• Aucun résultat trouvé

Rôle de l’action dans le développement de la pensée : questions vives et perspectives.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Rôle de l’action dans le développement de la pensée : questions vives et perspectives."

Copied!
13
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-02387933

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02387933

Submitted on 30 Nov 2019

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Rôle de l’action dans le développement de la pensée : questions vives et perspectives.

Christine Sorsana

To cite this version:

Christine Sorsana. Rôle de l’action dans le développement de la pensée : questions vives et perspec-

tives.. Enfance- Paris-, Universitaires de France, 2011, 63 (1), pp.5-15. �hal-02387933�

(2)

R

EFERENCE A UTILISER POUR TOUTE CITATION DE CE TRAVAIL

:

Sorsana, C. (2011). Rôle de l’action dans le développement de la pensée : questions vives et perspectives. Enfance, 63 (1), 5-15.

I

NTRODUCTION

- Rôle de l’action dans le développement de la pensée : questions vives et perspectives - Christine Sorsana

1

Résumé : Face au divorce grandissant entre action et cognition dans les recherches contemporaines, l’objectif de ce numéro thématique d’Enfance est de discuter la thèse du rôle de l’action comme source et comme principe organisateur de la pensée humaine. En effet, la découverte en neurosciences des neurones dits « miroir », au début des années 90, est susceptible de produire un changement de perspectives dans la conception psychologique des relations entre action et pensée. Des spécialistes non seulement du domaine de la psychologie mais aussi des domaines de l’épistémologie, de la didactique et de l’ethnométhodologie ont accepté d’apporter leur éclairage à ce débat. Après avoir rappelé les principales questions vives relatives aux sources de la pensée, nous présentons les axes de réflexion dégagés des différentes contributions : (1) Agir pour comprendre les propriétés du monde physique : en utilisant quels types d’action ? (2) Inter-agir pour comprendre le monde humain : quel est le rôle de l’interaction sociale et conversationnelle ? (3) Peut-on concevoir une synthèse intégrative des relations entre cerveau-corps-pensée-monde ?

Mots clés : action, développement de la pensée, cerveau, corps, interaction sociale

INTRODUCTION - Role of action on thinking development: deep questions and new research perspectives

Abstract : Observing that in contemporary research, we are faced with a growing up

« divorce » between action and cognition, the aim of this thematic issue of Enfance is to discuss the thesis of the role of action as a source and as an organizing principle of Human thinking. Indeed, in neurosciences the discovery of mirror neurons, at the beginning of the 1990’s, is likely to produce a main shift in the way to understand the relations between action

1 Université Toulouse 2 & université Nancy 2 (GRC, Laboratoire InterPSY, EA 4165), Département de Psychologie du Développement, 5 allées Antonio Machado 31058 Toulouse Cedex 9 (France) christine.sorsana@univ-tlse2.fr

(3)

and thinking. Specialists from the psychology domain as well as from the epistemology, didactic and ethnomethodology ones have agreed to throw their light on this debate. After pointing out the principal deep questions related to the sources of thinking, we present the main lines derived from the various contributions: (1) Acting in order to understand the properties of the physical world : which types of action are used ? (2) Inter-acting in order to understand the human world : what is the role of social and conversational interaction ? (3) Is it possible to conceive an integrative synthesis of the relationships between brain-body- thinking-world ?

