• Aucun résultat trouvé

L’ Nouveaux moyens de paiement :nouveaux risques ?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L’ Nouveaux moyens de paiement :nouveaux risques ?"

Copied!
21
0
0

Texte intégral

(1)

nouveaux risques ?

Pierre Gazé

1

efficacité avec laquelle les paiements sont réalisés est une question porteuse d’un double enjeu macroéconomique. En premier lieu, il faut que les relations commerciales et financières que nouent les agents ne soient ni entravées ni ralenties par des obstacles qui s’opposeraient aux règlements qu’elles impliquent. Il ne serait pas acceptable qu’un dysfonctionnement, voire un blocage des paiements, gêne le bon déroulement des transactions économiques.

A cet impératif de bon acheminement des paiements doit s’ajouter une exigence collective d’efficacité productive dont la dimension ne doit pas être sous-estimée. Il faut en effet avoir conscience des ressources mobilisées dans l’organisation des paiements. Par exemple, on estime aux environs de 3 % de PIB le coût de production des paiements de l’économie des Etats-Unis. Dans ces conditions, on comprend aisément que les innovations dans le champ des paiements de détail soient des vecteurs potentiels d’économies de ressources significatives à l’échelle macroéconomique. Par exemple, l’abandon des paiements papiers au profit des paiements électroniques serait susceptible de diminuer le coût global de production des paiements de un tiers à la moitié de ce qu’il est aujourd’hui2.

Outre ces objectifs de productivité, les innovations tous azimuts, dont font preuve aujourd’hui les systèmes de paiement des pays industrialisés,

1. LEO (Laboratoire d’Economie d’Orléans), UMR CNRS 6586, Université d’Orléans.

2. Humphrey D. B., Keppler R., Montes-Negret F. (1997).

L’

(2)

sont de nature à mieux répondre à de nouveaux besoins des agents pour effectuer leurs transactions. Les paiements sur internet en sont le parfait exemple. La satisfaction de ces besoins nouveaux est d’ailleurs sûrement plus complexe qu’on l’avait imaginée il y a quelque temps comme l’attestent les très nombreux échecs que les solutions innovantes ont dû essuyer. En même temps que les « bons » modèles vont peu à peu être sélectionnés par les demandes des acteurs des systèmes de paiement, de nouvelles logiques économiques vont s’esquisser. Dans certains cas, les technologies numériques vont être à l’origine de mutations stratégiques importantes sur le marché des paiements de masse.

Les banques sont déjà affectées dans leurs choix stratégiques car elles doivent sélectionner et vendre ces nouveaux moyens de paiement à une clientèle dans l’ensemble assez circonspecte. Pour ce faire, elles sont conduites à établir des partenariats nouveaux et à s’exposer à des risques techniques et commerciaux croissants. Plus radicales encore seront les mutations liées à l’intrusion croissante des firmes non bancaires dans la production des paiements. De simples partenaires techniques, confinés dans une relation de sous-traitance, ces firmes commerciales ou industrielles peuvent devenir de véritables concurrentes des banques. Cette immixtion s’évalue selon une gradation qu’il conviendra d’identifier dans ses grandes lignes. Elle peut notamment se traduire, dans des cas extrêmes, par une contestation du monopole des banques centrales à battre monnaie, c’est-à- dire à définir l’unité de compte dominante.

Il est clair que ces évolutions économiques vont se traduire par l’émergence de risques nouveaux et peut-être par la résurgence de risques anciens. Ces risques porteront sur les offreurs de solutions de paiement et donc sur leur clientèle. Cette contribution a pour but d’identifier ces risques.

L’idée qui est exposée ici est que les progrès technologiques peuvent être un facteur de risque supplémentaire uniquement lorsqu’ils modifient l’organisation économique des paiements. Il nous semble que les risques les plus spectaculaires comme la fraude ou la défaillance technique des systèmes sont au fond plus facilement maîtrisables que d’autres risques liés à la dilution du rôle des banques dans l’organisation des paiements. La problématique du risque systémique pourrait alors migrer des systèmes de gros montant vers les systèmes de paiement de masse qui n’avaient pas été jusqu’à présent considérés comme des terrains favorables à l’émergence du risque de système.

