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Psychologue clinicien : coopération attendue et mode relationnel réel

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Academic year: 2021

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Submitted on 20 Aug 2015

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Psychologue clinicien : coopération attendue et mode

relationnel réel

Yamina Aboura-Nadji

To cite this version:

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1 Aboura-Nadji Yamina

Université d’Oran Ahmed Benbella 1 (Algérie) Biennale internationale de l’éducation,

De la Formation et des Pratiques Professionnelles 2015 : Atelier santé

Psychologue clinicien : coopération attendue et mode relationnel réel Résumé

Dans un service de médecine le psychologue clinicien est souvent en porte –à –faux entre le type de coopération attendu par l’équipe soignante et la pratique de la psychologie telle qu’il se la représente à partir de sa formation. Il est aussi en décalage entre le mode relationnel attendu culturellement par le malade et sa famille et le degré d’implication de soi autorisé par une certaine orthodoxie de la profession.

Ce travail est une réflexion sur une pratique de vingt deux ans dans un service

d’asthmologie, à partir de vignettes cliniques nous essayerons de développer la notion de coopération des différends acteurs : malade, famille, équipe soignante, psychologue. Mots clés : coopération , psychologue ; malade ; famille ; équipe soignante

Abstract

Psychologist clinician: expected cooperation and real kind of relation

In a medicine service clinician psychologist is split between kind of cooperation expected by medical team and practice of psychology such as he represents itself from his curriculum. As well as he is in gap between the kind of relation culturally expected by sick person and his family and degree of implication of one authorized by a certain orthodoxy of the profession. This work is a reflection on a practice of twenty two years in a service of asthmology, from clinical cases we would try to develop the notion of cooperation at the level of the different actors: sick person, family, medical team and psychologist.

Key words: cooperation ; psychologist ; sick ; family ; healthcare team

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2 Introduction

Dans un service de médecine le psychologue clinicien est souvent en porte –à –faux entre le type de coopération attendu par l’équipe soignante et la pratique de la psychologie telle qu’il se la représente à partir de sa formation. Il est aussi en décalage entre le mode relationnel attendu culturellement par le malade et sa famille et le degré d’implication de soi autorisé par une certaine orthodoxie de la profession.

Qu’en est-il lorsque ce psychologue, se trouve confronté à une série de dysfonctionnement dans sa formation même et dans son statut ?

Ce travail est une réflexion sur une pratique de vingt deux ans dans un service de pneumo- phtisiologie /asthmologie, à partir de vignettes cliniques nous essayerons de développer la notion de coopération des différends acteurs : malade, famille, équipe soignante.

1-Problématique

Qui est ce psychologue clinicien ? Et quel rôle lui est assigné ?

1-1 Le rôle du psychologue clinicien

S’intéressant, au début des années soixante dix, aux processus de subjectivation impliquant l’individu dans sa relation au groupe, il s’impose progressivement dans le champ social et dans les institutions pour en décrypter le fonctionnement et conceptualiser les

problématiques. Etudiant les modalités d'articulation du psychique au social et vice et versa, il travaillera aussi bien sur le pulsionnel et le symbolique que sur le culturel et l’idéologique. Son ancrage théorique d’abord en grande partie d’obédience psychanalytique , ne

l’empêche plus au nom d’une orthodoxie obsolète, de s’inscrire dans une approche épistémologique holistique convoquant toutes les disciplines des sciences humaines et construisant des modèles théoriques multi-référencés. Cette transdisciplinarité lui impose plus que jamais une rigueur épistémologique, qui est la condition sine qua non de la survie de la psychologie clinique en tant que science à part entière. Par ailleurs, sa pratique au cœur de la santé mentale, de l’incontrôlable des éléments tels que la demande de soins et les relations humaines et de l’incontrôlé telle que la théorisation de ces éléments lui impose des engagements éthiques spécifiques, dégagés des préjugés et du sens commun. Cette discipline doit construire une clinique du lien social, de la coopération de tous les acteurs, tout en se préservant de « psychologiser » ou au contraire de « normativiser » les

contradictions sociales, nous reviendrons sur ces néologismes au cours de cet exposé.

