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Micheline CUENIN Clos Saint - Euverte

1. rue Des friches 45000 ORLEANS

ROMAN ET SOCIETE SOUS LOUIS XIV:

MADAME DE VILLEDIEU

(MARIE - CATHERINE DESJARDINS 1640 - 1683)

TOME I

THESE PRESENTEE DEVANT L'UNIVERSITE DE PARIS IV - LE 28 FEVRIER 1976 -

ATELIER

REPRODUCTION DES THESES UNI VERSITE DE LILLE III

LILLE

1979

DIFFUSION

LIBRAIRIE HONORE CHAMPION 7, QUAI MALAQUAIS

PARIS

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La loi du 11 mars n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41. d'une part, que les "copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, "toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants-droit ou ayants-cause, est illicite" (alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

ISBN 2' 7295 - 0069 - 3

© Micheline CUENIN, 1979

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monde.

A mes maîtres Pierre MOREAU Raymond PICARD Jean MESNARD

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ...p. 11 Chronologie ...p. 17 Abréviations ...p. 21

Première partie UNE FEMME EN SON TEMPS

Chapitre I : MARIE-CATHERINE DESJARDINS

La famille Desjardins, p. 25 - Enfance et adolescence, p. 28. Marie-Catherine soustraite à son cousin et séparation légale des parents, p. 29 - Installation définitive à Paris, p. 30 -Protection des Montbazon et Chevreuse, p. 31 - La famille Boësset, p. 33 - Liaison avec Villedieu, p. 36 - Première promesse de mariage, p. 37 - Rupture, p. 37 - Le voyage en Provence et le mariage "de foi", p. 40. - Rupture définitive et mariage probable de Villedieu, p. 45 - Départ pour les Pays-Bas et la Hollande, p. 46 - Chez Constantin Huygens, p. 46 - Le scandale des Lettres et billets galants, p. 49 -L'été tragique, p. 50 - Maladie et retraite, p. 51 - Retour à Paris : "Mme de Villedieu", p. 52 - Séjour au couvent, p. 53 - Retour discret dans le monde, p. 54 - La pension royale, p. 54 - Claude-Nicolas de Chaste, chevalier, p. 54 - Mariage de Marie-Catherine, p. 55 - Naissance d'un fils, mort de l'époux, p. 56 - Retraite définitive, p. 57.

Chapitre II : RELATIONS ET FREQUENTATIONS

Mme de Morangis, p. 61 - Mme de Montglat, p. 63 – Mademoiselle, p. 64 - Mlle de Sévigné, p. 66 - La duchesse de Mazarin, p. 68 - Guillaume III de Bautru, p. 69 - Les Montausier, p. 70 - Le duc de Saint-Aignan, p. 73 - Marie de Longue-ville, duchesse de Nemours, p. 75 - Hugues de Lionne, p. 78 -Sa Majesté, p. 81 - Le milieu du Palais et académiciens, p.83. Colletet père et fils, Olivier Patru, p. 84 - Les frères Soileau, Gilles et Nicolas, p. 85 - Sauval, p. 86 - L'abbé d'Aubignac, p. 87 - "Les Buissons", p. 90 - Gourville, p. 96 -Hôtes illustres des Pays-Bas, p. 96 - Conclusion, p. 98.

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Dauphin, p. 116 - 14'abbé d'Aubignac part en guerre, p. 117 - Echec de Nitéti, p. 120 - Lisandre, p. 120 - Au Palais-Royal et à Versailles le Favory, p. 122 - Succès romanesques : Carmente, p.

126 -Anaxandre, p. 126 - Cléonice, p. 127 - Barbin prépare en cachette le Recueil de quelques lettres et relations galantes, p. 128 - Le Nouveau Recueil, p. 129 - Barbin et Mme de Villedieu p.

130 - La genèse du Journal amoureux, p. 130 - Les Annales galantes, p. 130 - Une année chargée, 1670; Fables, Les Exilés, Les Amours des Grands Hommes, Les Mémoires de 1-a vie de Henriette-Sylvie de Molière, p. 132 - Galanteries grenadines, Nouvelles afriquaines, Le Portefeuille, Lettres, p. 133 - Les Désordres de l'Amour, p. 134 - Oeuvres posthumes Portrait des faiblesses humaines et Annales galantes de Grèce, p. 135 - Conclusion, p. 136.

Chapitre IV LA PERSONNALITE DE MME DE VILLEDIEU

Traits de caractère et comportements, p. 139 - Le tempérament, p. 140 - Fierté naturelle, p. 143 - L'amoureuse, p. 147 - Souffrance et lucidité, p. 148 - Mlle Desjardins bel-esprit les "rencontres", p. 151 - La sincérité : comparaison avec Voiture, p. 154 - Le coeur premier servi, p. 157 - L'éducation par le monde, p. 157 - Une culture "moderne", p. 159 -Le milieu intellectuel, p. 160 - L'influence de l'abbé d'Aubignac, p. 163 - Sympathie pour les Boileau, et surtout Despréaux, p. 165 - Une consultation théologique, p. 68 - La réponse de l'honnête femme, p. 169 - Conclusion, p. 173.

Deuxième partie L'OEUVRE ROMANESQUE A. FORMES ET SIGNIFICATIONS Chapitre V LES CADRES ROMANESQUES : LA TRADITION

Vue générale, p. 177 - La tradition : les romans dits "à tiroirs", p. 178 - Les mythologies : l'inspiration gombervillienne, Alcidamie, p. 183 - Une Arcadie héroïque : Carmente, p. 189 - Le mythe romain, p. 201 - Les Exilés de la Cour d'Auguste, p. 203 - Images contemporaines.

Louis XIV et La Vallière, p. 204 - Scribonia, la comtesse de Soissons, p. 207 -

Ovide-Foucquet ?, p. 208 - Maxime-Colbert 7, p. 210 - Terentia-Montespan ?, p. 210 - La fiction dans Les Exilés, p. 212 - Genèse du personnage d'Ovide, p. 2114 - Problèmes d'actualité : opinions audacieuses sur les disgrâces, p. 216; sur le mécénat royal, p. 217 - L'inspiration hispano-mauresque : Les Galanteries grenadines, p. 218 - La tradition, p. 219 - Point de vue adopté par Mme de Villedieu, p. 222 - Clés probables : Gazul-Guiche, p. 223;

Zaïde-Madame, p. 214; comparses, p. 225 - Les droits de la fiction, p. 226, Chapitre VI : LES CADRES ROMANESQUES : INNOVATIONS

La nouvelle mondaine à la cour d’un Grand : naissance de Li- sandre chez Mademoiselle, p. 227; et de Cléonice chez la

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duchesse de Nemours, p. 232 - Faillite et dérision des clichés héroïques, p. 232 - Le personnage de Cléonice Jeanne de Hochberg et Marie de Longueville, p. 233 - La nouvelle d'hommage, p. 238 - Surimpressions comparables en peinture et sculpture, p.

242 - Récits à usage royal : Les Amours des Grands hommes, p. 243 - Plutarque revu et corrigé, p. 243.

L'autobiographie : Anaxandre, p. 248 - Les Mémoires de la

vie de Henriette-Sylvie de Moudre, p. 254 - Radiographie de l'héroïne, p. 256 - Rapports de l'auteur et de son personnage, p. 256 - L'héroïsme ridiculisé, p. 258.

Les systèmes de nouvelles, p. 259 - Histoire et fiction généralités, p. 261 - Élaboration de la nouvelle historique, doctrine et catégories distinguées, p. 269 - Le Journal amoureux : réalité et fiction, p. 271 - Les Annales galantes innovations, p. 280 - La morale dans Les Annales galantes, p. 282 - Personnages populaires : Agnès Sorel, Antoine de Chabannes, p. 283; Amédée VIII, p. 285; Don Sébastien, p. 286; Agnès de Castro, p. 287; Jeanne de Castille, p. 288 - La Bar- barie : histoire de Féliciane, p. 290 - Une turquerie : la nouvelle des "Princes Dervis", p. 291.

L'histoire contemporaine : les Nouvelles afriquaines, p. 295 -Sources, 295 - Eléments romanesques, p. 300.

Les exempla. Les Désordres de l'Amour, p. 302 - La 1Ième nouvelle et La Princesse de Clèves, p.

