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L’acquisition du lexique et l’exclusivité mutuelle chez les enfants de 21 mois

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Academic year: 2022

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Master

Reference

L'acquisition du lexique et l'exclusivité mutuelle chez les enfants de 21 mois

BOUJET, Marjorie

Abstract

En une année de vie, le bébé passe de la production de quelques mots à l'apprentissage de plusieurs nouveaux termes par jour. Ce phénomène d'explosion lexicale (vers 17 mois) est sous-tendu par l'application d'un ensemble d'indices. Markman (1989, 1990) suggère que cette accélération est due à l'application de contraintes lexicales. Parmi celles-ci, l'exclusivité mutuelle (EM) témoigne de la capacité des enfants à associer un nouveau mot à un objet inconnu lorsqu'ils sont face à un couple d'objets (un nouveau et un familier déjà nommé), excluant l'objet familier des associations possibles. Toutefois, les résultats de la plupart des expériences concernant cette contrainte sont remis en doute par le fait qu'ils peuvent également être expliqués par des effets de nouveauté et qu'ils ne prouvent pas directement que ce comportement mène à l'apprentissage de nouveaux mots...

BOUJET, Marjorie. L'acquisition du lexique et l'exclusivité mutuelle chez les enfants de 21 mois. Master : Univ. Genève, 2015

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:74529

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L’acquisition du lexique et l’exclusivité mutuelle chez les

enfants de 21 mois

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA MAITRISE UNIVERSITAIRE EN LOGOPEDIE

PAR

Marjorie BOUJET

Directeurs de recherche : Julien MAYOR, Pascal ZESIGER En collaboration avec: Virginie POUILLARD

JURY: Julien MAYOR, Pascal ZESIGER, Mélanie HAVY

Genève, juin 2015

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L’EDUCATION SECTION PSYCHOLOGIE

(3)

Je tiens à remercier

Monsieur Julien Mayor et Monsieur Pascal Zesiger d’avoir accepté de diriger ce mémoire en nous proposant un sujet de recherche autonome. Je leur adresse toute ma reconnaissance pour leurs conseils et leur esprit critique qui nous ont permis d’enrichir continuellement nos réflexions et questionnements durant ce travail de Master. Je témoigne particulièrement ma gratitude à Monsieur Mayor pour nous avoir consacré de longues heures de disponibilité et un soutien sans faille.

Madame Mélanie Havy pour son investissement en tant que membre du jury.

Madame Tamara Patrucco-Nanchen pour avoir participé à l’enregistrement des stimuli de notre étude. Merci également de nous avoir guidées et conseillées dans l’expérimentation auprès d’enfants en nous autorisant à l’observer lors de ses propres passations.

Les équipes nous ayant autorisées à utiliser le LaboBébé ainsi que l’eye-tracker.

L’ensemble de nos participants, adultes et enfants ainsi que leurs familles, qui ont gentiment collaboré à ce projet et nous ont permis de réaliser ce travail.

Virginie Pouillard, ma collègue de recherche, pour la qualité de son travail et sa bonne humeur à toute épreuve.

Ma famille et mon compagnon qui m’ont toujours soutenue et qui croient en moi depuis toutes ces années.

(4)

Liste des abréviations ... 1

Résumé ... 2

1.

Introduction

... 4

2. Partie théorique

... 6

2.1 Cadre théorique ... 6

2.1.1 Construction du lexique ... 6

2.1.2 Grandes hypothèses/explications du développement lexical précoce... 7

a) Indices socio-pragmatiques ... 8

 Attention conjointe et ligne du regard ... 8

 Pointage ... 8

 Indicateurs émotionnels de satisfaction ... 9

b) Indices attentionnels ... 9

c) Bootstrapping syntaxique ... 9

d) L’hypothèse des contraintes lexicales ... 10

 Hypothèse taxonomique ... 10

 Hypothèse de l’objet entier ... 11

2.1.3 Focus de la recherche : l’hypothèse de l’exclusivité mutuelle comme contrainte purement lexicale pour résoudre l’ambiguïté... 12

a) Définition ... 12

b) Paradigme ... 14

c) Etudes antérieures ... 15

d) Limites de ces études ... 15

 Fast mapping (appariement) / slow learning (apprentissage) ... 15

 L’effet de nouveauté ... 16

2.1.4 L’approche de Mather & Plunkett (2011) ... 17

2.1.5 L’approche de Smith & Yu (2007, 2008) ... 19

2.2 Importance des paramètres expérimentaux ... 22

2.2.1 Choix de la tâche ... 22

2.2.2 Age des enfants ... 23

2.2.3 Rôle de la répétition ... 24

(5)

2.3 Apports de notre recherche ... 27

2.4 Hypothèse théorique ... 28

3. Partie méthodologique

... 29

3.1 Participants ... 29

3.2 Matériel ... 30

3.3 Stimuli ... 30

3.3.1 Stimuli auditifs ... 30

a) Les mots familiers ... 31

b) Les mots nouveaux ... 31

3.3.2 Stimuli visuels ... 32

3.4 Design expérimental ... 33

3.4.1 Les phases ... 33

a) La phase d’apprentissage ... 34

b) La phase test ... 36

3.4.2 Design d’un essai ... 39

3.5 Procédure ... 39

3.6 Variables ... 41

3.6.1 Variables indépendantes ... 41

a) Variable spécifique à la phase d’apprentissage... 41

b) Variables spécifiques à la phase de test ... 41

c) Variables communes aux deux phases ... 41

3.6.2 Variable contrôle ... 42

3.6.3 Variables dépendantes... 42

3.7 Hypothèses opérationnelles ... 43

3.7.1 Phase d’apprentissage ... 43

a) Effet d’interaction triple entre le type d’essai, le naming et la répétition ... 43

3.7.2 Phase de test ... 45

a) Effet d’interaction entre le type d’essai et le groupe A/B ... 45

b) Effet d’interaction entre le type d’essai et le naming... 47

(6)

4.1 Analyse préalable concernant la variable contrôle « groupe 1/2 » ... 48

4.1.1 Phase d’apprentissage ... 48

4.1.2 Phase test ... 49

4.1.3 Conclusion concernant le facteur groupe 1/2 ... 49

4.2 Analyses concernant la phase d’apprentissage ... 49

4.2.1 Effet du naming en fonction des essais au cours des répétitions ... 49

a) Longest look ... 49

b) Proportional target looking ... 50

4.2.2 Effet du naming en fonction du type d’essai ... 52

4.2.3 Effet principal du naming ... 53

4.2.4 Conclusion concernant la présence de l’exclusivité mutuelle ... 53

4.2.5 Effet supplémentaire observé : effet principal du type d’essai ... 53

4.3 Analyses concernant la phase de test ... 54

4.3.1 Effet du type d’essai en fonction du groupe A ou B ... 54

4.3.2 Effet du naming en fonction du type d’essai ... 56

4.3.3 Effet principal de la répétition ... 57

5. Discussion et conclusion

... 58

5.1 Rappel du but et des principaux résultats de notre recherche ... 58

5.2 Discussion des données ... 60

5.2.1 L’effet de l’exclusivité mutuelle (phase d’apprentissage) ... 60

5.2.2 Confrontation des deux théories (phase test) ... 62

5.2.3 Ordre de présentation des blocs (phase test) ... 65

5.2.4 Effet de la répétition (phase test) ... 65

5.3 Limites de notre étude et ouverture sur des recherches futures ... 66

5.4 Conclusion ... 67

Bibliographie ... 70

Annexes ... 78

(7)

Liste des abréviations

EM : exclusivité mutuelle OF : objet familier

NO : nouvel objet NM : nouveau mot RC : « regarde ça » MF : mot familier

LL : longest look (fixation la plus longue)

PTL : proportional target looking (proportion de regard vers la cible)

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Résumé

En une année de vie, le bébé passe de la production de quelques mots à l’apprentissage de plusieurs nouveaux termes par jour. Ce phénomène d’explosion lexicale (vers 17 mois) est sous-tendu par l’application d’un ensemble d’indices. Markman (1989, 1990) suggère que cette accélération est due à l’application de contraintes lexicales. Parmi celles-ci, l’exclusivité mutuelle (EM) témoigne de la capacité des enfants à associer un nouveau mot à un objet inconnu lorsqu’ils sont face à un couple d’objets (un nouveau et un familier déjà nommé), excluant l’objet familier des associations possibles.

