J.-C L . F ALMAGNE
Propos sur la théorie du mesurage
Mathématiques et sciences humaines, tome 101 (1988), p. 7-34
<http://www.numdam.org/item?id=MSH_1988__101__7_0>
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PROPOS SUR LA THEORIE DU MESURAGE*
J.-Cl. FALMAGNE**
Cette matinée consacrée à la théorie du mesurage se déroulera selon un
programme destiné à la fois à vous
présenter
les concepts fondamentaux et àvous donner une idée assez
précise
de certains résultats récents.Cet
exposé
débutera par unrappel historique, qui
conduiraprogressi-
vement à mettre en
place
certains concepts de base. Je brosserai assezrapi-
dement un tableau de la théorie du mesurage
jusque
vers 1975. Je discuteraiensuite surtout de la
question
des erreurs, de leurformalisation,
et desquestions statistiques qui surgissent.
Vous verrezqu’on
nepossède
encoreque peu de
résultats,
queje
vousprésenterai.
A cetégard, je
vous propose- rai surtout un cadre derecherche,
danslequel
ilapparaîtra
que lesquestions statistiques
que l’on rencontres’apparentent
souvent àl’analyse
convexe, oùelles posent de façon
typique
desproblèmes
assez difficiles.Au cours d’un deuxième
exposé,
Duncan Luce discutera de la structure al-gébrique
des échelles de mesurage. Il se trouve que, pour des raisonsqui
sontloin d’être
évidentes,
les sciences n’utilisentqu’un
trèspetit
nombre d’é-chelles de mesurage. Aux
isomorphismes près,
on ne rencontre dans lapratique
* Cet article est basé sur un
exposé présenté
à la rencontreMathématiques
et Sciences
humaines, qui
s’est déroulée au Centre International de Rencon- tresMathématiques
deMarseille-Luminy
du 22 au 26juin
1987. La rédactiona été
complétée
lors d’unséjour
de l’auteur au "Center for Advanced Stu- dies in the BehavorialSciences",
avec le support financier de la bourse NSF BNS-8700864 et de la Alfred Sloan Foundation. Le travail de l’auteur dans ce domaine bénéficie de la bourse NSF IST84-18860(New
York Univers-ity).
Nous remercions Duncan Luce pour ses réactions à une versionprécé-
dente de l’article.
Les références données dans le cours du texte sont
quelquefois incomplètes.
Une notice
bibliographique
peut être trouvée à la fin de l’article.** New York
University,
23juin
1987.que les échelles
ordinales,
les échelles d’intervalles et les échelles de rapports. Ils’agit
là d’une situation assezmystérieuse,
surlaquelle
des résultats récents obtenus par Narens, Luce etAlper
notamment, dont Luce vousparlera,
ont commencé àjeter
une certaine lumière. Il faut remarquer que ces résultats sontconceptuellement
trèsproches, quoique
apparemmentindépendants,
d’un théorème de Tits sur les groupes de
permutation
transitifs.L’exposé
de Louis Narens sera centré sur laquestion
de la"signifiance"
empirique
des énoncésmathématiques.
Le terme"signifiance"
est une traductionde
l’anglais "meaningfulness".
Il recouvre l’idée que tout énoncéquantitatif
n’est pas forcément admissible en tant que
description
d’unphénomène
ou d’unesituation
empirique.
Cecis’applique
même si ladescription
estprécise,
etexacte. A
première
vue, ceci peut sembler bizarre. Enfait,
l’examen des loisimportantes
retenues par la science est révélateur à cetégard.
Seuls ontété retenus les énoncés
quantitatifs
dont la vérificationempirique
est pos- sible sans que l’on doivepréciser
les unités des échelles de mesurage appa- raissant dans les formules. Ceci se marque d’emblée. Dans le Deuxième Jour des"Dialogues
concernant deux Sciences nouvelles" deGalilée,
Salviatidéclare,
à propos de la balance à bras
inégaux :
"F’rom
this,
we may derive thegeneral
conclusion that any twoheavy
bodies are2n
equilibrium
at distances(from
thefulcrum)
wh2ch areinversely proportion-
a Z to their
1.ùeights" [ 1 ].
