• Aucun résultat trouvé

Financement et crise de l immobilier. Juin 2014

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Financement et crise de l immobilier. Juin 2014"

Copied!
49
0
0

Texte intégral

(1)

Financement et crise de l’immobilier

Juin 2014

(2)

2 Dès que les prix sur un marché atteignent des sommets, on trouve toutes les raisons pour expliquer que cette hausse est portée par des fondamentaux solides et non par un simple effet de spéculation. Et quand ces prix se maintiennent, alors qu’ils se sont effondrés presque partout ailleurs, on s’entend pour dire que la situation est incomparable. En France, aujourd’hui, le marché immobilier illustre ces deux phénomènes jusqu’à la caricature. En certains endroits, notamment au cœur de Paris, les prix à l’achat sont devenus si astronomiques qu’ils excluent d’emblée l’immense majorité des acheteurs. Mais cela est bien normal, explique-t- on, car la demande reste très supérieure à l’offre. Et puis les Français sont bien moins endettés que leurs voisins et les banques françaises ont été bien plus prudentes. Cela nous préserve d’une crise grave.

Vraiment ? Nous ne ferons ici aucun pronostic. Nous constaterons seulement qu’au vu des principaux indicateurs, une crise immobilière en France est envisageable. A partir de là, nous risquer à pronostiquer si elle arrivera effectivement et quand n’est pas notre objet. Il nous a semblé plus intéressant d’essayer de déterminer quelles conséquences une crise immobilière aurait pour les banques françaises.

Nous nous sommes donc livrés à un exercice de stress-test – un genre d’exercice par essence fragile et qu’il faut se garder de prendre pour prédictif, tant la situation réelle créée par une crise dépend de facteurs trop nombreux et complexes pour être modélisés. Il ne s’agit que de déterminer des indices et, à ce stade, toutes choses égales par ailleurs, ceux-ci montrent que les principaux groupes bancaires français affronteraient sans difficultés extrêmes une crise comparable à celle du début des années 90 mais qu’un scénario à l’espagnole ne serait guère supportable et toucherait davantage en France les principaux établissements. Entre les deux, il est possible de définir un niveau d’alerte.

(3)

3 So

Sommaire

I – Le marché de l’immobilier en France ... 4

Les chiffres. ... 4

Une exception française ? ... 9

Deux scénarios. ... 17

II – Le financement bancaire de l’immobilier en France ... 22

La production de crédits immobiliers. ... 22

Les risques immobiliers que portent les banques françaises. ... 23

Poids des financements bancaires sur le marché immobilier. ... 28

III – Quels seraient les impacts d’une crise immobilière sur les banques françaises ? ... 34

Comment une crise immobilière peut survenir ? ... 34

La crise espagnole. Comparaisons avec le marché français. ... 35

Jusqu’à quelle hauteur les banques françaises pourraient résister à un effondrement du marché immobilier ? ... 41

(4)

4 I – Le marché de l’immobilier en France

Les chiffres.

En France, l’immobilier représente un patrimoine estimé à 8 215 milliards

€, soit 25% du patrimoine national (32 400 milliards €). La valeur de ce patrimoine immobilier a été multipliée par douze depuis 1978.

Fin 2010, pour 64,6 millions de Français, ont comptait 28 millions d’habitations principales – soit 2,3 habitants par logement en moyenne – et 3,1 millions de résidences secondaires. 61,7% des Français sont propriétaires d’au moins un logement.

L’immobilier représente 20% de la valeur ajoutée nationale (15% en 1979).

Il absorbe 20% des dépenses de consommation et 40% des dépenses d’investissement. Le secteur immobilier est le 6° employeur du pays avec 2 millions d’emplois, soit 7,7% de l’emploi total (moyenne UE 15 : 6%).

Au sein de l’OCDE, la France est ainsi l’un des pays dont l’économie et la croissance dépendent le plus de l’immobilier. La part de l’investissement résidentiel y atteint 6% du PIB, pour 2% au Royaume-Uni et 3% aux USA.

Et la France est également l’un des pays où l’Etat soutient le plus la pierre, pour un coût annuel de 41 milliards €, soit plus de 2% du PIB – le double de la moyenne OCDE.

En France, l’immobilier est un marché particulièrement soutenu (bien qu’il manque 180 000 logements par an !) – il suffit de souligner que les taxes foncières sont toujours assises aujourd’hui sur des valeurs cadastrales n’ayant pas été revues depuis plus de quarante ans ! Mais alors que des soutiens comparables, ailleurs, n’ont pas évité la crise immobilière, comme en Hollande, la France est l’un des rares pays où les prix de l’immobilier restent supérieurs à ce qu’ils étaient en 2005 et même à leur pic d’avant-crise (2008). Par comparaison, aux USA, les prix de

(5)

5 l’immobilier en 2012 étaient inférieurs d’un tiers à leur pic d’avant la crise (20051). En Irlande, ils avaient baissé de moitié depuis septembre 2007.

Est-il vrai que les prix immobiliers s’apprécient toujours à long terme ?

L'immobilier est souvent jugé comme un investissement sûr, notamment parce que ses prix sont réputés ne jamais baisser sur le très long terme.

Pourtant, selon les analyses du CEPII, les évolutions sur les 40 dernières années montrent que les prix de l'immobilier sont très cycliques. Les périodes de baisse peuvent aussi être très longues. Les prix ont baissé au Japon de 1991 à 2012 et, en Allemagne, de 1995 à 2008. Les baisses n'ont épargné ni la France ni Paris : entre 1991 et 1997, les prix réels ont baissé de près de 46 % dans la capitale. Aux États-Unis, le niveau de prix est aujourd'hui le même qu'à la fin du 19e siècle ! Pour retrouver le niveau de prix de 1894, il a même fallu attendre 1990, soit presque un siècle ! En Norvège, sur cent ans (1890-1990), les prix de l'immobilier sont fréquemment revenus au niveau atteint en 1890 (en 1917, 1940, 1970, 1992).

1 Mais ils ont remonté de 14% en 2013.

(6)

6 Concernant la France et Paris, il est plus difficile de tirer des enseignements sur très longue période, en raison des destructions causées par les deux guerres mondiales et du contrôle des loyers entre 1914 et 1948 qui affecta fortement les prix. La forte hausse du prix des logements entre 1948 et 1965 apparaît alors comme un rattrapage, suite aux trente ans de blocage des loyers : en 1965, les prix de l'immobilier parisien retrouvaient leur niveau d'avant la Première guerre mondiale. Au cours des trente ans suivants (1968- 1998), les prix réels n'ont augmenté au niveau national que de 1 % par an. A partir de 1998, l'évolution des prix s'éloigne significativement de cette tendance. Ainsi, contrairement à une idée reçue, les prix de l'immobilier ne connaissent pas une tendance haussière sur longue période. Les prix ne sont pas significativement plus élevés aujourd'hui qu'il y a un siècle.

