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Entre féminité et modernité: la prise en charge médiatique de l'année présidentielle de Micheline Calmy-Rey

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Entre féminité et modernité: la prise en charge médiatique de l'année présidentielle de Micheline Calmy-Rey

BACHMANN, Laurence, SALERNO, Sébastien

Abstract

En 2003, Micheline Calmy-Rey est élue au collège gouvernemental Suisse. Cinq ans plus tard, elle devient, pour un an, présidente de la Confédération helvétique. Son année présidentielle coïncide avec les élections fédérales où sa formation, le parti socialiste, croise le fer avec l'Union démocratique du centre (UDC), le parti de la droite dure dirigé par Christoph Blocher. Notre article analyse la manière dont Micheline Calmy-Rey utilise des médias pour moderniser l'image de la Suisse et des femmes. Cette modernisation s'effectue à travers ses actions politiques, mais aussi son apparence physique.

BACHMANN, Laurence, SALERNO, Sébastien. Entre féminité et modernité: la prise en charge médiatique de l'année présidentielle de Micheline Calmy-Rey. Le temps des médias, 2009, vol. 12, no. 1, p. 90

DOI : 10.3917/tdm.012.0090

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:151557

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Laurence Bachmann, Sébastien Salerno

Nouveau Monde éditions | « Le Temps des médias » 2009/1 n° 12 | pages 90 à 99

ISSN 1764-2507 ISBN 9782847364552

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2009-1-page-90.htm ---

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En 2003, Micheline Calmy-Rey, ancienne cheffe des finances du can- ton de Genève, est élue au Conseil fédéral1, où elle reprend le ministère des affaires étrangères. Cinq ans plus tard, alors âgée de soixante-deux ans, elle devient,pour un an,présidente de la Suisse.Le caractère exceptionnel de cette année présidentielle est redou- blé par le fait qu’elle coïncide avec les élections fédérales de 2007 où sa for- mation, le parti socialiste, croise le fer avec l’Union démocratique du centre (UDC), parti de la droite dure. A ce jour, elle n’est que la deuxième femme à inscrire son nom au tableau des président(e)s de l’Etat fédéral dont les premières lignes datent de 1848.

Longtemps les femmes sont restées en lisière du plus haut lieu de pouvoir politique du pays, venant enrichir l’image d’Epinal d’un pays rétif au changement. L’introduction tardive

du suffrage féminin au niveau fédéral (1971) explique pour une bonne part cette situation. Notre contribution vise à montrer la manière dont Micheline Calmy-Rey a utilisé, dans le cadre de son année présidentielle, les médias d’information et la presse grand public pour moderniser l’image de la Suisse et des femmes.

Contre les représentations d’un pays replié sur son identité et ses racines que véhicule l’UDC, la présidente met en avant une Suisse multicultu- relle, créative, et qui s’engage sur la scène internationale. La politicienne dépasse les catégories de genre pour se profiler en tant qu’individu.A tra- vers ses actions politiques,elle montre que les femmes sont des personnes à part entière, des individus-sujets. Elle renoue ainsi avec l’idéal moderne d’autonomie des femmes et d’égalité entre les sexes.

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Entre féminité et modernité.

La prise en charge médiatique de l’année présidentielle de Micheline Calmy-Rey

Laurence Bachmann * , Sébastien Salerno **

N °1 2 – printemps-été 2009 Le Temps des Médias

* Docteure en sociologie, est chargée de recherche à l’Université de Genève.

** Doctorant en médias et communication, est assistant à l’Université de Genève.

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Une présidente en campagne Le propre de la Constitution suisse est d’assurer au système politique ouverture et stabilité. Le pouvoir est imperméable à l’opinion.Une fois élus par le Parlement, les Conseillers fédé- raux sont pratiquement assurés d’être réélus. Depuis peu, certes, la presse a pris goût aux sondages et ne se prive pas de dresser en fin d’année un bilan des ministres sur le modèle du banc d’essai. Mais tant qu’ils gardent les faveurs des groupes politiques qui les ont portés au gouvernement, il suffit d’une déclaration de soutien du porte- parole de leur parti pour balayer les soupçons d’un retrait. La logique de parti prime sur la logique d’opinion.