De
même,
dans ses"Commentaires", Kepler
écrit :"If
two stones werepZaced
in anypart of
theworZd,
near eachother, yet beyond
thesphere of Zn fZuence (orbem virtutis) of
a third relatedbody,
thetwo
stones,
like twomagnetic bodies,
would cometogether
at some intermediatepZace,
eachapproaching
the otherthrough
a distance inproportion
to themass
of
the other "[2 ] .
Cette
pratique
estquasiment
universelle dans la sciencecontemporaine.
La loi de
Coulomb,
parexemple,
dans l’American Instituteof Physics
Hand-book
(1957)
est énoncée comme suit : ."The
force
in ahomogeneous isotropic
mediumof infinite
extent between two[ 1 ]
GalileoGalilei, Dialogues Concerning
lbo NewSciences,
translatedby Henry
Crew and Alfonso deSalvio,
Dover1954, p.112,
firstedition, Macmillan,
1914.[2]
JohannesKepler,
Astronomia novaaitiologetos
seuphysica coelestis,
tra-dit commentarii de motibus Stellae Marti
(1609),
p.151,
texte cité par Max Jammer,Concepts of
Mass in classical and modernphysics,
Harper,1961,~
p. 54.point charges
isproportionaZ
to theproduct of
theirmagnitude,
dividedby
the square
of
the distance between them. "[ 3] .
On peut se demander évidemment si ce
purisme
dans les énoncésquantita-
tifs est bien
justifié.
Que sepasserait-il
de grave si l’on admettait des énoncés de lois dont le sens ne seraitparfaitement
clair que si les unitésdes échelles de mesurage étaient mentionnées
explicitement ?
Il y a, biensûr,
la nécessité des communications entre chercheurs. Si la forme même des modè- les et des lois
dépendait
des unitésutilisées,
leséchanges scientifiques
seraient très difficiles. Mais ce n’est pas seulement pour éviter la création d’une Tour de Babel
scientifique
que l’on favorisesystématiquement
les énon-cés
signifiants.
Il semble bienqu’il
y ait des raisonsplus profondes.
Je vais avancer ici une idée encore maldigérée,
certainement nonformalisée,
mais que
je
croisimportante.
Il sepourrait
que les théoriciens de la scien-ce donnent
implicitement
lapriorité
aux modèles et aux loisqui
sont, au moins enprincipe, susceptibles
de réalisationphysique. Evidemment,
de tellesréalisations sont nécessairement
indépendantes
des échelles de mesurage uti- lisées pour tracer lesplans.
- Le fait de ne considérer que des énoncés
quantitatifs signifiants
a desapplications pratiques importantes.
Il permet, dans certains cas, de deviner la formegénérale
d’une loi apriori,
sans avoir faitl’expérience, simple-
ment sur la base des échelles de mesurage entrant dans
l’expression
de la loi.Un
exemple
au moins de ce typed’application
vous est connu : ils’agit
del’analyse
dimensionnelle de laphysique, qui apparaît
donc comme uneapplica-
tion du concept de
signifiance.
Ce dernier est toutefois de caractère beau-coup
plus général.
Comme vous pouvez
le constater,
le concept designifiance
pose des ques- tionsdélicates, qui
ne sont pas toutes résolues.L’exposé
de Narens vous met- tra au fait de l’état actuel des travaux. Notons que le concept designifiance
est fortement lié à celui de type d’échelle de mesurage. En
effet,
selon unedes définitions de ce concept, une loi est dite
signifiante
si sa forme nedépend
pas du choix des éléments dans les groupes d’échellesimpliqués
dansl’écriture de la loi. Les
exposés
de Luce et de Narens sont donc étroitementcomplémentaires.
Finalement,
dans le dernierexposé
de lamatinée,
Jean-Pierre Olivier fera l’examencritique
de ces travaux. Il discutera aussi de certains aspectsnégligés,
pour des raisons de temps, dans lesexposés précédents.
[3] GRAY,
D.E.(Ed.)
American Instituteof Physics Handbook,
NewYork,
MacGraw-Hill,
1957.CONCEPTS DE BASE
Tout mesurage dit
fondamentaZ,
c’est-à-dire nedépendant
pas d’un mesuragepréalable,
peut êtreregardé
comme unereprésentation,
ouplongement
homomor-phique,
d’une structureempirique
dans une structurenumérique.
