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B M La question de l’eau et l’Unesco :de la « Zone aride »à la « Décennie hydrologique » D U D É S E R T J U S Q U ’ À L ’ E A U …

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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C A H I E R 4

D U D É S E R T

J U S Q U ’ À L ’ E A U …

1 9 4 8 - 1 9 7 4

La question de l’eau et l’Unesco : de la « Zone aride »

à la « Décennie hydrologique »

M

I C H E L

B

A T I S S E

Club Histoire

Association des anciens fonctionnaires de l’Unesco

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L e s C a h i e r s d u C l u b H i s t o i r e

Regards sur l'action de l'Unesco par des acteurs et des témoins

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Les idées et les opinions exprimées dans ces cahiers sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l'Association des anciens fonctionnaires de l'Unesco ni celles de l'Unesco.

Coordination éditoriale Composition Maquette Recherches iconographiques Infographie

: Nino Chiappano, Etienne Brunswic : Agnès van den Herreweghe : Rolf Ibach

: Merete Gerlach-Nielsen : Robert Kalman

© AAFU 2005

Association des anciens fonctionnaires de l'Unesco 1, rue Miollis, 75732 Paris Cedex 15

E.mail : afus@unesco.org www.unesco.org/afus

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R E M E R C I E M E N T S

Ce cahier est en quelque sorte un testament posthume, car Michel Batisse n’a eu cesse de le réviser jusqu’à son dernier souffle. Legs intellectuel et moral à la fois, il donne la mesure de la stature de ce grand commis de l’Unesco, qui pour ses mérites scientifiques s’était vu décerner en 1988 la médaille John C. Phillips pour la conservation de la nature et le Global 500 (prix du Programme des Nations Unies pour l’Environnement) et, en l’an 2000, le prix Sasakawa pour l’Environne- ment.

Pour lui rendre un ultime hommage après sa disparition, le Secteur des sciences de l’Unesco a généreusement financé l’impression du présent cahier et décidé de publier ce même texte en édition bilingue anglais/français dans sa collection Essais sur l’histoire de l’eau.

AAFU

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T A B L E D E S M A T I E R E S

Introduction, Nino Chiappano . . . 9

Du désert jusqu’à l’eau …1948-1974 . . . 17

1. Des laboratoires internationaux ? . . . 19

2. Un institut ou un programme ? . . . 22

3. Une entreprise originale de coopération scientifique . . 25

4. Au premier plan, l’hydrologie . . . 28

5. A l’école du Moyen-Orient . . . 33

6. Les terres arides : un « Projet majeur » . . . 40

7. Des partenaires intéressés mais vigilants . . . . 43

8. Une mise en œuvre progressive . . . 50

9. La démarche interdisciplinaire . . . 54

10. Le problème du sel . . . 64

11. Une extension mondiale et un bilan globalement positif . 67 12. La genèse imprévue d’un « grand programme scientifique » . . . 76

13. La mobilisation scientifique et diplomatique . . . 83

14. Hydrologie, météorologie et ressources hydrauliques . . 92

15. Vers un contenu et une structure pour le programme international . . . 101

16. La consécration intergouvernementale . . . 108

17. Démarrage rapide, montée en puissance continue . . 115

18. Des études hydrologiques régionales . . . 124

19. Pas d’hydrologie sans hydrologues . . . 134

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20. Le tournant de la mi-Décennie . . . 137

21. La question de l’eau au tout premier plan . . . . 148

22. Vers un succès incontesté et une suite programmée . . 162

Repères bibliographiques . . . 177

Quelques repères chronologiques . . . 178

Liste des sigles . . . . . . 180

Index des noms de personnes . . . . . . 181

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I N T R O D U C T I O N

L’EAU n’est pas mentionnée dans l’Acte constitutif de l’Unesco, et sans doute son nom n’a jamais été prononcé pendant la longue gestation de la charte. Pourtant, si aujourd’hui l’opinion mondiale est consciente de l’enjeu de survie planétaire rattaché à la gouvernance de l’eau, cela est lié dans une large mesure aux programmes scientifiques que l’Unesco a conçus et mis en œuvre au cours d’un quart de siècle.

En effet, en l’espace de 25 ans, un programme de recherche à l’origine très modeste (1948 : idée d’un ‘Institut international de la zone aride’) avait abouti en 1956 à un Projet majeur de recherches scientifi- ques sur les terres arides, dont était issue en 1964 la Décennie hydrolo- gique internationale, qui à son tour trouvera son prolongement, en 1975, dans le Programme hydrologique international, lui-même complété par les deux entreprises apparentées : L’Homme et la Biosphère (MAB), et la Commission océanographique intergouvernementale (COI), qui se poursuivent encore de nos jours.

Telles ont été, schématiquement, les étapes fondamentales d’une épopée qui a vu la réflexion et l’action de l’Unesco se questionner, se définir, se concrétiser, en un irrésistible « crescendo », dans un proces- sus qui s’est développé en greffant un projet sur l’autre, en s’enrichis- sant des acquis antérieurs, en affrontant à chaque stade de nouveaux défis, jusqu’à embrasser la quasi-totalité de la problématique de l’eau sur la planète. Si on nous pardonne une trop facile métaphore, le mince filet d’eau émergé d’un sol désertique a grossi petit à petit, son cours s’est gonflé en ruisseau, celui-ci est devenu un fleuve aux multiples affluents, pour enfin déboucher glorieusement dans l’immense étendue de l’océan mondial.

Pour quelles raisons, dans quelles circonstances et par quels chemi- nements l’Unesco a-t-elle été amenée à s’engager dans une aventure à première vue étrangère à ses compétences, et à y jouer contre toute attente un rôle prédominant à l’échelle mondiale ? C’est à ces questions que Michel Batisse, conformément à l’esprit de notre collection, répond par son témoignage.

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Témoignage unique, venant d’un acteur qui a accompagné ce chemin d’un bout à l’autre, en s’épanouissant lui-même à mesure que les projets progressaient, en acquerrant pas à pas compétence, autorité, prestige, dans un parcours sans cesse ascendant, dont voici les principales bornes.

Recruté en 1951 et affecté au Caire comme attaché scientifique au

‘Centre de coopération scientifique pour le Moyen-Orient’, le jeune docteur en physique des solides saisit vite, vu le contexte, l’importance de l’eau. Appelé en 1957 au siège du Secrétariat comme coordonnateur du Projet majeur, il est promu en 1960 à la direction de la nouvelle

‘Division des études et recherches sur les ressources naturelles’, et sera élevé au début de 1973 à la direction du ‘Département des sciences de l’environnement et des recherches sur les ressources naturelles’

(pour devenir finalement en 1982, Sous-Directeur général pour le

‘Secteur des sciences’ – mais cela sort du cadre chronologique du présent cahier).

Porter témoignage, ce n’est jamais facile, et encore moins lorsqu’on a été l’un des protagonistes. Michel Batisse le sait bien, qui précise d’entrée de jeu que son travail « ne saurait évidemment échapper à la subjectivité qui menace tous ceux qui ont été trop proches de l’histoire qu’ils racontent ». Que Batisse soit très proche de l’histoire qu’il raconte – jusqu’à, dirions-nous, s’identifier avec elle – c’est l’évidence même. La question sera donc : comment décrire son propre rôle, sans jamais tomber dans l’un des deux travers opposés : l’effacement ou le triomphalisme ?

Batisse y parvient, nous paraît-t-il, avec beaucoup d’équilibre. Car, si le « je » se pointe de temps en temps – soit qu’il s’avance à visage découvert ou qu’il laisse sentir son influence dans les coulisses – ce dévoilement se produit uniquement lorsque la morale du récit exige du témoin qu’il se présente, afin ne pas laisser planer sur les événements la brume d’un improbable anonymat. En ouverture d’ouvrage Batisse, se référant à l’action de l’Unesco, évoque « les circonstances fortuites qui l’ont déclenchée et l’enchaînement logique qui l’a entraînée ». Or, le

« je » a ceci de « fonctionnel », qu’il montre comment, face à une circonstance imprévue, le sujet transforme le hasard en occasion, saisit la chance, la soustrait au fortuit de l’inattendu, la forge en un instrument de son dessein1, en imprimant aux événements, justement, un « enchaî-

1 A preuve, ces passages révélateurs (page 150) : « [le] mécanisme institutionnel que j’avais moi-même imaginé et mis en place » ; (page 150) : « le scénario que j’avais imaginé auparavant sur l’évolution des programmes scientifiques de l’Unesco ».