Key words : action, thinking development, brain, body, social interaction

(4)

I

NTRODUCTION

- Rôle de l’action dans le développement de la pensée : questions vives et perspectives

Comme le rappelle Netchine (1998), l’utilisation des notions d’acte, d’action et d’activité pour rendre compte du développement de la pensée découle d’un mouvement des idées visant à dépasser l’opposition entre l’empirisme et le rationalisme. Kant, « en soutenant tout à la fois que la connaissance ne peut s’établir qu’à partir de catégories a priori, c’est-à-dire préexistantes à l’expérience, de la sensibilité et de l’entendement, et que la finitude de l’esprit humain lui interdit d’approcher autre chose que ce qui est donné dans l’expérience », a permis une articulation entre ces deux approches (Netchine, 1998, p. 94). C’est alors dans le projet philosophique de comprendre « la relation dynamique qui unit le sujet et l’objet de la connaissance » que s’élaborent, au cours du XIX

ème

siècle, les conceptions psychologiques de l’action qui en font « une médiation, un lien primordial entre le sujet psychologique et la réalité » (Netchine, 1998, p. 94 ; voir également Besnier, 1996).

« Une action se distingue d’un simple mouvement parce qu’elle a été causée de la manière

adéquate par les intentions, les désirs et les croyances de l’agent. Bousculer quelqu’un

intentionnellement est une action, mais le bousculer parce qu’on a trébuché n’en est pas une »

(Proust, 1998, pp. 36-37). L’action peut être physique ou mentale: « Dans le premier cas, le

contenu intentionnel consiste dans un événement extérieur dont la réalisation dépend d’un

mouvement de l’agent (ou pour les actes de langage, d’un énoncé). Dans le second cas, le

contenu intentionnel consiste dans un événement mental (ou une disposition) que l’agent se

propose de faire advenir en lui-même » (Proust, 1998, p. 37). Deux façons de concevoir les

relations entre l’action et la pensée dans le développement cognitif existent : on peut

envisager le développement psychologique comme un passage de l’action à la pensée, ou bien

comme le passage inverse de la pensée à l’action. Quels sont les intérêts et les limites du

paradigme actionnel dans l’étude du développement cognitif ? En d’autres termes, quelle peut

être la posture épistémologique du chercheur et du pédagogue face au divorce grandissant

entre action et cognition dans les études contemporaines (Sorsana, 1998) ? Peut-on encore

aujourd’hui soutenir la thèse du rôle essentiel de l’action comme source et comme principe

organisateur de la pensée humaine ? Ces questions sont discutées dans ce numéro thématique

par des spécialistes non seulement du domaine de la psychologie mais aussi des domaines de

l’épistémologie, de la didactique et de l’ethnométhodologie.

(5)

Notre expérience singulière nous conduit à croire que faire quelque chose (action physique) et imaginer le faire (action mentale) ne reviennent pas au même. Or, depuis la découverte des neurones dits « miroir »

2

, au début des années 1990, il est probable que pour notre cerveau, la pensée et l’action soient une seule et même chose. En effet, les neurones miroir sont capables de s’activer aussi bien durant la réalisation d’une action que lors de l’observation de cette même action produite par autrui (Decety, 1997, 2002 ; Rizzolatti & Sinigaglia, 2008). Grâce aux neurosciences, nous savons que certaines aires cérébrales contiennent des neurones dont l’activation n’est pas reliée à de simples mouvements mais à des actions motrices finalisées (ou actions « transitives », c’est-à-dire dirigées vers une cible), telles que saisir, tenir, manipuler un objet, etc. et qui répondent sélectivement aux affordances des objets, y compris lorsque nous sommes seulement observateurs de telles actions. L’imagerie cérébrale a révélé que l’activité du système dit « miroir » chez l’être humain sous-tend l’exécution et l’observation d’une gamme d’actions beaucoup plus étendue que chez le singe macaque, à l’origine de cette découverte : elle est en particulier impliquée dans l’exécution et l’observation d’actions « intransitives » (par exemple, des pantomimes et des gestes de communication ostensive) non dirigées vers une cible (Jacob, 2007). En d’autres termes, « ces neurones se révèlent capables de discriminer l’information sensorielle en la sélectionnant sur la base des possibilités d’action qu’elle offre, indépendamment du fait que ces possibilités puissent être concrètement réalisées ou non » (Rizzolatti & Sinigaglia, 2008, pp. 8-9). Cette activité neuronale est interprétée comme un mécanisme de « résonance » qui coordonne l’activité des mêmes aires cérébrales entre un agent et un observateur : « Cette congruence motrice peut être conçue comme une simulation motrice des mouvements observés de l’agent effectuée automatiquement par le cortex prémoteur de l’observateur : le système moteur de l’observateur résonne, mais l’observateur n’exécute pas l’action observée. Grâce à cette résonance (ou simulation) motrice automatique, l’observateur est réputé ‘comprendre’ l’action exécutée par l’agent » (Jacob, 2007, p. 300). Il importe de souligner que de telles découvertes ont pu avoir lieu grâce à « l’enregistrement des neurones dans un contexte aussi naturel que possible, en laissant l’animal libre de prendre comme bon lui semble la nourriture ou les objets qui lui sont présentés » (Rizzolatti & Sinigaglia, 2008, p. 9), et non pas lors