Leplus
sou- vent, la structurenumérique
est la structure conventionnelle de 1R(en
tantque groupe ou corps ordonné
archimédien), qui apparaît
soitexplicitement,
soit
implicitement.
Je reviendrai sur cette distinctionimportante
dans unmoment. Pour
préciser
et illustrer cettenotion,
considéronsl’exemple
du me-surage des
poids
au moyen de la balance à deuxplateaux (et
à braségaux,
voir
Fig. 1).
Figure
1 : Mesurage fondamental despoids
par la balance à deuxplateaux.
La situation de lafigure
est notéex * y z
N
Idéalisant cette
situation,
on se donnera un ensemble Xd’objets,
mu-ni d’une relation binaire N formalisant la
position
relative desplateaux
de la
balance,
et uneopération
de concatenation * formalisant la combinai-son de deux ou
plusieurs objets
sur le mêmeplateau.
On considère alors natu-rel de rechercher une
représentation
de(X,*,)
dans lapartie positive
N
d’un sous-groupe des réels. Par
représentation,
on entend ici uneapplication
m de X dans les réels
positifs,
satisfaisant les deux conditions de mono-tonicité et d’additivité
et
Il découle de cette
représentation
que N est nécessairement unpréordre
to-tal sur X , et
que *
doit satisfaire à certaines despropriétés
d’un grou- pe. Ce type de mesurage estappelé
mesurageextensif.
On considère souvent,implicitement,
quel’image
de m est un ensemble convexe de ce sous-groupe,ou même un intervalle réel. Dans ce dernier cas, le
quasi ordre
satisfaità une condition de Dedekind.
Cette idée était
déjà
venue àHelmholtz,
vers 1887. Lapremière
forma-lisation
complète
est due à H61der(1901), qui
énonce et démontre le résultatclassique :
THEOREME
(H6lder, 1901).
Tout groupe ordonné archimédien estisomorphe
à unsous-groupe additif des nombres
réels,
et est donc commutatif. Deplus,
sim et m’ sont deux
isomorphismes
vers lesréels,
alors on a nécessairementm = k m’ pour un certain k > 0 .
Les conditions définissant un groupe ordonné
n’impliquent
pas la commutativi-té, laquelle découle,
via lareprésentation
dans lesréels,
de la conditiond’Archimède. Ce théorème
s’applique
à la théorie du mesurage en ne considé-rant que les
parties positives
des groupes enquestion.
Dans la démonstration laplus
connue de cethéorème,
on construitl’isomorphisme explicitement.
Onpossède
donc uneprocédure
de constructionpratique
d’une échelle de mesurage extensif fondamental. La condition d’unicité est souvent énoncée en disantqu’on
a une échelle derapports.
_
Essentiellement le même
procédé
peut être utilisé pour d’autres gran- deursphysiques fondamentales,
notamment pour le mesurage de lalongueur
etle mesurage du temps. Il
s’agit
là dupremier
résultat fondamental de la théo- rie du mesurage, le second étant le théorème de Cantor-Birkhoff concernant les conditionsgarantissant
leplongement
d’un ordre total dans l’ordre des réels.Diverses
généralisations
du théorème de Hblder ont étéproposées, qui
consistent le
plus
souvent en des améliorations sur leplan
du réalisme. On peutcritiquer
dans la formalisation deH51der,
le fait quel’opération
deconcaténation * soit fermée. Il n’est certainement pas réaliste de supposer que pour toute
paire d’objets
x,y on pourratoujours
formerl’objet
x * y . Cela supposeautomatiquement
que lacapacité
del’appareillage
n’est pas bor- née. On peut aussi regretterl’hypothèse implicite
de l’existenced’objets
arbitrairement
petits.
Parmi d’autresgénéralisations,
mentionnons une carac-térisation de tous les sous-ensembles convexes,
positifs
des sous-groupes ad- ditifsde ~ ,
danslaquelle
la condition de commutativitéapparaît
comme unaxiome
indépendant [4].
