Théâtre intérieur…
Le voilà sorti de ce bus, tremblant et suant, ce dernier l’ayant comme expulsé de ses entrailles. Assommé, aveuglé par ce voile qui s’est déposé sur la ville, il erre péniblement, traînant les pieds, baigné par les odeurs nauséabondes de la ville encore fatiguée. Il ne sait pas où il va, il avance dans une sorte de malaise terrible. Tout semble lui échapper mais il continue d’avancer péniblement, se heurtant aux poubelles qu’il peine à distinguer.
Il ne connait pas ce quartier, on l’y a jeté comme par miracle, lui qui pensait ne pas sortir vivant de ce bus dans lequel une multitude de gens s’entassent les uns sur les autres, soufflant, s’étouffant avec comme seul objectif, conserver un semblant d’espace vital.
Il ne sait pas comment il est sorti du bus, comment il s’est retrouvé à l’extérieur. Au moment même où il s’est trouvé dehors, l’air chaud et pénible de la ville lui est immédiatement apparu comme un véritable bol d’air frais pour ensuite lui asséner le poids de son atmosphère lourde et pesante.
Il continue d’avancer malgré les fourmillements qui lui grignotent les membres, cette gangrène qui s’empare de tous ses muscles. Les picotements redoublent mais il poursuit son chemin, ignorant encore qu’il est condamné.
Les passants lui apparaissent comme des masses floues, des spectres dont il distingue à peine le contour. Chaque passant pose son regard sur cet homme achevant son chemin de croix et prenant soin de laisser derrière lui une trace de son propre passage. Pas un seul ne s’arrête…
Il se sait souffrant, il est entièrement saisi de douleur mais ne parvient pas à localiser l’endroit exact de sa souffrance. Malgré la chaleur étouffante qui écrase la ville, son sang se glace et peu à peu, lui dont le corps était entièrement meurtri, lui qui dissimulait péniblement ses stigmates, ne sent désormais plus rien excepté ce frisson glacial qui lui parcourt le corps. Il ne sait même plus s’il continue d’avancer, si ses membres continuent de répondre à ses appels désespérés. Il sait néanmoins qu’il est vidé.
La douleur laisse peu à peu place à une forme d’anesthésie et l’amnésie poursuit son jeu sur la grande scène de sa mémoire. Malgré les efforts, les derniers efforts qu’il tente pour se souvenir coûte que coûte de ce qu’il s’est passé, ne serait-ce qu’un détail, il n’y parvient pas et demeure noyé par le trouble qui le submerge depuis de longues minutes maintenant.
Un vertige puis un sursaut le secoue, il relève machinalement la tête et aperçoit de manière furtive, les nuages gris qui étouffent les timides rayons du soleil. Il se rappelle soudain…
Au même moment, sa masse lourde s’effondre sur le bitume laissant échapper un mince filet rouge….