Toutefois, les résultats de la plupart des expériences concernant cette contrainte sont remis en doute par le fait qu’ils peuvent également être expliqués par des effets de nouveauté et qu’ils ne prouvent pas directement que ce comportement mène à l’apprentissage de nouveaux mots. De plus, des expériences entreprises par Smith et Yu (2008) suggèrent que les enfants peuvent identifier correctement les associations mots-objets dans des situations complexes (plusieurs nouveaux mots et objets) à travers l’accumulation d’essais pour lever l’ambiguïté.

Ces observations sont compatibles avec un apprentissage basé sur un mécanisme associatif de bas niveau, non limité au domaine linguistique comme l’EM.

Notre étude vise à tester si un modèle associatif peut capturer les comportements des enfants de 21 mois durant un apprentissage par EM, en étudiant leurs mouvements oculaires au moyen d’un eye-tracker. Autrement dit, nous souhaitons vérifier que les sujets créent une association « nouveau mot-nouvel objet » (validant l’idée que l’EM permet d’apprendre de nouveaux mots et qu’elle n’est pas due à un effet de nouveauté) et démontrer que celle-ci n’est pas sélective témoignant également la formation d’une association « nouveau mot-objet familier ». Pour cela, nous avons répliqué l’expérience de Mather et Plunkett (2011) en entraînant et testant les enfants sur deux nouveaux mots. Durant l’apprentissage, chaque nouvel objet est apparié à un objet familier et l’enfant entend un nouveau mot. Dans la phase test, une condition présente les deux nouveaux objets en présence d’un des nouveaux mots et une autre -en sus de celle des auteurs- présente les deux objets familiers en présence d’un nouveau mot.

Les résultats de notre expérience n’ont pas permis de démontrer la présence de l’EM chez les enfants de 21 mois. De plus, ils ne mettent pas significativement en évidence que les sujets ont formé une association « nouvel objet-nouveau mot » ni une association « objet familier-

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nouveau mot » ne permettant pas de conclure en faveur de l’une des hypothèses (EM ou mécanisme associatif). Toutefois, l’analyse détaillée des données tend davantage dans le sens de la théorie de Markman (1989). Ces résultats sont discutés en termes de biais méthodologiques (items et population) ainsi qu’en fonction des constats d’autres études.

(10)

1. Introduction

Durant ses deux premières années de vie, le jeune être humain acquiert un ensemble de compétences qui lui permettra de parler et deviendra rapidement un « expert dans le domaine de l’acquisition de nouveaux mots » (Poulin-Dubois, 1997).

Très précocement au cours de son développement ontogénétique, l’homme est exposé à la parole et au langage. Au cours du dernier trimestre de gestation, le fœtus est déjà capable de percevoir les sons externes et plus particulièrement les voix (Querleu, Renard, Versyp, Paris- Delrue, Crèpin, 1988). Avant l’âge de 6 mois, le nourrisson produit des sons inarticulés comme des pleurs, des rires ou des cris (Singleton & Ryan, 2004) et discrimine la majorité des contrastes phonétiques de toutes les langues (Dehaene-Lambertz & Pena, 2001).

Progressivement, il va se spécialiser vers les phonèmes de sa langue maternelle (Anderson, Morgan, & White, 2003) et commencer à babiller (Petitto & Marentette, 1991). Ces capacités perceptives, spécifiques et précoces, formeront le socle pour l’acquisition du langage oral (Bertoncini, 1984).

Au cours de sa première année de vie, l’enfant apprend à communiquer avec son entourage en développant les prérequis nécessaires à l’émergence de son langage et à sa compréhension du monde (attention conjointe, respect des tours de rôle, intersubjectivité, intentionnalité, pointage proto-déclaratif et imitation) (Van der Horst, 2010). Très rapidement, il parvient à mettre en place un système de communication efficace dans lequel il intègre les diverses contraintes de sa langue en maîtrisant progressivement la phonologie, l’acquisition de nombreux mots et leur sens ainsi que l’utilisation des règles morphologiques et syntaxiques.

Parmi les processus qui participent à l’émergence du langage, la constitution du lexique (stockage mental des mots de la langue) joue un rôle essentiel comme marqueur principal de l’entrée dans le système linguistique qui est une fonction propre à l’être humain (Florin, 2010) et plus spécifiquement caractéristique d’une communauté partageant le même système. Son développement fulgurant, au cours des trois premières années de vie, est un sujet auquel linguistes et psycholinguistes ont porté une attention particulière depuis de nombreuses années.

Les recherches dans le domaine suscitent toujours questionnements et débats quant à la croissance du lexique ou encore quant à sa composition intra- ou inter-langues.

(11)

Si nous nous intéressons de plus près à la trajectoire développementale du lexique, nous constatons que le bébé comprend ses premiers mots vers six mois (Bergelson & Swingley, 2012), une centaine de mots à un an et plus de cinq-cents mots à un an et demi (Mayor &

Plunkett, 2011). Sur le plan expressif, un retard de trois à cinq mois est mis en évidence par diverses études longitudinales par rapport au niveau réceptif (Benedict, 1979 ; David, 2000).

Les premiers mots conventionnels (quatre ou cinq mots) sont produits autour d’un an et le seuil des cinquante mots est, en moyenne, atteint autour de dix-sept mois (Fenson & al., 1994). Ce stade, que l’on nomme communément « explosion lexicale » (Dapretto & Bjork, 2000), marque un tournant majeur dans l’acquisition avec un accroissement très rapide du vocabulaire.

L’enfant passe de la production d’une poignée de mots à un stade où il apprend jusqu’à neuf mots par jour (Carey, 1978). On estime qu’à deux ans, un enfant est capable de produire entre septante-six (percentile 10) et mille-deux-cents mots (percentile 90) (Mayor & Plunkett, 2011) et que son lexique atteint la taille moyenne de quatorze mille mots à six ans (Carey, 1978).

Notons qu’il existe une grande variabilité interindividuelle et que ces chiffres sont fournis à titre indicatif.

Il faut garder à l’esprit que les enfants réalisent une véritable prouesse au vu des difficultés qu’ils rencontrent au cours du développement lexical. En effet, acquérir de nouveaux mots (ex : table) n’est pas un exercice aisé et requiert un ensemble d’aptitudes complexes impliquant l'apprentissage de la forme sonore (ex : /tabl/), du sens (ex : meuble composé d’un plateau horizontal qui repose sur des pieds et permet de servir des repas) et de la syntaxe (ex : nom féminin singulier) (Gout, 2001). L’enfant doit pouvoir isoler une suite de phonèmes, relier ce mot à un référent approprié et généraliser correctement son usage (Millotte, 2008).

On peut alors se demander quels sont les mécanismes sous-jacents permettant aux enfants d’apprendre autant de mots aussi facilement et rapidement ?

(12)

2. Partie théorique

2.1 Cadre théorique

2.1.1 Construction du lexique : de la segmentation du signal à l’extraction du sens des mots

Comme mentionné précédemment, les connaissances lexicales constituent l’une des composantes les plus importantes de l’acquisition du langage - sur tous les versants (réceptif et production ; oral et écrit) - que le très jeune enfant doit apprendre. En d’autres termes, il doit parvenir à construire son lexique mental qui contient l’ensemble des mots de la langue c’est-à- dire l’ensemble des relations arbitraires entre un son (représentation phonologique du mot) et son sens.

La première difficulté rencontrée concerne le décodage et la représentation du signal acoustique. Dans le langage oral, il n’existe pas de frontière entre les mots comme à l’écrit.