Dans le cadre de la Théorie duMesurage,
ceci doitêtre
regardé
comme unprogrès,
enparticulier
parce que la commutativité esttypiquement
facile à vérifierempiriquement.
Après
le résultat deHolder,
la théorie de mesurage s’est peudéveloppée jusqu’après
la seconde guerre mondiale. Ceci se comprend sanspeine.
L’essor[4] FALMAGNE, J.- C1.,
A set ofindependent
axioms forpositive
Holder systems,Philosophy of Sciences, 1975, 42,
137-151. ,extraordinaire de la
physique pendant
cettepériode
n’était certainement paspropice
à des réflexions anxieuses sur les fondements. Quant aux sciences hu-maines,
elles étaient encore fort peu mathématisées.D’ailleurs,
uneopinion
assez
largement acceptée
était que la construction d’une échelle de mesurage fondamental devait nécessairement suivre le schéma ébauché ci-dessus pour le mesurage dupoids (voir
parexemple Campbell [5],
Guild[6]
et Reese[7]).
C’est-à-dire que cette construction devait nécessairement reposer sur une con-
caténation
empirique explicite,
que l’onreprésentait
par l’addition des nom-bres réels.
Comme,
d’une part, la structure de groupe archimédien ordonné estessentielle pour définir les
réels,
et que d’autre part, on ne rencontre pra-tiquement
pasd’opération
de concatenation dans les scienceshumaines,
on enconcluait que ces sciences n’auraient
jamais
d’échelles de mesurage fondamen- tal au sens entendu enphysique, c’est-à-dire,
des échelles de rapports ou des échelles d’intervalles. On aurait certainement des échellesd’ordre,
mais pasdavantage. Evidemment,
ce que l’on aurait dû voir tout desuite,
c’est que la structure de groupe ordonnépouvait
fort bienapparaître
sous des dehors in-habituels, l’opération
de concatenation étantimplicite.
Je donnerai desexemples
de tellessituations, qui
montrent que des échelles de rapports ou d’intervalles peuvent fort bien exister dans les sciences humaines.De façon
parallèle,
des mathématiciens peu soucieux dephilosophie
dessciences
continuaient,
bienentendu,
à sepencher
sur les structures numéri- ques, et à obtenir des concepts et des résultats utiles. Comme Monsieur Jour- dain de la prose, ces mathématiciens faisaient alors de la théorie du mesu-rage sans le savoir.
Vers les années
cinquante,
on a fini paradopter
un cadregénéral
pour la théorie du mesurage. On se donne audépart
une certaine structureempiri-
que, formalisée par un
système
relationneldans
lequel
X est un ensembled’objets,
etR~,R2,...,Rn sont
des relationssur X décrivant des observations ou des résultats
d’expérience.
Onspécifie
l’ordre de ces relations. La relation R. est dite d’ordre k si R. cx k .
i i-
On choisit alors un
certain système
relationnelnumérique
[5] CAMPBELL, N.R., Physics :
TheElements, Cambridge, Cambridge University Press, 1920, Reprinted
as Foundationsof Science,
NewYork,
Dover, 1957.[6] GUILD,
J., Part III of"Quantitative
estimation of sensoryevents"(Interim Report), Rep.
British Assoc. Advanc.Sc., 1938,
296-328.[7], REESE,
T.W., "Theapplication
of thetheory
ofphysical
measurement to the measurement ofpsychological magnitudes,
with threeexperimental examples",
Psychol. Monogr., 1943,
55(whole
nO.251),
1-89.dans
lequel chaque
relationSi
i est de même ordre queRi .
1 et l’on recherchedes conditions sur
Ôl qui garantissent
l’existence d’unereprésentation
fde
~
dans~.
Cecisignifie
que f est uneapplication
de X dansIR 31
telle que, pour tout i =
1,...,n ,
on a, siR, 1 est
d’ordrek(i) ,
Bien
entendu,
les relationsSi
ne sont pas choisiesarbitrairement,
mais sont définies dans des termes
impliquant
d’une manière ou d’une autre la structure de corps ordonné additif des . Ces relationsSi
constituent donc enquelque
sorte un modèlemathématique
des données formalisées par les relationsRi [8].