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nement logique ». Vue sous cet angle, la subjectivité du narrateur, loin d’être un manquement fâcheux à une impossible objectivité testimo- niale, est non seulement une preuve de probité intellectuelle, mais, bien plus, un facteur de clarté au service de l’Histoire.

Quant au reste, le témoin Batisse s’en tient scrupuleusement à la description des faits, qu’il relate avec la plus pointilleuse minutie –

« dans un détail peut-être excessif », comme il le dit lui-même – au risque, avouons-le, de décourager le lecteur non-spécialiste. Nous voudrions toutefois encourager ce lecteur à tenir bon : il s’apercevra que ce détail est indispensable, parce qu’il lui permettra de s’orienter dans le labyrinthe du récit, dans lequel il risque par moments de s’égarer.1

Au juste, quel est exactement l’objet de ce récit ? Sur quoi le témoi- gnage porte-t-il précisément ? Que le titre ne trompe pas, la matière du livre est moins l’eau en tant qu’objet de travail scientifique, que l’eau en tant qu’enjeu d’un effort systématique et suivi de coopération interna- tionale. Batisse l’annonce clairement dès le départ : « Il y sera donc plutôt question de gouvernance que de substance. On ne devra pas s’étonner alors de l’accent qui sera mis sur les méandres juridiques, sur le contexte politique et sur les rivalités institutionnelles… ».

Voilà, synthétisée en deux phrases, la thématique de l’ouvrage.

Voici, formulés moins sommairement, les motifs conducteurs de sa partition :

- le choix et la définition des programmes lancés successivement par l’Unesco, et l’élaboration progressive d’une stratégie opératoire conjuguant d’une part recherches et études, et de l’autre, assistance technique et travail sur le terrain ;

- le partage (consensuel ou concurrentiel) des responsabilités entre les organisations internationales du système des Nations Unies, dialoguant avec les grandes institutions non gouvernementales, en fonction non seulement des compétences respectives mais aussi des implications financières ;

- l’influence qu’exerce sur cette dynamique la politique des pays individuels et des regroupements idéologiques, sur toile de fond de la guerre froide ;

1 « … mais les groupes formaient des sous-groupes, et des panels étaient même constitués indépendamment afin d’élaborer certains projets plus techniques ou plus particuliers, multipliant presque à l’infini les mouvements d’une légion d’experts … » (page 122).

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- par voie de conséquence, les jeux subtils de la diplomatie, et leur retentissement sur les procédures et les modalités de travail, ainsi que sur le dosage interne des différentes instances administratives et scientifiques (commissions, comités, groupes et sous-groupes de travail, etc.) ;

- d’un intérêt particulier pour les anciens fonctionnaires de l’Unesco, les répercussions que l’ensemble de ces opérations et leur évolution provoquent sur la structure du Secrétariat, et en particulier sur l’organisation du secteur des sciences.

Dès lors, une autre question surgit aussitôt : A qui s’adresse-t-il, le

« témoin » Batisse ? A quelles catégories de lecteurs, à quel genre de public destine-t-il son message ? La rapide analyse qui précède nous donne la réponse : ce cahier s’adresse simultanément, bien qu’à des degrés différents, à un éventail très large de lecteurs, que la thématique permet d’identifier aisément.

En premier lieu nous retrouverons les compagnons de cette

« aventure passionnante », dont les noms sont répertoriés dans l’index.

Une galerie de personnages, qui entrent en scène au fur et à mesure : de simples noms pour le lecteur non initié, mais que la plume de Batisse, par un trait rapide ou une épithète savoureuse, sait le plus souvent transformer en des silhouettes vivantes, qui viennent ainsi se graver dans le parchemin de la mémoire. Est-ce arbitraire de supposer que c’est d’abord à eux que Batisse a voulu s’adresser, pour célébrer en leur compagnie le trentième anniversaire du lancement de la Décennie ?

Par-delà la confrérie des amis et des « complices », le cahier s’adresse à tous les spécialistes qui s’inquiètent d’une utilisation rationnelle et clairvoyante de l’eau à l’échelle planétaire : savants, chercheurs, techniciens, administrateurs. Pour les désigner, le terme

« hydrologues », bien qu’étymologiquement approprié, nous semble sémantiquement inadéquat. Nous voudrions y inclure tous ceux qui

« pensent » l’eau, ceux qui réfléchissent à la question de l’eau en relation à l’avenir de l’humanité. Oserions-nous proposer un néolo- gisme : « hydrosophes » ? en nous souvenant que pour les Hellènes

« sophie » signifiait aussi bien « science » que « sagesse ». A cette noble corporation des hydrosophes le cahier offre à la fois l’aperçu d’un parcours et un guide méthodologique qui, se basant sur un trésor d’expérience, définit une stratégie de recherche-action qui demeure exemplaire. Nous croyons pouvoir affirmer sans emphase que des

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chapitres comme « La démarche interdisciplinaire » (ch. 9) demeureront pour longtemps une référence à cet égard.

Qui dit « interdisciplinaire » sous l’angle épistémologique, dit, sous l’angle des relations internationales, interaction concertée entre Etats, entre Organisations du système des Nations Unies, entre Agences et Institutions intergouvernementales spécialisées. L’extraordinaire exploit de la Décennie consiste à avoir amené à collaborer intelligemment et loyalement des instances aussi potentiellement rivales que l’Unesco (science fondamentale), l’OMM (météorologie), l’OMS (santé), la FAO (agriculture) et tant d’autres Associations et Unions, toutes également – et jalousement – concernées par l’eau…1. Cette réussite, peut-être unique dans les annales du XXe siècle, ne peut ne pas éveiller l’intérêt de tous ceux qui, en cette aube du troisième millénaire, s’affairent autour du sauvetage du système des Nations Unies et, en son sein, du renouveau de la coopération internationale.

Les historiens de l’époque récente et contemporaine peuvent, eux aussi, trouver dans ce cahier du grain à moudre. Il suffit de regarder le cadre chronologique de cette aventure pour s’en rendre compte : 1948- 1974, à savoir, le temps de la « guerre froide » dans toute son acuité, et celui de la décolonisation dans sa phase la plus explosive. Même si elle se dissimule derrière une façade scientifique et technique, la charge géopolitique et idéologique de l’ « aventure » évoquée dans ce texte ne peut être sous-estimée. Or si, d’un côté, l’historien admirera l’esprit de dialogue qui animait les savants de tout bord, par-dessus les clivages idéologiques officiels, d’un autre côté il appréciera également la subtilité des négociateurs, qui fait merveille tant dans le dosage des différentes instances techniques, que dans les acrobaties verbales qui permettaient de trouver un accord sur les textes les plus controversés, parfois grâce à leur volontaire ambiguïté.

Enfin, malgré son caractère spécialisé, le cahier, étant une publica- tion du club Histoire, s’adresse aussi à ses lecteurs « naturels », à savoir les anciens fonctionnaires de l’Unesco. C’est à eux, croyons-nous, que Batisse songe chaque fois que, en marquant un temps d’arrêt dans le récit, il ouvre une parenthèse et se livre à des digressions scientifiques et historiques dignes de figurer dans une anthologie de la vulgarisation. La

1 « Ainsi se dessinait l’enchaînement des rouages multiples sur lesquels allait s’articuler pendant dix ans le mouvement des idées, des études et des échanges d’une entreprise de coopération scientifique universelle sans précédent » (page 119).

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liste est longue, vous trouverez quelques détails dans la note en bas de page.1

Est-ce tout ? Certainement pas. Car il ne faut pas oublier l’essentiel.

L’essentiel, c’est que l’un des grands commis de l’Unesco retrace ici l’un des chapitres les plus glorieux de l’histoire de l’Organisation. Ce cahier s’adresse donc, au premier chef, à l’Unesco elle-même, et plus précisément à sa classe dirigeante, aussi bien comme rappel d’un passé qu’il n’est pas permis d’ignorer, que comme possible objet d’analyse et de méditation.