2

Ces neurones sont dits « miroir » pour deux raisons : « d’une part, le mot ‘miroir’ fait référence au fait qu’une

même structure dans le cortex prémoteur d’un seul et même individu est active lorsqu’il exécute une action et

lorsqu’il observe cette même action exécutée par un autre, en différentes occasions. En ce sens, des neurones

peuvent être dits « miroir » à condition qu’il existe une congruence suffisante entre leurs propriétés motrices et

leurs propriétés perceptives. D’autre part, le mot ‘miroir’ fait référence au fait que cette structure est active au

même instant dans le cerveau de deux individus dont l’un exécute une action et l’autre l’observe. Cette

coactivation est interprétée comme un mécanisme de résonance » (Jacob, 2007, p. 302).

(6)

d’expériences où les animaux, tels des robots, sont stimulés à exécuter uniquement des tâches spécifiques.

Nul doute que ces découvertes vont produire un changement de perspectives dans la conception psychologique des relations entre action et pensée : « Le système des neurones miroir apparaît ainsi décisif pour l’émergence comme objet d’étude de ce terrain d’expérience commune où s’enracine notre capacité d’agir non seulement comme des sujets individuels, mais aussi et surtout comme des sujets sociaux. Des formes plus ou moins complexes d’imitation, d’apprentissage, de communication gestuelle, voire verbale, trouvent en effet, une correspondance ponctuelle dans l’activation de certains circuits miroir spécifiques. Mais ce n’est pas tout : notre propre capacité d’appréhender les réactions émotionnelles d’autrui est corrélée à un ensemble déterminé d’aires caractérisées par des propriétés miroir. A l’instar des actions, les émotions aussi apparaissent comme étant immédiatement partagées : la perception de la douleur ou du dégoût chez autrui active les mêmes aires du cortex cérébral que celles qui sont impliquées lorsque nous éprouvons nous-mêmes de la douleur ou du dégoût. Cela montre combien les liens qui nous unissent aux autres sont profondément enracinés en nous et, donc, à quel point il peut être bizarre de concevoir un moi sans un nous » (Rizzolatti & Sinigaglia, 2008, p. 11). Les conséquences psychologiques du système miroir font actuellement débat.

Plus précisément, les neurones miroir servent-ils à représenter l’intention de l’agent ? Rizzolatti et ses collaborateurs (Iacoboni, Molnar-Szakacs, Gallese, Buccino, Mazziotta &

Rizzolatti, 2005) répondent par l’affirmative tandis que d’autres chercheurs doutent que la fonction des neurones miroir soit de représenter les états psychologiques d’autrui, y compris de représenter le but d’une action. Ils retiennent plutôt l’idée que leur activité contribue à prédire les prochains mouvements qu’effectuera un congénère engagé dans une action (Jacob, 2007).