Ce formalisme peut être attribué à Scott etSuppes.
Il segénéralise
encore en supposant que l’ensemble X est unproduit cartésien,
X =
X~
1 x ...x m (les objets
sontdésignés
parplusieurs attributs).
Dans cecas, la
représentation
f est uneapplication
de X dans~m.
Dans le casdu mesurage
extensif,
le théorème de Hblder et sesgénéralisations garantis-
sent l’existence d’une
représentation
m dusystème
relationnelempirique
(X,*,~)
dans le groupe ordonnéZut,+,) .
Donnonsquelques
autresexemples.
LE MESURAGE DES DIFFERENCES
Dans une situation
classique
depsychologie expérimentale,
on demande à unsujet
de comparer sespréférences
dans despaires d’objets (x,y),(z,w),..., prélevées
dans un ensemble X x X . Ils’agit
donc d’évaluersubjectivement
la
préférence
de x sur y , ainsi que celle de z sur w , et de comparerces évaluations. On convient d’écrire
si la
préférence
de x sur y n’excède pas lapréférence
de z sur w . Onse demande alors si les évaluations de
préférences
peuvent êtrereprésentées
par des différences
numériques.
En d’autres termes, existe-t-il une fonction u , à valeursréelles,satisfaisant,
pour tout x,y,z,w dans X ,l’équiva-
lence
[8]
Notons en passant que, si l’ensemble X est fini oudénombrable,
ilexistera
toujours
unereprésentation numérique
deX , quelles
que soient les relations R.. Il suffit en effet d’attribuer arbitrairement des nu-1
méros
f(x)
aux éléments x deX ,
et de définir les relations numéri- quesSi
parl’équivalence (1).
Il est clairqu’une
tellereprésentation
ne
présentera
engénéral
aucun intérêt.La
relation
est donc nécessairement unpréordre
total sur X x X . On vé-rifie facilement que cette relation doit satisfaire aux deux conditions
[Bicancellation]
[Quadruple Condition]
Sous des conditions assez
générales,
et enparticulier
une condition d’Archi- mède formulée de façonappropriée,
chacune de ces deux conditionsgarantit
lareprésentation (2). (Ces
conditions sont connuesrespectivement
sous les nomsde Bicancellation et
Quadruple
Condition dans la littérature delangue
an-glaise
sur lemesurage.)
Ce
qui
estbeaucoup plus intéressant,
c’est de voir que lesystème
re-lationnel
(X
x X, N) ,
danslequel n’apparaît
pasd’opération
de concaténa-tion,
peut enfait,
sous des conditionsconvenables,
dissimuler un groupe or-donné archimédien. Si bien que le théorème de
plongement garantissant
la re-présentation (2)
devient en fait uneapplication
contournée du Théorème de Holder ou de l’une de ses variantes. La construction est fortsimple.
Soit N la relation
d’équivalence
associée aupréordre
total N . Pourtout x,y dans X , on note
[xy]
la classed’équivalence
contenant le cou-ple
xy , c’est-à-direOn définit alors une
opération *
sur lapartition XI N engendrée
par larelation
d’équivalence - ,
par la formulePar suite de la condition
[BC], l’opération
* est non seulement bien défi-nie,
mais aussi associative. Enfait,
notant l’ordre linéaire associé aupréordre ,
on montre sans difficulté(sous
des conditions derégularité
assez
évidentes)
que(X
Î-~,*,)
’- est un groupe ordonné. ° Si l’onimpose
aussila condition
[Q],
le groupe est commutatif. Sans supposer cette condition sa-tisfaite,
uneapplication
du Théorème de H81der est obtenue enimposant
ausystème
relationnel(X
x X ,)
une condition de typearchimédien,
consis-tant en une
simple
traduction de la condition d’Archimède sur(X ,*,) .