Relisons le bilan que Batisse dresse des programmes relatifs à la Zone aride, mais qui peut être légitimement étendu à tout l’ensemble :

« En fin de compte, le programme de l’Unesco, en une quinzaine d’années, n’avait évidemment pas fait reculer les déserts, ni arrêté l’érosion qui plus que jamais menaçait le monde. Mais il avait contribué à éclairer les enchaînements des problèmes et leurs enjeux économi- ques, écologiques et sociaux. Il avait stimulé l’intérêt pour des questions négligées jusqu’alors comme les eaux souterraines ou la salinité. Il avait ouvert la voie vers une approche interdisciplinaire du développe- ment des territoires. Il avait permis de tisser un réseau mondial durable de contacts humains et d’échanges confiants. Il avait agi comme catalyseur d’une multitude d’initiatives nationales ou locales, dont l’inventaire serait sans doute impressionnant. Il avait donné lieu à une coopération fructueuse et exempte de doubles emplois avec les autres Organisations. Il laissait un héritage précieux de mises au point et de synthèses sur de nombreux sujets, que la communauté scientifique avait réalisées avec ardeur. »2

Ce bilan éclatant fait ressortir les deux marques distinctives de celle qui fut une grande institution internationale : à l’extérieur, son prestige et son influence au sein de la « famille » des Nations Unies ; à l’intérieur, l’esprit d’entreprise qui l’animait.

Sur le versant international, le « roman » – Batisse prononce ce mot à raison – montre comment, sous la conduite ferme et éclairée de René

1 pages 34-38, des barrages ; 34, eau souterraine ; 39, distillation de l’eau de mer ; ch. 10, p. 64-67, le problème du sel ; 63, histoire de l’utilisation des terres dans les régions arides ; 64-67, salinisation et déplacement historiques des civilisations ; 92, hydrologie et sa définition ; 125, Un modèle mathématique pour le Mékong ; 126, Un modèle analogique pour le Tchad ; 130, Les eaux profondes du Sahara ; 133, Comment Venise a rebondi.

2 Ch. 11, p. 76.

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Maheu, l’Unesco est parvenue à « s’installer dans la durée comme chef de file en matière d’hydrologie », après s’être lancée « dans un domaine encore étranger à ses compétences institutionnelles » et avoir réussi à se faire reconnaître « un rôle d’initiateur de programmes ». Par quelle clairvoyance, quelle audace, quel sens de l’opportunité, quelle capacité de persuasion, quelle fermeté dans le respect d’autrui – et aussi, osons le dire, par quelle volonté hégémonique – notre Organisation a-t-elle pu s’élever à un tel niveau de puissance intellectuelle, politique et opératoire ? Il y a là derrière, incontestablement, « une certaine idée » de ce que l’Unesco doit être, de sa mission dans le monde.

Sur le versant intérieur, l’image qui en ressort est celle d’une institu- tion extrêmement vivante, dynamique, évolutive, attentive aux besoins visibles et prévisibles du monde, et assez souple pour s’adapter et y répondre rapidement. Une institution qui élabore des programmes concrets « sur le vif » ; qui façonne ses structures non pas selon une logique bureaucratique, mais en fonction de sa propre dialectique de pensée et d’action ; qui invente des procédures nouvelles, audacieuses, souvent sophistiquées – « les méandres juridiques » – mais politique- ment avisées et opérationnellement efficaces ; qui pratique une politique du personnel qui encourage et valorise l’initiative et la créativité des fonctionnaires, et reconnaît leurs mérites.

Justement, un possible objet d’analyse et de méditation, disions-nous.

Nino Chiappano

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D U D É S E R T

J U S Q U ’ À L ’ E A U …

1 9 4 8 - 1 9 7 4 La question de l’eau et l’Unesco :

de la Zone aride à la

Décennie hydrologique

Qu’elles soient trop abondantes ou trop rares, qu’elles soient utilisées pour nos besoins domestiques, pour l’industrie, pour l’agriculture ou pour maintenir la marche des écosystèmes qui permettent la vie sur Terre, les eaux douces soulèvent dans leur gestion de multiples problè- mes, dont l’importance primordiale est aujourd’hui universellement reconnue. Le récent Sommet de Johannesburg sur le développement durable leur a attribué une place majeure. L’Unesco elle-même leur accorde priorité dans ses programmes scientifiques. Pourtant les eaux, et plus généralement les ressources naturelles, ne sont nullement mentionnées dans l’Acte constitutif de cette Organisation et pas la moindre allusion y a été faite lors des travaux préparatoires qui ont mené à sa création en 1946.

Cette omission n’a cependant rien de surprenant. La question de l’eau est avant tout une question pratique, pour laquelle des institutions comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en ce qui concerne l’eau potable, ou l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en ce qui concerne l’irrigation, ont une vocation première. Mais surtout, au temps de la dernière guerre, alors que notre planète comptait moins de deux milliards et demi de passagers au lieu de plus de six milliards aujourd’hui, à une époque où les exigences en matière de niveau de vie et de développement étaient à la fois moins élevées et moins répandues, cette question avait un caractère avant tout local et n’était pas perçue comme un problème mondial. En outre, on sait que l’importance relative des ressources naturelles dans le dévelop- pement tend à décroître au fur et à mesure que croît et se diversifie

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l’économie, et il faut bien reconnaître que les économistes, il y a cinquante ans, ne se souciaient guère que de ce qui se passait dans les pays industrialisés. L’eau elle-même, considérée partout et par tous comme un don gratuit du ciel, n’entrait pas dans leurs réflexions ou leurs calculs.

Malgré cette indifférence, la question de l’eau ne tarda pas à faire très vite son entrée dans les préoccupations de la jeune Organisation, d’abord de façon indirecte et accidentelle, puis progressivement de manière notable et délibérée. Cette évolution depuis les origines des actions de l’Unesco dans ce domaine majeur, les circonstances fortuites qui l’ont déclenchée et l’enchaînement logique qui l’a entraînée, n’ont pas été pleinement relatés et mériteraient sans doute une étude approfon- die. Une telle recherche historique devrait évidemment se fonder sur les documents disponibles à Paris, mais aussi sur ceux que l’on pourrait trouver auprès des autres partenaires institutionnels comme les Nations Unies, la FAO, l’OMS, l’Organisation météorologique mondiale (OMM), certaines des grandes Unions scientifiques internationales, ainsi qu’auprès de quelques Etats membres ayant joué un rôle décisif, comme c’est le cas ici pour les Etats-Unis. Il faudrait en outre pouvoir faire appel aux quelques acteurs qui pourraient encore témoigner de leurs démarches et de leurs motivations, et avoir accès aux notes internes et aux correspondances, qui seules permettent de comprendre les points de vue et les objectifs des uns et des autres. Malheureusement, beaucoup des dossiers d’archives de l’Unesco antérieurs à 1972, contenant la correspondance relative à ses programmes scientifiques, ont disparu dans un incendie en 1984. Pour toutes ces raisons, il me semble opportun que ceux qui peuvent encore le faire n’hésitent pas à témoigner par leurs souvenirs de ces premiers pas de l’Organisation dans tous les domaines où la documentation disponible ne permet plus d’éclairer le déroulement et les dessous de ce qui s’est passé. Ayant été moi-même étroitement associé au développement des activités relatives à l’eau à partir de 1951, c’est dans cet esprit que j’ai rédigé ce qui suit.

Au-delà des documents officiels et à défaut des dossiers disparus, y compris mes propres rapports, ce travail est fondé sur quelques notes retrouvées, sur les remarques de quelques amis et sur des souvenirs aujourd’hui bien lointains. Il tente d’évoquer, dans un détail peut-être excessif, les rôles des acteurs et les hasards ou les nécessités qui ont présidé aux efforts de l’Organisation pendant quelque 25 années, depuis ses débuts jusqu’à la fin de l’entreprise majeure que fut la Décennie

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hydrologique internationale. Il a été animé par un constant souci d’exac- titude, mais il ne saurait évidemment échapper à la subjectivité qui menace tous ceux qui ont été trop proches de l’histoire qu’ils racontent.