303 - Sources écrites, p. 305 - Sources orales, p. 307 - Combinaison des éléments divers, p. 308 - Le Portrait des faiblesses humaines, p. 309.

La narration épistolaire : Le Portefeuille, p. 315 - Le Paris de 1673, p. 316 - Rapports de la

Chapitre VII DE LA GALANTERIE

Définition du terme, p. 329 - Evolution sémantique, p. 330 -La galanterie, esthétique du comportement, p. 336 - Du fait de civilisation au fait littéraire : le rôle des poètes, p. 338 - Galanterie et préciosité, p. 340 - Galanterie et honnêteté, p. 341 - Louis XIV incarnation de la galanterie, p. 342 - La galanterie littéraire, p. 343.

La galanterie dans les romans de Mme de Villedieu. Un nouvel Espace : la Cour, p. 345 - Les ornements : les fêtes, p. 347;

les lettres, p. 352; leur rôle, p. 356; les vers, l'héritage littéraire, p. 359; la poésie dans les romans de Mme de Ville- dieu, p. 363; les jeux, p. 365; emblèmes et devises, p. 366.

L'expression galante : l'art du suggérer, p. 374 - Lexique, p. 375 - Métaphores, p. 379 - L'art d'envelopper, p. 381 - La raillerie, p. 385 - Traits d'esprit, p. 387.

La primauté de l'amour, p. 389 - Conclusion, p. 392.

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B. L'IDEOLOGIE AMOUREUSE Chapitre VIII : SURVIE ET DECLIN DE L'AMOUR HEROIQUE

Elimination de la matière héroïque, p. 397 - L'héritage littéraire, p. 399 - L'amour héroïque : sa naissance et son évolution dans les romans antérieurs, p. 401.

L'amour héroïque chez Mme de Villedieu. Généralités, héros et héroïnes, p. 403 - Les souveraines courageuses; Carnente, p. 407 Cléonice, p. 410 - Une souveraine indigne Almanzaide, p. 413 - Les caractères "brutaux", p. 414 - La décadence du héros : Zélide, p.

417; Artambert, p. 418; Rustan, p. 420.

Naissance d'un nouvel héroïsme, p. 424 - Méhémet Lapsi ou le renoncement par

amour-propre, p. 426 - Théocrite ou la gloire d'être un sage, p. 428 - Un héros "précieux", M. de Termes, p. 431 - L'abnégation féminine : Xérine, 436 - Givry ou la fiction au service de la réalité, p. 439 - Les héroïnes de la fidélité : Iris, p. 444; Cynthie, p. 445; Mme de Maugiron, p. 47; Henriette-Sylvie, p. 452 - La générosité en question Célie, p. 457;

Praxorine, p. 459 - Conclusion, p. 464.

Chapitre IX : LA SCIENCE D'AMOUR

L'amour dans les romans : il est objet d'instruction théorique et pratique, p. 467 - La perspective de Mme de Villedieu n'est pas celle de Mlle de Scudéry, p. 469 - Satire des tech- niques de séduction, p. 471 - La faillite du rituel, p. 474 -L'amour souffle où il veut : l'Astre, p. 477 - Le champ de la science d'amour, p. 484 - Rôle secondaire de l'amour charnel, p. 485 - La science psychologique tente de maîtriser l'évolution de la passion : apport personnel de Mme de Villedieu, p. 488.

Conseils pratiques. Comment faire parler une femme, p. 489 -De la complaisance, p. 491 - De l'esprit, p. 492 - L'autodétermination, p. 493 - Précautions à prendre, p. 495.

La théorie : plaisirs d'amour, p. 497 - Plaisirs des sens, p. 498 - Plaisirs de l'esprit, p. 501 - L'imagination, p.505

Le plaisir d'orgueil, p. 507 - Le mystère, p. 508 - Dégradations satiriques, p. 513 - La délicatesse, p. 517 - Délicatesse et jalousie, p. 522 - Le bonheur, p. 523.

La vie de l'amour, l'obstacle, p. 525 - L'obstacle interne, p. 528 - Artifice, p. 529 - Fuir toute extrémité, p. 532 -Conclusion. Mme de Villedieu comparée à Ovide, p. 533; à Mlle de Scudéry, p. 5314; à Bussy-Rabutin, p. 536. Sa position personnelle, p. 536.

Chapitre X : L'AMOUR A L'EPREUVE

Les rois et l'amour, p. 537 - Les princesses et l'amour, p. 5145Le mariage et l'amour, p. 556 - La vocation féminine, p. 565Les ennemis de l'amour : la soumission de la femme, p. 570; la coquetterie, p. 571. - Le paradoxe de l'amour, p. 574 -L'amour condamné, p. 577 - Conclusion, p. 582.

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C. L'ART ET LA VIE

Chapitre XI : LA SOCIETE CONTEMPORAINE

IMAGES ET OBSERVATIONS MORALES

Images contemporaines, p. 585 - La Cour et la ville , p. 587 - L'actualité parisienne, p. 591 - La province et l'étranger, p. 595 - Scènes de moeurs, p. 598 - Procès à rebondissements, p. 600 - Les couvents, p. 601 - La magie moire, p. 606 - Les Grands vus par leur valet de chambre, p.

608 - Le cadre quotidien, p. 611.

Observations morales, p. 614 - La veine gauloise, p. 615 -Dévêts, p. 619 - Coquettes, p. 621 - Hypocrites, p. 623 -Pruderie, p. 624 - Les Provinciaux, p. 626 - Conclusion, p. 628.

Chapitre XII : L'ART DU RECIT

Remarque préliminaire, p. 631 - Le déterminisme psychologique, p. 634 - Les conversations, p.

638 - Les récits, p. 641Le récit à la première personne, p. 646 - L'auditoire se restreint à un être proche à qui le narrateur est lié,p. 647L'auteur et ses personnages : filiation mais autonomie, p.

650 - Les récits dans les nouvelles, p. 652 - Les nouvelles d'une seule venue, p. 654 - L'auteur meneur de jeu, p. 655 -Divertir, impératif premier, p. 661.

Le conte moral, p. 664 - L'insertion de maximes, p. 667 -L'art d'intéresser, p. 672 - Aperçus politiques, p. 674 -Le conteur juge de ses personnages, p. 675 - Modèles d'astuce, p. 675.

Pour piquer la curiosité, p. 677 - Les fins de paragraphes dramatiques, p. 682 - Dialogues et récits, p. 683 - Le pittoresque timide, mais présent, p. 685 - Croquis et dessins animés, p.

685.

L'art de varier les tons. Le style héroïque, p. 692 - L'éloquence, p. 694 - Le jeu des temps, p.

696 - Le style indirect, p. 698 - Densité expressive, p. 699 - Effets spéciaux, p. 701 - L'humour, p. 702.

L'Amoureux Africain et les Nouvelles afriquaines

la manière de Mme de Villedieu, p. 704 - Conclusion, p. 707.

CONCLUSION ...p. 709 ANNEXES

Bibliographie ...p. 1 Annexe I. Somaize, article Dinamise ...p. 18 M. Buffet, Eloge de Mlle Desjardins ...p. 19 Notice de Claude Barbin ...p. 20 Notice de Richelet ...p. 21

Tableau généalogique de la famille Des Jardins p. 22 Portrait de Mlle Desjardins par elle-même .. p. 23 Lettre de Mlle Desjardins au duc de Saint-Aignart p. 25

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A S.A.R. Mademoiselle, Billet . p. 27

A Mlle de Montbazon, Sonnet - Madrigal ...p, 28 Lettre (réponse à un message de sympathie au

sujet de la perte de son bien) ...p. 29

Annexe II Etablissement de la liste des oeuvres de Mme de Villedieu

Justifications ...p. 31 Catalogue - Oeuvres parues du vivant de l'auteur ...p. 55 Oeuvres posthumes ...p. 58 Oeuvres et pièces écartées ...p. 59 INDEX des noms cités ...p. 73 RESUME des romans de Mme de Villedieu ...pp. 1-182 Alcidamie ...p. 2 Lisandra ...p. 15 Carmente ...p. 17 Journal amoureux ...p. 39 Annales galantes ...p. 68 Les Exilés de la Cour d'Auguste ...p. 101 Galanteries grenadines ...p. 120 Nouvelles afriquaines ...p. 129 Le Portefeuille ...p. 135 Mémoire de la vie de Henriette-Sylvie de Molière ...p. 141 Désordres de l'Amour ...p. 160 Portrait des faiblesses humaines ...p. 171 Annales galantes de Grèce ...p. 178

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qui suivent sont nées d'un plus large dessein : l'étude du sentiment amoureux dans le roman de la période dite classique, jusqu'à La Princesse de Clèves inclusivement. Les premières lectures nous ayant fait découvrir Mme de Villedieu, il est vite apparu que sa personnalité et son oeuvre, inséparables d'ailleurs, constituaient un champ d'investigation suffisant, sans même invoquer les lacunes de l'érudition à son endroit.

