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«Honni soit qui mal y pense!»

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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« Honni soit qui mal y pense ! »

Sur les hauteurs de Chinon, à la croisée des chemins, se dressait une imposante croix en pierre.

Les passants et pèlerins se signaient toujours devant elle. Toutefois, depuis quelques temps, les routes n’étaient plus empruntées et les gens se terraient chez eux. Le temps n’incitait pas à sortir.

Depuis des semaines le ciel était noir de nuages. La pluie embourbait les chemins et les champs. Et le vent fouettait les visages, comme s’il avait une querelle à vider avec tout un chacun. Pourtant ce n’était pas le temps qui effrayait les gens de Chinon. C’était plutôt la mort noire… La peste. On avait entendu dire qu’elle s’était répandue sur le pays. Que des villageois mouraient par dizaines en quelques jours, atteints par le mal sans que l’on sache comment. Les prières et les processions n’y faisaient rien. La mort s’étendait toujours plus loin. Chinon et ses alentours semblaient toutefois épargnés. Mais les habitants, de peur, ne sortaient plus du bourg et bien souvent ne sortaient même plus de leurs masures. Ou seulement pour les tâches indispensables.

En ce soir d’août de l’an 1321, deux silhouettes se tenaient pourtant près de la grande croix. Deux adolescents. La mort et les éléments déchainés ne leur faisaient pas peur. Lui, robuste gaillard de dix- huit ans avait l’habitude de vivre dehors. Son état de bûcheron le lui commandait. Habitué aux caprices de la nature, il n’avait cure d’être trempé ou malmené par le vent. C’était ainsi qu’il vivait.

Elle, jeune fille, d’un an sa cadette, était plus frêle mais avait en beauté ce qu’il avait en force. Elle ne se souciait pas plus de l’eau qui détrempait ses vêtements et alourdissait sa longue chevelure noire aux reflets de corbeau. Eric lui avait appris à apprécier la vie en plein air, quel que soit le temps qu’il faisait. Elle, se sentait désormais à l’étroit dans sa masure en contrebas et attendait toujours avec impatience qu’il vienne l’enlever à son quotidien monotone.

Ses yeux verts fixaient un point sombre qui se déplaçait lentement plus bas, aux limites du bourg. Un homme, corpulent, qui semblait faire attention où il mettait les pieds avançait en effet en direction du hameau des hébreux.

- A quoi penses-tu ? lui demanda le jeune homme.

- Je pense qu’il me faut regagner la demeure de mon père, répondit Rebecca. Cet homme en bas qui marche comme s’il avait des braises dans les chausses, je pense qu’il s’agit de Maître Gracchus. Il va une fois de plus rendre visite à mon pauvre père.

- Il est souffrant ?

- Je ne crois pas. Il vient pour autre chose. Mais à chaque fois qu’il s’en est allé mon père se lamentait ensuite tout seul. Je pense que ce n’est pas un homme bon. Je dois y aller.

Elle se releva d’un bond du talus sur lequel ils étaient installés et se pencha pour embrasser le garçon encore assis. Il lui prit les mains pour les baiser et se leva à son tour. Puis, sans un mot ils se séparèrent. Elle passerait la nuit au coin du feu à prendre soin de son père. Il irait boire un pichet ou deux de mauvaise bière à la taverne avant de s’en retourner dans les bois. Personne au bourg ne savait qu’ils s’aimaient. Il n’ignorait pas que les villageois verraient d’un mauvais œil qu’il s’éprenne d’une juive. C’est pour cette raison qu’il souhaitait partir loin, avec Rebecca. Mais elle lui avait expliqué qu’elle devait rester auprès de son vieux père. Ils vivaient ainsi leur amour depuis plus d’une année, dans le secret et au sein de la forêt.

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En descendant vers le hameau de quelques dizaines de cabanes qui abritaient les gens de son peuple, qui n’étaient pas admis entre les murs du bourg, Rebecca se dit qu’elle avait vu juste. Le gros personnage était parvenu à traverser l’étendue boueuse qui séparait les modestes remparts de Chinon et la masure de son père. Elle arriva rapidement devant la porte et allait entrer lorsqu’elle fut percutée par Gracchus, rougeaud et écumant de colère, qui sortait presque aussitôt qu’il était entré.

- Toi et les tiens le regretterez Héphraïm ! lança-t-il en arrière sans plus se soucier des flaques d’eau ni de Rebecca.