Il est clair par ailleurs qu’il ne s’agit pas d’y procéder à une évaluation technique de ce qui a été accompli, mais de tenter plutôt de retracer les ressorts, les péripéties et le développement structurel de ce qui fut une aventure exaltante. Il y sera donc plutôt question de gouvernance que de substance. On ne devra pas s’étonner alors de l’accent qui sera mis sur les méandres juridiques, sur le contexte politique et sur les rivalités institutionnelles autour d’un sujet où nombre d’acteurs revendiquaient et revendiquent encore un rôle de premier plan.

1. Des laboratoires internationaux ?

C’est par un détour inattendu que la question de l’eau est apparue, en vérité très discrètement au départ, dans les programmes de l’Unesco.

En 1946, sur une proposition française inspirée par Henri Laugier, Sous-secrétaire général des Nations Unies, le Conseil économique et social (ECOSOC) demandait que soit ouverte une large enquête sur la possibilité d’établir des laboratoires de recherche internationaux.

Quelque vingt-cinq Organisations et une soixantaine de personnalités scientifiques exprimèrent leurs idées et leurs propositions sur la question. L’Unesco sortait alors des limbes, mais c’est elle qui, dès le début de 1947, fournit la réponse la plus élaborée, préparée sous l’impulsion de l’éminent biologiste Julian Huxley, son premier Directeur général, et du biochimiste Joseph Needham, son premier directeur pour la science. Les nombreuses propositions avancées dans cette réponse portaient sur des sujets tels que les observatoires astrono- miques, les mathématiques appliquées, les stations météorologiques, l’océanographie, la vie tropicale, l’ornithologie, les cultures de micro- organismes, les sciences médicales, les sciences de la nutrition, etc.

Mais aucune ne faisait référence aux questions touchant à l’eau douce.

Cependant, certains principes d’action étaient définis, notamment l’intérêt qu’il y aurait à se pencher sur les problèmes des régions éloignées des centres principaux de recherche existants, et surtout d’aborder ces problèmes selon les grandes divisions climatiques de la planète, comme la zone polaire, la zone tropicale humide ou la zone aride, moins étudiées jusqu’alors que la zone tempérée.

Les autres propositions reçues par l’ECOSOC portaient, elles aussi,

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sur les sujets les plus divers. Parmi ceux-ci, la question de l’érosion des sols – qui a des rapports directs avec l’eau – ressortait de plusieurs réponses, notamment de celle d’Albert Einstein, qui curieusement ne faisait aucune mention de la physique, le seul domaine pourtant où des réalisations spectaculaires comme le Centre européen de recherche nucléaire de Genève et le Centre international de physique théorique de Trieste allaient bientôt répondre au vœu de l’ECOSOC. Une autre allusion aux problèmes concernant l’utilisation des ressources en eau provenait de Théodore von Karman, professeur à l’Institut de technolo- gie de Californie, qui proposait la création d’un Centre international de recherche sur la mécanique des fluides et la mécanique des sols. Selon lui, un tel Centre, travaillant sur un certain nombre de questions intéres- sant particulièrement l’ensemble des pays du Moyen-Orient, aurait pu être établi avantageusement à Haïfa, avec l’espoir implicite de diminuer d’autant les difficultés politiques qui s’annonçaient déjà en Palestine.

Dans sa réponse, l’Union internationale de mécanique pure et appliquée (IUTAM), qui venait d’être créée et où von Karman jouait un rôle important, reprit cette proposition sous forme d’un « laboratoire de recherche pour la mécanique des sols et des fluides en zone aride », se référant ainsi à une zone climatique singulière malgré sa diversité où, par manque d’eau, la couverture végétale est inexistante ou très clairse- mée, et mentionnant spécifiquement les questions d’irrigation et de sédimentation. Pour l’Unesco, cette réponse allait marquer le début d’une longue histoire.

Dans le même temps, l’Organisation était fortement engagée dans l’établissement d’un Institut international de l’Hyléa amazonienne, projet ambitieux, qui intéressait de nombreux scientifiques mais qui se révéla malheureusement prématuré tant sur le plan politique que pratique. En 1948, Joseph Needham reprit sa chaire à Cambridge et fut remplacé à la direction du Département des sciences par l’éminent physicien français Pierre Auger. Lors de la Conférence générale qui avait lieu la même année à Beyrouth, il paraissait opportun de lancer quelque chose concernant une autre région que l’Amérique du Sud, en l’occurrence le Moyen-Orient, là où se tenait la session et où la tension politique était devenue violente. La proposition de l’IUTAM fut donc ressortie, sous forme d’un projet de résolution présenté par l’Inde, manifestement inspiré dans sa rédaction par le Secrétariat.

Par l’adoption de cette résolution, la Conférence chargeait le Directeur général « d’étudier en 1949 les propositions tendant à la

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Photo : Les reportages de France

Fig. 1

Le physicien français Pierre Auger (à droite), Directeur du Département des sciences, lors de la Conférence de l’Unesco de 1957 sur

les radio-isotopes dans la recherche scientifique.

En arrière plan, Michel Batisse, secrétaire de la Conférence.

Au cours de cette manifestation, l’utilisation des isotopes en hydrologie fut présentée notamment par le Prix

Nobel de chimie Willard Libby, inventeur de la datation au carbone 14.

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création d’un institut international de la zone aride, telles que celle qui a été soumise à l’ECOSOC par l’IUTAM », et de convoquer « un comité d’experts et de délégués d’autres Institutions spécialisées qui sera chargé de faire un rapport sur l’utilité, le programme et la structure d’un institut international de la zone aride, en vue d’une conférence internationale sur ce sujet qui se réunirait en 1950, ou aussitôt que possible après cette date ». C’est ainsi que les questions relatives à l’eau, qui par définition fait défaut dans toute la zone aride, entrèrent, sans pour autant avoir été explicitement mentionnées, dans les préoccu- pations de l’Unesco pour y demeurer jusqu’à aujourd’hui. Pierre Auger confia le dossier à l’un de ses collaborateurs, Frank Malina, un ingénieur plein d’imagination, ancien disciple de von Karman en Californie, qui avait été l’assistant de Needham à Londres dès la naissance de l’Organi- sation. Pour éclairer le Secrétariat sur ces questions d’aridité qui lui étaient totalement étrangères, Malina entreprit en premier lieu de consulter un grand nombre de personnalités dans les Organisations et les milieux scientifiques, afin d’identifier les experts susceptibles de donner des avis qualifiés.

2. Un institut ou un programme ?

En août 1949, les Nations Unies organisaient à Lake Success, leur siège temporaire dans Long Island, une grande Conférence scientifique sur la conservation et l’utilisation des ressources naturelles, où la question de l’eau faisait l’objet d’une section, principalement axée sur l’évaluation des ressources et la construction des barrages. Dans le même temps, l’Unesco avait reçu mandat de sa Conférence générale de convoquer une Conférence technique sur la protection de la nature. On décida de profiter de la présence de nombreux scientifiques à Lake Success pour y réaliser ce projet, dont Malina fut chargé, aidé d’Alain Gille. C’est aussi à cette occasion que Malina réunit un groupe informel d’une dizaine d’experts et des représentants des Nations Unies et de la FAO pour étudier les premières suggestions reçues de l’Union interna- tionale des sciences biologiques (IUBS), de l’Union internationale de géodésie et de géophysique (IUGG) et de l’IUTAM sur la question d’un institut de la zone aride. La présidence de ce groupe fut confiée à Théodore Monod, Directeur de l’Institut français d’Afrique noire de Dakar, qui était déjà célèbre pour ses expéditions au Sahara. Dans son rapport, le groupe énonçait clairement les diverses questions qui

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pourraient être étudiées par un institut international, mais était plus embarrassé sur sa structure possible et sur sa mise en place. Il recommandait plutôt l’établissement d’un organisme international fondé sur une « fédération » des organisations intéressées dont le « secréta- riat », situé dans une ville appropriée, deviendrait le noyau d’un futur institut disposant lui-même de « postes » dans les régions arides les plus caractéristiques. C’était là – semble-t-il – une façon polie de ne pas rejeter la proposition.