Les prix réels ont chuté entre 2007 et 2012 de 25 % aux États-Unis, 35 % en Espagne, 20 % en Italie ou aux Pays-Bas, 33 % en Irlande. Même dans les grandes villes, les baisses ont été très importantes. Aux États-Unis, entre le pic de juillet 2006 et mi-2012, les prix ont baissé de 27 % à New York, 24 % à Washington DC, de 38 % à Los Angeles, 47 % à Miami, et de 60 % à Las Vegas (indices nominaux Case-Shiller). A l'inverse, non seulement la France n'a pas connu de baisse significative des prix, mais ceux-ci ont même continué à augmenter de façon très importante à Paris (+47 % entre 2009 et 2012).

Après avoir connu une correction limitée en 2009 (-7%) et avoir stagné de septembre 2008 à juin 2009, les prix sur le marché français ont rebondi en 2010 (+6,3%). Cette tendance est générale : elle frappait la plupart des départements en 2012. Toutefois, cette tendance recouvre de surprenantes disparités, comme l’illustrent les quelques exemples du tableau suivant :

(7)

7 Créé par l’Université Paris-Dauphine et le Crédit foncier, le baromètre Capacim mesure chaque trimestre dans trente villes françaises la capacité des ménages à acquérir un bien immobilier. Fin 2012, 6 ménages sur 10 étaient en mesure d’acheter un bien immobilier correspondant à leurs besoins dans une des dix villes de province étudiées. Un ménage sur deux présentait la même capacité en Ile-de-France et un ménage sur trois à Paris.

Entre villes, les écarts sont si importants qu’il est difficile de parler

« d’un » marché immobilier français, sauf à créer une illusion de valeur qui ne concerne en réalité que quelques poches. Evolution des prix d’achat et des loyers, évolution comparée des uns et des autres, écarts de prix entre arrondissements dans les grandes villes : le marché français est désormais marqué par de fortes décorrélations ; ce qui est le propre d’un marché évoluant au gré d’un nombre de transactions en baisse et inégalement réparties.

Automne 2012

Prix moyen à l'achat au m2

(€)

%/1 an Loyer moyen

au m2 (€) %/1 an

Paris 8 340 +2,5 24,6 +1,4

Paris 1 10 710 +1,4 26,6 -4,6

Paris 2 9 440 +3,6 24,3 -7,2

Paris 6 13 200 +7,2 26,7 -0,4

Paris 7 12 350 +6,7 28,8 +2,9

Paris 19 6 630 +1,9 19,7 +3,7

Paris 20 6 910 +2 20,9 +4,4

Lyon 3 242 +7,73 12,4 +1,18

Lyon 1 3 526 +11,2 12,9 +5,5

Lyon 4 3 564 +7,4 11,5 -3,8

Toulouse 2 578 +5,1 11 -2,7

Montpellier 2 522 +2,29 13,4 +0,7

Orléans 1 985 +0,5 10,5 +1,3

Blois 1 505 +1,83 8,7 -5

Dijon 2 137 +1,9 10,5 -2,1

Nice 3 860 +1,9 14,4 +1,8

Source : montants moyens des transactions hors frais enregistrées par les notaires.

(8)

8 En effet, si 2011 a enregistré un niveau record de transactions, largement porté par la baisse des taux d’intérêt, le volume de transactions reste pratiquement le même qu’en 2004 (autour de 1,2 millions par an). Or, la tendance 2011 n’a pas été confirmée par la suite. Le troisième trimestre 2012 a été le plus mauvais rencontré en 17 ans et, par rapport au troisième trimestre 2011, les transactions ont été inférieures de 11% au troisième trimestre 2013. L’année dernière, les ventes dans l’ancien ont baissé de 5,1%.

Nombre de transactions de logements anciens cumulé sur 12 mois (source : CGEDD)

Le volume des transactions n’a donc pas suivi la hausse continue (malgré une courte pause) qu’ont connue les prix à l’achat depuis plus de dix ans :

(9)

9 La demande suit de moins en moins l’offre. Est ainsi prise à défaut la principale raison que l’on invoque pour justifier le maintien à des niveaux élevés du marché immobilier – comme s’il y avait une exception française.

*

Une exception française ?

De 2000 à 2010, les prix à l’achat ont connu en France une hausse pratiquement continue de 107%. Cette situation est aujourd’hui unique parmi les pays développés. En juillet 2012, le marché immobilier français avait enregistré la hausse la plus importante en Europe sur 12 mois (+6,2%). Paris est devenue la capitale la plus chère de l’UE à 8 000 € le m2 dans le neuf (contre une moyenne de 4 000 € dans les autres pays). La France est le pays d’Europe où l’accessibilité immobilière est la plus difficile dès lors que 70 m2 dans le neuf représentent 9,1 années de salaires. Et les coûts liés au logement (location, services, réparation et construction) y sont en moyenne supérieurs de 40% à la moyenne des autres pays de l’UE.

Quelques indicateurs simples indiquent que l’offre immobilière en France est aujourd’hui tout à fait déconnectée des réalités économiques :

- dans l’ancien (2/3 des transactions), les prix ont augmenté de 141%

de 1998 à 2010.

Or, au cours de la même période :

- les revenus des ménages n’ont augmenté que de 43% ; - les loyers, eux, n’ont augmenté que de 33%.

Pourtant, beaucoup d’observateurs, dont l’INSEE, refusent de parler de

« bulle » immobilière et, si tous s’accordent à reconnaitre que 2012, marquée par une baisse de 30% des transactions immobilières et +0,8%

d’augmentation des prix, pourrait bien marquer un tournant dans la

(10)

10 hausse continue des prix, la plupart n’envisageaient qu’une stabilisation ou qu’une correction limitée en 2013.

Qu’en a-t-il été ? Il est difficile de se prononcer ! Les sources sont multiples et souvent contradictoires, en effet. Et celle qui fait référence, la base des notaires, donne des prix vendeurs et non pas acquéreur – cela peut paraitre assez incroyable mais le site des notaires en avertit explicitement :

Quoi qu’il en soit, alors que la baisse des prix immobiliers, notamment parisiens, semble avoir été effectivement contenue en 2013 (-2,9%, selon la FNAIM), malgré un volume de transactions plutôt en baisse, peut-on croire avec beaucoup d’observateurs que la demande est seulement en train de passer de très forte à forte et que ce serait là une exception française ?

Il y aurait deux principales raisons à cela :

- par rapport à l’Espagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni ou aux USA, les capacités d’emprunt des ménages français seraient encore considérables et elles porteraient le marché.