L’enjeu est donc d’arriver à identifier chacun d’eux dans les énoncés pour construire son lexique et traiter la parole. L’adulte, qui dispose d’un lexique déjà construit, va segmenter le signal en se basant sur ses connaissances lexicales. Le bébé, quant à lui, se retrouve confronté au paradoxe d’initialisation qui reflète son incapacité à pouvoir se baser sur des stratégies post- lexicales comme le fait l’adulte. Il doit donc nécessairement segmenter la parole pour construire son lexique. Jusczyk et Aslin (1995) ont montré que les bébés, dès sept mois et demi, arrivent à identifier des mots au sein de phases. Dans leur étude, les enfants ont été familiarisés à des mots (ex : « cup » et « dog »), puis des phrases leur ont été proposées (contenant ou non ces mots). Les sujets de sept mois et demi ont témoigné un temps d’écoute supérieur pour les phrases contenant les mots-cibles suggérant l’extraction de la forme sonore. Une autre expérience a été réalisée en familiarisant les enfants à des phrases. Les expérimentateurs ont montré que les bébés reconnaissent, dans la phase test, les mots présentés isolément, renforçant l’idée qu’une segmentation est opérée précocement. Pour ce faire, les enfants s’appuient sur des stratégies pré-lexicales basées sur des indices acoustiques et statistiques : (1) la forme typique des mots se base sur l’accentuation des syllabes. En anglais, par exemple, ces dernières sont accentuées en début de mot. De ce fait, lorsque les bébés parviennent à identifier cette syllabe- forte, ils peuvent faire l’hypothèse qu’il s’agit du commencement d’un mot (Jusczyk, Houston

& Newsome, 1999) ; (2) les régularités distributionnelles signifient que deux syllabes qui se produisent fréquemment l’une à la suite de l’autre ont plus de chance de former un mot (Saffran,

(13)

Aslin & Newport, 1996) ; (3) les contraintes allophoniques sont des contraintes sur la co- occurence possible de sons au sein d’un mot dans la langue (Mattys & Jusczyk, 2001) ; (4) les indices allophoniques correspondent aux variations de prononciation d’un son en fonction du contexte d’apparition (ex : nitrates versus night rates) (Jusczyk, Hohne & Bauman, 1999).

La seconde difficulté a trait à l’appariement sons-sens qui est essentiellement arbitraire.

L’enfant doit déterminer à quels éléments de l’environnement les mots se réfèrent. Pour réaliser cela, il se heurte à deux obstacles majeurs.

D’une part, il est face à ce que l’on appelle communément l’ambiguïté référentielle : comment le bébé sait-il que les mots réfèrent au monde ? Comment identifie-t-il à quelle partie du monde correspond un mot ? Quine (1960) aborde le problème de l’induction (ambiguïté référentielle) à travers la situation du linguiste qui rencontre des utilisateurs natifs d’un langage complètement inconnu. Un lièvre bondit entre le linguiste et les natifs, et l’un des natifs dit « gavagaï ». A ce moment-là, le linguiste peut se demander si le natif parle du lièvre, de son comportement, de sa couleur, d’une partie de son corps, de l’action ou d’une autre caractéristique ? Le bébé va très vite faire face à cette multiplicité des sens et doit être capable de restreindre les nombreuses hypothèses possibles. Pour cela, il va pouvoir s’appuyer, selon Markman (1989, 1990), sur diverses contraintes qui lui permettront d’induire le sens des mots.

D’autre part, nous ne parlons pas toujours de ce qui est présent ou proche dans notre environnement. En effet, il est possible de parler d’événements futurs ou passés, d’objets ou de personnes non présents physiquement… Malgré cette difficulté supplémentaire, les enfants parviennent à développer leur lexique, au même titre que les enfants aveugles pour lesquels aucun mot ne se réfère à un objet visible dans le monde (Landau & Gleitman, 1985).

2.1.2 Grandes hypothèses/explications du développement lexical précoce

L'acquisition du sens des mots chez les très jeunes enfants s’inscrit dans un champ de recherche actif qui suscite débats et intérêts aussi bien du point de vue développemental que psycholinguistique. Plusieurs études ont montré que les jeunes apprentis exploitent de multiples sources d’informations pour déterminer le sens des nouveaux mots (apparier un mot et un objet) dans des contextes divers. Des facteurs privilégiés ont été identifiés dans ce développement à savoir des contraintes lexicales et cognitives, des indices socio-pragmatiques, attentionnels ou encore linguistiques qui jouent un rôle significatif dans le développement du lexique durant les deux premières années de vie.

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a) Indices socio-pragmatiques

Une des explications de la désambiguïsation provient de la théorie socio-pragmatique qui prône l’idée que l’enfant est guidé par un expert pour choisir le référent correct (Carpenter, Akhtar & Tomasello, 1998) et qu’il recherche activement des indices émanant du locuteur pour apparier un nouveau mot à l’objet correspondant. Baldwin et Tomasello (1998) précisent qu’à la fin de la deuxième année, les enfants sont non seulement capables de détecter les informations sociales utiles mais également de les utiliser à bon escient. Trois grands indices peuvent être relevés à savoir l’attention conjointe et la ligne du regard (Baldwin, 1995), le pointage (Baldwin

& Markman, 1989) et les indicateurs émotionnels de satisfaction (Tomasello & Barton, 1994).

 Attention conjointe et ligne du regard

Au cours des années 70-80, Bruner (1981), Tomasello et Farrar (1986) ont déjà porté un intérêt grandissant à l’attention conjointe identifiée comme étant une composante importante pour le développement du langage. Ce mécanisme réfère à la capacité de l’enfant à coordonner son attention avec un partenaire (parent) vis-à-vis d’un objet. Elle faciliterait le processus de référence (Baldwin, 1991). En effet, les enfants de dix-neuf mois ont tendance à associer un nouveau mot à l’objet que l’adulte regarde au moment de la dénomination (Baldwin, 1995).

L’étude de Morales, Mundy, Delgado, Yale, Messinger, Neal & Schwartz (2000) a mis en évidence que les enfants démontrant une bonne aptitude à suivre le regard de l’adulte entre six et dix-huit mois auront un vocabulaire expressif et réceptif plus conséquent à l’âge de trente mois.

 Pointage

Dès 11 mois, les enfants sont déjà performants dans l’action de pointer (Carpenter, Nagell, Tomasello, Butterworth & Moore, 1998 ; Butterworth & Morissette, 1996). Dès dix mois, ils établissent une relation entre le pointage et l’appariement comme le précisent Baldwin et Markman (1989) qui constatent que les temps de fixation vers un nouvel objet augmentent chez les enfants entre dix et vingt mois quand le nouveau mot est accompagné du pointage.

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 Indicateurs émotionnels de satisfaction

Tomasello et Barton (1994) ont montré que les enfants de vingt-quatre mois sont capables d’apprendre un nouveau mot pour un objet en s’adaptant à l’intention de l’adulte. En effet, ils choisissent le référent pour lequel l’adulte indique un sourire ou un sentiment positif et rejettent tous les autres candidats bien qu’il y en ait plusieurs. Dans leur étude, l’expérimentateur fait comprendre à l’enfant qu’il recherche un « toma ». Il lui présente un premier objet en fronçant les sourcils, puis un second en ayant le même comportement et enfin un dernier accompagné d’une expression de satisfaction. Les auteurs constatent que les enfants associent le nouveau mot au dernier objet.

b) Indices attentionnels

La théorie associationniste, soutenue entre autres par Smith (1995) et Plunkett (1997) admet l’idée que l’ambiguïté linguistique est levée grâce de mécanismes mnésiques et attentionnels généraux comme la saillance perceptive, les co-occurrences et la fréquence dans le langage. Samuelson et Smith (1998) ont mis en évidence que la dynamique entre mémoire et attention conduit à l’augmentation de la saillance de l’objet et que celle-ci joue ainsi un rôle dans l’apprentissage de nouveaux mots. Pour cela, les auteurs ont répliqué la procédure d’Akhtar, Carpenter et Tomasello (1996) en apportant quelques modifications contextuelles.