1-2 Le psychologue clinicien algérien1

1Voir : Yamina. Aboura-Nadji : « Psychologue clinicien de santé publique en Algérie : une équation à plusieurs

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Dans les années soixante dix, les premiers psychologues cliniciens algériens se sont trouvés pris en étau entre une formation qui ne les préparait pas à affronter le public, un public qui ne reconnaissait pas le type de soins prodigués, et une équipe soignante qui les intégrait ou les rejetait selon des critères plus affectifs qu’objectifs. Si actuellement ils sont relativement plus présents dans les institutions de santé publique cela ne veut pas dire qu’ils ne continuent pas à trainer cette image réductrice, sauf pour quelques rares exceptions. Dans une position inconfortable et surtout instable, le psychologue clinicien arrive au prix de différends

compromis à se faire une place au sein de l’équipe soignante. Même si cette place ne répond pas forcément à ses attentes et à la représentation qu’il se fait de sa profession.

Le service de pneumo-phtisiologie / asthmologie du centre hospitalo-universitaire d’Oran (Algérie), avec les services de psychiatrie et de pédiatrie, a été l’un des pionniers pour l’intégration dès (1978) d’un psychologue au sein de son équipe soignante.

Si professeur chef de service et psychologue étaient convaincus du bien-fondé de cette collaboration, ni l’un ni l’autre n’avait une vision claire du profil de poste. L’absence de statut de la profession, la formation insuffisante et l’inexpérience du psychologue ne facilitaient les choses pour personne. Par ailleurs un vide juridique, a fait qu’au début les dossiers des

psychologues cliniciens étaient tantôt traités avec ceux du personnel médical, tantôt avec ceux du personnel paramédical et tantôt avec le personnel administratif. Si financièrement cette situation était loin d’être avantageuse, en pratique elle présentait certains avantages non négligeables, comme le fait d’en référer directement au professeur chef de service et de ne pas être astreint au pointage et aux gardes. Mais l’effet sournois c’est que le psychologue tel un électron libre dans l’organigramme bien structuré d’un CHU peinait à démontrer qu’il était plus dans un rapport de coopération et de coordination que dans un rapport de pouvoir avec l’équipe, rivalité ,corporatisme et rapport de force le guettait à chaque action.

2- Approche méthodologique

Cette réflexion va s’étayer sur une expérience pratique basée à la fois sur l’observation clinique mais aussi sur l’observation participante. Ce dispositif hybride implique une démarche empirico-inductive : le chercheur va, à partir d’une question qu’il pose à un ensemble de phénomènes, fournir l’effort empirique de recueil, de catégorisation et d’organisation des données : qui va déboucher sur un effort d’induction2

c'est-à-dire une tentative de construction d’un schéma organisant la compréhension du fonctionnement global

http://cimeos.u-bourgogne.fr/2014-05-23-08-29-43/colloque-auteurs-acteurs-spectateurs.html consulté le 06 /02/2015

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des phénomènes. Mais il est très difficile pour le psychologue clinicien, co-acteur de fait, de coder après coup les données constituant une réalité, ou plutôt des réalités propres à chaque acteur « et coexistantes en même temps, mais aussi vraies les unes que les autres. » Dans un

« mode de connaissance « en compréhension », une saisie, par l’intérieur et par empathie, du phénomène » le recueil de données ne peut se faire qu’ en : «interprétation, c'est-à-dire en tenant compte constamment du sens que les différends acteurs donnent aux phénomènes. »

(Mucchielli, 1999)

C’est pour cela que nous avons avancé que ce travail impliquait un dispositif hybride, à la fois observation clinique : distanciation, neutralité bienveillante et empathie mais aussi

observation participante : réalité socioprofessionnelle et ancrage culturel propre au clinicien, au patient et à sa famille. Par ailleurs, selon Golse3, l’acte d’observation et l’activité de théorisation sont étroitement liés, puisque « théorica » en grec signifie : contempler.