Celle-ci entra en trombe à l’intérieur et vit son père courbé sur son fauteuil, l’air affligé et impuissant.

- Père ! Que se passe-t-il ?

- Ma petite fille, tu es trempée. Viens auprès du feu, dit-il en se levant et lui laissant sa place. Il était vouté dans sa longue robe vermeille et sa tête dégarnie semblait tirée en avant par le poids de sa barbe blanche proéminente.

C’est encore ce garçon qui t’entraîne dehors par des temps pareils… reprit-il ; toutefois sa voix était douce, mais je ne l’en blâme pas il est bien le seul par ici à ne pas voir en nous ce que nous ne sommes pas…

- Que voulait Maître Gracchus père ? coupa la jeune femme.

- Oh ce qu’il me demande à chaque fois, soupira le vieillard. Il me prend pour un changeur de métaux, pour un alchimiste comme il le dit lui-même. Je suis hébreu et connais quelques mystères, cela suffit aux yeux de cet homme cupide pour que je sois de cette race de faiseur de trésor. Il veut le secret de la transformation du plomb en or… Quelle folie. Je lui ai répondu que la seule transmutation que je connaisse était l’eau que son seigneur Jésus avait transformé en vin… Je pense que cela l’a mis en colère.

La jeune femme éclata de rire, puis se rembruni lorsqu’elle vit que son père passait un manteau sur ses frêles épaules.

- Père, pas ce soir ! Vous attraperez la mort si vous poursuivez ainsi. De plus, regardez comme ces gens que vous protégez nous remercient, vous remercient !

- Je dois le faire mon enfant, pas uniquement pour eux mais pour nous aussi. Nous buvons la même eau qu’eux, et la mort ne fera, elle, aucune différence. Ils ignorent tout de cela de plus.

Rebecca soupira, puis elle se leva, déterminée à accompagner son père comme toutes les nuits depuis quelques semaines. Elle le vit prendre sa besace de cuir râpé, puis ils sortirent.

Ils marchèrent péniblement sous la pluie qui avait redoublé, puis s’effacèrent dans l’obscurité pour accomplir leur mystérieuse tâche. Cependant, non loin de là, une ombre les avait observés. Grand, efflanqué et pâle comme la mort, Sigurd le colporteur était de retour. Sous son chapeau à bord large ruisselant sur les côtés et sa cape longue maculée de boue il eut effrayé quiconque l’aurait croisé.

Il fixa un moment l’endroit où avaient disparus le vieux juif et sa fille, puis murmura dans sa barbe sale :

- Rebecca… La petite fille est devenue une femme. Et quelle femme…

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Puis, sans plus un mot, il tira les trois bourricots chargés de marchandises qui le suivaient et se dirigea vers la taverne. Ce soir, il boirait et raconterait ses voyages. Puis s’il le pouvait, il se trouverait une drôlesse pour le réchauffer. Demain il serait toujours temps de vendre ses marchandises.

Assis au fond de la taverne, Eric contemplait sa pinte vide. Il s’asseyait toujours au même endroit, à une petite table munie de trois tabourets. Loin de l’âtre et des tonneaux qui servaient de comptoir à Angus le tavernier. Il écoutait vaguement la conversation de la tablée d’à côté. Trois hommes, dont le meunier qu’il connaissait pour lui fournir du bois, discutaient à voix basses. Comme s’ils avaient peur d’être entendus. Eric comprit qu’ils parlaient de la peste. Ils avaient peur. Ils ne comprenaient pas comment le mal se propageait et soupçonnaient des actes de diableries. D’autant que le meunier affirmait qu’on avait vu des ombres dans la nuit. Peut-être des démons vomis par l’enfer pour les emporter tous. Le jeune homme sourit tout en reportant son attention sur son verre vide. Les hommes étaient stupides et craignaient le noir. Lui qui vivait au fond des bois dans sa cabane savait qu’au contraire les hommes étaient plus à craindre que l’obscurité. Il se leva pour demander à Angus de le resservir quand soudain la lourde porte d’entrée s’ouvrit.

- Angus ! A boire par le diable ! Sigurd est revenu et compte bien fêter son retour !