En fait,le tic tac de l’horloge politique suisse fait invariablement le même bruit jusqu’au renouvellement du Par- lement, qui a lieu tout les quatre ans.

Les mois qui précèdent les élections fédérales,les chefs de parti déterrent les contentieux qu’ils possèdent avec les formations de leur même bord poli- tique, les parlementaires battent l’es- trade avec une ferveur renouvelée et les compromis à l’eau tiède, le ton monte sur les plateaux des émissions politiques et les électeurs sont bardés d’électrodes pour savoir à qui ils des- tinent leurs suffrages.Or,c’est en année électorale que Micheline Calmy-Rey devient présidente de la Confédération helvétique, et la campagne s’annonce âpre. D’une part, on s’attend à ce que l’UDC, formation allergique aux compromis dont accouchent les insti-

tutions,fasse campagne sur l’insécurité et les problèmes d’intégration. Ses représentants ont pour cela des for- mules aux lance-flammes sur les lèvres, et des propositions de lois taillées pour la polémique dans leurs serviettes.

D’autre part, on sait le PS désireux d’intensifier les clivages entre lui et l’UDC pour enrayer sa baisse. Quant aux partis du centre,ils ne devraient pas hésiter à accuser l’UDC et le PS d’ex- trémisme pour se démarquer à leur tour.

Dans ce contexte historique spéci- fique, nous faisons l’hypothèse que Micheline Calmy-Rey utilise, dans le cadre de son année présidentielle, les médias d’information et la presse dite

« féminine » pour moderniser l’image de la Suisse et des femmes.Notre étude prend appui sur les études en commu- nication politique, puisque nous trai- tons de la manière dont la présidente essaie de transmettre ses messages à tra- vers les médias (Graber, 2007) et la sociologie du genre. La question de la modernisation de l’image des femmes, qui nous intéresse ici, nécessite de dépasser les catégories de genre can- tonnant les femmes dans une position secondaire et subordonnée aux hommes pour les définir comme indi- vidus à part entière. Les rapports sociaux de sexe sont appréhendés de manière dynamique.S’ils sont marqués par le poids de l’histoire et influencent les pratiques, ils sont également pro- ducteurs de social et donc inévitable- ment en mouvement. Le genre est constamment « travaillé » sur le plan

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objectif et subjectif (West et Zimmer- man, 1987). Notre contribution vise ainsi à cerner la manière dont Miche- line Calmy-Rey, par ses positions et prises de positions,« travaille » le genre et modernise l’image des femmes.

Cela, à travers le support des médias.

Notre étude s’appuie sur l’analyse de trois titres de presse en langue fran- çaise, retenu sur le moteur de re- cherche LexisNexis, qui ne s’adossent pas à un courant politique en particu- lier : le titre local Tribune de Genève (TG) ; le journal d’opinion Le Temps (LT) ; le quotidien populaire Le Matin et son édition dominicale Le Matin Dimanche (LM) que nous codons ensemble.A partir de ce tri,nous avons sélectionné tous les articles se rappor- tant à Micheline Calmy-Rey sur la base des critères : « Calmy-Rey » ET

« president » entre le 15.12.2006 et 15.01.2008 – le nouveau président entre en fonction le 1erjanvier, mais il est élu à la mi-décembre. Ce faisant, nous obtenons 544 articles, dont 404 codables. Pour le surplus, nous avons récolté tous les articles sur Micheline Calmy-Rey pendant l’année 2007 dans L’illustré,le magazine grand public le plus lu de Suisse romande et le magazine dit « féminin » Femina.Cette étude bénéficie également de l’entre- tien que Madame la Conseillère fédé- rale Calmy-Rey nous a accordé, le 2 septembre 2008, au Palais fédéral. De même que de l’entretien que nous avons eu avec un journaliste de poli- tique suisse au quotidien Le Temps, le 5 septembre 2008.

