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La perception du temps en confinement

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Academic year: 2022

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La perception du temps en confinement

Nathalie Mella

Le confinement introduit une rupture dans notre temps social et individuel. Aux inégalités sociales et spatiales se superpose aujourd’hui une inégalité temporelle, entre ceux qui gagnent du temps pour eux-mêmes, et ceux qui voient au contraire leurs rythmes s’accélérer sous double pression des enfants et du travail.

Pour la grande majorité des gens, le confinement imposé par la pandémie du Covid-19 conduit à une distorsion temporelle : le temps semble être suspendu, et le présent s’étire. Nous sommes dans une bulle temporelle qui se dilate au fur et à mesure des jours. Le temps semble ainsi se dilater, d’autant plus que la fin de cet épisode est floue, incertaine, à la fois proche et lointaine.

Placés dans une zone d’incertitude, nous avons tendance à nous focaliser sur le présent, ce qui est somme toute assez inhabituel dans nos sociétés, qui sont traditionnellement orientées vers le futur, en quête de rentabilité, de prise de décision optimum et de planification (Stolarski et al., 2018).

Les sources possibles de cette distorsion temporelle

Trois phénomènes peuvent expliquer l’impression que le temps semble suspendu en cette période de confinement.

1/ Un confinement à durée indéterminée

Le premier phénomène est que nous sommes dans l’attente, dans l’attente d’une fin à cet épisode qui a constitué une rupture temporelle dans nos vies. Le peu de visibilité sur la fin du confinement, et plus généralement sur la fin de la pandémie, accentue l’impression que le temps s’étire : nous ne pouvons pas encore mesurer la temporalité de l’évènement dont nous sommes en quelque sorte prisonniers. Prisonniers au sens spatial, car limités dans nos déplacements, mais aussi temporel car nous nous retrouvons captifs du présent. Il est difficile d’imaginer les formes et l’étendue des conséquences sociales, économiques, mais aussi psychologiques, des contraintes imposées par le confinement de la moitié de l’humanité mondiale. Se projeter dans le futur aussi bien proche que lointain est devenu, pour la plupart, difficile.

2/ L’anxiété modifie la perception du temps

L’émotion qui accompagne cette période est également un facteur important à la source de la distorsion temporelle (Droit-Volet & Meck, 2007). De nombreuses recherches montrent effet que la perception du temps est intimement liée aux émotions, et qu’une émotion intense génère un phénomène de dilation temporelle (Mella et al., 2011). Un modèle théorique qui explique cet effet est celui développé par Bud Craig, neuroscientifique américain, selon lequel le temps subjectif émerge de la conscience de changement des signaux interoceptifs, c’est-à-dire des signaux internes de notre corps (Craig, 2009). Ainsi, plus l’attention est focalisée sur les signaux corporels, comme il arrive en cas de forte émotion, plus le temps semblera long. En ce contexte de pandémie, où le stress est relayé par les médias de manière pluriquotidienne, l’émotion qui prime est l’anxiété. Cette émotion a la particularité d’être en interaction constante avec les signaux corporels : elle est alimentée par les manifestations somatiques et exacerbe les manifestations de notre corps. À ce titre, l’anxiété a le potentiel d’augmenter ce phénomène de dilatation temporelle. Certaines recherches montrent ainsi que les individus anxieux perçoivent les situations menaçantes comme plus longues que les individus moins anxieux (Bar-Heim et al., 2010). Il est donc très probable que l’anxiété générée par la situation de pandémie participe à l’impression générale que le temps ralentit en cette période de confinement. Il est ainsi probable que cette distorsion du temps soit plus importante chez les individus les plus anxieux, et qu’elle ait de plus grandes répercussions dans les moments de « temps vide », comme par exemple à l’heure du coucher, où l’attention se porte plus facilement sur les signaux internes du corps.

3/ Les matins se suivent et se ressemblent…

Enfin, un élément majeur qui permet également d’expliquer l’impression que le temps est suspendu en cette période de confinement est l’absence d’évènements notables dans notre quotidien. Les recherches en psychologie montrent en effet que l’estimation du temps passé est

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dépendante du nombre d’événements dont on se souvient (Friedman, 1993). Depuis le début du confinement, les activités sociales sont suspendues, les journées se succèdent et se ressemblent, les sujets de société traités par les médias sont principalement liés au Covid-19, et les questions qui occupaient la scène médiatique il y a quelques semaines à peine, comme celle des retraites, semblent dater d’une autre époque. Autant de phénomènes qui renforcent l’impression que peu de choses se passent, et que nous sommes, depuis le début du confinement, dans le même instant, le même présent.