Quelques questions vives à propos des sources de la pensée

Une question préalable : « Sommes-nous nés comme nous sommes, explicables par

l’évolution pour nos 98 % de patrimoine génétique partagé avec les grands singes aussi bien

que pour nos 2 % de spécificité ? Sommes-nous mieux décrits pour ces 2 % par une théorie du

développement incluant les contraintes biologiques de l’évolution et les degrés de liberté

offerts par les possibilités de l’environnement ? Tel est sans doute le débat actuel, élargi par le

fait que les sciences biologiques nous font récemment une petite place au soleil de

(7)

l’évolutionnisme. La psychologie du développement devient partie intégrante d’une pluridisciplinarité qui n’aide peut-être pas à l’élaboration de théories unitaires, mais participe sûrement à sa mutation scientifique » (Nadel, 2001, p. 69). Cette interrogation fait écho au problème récurrent des relations inné/acquis : « A la question ‘Qu’est-ce qui est le plus important, l’inné ou l’acquis ?’ je réponds par une autre question : ‘Dans la surface d’un rectangle, qu’est-ce qui compte le plus, la longueur ou la largeur ?’ Dès lors, on voit bien que la question n’a pas de sens. L’un ne va pas sans l’autre. Tout caractère est un rectangle d’une longueur, disons l’inné, et d’une largeur, disons l’acquis, particulières. Il existe des caractères complètement génétiques, et probablement d’autres complètement façonnés par l’environnement, et la majorité se situe entre les deux » (Cohen, 1995, p. 116). Que soulèvent ces interrogations à propos du thème qui nous occupe ? Tout d’abord, le séquençage du génome humain réalisé en 2003 ne permet pas de « révéler la nature humaine » et nous a appris que « nous n’avons pas plus de gènes que la souris, pas beaucoup plus que la drosophile (ou mouche du vinaigre) et moins que le riz » (Ameisen, 2009, p. 89). Par ailleurs, Roger Lécuyer (dans ce numéro) est convaincant quand il affirme l’échec du nativisme à rendre compte des sources de la pensée : depuis les recherches sur la cognition fœtale qui ont mis en évidence des apprentissages au cours de la vie intra-utérine, l’état initial cher à Mehler dit-il, « a sombré dans le liquide amniotique » ! La question essentielle devient donc celle des mécanismes précoces d’acquisition des connaissances. Enfin, en paraphrasant Bruner (1987), admettons un instant qu’il y ait une sorte d’attitude innée à maîtriser la pensée (et le langage) en tant que système symbolique, il resterait à se demander : « Pourquoi utilise-t-on le langage » et la pensée ?

Des questions toujours non élucidées

A partir de ce que l’on peut considérer comme génétiquement déterminé, à savoir cette

capacité fantastique à apprendre, quels sont les mécanismes précoces d’acquisition des

connaissances ? Existe-t-il des ruptures effectives dans l’évolution de la pensée ? Quelle est la

nature des mécanismes générateurs de nouveauté ? Quelle est la part, au cours du

développement, de ce qui relève du domaine général (habituation, attention mentale,

processus de redescription, abstraction réfléchissante, …) et de ce qui relève des contraintes

spécifiques ? Voici quelques-unes des questions soulevées dans la littérature (Bastien, 1994 ;

Bideaud, 1999 ; Deleau, 1999 ; Flavell, 1992 ; Lécuyer, 2001). Cependant, au rang des

questions vives de la psychologie du développement, on peut également insister sur le fait que

(8)

le principal absent des querelles théoriques des débuts de la pensée est, comme le rappelle Lécuyer (2001), le milieu social : « Si, comme le pense Baillargeon, un apprentissage ne peut s’effectuer que si des conditions contrastées sont observables, la source essentielle et même quasi exclusive de ces contrastes est l’environnement social » (pp. 61-62). C’est ce milieu qui fournit quasi exclusivement les conditions contrastées d’observation au nourrisson et au jeune enfant, à partir notamment du « parentage intuitif » (Papousek & Papousek, 1989), du