Les médias comme ressources Les articles de presse représentent des réalités de seconde main à travers lesquels les citoyen(ne)s évaluent les politiques. Ces derniers cherchent donc à influencer le contenu des médias d’information en propulsant sur l’agenda les thèmes qui leur sont favorables et en contrôlant leur image (Gerstlé et Piar, 2008). L’étude de la couverture médiatique de l’année pré- sidentielle de Micheline Calmy-Rey rend compte de ses efforts pour se pro- filer comme une femme politique à l’écoute des citoyen(ne)s et à l’allure moderne dans un contexte où la ten- sion entre la gauche et la droite conser- vatrice est plus vive que jamais.Trois événements sont à ce titre révélateurs : les « rencontres avec la population », la participation de Micheline Calmy- Rey à une émission télévisée de variété et sa présence au Grütli pour la fête nationale.

Quelques jours seulement après son élection, Micheline Calmy-Rey annonce aux journalistes l’envie de fonctionner comme médiatrice entre la population et le Conseil fédéral.A cet effet, elle dévoile son projet de

« Rencontres avec la population »,une course à étapes aux quatre coins du pays pour récupérer la parole du bas et expliquer la politique du gouverne- ment à la population. « Avant, il y avait des politiciens sur le podium,fait valoir la présidente Calmy-Rey lors de notre entretien,je préférais cette formule où on est au centre de la population et où

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on discute, où il y a un dialogue ».

Empruntant au modèle de campagne électorale dit de proximité, l’idée séduit la presse et les magazines grands publics taillés pour les reportages en province et la mise en récit émotion- nelle.Bien couvertes par la presse (LM, 01.02.07 ;LT,02.01.07 ;LM,02.02.07 ; etc.),les Rencontres avec la population font salles combles. La presse, de son côté, apprécie d’avoir une présidente qui sorte du Palais fédéral pour prêter l’oreille au bruit du pays. La série de rencontres permet aussi à la socialiste genevoise d’incarner l’hémisphère gauche du gouvernement.Face au lea- der de la droite dure, Christoph Blo- cher, attaché à une politique sévère en matière d’asile et chantre du moins d’Etat,la ministre des affaires étrangère défend, lors de ces rendez-vous, l’in- tégration, le dialogue et le principe de solidarité, gages d’une stabilité qui serait la marque du pays.Sans surprise, la relation agonistique qui lie le ministre de l’Intérieur,Christoph Blo- cher, pour qui tout est national et la ministre des affaires étrangères,Miche- line Calmy-Rey,qui prône l’ouverture de la Suisse constitue une prise d’angle privilégié pour les journalistes,puisque 20 % des articles concernant la socia- liste la mettent aux prises avec l’UDC.

Le 19 mai 2007, la présidente est l’invitée d’honneur des « Coups de cœur », une émission de variété de la Télévision Suisse Romande où elle interprète la chanson « Les Trois Cloches ». Dans un pays où l’« améri- canisation » de la vie politique a pris

la file d’attente, la composition de la présidente fait sensation. Les titres, essentiellement la presse grand public, vont considérer l’événement sous toutes ses coutures : scoop, enregistre- ment de l’émission, publicité pour sa diffusion et réactions ; 19 articles (soit 20,3 % de la couverture du mois de mai), flatteurs pour la plupart, seront nécessaires pour faire le tour de l’in- formation. La présence de Micheline Calmy-Rey à une émission de variété est une nouvelle couche dans le mil- lefeuille de sa communication toute tendue vers le rapprochement avec des citoyens-électeurs. « J’étais face au public et les personnes ont allumé leurs briquets,nous a expliqué la présidente, ça fait beaucoup plus pour les gens qu’une émission politique ». L’émis- sion,qui connaît un franc succès d’au- dience (LM, 22.05.07), fera beaucoup pour la popularité d’une politicienne qui a les finances publiques pour langue maternelle.