C’est dans ce contexte socioprofessionnel que notre carrière a débuté, et dans ce climat que ce sont déroulé les évènements qui vont être présentés, et qui vont illustrer le type de

coopération attendu / fantasmé de la part de l’équipe soignante, des patients et des familles de malades et le type de coopération effective ainsi que le vécu et les représentations (notre propre interprétation) des prestations offertes, nous irons du général au particulier sans souci de chronologie.

3- Vignettes cliniques

3-1 Un psychologue pour colmater les brèches

De l’effet pernicieux de l’absence de profil de poste et de statut clairs, la psychologue s’est souvent trouvée à colmater les brèches ou à combler les lacunes de l’équipe soignante, médicale et paramédicale, il nous a été demandé de « psychologiser » ou de « normativiser » les contradictions sociales et professionnelles. Plusieurs cas de figure se sont présentés au cours de notre carrière, donc cette énumération n’est nullement exhaustive :

3-1-1Réparer les attitudes violentes de l’équipe médicale

Au cours de la consultation des nouveaux cas qui se déroulait avec un médecin résident, la psychologue, les internes et les externes, ainsi qu’un représentant de l’équipe paramédicale, un médecin a eu une attitude violente envers un patient, il en est conscient mais refuse de le reconnaitre. Il le confie à la psychologue en aparté, et lorsque celle-ci lui renvoie « son

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attitude à la figure » il lui dit : « je vous ai demandé qu’est ce que vous vous avez fait pour lui, pas ce que moi j’ai fait ! »

3-1-2 Combler les lacunes en matière de diagnostic

Quand le diagnostic est difficile à poser, malgré les différends examens et que le malade continue à se plaindre, la panacée c’est : « il est psychique », à la psychologue de faire des miracles, seule et sans appui. L’expérience et le temps nous ont appris, dans l’intérêt du patient car il y en a qui en sont décédés, à nous méfier de ces raccourcis et à refuser le type de coopération attendu au profit d’une coordination entre tous les acteurs, parfois avec des allers-retours incessants et très mal vécus par l’équipe médicale, mais le jeu ( l’enjeu ?), en valait la chandelle.

3-2Les demandes inappropriées

Les demandes inappropriées viennent parfois du patient lui-même ou de sa famille, ainsi du temps où les malades pouvaient bénéficier de prise en charge de l’état pour soins à l’étranger, sous prétexte que la psychologue était dans le cercle restreint de ceux qui en réfèrent

directement « au patron », elle était sollicitée pour faire en faire la requête.

3-2-1Les demandes incongrues à caractère médico-légal

L’une des demandes les plus incongrues que nous avons pu avoir, c’est celle d’un monsieur « bien introduit » dans le service, qui voulait que la psychologue annonce et fasse admettre à sa femme asthmatique qu’il allait se remarier. La religion musulmane permet à ce monsieur d’avoir quatre femmes, mais le législateur algérien a modéré cette ardeur, dans le but de protéger les femmes. Il n’a le droit de se remarier que si sa femme est consentante ou si elle est considérée physiquement ou mentalement inapte à la vie conjugale. Il a voulu mettre tous les atouts de son côté : le consentement de sa femme, le certificat médical de l’asthmologie et le rapport psychologique. C’est particulièrement à propos de ce cas que nous avons évoqué la « normativisation » des contradictions sociales.

3-2-2Les demandes de faux témoignage dans un contexte familial

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6 3-3Les groupes de parole

3-3-1Le groupe Balint4 :

Au départ en retraite de notre premier chef de service (le fondateur du service d’asthmologie), le service a été scindé en deux, deux services identiques gérés par les deux anciens chefs d’unité (frères ennemis, dans une situation de rivalité et de compétition permanente), bien que positionné géographiquement dans le service B, fidèle à notre statut d’électron libre, il nous était possible de prendre en charge les patients de tout le bâtiment, service A mais aussi chirurgie thoracique et oncologie.

Notre nouveau chef de service a décidé de façon unilatérale l’organisation de groupes Balint avec les médecins : maitres-assistants et résidents. La psychologue devait les animer et lui rendre compte de ce qui se disait dans ces groupes. Il a fixé le calendrier de ces rencontres et menacé de sanction les défaillants.