- Il manquerait, selon l’INSEE, de 800 000 à 1 million de logements pour satisfaire la demande et faire face à l’accroissement démographique. Selon l’indice de confiance Logic-Immo, fin 2011, 3 millions de ménages français (3,5 millions un an auparavant) avaient un projet d’acquisition immobilière, contre 2 millions de vendeurs.

Ces deux constats restent largement partagés. Cependant :

(11)

11 - Quant au premier argument du faible endettement des ménages français, il convient de rappeler que celui-ci est largement subi.

C’est là en effet une donnée qui, faute d’être suffisamment connue, fausse beaucoup d’analyses : en France, la moitié des ménages n’accèdent pas au crédit bancaire. Les taux d’endettement nationaux, relativement faibles par comparaison avec d’autres pays, ne peuvent donc pas être considérés sans précautions comme autant d’indices d’un potentiel d’emprunt important – parmi les emprunteurs bénéficiant d’une caution de type Crédit logement sur leur crédit immobilier, soit un peu plus de la moitié des emprunteurs, 57% ont un statut de cadre.

C’est là une surreprésentation évidente quand on sait qu’en France aucune région ne compte plus de 10% de cadres, sauf l’Ile-de- France (36%) ; laquelle, avec les deux régions Rhône-Alpes et PACA, concentre plus de la moitié des cadres français. Une très forte sélection des emprunteurs fait donc la spécificité du marché immobilier français, ce qui est une sécurité pour les banques mais ce qui rend ce marché bien plus étroit qu’on ne pense.

- Quant au second argument d’une forte demande insatisfaite, plusieurs indicateurs ne le valident pas. Si une forte demande porte le marché immobilier français en effet, comment expliquer :

o la décorrélation des transactions et des prix déjà soulignée ? Alors que les transactions ont baissé de 15% à 20% en 2012, au troisième trimestre les prix ont encore augmenté de +1,2%

à Paris. Au premier trimestre 2013, les transactions dans l’ancien ont baissé de 6,2% par rapport à l’année précédente.

Les prix n’ont pourtant baissé que de 2%.

o Comment expliquer que le nombre de personnes par foyer (la taille des ménages) ne cesse de baisser ? De 3,75 personnes

(12)

12 en 1975, il est passé de 2,4 en 2000 à 2,27 en 2010 (1,9 en centre ville2). S’il y avait une pénurie de logements face à l’accroissement démographique, ce devrait être le contraire.

o Comment expliquer que le nombre de logements vacants ait tendance à augmenter et qu’il soit le plus fort dans les grandes villes, là où la demande est également la plus soutenue ? Selon l’INSEE, il y avait 2,1 millions de logements vacants fin 2010, soit en moyenne 8% du parc immobilier mais avec un taux plus important dans beaucoup de grandes villes : 13,8% à Lille, 13% à Nice, 11,7% à Bordeaux, 10,3% à Lyon et à Paris, 10% à Strasbourg. Ces dernières données invalident l’explication voulant que la vacance des logements tienne pour l’essentiel à l’exode rural et à la désertification de certains territoires.

o Enfin, comment une forte demande de logement pourrait-elle n’exister qu’à l’achat et ne pas se traduire par une hausse des loyers ? Car, depuis 2006, la hausse des loyers est inférieure à l’inflation.

A l’automne 2013, les loyers n’avaient augmenté que de 0,1%

en rythme annuel et les prix à la consommation de 1%. Pour 2012, les pourcentages de hausse ont été respectivement de 1.2% et de 2.1%.

En Ile-de-France, enfin, la pénurie de logements a été entretenue depuis le début des années 2000 par le développement de l’immobilier d’entreprises, favorisé par les maires pour des raisons fiscales. De 2002 à 2012, on a construit 12 millions de m2 de bureaux en Ile-de-France. Or 7 millions sont vides aujourd’hui, dont 1,6 millions à Paris (selon le cabinet Immo G Consulting). A raison de 20 m2 par occupant, il y aurait de quoi

2 En France, 32,5% des logements sont occupés par une seule personne. Le taux n’était que de 19 ,1% en 1954.

(13)

13 loger 350 000 personnes. Depuis 2007, les prix de l’immobilier professionnel francilien ont baissé de 20%.

Il y a sans doute une assez forte demande de logements en France mais cela pèse moins qu’on pourrait croire sur l’évolution du marché car l’essentiel de cette demande n’a pas les moyens d’entrer sur le marché – exactement comme au Royaume-Uni, où une demande forte n’a pas empêché l’affaissement du marché immobilier. Alors qu’ils représentaient 75% des acheteurs jusqu’en 1998, les primo-accédants n’ont plus compté que pour 60% au tournant des années 2000. Ils ne représentent plus que 30% des acheteurs aujourd’hui. Dans bien des endroits, ils sont quasiment exclus du marché, seuls l’Est et le Nord paraissant leur être encore véritablement accessibles. En 2011, 16,6% des acheteurs avaient moins de trente ans. Ils étaient à peine plus nombreux que les plus de 65 ans (14,5%), une classe d’âge qui est pourtant vendeuse nette ! Selon le baromètre Capacim, seuls 18% des ménages de 25/45 ans ont la capacité d’acheter un bien immobilier correspondant à leurs besoins à Paris, contre 47% des 45/60 ans et 55% des plus de 60 ans.

D’après l’Indicateur de tension immobilière (ITI) de meilleursagents.com, qui confronte le nombre d’acheteurs en recherche active et le nombre de vendeurs à un instant T, la baisse du marché commence à moins de deux acheteurs pour un vendeur et la hausse à plus de trois acheteurs. En 2010, on comptait 6 acheteurs pour un vendeur à Paris, 4 pour 1 en 2011 et l’on en compte 1,2 pour 1 aujourd’hui. Mais il faut 6 mois pour que les acheteurs intègrent les informations sur les prix dans leur manière d’aborder le marché.

La demande en France est peut-être forte mais, à 61,7%, le nombre de propriétaires, quoique nettement inférieur à ce qu’il est dans d’autres pays (83% en Espagne, 72% en Italie, 67% en Belgique mais 46% en Allemagne ;

(14)

14 la moyenne UE est à 65%), n’augmente pas du tout au même rythme que les prix (58% de propriétaires en 2007).

Si l’on considère la demande « solvable » - c’est-à-dire celle qui accède au crédit immobilier pour les montants qu’exigent les prix d’achat – le marché immobilier français pourrait bien être finalement assez étroit et tendu, comme en témoigne la forte décorrélation entre l’évolution des prix d’achat et celle des loyers : à mesure que les prix flambent, les rendements locatifs ne cessent de baisser !