La production de cette romancière représente en effet un document précieux, et à divers titres. Les historiens de métier nourrissent une juste méfiance à l'égard des grands créateurs que leur génie sollicite à disposer de la nature au profit de l'art.

Or voici justement un de ces tempéraments moyens, ductile mais intelligent, aussi éloigné de l'obéissance aveugle que de l'anticonformisme de principe, et qui suit la mode avec franchise et lucidité. Certes, les grands esprits ne hantent pas ces régions tempérées, mais ce qu'on peut perdre sur le plan esthétique, on le gagne au niveau du témoignage. Est-ce à dire alors que l'étude littéraire n'est point ici en son lieu ? Nullement. Mme de Villedieu n'appartient pas à la catégorie de ceux dont les modes pression sont trop frustes pour se voir accorder la dignité littéraire, et dont le message se trouve stérilisé par la pauvreté du discours : on en jugera sur pièces. Il se trouve justement que dans cette oeuvre, en raison de qualités intrinsèques, tout un public se reconnut. Elle méritait donc de retenir tout spécialement notre attention.

Mais ces connexions vivantes imposaient des démarches originales : faire une assez large place aux réseaux de relations qui ont permis, et même déterminé la naissance de récits exem-

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plaires ou significatifs; retrouver quelques canaux transmetteurs de ces informations non écrites dont l'importance est aussi considérable que malaisée à définir; approfondir à l'occasion certaines notions-clés qui imprégnèrent la vie de société et les ouvrages de fiction. Doit-on se plaindre d'avoir dû dépasser le strict cadre de la monographie pour tenter de faire revivre le climat moral, la vie affective d'autrefois ? Et surtout n'est-il pas enthousiasmant d'avoir pu constater que l'analyse même des formes littéraires apportait à cette résurrection une contribution inégalable ? Celles du roman paraissent prédestinées à cette vocation. N'étant pas soumis, comme la littérature dramatique, à une tradition auguste et contraignante, il peut librement recueillir et actualiser les aspirations diffuses d'une société qui se cherche - et se trahit - à travers ses représentations mentales.

Mme de Villedieu fut témoin d'une époque qui portait un regard nouveau sur l'existence, qui, découvrant après la Fronde une autre manière de vivre et d'aimer, élaborait, fort consciemment d'ailleurs, une doctrine adaptée à ses nouveaux besoins.

Lorsque le jeune Louis XIV, prince de la paix, fit son entrée à Paris, Mlle Desjardins écrivait son premier roman.

Sur cette femme sans lignage et qui ne cessa de lutter pour vivre, il n'est pas exagéré de dire que presque tout était à reprendre ou à établir. Peu de personnes, même parmi les plus cultivées, connaissent Mme de Villedieu. Lorsqu'elles en ont par hasard entendu parler, c'est à propos de Molière et de Mme de Lafayette; elles ont lu, dans ce cas, que cette femme de lettres était aussi, était d'abord "galante", et elles ont pu fort légitimement penser que ses lointains dévergondages présentaient aussi peu d'intérêt que son mince talent. On risque donc d'être surpris par les pages qui suivent, car elles invitent à renoncer à la fois aux truculences et au dédain; mais le nouveau visage de Mme de Villedieu, moins vulgaire et plus singulier, ne fera pas regretter l'ancien.

La légende biographique s'est constituée non pas même du vivant de la romancière, mais dès l'instant où elle fit parler d'elle.

Tallemant a pris ses informations à bonne source, mais les faits sont déjà interprétés tendancieusement. Un témoin aussi

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sérieux que Pierre Richelet, qui a rencontré Mile Desjardins, amie d'Olivier Patru dont il était le secrétaire, ne se donne même pas la peine d'ajouter à la notice de Barbin1, qu'il recopie en grande partie, ce dont Bayle se scandalise2. Barbin lui-même, son éditeur, son familier, ne paraît pas en savoir bien long sur elle et ne peut s'empêcher de glisser, dans les compliments obligés, quelque concession à l'opinion générale3. Dès que Mme de Viliedieu quitte la scène littéraire pour vivre dans l'obscurité, les bruits les plus extravagants circulent elle sombre dans la débauche, elle s'adonne à la boisson, elle est emprisonnée4. Toutes ces fantaisies seront fidèlement consignées par les frères Parfait au début du siècle suivant5. Ainsi au moment même où l'oeuvre de Mme de Villedieu est le plus commercialement exploitée, où les éditions complètes se succèdent à Paris comme en province, personne ne sait plus qui elle est

1Cf. Annexe I, p. 20.

2"L'auteur qui m'a fourni ce passé a omis beaucoup de choses (B) et n'a point été exact sur les circonstances du temps; car il veut qu'elle n'ait commencé à prêter l'oreille aux fleurettes qu'après la mort de ses deux maris, mais bien des gens m'ont assuré que cette époque était très mal pla- cée et que la galanterie de cette dame fut infiniment plus petite que jamais au temps dont il parle." Au renvoi B, on peut lire : "Il serait dans l'ordre que je les suppléasse, mais je ne suis point à portée de consulter ceux qui pourraient me le dire... Comme Richelet demeurait à Paris et qu'il n'y menait pas une vie sédentaire, il lui était facile de s'informer du temps que Mlle Desjardins quitta la Province et s'établit dans la Capitale du Royaume; il pouvait apprendre avec la même facilité les habitudes qu'elle y contracta d'abord, les patrons qu'elle s'y fit, quand et par quels livres elle débuta, quelle fut la date de son premier mariage et de son premier veuvage, celle des secondes noces et celle de la mort de son second mari, la suite chronologique de ses romans, le temps de sa mort et plusieurs autres choses de cette nature dont il n'a pas dit un seul mot." (Dictionnaire historique et critique, art. Jardins, éd. 1702.)

3Sur sa légèreté et son inconstance notamment. Mais la notice peut avoir été rédigée par quelqu'un d'autre que Claude Barbin, déjà fort âgé, et pratiquement retiré des affaires. Il vend son fonds le 28 février 1695.

4Lettre à l'abbé de Pure d'un ami toulousain, nommé Jean Maury, du 6 mars 1680 "Vous m'avez écrit la capture de Mlle Desjardins par laquelle je crois que vous entendez Mme de Villedieu. Cette nouvelle n'est confirmée par aucune lettre. Mandez-moi au vrai ce qu'il en est."

(B.N. Mss. fds fr. 15209 f° 69.)

5Histoire du théâtre français, P., 1735, t. IX, pp. 127 sq.

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vraiment.

Cet état de choses va durer jusqu'en 1911, date à laquelle un officier, s'ennuyant dans la petite garnison de Mamers mais aimant les vieux livres, réunit une abondante collection de romans sortis des fonds de bibliothèques ou des greniers de la région beaucoup portaient le nom de Mine de Villedieu, qui avait précisément terminé son existence non loin de Mamers, dans la propriété de Clinchemore. Il s'attacha patiemment et passionnément à cette mémoire, dépouilla les minutes notariales en corrigeant avec indignation les erreurs des historiens6. L'ouvrage d'Emile Magne, si précis sur la vie littéraire de l'époque7, allait se trouver ébranlé par deux articles qui passèrent complètement inaperçus8, sauf de l'éminent homme de lettres. Après avoir correspondu avec le capitaine Derôme, et tenté, après la mort de ce dernier, de récupérer ses notes, E. Magne s'apprêtait à récrire son livre sur nouveaux faits quand la mort, à son tour, l'empêcha de mettre la main à l'oeuvre9.