Des mécanismes viennent toutefois limiter ces prises de risque, le rôle des autorités de régulation est bien entendu de ce point de vue crucial. Il nous semble que le public contribue dans ces choix de consommateur à épauler

(3)

indirectement les autorités dans le contrôle du risque. Les agents sont probablement caractérisés par une grande aversion au risque et valorisent uniquement les innovations qui satisfont des besoins nouveaux délaissant la plupart des autres offres émergentes. Il convient alors de s’interroger sur ce que l’on attend réellement des innovations dans le domaine des paiements de détail. Existe-t-il des gains espérés – et aujourd’hui encore hypothétiques – qui viendraient compenser des prises de risque supplémentaires, leur donnant ainsi une certaine rationalité ?

Innovation technologique et innovation économique : des notions entremêlées mais non confondues

La sphère des paiements de détail est actuellement le théâtre d’un foisonnement d’innovations qui touchent la conception et le fonctionnement des moyens de paiement. C’est le progrès constant des technologies numériques mais plus encore le développement d’internet et les besoins qu’il suscite qui alimentent à un rythme élevé ce flux de nouvelles solutions de paiement. Ces innovations prennent des formes très variées que cette contribution n’a pas pour objectif de recenser et décrire précisément. Ce sur quoi il nous faut en revanche insister, dans l’objectif d’une évaluation des risques, c’est sur la diversité du champ couvert par ces innovations. Des moyens de paiement laissent les logiques économiques inchangées, d’autres les modifient et certains les bouleversent. Cette première partie tente de rendre compte de ces nouvelles logiques selon les types de solution envisagées.

Une gradation dans l’innovation économique Innovation technologique à logique économique inchangée

Il convient de distinguer l’idée de l’innovation technologique de celle de l’innovation économique malgré les liens étroits qu’elles peuvent entretenir dans l’économie des paiements. Certaines innovations ne modifient que peu la logique économique des paiements. C’est typiquement le cas des systèmes qui permettent de faire transiter la monnaie d’un compte bancaire à un autre par des moyens jusque-là inaccessibles ou, plus simplement, dans de meilleures conditions grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Dans la typologie qu’il dresse des systèmes de paiement électronique (SPE), Bounie (2001) évoque ces solutions qui sont articulées autour d’un compte bancaire. Il s’agit typiquement de rendre les paiements par cartes bancaires plus sûrs et d’en augmenter l’acceptabilité.

Les progrès résident alors dans l’efficience accrue des transmissions de

(4)

coordonnées bancaires entre deux agents non financiers. Les protocoles de sécurisation par cryptographie ou au moyen d’un microprocesseur font partie de ces innovations qui, sans être purement technologiques, ne remettent pas en cause l’organisation bancaire des paiements3. Les enjeux économiques de ce type d’innovations technologiques ne sont pas à négliger4 mais la logique purement bancaire du paiement est respectée. Les écritures en comptes, les compensations et les règlements sont toujours sous le total contrôle des banques.

Innovation technologique et nouvelle économie des paiements

La logique économique du paiement se trouve en revanche clairement modifiée lorsque le système innovant est articulé autour d’un compte non bancaire. L’intermédiaire compense et règle les transactions entre utilisateurs du SPE. Au-delà de ces compétences autrefois exclusivement bancaires, ces entreprises offrent un service particulièrement important dans le domaine des transactions sur internet : la certification des termes des transactions. Bounie (op. cit.) parle de système notarié en faisant référence à cette fonction de certification. Ce rôle de « notaire » est créateur de valeur ajoutée car fortement valorisé par le public. Par exemple, dans les sites de ventes aux enchères cette fonction est essentielle. Le système de paiement PayPal fonctionne selon cette logique. Il semble rencontrer un réel succès commercial et à ce titre fait figure d’exception.