En décembre 1949, un comité d’experts plus formel, comportant des spécialistes venus de onze pays ainsi que des représentants des Nations Unies, de la FAO et de l’OMS et de cinq ONG scientifiques internatio- nales, fut réuni à Paris sous la présidence de l’hydraulicien américain Walter Lowdermilk, pour faire avancer les choses. Ce comité confirma que le moment n’était pas venu de créer un institut de grande envergure et recommanda plutôt l’établissement d’un ‘Conseil international pour l’étude des problèmes scientifiques, techniques et du développement des ressources des régions arides et semi-arides’. Les recommandations furent transmises aux Etats membres pour observations. La gestion de cette activité et de tout ce qui avait trait aux laboratoires internationaux prenant une ampleur croissante, Malina fut nommé aux côtés de Pierre Auger comme adjoint chargé de « la contribution de la recherche en vue d’améliorer les conditions d’existence de l’homme ». L’une de ses premières tâches fut de se rendre au Moyen-Orient et en Inde pour préciser les conditions de création du « conseil » envisagé. Sur la base de ces consultations, un ‘Conseil international intérimaire de recherche sur la zone aride’ fut constitué et se réunit à Paris en novembre 1950. Les sept membres de ce conseil étaient choisis par le Directeur général parmi les experts désignés officiellement par l’Egypte, les Etats-Unis, la France, l’Inde, Israël, le Mexique et le Royaume-Uni.

Un comité consultatif est établi

Le conseil intérimaire, sous la conduite de A. N. Khosla, président de la Commission centrale de l’Inde pour l’énergie hydraulique, l’irrigation et la navigation, et où siégeaient des représentants des Nations Unies, de la FAO, de l’OMS et de l’OMM, procéda à une réflexion approfondie sur le futur programme. Il confirma le point de vue du comité d’experts quant à la création d’un institut. Il demanda que l’Unesco continue d’étudier la possibilité d’établir un conseil international, mais décida qu’en attendant devait être constitué un ‘Comité consultatif de recher-

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ches sur la zone aride’ composé de sept scientifiques ou ingénieurs, chargé de guider le Directeur général dans la préparation et la mise en œuvre de projets de l’Unesco, prenant en considération les programmes connexes des autres Organisations. Le Conseil exécutif ayant entériné cette proposition, le Directeur général, au début de 1951, nomma donc sept spécialistes à titre individuel, pour un mandat de deux ans et venant des sept mêmes pays, afin de former ce Comité consultatif qui devait se réunir deux fois par an. Celui-ci tint sa première session en avril de la même année à Alger, à l’époque sous administration française, en conjonction avec un colloque organisé à l’Université sur l’hydrologie superficielle et l’évaporation dans les zones arides. Naissait ainsi de façon assez discrète ce qu’on a appelé le Programme sur la zone aride de l’Unesco, utilisant toujours le singulier, qui allait se poursuivre en s’intensifiant pendant quelque quatorze années.

On peut remarquer à ce stade qu’il avait fallu pas moins de quatre ans entre le moment où avait germé l’idée que les recherches sur la zone aride pourraient bénéficier d’une action internationale et la création du mécanisme permettant de s’engager dans cette voie. Encore faut-t-il ajouter que ce mécanisme ne disposait pour commencer que de moyens dérisoires, puisque le budget qui lui était alloué ne s’élevait qu’à 14000 dollars de l’époque, plus « lourds » il est vrai que ceux d’aujourd’hui.

Ceci montre assez bien la durée et la difficulté de la « période d’incuba- tion » dans l’action internationale. Cependant, la leçon la plus importante que l’on peut tirer de cette expérience est que la création d’un centre international n’est pas le plus souvent la bonne réponse à un problème mondial. Pourtant, nombre de conférences internationales s’achèvent encore de nos jours sur ce genre de proposition.

Dans le cas d’espèce, il est probable que les experts consultés à Lake Success, à Paris ou à Alger avaient estimé qu’un centre unique, ayant mandat de s’intéresser à un ensemble extrêmement divers de très vastes territoires répartis sur tous les continents et devant faire appel aux disciplines les plus variées, avait peu de chances de réussite. Comment amener la trentaine d’Etats directement concernés à s’entendre pour administrer équitablement et pour financer un tel organisme ? Comment décider de son emplacement ? Comment choisir son programme d’études ? Comment assurer les liens avec les multiples équipes de terrain confrontées à des problèmes plus souvent pratiques que purement scientifiques ? L’échec coûteux de certaines entreprises comparables dans des domaines divers, y compris à l’Unesco, face au succès

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incontesté rencontré par le Programme sur la zone aride, montre bien la sagesse de la voie qui fut choisie alors.

3. Une entreprise originale de coopération scientifique Toute l’ampleur des questions pouvant faire l’objet d’études en rapport avec la zone aride apparut évidemment dès les premières réunions des experts. Il ne s’agissait pas en effet de se consacrer à une étendue géographique unique et bien délimitée, mais à de nombreuses et très diverses régions s’étendant sur pas moins du tiers de la superficie des terres émergées, alors que les régions cultivées n’en occupent guère que le dixième. Dès 1950, la Conférence générale de l’Unesco confir- mait en effet que le programme devait couvrir les régions semi-arides, évidemment plus productives que les vrais déserts. L’une des premières tâches du Comité fut d’ailleurs de s’accorder sur une carte de distribu- tion des climats arides et semi-arides, montrant les analogies entre les conditions rencontrées ici et là sur l’ensemble de la surface terrestre.

Cette carte climatique originale, préparée par un géographe améri- cain, Peveril Meigs, et qui a servi de base au logo du Programme, couvrait aussi bien les déserts chauds d’Afrique ou d’Australie que les déserts froids d’Asie centrale, les terres irriguées que les cultures sèches, les savanes herbeuses que les dunes sahariennes, les zones présentant un intérêt économique que celles qui ne servaient à rien. On y distingue d’abord facilement les régions hyperarides, comme le Sahara central, le désert d’Atacama au Chili ou le Takla-Makan en Asie centrale, où des années entières peuvent se passer sans la moindre pluie. Mais on y trouve surtout une gamme très variée de régions dites arides ou semi- arides, définies selon des critères précis portant non seulement sur les précipitations plus ou moins généreuses qu’elles reçoivent, mais aussi sur l’évaporation et la température qui y règnent au cours de l’année.

Les problèmes que soulève cette multitude de régions sont donc tout aussi variés que ceux des autres parties plus arrosées du monde et font nécessairement appel à toutes les disciplines possibles. La tâche du Comité ne s’annonçait pas facile.

Très vite, les experts durent donc mettre au point avec le Secrétariat une méthode de travail qui permettrait d’avancer. En s’attachant d’abord aux disciplines scientifiques majeures pour lesquelles furent établis des collèges internationaux d’experts, puis en se consacrant à l’étude des problèmes paraissant les plus répandus et les plus importants, l’idée

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Fig. 2

Répartition des climats arides et semi-arides dans le monde.

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générale fut de concentrer le programme chaque année sur les recher- ches intéressant cette discipline ou ce problème. Pour chaque thème ainsi choisi, un certain nombre de compte rendus de recherches faisant le point des connaissances était demandé aux meilleurs spécialistes possibles et publiés par l’Unesco, en anglais et en français. Ces études servaient ensuite de base de travail à un colloque international sur le même thème, où des chercheurs d’assez nombreux pays pouvaient venir présenter leurs propres résultats, débattre des idées avancées et déceler les lacunes de la recherche.

Ces colloques, organisés dans divers pays, furent couplés avec des sessions du Comité consultatif. Sur un total de vingt sessions, quatorze se tinrent ainsi en dehors de Paris, n’ignorant aucune partie du monde puisqu’elles eurent lieu successivement à Alger, Ankara, Londres, Montpellier, New Delhi, Tucson, Canberra, Karachi, Téhéran, Madrid, Rome, Tachkent, Santiago du Chili et Jodhpur, stimulant dans le même temps les initiatives locales et permettant d’appréhender les réalités du terrain. Outre les colloques placés sous la responsabilité de l’Unesco, un certain nombre de manifestations organisées par des institutions nationales ou internationales furent suscitées par le Programme et lui servirent de prolongement, comme les importantes réunions sur les terres arides patronnées par l’Association américaine pour l’avancement des sciences au Nouveau-Mexique au printemps 1955.