Eric se rassit aussitôt. Sigurd, le grand colporteur venait de faire son entrée. L’auberge était devenue silencieuse. Tout le monde regardait dans sa direction. Puis soudain tous voulurent l’aborder en même temps. Beaucoup se levèrent pour accueillir l’enfant du pays, celui qui avait décidé d’arpenter monts et vallées pour leur apporter les marchandises venues d’ailleurs. Tous l’apostrophèrent. Lui demandant des nouvelles des autres villages, voulant savoir si la peste s’était encore propagée, si l’on déplorait toujours autant d’incendies. Peu lui demandèrent ce qu’il ramenait dans ses malles.

Eric vit un essaim se former autour du nouveau venu, plus pâle que jamais à la lumière du feu qui brûlait dans l’âtre.

Sigurd. Ce nom lui donnait la nausée. Le jeune homme se retenait d’aller l’attraper par le col et de le rosser comme il l’aurait mérité. Trois ans plus tôt, avant qu’il ne parte pour la dernière fois sur les chemins, le colporteur avait tenté d’abuser Rebecca. Fort heureusement Héphraïm et quelques-uns de ses amis étaient intervenus à temps. Toutefois Sigurd n’avait jamais été ennuyé, les gens de Chinon l’appréciaient plus qu’ils n’aimaient les juifs. Eric n’avait appris la mésaventure qu’après que l’autre eu reprit la route. Mais ce soir il était là. Cependant le jeune bûcheron n’aurait pas pu s’en approcher. Le colporteur était entouré d’une nuée de villageois en quête de nouvelles rassurantes.

Alors, renonçant à son verre, il l’écouta, comme tous dans l’auberge, raconter quelques-uns de ses voyages. Mais voyant que cela n’intéressait personne, il se mit à parler de la peste. Les contrées plus à l’Est étaient décimées par le terrible fléau. On lui avait parlé de villages entièrement abandonnés et il avait lui-même vu des colonnes de survivants qui prenaient la route vers le sud, tentant de fuir les régions contaminées. Quelqu’un lui demanda s’il savait comment le mal se répandait. Eric se fit plus attentif. Sigurd eu l’air d’hésiter une seconde, puis il déclara qu’il n’en savait rien, que personne ne le savait d’où il venait. Toutefois, l’air mauvais, il n’en pensait pas moins.

Le lendemain Eric avait travaillé d’arrache-pied. La pluie avait cessé. Il avait pu ainsi débiter plusieurs arbres et honorer plusieurs commandes. Il n’avait cessé de penser à ce qu’il avait entendu la veille. Les gens avaient peur et les nouvelles n’étaient pas rassurantes. Plus que jamais il se demandait s’il ne valait pas mieux pour Rebecca et lui de quitter le pays. Il irait chez un sien parent au-delà de la mer, au pays des Angles. Son père lui avait appris l’existence de cette famille lointaine

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avant de mourir. Là-bas aussi il devait y avoir des arbres et du travail. Il réfléchissait encore lorsqu’il arriva au pied de la croix pour y retrouver comme tous les soirs sa belle petite juive. Elle était déjà assise sur le talus quand il arriva. Toutefois quand elle se tourna vers lui son cœur se serra. Elle avait les yeux rougis et l’air furieuse. Il se précipita :

- Que se passe-t-il ?

- C’est Sigurd… commença-t-elle.

Eric se redressa d’un coup :

- Le chien ! Cette fois je vais lui fendre le crâne ! dit-il en faisant mine de se ruer vers le village.

Mais Rebecca le retint par une manche et lui demanda de se calmer.

- J’ai déjà puni ce porc qui prétendait vouloir mettre ses mains sur moi. Il m’a suivi dans les ruelles du faubourg nord alors que j’allais acheter du tissu à Maître Erol, puisque mon père est fâché avec Maître Gracchus. Mais il a regretté assez vite son attitude. Je lui ai fait une estafilade sur le visage avec le stylet que tu m’as offert au printemps dernier. Il hurlait comme un goret quand je me suis enfuie.

Eric vint l’entourer de ses bras et l’embrassa doucement.

- Tu as bien fais mon amour. Mais je m’occuperai quand même de ce maudit colporteur.

Ils restèrent ainsi quelques secondes. La colère bouillait dans le cœur du jeune homme. Il demanda soudain :

- Tu as dit que ton père et Maître Gracchus s’étaient querellés ? - Oui… dit-elle en hésitant.

Puis après avoir contemplé un instant le visage interrogateur et furieux de son bel amant, elle décida qu’elle pouvait lui faire une confiance absolue.

- Maître Gracchus pense que mon père est un faiseur d’or. Il souhaite lui soutirer un secret que mon père ne possède pas pour s’enrichir encore plus. Mais la seule chose que mon père fabrique en secret, c’est un remède pour purifier l’eau des puits.