Si l’on considère en effet la prime de risque qu’intègrent les rendements locatifs, c’est-à-dire l’écart entre le rendement lui-même et la rémunération d’un placement obligataire sécurisé, écart qui permet de couvrir le risque de non-paiement des loyers, on constate que cette prime de risque est devenue négative en 2008 - comme en 1990-1991, avant l’affaissement du marché. Elle est redevenue positive depuis mais ceci ne tient pas à la hausse des loyers mais, mécaniquement, à la baisse des taux obligataires ! Les rendements locatifs sont tombés de 5% en 2009 à 4% fin 2012 et probablement à 3,8% fin 2013 (il s’agit de rendements bruts, hors coût d’acquisition et hors impôts et charges ; un rendement brut de 5%

permet un rendement net de 3,5%).

(15)

15

Source : www.marc-candelier.com

Le délai moyen d’occupation d’une résidence principale est de 7 ans. Quel retour sur investissement peut-on espérer sur ce laps de temps ? Si les prix du marché évoluent au même taux que les loyers (+1,3% par an),

(16)

16 l’investissement n’est rentable qu’à partir de 8,4 ans. Pour rester dans l’intervalle de sept années, il faut une croissance annuelle des prix d’au moins 2,6%. Mais c’est alors deux fois la hausse des loyers et le rendement locatif en souffre : les prix d’achat sont surestimés. C’est pourquoi certains observateurs considèrent qu’un accroissement marqué du rapport prix/loyers est le signe le plus manifeste d’une bulle immobilière – à suivre les deux graphiques ci-dessus, la France serait dès lors en situation de bulle immobilière caractérisée !

Cependant, se demander si le marché immobilier français présente ou non aujourd’hui une « bulle » spéculative n’est peut-être pas la question essentielle dans la mesure où l’on ne peut véritablement parler de « bulle » qu’une fois celle-ci dégonflée. Par ailleurs, les analyses en termes de bulle spéculative peuvent être trompeuses. Tant que les prix montent, il y a une demande ! On essaiera donc de qualifier cette demande de manière globale et l’on se prononcera sur son caractère « naturel » ou non. Sur un marché, toutefois, la formation des prix dépend essentiellement de la demande marginale. Et tel semble être particulièrement le cas en France aujourd’hui, où le nombre de transactions baisse, où les loyers stagnent ou régressent en bien des endroits mais où des biens très onéreux continuent à trouver assez facilement des acquéreurs. Ils poussent l’ensemble des vendeurs à ne pas baisser leurs prix et même à les augmenter – et ce phénomène est d’autant plus prononcé, qu’en France le recours aux agences immobilières, capables d’orienter rapidement les attentes des vendeurs, est bien moindre qu’ailleurs (de 50% à 35% des transactions seraient faites de particuliers à particuliers, c’est une spécificité française).

Pour les ménages aisés et pour ceux qui disposent déjà d’un bien à vendre, l’endettement est aujourd’hui particulièrement attirant, du fait de la baisse des taux. En mai 2013, les taux d’emprunt immobilier ont atteint leur plus

(17)

17 bas historique à 3,25% sur 20 ans. Les taux à dix ans étaient à 3,5% en janvier 2012 et à 2,46% en janvier 2014.

L’impact des acquéreurs non résidents joue également dans le même sens.

Ils ne représentent certes que de 5% à 7% des acheteurs (6,8% à Paris) mais ils se portent sur les biens les plus importants : au-delà d’une valeur de 4 millions d’€, un acquéreur sur deux est non-résident.

Ainsi, qu’il y ait ou non « bulle », tirés par une demande marginale qui demeure forte pour les actifs les plus élevés, les prix immobiliers intègrent l’espoir d’une forte appréciation – de sorte que, pour ceux qui en ont les moyens, c’est toujours le bon moment d’acheter ! Cette pression à l’achat peut faire croire qu’il y a une véritable pénurie de logements. Qui peut croire cependant que les prix immobiliers vont continuer à croitre ces 5 ou 10 prochaines années au rythme où ils l’ont fait au cours de la dernière décennie ?

Le marché immobilier français n’est pas immunisé contre la conjoncture et

« l’exception française » pourrait bien reposer sur des éléments tels que le poids des fonctionnaires (surreprésentés parmi les bénéficiaires de crédits) dans la population active et sur l’importance des aides d’Etat. Mais au- delà ?

*

Deux scénarios.

Certes, par rapport à d’autres pays, des marges de valorisation semblent encore accessibles : de 1997 à 2006 (donc avant le retournement du marché qu’ont connu les pays autres que la France dans le graphique ci- après), les prix immobiliers ont augmenté de 127% en France, contre 192%

en Grande-Bretagne et 252% en Italie (mais de 100% seulement aux USA).

Le contexte économique était toutefois différent !

(18)

18 Dès 2007, l’acquisition d’une propriété foncière représentait en moyenne 7,5 années de revenu annuel en France (4,4 années en 1998) et jusqu’à 12,4 années à Paris. Et la ponction mensuelle est de plus en plus importante : de 31% du revenu mensuel en moyenne (37% à Paris), contre respectivement 21% et 25% en 1999. Pour 20% des ménages, la charge dépasse 35% de leur revenu annuel – à Paris, on approche les 50%, comme en 1991, juste avant l’affaissement des prix.

(19)

19 A ceci s’ajoute, à moyen terme, une tendance démographique de fond tenant au vieillissement de la population et aux charges croissantes de dépendance : à partir de 58 ans, on vend beaucoup plus que l’on n’achète (notamment parce que l’on hérite de ses parents), on est vendeur net.

Au total, tous les facteurs de crise sont aujourd’hui réunis et deux principaux scénarios se dessinent :

 Un décrochage fort et rapide, assimilable au dégonflement d’une bulle, voyant en moins d’un ou deux ans les prix redescendre à leur niveau du début de la décennie 2000 ou même au-delà. Compte tenu de l’importance, déjà signalée, de l’immobilier dans l’économie française, l’impact d’un tel choc pourrait être redoutable, pesant sur toutes les perspectives de croissance et empêchant par là même, par un cercle vicieux, toute vraie reprise du marché. Ce serait un scénario à la japonaise.

(20)

20

 Une correction beaucoup plus lente (mais pas forcément moindre) qui parait plus probable car elle suivrait plusieurs éléments déjà présents : une forte demande marginale pour des biens onéreux retenant les prix vers la hausse, mais une demande concentrée sur certaines poches exclusivement, ce qui précipiterait à terme l’éclatement d’un marché dont les disparités sont déjà nettement apparentes. Dans ces conditions, on verrait par ailleurs le marché locatif devenir lui aussi géographiquement très disparate et de plus en plus découplé des prix d’achat.

Un tel scénario traduirait finalement une donnée socio-économique de plus en plus saillante au plan national : l’accroissement des écarts de revenu. A l’extrême, on se retrouverait dans une situation souvent rencontrée dans des pays en développement : un marché immobilier marqué par des prix d’achat élevés, de faibles volumes d’échange et des loyers très disparates en montants et tout à fait déconnectés des prix d’achat. Par ailleurs, et de la même manière, il convient de signaler que, de 1929 à 1935, le marché immobilier français, notamment à Paris, connut un fort rebond, déconnecté de la richesse réelle du pays, l’immobilier ayant alors servi de valeur refuge, avant de s’effondrer rapidement et de retrouver ses niveaux de 1920.