Des projets de recherche et de formation

Bien entendu, le Programme ne pouvait se limiter à l’approche un peu académique des débuts, axée uniquement sur l’inventaire des connaissances et l’échange d’information scientifique. Au fur et à mesure que les moyens mis à sa disposition purent être accrus, des actions plus directes et plus localisées purent lui être associées, tout en maintenant toujours son exemplarité et en renforçant peu à peu son caractère pluridisciplinaire. On s’efforça notamment de promouvoir certaines recherches prometteuses grâce à des subventions, au demeu- rant assez modestes, qui étaient accordées sur avis favorable du Comité à des institutions ou éventuellement des individus en ayant fait la demande par le canal de la Commission nationale pour l’Unesco de leur pays. Une procédure similaire fut suivie pour l’attribution de bourses d’étude. Le nombre de ces requêtes augmenta si rapidement que le Comité, au départ très libéral, dut bientôt réserver ses moyens à des sujets de recherche qu’il avait lui-même suggérés et accorder de

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préférence son appui à des associations scientifiques internationales ou régionales.

Par ailleurs, à partir de 1949, les Nations Unies mettaient progressi- vement en place un programme d’ « assistance technique » aux Etats membres. L’Unesco fut bientôt éligible comme agence d’exécution de ce mécanisme, qui devait plus tard aboutir à la création du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). De ce fait, un certain nombre de projets dits « opérationnels », concernant des actions concrètes en zone aride au bénéfice de pays particuliers, purent être mis en œuvre par l’Organisation, qui venait ainsi renforcer ses propres activités en leur offrant un champ effectif d’application. Dans le même temps, cette évolution donnait une responsabilité technique accrue au Secrétariat, puisque le Comité consultatif, bien que tenu au courant des opérations, ne pouvait en superviser le déroulement journalier. C’est James Swarbrick, un Britannique affable s’occupant auparavant de l’information scientifique, qui fut chargé par Auger d’assurer au sein du Secrétariat la conduite journalière de l’ensemble du Programme sur la zone aride, ce dont il s’acquitta jusqu’en 1957 avec une remarquable conscience professionnelle et une grande efficacité, sachant en particu- lier tirer pleinement parti des riches compétences assemblées au sein du Comité consultatif.

4. Au premier plan, l’hydrologie

Le fait que la question des ressources en eau soit apparue la première parmi les préoccupations d’un comité d’experts étudiant les problèmes des régions arides ne saurait évidemment surprendre. A tel point que, dès sa quatrième session, en 1952, le Comité consultatif fut même amené à réaffirmer que le Programme devait embrasser tous les aspects des recherches sur la zone aride et ne concernait pas seulement l’hydro- logie comme certains pays semblaient le penser. Il n’en demeure pas moins que ce comité, bien qu’ayant toujours été interdisciplinaire, a constamment comporté une forte proportion d’hydrologues.

Les noms de Khosla et de Lowdermilk ont déjà été cités. Ce sont cinq éminents spécialistes de l’eau et de ses utilisations, Richard Boke, Directeur général du Bureau of Reclamation pour la Californie, Gilbert White, célèbre notamment pour son action sur l’aménagement des bassins fluviaux, C.W.Thornthwaite, spécialiste renommé de l’évapora- tion, Luna Leopold, hydrologue en chef du U.S. Geological Survey, et

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Photo : Unesco/Schmidt-Nielsen

Fig. 3

Pesage d’un dromadaire au Centre de recherches sahariennes de Béni-Abbès, en Algérie, dans le cadre d’un projet

de recherche sur le bilan hydrique de ces animaux adaptés aux conditions arides.

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finalement Raymond Nace, chargé de recherche dans ce même service, qui se succédèrent comme membres américains du Comité. Y siégèrent également des personnalités comme Youssef Simaika, Directeur adjoint de l’important Département de contrôle du Nil en Egypte, Léo Picard, hydrogéologue à l’Institut de géologie de Jérusalem, Abdol Hassan Behnia, professeur d’hydrologie à l’Université de Téhéran, A.Nizéry, Directeur adjoint des recherches hydrauliques d’Electricité de France, G.V.Bogomolov, hydrogéologue de l’Académie des sciences d’URSS, L.Ben Osman, Directeur de l’hydraulique de Tunisie, Abdelrahim Bayoumi, Directeur de l’aménagement des ressources hydrauliques rurales du Soudan, Soubhi Mazloum, Directeur des irrigations et des forces hydrauliques de Syrie, Frank Dixey, Directeur des Services géologiques du Commonwealth et Edwin Sherbon Hills, professeur de géologie à l’Université de Melbourne.

Dans le même temps, les associations scientifiques internationales comme l’Association internationale des recherches hydrauliques (IAHR), l’Union internationale de géodésie et de géophysique, l’Union internationale de mécanique pure et appliquée, la Commission inter- nationale des irrigations et du drainage (ICID) ou l’Association internationale des sciences hydrologiques (AISH), ont envoyé régulièrement des spécialistes de haut niveau pour les représenter, renforçant d’autant la compétence technique du Comité consultatif et lui donnant accès à un très large réseau de contacts sur les questions relatives à l’eau.

Première publication de l’Unesco sur l’eau

Le premier des thèmes choisis pour procéder à l’inventaire des connaissances fut donc l’hydrologie. Dès la réunion du premier comité d’experts en décembre 1949, celui-ci avait demandé, bien que ce ne fût pas sa tâche immédiate, que soient préparés des comptes-rendus régio- naux de recherche sur l’hydrologie de la zone aride et notamment sur la question des eaux souterraines. Un ensemble de huit rapports furent ainsi établis, portant respectivement sur l’Afrique du Nord-ouest, l’Afrique du Nord-est, l’Afrique méridionale, le Moyen-Orient, l’Inde et le Pakistan, les Etats-Unis et le Canada, l’Amérique latine et l’Australie.

Conformément à la méthode de travail adoptée, un colloque sur le même thème, utilisant ces huit rapports comme documents de base, fut convo- qué à Ankara en avril 1952. C’était une expérience nouvelle pour le Secrétariat, d’abord de trouver un pays hôte, puis d’organiser ce premier

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colloque, mais il rassembla néanmoins une soixantaine de participants d’une quinzaine de pays. Une trentaine de contributions y furent présentées, portant exclusivement sur les eaux souterraines, et les comptes-rendus en furent publiés dans le premier ouvrage de ce qui devenait la Série de recherches sur la zone aride.

L’hydrologie a constitué également le sujet principal des premières bourses attribuées dans le cadre du Programme, ainsi que des missions envoyées dans divers pays au titre de l’assistance technique des Nations Unies.

En Turquie même, dès 1951, une première mission de trois experts, sous la direction du géographe français Raymond Furon, fut chargée d’aider à l’établissement d’un Institut d’hydrogéologie à l’Université technique d’Istanbul, ainsi que d’un service des eaux souterraines au Ministère des travaux publics à Ankara. C’est un autre Français, Etienne Stretta, qui avait acquis son expérience au Maroc, comme d’ailleurs un certain nombre d’autres hydrogéologues recrutés à l’époque par l’Unesco, la FAO ou les Nations Unies dans cette discipline encore assez peu répandue, qui assura la suite de cette difficile mission à partir de fin 1953. En Inde, un spécialiste de l’hydraulique fut envoyé auprès de l’Institut de technologie de Kharagpur et deux autres à la station de recherches de la Commission des eaux et de l’énergie de Poona. A Quetta, au Pakistan, sur les ruines d’une brasserie détruite par un tremblement de terre, l’Assistance technique permit l’établissement d’un Institut de géophysique, où furent envoyés plusieurs experts, dont Michael Fournier d’Albe, physicien de l’atmosphère travaillant notamment sur la pluie artificielle. Au Mexique, un climatologue suédois, C.C.Wallen, qui devait ultérieurement faire une brillante carrière à l’OMM, jeta les bases de l’Institut de sciences appliquées de Mexico, où les travaux relatifs aux ressources en eau devaient prendre une place importante, notamment avec l’aide d’hydrologues comme l’Israélien A. Loehnberg ou le Japonais S. Iwai. Fournier d’Albe fut affecté ultérieurement à cet Institut avant sa venue définitive au Siège.