Trois premiers objets sont présentés dans un contexte similaire où l’enfant, son parent et l’expérimentateur jouent au sol. Par la suite, un nouvel objet est introduit dans un contexte différent où les protagonistes jouent à table. L’expérimentateur place ensuite les quatre objets dans une boîte et dit à l’enfant, en le regardant dans les yeux, « c’est un gazzer, regarde c’est un gazzer… » (condition expérimentale versus condition contrôle « regarde ça ! » ). Après avoir joué avec ces quatre objets, il est demandé à l’enfant de fournir le gazzer. Les résultats montrent que les sujets de deux ans (dans la condition expérimentale) choisissent le bon objet. Le contexte différent a rendu l’objet plus saillant qui est apparié directement au nouveau mot.

c) Bootstrapping syntaxique

Cette hypothèse met en exergue le rôle de certains aspects de la structure syntaxique (Gillette, Gleitman & Lederer, 1999), acquis indépendamment du lexique, pour inférer le sens des mots et plus particulièrement des verbes. A partir de deux-trois ans, les enfants seraient

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capables d’utiliser des informations grammaticales pour guider leur attribution du sens des mots. En effet, pour les auteurs soutenant cette idée (Landau & Gleitman, 1985), le contexte visuel ne serait pas le seul outil à être usité par les enfants. Ces derniers exploiteraient également les relations entre la syntaxe des mots et leur sens. La structure de la phrase procurerait un

« filtre » quant aux sens possibles avec la présence d’indices qui offriraient aux enfants la possibilité d’établir des catégories syntaxiques (articles généralement suivis par des noms, pronoms suivis par des verbes…) et ainsi de réduire le nombre d’hypothèses possibles quant au sens du mot. L’expérience de Millotte, Wales, Dupoux & Christophe (2006) a montré que les adultes sont capables de dire qu’un non-mot comme bamoule est un verbe dans je bamoule alors qu’ils le considèrent comme un nom dans une bamoule.

d) L’hypothèse des contraintes lexicales

Dans le courant des années 1980, Clark (1983) et Markman (1988, 1989, 1994) furent les premières à introduire l’idée que les enfants résolvent le problème d’induction en un nombre restreint d’exposition grâce à des contraintes lexicales leur permettant de déterminer le sens correct du mot. Markman (1990) définit trois contraintes importantes qui guideront les enfants dans l’acquisition précoce du langage : la contrainte taxonomique, celle de l’objet entier et l’exclusivité mutuelle.

 Hypothèse taxonomique

Cette première hypothèse est une contrainte qui soutient l’idée que tout nouveau mot appris doit être généralisé à de nouvelles entités. En principe, cette généralisation peut s’effectuer soit sur la base thématique, à savoir les relations contextuelles qui unissent les objets entre eux (ex : chien et os), soit sur la base taxonomique qui unit les entités appartenant à la même catégorie (ex : chien et chat). L’hypothèse taxonomique postule que l’extension taxonomique est plus fréquente que l’extension thématique (Markman & Hutchinson, 1984). Dans une série d’études, ces auteurs ont observé comment les enfants d’âge préscolaire (entre deux et cinq ans) organisent un ensemble d’objets lorsque ces derniers sont désignés ou non par de nouveaux mots. Dans chaque expérience, la procédure est identique. Dans un premier temps, une image cible est présentée aux enfants, puis, deux autres images sont ensuite introduites : l’une entretient un lien thématique avec la cible, l’autre un lien taxonomique. Dans la première condition (« No Word condition »), l’item-cible (exemple : voiture de police) est présenté à

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l’enfant sans être nommé. Puis les deux autres stimuli sont proposés (exemple : une voiture et un policier) et l’enfant doit « trouver celui qui est le même ». Dans la seconde condition (« Novel Word condition »), l’item-cible est nommé avec un nouveau mot (exemple : « dax »).

Il est demandé à l’enfant de « trouver un autre dax ». Les auteurs ont mis en évidence que les enfants ont tendance à regrouper les objets par lien thématique quand aucun mot n’est utilisé (condition 1). Cette observation est tout à fait typique chez les enfants d’âge préscolaire (Inhelder & Piaget, 1964 cités par Poulin-Dubois, 1997). En revanche, si l’item-cible est nommé avec un nouveau mot (condition 2), les sujets sélectionnent préférentiellement l’objet entretenant un lien taxonomique avec la cible. Ces résultats suggèrent que la présence d’un nouveau mot conduit les enfants à chercher les relations taxonomiques plutôt que thématiques.

Ce fonctionnement leur permet ainsi de réduire le nombre de significations possibles pour un mot et de simplifier le problème d’apprentissage précoce de la langue. D’autres auteurs ont apporté des preuves empiriques quant à l’utilisation de cette « présupposition taxonomique » (Markman et Hutchinson, 1984) que l’on retrouve également sous le nom de « principe nom = catégorie » (Waxman, 1994) ou encore le principe « categoriel scope » (Hollich et al., 2000).

Waxman et Markow (1995) soutiennent même l’idée que cette contrainte serait déjà mise à profit par les bébés de douze mois pour les guider dans le processus d’appariement.

 Hypothèse de l’objet entier

La contrainte de l’objet entier, soutenue par des auteurs tels que Landau, Smith et Jones (1988), Markman et Watchel (1988) ou encore Woodward (1993), prône l’idée qu’un nouveau mot est préférentiellement apparié à l’objet dans son entièreté plutôt qu’à une partie, un attribut ou une propriété de cet objet (exemple : couleur, poids…). Cette contrainte présente toutefois un désavantage car elle suggère que l’enfant n’acquerra jamais de mots pour les parties ou les propriétés d’un objet. L’exclusivité mutuelle répondra à cette limitation et sera présentée plus en détail par la suite. Markman et Watchel (1988) ont mené une série d’études testant des enfants entre trois et quatre ans et dans lesquelles deux conditions expérimentales sont mises en place : (1) une condition familière dans laquelle l’enfant connait le nom de l’objet (exemple : poisson) mais ne connaît pas une de ses parties (exemple : nageoire) ; (2) condition non familière dans laquelle l’enfant ne connaît ni le nom de l’objet (exemple : poumon) ni ses parties (exemple : trachée).

Les expérimentatrices ont trouvé que, dans la condition non familière, les enfants attribuent le mot « trachée » à l’objet entier. A contrario, dans la condition familière, ils font appel à la

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contrainte de l’exclusivité mutuelle car ils disposent déjà d’un nom pour l’objet « poisson » et vont ainsi déterminer la « nageoire » comme étant une partie de l’objet. L’hypothèse de l’objet entier est donc complémentaire à celle de l’exclusivité mutuelle en cas de conflits c’est-à-dire lorsqu’il existe deux mots pour un objet entier.

Landau, Smith et Jones (1988) ont entrepris plusieurs études auprès d’enfants de deux à trois ans. Ils ont montré que ces derniers, lors de la présentation d’un nouveau mot et de nouveaux objets, généralisent le nouveau terme à d’autres objets qui partagent une similarité au niveau de la forme plutôt qu’au niveau de la couleur, de la taille ou de la texture. Ce « biais de la forme » est une preuve supplémentaire que les enfants mettent à profit des informations holistiques plutôt qu’analytiques dans l’appariement et la généralisation mot-objet.

2.1.3 Focus de la recherche : l’hypothèse de l’exclusivité mutuelle comme contrainte purement lexicale pour résoudre l’ambiguïté

a) Définition

L’exclusivité mutuelle (EM) est une contrainte lexicale proposée par Markman (1989) et Markman et Watchel (1988). Elle repose sur le principe que les enfants, dès dix-huit mois (Liitschwager & Markman, 1994), assument l’idée que chaque objet possède un nom et un seul.

Le mot « chien » désigne donc seulement l’animal chien et non une vache, un chat ou tout autre objet. Dans une situation ambiguë, c’est-à-dire lorsque l’enfant entend un nouveau mot susceptible de désigner un objet parmi deux possibles, il se peut qu’il dispose déjà d’un nom pour l’un des deux objets. Dans ce cas de figure, il va faire appel à ses connaissances lexicales et exclure l’objet familier pour lequel il dispose déjà d’un nom dans son lexique. Il va ainsi faire l’hypothèse que le nouveau terme fait référence à l’objet qui n’est pas encore dénommé (Figure 1). Il s’agit d’une forme de bootstrapping à travers lequel l’enfant va utiliser ses connaissances pour attribuer du sens aux mots. Cette capacité ne requiert pas d’enseignement explicite (Mather, 2013).