En 1947, les éléments nouveaux sont encore mal connus, et B. Morrissette n'intègre pas dans son travail les lumières déter- minantes apportées par le capitaine Derôme dans ses articles de 1912. Il était donc nécessaire de rassembler les trouvailles éparses, de procéder à d'autres explorations pour tenter d'arracher au passé ce qu'il cachait encore.

Il faut avouer que si le résultat n'est pas négligeable, il est quantitativement décevant. Outre le petit nombre de documents

6 Il compte quarante-huit notices entre 1692 et 1911, toutes pleines d'erreurs, mais ne nomme pas E. Magne. Cf. art. 1912, éd. Fleury, p.

VII.

7 Femmes galantes du XVIIe'me siècle, Mine de Villedieu, Mercure de France, 1907.

8 "Madame de Viledieu inconnue", Revue historique et archéologique du Maine, 1911, pp. 225 - 236, et 1912, pp. 23 -. 50, 113 - 142, 235 - 277; ce dernier réédité en un ouvrage unique intitulé : "Madame de Villedieu inconnue; la famille Böesset et ses relations avec le Maine", Mamers, Fleury, 1912.

9 Nous remercions Mine E. Magne d'avoir bien voulu nous communiquer des notes inédites et la correspondance de son mari avec le capitaine Derôme.

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actuellement accessibles, beaucoup de pièces essentielles, tenues en main et décrites par les chercheurs, semblent avoir disparu depuis le début du siècle. Il demeure des incertitudes jusque sur le lieu et la date de naissance de Marie-Catherine Desjardins, que la disparition de l'ancien état-civil de Paris laisse peu de chances de dissiper10. Cependant le peu qu'on a de sûr dessine de Mme de Villedieu une image assez nette, et, espérons-le, fidèle.

Un même retour aux sources a été opéré pour l'oeuvre romanesque. En ayant systématiquement recours aux éditions originales chaque fois que c'était possible, on a tiré ample profit des avis au lecteur ou dédicaces, qui ont permis d'effectuer un certain tri parmi les oeuvres attribuées à la romancière. La critique interne n'a été appelée au secours qu'en cas désespéré. Peu à peu s'est dégagée la véritable physionomie d'auteur que nous cherchions, débarrassée de ce qui l'alourdissait et la déformait.

La voie devenait alors libre pour entreprendre dans d'honnêtes conditions une étude littéraire spécifique qui devait elle aussi réserver bien des surprises, déblayer bien des pistes, mais s'achever sur bien des résignations. On ne manquera pas d'observer que certains aspects de l'oeuvre ont été sacrifiés, l'étude du personnage par exemple. Répartie, suivant les besoins de l'analyse, tout au long des chapitres, elle n'a été présentée globalement qu'en conclusion. Inversement, on pourra déplorer aussi le parti choisi pour la distrubution de la matière. L'investigation s'étant faite suivant une démarche plus méthodique que problématique - dans une intention de clarté qui n'échappera sans doute pas -, il peut arriver que les mêmes documents ou les mêmes textes soient invoqués à plusieurs reprises. D'autres lecteurs regretteront de ne trouver qu'en notes des comparaisons qu'ils auraient souhaitées à une place plus éminente; certains souligneront l'absence presque totale d'une étude, évidemment utile, de la langue de Mme de Villedieu. Ce travail ne prétend pas être une somme.

10 Les collections Ravenel et Rochebilière sont muettes, de même que les archives d'Alençon, du Mans, et le fichier des archives de la Seine.

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Le rôle de pionnier est ingrat. Puisse-t-on dire plus tard que ces modestes recherches ont eu le mérite d'exister. Ce serait un signe que d'autres en auraient comble les lacunes et corrigé les défauts, et surtout qu'elles auraient suscité un regain d'intérêt pour la période la plus brillante sans doute, mais, mis à part quelques grands noms, la plus méconnue de notre histoire littéraire.

(17)

1632 Naissance à Paris d'Antoine Boësset, 2ème fils d'Antoine Boësset et de Jeanne de Guesdron.

1637 (15 janvier) Mariage de Guillaume Desjardins et de Catherine Ferrand, à l'hôtel de Montbazon.

1640 (?) Naissance (à Paris 7) de Marie-Catherine Desjardins.

1643 Mort d'Antoine Bosset le père.

1648 A. de Boësset est émancipé et prend le titre de sieur de Viliedieu.

1648 Installation de la famille Desjardins à Alençon.

1655 (janvier) Marie-Catherine se lie à son cousin, François de Saint-Val, par une promesse de mariage.

(22 février) G. Desjardins assigne F. de Saint-Val devant le Parlement de Paris et obtient condamnation.

(24 mars) Jugement en séparation de corps des époux Des- jardins.

(7 juillet) Séparation de biens.

Catherine Ferrand s'installe à Paris avec ses deux filles.

Marie-Catherine vit "sous sa bonne foi".

1658 Rencontre avec A. Boësset, sieur de Viliedieu. Composition du sonnet de Jouissance, première poésie à succès.

1659 11 pièces poétiques paraissent dans le t. V du Recueil de Sercy, et 4 portraits dans La Galerie des peintures. Version inédite du Récit de la farce des précieuses.

1660 Relations suivies avec les Boileau, O. Patru et Conrart.

Publication chez de Luynes et Barbin du Récit.

1661 (7 janvier) Publication d'Alcidamie (deux premières parties, l'oeuvre demeurera inachevée).

(sept.-oct.) G. Desjardins est emprisonné pour dettes.

Brouille avec Villedieu, qui refuse d'honorer sa promesse.

1662 Le Carousel de Mgr le Dauphin, dédié à Mile de Montausier.

(5 février Privilege du Recueil de poésies de Mlle Desjardins, dédié à la duchesse de Nazarin.

(18)
(19)

1662 (avril) Manlius Torquatus (tragédie) est représenté à l'H6tel de Bourgogne. Succès.

1663 (avril) Echec de Nitétis au même théâtre. Rencontre avec le duc de Saint-Aignan.

(mai) Rencontre à Beaumont avec Mademoiselle.

(juin) Villedieu achète une compagnie a régiment de Pi- cardie, s'endette et rompt officiellement ses promesses.

(septembre) Lisandre, dédié à S.A.R. Mademoiselle.

(octobre) Mlle Desjardins invitée à Versailles.

1664 Rééditions augmentées du Recueil de poésies de 1662. Edition complète des Oeuvres.

(avril) Molière met en répétitions la tragi-comédie du Favory.

Voyage précipité en Provence.

(21 juin) Solennelle promesse de mariage entre Villedieu et Marie-Catherine.

1664-1665 Séjour à Carpentras. Correspondance et relations avec R. Le Pays.

1665 (avril) Retour à Paris.

(2 avril) Première du Favory au Palais-Royal.

(mai) Catherine Ferrand rachète à son mari la propriété de Clinchemore, près d'Alençon, et s'y installe avec ses autres enfants.

1666 (novembre) Mort de Jeanne de Guesdron, mère d'A. de Villedieu. Début de la protection de la duchesse de Nemours.

1667 (5 février) Rupture définitive avec Villedieu.

(mars) Départ de M.-C. Desjardins pour les Pays-Bas et la Hollande.

(mai) Villedieu, au départ pour la campagne des Flandres, se marie et remet peut-être à Barbin les lettres de Marie-Catherine.

Mlle Desjardins reçue par la plus haute aristocratie bruxelloise, et chez Constantin Huygens.

(juin) Privilège de Carmente, dédié à Mme de Nemours. Privilège des Lettres et billets galants.

1668 (20 juillet) Privilège d'Anaxandre, dédié aux dames de Bruxelles.

Correspondance assidue avec les amis français.

(août) Mlle Desjardins, malade, séjourne à Spa.

Mort de Guillaume Desjardins.

(25 août) Mort de Villedieu au siège de Lille.

(20)

1668 Publication des Lettres et billets galants.

(juillet) Recueil de quelques lettres et relations galantes.

Retour à Paris. Mlle Desjardins prend officiellement le nom de Mme de Villedieu.

(21)

1668 Grandes difficultés matérielles.

1669 (1er avril) Cléonice, dédié à la duchesse de Nemours.

Nouveau recueil de pièces galantes.

(25 septembre) Journal amoureux (1ère partie).