Si dans l’informel il arrivait souvent qu’un médecin, quel que soit son grade, pousse la porte du bureau de la psychologue pour discuter de ses difficultés professionnelles ou même personnelles, le personnel médical a trouvé différends prétextes pour ne jamais être plus de deux ou trois aux réunions, ce qui entrainait une annulation de fait. Les causes de ce refus de coopération de la part du personnel médical sont multiples :

- D’abord le climat délétère et d’insécurité qui régnait dans le service, depuis le départ d’un chef charismatique dont la plupart n’arrivaient pas à faire le deuil.

- Un sentiment d’intrusion de la part du nouveau chef qui leur a été imposé du fait de leur positionnement géographique dans le service, ils ont vécu cette injonction de groupe Balint comme une forme détournée d’espionnage.

- Le fait d’activer de façon officielle dans un groupe dirigé par un animateur d’un grade inférieur au leur, ils étaient docteur en médecine BAC + 7 au moins et la psychologue avait une licence BAC + 4.

Notre propre interprétation de ce refus de coopération :

- La manière dont avait procédé notre chef était inappropriée.

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Du nom de son fondateur (en 1950), le médecin, psychiatre et psychanalyste hongrois. Formation

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- Nos collègues médecins n’étaient pas demandeurs et donc pas prêts pour ce type d’activité qui les mettait potentiellement en danger, car notre nouveau chef de service ne nous avait donné aucune indication sur l’exploitation des comptes rendu de réunions, à aucun moment l’analyse des pratiques ou la supervision n’ont été évoquées.

- Les discussions informelles, en face à face, dans le bureau du psychologue, ou au cours des réunions hebdomadaires du staff constituaient des espaces de coopération et d’échanges à la fois satisfaisants et sécurisants.

3-3-2 Les groupes d’éducation sanitaire :

Initiés du temps de notre premier chef de service, ces groupes furent un succès pendant quelques années avec de nouveaux effectifs à peu prés tous les trois mois. C’était des groupes co-animés par un médecin, un ou deux infirmiers et la psychologue comme coordinatrice, au-delà de l’éducation sanitaire c’était des groupes de parole, où patients et familles pouvaient parler de leur peur, de la difficulté à gérer une maladie aux crises paroxystiques imprévisibles et au traitement relativement lourd. De composition assez homogène de part l’âge des

patients, il nous était impossible de maitriser les variables correspondant aux parents. En général, c’était la mère qui participait au groupe, et son adhésion ou sa défection - sa coopération- dépendaient de plusieurs paramètres : son niveau d’instruction, son niveau socio-économique, son implication dans la prise en charge de l’enfant etc.

Paradoxalement certaines mères hyper protectrices à l’affut de tout ce qui pouvait apporter un plus au traitement de l’enfant, refusaient catégoriquement la participation aux groupes d’éducation sanitaire. Se raccrochant, à la chimère du diagnostic de « bronchite

asthmatiforme », leur participation aux groupes composés d’enfants asthmatiques et leur mère constituait pour elles et leur enfant une stigmatisation. Cela ne les empêchaient pas de

s’intéresser à ce qui s’y passait, une mère nous a dit un jour : « ils vous disent ce qu’ils éprouvent et vous me le direz », voilà le curieux type de coopération qui était parfois attendu du psychologue de la part des patients et de leur famille. Par contre avec l’équipe soignante nous étions complémentaires, sans aucun conflit d’autorité, d’autant plus que seule la psychologue était astreinte à cette activité hebdomadaire, les autres collègues le faisaient à tour de rôle et selon leur disponibilité.

3-4 Un psychologue pour un mode de connaissance « en compréhension », une saisie par l’intérieur et par empathie des phénomènes

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forme de demande de la part du patient, et l’équipe soignante elle-même est dans une sorte de désarroi qui l’empêche de participer à l’élaboration d’une stratégie de prise en charge. Pire encore elle se retrouve parfois, pendant quelques temps, dans un état de sidération qui l’empêche d’anticiper la situation problème, et la culpabilité que cela engendre l’incite à se défausser sur le psychologue et à faire pression sur lui. Nous allons présenter deux exemples pour illustrer cet état de fait.