Il y a une nouvelle logique économique car PayPal n’est pas détenu par des banques. Cette intrusion des non-banques dans l’offre de moyens de paiement est un fait économique marquant. Contrairement aux solutions évoquées plus haut, les non-banques ne sont pas des fournisseurs des banques mais leurs concurrentes. Là est la principale innovation puisque l’organisation des paiements prend quant à elle une forme classique de règlement en comptes. Notons que ces systèmes se superposent aux réseaux bancaires existants. Ils les alimentent (transferts de monnaie bancaire vers les comptes non bancaires des SPE) et en même temps les concurrencent (paiements des transactions entre membres du système en compte non bancaire).

3. Le protocole Secure Socket Layer (SSL) permet de sécuriser les paiements par cartes bancaires au moyen d’un système de cryptographie. Le Groupement des cartes bancaires dispose quant à lui d’un projet de sécurisation des paiements à distance par lecture du microprocesseur des cartes bancaires.

4. Ces solutions impliquent par exemple que les banques fassent davantage appel à des firmes non bancaires en raison des nouveaux besoins de compétences techniques, ce qui les rend plus dépendantes de ces partenaires techniques.

(5)

Innovation technologique et innovation économique radicale

Enfin, l’innovation économique radicale se produit lorsque les systèmes s’appuient sur des comptes non bancaires et que de surcroît l’unité de compte institutionnelle est mise en concurrence, voire rejetée, comme c’est le cas dans quelques offres teintées de militantisme antiétatique. On compte alors en Beenz, en E-Gold et on annonce des taux de change avec les monnaies dollars ou euros. Les systèmes de fidélisation permettant d’accumuler des « points » dans le but d’acheter des biens et services de partenaires commerciaux et/ou d’être convertis en monnaie institutionnelle appartiennent à cette catégorie. Les « points » sont des créances sur l’émetteur qui circulent sous la forme de moyens de paiement ; le mécanisme fondamental de la création monétaire est retrouvé. Les promoteurs de ces systèmes cherchent à doter leurs titres de créances des trois caractéristiques fondamentales de la monnaie : mesurer la valeur, la stocker et la faire circuler entre agents lors des paiements. Ces solutions permettent de payer « autrement » et constituent à ce titre une innovation de moyens de paiement. Plus encore, elles sont des innovations monétaires. Le système le plus représentatif de ce type de fonctionnement Beenz a été liquidé. Dans ce champ des innovations économiques radicales, on doit ajouter les systèmes adossés à une base monétaire privée dont l’organisation est assez comparable à celle décrite par la théorie de la banque libre. E-Gold précédemment cité appartient à cette catégorie.

Le cas de la monnaie électronique

La monnaie électronique est une innovation monétaire importante5. Elle est une réserve de valeur prépayée, stockée sur un support informatique ou électronique. Sa capacité à bouleverser l’économie des moyens de paiement est encore difficile à estimer. Lorsque la monnaie électronique est une créance sur une banque, elle n’est au fond qu’une promesse de conversion future en monnaie scripturale. Ceci est vrai tant que l’émetteur est assujetti à une réglementation lui imposant la constitution de réserves obligatoires et surtout le caractère remboursable des sommes en monnaie électronique. On sait à ce propos que le traitement juridique appliqué aux émetteurs de monnaie électronique est, à quelques aménagements près, en Europe celui des banques. Dans ce cadre-là, la prise de risque est celle qui tient à l’utilisation plus importante des TIC dans l’activité bancaire6.

5. Pour les enjeux économiques, voir par exemple Gazé (2000).

6. Ces risques sont évoqués dans la deuxième partie de l’article.

(6)

En revanche lorsque la stratégie de régulation réglementaire est a priori utilisée avec parcimonie, comme le veut par exemple la culture anglo- saxonne, l’innovation économique liée à l’émission de monnaie électronique et les risques y attenant peuvent se trouver singulièrement augmentés. Dès lors que la monnaie électronique n’est plus la certitude d’une conversion au taux de un pour un en monnaie bancaire ou en monnaie de la banque centrale, la prise de risque est radicalement modifiée. Dans un tel cas de figure la notion de prépaiement devient d’ailleurs impropre puisque la monnaie électronique cesse d’être un titre de créance sur des formes monétaires usuelles.