(21)

Score-Advisor.com Financement et crise de l’immobilier.

21 Le paradoxe est qu’une situation fortement inégalitaire dans l’accès à la propriété, comme dans la situation respective des rentiers et des primo- accédants, aura été directement poussée, en France (et ailleurs aussi bien), par des aides publiques censées aider les plus modestes à accéder au marché et n’ayant eu finalement d’effet que pro-cyclique, poussant les prix à la hausse.

Quoi qu’il en soit, outre les facteurs que nous venons de recenser, l’évolution du marché immobilier français parait aujourd’hui dépendre d’un facteur déterminant : le comportement des banques.

*

Indice du prix des logements (France et Paris) rapporté au revenu disponible par ménage français

Base 1965=1

0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1 2 3 4 5 6

1975 1980

1985 1991

1998 1944

1951 1939

1,79, T2 2012

1967 1870

1874 1880

1914

1920 1935

2,50, T2 2012

1/1 2050 1/1

2000 1/1

1950 1/1

1900 1/1

1850 1/1

1800

France

Paris 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 1/1/3800 Auxabscisse 0,1

Tunnel

NB: le dénominateur des deux ratios est le revenu disponible par ménage sur l'ensemble de la France. De 1965 à 2001, l’indice du prix des logements en France rapporté au revenu par ménage a évolué à l’intérieur d’un « tunnel » horizontal de largeur 20%. Le niveau élevé du ratio relatif à Paris avant 1914 ne doit pas être interprété comme signalant une dévalorisation des immeubles par rapport au revenu par ménage au cours du 20ème siècle.

(22)

22 II – Le financement bancaire de l’immobilier en France

La production de crédits immobiliers.

Elle a baissé de 33% en glissement annuel au premier semestre 2012 (source : Observatoire Crédit Logement/CSA). Malgré une détente en mai, le deuxième trimestre a également enregistré une forte baisse (-39,2%).

Au vu de tels chiffres, certains ont craint un credit crunch immobilier, tandis que d’autres ne décelaient là que l’attentisme des acheteurs après une année 2011 tirée par la disparition annoncée de plusieurs dispositifs fiscaux (PTZ pour l’ancien, baisse du Scellier, rebaptisé Duflot, changement de régime des plus values). Une explication qui ne tient cependant guère : après avoir enregistré un pic au premier semestre 2011, la production s’est repliée dès l’été.

En 2008 déjà, la production avait considérablement baissé, pour repartir en 2010.

j f m a m j j a s o

10,7 10,7 11,8 10,2 10,6 11 11,6 8,4 9,1 7,9 Production de crédits bancaires en 2011 ( en milliards €)

Source : Banque de France

(23)

23 En 2008, la baisse de la production avait accompagné celle des prix, ce qui n’a pas été le cas en 2011. Toutefois, la production de crédits bancaires suit la courbe des transactions. Quoiqu’évident, ce point doit être souligné car il est déterminant : si l’on rapporte la production aux prix plutôt qu’aux transactions, on est tenté de croire que les banques portent le marché immobilier et déterminent l’évolution des prix à la hausse ou à la baisse.

Cependant, dès lors que les volumes de transactions n’accompagnent plus actuellement la hausse des prix, il devient clair que tel n’est pas le cas.

Les banques ne « font » pas le marché immobilier, contrairement à ce qu’on avance souvent. Elles peuvent en revanche conditionner le volume des transactions, bien entendu. Et, de ce point de vue, même si cela parait avoir eu un effet assez marginal à ce stade, elles ont incontestablement renforcé les conditions d’accès pour les emprunteurs ces dernières années, afin de mieux maitriser leurs risques.

*

Les risques immobiliers que portent les banques françaises.

30% des ménages français remboursent actuellement un crédit immobilier, ayant servi à acheter leur résidence principale dans 70% des cas – en montant, néanmoins, l’accession ne représente qu’une grosse moitié des crédits à l’habitat résidentiel.

(24)

24 L’investissement locatif demeure important dans une double perspective de défiscalisation et d’apport d’un revenu complémentaire à la retraite.

Selon une étude 2013 du Crédit foncier, l’investisseur immobilier particulier a un salaire médian annuel de 65 680 € (soit plus du double de celui des primo et secundo accédants) et 46 ans en moyenne (37%

d’investisseurs ont plus de 50 ans). Il achète typiquement un T2 de 53 m2 pour 163 000 €. Toutefois, l’investissement locatif ne représentait que 11%

du nombre de transaction en 2012, contre 15% en 2009.

Fin juillet 2012, les ménages français avaient emprunté aux banques 1 119 milliards €, dont 865,2 milliards pour l’habitat (77%).

2010

% Montant moyen emprunté (€)

Variation annuelle moyenne 2001-

2010

Accession 56,7% 167,5

neuf : 17,2% 197,1 +9,4%

ancien : 39,5% 154,7 +76%

Résidences secondaires 2,0% 110,8 +72%

Investissement locatif 6,1% 115,8 +66%

Travaux seuls 35,2% 22,3 +7%

100,0% 103 +72%

Source : OCL/CSA

Nature des crédits à l'immobilier résidentiel

(25)

25 Les 6 premiers groupes bancaires français portent plus des trois quarts des encours :

(26)

26 Les Français ont emprunté en moyenne à 4,20% sur 17,9 ans (16,8 mois en 2010). Leur charge de remboursement atteint en moyenne 745 € par ménage et par mois. Fin 2013, la dette immobilière représentait 63% du revenu disponible des ménages français (81% en moyenne en Europe du Nord et 60% en Europe du Sud). Elle représentait également 86% de l’endettement total des ménages (moyenne européenne : 85%). L’encours moyen de crédit à rembourser était, fin 2013, de 49 608 € en France, contre 184 875 € au Danemark, 68 282 € au Royaume-Uni et 35 775 € en Europe du Sud.

En France, 44% des emprunteurs ont renégocié leur emprunt ou ont tenté de le faire. Alors que 40% des crédits à l’habitat sont à taux variables dans les pays de la zone € - avec 90% de crédits à taux variables en Espagne, ce qui s’est révélé un élément très favorable avec la baisse des taux lorsque l’immobilier y a plongé dans la crise – les crédits immobiliers en France sont pour 89% à taux fixe, pour seulement 8% de variable capé et 3% de variable sec.