1-’ ’- ° Ilen découle
qu’il
existe unplongement
f de(X * )
dans(]R +,)
telque, pour tout x , y , z et w , on ait :
et
Notons en
particulier
que, pour tout x E X :ce
qui implique immédiatement,
pour tout x,y E X ,Fixant un certain
x0
dans X , on définit alors une fonction à valeurs réel- les u sur X par la formule :Ceci
donne,
pour tout x , y , z et w , successivement :Remarquons que le choix de
Xo
entraîneOn obtient ici une échelle d’intervalles. Ceci est encore une consé- quence du Théorème de Hblder. En
effet,
si f et f’ sont deuxisomorphis-
mes réels de
(X,-,*,) ,
on a nécessairement f’ =kf ,
pour un certain k > 0 . Etant donné deuxreprésentations
u et u’ de(X
xX,) ,
N un argu- mentsimple
entraîne la relation u’ = ku + c , danslaquelle
kdépend
desfonctions f et
f’ ,
et cdépend
des choix des élémentsx~
etxà
telsIl était sans doute bon de décrire dans un certain détail au moins une
des
applications
de la Théorie du Mesurage aux Sciences humaines. Cette ap-plication apparaît
en tant que modèle notamment en économiemathématique,
pour le mesurage de
l’utilité,
et dans lapsychophysique
de Fechner. Mais ilnous faut maintenant
changer
d’allure. Diverses autresreprésentations
ontété
analysées.
Je me bornerai à citer iciquelques exemples
marquants.MESURAGE ADDITIF CONJOINT
L’ensemble
empirique
est unproduit
cartésien A x X , surlequel
on se donneun
préordre
total . N Commeci-dessus,
on note Nl’équivalence
associée à. On recherche deux fonctions f :A -1R , g : X IR , telles que
N
On vérifie facilement la nécessité des conditions suivantes :
[Indépendance]
[Indépendance]
[Double Cancellation]
Lorsqu’on remplace,
dans la formule de la DoubleCancellation,
lepréor-
dre par la relation
d’équivalence associée - .
on obtient la Conditiondite de Thomsen. Sous des conditions de
régularité
convenables(comprenant
une condition
archimédienne),
la Condition[DC]
est suffisante. Dans cecadre,
les échelles obtenues pour les fonctions f et g sont des échelles d’inter- valles
partiellement
associées : si(f,g)
et(f’g’)
sont deuxreprésenta- tions,
on auraLES BIORDRES OU RELATIONS DE FERRERS
z
On se donne une relation binaire R entre deux ensembles A et
X ,
c’est- à-dire R c A x X . Unexemple empirique fréquemment
rencontré est celui oùa E A
représente
unequestion
d’un test, et x E Xreprésente
unsujet;
onnote alors aRx la résolution correcte du
problème
a par lesujet
x . Oncherche une
représentation unidimensionnelle,
incarnée par deux fonctionsf : A ~R , g : X ~R ,
telles queIntuitivement,
lesujet
résoud laquestion
si sacompétence (ou
sonhabilité)
domine la difficulté de la
question.
Une condition nécessaire est que pour touta,b E
A etx,y E X ,
on aitToute relation R c A x X satisfaisant à cette condition est
appelée
un bi-ordre
(ou
relation de Ferrers) de A vers X . Si A et X sont des ensem-bles
finis,
cette condition est suffisante. En d’autres termes, tout biordre fini R estreprésentable
dans les réels dans le sens de la formule(3).
Unensemble de conditions nécessaires et suffisantes est obtenu en
ajoutant
à[BO]
une condition de densité dans l’ordre permettant l’utilisation du théo- rème de Cantor-Birkhoff mentionnéplus
haut. Ce modèle est apparu dans les sciences humaines sous le nom d’échelle de Guttman.LES SEMIORDRES
Une relation S sur un
ensemble
X estappelée
semiordre si elle satisfaitaux trois conditions suivantes :
(i)
S est un biordre de A vers A ;(ii)
S est irréflexive sur A ;(iii)
SixSy
etySz ,
alors xSw orwSz ,
pour tout x,y,z,w E X . Dans le cas où l’ensemble X estfini,
ces conditions sont nécessaireset suffisantes pour l’existence d’une fonction f : X os, telle que
Une démonstration de ce fait sera ébauchée dans un moment, basée sur une
technique
de Scott. Cettereprésentation
formalise le concept de seuil.Sup-
posons par
exemple
que lapréférence
de y sur x soit notéexSy .