Une mission hydrogéologique fut également constituée à Recife afin d’assurer la formation de personnel pour la mise en valeur du

« polygone de la sécheresse » du Nord-Est du Brésil, conduite par P. Taltasse, hydrogéologue français, remplacé ultérieurement par Stretta, puis par J. Pimienta. Taltasse devait ensuite être envoyé au Pérou pour y développer l’hydrogéologie, tandis que Stretta irait faire de même au Mexique avant de rejoindre à son tour Paris. D’autres experts, R. Raven

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Fig. 4

Le premier titre de la série d’une trentaine d’ouvrages publiés par l’Unesco Recherches sur la zone aride portait sur l’hydrologie.

La carte schématique « en écorce d’orange » sur la distribution des climats arides dans le monde, préparée

par Peveril Meigs, a servi de logo au Programme.

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des Pays-Bas et G. Molochnov d’URSS, allèrent en Syrie pour enseigner ce même domaine à l’Université de Damas.

Si ces missions, envoyées à la demande des pays grâce au program- me d’assistance technique des Nations Unies, doivent être considérées comme des prolongements opérationnels hautement appréciables du programme international de recherche et d’échanges mené par l’Unesco, il importe de ne pas oublier leur profonde différence de nature, puisqu’elles viennent se placer dans le cadre administratif direct de pays individuels, ce qui ne manque pas de créer des contraintes particulières de responsabilité et d’autorité dans leur gestion. En effet, les experts en mission sont choisis avant tout en fonction de leurs compétences techniques, mais ils se trouvent inévitablement confrontés dans chacun des pays à des règlements, à des structures administratives, à des méthodes de travail pour lesquels, le plus souvent, ils ne sont pas préparés. Dans ces conditions, leurs recommandations, fondées sur une expérience acquise dans un contexte économique, social, écologique et culturel différent, ne sont pas nécessairement adaptées aux conditions locales et le résultat de leurs efforts peut mener à des impasses. Les missions rappelées ci-dessus n’ont évidemment pas échappé à ce problème général de l’assistance technique. C’est pourquoi il serait intéressant de savoir aujourd’hui ce qui est resté de chacune de ces missions par une évaluation sur le long terme. En raison de l’importance du sujet, notamment en matière d’eau souterraine, on peut cependant penser que, d’une façon ou d’une autre, les graines qui ont été semées alors ont donné des fruits durables.

5. A l’école du Moyen-Orient

Au début de 1951, alors que je venais de soutenir ma thèse de docto- rat, Pierre Auger me recruta à l’Unesco afin d’aller remplir les fonctions d’attaché scientifique au Centre de coopération scientifique pour le Moyen-Orient, situé au Caire. Après quelques voyages dans la vaste région que nous étions censés « couvrir », depuis l’Egypte et la Turquie à l’Ouest jusqu’au Pakistan et à l’Afghanistan à l’Est, je compris très vite que ma spécialité, la physique des solides, n’était d’aucune utilité dans des pays qui n’avaient pas d’industrie métallurgique moderne et où la physique elle-même demeurait un sujet d’enseignement purement académique. En revanche, il était clair qu’ils étaient tous soumis à un climat aride et qu’ils étaient tous confrontés à de sérieux problèmes de

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ressources en eau, comme écartelés entre l’aménagement de leurs grands fleuves – Nil, Jourdain, Oronte, Euphrate, Tigre, Indus – d’un côté et leurs immenses zones désertiques de l’autre.

Pour quelqu’un qui vient d’un pays où le ciel apporte la pluie en abondance, ce rôle central de l’eau dans les préoccupations quotidiennes des populations et des gouvernements a quelque chose de fascinant, et tout naturellement je pensai qu’il fallait y consacrer le plus clair de mon temps. La mise en œuvre du programme de la zone aride donnait une légitimité et un cadre à cette inclination. Mes études d’ingénieur m’avaient laissé des bases suffisantes en hydraulique, science fondamentale de l’utilisation de l’eau. Plus prosaïquement, j’étais plein d’ardeur pour travailler sur un thème dont l’intérêt économique et humain se manifestait partout et à tout instant dans toute la région. Il suffisait d’ouvrir les yeux pour s’en rendre compte. En Egypte même, où les pompes modernes étaient encore rares, les fellahs avaient toujours recours aux moyens traditionnels pour élever l’eau : le tambour à vis d’Archimède pour les faibles hauteurs, employé depuis les Ptolémées, le shadouf, simple récipient au bout d’un levier rudimentaire, ou la saquia, plus élaborée, où un buffle tourne en manège une roue horizontale actionnant elle-même une roue verticale munie de godets, permettant d’aller puiser dans la nappe phréatique.

D’autres systèmes étaient encore en usage dans la région, comme les grandes norias sur l’Oronte de Hama, en Syrie, qui ne constituent plus guère aujourd’hui qu’une attraction touristique. En Palestine, les Israéliens tentaient de remettre en état les petites levées de cailloux que les Nabatéens avaient érigées il y a deux mille ans dans le lit de certains oueds afin de profiter des crues subites. L’ingéniosité de ces mêmes Nabatéens se révélait dans le système de citernes et de canaux de Petra.

Les ruines d’importants barrages se voyaient en Irak ou en Iran. Dans ce dernier pays, des ouvrages curieux ne manquent pas d’intriguer le passager aérien. Il s’agit de chapelets interminables de gros « trous de taupes » qui traversent la campagne sur des kilomètres, et qui représen- tent en réalité les puits d’évacuation des déblais retirés du sous-sol pour y creuser de longues galeries en pente douce amenant l’eau souterraine du pied des montagnes vers les plaines irriguées. Ce sont les kanats, dont on aurait compté jusqu’à vingt mille exemples en Iran, et dont on retrouve des formes voisines ailleurs, sous le nom de karez au Pakistan ou de foggaras au Maroc. Il faut être descendu au fond d’un de ces puits instables pour comprendre comment, dans la boue et l’obscurité, des

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Photo Michel Batisse

Fig. 5

Fellah égyptien montant une outre d’eau du Nil avec un shadouf.

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Photo Michel Batisse

Fig. 6

Grande Noria de Hama, en Syrie, sur l’Oronte.

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milliers de puisatiers ont, pendant des siècles, creusé et réparé ces étroits tunnels dans lesquels ils ne pouvaient se glisser qu’à grand’peine, et combien y sont restés, ensevelis sous les effondrements ou noyés par l’arrivée brutale des eaux.

S’ils appelaient à la réflexion, ces moyens traditionnels, encore très courants il y a cinquante ans puisque les kanats, par exemple, alimen- taient toujours Téhéran, ne tenaient évidemment guère de place dans mes activités. Celles-ci furent d’abord consacrées à faire l’inventaire des institutions et des personnes susceptibles d’être intéressées par notre programme sur la zone aride et sur tout ce qui s’y rapportait, puis à tenter de cerner les grandes questions qui se posaient dans ce domaine, c'est-à-dire pour l’essentiel dans le domaine de l’eau, afin de voir ce que nous pouvions éventuellement faire, avec notre bonne volonté comme principal moyen, pour apporter une contribution de quelque utilité. Ceci m’amena à rencontrer beaucoup de gens s’occupant de problèmes très divers.

Toujours des barrages ...

Le sujet d’actualité dont on parlait alors en Egypte était celui du Haut Barrage d’Assouan, dont on sait les affrontements et les controverses qu’il devait bientôt susciter. Sa composante purement hydrologique, c'est-à-dire le régime du Nil et ce qu’on pouvait en attendre, était assez claire après toutes les mesures effectuées depuis les Pharaons, et plus scientifiquement depuis Bonaparte et les études modernes des ingénieurs britanniques. Youssef Simaika, qui était membre du Comité consultatif, faisait autorité sur cette question primordiale. En revanche, sur les choix techniques touchant au barrage et aux aménagements, le débat était encore assez ouvert, en particulier avec Mohamed Selim, l’ingénieur en chef s’occupant du projet. Les avantages de cet énorme ouvrage, tout comme les divers inconvénients qui lui ont été un peu trop complaisamment attribués après coup, faisaient l’objet de discussions fréquentes et parfois passionnées. On savait fort bien que la vallée et le delta allaient être privés du limon fertile que la crue annuelle du Nil leur avait apporté tout au long de l’histoire, ou que la Méditerranée grignote- rait la côte faute de ce même limon, mais il fallait tenir compte de tous les facteurs, y compris économiques et démographiques, et plutôt rechercher la démarche la plus constructive. Pour ma part, je trouvais par exemple qu’un immense lac de retenue situé dans une région, la Nubie, où l’évaporation est parmi les plus élevées du monde et où plus

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d’un litre sur dix de la précieuse eau du Nil s’en irait en vapeur, n’était guère judicieux. Mais des impératifs stratégiques exigeaient que le barrage soit en Egypte et non pas en amont, dans des régions moins brûlantes de l’Ethiopie et du Soudan. Comment dès lors réduire cette évaporation ? On se devait d’explorer l’épandage d’une couche mono- moléculaire de divers alcools gras, que quelques pays expérimentaient à l’époque, mais cette couche protectrice était très vite déchirée par le vent. On tentait même sur une petite surface de faire flotter une multi- tude de balles de ping-pong, mais on constata bientôt qu’elles se recou- vraient d’algues gluantes. En fin de compte, ce sont hélas les jacinthes d’eau qui recouvrent aujourd’hui le lac, et le problème est resté entier.