3-4-1La grossesse prolongée

Madame S. femme au foyer, âgée de 40 ans et mère de quatre enfants a été hospitalisée pour une attaque d’asthme au début de son huitième mois de grossesse, plus ou moins stabilisée elle est restée au service jusqu’à son terme, après une consultation de gynécologie-obstétrique à l’initiative de l’interne qui l’a suivait, le gynécologue a parlé de grossesse prolongée, 41 SA, tout en évoquant les dangers d’une anesthésie pour le cas où une césarienne serait envisagée. Nous étions à la veille du week-end et une solution devait être trouvée avant le premier jour de la semaine pour éviter une souffrance fœtale.

C’est le moment qu’a choisi le résident pour nous présenter la malade pour la première fois en présence de sa sœur. Et celle-ci nous confie spontanément que la patiente ne voulait pas de cette grossesse, que c’était un accident, qu’elle ne parlait jamais de son bébé et qu’à aucun moment elle n’a ébauché le moindre préparatif, sans être carrément dans le déni, c’est comme si ce bébé n’existait pas. « Tout le monde connaît le paradoxe de D.W. Winnicott qui a affirmé devant ses collègues britanniques en 1943: « Un bébé, ça n’existe pas ! ». Un bébé ça n’existe pas, en effet, sans une mère qui lui donne des soins. » 5

D’après la sœur de la patiente le refus de cette grossesse est du au fait que Mme S, ne fait des crises d’asthme que quand elle est enceinte, et qu’après un quatrième enfant désiré elle pensait qu’elle en avait fini définitivement avec la maladie.

Que faire dans ce cas ? C’était une lourde responsabilité, la seule solution : allez au devant de la malade « en compréhension » et en empathie, d’abord comme une femme ayant déjà fait l’expérience de la maternité, sans anticiper aucune stratégie. Les box étaient occupés par quatre malades, deux chambres de deux lits chacune. Après les activités médicales et

paramédicales, en fin de matinée, les malades les plus valides ont pour habitude de se réunir chez celles qui étaient les moins en forme. Nous nous mettons devant la porte et après avoir

5 J.F. Rabain, Conférence d’introduction à la psychanalyse de l’adulte, Le maternel et la construction psychique

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salué les quatre patientes, dont la parturiente, nous remarquons qu’elle est couchée sur le côté avec son ventre bien en évidence . Sans réfléchir, nous nous avançons vers elle, lui disant : « vous êtes enceinte je peux toucher ? » et en dépit de toute orthodoxie nous tendons la main dans une caresse vers le bébé qui se met à frémir sous nos doigts. Curieusement la mère se laisse faire et nous abordons une discussion qui donne enfin une existence et une identité à cet enfant, nous parlons du sexe qu’elle ne connaissait pas et des prénoms

possibles. On sent qu’elle commence à l’investir physiquement, nous lui faisons toucher ses petits talons, notre main sur la sienne, dans un geste ample d’appropriation, dans la foulée elle évoque ses attaques d’asthme et leur lien avec ses grossesses : c’est véritablement la

catharsis. Plus que jamais nous étions en phase avec Didier Anzieu (1985) lorsqu’il avance que : « la peau n'est pas qu’une enveloppe physiologique, elle a une fonction psychologique

qui permet de contenir, de délimiter, de mettre en contact, d'inscrire. La peau, par ses propriétés sensorielles, garde un rôle déterminant dans la relation à l'autre. »6

A notre retour de week end, le lit de la patiente est vide, elle avait été transférée la veille à la maternité où elle avait accouché par voie basse. Et là nous revenons encore à Anzieu :

« La peau fantasmatique commune de la mère et de l'enfant les tient attachés (dépendance symbiotique mutuelle) mais anticipe leur séparation à venir. » 7

3-4-2La tumeur du sternum

Les services d’oncologie et de chirurgie thoracique étant situés dans le même bâtiment que les services de pneumo-phtysiologie / asthmologie, nous étions parfois sollicitées par les

médecins de l’un ou l’autre service pour leur malades quand ce n’était pas nos malades que nous suivions chez eux le cas échéant.