A la différence d’autres pays, notamment anglo-saxons, les crédits immobiliers rechargeables ne se sont pas développés en France. Le montant des prêts à l’habitat repose sur les capacités d’endettement des emprunteurs et non sur la valeur des biens acquis. De même, l’emprunteur français répond de ses dettes sur l’ensemble de son patrimoine, tandis que

2011 Encours (Mds €) %

BNP Paribas 72,8 9%

BPCE 96 12%

Crédit Agricole 214 28%

Crédit Mutuel 63,3 8%

La Banque postale 41,8 5%

Société Générale 104,5 14%

Total : 592,4 77%

Sources : Rapports annuels 2011

(27)

27 l’emprunteur américain n’en répond que sur le bien financé (il est plus risqué de faire un prêt immobilier en France).

En France, 31% des crédits sont garantis par une hypothèque ou un privilège de prêteur de deniers et 51% par un organisme de caution, dont le Crédit Logement. Les banques sont ainsi à même de transférer leur risque de non remboursement et la gestion des contentieux à des organismes tiers qui, comme le Crédit logement, prennent leur relève dès trois échéances impayées (et donc uniquement sur la gestion des mensualités dans un premier temps).

En matière de garantie, cependant, les pratiques diffèrent assez fortement d’un établissement à l’autre : au Crédit foncier, les hypothèques sont quasi systématiques. Les 2/3 des encours de BNP Paribas sont cautionnés par le Crédit Logement mais seulement 25% pour LCL.

(28)

28

*

Poids des financements bancaires sur le marché immobilier.

Par un courrier du 7 septembre 2011 au Président de la Fédération bancaire française, le Gouverneur de la Banque de France a recommandé à la Place une vigilance accrue quant aux sources de vulnérabilité du marché immobilier. Un nouveau dispositif de surveillance (SGACP) de l’Autorité de Contrôle prudentiel a été mis en place en septembre 2011 (voir ACP Analyse et synthèse n° 5, février 2012).

Depuis juillet 2011, sont ainsi constatés de la part des établissements bancaires :

 une baisse du montant moyen des prêts : 213 000 € dans l’ancien en 2012 contre 226 000 € en 2011 (soit un retour au niveau de 2009) : 220 000 € dans le neuf contre 233 000 € en 2011.

 Une baisse de la loan to value (LTV) moyenne, c’est-à-dire du rapport entre le montant des prêts et la valeur des biens financés.

Fin 2011, la LTV moyenne était de 80,9% (83,3% pour les primo- accédants et 73,9% pour les autres emprunteurs). Mais la part des

(29)

29 sur-financements (LTV>100%, notamment pour financer les frais de notaire et des travaux3) demeurait à 11% de l’encours total.

 Une stabilisation de la durée initiale moyenne des prêts (hors prêts relais).

 Un recul du taux d’endettement moyen des emprunteurs à 30,8%

de leurs revenus (mais 22% des emprunteurs supportent une charge supérieure à 35% de leurs revenus).

3 La France est l’un des pays où le coût des transactions immobilières est le plus élevé : droits de mutation, frais de notaires, commissions des intermédiaires, diagnostic technique pour les vendeurs, …

(30)

30 En revanche, le taux d’apport moyen n’a cessé de baisser sur la décennie : de 23,6% en 2001 à 18,2% en 2011. Il remonte aujourd’hui.

Au total, on ne peut parler d’un changement radical dans l’attitude des banques mais plutôt d’une stabilisation par retour au respect des normes ayant précédé l’emballement du marché au cours de la décennie 2001- 2011 ; dans le contexte d’un marché marqué par des tensions.

Dans ces conditions, il n’est pas très surprenant de constater que ces évolutions récentes tendent à favoriser une clientèle aisée : celle qui emprunte le moins sur les durées les moins longues (41% des emprunteurs gagnent moins de 3 Smic, 35% de 2 à 5 Smic et 21,2% plus de 5 Smic) soit une claire surreprésentation des populations aisées par rapport à leur poids national. Pour ces dernières, l’investissement immobilier correspond à une stratégie de financement de leur retraite, qui s’enclenche d’ailleurs de plus en plus tôt : à Paris, la médiane de l’âge moyen des acheteurs est de 40 ans (44 ans en 1997).

(31)

31 Toutefois, si beaucoup de foyers modestes n’accèdent pas au marché immobilier, surtout comme primo-accédants, cela semble plus le fait des prix du marché eux-mêmes que des banques.

En fait, les banques françaises n’ont guère réussi à devenir des acteurs majeurs du marché immobilier, alors que plusieurs d’entre elles virent dans la promotion et la transaction immobilières, ainsi que dans l’administration de biens, un axe majeur de diversification ces dernières années. Avec le réseau de 190 agences de Square Habitat, le Crédit Agricole visait une part de marché de 10%. Le Groupe Caisse d’Epargne (intégré aujourd’hui à BPCE) avait lui constitué un pôle immobilier complet avec le Crédit foncier, Maison France confort, Eurosic (cédé en juin 2011), Foncia (d’abord acquis par les Banques Populaires et cédé en juillet 2011), le courtier en ligne Meilleurtaux (aujourd’hui à vendre) et Nexity (qui pourrait être mis en vente).

Malgré ces espoirs déçus, toutefois, les banques n’ont aucun intérêt à se retirer d’une activité redevenue rémunératrice avec la baisse des taux, après avoir été longtemps peu rentable, les banques se servant du crédit à l’habitat comme d’un produit d’appel et de conquête – on dit, mais c’est

(32)

32 difficilement vérifiable, qu’un emprunteur sur deux souscrirait un crédit immobilier dans une autre banque que la sienne.

Alors que les crédits immobiliers, jusqu’ici peu risqués, sont peu consommateurs de fonds propres réglementaires, les banques auraient

(33)

33 sans doute beaucoup à perdre, en termes de rémunération, en cas d’affaissement du marché. Et la question est plus exactement de savoir quelles conséquences plus précises aurait pour les banques une crise de l’immobilier en France.

*

(34)

34 III – Quels seraient les impacts d’une crise immobilière sur les banques françaises ?

Comment une crise immobilière peut survenir ?

Ci-dessus, nous avons souligné que le maintien apparent des prix de l’immobilier en France en 2012 et 2013 n’étaient pas portés par une vigueur correspondante des transactions et qu’ils paraissaient de moins en moins justifiés dès lors que l’écart des prix avec les loyers ne cesse de se creuser. Alors que, comme nous l’avons mentionné, les raisons que l’on invoque pour expliquer la hauteur des prix appellent des réserves et alors qu’il faut renoncer à croire que la politique de crédit des banques est à même de faire le marché, tout se passe comme si l’immobilier en France était entré dans une phase de « piège haussier » : les vendeurs préférant attendre plutôt qu’enregistrer des moins-values et maintenant des prix élevés, encouragés par le fait que les très bonnes affaires trouvent encore assez facilement preneurs.