1670 Annales galantes.

Journal amoureux (II, V et VI).

Début de la composition des Exilés.

Fables, dédiées au Roi.

1671 Les Amours des grands hommes, dédiés au Roi.

Début de la composition des Exilés.

1672 Les Exilés, trois premiers tomes.

Les Mémoires de la vie d'Henriette-Sylvie de Molière, trois premiers tomes.

Mme de Villedieu entre au couvent.

1673 Mme de Villedieu rentre dans le monde.

Les Exilés (suite et fin).

Les Nouvelles afriquaines.

Les Galanteries grenadines.

1674 Les Mémoires de la vie d'Henriette-Sulvie de Molière (suite et fin).

Le Portefeuille.

Mme de Villedieu mène une vie dévote et retirée.

1675 Les Désordres de l'amour.

1676 (6 avril) Brevet de pension royale.

1677 (17 août) Mariage avec Claude-Nicolas de Chaste, chevalier, sieur de Chalon.

1678 (30 juin) Naissance de Louis de Chaste.

(décembre) M. de Chaste est Gouverneur des Invalides.

1679 (5 janvier) Mort de M. de Chaste.

(22)

1683 (20 octobre) Mort de Mine de Chaste.

Claude Barbin recueille tous ses manuscrits.

1685 (14 novembre) Le Portrait des faiblesses humaines.

1687 (24 mars) Les Annales galantes de Grèce.

(23)
(24)

Oeuvres romanesques de Mme de Villedieu

Ale. Alcidamie

AG Annales galantes

AGG Annales galantes de Grèce

AGE Les Amours des grands hommes

Anax. Anaxandre

Carm. Carmente

Cléon. Cléonice

DA Les Désordres de l'amour

Ex. Les Exilés de la cour d'Auguste

GG Les Galanteries grenadines

JA Le Journal amoureux

Lis. Lisandre

MHSM Mémoires de la vie d'Henriette-Sylvie de Molière

NA Nouvelles afriquaines

Port. Le Portefeuille

PFH Le Portrait des faiblesses humaines

Divers

AA L'Amoureux africain (S. Brmond)

Ab. Abrégé de l'histoire de France de Mézeray

BC Bibliographie critique (G. Turbet-Delof)

BE Bibliothèque française (Ch. Sorel)

BUR Bibliothèque universelle des romans

CAIEF Cahiers de l'Association internationale des études françaises

CALC Cahiers algériens de littérature comparée

Guerres civ. de Gr Guerres civiles de Grenade (Perez de Hita)

HAG Histoire amoureuse des Gaules (Bussy-Rabutin)

Hist Histoire de France (Mezeray)

HLF Histoire de la langue française (F. Brunot)

(25)

Poles . Polexandre (Gomberville) éd. 1637

P. de C La Princesse de Clèves (Mme de Lafayette)

RHLF Revue d'histoire littéraire de la France

RSH Revue des sciences humaines

VPA Vie de la princesse d'Angleterre (Mme de Lafayette)

(26)

UNE FEMME EN SON TEMPS

(27)
(28)

MARIE-CATHERINE DESJARDINS

Celui qui tente de faire revivre Marie-Catherine11 Desjardins doit d'abord se résigner, pour l'instant du moins, à traverser une zone d'ombre, qui couvre l'enfance et une partie de l'adolescence de la future "femme de lettres". Heureusement, quelques documents renseignent sur ses origines familiales. De petite noblesse terrienne12, la famille Jardins des Jardins servait depuis deux generations la cause huguenote. Le grandpère paternel de Marie-Catherine, François, bien que de religion catholique, avait été attaché aux Saint-Denis, tout acquis à Henri de Navarre (3)13. Odet, baron de Hertré, neveu par alliance du duc de Rohan-Montbazon, avait fait de ce notable alençonnais son homme de confiance. A la mort du baron, en 1611, c'est François Desjardins qui se charge de la tutelle des biens de sa fille

11 Marie-Catherine et non Hortense. L'erreur vient de Beauchamps (Recherches sur les theatres de France, 1735) et s'est propagée par les ouvrages d'Henri Chatenet et Emile Magne. Mme de Villedieu signe Marie-Catherine et est ainsi prénommée dans toutes les pièces d'archives.

12 Comte de Souancé, Documents généalogiques d'après les registres d'Alençon, p. 229, art. Jardins.

13 La famille est originaire de Saint-Denis sous Southon, en Normandie, et possède de nombreuses seigneuries en Maine et en Anjou.

C'est un SaintDenis, sieur de Her tré, qui, mettant à la disposition de Henri de Navarre 250 gentilshommes réunis à Alençon, le 7 avril 1596, l'aida à gagner la bataille d'Arques. (Derôme, art. 1912, p. 6.)

(29)

mineure tandis que le gouverneur du Poitou, Henri II de Rohan, s'attache à son tour ses services. Ce dévouement coûtera la vie à ce loyal serviteur il mourra assassiné en 1617 lors des troubles qui, dans cette province, suivirent la mort du roi Henri IV. Concurremment, François Desjardins avait été échevin d'Alençon et "secrétaire de la feue reine Marguerite"14. A sa mort, il laissait deux fils encore bien jeunes, et une succession difficile qu'il faudra trente -trois ans pour régler15. L'aîné, François, hérite du titre de sieur de Saint-Val, se marie en sa ville natale et y fait souche. Le sort du cadet est tout autre. Contraint de quitter le pays, il gagne la capitale pour y faire des études de droit qui lui permettront de se parer plus tard du ttre d'avocat en Parlement. Mais les choses s'arrêtent là. De nature aventureuse, Guillaume décide de s'engager sur un navire ; il semble avoir navigué quinze années16. Après quoi, plus désargenté que jamais, il revient à Paris pour frapper à la porte de l'hôtel du Lude où résidait Hercule de Rohan-Montbazon. Il n'eut pas de peine à rappeler les services de son père le duc le garde comme écuyer, et cherche à l'établir par un mariage avantageux. Son choix se porte sur Catherine Ferrand, première femme de chambre de la duchesse. Beaucoup plus jeune que son futur époux (elle ne disparaîtra qu'en 1692, après vingt-cinq ans de veuvage), elle est d'origine poitevine. Son père, Guillaume, est établi marchand à Saint-Maixent, et son grand-père André Ferrand avait constitué, comme capitaine de navire, une petite fortune qui lui avait permis l'achat d'une terre noble : il était sieur de Rambure17. Catherine n'était donc pas une domestique quelconque. Elle avait su se concilier les bonnes grâces et la confiance de sa maîtresse, car celle-ci va la doter

14 Contrat de mariage de Guillaume Desjardins et de Catherine rrand, Minutier central, fonds XXIX, liasse 404. - La reine Marguerite de Valois s'était éteinte à Paris en 1615. Le duché d'Alençon, sans titulaire depuis la mort de Monsieur, frère cadet de Henri III, lui était revenu.

15 L'acte sera signé le 6 août 1650. Cf. Derôme, art. cit., p. 6.

16 Derôme, art. cit., p. 6.

17 Ibid., p. 5.

(30)

richement18. Sur le contrat, où l'on cherche en vain l'apport du futur conjoint, de très hauts et très puissants seigneurs lui font l'honneur d'apposer leur signature Hercule de Rohan et Marie de Bretagne son épouse, comme ii se doit, mais aussi Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, le fils du Balafré; deux jours après, le mariage est célébré à Saint-Eustache19. Le mois n'est pas écoulé que Guillaume Desjardins est installé rue des Petits-Champs et fait signer à sa femme une donation mutuelle qui lui permet de disposer sans délai des biens de son épouse20. Cependant, les Rohan lui obtiennent, par arrêt du Conseil du Roi21, un emploi honorable : la charge des coupes et revenus de la forêt de Perseigne, tout près de sa ville d'Alençon. Il déménage alors pour un domicile plus bourgeois, et fait choix d'une maison sise exactement en face de l'hôtel de Rambouiliet, appartenant à un gentilhomme manceau. Voiture y était déjà locataire. C'est lé que naquit la fille aînée, Aymée22, et que Marie-Catherine passera ses premières années. L'illustre voisin remarque cette petite fille à la mine éveillée, la trouve un peu "folle", mais pleine d'esprit23.