Eric eu l’air surpris mais il ne l’interrompit pas.

- Il pense que la mort noire se propage par de nombreux moyens, dont l’eau. Or il est guérisseur et connaît la science des plantes et de certaines roches. Il verse ainsi dans l’eau que nous buvons sa décoction, qui la rend saine. Toutes les nuits depuis que la peste rôde dans ces contrées, je l’accompagne et l’assiste dans sa besogne. Il a réussi jusqu'à maintenant à protéger cette ville et ses villageois si ingrats. Du moins le croit-il. Mais Maître Gracchus, qui nous a peut-être surpris un soir, se doute de quelque chose. Sans savoir que ce qu’il recherche n’existe que dans ses rêves et que mon père ne cherche qu’à préserver les gens du mal.

Elle se tut en attendant sa réaction. Elle redoutait qu’il la traitât de folle ou qu’il ne la croie pas. Il n’en fit cependant rien. Au contraire, il resserra son étreinte et embrassa ses cheveux.

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- Ton père et toi devriez faire attention. Les gens de Chinon crèvent de peur et vous hacheraient menus s’ils vous surprenaient. Je comprends mieux ce qu’ils voulaient dire lorsqu’ils parlaient d’ombres dans l’obscurité. S’ils se doutaient que ces beaux diables qu’ils maudissent sont en réalité leurs anges gardiens… Ce soir je vous rejoindrai, mais avant j’irai à la taverne trouver ce rat de Sigurd, lui exprimer ma façon de penser.

Plus tard dans la soirée, lorsqu’ils eurent passé un long moment enlacé, ils rejoignirent les masures des hébreux. Eric rencontra Héphraïm, et après que Rebecca eût expliqué à son père ce que son amant savait, le jeune homme assura le vieillard de son soutien. Puis il s’en fut en direction de la taverne, avec la ferme intention d’en découdre.

Toutefois il eût le pressentiment que ses plans ne se dérouleraient pas comme prévu…

En effet, devant la taverne, un attroupement rassemblait une bonne centaine de villageois. Au milieu, sur un tonneau, se tenait Sigurd. Le grand colporteur haranguait la foule qui ne cessait de grossir. Eric, en s’approchant, vit que Sigurd faisait de grands gestes emportés, comme s’il était devenu dément. D’ailleurs, son visage, comme s’en aperçu le jeune homme en se joignant à la foule, était bien celui d’un fou. Les yeux exorbités, le teint plus cireux et cadavérique que jamais, il n’avait pas pris la peine de nettoyer la plaie que lui avait infligée Rebecca plus tôt dans la journée. Sa joue sanguinolente et purulente tranchait avec le reste de son visage. Eric en avait presque oublié sa colère tant la scène l’intriguait. Il se rapprocha encore et écouta l’autre :

- Vous voulez savoir d’où vient la mort noire braves gens ! De là où je viens il n’y a qu’une seule explication ! Partout où ils sont passés et où ils se sont installés, le fléau est apparu ! Partout où ils sont, le mal se répand ! Des villes et villages entiers ont été décimés dans l’Est par leurs fautes ! Autour d’Eric, les villageois commençaient à s’agiter. Il ne comprenait pas ce que ce maudit colporteur comptait accomplir, mais la foule grondait déjà doucement. Sigurd repris de plus belle, certain d’avoir l’attention de tous et satisfait de ses effets.

- Vous savez de qui je parle ! Vous les tolérez parmi vous en attendant que la mort ne s’abatte sur vous ! Misérables ! Vous accueillez en votre sein les maudits qui vous tuerons, vous et vos enfants demain !

La foule grondait de plus en plus fort. Parmi elle, une femme corpulente, qu’Eric reconnu comme étant la femme de Maître Gracchus, s’écria :

- Vas-y Sigurd ! Dis-le nous ! Dis-nous qui propage ainsi le mal !

Plusieurs personnes autour d’elle approuvèrent et d’autres crièrent dans le même sens. Eric sentait que l’air devenait dangereux, il n’aimait pas les agitations de foule.

- Les juifs ! vociféra Sigurd. Dans ses yeux brûlait une haine incommensurable.

- Oh non… murmura Eric en blêmissant.

