnante que la chancelière est physicienne.
22 Il existe d’autres peuplements Amish plus modéré, en particulier dans l’Ohio.
23 Ils se sont ainsi dotés à la fin du XXe siècle de patinettes à grandes roues dérivées du vélo.