Source : www.marc-candelier.com

(35)

35 Dans ces conditions, une crise peut survenir dès lors que les vendeurs préfèrent ne plus attendre ou ne le peuvent plus, notamment sous la pression d’une mauvaise conjoncture économique. Alors, tout s’inversera : la vive hausse des prix précipitait la hausse (il fallait toujours se dépêcher d’acheter), portée par des taux faibles, ainsi que par la valeur croissante des hypothèques apportées en garantie aux emprunts. Une fois la crise survenue, la baisse des prix entretient la baisse (mieux vaut retarder son achat), la valeur des garanties s’effondre et le crédit se restreint en conséquence. La baisse des taux d’emprunt ne peut guère corriger ce mouvement, surtout quand les taux sont déjà au plancher comme aujourd’hui. Tandis que le contexte budgétaire ne permet plus guère de renforcer les aides d’Etat, lesquelles paraitront alors avoir été distribuées totalement à contre-emploi. C’est là le scénario qui est arrivé en Espagne.

*

La crise espagnole. Comparaisons avec le marché français.

De 1990 à 2007, le prix moyen au m2 en Espagne est passé de 915 € à 2 905 €, soit une augmentation de 314%. Conséquemment, la dette immobilière des ménages espagnols a augmenté de 25% à partir de la fin des années 90, pour atteindre 615 milliards € en 2005, un montant comparable à celui de la dette immobilière française au même moment, pour une population un tiers moins élevée. En 2008, la bulle immobilière espagnole a éclaté.

La crise espagnole est d’abord caractérisée par de fortes surcapacités. En 2005, l’Espagne a construit 700 000 logements, soit plus que la France, l’Allemagne et l’Italie réunies. Aujourd’hui, le parc excédentaire de logements est estimé à 800 000 – dès fin 2008, 28% des logements construits de 2001 à 2007 étaient vacants. Depuis, de véritables « villes fantômes » sont apparues.

(36)

36 La France ne présente certes pas une situation comparable – notamment parce que l’on y compte beaucoup moins qu’en Espagne lors de la dernière décennie de constructions lancées avant que les contrats de vente ne soient signés. Toutefois, alors que souligner l’insuffisance de l’offre est une rengaine pour justifier les prix élevés de l’immobilier – mais l’on disait la même chose au début des années 90, avant que le marché ne s’affaisse ! – on peut sans doute parler de surcapacités en France.

Certes, cela va tout à fait à l’encontre d’un argument largement admis et repris, notamment par les professionnels de l’immobilier : l’insuffisant niveau de la construction en France, alors même que 57% des Français voudraient acheter dans le neuf et qu’un tiers d’entre eux seraient prêts à le faire sur plan. On souligne volontiers que, quoique disponibles, les terrains constructibles sont peu accessibles en France, ceci tenant à l’attentisme des propriétaires, peu contraints par l’impôt, en période de hausse des prix et surtout à la frilosité des maires, au besoin justifiée par des mesures environnementales, dès lors que les habitants, particulièrement dans les zones périurbaines, craignent que l’arrivée de nouveaux habitants (surtout avec les logements sociaux) fasse baisser la valeur de leurs habitations. Avec les prix immobiliers, qui lui sont directement liés, ce gel des terrains constructibles aurait pour premier effet de repousser de plus en plus loin des bassins d’emplois les nouvelles constructions.

Ces arguments ne sont certainement pas à négliger, même s’ils ne paraissent guère pouvoir être tous assimilés. La rareté du foncier parait évidente dans certains cas, comme à Paris où son coût représenterait 41%

du prix de vente d’un logement neuf. Mais la moyenne nationale n’est que de 19% ; tandis que la perte de productivité des constructeurs semble tout aussi patente pour expliquer la hausse des prix de revient des logements neufs : ceux-ci ont doublé en 10 ans dans certaines zones, alors que les marges des producteurs paraissent être demeurées stables. Selon plusieurs

(37)

37 observateurs, on emploie aujourd’hui 15% de personnels en plus sur les chantiers qu’il y a dix ans pour des productions comparables.

Quoi qu’il en soit, le nombre de logements vacants est significatif en France (8%) et la construction, portée notamment par les aides d’Etat (les 2/3 des constructions en 2011 auraient bénéficié du dispositif Scellier), s’y maintient à un rythme supérieur à celui de l’accroissement de la population. Les mises en chantier ont baissé de 11,2% au premier trimestre 2013, par rapport au premier trimestre 2012, avec une reprise de +8% au deuxième trimestre 2013.

A l’image du marché immobilier lui-même, la construction présente de fortes disparités en fonction des régions : 4 d’entre elles étaient en baisse en 2011 (Auvergne : -1,3% ; Basse-Normandie : -6,6% ; Bourgogne : -7% ; Picardie : -8,6%). D’autres enregistraient de véritables envolées : Rhône- Alpes (+25%), Alsace (+20%), Aquitaine (+21,9%), Lorraine (23,5%).

En Espagne, du fait de l’importance des surcapacités, la crise est d’abord venue des promoteurs. Les banques devant faire face à un grand nombre de défaillances (29% de créances douteuses) et se retrouvant en conséquence avec beaucoup de biens immobiliers invendables sur les bras, saisis au titre des garanties.

(38)

38

Situation fin 2011. Source : Oliver Wyman. « RE Developers » = Real Estate Developers.

A ceci se sont ensuite ajoutées les saisies sur les biens immobiliers des particuliers mais de manière bien moindre (un taux moyen de créances douteuses de 8.95% à l’été 2012) et avec de forts écarts entre banques (seulement 4,11% de créances douteuses déclarées par Santander par exemple, pour 3,78% en 2011). Le financement de l’immobilier n’était en effet pas particulièrement concentré entre les banques espagnoles.

(39)

39

Situation fin 2011. Source : Oliver Wyman.

Par comparaison, comme déjà vu ci-dessus, les principales banques françaises présentent une concentration supérieure, tenant surtout à la part de marché du Crédit Agricole :

L’exemple espagnol montre qu’on ne peut considérer les seuls particuliers.

En cas d’effondrement du marché immobilier résidentiel, les promoteurs et les acteurs du BTP sont également concernés. Et, pour les principaux groupes bancaires français (sauf la Banque postale), il faut dans deux cas plus que doubler les encours exposés à un affaissement du marché immobilier.

2011 Encours (Mds €) %

BNP Paribas 72,8 9%

BPCE 96 12%

Crédit Agricole 214 28%

Crédit Mutuel 63,3 8%

La Banque postale 41,8 5%

Société Générale 104,5 14%

Total : 592,4 77%

Sources : Rapports annuels 2011

(40)

40 Fin 2012, quatre banques espagnoles seulement paraissaient avoir un besoin urgent de recapitalisation pour compenser leurs pertes sur le marché immobilier : Bankia, Catalunya Banco, NCG Banco et Banco de Valencia ; ainsi que trois autres à une moindre échelle (Banco popular, Libercaja et BMN). En regard, les trois principaux établissements (Santander, BBVA et CaixaBank) ont résisté aux stress-tests qui leur ont été appliqués.