Selonl’équivalence (4),
y estpréféré
à x si et seulement si sa valeursubjec-
tive
dépasse
celle de x deplus
de la valeur duseuil, lequel
est fixé ar-bitrairement à l’unité. Le concept de semiordre est dû à Luce
[9],
et a étéélaboré ensuite par
plusieurs
chercheurs.REPRESENTATION MULTIDIMENSIONNELLE
On a aussi
analysé
desreprésentations
à caractère multidimensionnel.Je décrirai très sommairement deux
exemples.
1.
Représentation
dans un espacemétrique
On’demande à un
sujet
dejuger
lesproximités (ou similarités)
desobjets
dans un ensemble X . On note
xy " N zw
si le
sujet
déclare que z ne semble pasplus proche
de w que x de y . On se donne un espacemétrique (E,d)
de classe donnée C .(Par exemple
(E,d)
est un espace euclidien de dimension3).
On cherche alors à construireune fonction f : X -~ E , telle que, pour tout x,y,z,w dans
X ,
Dans le cas de
l’espace
euclidien de dimension3,
on cherche donc à associer à tout x E X unpoint f(x) = [ f (x) f (x) f (x) ] dans 3
de telle ma-nière que, pour tout x,y,z,w
E X ,
on aitCe type de
représentation
a étébeaucoup
utilisé dans les sciences hu-[9]
LUCE, R.D., "Semiorders and atheory
ofutility discrimination",
Econometrzka, 1956, 24,
178-191.Pour une
présentation
de résultatsrécents,
on consultera le livre :FISHBURN, P.C.,
Interval orders and .IntervaZ sets : Astudy of partiaZ-
ly
orderedsets, Wiley
Interscience Series in DiscreteMathematics,
Wiley Interscience,
1985.maines. Notons
qu’une représentation
esttoujours possible
dans un espace eu-clidien,
si la dimension de cet espace n’est pas fixée audépart.
Divers pro-grammes ont été
développés, qui
permettent dereprésenter
l’ordreempirique
dans un espace de dimension minimale.
2.
Espaces
"Combinatoires"Il
s’agit
là de travaux assezrécents,
danslesquels
on cherche àplonger
unestructure
empirique
dans un espace nonmétrique.
Dans ce cas, la structure dimensionnelle peut être baséesimplement
sur des relations d’ordre. Un bonexemple
de tellesreprésentations
est offert par unegénéralisation
de lanotion de
biordre,
fondée très directement sur le concept de dimension d’un ordrepartiel,
au sens de Dushnik et Miller. Comme dans le cas d’unerepré-
sentation basée sur un
biordre,
on se donne audépart
une relationempirique
R de A vers X , et l’on note aRx le fait que la
question
a été résoluepar le
sujet
x . On admet lapossibilité
queplusieurs
dimensions decompé-
tence
puissent
intervenir dans la résolution desquestions. Ainsi,
dans lecas où l’ensemble X contient des
problèmes
demathématique,
il faut que lesujet
soitcapable
decomprendre
l’énoncé d’unproblème donné,
cequi
néces-site une certaine connaissance de la
langue,
il fautqu’il
soit à même deformaliser le
problème
de manièreappropriée,
cequi
demande de la maturitémathématique,
et finalementqu’il dispose
destechniques
de résolutions adé- quates. En supposant que n dimensions decompétence
soient nécessaires pour la résolution desproblèmes,
on recherche 2n fonctions à valeurs réellestelles que pour tout a E A et
x E X ,
Généralisant le concept de dimension d’un ordre
partiel,
cettereprésenta-
tion conduit naturellement à définir la bidimension d’une relation R comme
le
plus petit
nombre n de biordres B. , i =1,...,n
de A vers X1
tels que
(8) R = n1inBi .
°Comme dans le cas de la dimension d’un ordre
partiel,
leproblème
dela détermination de la bidimension d’une relation est
NP-complet.
Onpossède
néanmoins des résultats récents dus à Chubb
[10],
et surtout Koppen[11],
[10]
CHUBB, C.,"Collapsing binary
data foralgebraic
multidimensional repre-sentation, Journal of Mathematical Psychology, 1986, 30,
161-187.[11 ] KOPPEN,
M., Onfinding
the bidimension of arelation, Journal of
Mathe-matical