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Figure 1

Illustration d’une situation ambiguë dans laquelle peut se retrouver un apprenant dans un contexte expérimental : l’enfant utilise ses connaissances lexicales pour inhiber le mapping entre le nouveau mot et l’objet pour lequel il a déjà un nom dans son lexique mental. Il va donc naturellement associer le nouveau mot à l’objet nouveau qui ne porte pas encore de nom.

Cette hypothèse semble tout à faire recevable d’après Markman (1989) car elle permet d’expliquer les erreurs faites par les jeunes enfants concernant l’inclusion des classes. En effet, Markman et Callanan (1983) ont présenté un objet (ex : chien) à des enfants d’âge préscolaire et leur ont demandé si cet objet pouvait être dénommé par le niveau de base (ex : c’est un chien ?) et par le niveau superordonné (ex : c’est un animal ?). Leurs résultats ont mis en évidence que les sujets acceptent seulement le terme pour le niveau de base. Sachant que le mot

« chien » représente seulement l’objet CHIEN, ce même objet ne peut être dénommé par le terme « animal ». C’est ce que Merriman, Bowman et MacWhinney (1989) appellent l’effet de rejet et l’effet de restriction. A contrario, cette observation représente également une limite car elle suggère que l’enfant ne peut attribuer deux noms à un même objet.

L’exclusivité mutuelle guide ainsi l’enfant dans ses hypothèses initiales sur le sens des mots mais il va devoir, au cours de l’acquisition, parvenir à violer cette contrainte pour enrichir et étendre son vocabulaire.

Outre l’argumentation de Markman (1989, 1990) qui défend l’idée que les enfants rejettent un second nom pour les objets, deux explications alternatives ont été proposées pour tenter d’interpréter ce phénomène d’acquisition lexicale. Ces dernières sont proches du principe d’exclusivité mutuelle dans le sens où le bébé distingue également les objets dits « nouveaux » et « familiers » mais leur contribution tente d’apporter certaines réponses aux limitations mentionnées ci-dessus.

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La première explication concerne le principe du « novel name-nameless category » aussi appelé N3C (Mervis & Bertrand, 1994). Il suppose que les enfant n’évitent, en aucun cas, le fait d’avoir deux mots pour un même objet mais recherchent seulement un référent qui ne porte pas encore de nom quand ils entendent un nouveau mot. Dans leur expérience, Golinkoff, Hirsh- Pasek, Bailey et Wenger (1992) ont placé trois objets familiers et un objet inconnu face à des sujets de vingt-huit mois. Ils leur ont demandé de donner le « glorp ». En accord avec le principe N3C, les enfants ont significativement sélectionné l’objet inconnu en comparaison à une situation contrôle dans laquelle aucun mot n’était mentionné.

Clark (1987, 1995) propose, quant à elle, une explication basée sur le « principe de contraste et de conventionalité ». D’après cette théorie, l’enfant fait l’hypothèse qu’un nouveau lexème a une signification différente de tout ce qu’il connaît déjà. Il peut ainsi considérer que les noms

« animal » et « chien » se rapportent au même référent mais qu’ils contrastent par le fait que

« animal » réfère à des entités auquel ne réfère pas « chien ». Il s’agit davantage d’une contrainte pragmatique qui va permettre à l’enfant de créer des sous-catégories alors que l’exclusivité mutuelle est, quant à elle, purement lexicale.

b) Paradigme

Dans l’abondante littérature testant la contrainte de l’EM, un paradigme simple est classiquement utilisé pour tester la présence ce phénomène. Il consiste à présenter visuellement deux objets (ou images d’objets) dont l’un est familier et l’autre inconnu. Simultanément à cette présentation, un nouveau mot est prononcé oralement. L’expérimentateur demande à l’enfant de lui montrer, de lui donner ou de regarder l’objet correspondant au mot fourni qui peut être un nouveau mot méconnu de l’enfant ou un pseudo mot (Figure 2).

Figure 2

Reproduction du paradigme testant l’EM dont les items sont tirés de l’étude 1 de Markman et Watchel (1988).

Deux objets sont présentés : un familier que l’enfant connaît et pour lequel il a déjà un nom (BANANE) et un inconnu qu’il ne connaît pas et pour lequel il n’a pas de nom (DENOYAUTEUR). L’expérimentateur demande à l’enfant de lui montrer l’objet correspondant au nouveau mot.

Montre-moi le X (nouveau mot)

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c) Etudes antérieures

Des études princeps menées par Golinkoff, Hirsch-Pasek, Lavallee & Baduini (1985), Hutchinson (1986), Markman et Watchel (1988), Merriman, Bowman et MacWhinney (1989) ont mis en évidence que les enfants, dès deux ans, apparient un mot inconnu à un nouvel objet.

Ces observations, basées sur la procédure de sélection d’objets, approuvent qu’ils utilisent ce principe pour déterminer le référent correct et ainsi attribuer du sens aux mots.

Plus particulièrement, Markman et Watchel (1988) ont entrepris une série d’études testant l’exclusivité mutuelle dans des situations plus ou moins complexes. Les résultats de leur première expérience montrent que les enfants, lorsqu’ils entendent un nouveau terme, sélectionnent significativement plus souvent l’objet inconnu pour lequel ils ne disposent pas encore de nom (ex : dénoyauteur à cerises). Les auteurs interprètent cette sélection du nouvel objet comme le résultat d’une inhibition de l’appariement possible entre le nouveau mot et l’objet familier pour lequel les sujets disposent déjà d’un nom (ex : banane).

Dans les études 2 et 3, ces mêmes auteurs ont démontré que les enfants de trois à quatre ans peuvent utiliser l’exclusivité mutuelle dans des situations plus difficiles notamment lorsqu’un seul objet leur est présenté. Ils prédisent et observent que, si un objet familier est accompagné d’un nouveau mot, les sujets ont tendance à attribuer le nouveau terme à une partie saillante de cet objet (hypothèse de l’objet entier).

Plus récemment, Halberda (2003) est parvenu aux mêmes conclusions, à savoir une utilisation de l’EM par les jeunes enfants de dix-sept mois, en utilisant une autre procédure expérimentale (regard préférentiel intermodal). Ce paradigme représente une mesure plus sensible de la compréhension par rapport à la sélection d’objets car il ne requiert aucune autre réponse comportementale que celle des mouvements oculaires (pour plus de détails voir 2.2.1).

d) Limites de ces études

Les premières études datant des années 1980 présentent toutefois deux biais majeurs :

 Fast mapping (appariement) / slow learning (apprentissage)

Il est essentiel de faire la distinction entre les notions d’appariement et d’apprentissage.

L’EM est définie comme un biais permettant à l’enfant de désambiguïser rapidement une situation, c’est-à-dire d’apparier immédiatement un référent potentiel à une nouvelle forme

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sonore après un nombre d’exposition limité. C’est ce que Carey et Bartlett (1978) appellent le

« fast mapping ». A contrario, l’apprentissage signifie que l’appariement mot-objet est mémorisé à long terme. Cette distinction, bien qu’identifiée par certains auteurs, reste confuse ou peu contrôlée dans les études. La plupart d’entre elles testent les capacités d’appariement et non l’apprentissage sur le long terme ou la rétention en partant de l’idée que le choix du référent correct constitue une preuve que le mot a été appris. Elles concluent ainsi que cette capacité joue un rôle critique dans l’accroissement rapide du lexique. Bien que cette compétence de sélection de la référence semble fondamentale pour l’apprentissage du lexique, on peut tout de même se demander si celle-ci constitue une évidence d’apprentissage du nouveau mot c’est-à- dire une connaissance à long terme de l’appariement mot-objet ? Horst et Samuelson (2008) ont soulevé cette problématique et ont entrepris une série de quatre études testant des enfants de vingt-quatre mois sur l’attribution de la référence mais également sur la rétention. Leurs résultats mettent en évidence que les jeunes sujets sont performants dans la sélection de la référence mais qu’ils ne retiennent pas l’appariement après un délai de cinq minutes suggérant que le lien entre le nouveau mot et le nouvel objet n’est pas encodé de façon robuste en mémoire à long terme. Toutefois, cette étude présente un certain nombre de limitations notamment par le fait qu’un objet distracteur (vu antérieurement mais pas dénommé) est introduit dans la tâche de rétention rendant la tâche complexe. De plus, elle s’appuie sur la procédure de sélection d’objet et inclut un délai entre deux tâches. Ces deux éléments peuvent influencer les performances des enfants et rendent l’interprétation des données difficile (Mather & Plunkett, 2011).