Madame Z. âgée de cinquante ans , d’un milieu socio-économique défavorisé, originaire d’une zone rurale des hauts plateaux algériens, était hospitalisée depuis six mois au service de chirurgie thoracique. Opérée d’une tumeur du sternum, elle était sur le point d’être reprise pour la neuvième fois : après l’ablation il a fallu faire une reconstruction avec un ciment spécial et après consolidation, plusieurs greffes de peau ont été nécessaires, cette neuvième opération était la dernière. Une technique d’avant-garde avait été utilisée par un chirurgien qui avait été formé en Allemagne et il tenait particulièrement à la réussite totale de son geste. Mais Mme Z refusait catégoriquement cette énième opération et attendait impatiemment son

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fils pour rentrer chez elle. Par chance pour le chirurgien le fils de Mme Z n’avait pas encore réussi à réunir l’argent pour le voyage. Sans être dans l’urgence absolue, il fallait convaincre Mme Z de se faire opérer assez rapidement.

Là aussi la colle par excellence, cette intervention n’était pas vitale pour la patiente, mais le chirurgien faisait pression sur nous. Dans ces situations on perd parfois son libre arbitre, on fait corps avec l’équipe et on a envie que le geste aboutisse, avec comme prétexte l’intérêt du malade. Que faire ? Et bien commencer par feuilleter le dossier de la patiente et là surprise elle habite dans la même ville qu’une famille que nous connaissons. L’occasion de tenter un coup de poker : nous nous mettons à la porte du box et après avoir salué les quatre patientes nous lançons à la cantonade : laquelle parmi vous habite à El Aricha, la patiente se retourne et dit : « moi, pourquoi tu connais cette ville ? », « oui j’y ai rendu visite à des amis, c’est la famille X. » Et là, elle nous saute au cou pour nous embrasser et dit : « c’est mes voisins ! ». Pendant une semaine Mme Z a été vue à chaque fin de matinée, comme si c’était une visite purement amicale, nous parlions de tout sauf de son intervention. Elle disait à ses voisines : « voilà la fille de la grande khaima (tente) qui arrive », dans le langage des populations nomades, cela veut dire : la fille de bonne famille8.

Au fil des jours, mise en confiance, elle évoque la pression que faisait sur elle l’équipe médicale pour son intervention et son refus de se laisser faire. Et c’est là que commence le véritable travail du psychologue, ce que nous avions l’habitude de faire : explication de ce qui doit être fait et pourquoi, nous lui demandons les raisons de son refus, étant à mille lieux de penser à l’excuse qu’elle allait donner. En fait elle prétendait refuser de se faire opérer parce que l’anesthésie lui donnait très mal à la tête et qu’elle ne trouvait personne pour lui serrer son foulard autour du front. Qu’à cela ne tienne, votre foulard sera attaché en réanimation quelle que soit l’heure du réveil, vous me trouverez à votre chevet, parole de « fille de grande tente ».

En fait « la tente est l’espace d’expression privilégié de l’hospitalité, […] elle tient lieu à la fois d’asile inviolable et protecteur pour l’étranger et de refuge salvateur et réparateur pour le voyageur se trouvant loin des siens. »9 Et dans cet environnement hostile, Mme Z n’avait pas d’autre soutien que la psychologue. Et bien sûr nous avons tenu parole, une quinzaine de jours plus tard nous avons fait une quête et Mme Z a été envoyée chez elle radieuse.

8

Pierre. Bonte , Anthropologie des sociétés nomades : Fondements matériels et symboliques (première partie) [en ligne] http://www2.univ-paris8.fr/sociologie/fichiers/bonte-cours.pdf consulté le 30/01/2015

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Par ailleurs, le foulard et le cérémonial de le nouer autour de son front, s’apparentait un peu à ce que D. W. Winnicott appelle « aire transitionnelle, une zone intermédiaire, située entre le « moi » et le « non-moi », entre le subjectif et la perception objective, une aire médiane d’expérience « entre le pouce et l’ours en peluche »10

.

C’était une forme d’étayage, mais aussi de lien avec la réalité, c’était le fils tenu par lequel elle allait renaitre du néant de l’anesthésie à la vie.