Considéré comme le lieu mythique de la naissance de la Suisse,la prairie du Grütli possède le rang de monument national, le 1er août, jour de la fête nationale, on y tient des discours sur la Suisse. Sans que ce soit un passage obligé de la présidence, des prédéces- seurs de Micheline Calmy-Rey s’y sont rendus pour y prononcer un dis- cours.Mais,au fil des dernières années, les orateurs ont été chahutés par des groupes d’extrême droite, découra- geant les responsables du lieu à inviter le président en exercice. En dépit du souhait des autorités locales et du

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Conseil fédéral qui craignent pour sa sécurité, Micheline Calmy-Rey va batailler durant des mois pour se rendre au Grütli le 1eraoût.Finalement,la pré- sidente va gagner son pari en empor- tant l’avis du Comité d’organisation, d’abord défavorable à sa venue. Pré- sentée dans la presse comme un suc- cès personnel,« l’expédition au Grütli » met en vedette une femme politique déterminée et franc-tireur.« La France, lit-on dans Le Matin, a son Sarko, la Suisse a aussi sa bête de médias » (LM, 05.08.07). « Elle est vraiment formi- dable et courageuse notre présidente » donne à lire Le Tempsqui rapporte les propos d’« une petite femme » (LT, 20.08.07).

Le rythme de conquête du pouvoir (plus que l’exercice de celui-ci) que Micheline Calmy-Rey donne à son année présidentielle se retrouve dans le nombre élevé de présences dans les médias de la présidente : 544 occur- rences – contre 443 pour Pascal Cou- chepin lors de son année présidentielle en 2007.Un autre indicateur donne la mesure de la densité spécifique du style Calmy-Rey, l’emplacement des articles. Sur les 404 articles codés, pas moins de 52 articles concernant la ministre des affaires étrangères pren- nent place dans la rubrique événe- ment, contre 221 dans la rubrique Suisse et 10 sous International. On peut lire encore la stratégie de la pré- sidente dans la répartition des thèmes des articles la concernant : 116 articles relèvent des affaires étrangères,84 de la population suisse, 75 spécifiquement

du 1eraoût et 10 des femmes. La pré- sidente a bien entrainé son discours sur le terrain favori de son rival, Chris- tophe Blocher,pour montrer leurs dif- férences.

La modernisation de l’image des femmes

Les stratégies de modernisation de l’image de la Suisse par les médias concernent aussi les femmes.De nom- breux articles du corpus relatent la position de Calmy-Rey favorable à l’idéal moderne d’égalité entre les sexes et d’autonomie des femmes, position décelée dans ses interventions et ses actions politiques. Quelques textes sont à ce titre révélateurs. Au lendemain de la journée des femmes, Tribune de Genève (TG, 9.03.2007) relate le discours de la présidente de la Confédération lors de cet événement, en affichant dans son titre la posture volontariste de Micheline Calmy-Rey à l’égard de la violence masculine :« La violence faite aux femmes est celle qui me choque le plus. Nous allons agir. » Elle s’oppose ainsi explicitement à l’emprise des hommes sur les femmes.