 L’effet de nouveauté

Comme le soulignaient dûment Merriman (1986), Golinkoff, Hirsh-Pasek, Baduini et Lavallee (1985), il se peut que l’enfant choisisse le nouvel objet simplement par effet de nouveauté et indépendamment du fait qu’il ait été nommé. Dans une telle situation, la présence de l’EM ne se justifie pas. Pour pallier ce biais, Merriman, Bowman et MacWhinney (1989) proposent deux solutions méthodologiques :

(1) Introduire une condition dans laquelle aucun mot n’est fourni. Si les enfants regardent significativement plus l’objet nouveau, cela suggère un effet de nouveauté donc la nécessité d’exclure cet item de l’étude. Dans leur expérience, Markman et Watchel (1988) avaient introduit une condition contrôle dans laquelle aucun mot-cible n’était proposé. Ils avaient trouvé que les enfants ne regardaient pas significativement plus le nouvel objet. En suivant

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l’hypothèse de Merriman, Bowman et MacWhinney (1989), il est possible de conclure que leurs résultats ne sont pas dus à la nouveauté. Cependant, nous pouvons imaginer que cet effet de nouveauté soit concomitant à la présentation du nouveau mot ne prouvant pas que l’association perdurera.

(2) Fournir une pré-exposition aux nouveaux stimuli dans le but d’habituer les enfants et ainsi réduire l’effet de nouveauté (Mervis & Bertand, 1994 ; Horst & Samuelson, 2008 ; Schafer

& Plunkett, 1998).

2.1.4 L’approche de Mather & Plunkett (2011) : réponse aux limites des études antérieures

L’expérience de Mather et Plunkett (2011) a été entreprise dans le but de répondre aux limitations susmentionnées.

Les auteurs se demandent si les arguments en faveur de l’EM représentent également une preuve d’apprentissage des mots. En effet, il n’est pas clairement exposé, dans les études précédentes, si la réussite de rétention est basée sur la récupération du mapping en mémoire à long terme et si les enfants apprennent réellement le nouveau mot (Horst & Samuelson, 2008).

Dans cette lignée, Mather et Plunkett soutiennent l’idée que, bien que l’enfant puisse être davantage attentif au nouvel objet dans une situation ambiguë, cela ne garantit pas qu’il ait formé une association entre le nouvel objet et le nouveau mot. Pour répondre à cette limitation et comprendre comment l’EM influe sur le développement du vocabulaire, ces derniers ont introduit une phase de test afin de voir si les enfants de seize mois retiennent l’appariement.

Leur expérience se divise ainsi en deux phases :

(1) une phase d’entraînement / d’apprentissage dans laquelle les sujets peuvent utiliser l’EM pour former deux associations « nouvel objet-nouveau mot ». Cette étape suit le paradigme classique utilisé habituellement pour observer ce phénomène (Figure 3).

(2) une phase de test dans laquelle les deux nouveaux objets de la phase d’entraînement sont présentés simultanément et dénommés chacun leur tour (Figure 4). Comme mentionné précédemment, il existe très peu d’études ayant testé ces associations. Mather et Plunkett (2011) relèvent seulement deux expériences à savoir celles de Mervis et Bertrand (1994) et Horst et Samuelson (2008) qui présentent, cependant, certains biais méthodologiques (ex : procédure de sélection d’objets) ne permettant pas de savoir si les réponses de l’enfant sont guidées par l’EM ou par d’autres processus. Pour pallier ces biais, Mather et Plunkett proposent d’utiliser la procédure du regard préférentiel intermodal (pour plus de détails voir 2.2.1) en se basant sur le

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modèle d’expérience de Schafer et Plunkett (1998). L’hypothèse de base de ces auteurs est la suivante : si, dans la phase de test, l’enfant regarde significativement préférentiellement un des nouveaux objets suite à sa dénomination, cela ne peut se traduire que par le fait qu’il connait l’association entre le nouveau mot et le nouvel objet.

Figure 3

Illustration des deux nouveaux mots utilisés pour la phase d’apprentissage dans l’étude de Mather et Plunkett (2011). Chacun des nouveaux objets (NO1 et NO2) est associé à un objet familier (OF1 et OF2) et l’enfant entend une phrase contenant le nouveau mot-cible (meb, pok).

Figure 4

Illustration d’essais de la phase de test dans laquelle les deux nouveaux objets sont présentés ensemble (NO1 et NO2) avec tour à tour chacun des nouveaux mots (meb et pok).

Ce design expérimental semble tout à fait adéquat en réponse au biais de l’effet de nouveauté. En introduisant une phase d’entraînement, les auteurs ont pré-exposé les enfants aux stimuli-cibles afin que ces derniers soient familiarisés aux nouveaux mots et objets. Ainsi, en présentant ensemble les deux nouveaux objets dans la phase de test, nous pouvons être convaincus que le potentiel effet observé ne sera pas dû pas à un effet de nouveauté car les deux nouveaux objets auront bénéficié du même nombre d’expositions au préalable. Ils auront ainsi un niveau de nouveauté équivalent.

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Un autre aspect, important à relever, concerne la mise en place d’essais « contrôle » dans la phase d’entraînement. Ils consistent à montrer un nouvel objet et un objet familier en donnant une phrase directive générale « regarde ça ! ». Cette condition est incluse dans le but d’être comparée aux essais dans lesquels un nouveau mot est fourni. Elle permet de s’assurer que les réponses des enfants sont spécifiques à ce qu’ils ont entendu et ne résultent pas de processus attentionnels généraux comme une réponse à la nouveauté.

Après avoir pris soin de contrôler tous ces biais, Mather et Plunkett (2011) ont trouvé que les enfants de seize mois sont guidés par l’exclusivité mutuelle pour former de nouvelles associations mot-objet. Toutefois, leurs résultats montrent que les sujets n’exposent pas systématiquement une utilisation franche et significative de l’EM dans la phase d’entraînement.

Ce pattern diverge des recherches antérieures et représente une preuve supplémentaire quant à l’importance de scinder l’expérience en deux phases. En effet, dans cette situation, seule la phase de test permet de renforcer l’idée que l’EM contribue bel et bien au développement lexical et que les enfants sont capables d’exploiter leur vocabulaire pour apprendre de nouveaux mots (bootstrapping).

Outre ces observations, leur étude a mis en évidence certaines conditions à la mise en place de l’EM notamment en ce qui concerne le choix des stimuli que nous discuterons dans la partie 2.2.4.

2.1.5 L’approche de Smith & Yu (2007, 2008): Cross-situational statistical learning

L’hypothèse de l’exclusivité mutuelle suggère que l’enfant s’aide de ses connaissances lexicales pour exclure les référents portant déjà un nom. Toutefois, cette situation n’est pas toujours réaliste car l’enfant peut se retrouver dans un contexte où seuls de nouveaux objets sont présents. Il sera alors incapable de mettre à profit ces contraintes pour déterminer le référent correct. Smith et Yu (2007, 2008) proposent une solution alternative pouvant répondre à cette incertitude dans l’apprentissage des mots qu’ils nomment l’apprentissage statistique trans-situationnel (cross-situational statistical learning).

Dans le cas où l’apprenant est incapable de déterminer le référent correct, il peut combiner et cumuler les fréquences des co-occurrences au cours des essais et ainsi identifier le référent (Figure 5).

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Figure 5

Situation tirée de l’explication théorique de Smith & Yu (2008) dans laquelle le sujet entend deux noms qui lui sont inconnus (ball, bat) et voit deux nouveaux objets (BAT et BALL). Sans information complémentaire, cette première scène ne lui permet pas de définir le référent correct du mot « ball ». Une seconde scène est ensuite présentée avec, comme référents potentiels pour « ball », BALL et DOG. Le sujet va inférer que le nom « ball » réfère à l’objet BALL car ce mot est apparu deux fois en présence du même objet (cumul d’informations).