On le voit, il existe une gradation d’innovations économiques qui ne se recoupe pas exactement avec l’échelle de mesure de l’innovation technologique. C’est probablement plus sur la première échelle que sur la seconde que se détermine le degré de risque présenté par ces nouveaux moyens de paiement.

La technologie n’est pas en soi porteuse de risques

La technologie facteur de développement du risque frauduleux ?

L’idée selon laquelle le degré de sophistication technologique ouvre la porte à des prises de risque nouvelles et plus importantes est assez souvent relayée. Bien que chaque innovation technique donne naissance à de nouveaux risques, il n’est pas possible d’affirmer d’emblée que le système est dans son ensemble davantage exposé au risque qu’il ne l’était auparavant.

Il est vrai que les paiements sur réseaux ouverts (sur internet) donnent naissance à des risques nouveaux et très spectaculaires lorsqu’ils sont de nature frauduleuse. Des failles dans les systèmes les plus sécurisés sont constamment évoquées et font l’objet d’une publicité qui bien souvent empêche de prendre la véritable mesure quantitative de ces problèmes. En France, l’année 2000 a vu la condamnation d’un informaticien pour contrefaçon, falsification de cartes de paiement et intrusion dans les systèmes de sécurité des paiements7. D’autres individus ne se sont pas contentés de dénoncer les faiblesses d’un système mais les ont exploitées à leur profit. McHugh (2002) rapporte que la fraude est un problème très préoccupant pour les fournisseurs de systèmes de personne à personne (P2P). Par exemple, au cours de l’année 2000, un groupe de pirates

7. Il s’agit de l’affaire Serge Humpich/GIE cartes bancaires. Tribunal de Grande Instance de Paris, 13e Ch. correctionnelle. Jugement du 25 février 2000.

(7)

informatiques russes a commencé à blanchir de l’argent à partir de cartes de crédit volées en utilisant l’intermédiaire d’un P2P en ligne.

Pourtant, et même si les TIC ouvrent des nouveaux modes d’utilisation frauduleuse, elles ne sont pas en elles-mêmes des facteurs de risque. L’étude sur les taux de fraude par instruments de paiement aux Etats-Unis menée par Roberds (1998) est édifiante sur ce point. Les cartes de débit sont des instruments particulièrement peu vulnérables à la fraude (0,01 % de fraude).

Ce taux est à comparer à ceux des paiements par cartes de crédit (0,15 %) ou par espèces (0,10 %). En France, le taux de fraude8 des paiements par cartes bancaires (cartes de débit) est de l’ordre de 0,02 % ce qui en fait le moyen de paiement le plus sécurisé à ce jour grâce à la technologie numérique mobilisée par ces paiements.

L’arbitrage risque/coût

Ces quelques statistiques suggèrent que la sophistication technologique n’est pas un facteur d’accroissement des risques frauduleux.

La maîtrise du risque ne consiste pas à le ramener au niveau le plus faible possible mais à garder la capacité de choisir et maintenir son niveau effectif.

Le degré de sécurité offert par un système n’a en effet que peu de raison d’être ramené à des niveaux quasiment nuls. Il doit en revanche être choisit avec beaucoup de soin dans le cadre d’une réelle optimisation économique.