Au total, les besoins de recapitalisation des banques espagnoles ont été chiffrés à 53,7 milliards € début 2012 par le cabinet O. Wyman. Ce montant a appelé d’importantes réserves de la part de plusieurs observateurs, comme Moody’s estimant qu’il pouvait manquer de 1 à 45 milliards € ! Depuis lors, le gouvernement espagnol a plutôt parlé de 70 milliards et la note pourrait encore sensiblement s’élever.

En fait, un effet prix rend difficile tout chiffrage précis car, alors que les banques espagnoles bradent (jusqu’à -70%) des actifs dont elles ne parviennent guère à se débarrasser4 ; alors que les transactions ont baissé de 32% de février 2011 à février 2012, les prix immobiliers espagnols sont demeurés étonnamment élevés. La baisse n’a été que de 20% en

4 Fin octobre 2012, on annonçait que le transfert des actifs immobiliers des banques espagnoles à la Sareb (une « bad bank » créée à cet effet) aurait lieu avec une décote moyenne de 45,6% pour les prêts et de 63,1% (jusqu’à 79,5% dans certains cas) pour les biens saisis.

Encours (Mds €) fin 2011 Crédits à l'habitat Services

immobiliers BTP Total :

BNP Paribas 72,8 48,9 36,7 158,4

BPCE 96 82,4 17,9 196,3

Crédit Agricole 214 37 18,5 269,5

Crédit Mutuel 63,3 5,9 4,4 73,6

La Banque postale 41,8 - - 41,8

Société Générale 104,5 22,9 12,9 140,3

Total : 592,4 197,1 90,4 879,9

Sources : Rapports annuels 2011

(41)

41 moyenne, le prix moyen au m2 passant de 2 905 € en 2007 à 2 084 € aujourd’hui (2 300 € à Madrid). Il est actuellement en France à 2 578 €.

Au premier semestre 2014, la baisse des prix sur le marché espagnol a été de 36,2% par rapport à 2008. Mais le volume de prêts immobiliers est passé de 173 milliards € en 2007 à 26 milliards aujourd’hui.

Certes, les baisses sont plus marquées dans certaines régions (-35% sur la Costa del Sol, - 22% en Andalousie ; mais -15% seulement à Barcelone).

Même si certains prédisent un prix moyen à 1 440 € en 2014, soit un retour au niveau de 2001, avec une dépréciation annuelle de -8% en 2008- 2009, ramenée à -6% depuis 2010, l’éclatement de la bulle espagnole n’aura pas été aussi brutal qu’on l’imagine. Le constatant, beaucoup parient également sur une correction graduelle et modérée du marché immobilier français ces prochaines années.

Dans ces conditions, les banques françaises ne paraissent pas devoir rencontrer de grosses difficultés.

*

Jusqu’à quelle hauteur les banques françaises pourraient résister à un effondrement du marché immobilier ?

Selon nos estimations, la réponse à cette question est donnée par ce graphique :

(42)

42 Les six principaux groupes bancaires français éprouveraient des difficultés à absorber sur leurs fonds propres, sans recapitalisation, les impacts d’une crise immobilière à partir des conditions suivantes :

- 3% de sinistres et une baisse de 60% des prix pour le Crédit Agricole.

- 5% de sinistres et 40% de baisse des prix ou bien 3% de sinistres et 80% de baisse pour La Banque postale.

- 5% de sinistres avec 60% de baisse pour BPCE et le Crédit mutuel.

- 6% de sinistres avec 60% de baisse ou 5% de sinistres avec 80% de baisse pour la Société Générale.

- 8% de sinistres et 80% de baisse pour BNP Paribas.

Ces données marquent les limites au-delà desquelles les banques éprouveraient de graves difficultés : l’impact de la crise absorberait alors plus de 60% de leurs fonds propres durs disponibles.

Explications :

(43)

43 Nous considérons le cas de figure d’une crise immobilière survenant demain, c’est-à-dire dans un contexte économique quasi récessif. Sous ces deux conditions – effondrement des prix immobiliers + crise économique – les banques françaises seraient affectées de trois principales manières :

 une baisse de revenus, que nous n’avons pas tentée d’évaluer car cela obligerait à complexifier singulièrement notre modèle. Sans faire de projections, nous considérons que les résultats des banques ne seront pas renforcés de manière importante et qu’ils ne permettront donc pas d’améliorer significativement le niveau des fonds propres.

 Une hausse des défauts de paiement, donc un non remboursement intégral des prêts, créant une charge pour les banques dont elles sont responsables sur leurs fonds propres, tout en disposant de garanties sur leurs encours.

 Une baisse des prix et donc de la valeur des garanties couvrant les crédits immobiliers, qui ne permet pas d’envisager que le montant des défauts, même entièrement garanti, soit intégralement compensé.

L’impact d’une crise immobilière se résume donc pour l’essentiel à la conjugaison d’un taux de sinistralité et d’une baisse de la valeur des garanties. Cet impact peut ainsi être calculé pour la totalité des encours de crédit à l’habitat en France en juillet 2012, comme dans le tableau suivant.

En considérant que la sinistralité n’affecte pas plus de 15% de l’encours mais que les biens immobiliers peuvent perdre jusqu’à 80% de leur valeur, l’impact pour les banques se situe dans une fourchette allant de 400 millions € à 104 milliards € dans le pire des cas.

Références

Documents relatifs

Élizabeth Deniaux, Université Paris Nanterre Les crises de la fin de la République et l’historiographie. 15 H

Enfin, si le boom a été pour l’essentiel un « boom de l’accession », et du crédit hypothécaire qui a accompagné son développement, la crise remet en cause la double

Ainsi, malgré l’expérience de juin 2013, malgré les dispositions prises depuis côté français pour améliorer la prévision de crue, la vulnérabilité aux inondations dans

Fin février 2020, le cluster de Creil nous a confirmé que cette crise sanitaire risquait de s ’ étendre rapidement et que les Samu-Centre 15 étaient en première ligne : de 400

Aprèsune phasede croissancede 10 ans, le marchéfrançais montre actlj~l!,ment dessignesde ralentissement.Uneautre caractéristiqueessentielledu secteurde l'immobilier

Section 1 : structure d’un système de financement et choix du mode de financement Le financement d’une économie inclus des capitaux important et des différents agents économiques,

D’un côté, les partisan∙e∙s du respect total des schémas utilisés dans les études de phase 3 pour générer une protec- tion maximale à un nombre plus faible de

Comme Pierre Giorgini, François Taddei estime qu’il n’est plus temps de mettre les talents en compéti- tion sur les savoirs d’hier, mais de les faire coopérer sur les