L'enfant n'a guère le temps de le faire admirer : la Fronde commence à agiter Paris. La famille Desjardins a toutes raisons

18 Outre 5.000 livres de biens propres, Catherine reçoit 9.000 livres données par le duc, la duchesse et ses enfants, auxquelles s'ajoutent 12.600 livres provenant de la succession paternelle, des meubles, des vêtements et des bijoux.

19 Le contrat est daté du 15 janvier 1637 et le mariage religieux du 17. Cf. B.N. Mss 32587 f° 306.

20 Donation du 29 janvier 1637. A.N. Y 177 f° 143 v°.

21 Derôme, art. cit., p. 3. Il est qualifié de "noble".

22 Projet de partage de Clinchemore du 17 juin 1698 entre "Gilbert de Fleurier, fils de défunt Gilbert de Fleurier et de Dlle Aymée des Jardins, fille aînée de Guillaume des Jardins et de Catherine Ferrand et François Desjardims, sieur de Clinchemore, son frère" (papiers Derôme).

23 Cf. Tallemant, t. II, p. 902. Derôme confirme em citant (op. cit., p. 3) les Registres de la Maison du Roi (B.N. Mss. fr. 9474) : "26 mai 1648. Convoi de Voiture, mort avant, demeurant rue Saint-Thomas du Louvre, apporté de Saint-Germain l'Auxerrois et inhumé en Saint-Eustache." Le propriétaire de la maison était um nomme Paul Théart, sieur des Pommerais, secrétaire d'Etat, né au Mans (Der'ôrne, art. cit., p. 15, n. 1). La cote B.N. indiquée semble erronée.

(31)

de se replier en province, dans sa résidence alençorinaise du faubourg de Montsort (lit)24, c'est là que naîtra le troisième enfant de la famille, François, le 6 février 1651. Mais Marie-Catherine, où est-elle née ? Parisienne, elle le sera d'éducation, de goût, d'esprit, on dirait même de vocation. Dans ses romans, on la voit partager, avec quelque complaisance d'humoriste, les préjugés des habitants de la capitale. On la croit pourtant née à Alençon25. Mais il y a plus grave : la date même de sa naissance est incertaine, les actes passés par elle ne l'indiquent jamais, et les doucments les plus irrécusables se contredisent.

L'acte de décès qui lui donne 5 ans en octobre 1683 la fait donc naître en 1638. Le père, lui, donne une autre date, 1640, confirmée par sa fille, beaucoup plus tard, au détour d'une phrase26.

De son enfance normande nous ne savons rien. Sans doute s'est-elle écoulée sans histoire, près des arbres et des ruisseaux de la douce campagne alençonnaise, sans histoire jusqu'en janvier 1655. Le 15 de ce mois, la famille entière était en fête on baptisait à la cathédrale Notre-Dame un nouveau François des Jardins, quatrième du nom. C'était le premier fils d'un troisième mariage de l'oncle François; deux ans auparavant, Madeleine Fauqueron lui avait donné une fille, prénommée Catherine, dont sa cousine germaine, Marie-Catherine, avait été marraine27. Pour ce petit garçon, on arrête comme parrain un jeune officier de vingt-sept ans28, son demi-frère, fils de François des Jardins et de Renée de Cléré, sa première épouse, comme

24 Derôme, art. cit., p.4

25 Barbin et Richelet, qui le copie partiellement, la font naître à Alençon (cf. annexe ii) parce que c'était en cette ville que son père était

"prévôt". Les recherches effectuées sur place sont demeurées sans résultat.

26 Lettre du 15 mai 1667. Elle n'a, dit-elle, "pour toute science, qu'un peu d'usage du monde et l'expérience de vingt-sept années de vie"

(Recueil de quelques lettres et relations galantes, p. 72), et une lettre non datée mais de la même année, commence par ces mots : "Je savais bien que j'avais vingt-sept ans passés, Madame..." Cf. infra n. 20.

27 Souancé, op. cit., p. 229.

28 Né à Alençon, le 26 août 1628.

(32)

on est en plein hiver, il a pu se dégager pour tenir l'enfant sur les fonts, et faire briller sur les registres de la paroisse sa qualité de lieutenant de cavalerie au glorieux régiment de la Vieuvill29. Marie-Catherine est charmée, et le jeune officier n'est pas moins séduit. Ils décident en secret de s'épouser. Les parents, sans être vraiment brouillés - on vient de voir que l'esprit de famille est bien vivant, du moins dans les grandes occasions - sont divisés par des questions d'intérêt : Guillaume en effet se considère comme lésé dans le règlement de la succession paternelle dont il n'a retiré qu'une somme ridicule, six cent cinquante livres. Mais les jeunes gens ne peuvent longtemps cacher leur idylle. Un beau jour de février, le père de Marie-Catherine apprend que sa fille s'est promise à son cousin. Il refuse de régler le différend à l'amiable et prend une initiative sans précédent dans cette famille honorable et respectée : il assigne son neveu, déposant au Châtelet une violente requête qui n'épargne pas sa propre fille, accusée de "criminelle désobéissance"30. Même en admettant que guillaume soit d'un tempérament bouillant, on ne peut s'empêcher d'être surpris du procédé. Cette union est convenable aux deux partis, consanguinité mise à part; et si c'est là le vrai motif de cette réaction brutale, il y a disproportion entre la cause et les effets.

Le scandale est tel que Catherine Ferrand se désolidarise rapidement de son époux, dont ce n'était peut-être pas la première incartade, et introduit aussitôt une instance en séparation de

29 D'abord entré à dix-neuf ans, en 1647, dans la compagnie d'hommes d'armes de Maurice de Savoie, il s'était fait incorporer dans le régiment de la Vieuville, levé en septembre 1651. Adjointe à l'armée de Turenne, cette unité avait notamment participé, durant la Fronde, au combat d'Étampes (1652) et à celui du faubourg Saint-Antoine. Le régiment fut licencié en Champagne à la fin de l'année 1655.

(Susane, Histoire de la Cavalerie, t. III, p. 192).

30 La requête est déposée au nom de Guillaume et de son épouse. Ils portent plainte, le 22 février 1655 "pour faire poursuivre en justice François Desjardins de Saint-Val, leur neveu, qui avait extorqué par violence, indiction et autres pernicieuses voies, à leur fille à présent âgée seulement de quinze ans, un consentement pour céder mariage, nonobstant leur consanguinité, ce qui est une criminelle

désobéissance de ladite fille aux intentions et volontés de ses père et mère." (Derôme, op. cit., p. t) D'après ce texte, Marie-Catherine serait née en 1640.

(33)

Saint-Thomas du Louvre, emmenant avec elle ses deux filles31. Puis elle engage une seconde procédure en séparation de biens, et là encore, gagne la partie32. Marie-Catherine est d'autant plus bouleversée qu'elle apprend que François de Saint-Val a été incarcéré. Elle tente de lui faire parvenir des billets passionnés33. Par bonheur, l'emprisonnement ne dura que peu de temps, car un an plus tard, il épousait l'unique héritière d'une noble famille du Perche34.

Catherine Ferrand, sans grandes ressources, garde ses deux filles auprès d'elle : elles y seront encore en 1661. C'est pure fantaisie que d'imaginer Marie-Catherine, après ce drame qui la marquera, courant la province dans la troupe de Molière.

Cette hypothèse, appuyée sur une mauvaise lecture de TaliLemant35,

31 En 1661, au dire de Tallemant; l'historiette se trouve datée par la mention de la récente publication d'Alcidamie, Marie-Catherine habite avec sa mère et sa soeur et dispose d'une chambre garnie. Cf. infra, n. 38.

32 Jugement du 7 juillet 1655, sentence du Châtelet. Le mari est condamné à restituer la dot de sa femme et "tout ce qu'elle justifiera lui être advenu ou échu tant par succession, donation ou autrement." Il doit également verser une pension alimentaire de deux cents livres par an avant que douaire soit constitué. (A.N. Y 87L8.)