Bien que, de la Turquie au Pakistan, la construction de barrages ait été poursuivie jusqu’à nos jours, il fallait aussi rechercher des ressources supplémentaires par d’autres moyens. A cette époque, on ne songeait guère en effet à limiter les besoins en eau en maîtrisant la demande, comme on tente de le faire aujourd’hui, et l’on s’orientait toujours vers l’augmentation de l’offre par mobilisation de ressources nouvelles.

Comme on l’a vu, la solution la plus courante était de faire davantage appel à l’eau souterraine. A cet égard, les progrès de la géologie et des méthodes de forage, apportés par l’exploitation du pétrole, permettaient de s’attaquer à des aquifères de plus en plus profonds. Pourquoi dès lors ne pas explorer les possibilités encore cachées des nappes fossiles du Sahara, nappes très profondes s’écoulant très lentement vers la Méditer- ranée, résultant de l’infiltration des pluies au cours de périodes géologi- ques antérieures, et connues en Egypte sous le nom de « grès nubiens » ? A cette fin, un expert soviétique, M. Pavlov, puis un expert japonais, M. Murakami, furent nommés au Caire, auprès de l’Institut du désert, pour initier les études nécessaires à une technique qui est aujourd’hui utilisée sur une très grande échelle en Libye.

… et des ressources nouvelles

L’attention se portait aussi vers des ressources plus aléatoires, où la recherche pouvait porter des fruits. Ainsi, il est bien connu que la rosée peut être abondante sur les côtes désertiques bordées de courants froids du Chili ou de Namibie. C’est elle qui permit à Saint-Exupéry de survivre dans le désert libyque en recueillant quelques gouttes sur les ailes de son avion endommagé. Mais en dehors de ces situations exceptionnelles, l’examen de tout ce que l’on racontait sur le sujet de la rosée me montra vite que l’imagination y jouait le plus grand rôle.

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Cependant certaines études paraissaient utiles. C’est ainsi que des aides furent apportées à un chercheur suédois, J. Arvidsson, pour effectuer des mesures précises de rosée à Burg el Arab, près d’Alexandrie, et à S. Duvdevani, pour étudier la formation de la rosée et son influence sur la croissance des plantes à Karkour, en Israël.

Dans le même souci d’accroître quelque peu la ressource en eau, une série d’expériences sur la pluie artificielle furent menées au Pakistan sous la conduite de Fournier d’Albe. Celui-ci participait alors à Quetta à l’installation d’un Institut de géophysique. En 1954, avec l’aide d’un brillant boursier, S.I.Rasool, qui devait plus tard effectuer d’importants travaux à la NASA, il procéda dans le Punjab à des dispersions de particules de sel vers les nuages, au moyen de simples souffleurs au charbon de bois. Selon la théorie, la pluie peut se former à partir de petites particules hygroscopiques, et le sel très sec et très fin peut jouer ce rôle. Un peu de pluie tomba sous le vent des sites d’expérimentation et les résultats furent considérés encourageants. Il existe aujourd’hui beaucoup d’entreprises de « faiseurs de pluie » de par le monde qui utilisent des méthodes voisines, avec des résultats généralement assez modestes. Ces expériences valaient en tout cas la peine d’être tentées.

Le sel et sa préparation se révélant coûteux, Fournier d’Albe, dont on ne savait jamais s’il plaisantait ou non, proposa que l’on répande plutôt sur les nuages … de la bière, dont les bulles feraient le même office que le sel. Je crois que l’expérience reste à tenter.

Toujours dans le même souci de trouver des ressources nouvelles, on ne pouvait pas ne pas songer à cette source inépuisable que représente la mer. Depuis longtemps, pour assurer leurs besoins en eau douce, les navires ont eu recours à la distillation d’eau de mer au moyen de chaudières. Ce procédé fait de constants progrès et il est aujourd’hui de plus en plus répandu dans des régions très arides comme le Golfe persique ou dans des îles comme Malte, selon des techniques très sophistiquées. Mais il demande de l’énergie et le coût de l’eau distillée était à l’époque beaucoup trop élevé. Ne pouvait-on alors tenter de faire appel à une énergie à la fois gratuite et abondante en zone aride : le soleil ? Des expériences furent donc menées, notamment avec Harry Tabor en Israël. Les résultats furent assez décevants pour la production d’eau douce, le sel laissé par la distillation venant vite corroder l’instal- lation. Mais ils conduisirent à la mise au point de surfaces réfléchis- santes présentant un grand intérêt pour le chauffage de l’eau.

Ces quelques souvenirs personnels visent simplement à souligner que

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toutes les pistes de recherche, larges ou limitées, relatives à la question de l’eau, étaient volontiers explorées dans le cadre du programme sur la zone aride. Ils montrent aussi que le Moyen-Orient, malgré ses moyens scientifiques limités, mais en raison de ses besoins vitaux et de son expérience plus que millénaire, représentait une région particulièrement indiquée pour mener ces passionnantes études.

6. Les terres arides : un « Projet majeur »

L’une des critiques récurrentes que l’on adresse à l’Unesco porte sur la dispersion de ses activités, ce qui amène périodiquement ses Directeurs généraux successifs à présenter des formules de concentra- tion du programme. Ainsi dès 1955, dans l’esquisse de programme et de budget pour 1957-58, le Directeur général Luther Evans proposa-t-il au Conseil Exécutif d’envisager la préparation de Projets majeurs, auxquels l’Organisation tout entière consacrerait des moyens renforcés pendant un temps déterminé et dans une partie du monde donnée. Selon le langage officiel, « l’ampleur de ces projets devait permettre d’obtenir dans des délais fixés des résultats substantiels d’ordre pratique dans la solution de problèmes importants ». Luther Evans penchait pour quatre Projets majeurs, les Etats-Unis pour trois, et il aurait fallu se contenter de deux si le budget de l’Organisation n’était pas augmenté. Après de longues consultations, il apparut que l’un des Projets majeurs, bientôt connu comme Orient-Occident, devrait porter sur les rapports culturels avec l’Asie, et qu’un autre serait consacré à l’éducation en Amérique Latine. L’Afrique, encore peu représentée avant la décolonisation, était passée sous silence. Mais il fallait un Projet majeur dans le domaine des sciences.

Le programme sur la zone aride, qui était considéré comme un succès et qui permettait de prendre en compte des problèmes intéressant particulièrement les pays arabes ainsi qu’Israël, parut tout désigné comme base de ce projet scientifique. Il fut donc décidé par la Conférence générale, tenue à New Delhi en novembre 1956, au beau milieu de la crise de Suez qui affectait précisément le Moyen-Orient, que le troisième et dernier Projet majeur serait relatif « aux recherches scientifiques sur les terres arides ». La notion climatique de zone aride serait simplement remplacée par celle, plus large et plus intelligible, de

« terres arides ». Le projet aurait une durée de six années et porterait sur l’intensification et la coordination des recherches, « notamment dans la

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Photo Press Agency

Fig. 7

Lors d’une exposition au Caire sur la cartographie et la zone aride, Luther Evans, Directeur général

de l’Unesco, montre à Soleiman Huzzayen, Secrétaire de la Commission nationale

égyptienne, l’emplacement de son Texas natal.

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