Un article dans le même numéro de ce journal, sur la visite de Micheline Calmy-Rey au salon de l’auto, rap- porte son élan pour la figure de la femme active. Interrogée sur les hôtesses du salon,elle affirme que,loin d’être des personnes passives, les femmes devraient être des actrices à part entière :« Regrettant toutefois que certaines femmes « restent trop souvent

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des sujets, elle préférerait, dit-elle, qu’elles soient plutôt des actrice. » La conseillère fédérale a ainsi visiblement eu beaucoup de plaisir à rencontrer la seule femme vendeuse du Salon.» Son intérêt pour cette dernière encourage ainsi l’investissement professionnel des femmes dans des domaines conven- tionnellement associés aux hommes.A l’inverse, dans sa revendication du congé paternité,la présidente soutient l’implication des hommes dans des domaines conventionnellement asso- ciés aux femmes. Le Matin (LM, 18.03.2007) relaie le volontariat de la présidente par un titre évocateur :« « Je suis pour un vrai congé paternité » ; Micheline Calmy-Rey, la présidente de la Confédération demande aux hommes de s’occuper du ménage ».

Les catégories du féminin et du mas- culin n’existant et n’ayant de sens qu’en relation l’une avec l’autre, Micheline Calmy-Rey rappelle impli- citement que la modernisation des femmes s’accompagne nécessairement de celle des hommes. Enfin,Tribune de Genève (TG,7.12.2007) rapporte que Micheline Calmy-Rey désapprouve l’androcentrisme de l’expression « les droits de l’homme »,où le masculin est défini comme universel.Elle préfère la formulation « les droits humains ». Si elle est alors contrainte par ses collègues masculins d’employer la première expression dans les documents officiels du gouvernement,la « rebelle ministre » (leurs termes,TG,7.12.2007) main- tient l’expression moderne dans ses dis- cours, au risque de briser la règle du

consensus. Pour la présidente, les femmes doivent, au contraire, occuper une place centrale. C’est ainsi qu’elle colore la fête nationale qu’elle organise au Grütli de féminisme : il s’agit d’une fête pour les femmes. Sans toutefois exclure les hommes, précise-t-elle (TG,22.01.2007).Décidée conjointe- ment avec la présidente de l’Assemblée fédérale, l’idée de se rendre au Grütli, et d’en faire un raout des femmes est un coup porté à l’estomac de l’UDC, qui plus que tout autre parti, se pose comme le gardien du patriotisme et des valeurs conservatrices sur l’échi- quier politique (Mazzoleni, 2003). En publicisant, très à l’avance ce qui n’est encore qu’une idée,Micheline Calmy- Rey et Christine Egerszegi créent un site d’affrontement avec le parti de la droite dure et tentent de placer les questions d’égalité entre les sexes au centre de l’agenda médiatique. La presse dite « féminine » va prendre fait et cause pour l’initiative qu’elle pré- sente par le prisme de l’engagement des femmes en politique. Sous le titre

« Les politiciennes connaissent la réa- lité de la vie »,Femina propose un entretien avec la présidente de l’As- semblée fédérale,Christine Egerszegi, assorti d’une note biographique qui précise que durant son mandat « elle se réjouit de prouver que les femmes peuvent occuper des positions impor- tantes » (Femina, 28.01.07).

Micheline Calmy-Rey incarne elle- même l’idéal de la femme moderne.

Loin de se cantonner au féminin, la politicienne semble dépasser les caté-

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gories de genre pour se profiler en tant qu’individu-sujet. Elle occupe des positions de pouvoir conventionnelle- ment associés aux hommes. Son poste de présidente de la Confédération est le plus haut poste politique de son pays.

Elle dirige le département des affaires étrangères, domaine généralement associé aux hommes (Fridkin Kahn et Gordon, 1997). Elle est entreprenante et réflexive.Les médias portent ce mes- sage.Le titre de Tribune de Genève(TG, 7 mars 2007) annonçant la journée du 8 mars est éloquent : « Micheline Calmy-Rey,symbole de la journée des femmes ». Sa démarche s’éloigne ainsi de celle de Ségolène Royal dans sa campagne pour la présidence française en 2007.Si,dans le contexte français, la virilité de Sarkozy encourage sa concurrente à investir le féminin (Achin et Dorlin, 2007), le contexte Suisse diffère : c’est le traditionalisme de Christoph Blocher qui encourage le modernisme de Micheline Calmy-Rey.