En 2007, Smith et Yu ont montré que les adultes (étudiants) étaient capables d’utiliser cette forme d’apprentissage rapide avec un effet robuste même dans des situations où l’ambiguïté était très importante. Dans l’une de leur expérience, les auteurs ont exposé les sujets à des conditions plus ou moins complexes : (1) condition 2 x 2 : deux nouveaux mots et deux référents possibles par essai (Figure 6.a) ; (2) condition 3 x 3 : trois nouveaux mots et trois référents possibles ; (3) condition 4 x 4 : quatre nouveaux mots et quatre référents possibles.

Pour l’ensemble de ces conditions, dix-huit paires (mot-objet) devaient être apprises. Les résultats montrent que, pour les trois conditions, les participants apprennent un nombre de paires supérieur au hasard avec, en moyenne, seize appariements sur dix-huit dans la situation la plus simple (condition 2 x 2) et dix dans la situation la plus complexe (condition 4 x 4). Ces données valident leur hypothèse stipulant que les humains peuvent utiliser l’information statistique pour réduire le nombre de référents possibles et ainsi apprendre les appariements mot-objet.

Souhaitant démontrer cet effet chez les jeunes sujets, ces mêmes auteurs ont entrepris, en 2008, une étude chez des enfants de douze et quatorze mois à qui ils ont enseigné six nouveaux mots dans des situations ambiguës.

Leur étude comporte deux phases :

(1) une phase d’apprentissage dans laquelle, pour chacun des trente essais, deux mots nouveaux et deux référents potentiels inconnus sont proposés sans information complémentaire (Figure 6.a).

(2) une phase de test contenant douze essais présentant un mot et deux objets, dont un représentant la cible (Figure 6.b)

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Figure 6

Illustration d’essais de la phase d’apprentissage et de la phase test. Dans l’entraînement, les expérimentateurs s’attendent à ce que les enfants créent une première association entre les nouveaux mots et les objets dans le premier essai, puis, qu’ils renforcent, au fur et à mesure des présentations, l’association entre le mot « bosa » et l’objet BOSA (représentée dans ce schéma par un trait de plus en plus épais) par accumulation des co-occurrences afin de résoudre l’ambiguïté. Dans le test, ils s’attendent à ce que les enfants regardent davantage le référent correct à savoir l’objet BOSA lorsqu’ils entendent le mot « bosa » après avoir utilisé le « cross-situational learning » leur permettant d’exclure que le mot « bosa » réfère à l’autre objet.

Leurs résultats révèlent que les enfants de douze et quatorze mois regardent significativement plus la cible que le distracteur dans la phase de test. Il est donc possible de conclure que les jeunes apprenants exploitent, comme l’adulte, le « cross-situational statistical learning » pour cumuler les informations à travers les divers essais et ainsi déterminer le mapping correct. Selon Smith et Yu (2008), cet apprentissage statistique ne dépend pas de mécanismes hautement spécialisés mais d’un mécanisme associatif de bas niveau mis au profit de l’apprentissage de nouveaux mots.

(a) Apprentissage

(b) Test

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2.2 Importance des paramètres expérimentaux :

2.2.1 Choix de la tâche

Depuis une trentaine d’année, les chercheurs s’intéressent à la capacité de l’enfant à pouvoir clarifier une situation ambiguë. Pour ce faire, deux principales méthodes sont employées dans la littérature :

(1) D’un côté, les paradigmes dits « offline » correspondant à une procédure de sélection d’objets (Horst & Samuelson, 2008 ; Merriman, Bowman & MacWhinney, 1989 ; Mervis & Bertrand, 1994). Dans ce type d’études, l’enfant choisit explicitement un objet présenté parmi d’autres après avoir perçu un stimulus auditif.

(2) D’un autre côté, des auteurs comme Schafer et Plunkett (1998), Halberda (2003) ou Mather et Plunkett (2009) ont utilisé des paradigmes « online » de mesure des temps de regard sur la cible. Aussi appelée IPL (paradigme du regard préférentiel intermodal), cette procédure présente l’avantage de restreindre les réponses comportementales manifestes et multiples requises dans les tâches « offline » et offre des mesures plus sensibles de l’attention de l’enfant sur les cibles. Elle consiste à placer le sujet face à un ou deux écrans sur lesquels apparaîtront les stimuli visuels. Une caméra est placée dans le champ visuel de l’enfant afin d’enregistrer ses mouvements oculaires (Figure 7). La procédure IPL a fait ses preuves dans la littérature et représente à l’heure actuelle la procédure le plus employée.

Cependant, une troisième méthode est de plus en plus utilisée en psychologie, psycholinguistique ou encore en ergonomie et dans la publicité : il s’agit de l’eye-tracking (Figure 8). Nouvel objet technologique mis sur le marché, l’eye-tracking représente un outil fiable et non invasif fournissant « une mesure directe, détaillée et objective des mouvements oculaires » (Sasson & Elison, 2012) quisont inconscients et reflètent précisément les processus cognitifs engagés dans un contexte réel. Alors que la procédure de regard préférentiel intermodale nécessite de filmer les sujets durant l’étude et requiert par la suite un ou deux coteurs confirmés pour coder offline les fixations image par image, l’eye-tracking permet d’établir un calcul précis de la direction du regard et de la fixation. A la différence de l’IPL, l’oculométrie présente l’avantage de procéder à un codage rapide des données, permet d’analyser les fixations et d’exclure de façon quantitative les fixations en dehors des zones d’intérêt. Pour ces raisons, elle offre à ce jour une alternative intéressante renforcée par un usage simple, rapide et efficace.

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Figure 7 :

Illustration de la procédure IPL. A noter : la procédure peut être automatisée n’obligeant pas l’expérimentateur à rester derrière le dispositif.

Figure 8

Illustration de la procédure eye-tracking : mesure du mouvement des yeux

2.2.2 Age des enfants

L’âge auquel les enfants commencent à appliquer le principe de l’exclusivité mutuelle est variable selon les études et la procédure utilisée.

Les premières recherches trouvent qu’il peut être utilisé dès l’âge de dix-huit à vingt-quatre mois (Hutchison, 1986 ; Liitschwager & Markman, 1994). Toutefois, pour Merriman (1986) et Mervis (1987) cités par Merriman, Bowman et MacWhinney (1989), les jeunes enfants n’exploitent pas ce biais lors de l’acquisition précoce des mots car sa mise en place nécessite

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une expérience linguistique et requiert des capacités cognitives et métacognitives suffisamment développées. Selon eux, l’EM émerge seulement au cours des années préscolaires.

A contrario, des recherches plus récentes (Markman, Wasow & Hansen, 2003 ; Halberda, 2003) défendent l’idée que les enfants peuvent utiliser l’EM dès quinze mois dans des tâches de sélection d’objets et dès seize mois dans la procédure IPL. Il existe toutefois quelques divergences dans les résultats. En effet, selon Halberda (2003), les enfants de moins de quinze mois n’utilisent pas ce biais et ont tendance, au contraire, à regarder davantage l’objet familier.

Il constate également que les enfants de seize mois ne regardent pas significativement plus l’objet nouveau. A l’inverse, Mather et Plunkett (2011) ont démontré que les enfants de seize mois sont capables d’utiliser la contrainte de l’EM pour former des associations entre un nouveau mot et un nouvel objet. Ces mêmes auteurs ont trouvé que des bébés de dix mois manifestaient une sorte de précurseur de l’EM ne contribuant pas, néanmoins, à l’apprentissage de mots (Mather & Plunkett, 2010). L’attention vers le nouvel objet serait simplement due à la nouveauté plutôt qu’aux connaissances lexicales. Une autre étude de Mather et Plunkett (2009) met en exergue que l’EM est présente chez les enfants de vingt-deux mois et demi mais absente chez les sujets de dix-neuf mois et demi lorsque la charge de traitement est augmentée (accroissement du nombre de stimuli et/ou des conditions expérimentales).

Les données concernant le début de l’utilisation de cette contrainte restent donc à ce jour controversées bien qu’elles indiquent clairement que ce biais apparaît très précocement dans l’acquisition du lexique.