En effet, il est le plus souvent optimal de supporter une part du risque pour ne pas renchérir, au-delà de ce qui est nécessaire, l’organisation des paiements. Cette idée bien connue d’un arbitrage entre le coût et le risque est de première importance. On peut admettre qu’une définition possible du taux de fraude optimal est donnée par l’égalisation entre le coût marginal de sécurisation d’un système de paiement et le gain marginal qui est obtenu par cette sécurisation. Il est peut-être plus intéressant encore de souligner que ce couple optimal risque/coût ne peut se définir que par référence aux préférences des agents. Ces préférences sont déterminées par le degré d’aversion au risque (a priori très élevé) et par les procédures de mutualisation et d’immunisation du risque (le droit applicable sur les moyens de paiement est à cet égard déterminant). Par exemple, les acteurs des paiements par cartes bancaires en France ont jugé bon de doter les cartes de puces électroniques onéreuses mais très efficaces en termes de

8. Les taux de fraude des paiements par cartes ont été beaucoup commentés et contestés. Le taux de 0,02 % correspond aux paiements frauduleux effectués dans des conditions normales de sécurité : paiement chez un commerçant en France avec utilisation de la puce.

(8)

sécurisation des paiements plus de dix ans avant que les grands réseaux de cartes de crédit américains n’entreprennent cette même démarche. Comme il a été dit, une telle mesure n’est pas en soi optimale mais peut l’être au regard du degré d’aversion de chaque acteur du paiement pour le risque et du degré de risque qu’il encourt lors d’un dysfonctionnement du système.

Il est tout à fait possible de construire un système de paiement qui présenterait un degré de risque technologique proche de zéro et un degré d’exposition au risque de fraude nul. Pour qu’une telle conception soit compatible avec le raisonnement mené plus haut, il faut que le coût marginal d’une défaillance du système (soit parce qu’il est fraudé soit parce qu’un problème technique vient interrompre les paiements) soit très élevé et non tolérable par les utilisateurs du système. C’est d’ailleurs exactement cette logique qui a guidé la conception des systèmes de transferts de fonds de gros montant. Les coûts de sécurisation de ce type de système de règlement9 sont proportionnés aux coûts qu’il faudrait supporter dans le cas d’une défaillance des paiements. Il est bien évident que de tels coûts n’ont pas de légitimité économique dans le cadre des systèmes de paiement de masse. Le degré de risque se choisit et se paye.

En définitive, il nous semble assez opportun d’écarter l’idée selon laquelle le risque s’impose à nous ou que, du moins, les marges de manœuvres sont faibles notamment en raison de contingences technologiques. Pour tous les moyens de paiement traditionnels, les taux de fraude sont loin d’être négligeables mais ils demeurent à des niveaux relativement bas et, en tous cas, en rapport avec la tolérance à la fraude des utilisateurs et promoteurs des systèmes.

Conclusion : d’une typologie des innovations économiques à une typologie des risques

Comme il a été dit, la technologie ne contient pas en elle-même les bouleversements de la sphère des moyens de paiement. Ceux-ci proviendront des modifications dans l’organisation économique du paiement. De ce fait, la prise de risque nous paraît être conditionnée par le dessein ultime de l’innovation. Ainsi l’évolution globale des risques dans les systèmes de paiement de détail va dépendre étroitement des types d’innovations qui parviendront à prendre une importance significative. Les prises de risque sont très différenciées selon que les évolutions des systèmes impliquent :

9. Par exemple, utiliser des lignes de communication exclusivement bancaires.

(9)

– une utilisation croissante des TIC dans un cadre strictement bancaire ; – une substitution aux banques dans leur fonction de gestion des moyens de paiement ;

– une substitution aux banques dans leur fonction de gestion des moyens de paiement et de création monétaire.

La définition d’une nouvelle unité de compte, l’utilisation d’une base monétaire privée et la contestation du monopole de l’Etat de battre monnaie.

Cette typologie qui distingue les innovations par leur logique économique n’est pas loin de définir une typologie des risques encourus, par ordre croissant de risques. Il convient maintenant d’identifier plus précisément les sources de risque auxquelles ces systèmes sont soumis.