La modernisation de l’image des femmes…

à travers l’esthétique

Son utilisation des médias pour moderniser l’image de la Suisse et des femmes s’effectue à travers ses actions politiques, mais aussi par son apparence physique. Contre l’image omniprésente du prési- dent-homme raidi dans un cos- tume sombre, elle s’affiche en t-

shirt, grosse ceinture, jeans ou panta- lons droits. Elle porte les cheveux courts et on ne la voit jamais en jupe.

Ses vêtements en vogue soutiennent le lien étroit entre mode et modernité déjà analysé par Simmel (1990) au début du siècle dernier.Ainsi, dans Le Matin(LM, 3.07.2007), elle s’affiche avec une allure androgyne, portant un jean avec un basic pull marin et une grosse ceinture tendance (cf. photo).

Dans une entrevue-bilan de son année présidentielle avec le magazine Femina (Femina, 23.12.2007), elle porte un habit noir bien coupé avec des bottines courtes qui laissent apparaître des chaussettes rouges, accordées avec son col roulé,portées sur des col- lants opaques.Dans un entretien avec Le Temps(LT, 30.07.2007) suite à son expédition au Grütli, elle apparaît sur une grande photographie avec une veste moderne au col mao tendance, qui fait oublier qu’elle est taillée dans du jeans, portée sur un haut à la mode assorti.

Dans ce même journal (LT, 15.12.2007),un texte traitant de la photographie annuelle du conseil fédéral dans sa nouvelle composition, s’ar- rête sur les pantalons des femmes : « Comme un

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Image publiée dans Le Matin, le 3 juillet 2008, p. 2

« EPA/Laurent Gulliéron ».

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garçon,elles portent toutes les trois un pantalon » titre l’article.S’interrogeant sur le pour ou le contre, etc., le com- mentaire souligne avant tout la moder- nité des politiciennes. De même, le journal populaire à grand tirage Le Matin (LM, 5.08.2007) remarque la modernité de Micheline Calmy-Rey lors de la fête nationale du 1eraoût, par contraste avec Christine Egerszegi, présidente de l’Assemblée fédérale issue du parti radical : « Pantalon noir, T-shirt léopard, casquette rouge, pour Micheline Calmy-Rey. Robe tradi- tionnelle, chemisier blanc, chapeau de paille, pour Christine Egerszegi. » La presse est séduite.En parlant de la pré- sidente de la Confédération et de sa collègue Doris Leuthard, ministre de l’économie, ce même journal (LM, 3.07.2007) titre en première page :

« Doris Leuthard et Micheline Calmy- Rey : Chouchous du peuple. Les deux femmes du Conseil fédéral sont les préférées des Suisses. Avec leur style jeune et urbain, elles incarnent mieux le pays que leurs collègues ».

Ce faisant, Micheline Calmy-Rey prend des risques. En valorisant une image de femme moderne par son apparence vestimentaire, Calmy-Rey s’appuie sur des préoccupations esthé- tiques associées au féminin. On assiste alors à un paradoxe : la revendication d’émancipation de la catégorie du féminin s’effectue ici avec les armes du féminin. Or, le jeu du paraître, associé au féminin, expose les femmes qui le jouent au risque d’être cantonnées à l’ensemble des attributs sociaux de leur

catégorie de genre :le privé-hors poli- tique,la superficialité,la légèreté,la pas- sivité,la faiblesse,l’émotivité,etc.,sou- tenant ainsi l’ordre de genre. Les pré- occupations esthétiques de la prési- dente relèvent ainsi d’une arme à double tranchant, susceptible de se retourner contre elle.Ses vêtements en vogue, qui constituent un support à sa stratégie de modernisation de la Suisse et des femmes, peuvent aussi relever d’un soutien à la reproduction du genre. Les médias peuvent à leur tour être attirés par la mise en avant esthé- tique de Micheline Calmy-Rey pour conforter l’association des femmes au féminin et ainsi détourner la stratégie de modernisation de la Suisse de la présidente de la Confédération.Ainsi, les commentaires du journal populaire Le Matin (LM, 5.08.2007) semblent tentés par une telle association.La pré- sidente apparaît en tant que femme dynamique,grand-mère et donc mère, charmante et souriante :« Sur le Grütli, la présidente s’est promenée avec sa désormais mythique ceinture qui lui donne un air si jeune.On l’a aussi vue, très touchante, avec ses petits enfants.