Quant à la durée d’exploitation de cette contrainte, Markman et Watchel (1988) semblent clairs quant au fait que son utilisation diminue avec l’âge mais ne disparaît jamais. En effet, les adultes se trouvant dans une situation ambiguë, comme dans le paradigme classique, ont également tendance à interpréter le nouveau terme comme référant à l’objet qui n’a pas encore de nom. Avec l’âge, le sujet devient capable d’utiliser à profit ou de passer outre cette contrainte en fonction du contexte (violation du biais).

2.2.3 Rôle de la répétition

L’enfant peut-il apprendre après une seule exposition ou lui faut-il plusieurs expositions pour intégrer l’appariement mot-objet en mémoire à long terme ?

Des recherches récentes (Halberda, 2003 ; Horst et Samuelson, 2008 ; White & Morgan, 2008) suggèrent que l’EM peut être utilisée pour apprendre de nouveaux mots après une seule exposition. En effet, Halberda (2003) observe que les sujets de dix-sept mois augmentent leur

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temps de regard vers le nouvel objet quatre seconde après avoir entendu le nouveau mot. White et Morgan (2008) font le même constat chez les enfants de dix-neuf mois avec une augmentation du regard trois secondes après l’apparition du stimulus auditif. Ces résultats sont discutables pour deux raisons selon Mather et Plunkett (2009). Premièrement, ils ne tiennent pas compte du fait que ce mapping ne sera peut-être pas retenu en mémoire à long terme. Deuxièmement, les conditions de passation requièrent une charge de traitement peu coûteuse, favorable à l’émergence de l’EM dès la première exposition. Mather et Plunkett (2009) se sont plus particulièrement intéressés à cette question en construisant des situations plus complexes, représentatives de contextes quotidiens. L’objectif de leur recherche est de voir si l’utilisation de l’EM est facilitée par la répétition des stimuli. Pour ce faire, ils ont testé, grâce à l’IPL, des enfants de dix-neuf mois et demi et de vingt-deux mois et demi. Leurs essais présentent tous deux images simultanées (un objet familier et un objet nouveau) et l’enfant entend soit un nom familier, soit un nouveau mot, soit une phrase neutre. Chaque stimulus est répété deux fois.

Leurs résultats montrent clairement que la répétition des stimuli est cruciale pour observer l’EM seulement à partir de vingt-deux mois et demi. Une exposition unique engendre des regards non systématiques vers le nouvel objet.

Horst et Samuelson (2008) soutiennent également l’idée qu’un mot rencontré à plusieurs reprises facilitera la création d’une représentation robuste du nouveau mot par le simple fait que le contexte de répétition réduit la charge de traitement attentionnelle requise pour le premier essai.

2.2.4 Choix des stimuli

Un des aspects importants de l’EM requiert avant tout une discrimination phonologique entre le nouveau mot et le mot familier.

Dans leur étude, Mather et Plunkett (2011) ont testé l’impact de la phonologique sur l’apprentissage de nouveaux mots via l’EM chez des enfants d’un an et quatre mois. Leur expérience fait suite aux constats de Merriman et Schuster (1991) et Swingley et Aslin (2007) concernant la difficulté des jeunes sujets, âgés entre dix-huit et vingt-quatre mois, à sélectionner ou à s’orienter vers un nouvel objet lorsque le nouveau mot est phonologiquement proche d’un mot déjà existant dans leur lexique.

Mather et Plunkett (2011) ont utilisé deux mots nouveaux : (1) « meb » qui ne dispose d’aucun voisin phonologique connu par les enfants ; (2) « pok » qui présente trois voisins phonologiques.

Leurs résultats ont mis en évidence qu’un nouveau mot peut être apparié correctement à un

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nouvel objet, si et seulement si, le nouveau mot n’a aucun voisin phonologique connu. Cette observation, souvent peu considérée dans les études (Merriman & Schuster, 1991 ; White &

Morgan, 2008), nous indique qu’il s’agit d’un paramètre indispensable à prendre en considération dans le choix des stimuli à utiliser dans une tâche testant l’exclusivité mutuelle.

2.2.5 Nombre de langues

Les preuves fournies dans la littérature se rapportant à l’utilisation de la contrainte de l’exclusivité mutuelle concernent en grande majorité les enfants monolingues anglophones (Golinkoff, Hirsh-Pasek, Lavallee & Baduini, 1985 ; Markman & Watchel, 1988 ; Mather &

Plunkett, 2011). Or, dans nos sociétés actuelles, le bilinguisme représente la règle plutôt que l’exception. Qu’en est-il pour le bilinguisme (ou plurilinguisme) lorsque les enfants doivent acquérir deux ou plusieurs mots pour un même objet ? Mettent-ils à profit l’exclusivité mutuelle comme les enfants monolingues ? L’expérience langagière influence-t-elle le développement de la désambiguïsation ?

Bien qu’assez peu étudié dans le cadre de l’EM, le multilinguisme a toute son importance notamment par le fait qu’il entre en conflit avec ce principe. En effet, lorsqu’il y a un apprentissage de diverses langues, la contrainte lexicale doit être suspendue au profit de l’acquisition des équivalents de traduction (« synonyme inter-langue » comme chat et cat).

C’est ce qu’ont mis en évidence Au et Glusman (1990) en montrant que des enfants bilingues anglais/espagnol violent la contrainte en acceptant deux noms pour un même objet à condition que ceux-ci soient issus de deux langues distinctes. Toutefois, il a été prouvé, qu’au sein d’une même langue, les plurilingues utiliseraient tout de même l’EM mais dans une moindre proportion (Davidson, Jergovic, Imami et Theodos, 1997) en comparaison aux monolingues.

Plus récemment, Byers-Heinlein et Werker (2009) ont mené une étude dans laquelle trois groupes d’enfants âgés de dix-sept à dix-huit mois ont été testés (dont des trilingues). Les auteurs révèlent que (1) les monolingues manifestent une forte désambiguïsation confirmant les recherches antérieures (Halberda, 2003) ; (2) les bilingues résolvent marginalement l’ambiguïté. Ces résultats corroborent ceux de Davidson et al. (1997) obtenus avec des enfants plus âgés ; (3) un nouvel apport concerne les trilingues qui n’ont pas tendance à rattacher le nouveau mot au nouvel objet. S’informer sur le nombre de langues parlées et comprises par les sujets représente donc un paramètre essentiel pour l’interprétation des données.

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2.3 Apports de notre recherche

Après avoir exposé les points de vue opposés de Markman (1989, 1990) et de Smith et Yu (2007, 2008), nous constatons qu’il n’existe pas de consensus universel permettant d’expliquer entièrement le processus d’acquisition lexicale chez les enfants.

A travers cette étude, notre souhaiterions savoir si l’explication alternative du « cross- situational statistical learning » peut être mise en place par l’enfant lorsque celui-ci est dans la situation du paradigme classique testant l’EM. En effet, dans leurs études, Smith et Yu (2007, 2008) n’ont présenté que de nouveaux mots et objets. Qu’en est-il lorsque l’on présente un objet familier et un nouvel objet avec un nouveau mot ?

Est-ce que, comme le prône Markman (1989, 1990), la présence d’une association déjà existante entre l’objet familier et un mot connu engendrera une inhibition absolue de l’association possible entre cet objet familier et le nouveau mot ? Ou, a contrario, comme le postulent Smith et Yu (2007, 2008), est-ce que l’enfant créera des associations avec tous les objets présents dans son champ visuel ? (Figure 9). Autrement dit, s’agit-il d’un processus associatif de bas niveau (bottom-up) ou d’une contrainte de haut niveau (top-down) ?

Figure 9

Illustration des deux points de vue concernant l’interprétation de l’EM à travers l’utilisation du paradigme classique : celle de gauche éclaire l’opinion de Markman (1989, 1990) qui stipule une inhibition de l’association entre « pizelle » et l’objet BANANE qui porte déjà son nom (banane) ; celle de droite représente le questionnement de notre recherche basé sur l’explication de Smith et Yu (2007, 2008) préconisant l’idée que le mot « pizelle » sera associé également à l’objet familier tout en préservant l’association déjà existante entre le nom « banane » et l’objet BANANE.

Références

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