33 Somaize a recueilli des bruits concernant 'ce cavalier de profession attaché au service du grand Alexandre (Turenne), troublé en ses amours par une prison dont il ignore la cause et qui a donné lieu à des billets doux, à des plaintes faites sur ce sujet." La clé, à la suite d'une faute de transcription ('la garde d'Alexandre") a vu en lui, de façon erronée, "un mousquetaire du Roi". Somaize, Le Grand dictionnaire des précieuses..., art. Dmamise, reproduit à l'annexe I. - Les "plaintes" en vers paraîtront en 1659 dans le Recueil de Sercy.

Cf. p. 107.

34 Esther de Fontenay. Guillaume se réconciliera avec son neveu après le mariage de ce dernier. On le voit en effet représenter François de SaintVal dans un acte notarié du 23 mars 1661 à Saint-Germain de la Coudre, dans le Perche. François mourra en 1686, laissant deux filles et une veuve (cf. A.N. XI A 5889 f0 209, et Derôme, art. cit., p. 19 et p. 25).

35 Il s'agit du passage où Tallemant raconte une visite de Molière à Mile Desjardins. Lorsqu'il entre chez elle, "une femme qui était au lit"

l'interpelle et tente de se faire reconnaître de lui, en déclarant que "lorsqu'il était à Narbonne, on ne venait au théâtre que pour (la) voir". Il est impossible que cette "femme" désigne Mlle Desjardins, que Molière connaît depuis plus de cinq ans et dont il est justement en train, à la date où écrit Talleniant, de jouer le Favory. La syntaxe de la phrase s'oppose d'autre part à cette interprétation. Cf. l'avis d'A. Adam, éd.

de Tallernent, t. II, p. 1591, et M. Cuénin, Mme de Villedieu (M.-C. Desjardins). Mise au point biographique', RADE, N° 5, 1970, pp.

16-17.

(34)

défie le plus élémentaire bon sens. Tout porte à croire plutôt qu'elle demeura près de sa mère et s'employa avec elle en sollicitations pour faire exécuter le jugement dont l'application leur était vitale. Mais Guillaume Desjardins ne songe guère à se mettre en règle. Bien au contraire, il ne peut résister à l'envie d'acheter à Jacques de Saint-Denis la terre seigneuriale de Clinchemore : mais pour une fois, c'était une bonne affaire. Sise à l'orée de la forêt de Perseigne, dans une large et riante vallée, elle comportait une maison à tourelles, des dépendances diverses et des métairies36 : il s'y fixe à demeure, sans doute avec son jeune fils de quinze ans. Pendant ce temps, Marie-Catherine griffonne, de chagrin, ses premiers vers37.

De son côté Catherine Ferrand reprend ses habitudes. Plus que jamais, elle a besoin de Marie de Bretagn38. Elle lui présente sa fille, qui a bien grandi; il en est de même de la petite Anne de Rohan, qui a tout juste quinze ans, comme MarieCatherine.

Mlle de Montbazon éprouve aussitôt une vive sympathie pour elle, partagée par sa demi-soeur la duchesse de Chevreuse (29)39, dont l'admirable hôtel40se dresse aussi en face du logis des Desjardins. Mal remise de la mort brutale de Charlotte41,

36 Clinchemore, mutilé, est toujours debout, dans un cadre à peine modifié, commune de Saint-Rémy du Val, autrefois Saint-Rémy du Plain.

37 Dans une lettre de 1667, Mlle Desjardins reconnaîtra qu'elle a dû à l'amour sa vocation poétique (cf. Chap. IV, p. 155).

38 Le duc Hercule était mort l'année précédente, en 1654. La duchesse de Montbazon est veuve.

39 En 1655, Marie de Rohan a cinquante-deux ans. Elle a pris sous son toit Geoffroy de Laigues, grand Frondeur comme elle, fort pieux, et très lié à Port-Royal, dont les religieuses seront les héritières.

40 Ce fut d'abord l'hôtel de Luynes. Il avait été édifié pour le connétable per l'architecte Métezeau, s'inspirant des plans du Louvre de Lescot. C'était l'une des plus belles demeures de Paris, et les jardins, grâce à un don de Louis XIII, s'étendaient jusqu'aux remparts. Il était mitoyen de l'hôtel de Rainbouillet.

41 Mlle de Chevreuse, fiancée au prince de Conty, était morte le 16 novembre 1652, à vingt-cinq ans.

(35)

famille si proche que Marie-Catherine l'a faite un peu sienne. Funeste année 1657 ! Le 2 janvier meurt le duc de Chevreuse;

le 5 mai, en une nuit, la duchesse de Montbazon; puis tout se désagrège. Incapable de subvenir aux frais de l'hôtel parisien, la duchesse de Chevreuse le vend au duc de Candale42, qui lui-même, à peine propriétaire, trouvera la mort en Catalogne.

Vieillie par les deuils et les déceptions politiques, en proie aux embarras financiers, la duchesse n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle se retire à ampierre qu'elle vient d'acquérir43. Non loin de 12, son fils, le duc de Luynes, vit pieusement dans sa superbe "solitude" de Vaunurier. Marie de Rohan entraîne avec elle la jeune orpheline, Anne, qui ne demande pas mieux, car elle nourrit aussi le goût de la retraite. MarieCatherine est navrée de ce départ; elle épie le retour de son illustre amie, et la prie, en vers, de revenir à Paris44. Il n'en est guère question45. Aussi est-ce l'inverse qui se produit on invite à Dampierre la fille de Catherine Ferrand, qui "divertira"46 ces dames. Elle en est fort capable, car

42 Futur personnage, et non des moindres, des Mémoires d'HenrietteSylvia de Molière.

43 "Se voyant assez hors d'oeuvre à Paris, elle avait pris le parti de s'en sortir et de s'en aller à Darnpierre" (Mémoires de Retz, éd. Allem.

Thomas, Pléiade, p. 672). La duchesse a acheté Dampierre à son époux, par acte du 15 octobre 1655, dressé, devant les notaires Ogier et Gallois, rue SaintThomas du Louvre. Elle doit verser un million de livres, dont 280.000 comptant. Parmi les prêteurs sollicités moyennant constitution de rentes et d'hypothèques, on relève les dames abbesses et religieuses de Port-Royal pour 4000 livres, Simon Arnauld de Pomponne pour 4000 livres et Jean Hamelin pour 6000. (L. Battifol, La Duchesse de Chevreuse, Hachette, 1920, p. 293.)

44 Cf. annexe I.

45 Mme de Chevreuse médite de marier Anne à Charles de Luynes, et la famille n'a plus à Paris, pour l'instant, de domicile fixe (cf.

Battifol, op. cit., p. 290).

46 Le mot est de Tallernant, historiette citée.

(36)

à Paris, sa mère ne la tient pas en laisse47. Elle lui a concédé rue Saint-Thomas du Louvre une petite chambre garnie où elle reçoit48. Son pétillant esprit lui attire des admirateurs, et qui sait si cette fille si douée ne réparera pas les injures de la fortune à l'égard de toute la famille ? L'aînée, faute de dot, n'est pas encore mariée : seule la cadette peut, avec un peu de chance, tirer tout le monde d'affaire49. Il se trouve que le Paris d'après la Fronde a changé de visage. Le bel esprit y règne en maître; la vie littéraire, la vie mondaine, la vie de la cour, stimulées par la jeunesse du roi, reprennent comme jamais. Que de choses à raconter à Dampierre! On questionne la petite Desjardins, moins il est vrai sur les nouvelles littéraires que sur celles du coeur, à commencer par le sien, car Marie-Catherine est amoureuse. Il ne faut pas moins que le désir de ses grandes amies pour lui faire quitter Paris à une date où son "tendre" risque d'y séjourner. Son "tendre" ? Antoine Boësset , sieur de Villedieu vient d'entrer dans sa vie50.

Il est superflu de présenter longuement son père, Antoine Boësset, que tous les musicologues connaissent bien51. Né à Blois en 1589, il avait pu mettre ses dons à l'épreuve auprès de l'illustre Pierre de Guesdron, alors maître de la Musique des Enfants du Roi. Boësset plaît au jeune Louis XIII qui le voit avec plaisir épouser Jeanne, la fille du maître, et recueillir

47 En 1660 en tout cas, et peut-être avant, Marie-Catherine vit "sous sa bonne foi", ce qui signifie que, bien que mineure, on lui laisse la liberté, et la responsabilité de ses actes.

48 "Quoiqu'elle y (à Paris) soit sous sa bonne foi, elle ne laisse pas de voir toute sorte de gens, et de les recevoir dans une chambre garnie."