La France a son Sarko, la Suisse a aussi sa bête de médias,une certaine Miche- line. Presque aussi omniprésente, mais beaucoup plus souriante et charmante, cela va de soi. ». De même, les discus- sions du réputé sérieux Tempssur le fait que la présidente de la Confédération porte des pantalons et non une jupe, pour reprendre l’article cité ci-dessus (LT, 15.12.2007). Micheline Calmy- Rey appartient encore à la catégorie

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particulière de femmes, à problémati- ser en tant que telle,avant d’être consi- dérée en tant que personne politique.

Or, si les risques du cloisonnement au féminin sont présents et tangibles, les médias semblent toutefois relative- ment en épargner la présidente de la Confédération.Le nombre de portraits personnels de Micheline Calmy-Rey ne représente en outre que 8,2 % de la totalité des articles ; de même, le nombre d’articles considérant son look (vêtements, accessoires,…) ne dépasse pas 4 %.

Notre contribution a montré la manière dont Micheline Calmy-Rey a utilisé, dans le cadre de son année pré- sidentielle, les médias d’information et la presse grand public pour moderniser l’image de la Suisse et des femmes.

Cette année a un caractère exception- nel,car elle est aussi celles des élections fédérales, où la formation de la prési- dente,le parti socialiste,se dresse contre l’Union démocratique du centre, parti de la droite dure. Les « rencontres avec la population » de Micheline Calmy- Rey, son intervention dans une émis- sion télévisée de variété ou son expé- dition à la fête nationale du Grütli,pré- cédemment associée aux partis conser- vateurs,sont autant d’événements sou- tenant ses coups médiatiques pour mettre en avant une Suisse moderne,

ouverte et solidaire.Nous avons vu que les stratégies de modernisation de l’image de la Suisse par les médias concernent aussi les femmes. Ses tac- tiques s’effectuent à travers ses actions politiques,mais aussi par son apparence physique.Ce faisant,Micheline Calmy- Rey s’expose aux risques d’être cloi- sonnée à la catégorie du féminin, qu’elle semble toutefois éviter.

Son succès pourrait être attribué à ses compétences. Or, l’objectivité de ces dernières n’évince jamais les rap- ports de force qui les traversent. Une autre piste pour expliquer le respect que les médias accordent à la prési- dente pourrait se trouver dans sa posi- tion (elle est Conseillère fédérale et Présidence de la confédération, c’est- à-dire située au plus haut niveau de la hiérarchie politique), plutôt que dans la prétention à une telle position. Une étude longitudinale du traitement médiatique de Micheline Calmy-Rey comprenant la période précédant son ascension au conseil fédéral constitue- rait à ce titre une piste féconde. Enfin, le système politique suisse pourrait en soi compléter l’explication. En Suisse, les conseillers fédéraux sont des per- sonnes davantage accessibles qu’en France. La diffusion du pouvoir, ins- crite dans la Constitution suisse, pro- tège les ministres,comme le président, de l’isolement et de la fatuité.

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Notes

1 C’est ainsi que les Suisses appellent le gou- vernement fédéral. Composé de sept ministres élus par les parlementaires, le Conseil fédéral est une autorité collégiale,ses

membres ayant les mêmes droits et devoirs.

Pour éviter les pièges de la présidentialisa- tion,le parlement élit pour une année un des membres du Conseil fédéral à la présidence de l’Etat.

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Références

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