Nous serons amenés à distinguer deux grandes familles de risque. La première d’entre elle est d’ores et déjà assez bien identifiée par les organisations internationales (les banques centrales, la BRI…), elle relève de l’emploi croissant des TIC dans la banque ou les activités de banques. A ce titre, toutes les innovations technologiques (quel que soit leur degré d’innovation économique) que nous venons d’évoquer dans cette première partie peuvent être perçues comme amplificatrices de ces risques. Une deuxième grande famille de risque est celle qui a trait aux nouvelles formes d’organisation des paiements. Cette organisation nouvelle est rendue possible par les TIC mais celles-ci ne sont pas la cause directe du risque. Ce sont les moyens de paiement identifiés dans cette première partie comme les plus innovants économiquement qui sont les plus générateurs de ces nouveaux risques. Il est plus difficile de tracer les contours exacts de ces risques bien que ceux-ci puissent s’avérer potentiellement catastrophiques.

Exacerbation de risques classiques et apparition de nouveaux risques L’émergence de nouveaux moyens de paiement et ses conséquences sur le fonctionnement et le risque des systèmes de paiement ont fait l’objet de peu de contributions issues de la littérature académique. Celles-ci se sont le plus souvent attachées à caractériser les enjeux de politiques monétaires liés au développement de la monnaie électronique10. En revanche, le développement des nouveaux moyens de paiement est une préoccupation importante de plusieurs institutions internationales qui ont consacré depuis

10. Goodhart (2000), Freedman (2000), par exemple. L’article de Aglietta et Scialom (op. cit.) analyse, en revanche, de manière approfondie les montées des risques liés au développement de la banque électronique et de la monnaie électronique.

(10)

plusieurs années des travaux importants et répétés à l’émergence possible de nouveaux risques.

Les risques directement liés à l’utilisation croissante des TIC dans la banque

La Banque des règlements internationaux (BRI), dans le cadre du comité de Bâle sur le contrôle bancaire, a commis un rapport consacré à la gestion des risques liés aux activités de banque électronique et de monnaie électronique. La Banque centrale européenne (BCE) s’est intéressée à un thème connexe qui est celui des répercussions des innovations technologiques sur le secteur bancaire. Enfin le Comité sur les systèmes de paiement et de règlement (CPSS) de la BRI, dans son rapport sur les procédures de compensation et de règlement dans les systèmes de paiement de détail, consacre une part de son analyse aux risques des systèmes de détail et à sa gestion11. Ces travaux identifient plusieurs sources de risques que nous souhaitons rapidement exposer.

Risques de fraude, risques opérationnels et risques légaux

Les risques de fraude ont déjà été évoqués. Le rapport de la BIS (1998) indique que ceux-ci pèsent sur tous les instruments de paiement y compris – bien sûr – les plus récents.

Les risques opérationnels sont les risques matérialisés par des pertes financières dues à un problème technique ou à une erreur humaine. Une panne d’ordinateur est un problème typique de risque opérationnel ; elle peut conduire à une interruption des transactions, par exemple si les autorisations de paiement ne sont plus délivrées. La BCE juge que ces risques opérationnels sont amplifiés par la dépendance croissante des banques vis-à-vis de leur sous-traitants non bancaires. Ces risques opérationnels peuvent être graves. Aglietta et Scialom (op. cit.) les qualifient de potentiellement « dévastateurs » et notent que les activités de banques à distance sont un facteur d’amplification de ces risques.

Les risques légaux renvoient aux incertitudes qui pèsent sur les droits et les devoirs des parties impliquées dans le déroulement d’un paiement. Un problème typique est d’identifier quel droit est applicable aux opérations bancaires. Dans le cas des opérations transfrontalières il est crucial de savoir quelle juridiction sera appliquée. Dans ce type de risque figure également la

11. Ces travaux seront désignés dans les développements qui suivent sous les appellations respectives BIS (1998), BCE (1999) et BIS (2000).

(11)

question du partage des responsabilités entre les banques et leurs consommateurs dans l’éventualité d’opérations frauduleuses menées à partir de pirateries informatiques.