« processus de participation guidée » (Rogoff, 1990), des interactions de tutelle au sein des

« formats d’interaction » (Bruner, 1983, 1984) qui s’inscrivent dans une « zone de développement proximale » (Vygotski, 1985). Non seulement l’expérience directe des jeunes enfants avec le monde prend place au sein d’interactions sociales mais elle est également accompagnée de « talk-in-interaction » (Schegloff, 1991). Plus encore, la conversation est une des expériences quotidiennes les plus fréquemment partagées, au point qu’il n’y a aucune raison de penser que les informations obtenues par cette voie soit moins significatives que celles obtenues par d’autres moyens (tels que voir, toucher ou transformer) (Harris, 1996 ; Mercer, 2000).

Perspectives

Agir pour comprendre les propriétés du monde physique : Action sensorimotrice ou perceptive ? Quid de la pensée incarnée (gestes, engagement corporel dans la manipulation des objets…) ?

Pour expliquer la présence d’un ensemble de connaissances dès l’âge de 3 mois (unité et permanence de l’objet, différenciation humain/non humain, catégorisation…), Roger Lécuyer propose de décrire les différents niveaux de représentation des connaissances préalables à la coordination préhension-vision. Cette distinction doit permettre, comme il le souligne, de (1) rendre compte des capacités cognitives utilisées par les nourrissons dans des domaines différents mais présentes au même âge et de (2) décrire comment se réalisent les passages d’un niveau à un autre. Pour cet auteur, les représentations débutent à la fin de la période fœtale et ne sont pas d'abord enactives. Elles se constituent à partir de l’action perceptive et cognitive et non pas sensorimotrice.

Plusieurs contributions de ce numéro thématique situent de manière explicite ou implicite la

pensée ou l’activité de raisonnement comme incarnée. Le titre de l’article de Gérard

(9)

Vergnaud est à ce sujet explicite : la pensée est un geste et les exemples donnés sont clairs concernant le « décalage entre la finesse de l’action et ce qu’on est capable d’en dire », y compris quand il s’agit de dénombrement ou de toute autre forme de conceptualisation mathématique. Dans l’article de Frédéric Vallée-Tourangeau et de Gaëlle Villejoubert, la perspective enactive de la pensée est implicite. Les auteurs fournissent plusieurs exemples de recherches qui illustrent la meilleure performance des participants quand la résolution du problème implique la manipulation des objets. Celle-ci modifierait la représentation du problème qui se trouverait « distribuée entre des ressources mentales internes et externes », ce qui métamorphoserait « l’espace épistémique de la pensée ». Alors que c’est dans le domaine du raisonnement que l’on observe un véritable « divorce » entre action et cognition, cette contribution, en mettant empiriquement en évidence les déterminants contextuels dans la résolution des tâches, ouvre des perspectives stimulantes pour revisiter certains paradigmes bien ancrés dans le champ de la psychologie cognitive. C’est une critique du même ordre que formule Louis Quéré quand il rappelle que l’on étudie et évalue le plus souvent le raisonnement et la pensée à partir de standards et de normes, en oubliant que les personnes pensent dans le cadre d’activités situées et selon des méthodes éprouvées. L’idée défendue selon laquelle penser c’est « acquérir les méthodes du jeu de l’enquête et du jugement » ne peut qu’interpeller les chercheurs en psychologie du développement qui sont bien contraints de constater, dans les mises en scène expérimentales avec les enfants, que les connaissances sont fonctionnellement organisées et contextualisées. Mais on peut également concevoir que les bénéfices cognitifs constatés par Frédéric Vallée-Tourangeau et Gaëlle Villejoubert auprès de leurs participants adultes manipulant les artefacts de l’expérience soient dus à l’organisation d’une transaction de type « enquête » avec l’environnement de la tâche.