Cette chambre est bien située rue Saint-Thomas du Louvre, puisque Sorrmize dit que Dinamise est logée "près du palais de Jupiter", c'est-à-dire le Louvre, et non l'Arsenal comme l'assure Livet (note du portrait). Les sentences du Châtelet de 1661 et 1662, mettant en cause la famille Desjardins, la ncntrent toujours domiciliée dans la même rue.

49 C'est bien ce que déclarent Barbin et Richelet. Cf. annexe I.

50 Sans doute Villedieu-le Chateau, Loir-et-Cher, canton de Montoire.

51 Cf. Fétis, Biographie universelle des musiciens, 1860, t. II; J.F. Paillard, La Musique française classique, Que Sais-Je, 1967; N.

Dufourcq, La Musique française sous les rois Bourbons; "J.B. Boësset, musicien et naître de musique des reines Anne d'Autriche et Marie-Thérèse", A. & J. Picard, 1962.

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ainsi la survivance de la charge. Antoine devient bientôt célèbre : ses airs de Cour, ses chansons, d'une écriture à la fois savante et voluptueuse, ravissent les connaisseurs52, et surtout le roi qui, de plus, éprouve pour leur auteur une affection toute personnelle53. Le fils aîné du musicien, Jean-Baptiste, est bientôt introduit à la Cour, et accompagne le monarque dans ses voyages54. Antoine Boësset est couvert d'honneurs. Maître de musique de Sa Majesté dès 1617, il était devenu en 1632 son conseiller privé et son maître d'hôtel, charges qu'il cumulait avec la surintendance depuis la mort de Pierre de Guesdron.

Aussi, lorsqu'en 1643, la même année que son cher prince, il quitte ce monde, laisse-t-il sa veuve et ses cinq enfants fort à

52 Boësset, la douce violence Que nous fait ton luth et ta voix, Si j'en veux parler quelquefois, M'arreste et m'impose silence.

Tes airs ont un charme puissant Qui me rend même en y pensant Muet comme une vaine idole, Et je suis contraint d'avouer Que si tu m'ostes la parole, Boësset, je ne te puis louer."

Gombauld, Œuvres, 1646, p. 262 sur un air de Boësset.

53 Au sieur de Boësset, intendant de la Musique de chambre du Roi.

Boësset, la fleur des plus accorts, Où prenez-vous ces beaux accords Qui nous charment si bien l'oreille Qu'il nous faut ou ne pas les ouïr Ou se laisser évanouir

D'aise, d'envie et de merveille ? Quand Boësset chante vos louanges, Grand Prince, son concert est tel Qu'on doute s'il vante un mortel Ou bien le monarque des Anges.

Lorsque Boësset chante à la Cour Du Prince, son plus cher amour, Sa voix tant de beauté explique Qu'Apollon l’oyant en ce lieu Ne pense plus être le Dieu Qui présidait à la musique.

(Jardin des Muses, 1643, p. 274.)

54 Cf. Derôme, art. cit., p. 9, reproduisant un codicille du testament d'Antoine Boësset, daté du 20 novembre 1643.

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l'aise55. Jean-Baptiste a près de trente ans et habite seul rue Neuve. Le reste de la famille réside rue du Mail, c'est -à-dire deux fils, Jacques56 et Antoine, et deux filles57 qui mourront en 1649. Le testament du père spécifiait que les fils devaient être élevés selon leur rang. On les destine évidemment à la carrière militaire. Antoine, dès 1647 - il a quinze ans - est pourvu d'une charge d'enseigne dans le prestigieux régiment de Picardie58, et fait d'amples dépenses pour paraître avec éclat lors de la première campagne59. L'année suivante il est émancipé : on lui constitue, ainsi qu'à son frère, un avoir personnel de douze milles livres, dans lequel il puise à pleines mains pour participer à toutes les opérations où son régiment se trouve engagé.

Le 8 juin 1656, il acquiert une lieutenance60. De son côté, Jean-Baptiste épousait en 1647 Marie Boisseau de Courtemont qui lui apportait en dot la belle terre de Dehaut, dans la baronnie de la Ferté-Bernard. Des relations ont pu se nouer très tôt entre les Desjardins et les Boësset, car Dehaut a justement été acheté aux Saint-Denis, comme Clinchemore, dont elle n'est distante que de quelques lieues. De fait, c'est sans doute en 165861 que Marie-Catherine vit Antoine de Villedieu62 pour la première fois.

55 Rien qu'à Paris, outre leur résidence de la rue du Mail, ils possèdent alors un hôtel spacieux loué au duc de Beaufort.

56 Cf. infra, n. 58.

57 Cf. Derôme, art. cit. et généalogie, présente étude, t. III.

58 Cette unité fait partie de l'année de Turenne qui se bat contre Condé et les Espagnols à la frontière des Flandres.

59 Cf. Derôme, p. 16.

60 Cf. Derôme, p. 14.

61 Le portrait que Marie-Catherine trace de son amant est, dit-elle, "son coup d'essai". Il est donc antérieur à celui de Mlle Gaboury, de Daphnis et d'elle-même qu'elle donnera à Ch. de Sercy en 1659 pour son Recueil de Portraits et éloges.

62 Il avait pris ce titre, hérité de son père, à l'age de douze ans.

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Ce fut un éblouissement. Séduisant, il devait l'être infiniment. Il était "bien fait" de sa personne, et avait reçu une éducation raffinée. Doué pour la musique comme son père, il dansait, chantait et jouait du luth à ravir, sans, ô miracle, donner dans la galanterie de mauvais aloi que stigmatise alors Ch. Sorel. En effet, il n'aime pas les mondanités, du moins pas encore. Aux fausses valeurs de la vie de cour, il préfère non seulement la gloire militaire, dont il arrive déjà tout auréolé, mais la solitude à deux dans la campagne63. Tout de suite, c'est entre eux la grande passion, le sonnet de Jouissance en fera foi64. Et la paix, la bienheureuse paix, va favoriser l'éclosion d'un sentiment qui n'avait pu mûrir encore. Pour la première fois depuis vingt-quatre ans, au printemps 1659, les hostilités ne reprenaient pas, et Marie-Catherine, qui jusque là avait bien défendu son coeur65, ne put le contenir. Cet hiver 1659, à Paris, l'on dansa comme jamais, et le régiment de Picardie étant cantonné sur la Somme, le jeune lieutenant ne se privait pas d'escapades vers la capitale. Riche66, installé à son aise rue des Vieills-

63 "Ce n'est ni le jeu ni aucune sorte de débauche qui font ses divertissements. Il n'aime que la chasse, la musique, la peinture, les belles lectures, et les autres semblables occupations. Jamais personne n'a eu une voix plus agréable, plus touchante et mieux conduite et jamais personne n'a rendu le Tuorbe si charmant qu'il fait quand il le touche. La moindre de ses perfections est de danser avec une grâce et une justesse tout à fait merveilleuse. Il réussit parfaitement et glorieusement aux armes. Son adresse est sans pareille dans tous les exercices et l'on peut dire avec vérité qu'il fait toutes choses dans la dernière perfection. Sa valeur, son courage, trouveraient aussi difficilement des semblables que sa générosité et sa constance dans les périls. Son esprit est infiniment agréable, brillant, doux et très bien tourné; sans affectation et sans vouloir paraître savant, il parle judicieusement de toutes choses. Dans un âge à peine sorti des emportements de la grande jeunesse, il possède une prudence achevée et un jugement de cinquante ans." Publié en 1668, à la suite des Lettres et billets galants. Sur l'identification de ce portrait, cf. Introd. de l'édition récente de ce recueil, Société d'Etude du XVIIème siècle, 1975. Voir aussi le portrait de Clidamis dans Anaxandre.

64 Cf. Chap. III, p. 1O3_1OL.

65 Elle a réputation de cruelle. Cf. Lettre à Patru, datée de mars 1660, annexe III. Cette lettre a été copiée par Conrart (Ars. 518) et a paru dans les pièces nouvelles de l'édition des Oeuvres de 1664.

66 A sa majorité qui intervient quelques mois plus tard (avril 1660), il se trouve possesseur d'un capital de quatre-vingt-quinze milles livres.

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