Conclusion

Au cours de sa formation, le psychologue clinicien reçoit toutes sortes de consignes : être toujours dans la neutralité bienveillante, rester à bonne distance, travailler avec le transfert quand on n’a pas été analysé à défaut de travailler sur le transfert. Coopérer oui , mais ne pas plonger corps et âme dans cette coopération. Or dans les services de médecine c’est bien de corps qu’il s’agit, de corps malades qu’il faut parfois toucher pour leur insuffler un peu de notre vie, de corps qui ont besoin de s’étayer sur nous pour rebondir.

L’équipe soignante de son côté a besoin du psychologue, dans certaines situations de fin de vie ou de maladie grave, sauf que le psychologue lui-même s’il fait partie de cette équipe est logé à la même enseigne. Dans le cas des maladies chroniques comme l’asthme, par exemple, le suivi se fait sur des dizaines d’années et l’implication de soi est non seulement inévitable, mais indispensable pour une bonne coopération entre toutes les parties.

Lorsqu’un décès survient dans ce contexte, le psychologue est lui aussi confronté au deuil, deuil d’une relation qui s’est prolongée dans le temps, et deuil face à l’échec de l’équipe. Au nom de quoi le psychologue doit-il adhérer à une orthodoxie obsolète ? Ce qui compte c’est la qualité et l’efficacité de sa coopération, et pour cela il doit savoir et pouvoir gérer les situations de crises en gardant suffisamment de distance pour ne pas se diluer et

suffisamment d’empathie pour sortir du carcan de l’orthodoxie quand c’est nécessaire, sans jamais se départir de son ancrage culturel , car en fin de compte ce qui est orthodoxe dans un environnement européen ne l’est pas forcément dans une société maghrébine ou africaine. Un travail permanent sur soi, couplé à l’analyse des pratiques et la supervision sont indispensables, car nul n’est à l’abri des dérapages, seuls sont rédhibitoires les dérapages éthiques. Et paradoxalement l’expérience nous a montré que le psychologue qui travaille dans une équipe pluridisciplinaire, à l’inverse de celui qui exerce en cabinet privé, est plus

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exposé car sous le masque d’une supposée innocente coopération, il y a un effet d’entrainement et les responsabilités sont diluées.

Bibliographie

1- ABOURA-NADJI, Y. « Psychologue clinicien de santé publique en Algérie : une

équation à plusieurs inconnues ». Actes du colloque : Auteurs, Acteurs, Spectateurs,

Dijon les 21 et 22 novembre 2012. [En ligne] http://cimeos.u-bourgogne.fr/2014-05-23-08-29-43/colloque-auteurs-acteurs-spectateurs.html consulté le 06 /02/2015 2- ANZIEU. D, « Le Moi-Peau », Paris : Dunod, 1985

3- ANZIEU D, « Le penser - Du Moi-peau au Moi-pensant », Paris : Dunod, 1994 4- BONTE, P. « Anthropologie des sociétés nomades : fondements matériels et

symboliques » (première partie) [en ligne] http://www2.univ-paris8.fr/sociologie/fichiers/bonte-cours.pdf consulté le 30 /01/2015

5- BOULAY, S. « Quand un objet change de statut : trajectoire de la tente dans la société

maure (Mauritanie) » [en ligne]

http://www.ethnographiques.org/IMG/pdf/ArBoulay.pdf consulté le 30 /01/2015 6- CHABERT C. et al. Didier. Anzieu : « le Moi-peau et la psychanalyse des limites »,

Paris : Erès, 2009.

7- GOLSE. B, in préface de Lebovici. S, « Le bébé, le psychanalyste et la métaphore », Paris : Odile. Jacob, 2002

8- MUCCHIELLI, A. « Théorie systémique des communications », Paris : Armand Colin, 1999

9- RABAIN, J.F. « Le maternel et la construction psychique chez Winnicott », Conférence d’introduction à la psychanalyse de l’adulte, 10 octobre 2002 [en ligne]

http://www.societe-psychanalytique-de-paris.net/wp/?p=5897 consulté le 02/02/2015 10- Société Balint Belge [ en ligne ] http://www.balint.be/index.php/le-balint consulté le 30

/1/2015

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