Inter-agir pour comprendre les propriétés du monde humain : interaction sociale et conversationnelle

Développer sa pensée permet de comprendre le monde et de s'y adapter. Certains auteurs

considèrent que c'est la compréhension par l'individu lui-même de l'action qu'il réalise sur son

environnement qui va permettre la conceptualisation, c'est-à-dire le passage d'une forme

pratique de la connaissance (réussir) à la pensée (comprendre) (Piaget, 1974). D'autres

chercheurs rappellent que dans une perspective évolutive, l'intelligence apparaît comme ayant

pour fonction la gestion des relations interpersonnelles plutôt que la résolution de problèmes

relatifs au monde physique (Attili, 1988 ; voir aussi Tomasello, 2004). Par ailleurs, les

(10)

individus semblent plus appropriés que les objets pour le développement des capacités

cognitives : « le jouet idéal pour les premiers mois de la vie, ce jouet est tout simplement un

être humain » (Lécuyer, 2000, p. 59). Comprendre le monde (et s'y adapter) c'est donc aussi et

surtout comprendre ses congénères, et plus particulièrement l'Intentionnalité qui caractérise le

propre de l'être humain (Thommen & Rimbert, 2005). Dans ce contexte d’interrogations,

quelle est l’importance des interactions sociales dans la construction d’une théorisation de

l’esprit ? Qu’est-ce qu’on apprend des actions des enfants – surtout lorsqu’ils sont atteints

d’une pathologie - confrontés aux tâches se rapportant à la théorie de l’esprit ? C’est le propos

de la contribution d’Evelyne Thommen et d’Anne Guidoux. A partir d’une population

d’enfants âgés de 4 à 9 ans, tout-venant et atteints soit de surdité soit d’autisme, ces auteures

proposent de mieux comprendre « comment s’effectue le passage entre ces capacités en acte

dans l’interaction sociale et la compréhension des intentions d’autrui » et « comment l’enfant

passe du jeu de rôle à un raisonnement opératoire sur les états mentaux ». Pour étayer leurs

arguments, elles s’appuient sur une conception originale de la théorie de l’esprit proposée par

Müller, Sokol et Overton (1998) qui souligne l’importance des interactions sociales dans le

développement des opérations mentales sur les représentations. Selon les auteurs qu’elles

citent, la représentation serait le résultat du partage de la signification avec autrui, ce qui

complexifie cette notion au cœur des questions vives du développement de la pensée. Ces

auteures abordent également la question de l’importance des échanges sociaux et

conversationnels qui est développée dans la contribution de Christine Sorsana. Grâce à ses

caractéristiques structurelles et séquentielles, la conversation qui est à la fois un acte (de

langage), une action (verbale et gestuelle) et une activité (langagière et sociale) est considérée

comme une source et un instrument de la pensée. Après avoir rappelé la structure élémentaire

de l’activité conversationnelle, elle rapporte des études illustrant les « performances »

conversationnelles contrastées des jeunes enfants en contextes écologiquement signifiants

versus en contextes de laboratoire. Puis dans le prolongement des recherches qui ont mis en

évidence l’impact de l’interaction sociale dans le développement cognitif – notamment à

partir de la thèse du conflit sociocognitif – l’hypothèse du rôle des conflits de communication

propice à la décentration cognitive est rappelée et illustrée par la comparaison de la façon dont

trois dyades d’enfants âgés de 6-8 ans parviennent à négocier les étapes problématiques de la

résolution du problème de la tour de Hanoi et à trouver la procédure optimale.

(11)

Vers une synthèse intégrative des relations entre cerveau-corps-pensée-monde ?