Ce fou allait déclencher une émeute contre le peuple d’Héphraïm et de Rebecca. Le jeune bûcheron comprit en un instant ce qui allait suivre. Il rebroussa aussitôt chemin. Les gens autour de lui

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hurlaient à leur tour leur peur et leur haine. Il entendit la grosse voix de Maître Gracchus prendre le dessus sur toutes les autres.

- Ces maudits que nous avons accueillis, je les ai vus moi-même empoisonner l’eau de nos puits la nuit ! Il faut les brûler ! Brûlons-les comme ont brûlé tous les autres à l’Est !

A ce moment Eric se mis à courir, bousculant les derniers badauds venus écouter les hurlements. Il entendit les cris et les promesses de massacres que les gens de Chinon proféraient. Mais il ne pris pas le temps d’attendre que ces derniers mettent à exécution leurs sombres projets. Déjà, à la nuit tombante, il avait aperçu quelques torches s’allumer. Nombreux étaient ceux qui souhaitaient utiliser leurs brandons. Eric devait absolument retrouver Rebecca et son père. Les mettre à l’abri de la foule qui se dirigeait maintenant vers les cabanes des juifs. Heureusement qu’ils avaient convenu de se retrouver sur une placette dans le village, pour ensuite faire le tour des puits. Heureusement que Rebecca lui avait fait confiance en lui révélant leurs activités nocturnes. Il vit des grappes de villageois courir dans les rues. Certain avait des bâtons dans les mains, d’autres des torches. Eric accéléra. Pourvu que son amour et son père soient déjà au point convenu. Les autres juifs, dans les masures derrière lui, n’auraient aucune chance. Il courut ainsi quelques minutes à en perdre haleine.

La nuit était complètement tombée lorsqu’il déboula comme une trombe sur la placette. Il aperçut tout de suite les silhouettes de Rebecca et Héphraïm. Ils avaient l’air pétrifié. Eux aussi avaient entendu les cris des habitants de Chinon. Eric en les rejoignant prit Rebecca dans ses bras et leur expliqua la situation. Le vieillard voulut se rendre auprès de ceux de son peuple, mais le jeune homme l’en empêcha. Il était déjà trop tard, il valait mieux penser à se sauver. A sauver sa fille.

Quand ils entendirent des hurlements de douleurs et des pleurs, Héphraïm se rendit à l’évidence. Il ne pouvait plus rien pour les siens. Eric leur intima alors de le suivre.

Plus tard, du haut de la croisée des chemins sous la grande croix, Rebecca, son père et Eric assistèrent aux atrocités que les gens de Chinon, rendus fous par des envieux, firent subir aux juifs installés là depuis des années. Quelques cent soixante d’entre eux furent ainsi brûlés en cette terrible nuit d’août. Incapables de se détacher du triste spectacle, Héphraïm ne cessait de répéter :

- Honni soit qui mal y pense, honni soit qui mal y pense…

Car c’est ainsi que fut récompensée son action prise par les ignorants pour des manigances occultes.

En contrebas l’enfer se déchainait, tandis que les villageois pensaient purifier leur territoire.

Personne ne pris garde avant le lendemain au corps inerte de Sigurd, étendu dans la boue. Ecrasé par le mouvement de foule qu’il avait créé. Quand on voulut l’enterrer on se rendit compte qu’il avait sous sa tunique des tâches noirâtres sur le corps. La peste était bien entrée dans Chinon…

Eric réussit à convaincre Rebecca et son père de se diriger au Nord pour rejoindre l’Angleterre.

Il y avait effectivement un lointain parent, mais, plus que cela, ce furent ses qualités de bûcheron qui le firent être accepté aussi loin de chez lui. Héphraïm, épuisé par la marche et les évènements terribles survenus plus tôt, mourut avant d’atteindre le sol anglais. Rebecca devenue la femme d’Eric, apposa un jour sur leur modeste maison un panneau sur lequel elle avait inscrit : honni soit qui mal y pense. En l’honneur de son père, et pour ne jamais oublier qu’une bonne action n’est pas toujours comprise ni récompensée. Ils essayèrent de vivre heureux et y réussirent, malgré les souvenirs douloureux.

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Plus de vingt années après les terribles évènements de Chinon, un roi chevauchant dans sa campagne anglaise fit une halte dans le village du bûcheron français. Il vit le panneau et se promis de s’en souvenir, tant le sens lui plaisait. Ce qu’il fit d’ailleurs quelques temps plus tard lorsqu’il en fit sa devise lors d’un bal, en France1

1 Edouard III d’Angleterre.

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