Les conséquences potentielles de cette distorsion temporelle

Si le sentiment général partagé par la grande majorité du monde confiné est celui d’un ralentissement du temps, il y a indubitablement une grande variabilité dans la manière dont le confinement affecte la perception du temps au quotidien, dans les familles.

Pour une grande majorité des gens, on récupère du temps pour soi, et cette période se traduit par une baisse de la pression temporelle. Le temps, qui était devenu si précieux dans nos sociétés qu’on en venait à l’acheter (Rudd, 2019), est redonné gratuitement à chacun. C’est là une conséquence positive qui permet de se réapproprier son temps, de repenser ses priorités.

Avoir soudain du temps pour soi peut être source de bien-être, d’ennui, ou d’anxiété. Pour tous ceux néanmoins qui vivent un relâchement de la pression temporelle, le risque est grand de perdre ses repères temporels. Le fait de vivre en permanence dans le présent, sans structure quotidienne, hebdomadaire, fait peu à peu tomber les repères temporels d’avant le confinement, et s’estomper la différence entre les jours. Le lundi matin n’a plus l’apparence d’un lundi matin, et se confond avec les dimanches. L’absence de projection due à l’incertitude de la durée du confinement renforce la perte de repères temporels. Le temps de chacun se dissocie du temps traditionnellement imposé par la société, heures de lever, de coucher, de repas, de loisirs, et se recompose avec autant de variabilité que de styles de vie différents.

Loin de cette bulle temporelle suspendue, à l’autre extrémité de ce continuum, il y a ceux qui voient leur pression temporelle augmenter. Ces familles qui empilent les plannings de chacun, pour lesquelles à leur journée de travail s’ajoute la classe à la maison d’un ou plusieurs enfants.

Ces familles peuvent ressentir une désynchronisation de leur rythme, soutenu, avec celui du monde extérieur, qui semble s’être arrêté, accentuant ainsi la perte de repères.

Notre rapport au temps se trouve donc considérablement affecté en cette période particulière et ce, par l’isolement physique et social du confinement, dont les limites temporelles sont floues, mais aussi par la charge émotionnelle importante véhiculée par une situation sanitaire incertaine.

Une grande variabilité dans la possibilité et la capacité de se réapproprier le temps peut accentuer le ressenti d’inégalité face au confinement. Ainsi, aux inégalités d’espace imposées par l’immobilité s’ajoute une inégale redistribution du temps individuel.

Sources

Maciej Stolarski, Nicolas Fieulaine et Philip Zimbardo, « Putting time in a wider perspective.

The past, the present, and the future of time perspective theory », in Virgil Zeigler-Hill et Todd Shakleford (dir.), Personality and Individual Differences, Sage, 2018..

Sylvie Droit-Volet, et Warren Meck, « How emotions colour our perception of time », Trends in cognitive sciences, vol. XI, n° 12, décembre 2007.

Nathalie Mella, Laurence Conty et Viviane Pouthas, « The role of physiological arousal in time perception. Psychophysiological evidence from an emotion regulation paradigm », Brain and Cognition, vol. LXXV, n° 2, mars 2011.

Arthur Craig « Emotional moments across time. A possible neural basis for time perception in the anterior insula », Philosophical Transactions of the Royal Society B. Biological Sciences, 12 juillet 2009.

Yair Bar-Haim, Aya Kerem, Dominic Lamy et Dan Zakay, « When time slows down. The influence of threat on time perception in anxiety », Cognition and Emotion, vol. XXIV, n° 2, 2010.

William Friedman, « Memory for the time of past events », Psychological Bulletin, vol. CXIII, n°

1, 1993.

Melanie Rudd, « Feeling short on time. Trends, consequences, and possible remedies

», Current Opinion in Psychology, n° 26, avril 2019.

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Nathalie Mella

Groupe de Recherche en Psychologie de la Santé (GREPS)

Centre Interfacultaire en Sciences Affectives (CISA)

Université de Genève, Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Education

N. MELLA, La perception du temps en confinement dans Sciences Humaines, Avril 2020

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