On ne pense pas seulement avec notre cerveau ! Cette affirmation, déjà récurrente dans l’ensemble des articles présentés dans ce numéro thématique, s’impose de manière radicale dans la contribution de Bernard Andrieu. Il nous invite à concevoir une synthèse intégrative des relations cerveau-corps-pensée-monde, à partir de l’exposé de plusieurs modèles de l’épistémologie des neurosciences du développement de l’action. Se référant à la thèse de l’enaction proposée par Varela (1989), selon laquelle penser c’est réaliser une action qui fait co-émerger celui qui pense et ce qui est pensé, il insiste sur l’idée d’une conception écologique du corps engagé tout entier dans l’activité pensante. Il va plus loin encore : notre corps « sait » avant notre esprit ; la résonance motrice des neurones miroir correspondrait à une simulation inconsciente du cerveau et du corps qui préparerait notre pensée à penser consciemment. D’où, une piste de réflexion pour mieux comprendre le décalage entre les performances qui sont réalisées quand il y a un engagement corporel dans l’action de résolution et celles qui ne requièrent pas ce type d’engagement.

Conclusion

L'idée initiale sous-jacente à ce projet de numéro thématique était de faire un état des lieux des principaux arguments contemporains en faveur et en défaveur de la thèse du rôle de l'action comme source et principe organisateur de la pensée. Il propose, en définitive, une réflexion diversifiée mais qui demeure orientée en faveur de cette thèse. Le débat reste donc ouvert pour envisager d’autres arguments et d’autres perspectives dans la dispute épistémologique, théorique et méthodologique suscitée par la lecture de ces textes.

Références

Ameisen, J.C. (2009). Entre gènes et environnements. Dossier Pour la Science, 63, 88-94.

Attili, G. (1988). Le rôle des relations précoces dans le développement social et cognitif des enfants. In R.A. Hinde, A.N. Perret-Clermont & J. Stevenson-Hinde (Eds.), Relations interpersonnelles et développement des savoirs (pp. 85-104). Cousset : DelVal.

Bastien, C. (1994). La recherche sur le raisonnement de l’enfant. Psychologie Française, 39- 2, 205-212.

Besnier, J.-M. (1996). Les théories de la connaissance. Paris : Flammarion.

(12)

Bideaud, J. (1999). Psychologie du développement : les avatars du constructivisme.

Psychologie Française,44 (3), 205-220.

Bruner, J.S. (1983). Le développement de l'enfant : savoir faire, savoir dire. Paris : Presses Universitaires de France.

Bruner, J.S. (1984). Contextes et formats. In M. Deleau (Ed.), Langage et communication à l'âge préscolaire (pp. 13-26). Rennes : Presses Universitaires de Rennes.

Bruner, J.S. (1987). Comment les enfants apprennent à parler. Paris : Retz.

Cohen, D. (1995). Ne diabolisez pas la science ! Le Point, 1205, 116-117.

Decety, J. (1997). La programmation de l’action. In S. Dehaene (Ed.), Le cerveau en action.

Imagerie cérébrale fonctionnelle en psychologie cognitive (pp. 145-158). Paris : Presses Universitaires de France.

Decety, J. (2002). Neurobiologie des représentations motrices partagées. In J. Nadel & J.

Decéty (Eds.), Imiter pour découvrir l’humain. Psychologie, neurobiologie, robotique et philosophie de l’esprit (pp. 105-130). Paris : Presses Universitaires de France.

Deleau, M. (1999). Communiquer, imaginer, penser la pensée. In M. Deleau (Ed.), Psychologie du développement (pp. 190-241). Rosny : Bréal.

Flavell, J.H. (1992). Cognitive development : past, present and future. Developmental Psychology, 28, 998-1005.

Harris, P.L. (1996). Desires, beliefs and language. In P. Carruthers & P.K. Smith (Eds), Theories of Theories of mind (pp. 200-220). Cambridge: Cambridge University Press.

Iacoboni, M., Molnar-Szakacs, I., Gallese, V., Buccino, G., Mazziotta, J.C. & Rizzolatti, G.

(2005). Grasping the intentions of others with one’own mirror neuron system. PLoS Biology, 3 (3), 529-535.

Jacob, P. (2007). Neurones miroir, résonance et cognition sociale. Psychologie Française, 52, 299-314.

Lécuyer, R. (2000). Les débuts du développement de l’intelligence. Etudes Vietnamiennes, 3 (137), 50-59.

Lécuyer, R. (2001). Rien n’est jamais acquis. Ou de la permanence de l’objet ... de polémiques. Enfance, 1, 35-66.

Mercer, N. (2000). Words and Minds. How to use language to think together. London, New York : Routledge.

Müller, U., Sokol, B. & Overton, W.F. (1998). Refraining a constructivist model of the development : the role of higher-order operations. Developmental Review, 18, 155-201.

Nadel, J. (2001). Chercher l’enfant, trouver l’humain. Enfance, 1, 67-74.

(13)

Netchine, S. (1998). Théories de l’action et théories du développement. In Danis, A., Déret, D., Jamet, F.,Lammel, A., Netchine, S., Rousseau, F., Santolini, A., Tijus, C.A. & Weil- Barais, A. (1998) (Eds.). Enfants, adolescents: approches psychologiques. Tome 1: Les fondements (pp. 94-98). Rosny : Bréal.

Papousek, H. & Papousek, M. (1989). Intuitive parenting : aspects related to educational psychology. European Journal of Psychology of Education, 4, 201-210.

Piaget, J. (1974). Réussir et comprendre. Paris : Presses Universitaires de France.

Proust, J. (1998). Action. In O. Houdé, D. Kayser, O. Koening, J. Proust & F. Rastier (Eds.), Vocabulaire desciences cognitives (pp. 36-37). Paris : PUF.

Rizzolatti, G. & Sinigaglia, C. (2008). Les neurones miroirs. Paris : O. Jacob.

Rogoff, B. (1990). Apprenticeship in thinking. Oxford : Oxford University Press.

Schegloff, E.A. (1991). Conversation Analysis and Socially Shared Cognition. In L.B.

Resnick, J.M. Levine & S.D. Teasley (Eds.), Perspectives on socially shared cognition (pp.

150-170). Washington: American Psychological Association.

Sorsana, C. (1998). Pour une théorie piagétienne historico-culturellement située. Bulletin de psychologie, 51 (3), 435, 274-285.

Thommen, E. & Rimbert, G. (2005). L'enfant et les connaissances sur autrui. Paris : Belin.

Tomasello, M. (2004). Aux origines de la cognition humaine. Paris : Retz.

Varela, F. (1989). Connaître : les sciences cognitives. Paris : Editions du Seuil.

Vygotski, L. (1985). Pensée et langage Paris : Editions Sociales (1

ère

édition russe, 1934).

Références

Documents relatifs

Analyse the theoretical frameworks of reference for physical, artistic and psychomotor education to establish those that orientate research and analysis in interdisciplinary,

Simon (1991) de la conception, nous avons cherché à montrer sa déclinaison au niveau de l’entrepreneuriat et de mettre en évidence les mécanismes cognitifs en jeu

Meyerson précise qu’il ne vise pas le pan-algébrisme de l’école de Marburg, pourtant présenté comme la « forme la plus définie » d’idéalisme

Si le théâtre grec précède la philosophie, du moins ne lui est pas plus tardif, c'est probablement en raison de la nature même de son langage qui s'affirme

L’apprentissage et l’enseignement du concept de fonction occupent une place importante au deuxième cycle du secondaire (élèves de 14 à 17 ans). Toutefois, ce concept pose de

Elena Danescu, holder of a PhD in Economics, is a researcher in European integration at the CVCE and project manager of the “Pierre Werner and Europe” research project, based on

Groupes et solides sont définis en opposition à ce qui est mobile, fluctuant, variable, relevant du désordre. Ce « mobile », nous l’avons relié au temps. Dans les

Nous proposons un positionnement théorique susceptible d’éclairer des pratiques d’éducation, d’enseignement, de formation et d’information sur des questions liées aux