Le rapport de la BCE identifie des risques qui ne pèsent pas spécifiquement sur les systèmes de paiement mais plus généralement sur le secteur bancaire du fait du progrès technologique. Ces risques méritent cependant d’être cités ici car les innovations dans le domaine des moyens de paiement contribuent à les amplifier.

La capacité à réaliser des opérations bancaires à distance est perçue comme un facteur susceptible d’affaiblir la relation de clientèle, comprise comme la relation bancaire traditionnelle. Le rapport évoque également les risques de surinvestissement technologique qui résultent de la possibilité qu’aussitôt adoptée par la banque, une technologie ne devienne obsolète et grève ainsi la rentabilité bancaire. Ce problème est pertinent dans le domaine des paiements de détail. Plus proche encore de notre problématique, le risque de concurrence accrue avec les non-banques est analysé. Cette concurrence peut prendre des formes destructrices dès lors qu’elle porte à outrance sur certains segments rentables de l’activité ou bien sur des populations spécifiques de consommateurs identifiés par tous les offreurs comme particulièrement profitables. Ces différents risques viennent en définitive se surajouter aux risques traditionnels de l’activité bancaire que sont les risques de crédit, les risques de liquidité et les risques de marché.

Ces risques bancaires sont exacerbés lorsque qu’ils pèsent sur des non-banques Ces nouveaux risques, liés pour l’essentiel au développement des TIC dans leur capacité à changer les modalités de l’activité bancaire, pèsent sur toutes les firmes qui ont une activité bancaire. Puisque certaines activités bancaires ne sont plus l’exclusivité des banques, des entreprises en dehors du secteur bancaire se trouveront désormais être exposées à ce type de risques. Qui plus est, ceux-ci pourraient se trouver exacerbés car pesant sur des non-banques. En effet, l’absence des contraintes réglementaires propres au secteur bancaire est une source d’amplification des risques légaux et opérationnels dès lors que des firmes non bancaires s’arrogent des compétences des banques. Cet allégement des contraintes pourrait conférer à ces nouveaux intermédiaires une compétitivité supérieure à celle des institutions financières classiques, compétitivité qui serait le reflet trompeur d’une prise de risque supplémentaire sinon incontrôlée.

D’autres mécanismes viennent probablement s’ajouter à ces arguments réglementaires. La taille des banques, la multiplicité de leurs activités, leur

(12)

évolution dans un système hiérarchisé leur confèrent une capacité à enregistrer des pertes – sans pour autant être acculées à la faillite – dont ne peuvent se prévaloir les firmes non bancaires. Les immenses déconvenues des entreprises de la « nouvelle économie » sont là pour nous rappeler que la logique industrielle ordinaire peut conduire à l’évaporation des actifs des entreprises dans des proportions et avec une rapidité imprévisible.

Les banques sont des entreprises qui échappent en partie à cette logique grâce au rôle de prêteur en dernier ressort de la banque centrale. Dès lors que les règlements ne se font plus en bout de course sur les livres des banques centrales, la prise de risque change radicalement. La banque centrale est cette institution particulière qui est l’émanation de la volonté collective et qui grâce à cela a pu éliminer les risques dans les mécanismes de règlement. Aucune monnaie privée n’est capable d’une telle performance.

« Le pouvoir de l’Etat n’est pas la seule source de confiance dans la monnaie » pour reprendre les termes de Cohen (2002) mais il est très probablement de loin la meilleure.

Des nouveaux risques : les risques de réseaux

Lorsque des firmes non bancaires distribuent des moyens de paiement ou a fortiori créent de la monnaie, des risques bancaires sont exacerbés. En outre, des risques nouveaux sont susceptibles d’émerger. Leur origine est à rechercher dans les formes spécifiques de concurrence entre émetteurs de moyens de paiement : il s’agit du risque de réseau.

Aglietta et Scialom (op. cit.) dans leur analyse du fonctionnement des réseaux privés de monnaie électronique évoquent l’apparition d’un nouveau type de risque que les systèmes de paiement de détail n’avaient pas jusqu’alors à redouter. Ce sont plus précisément « les fournisseurs des services de la monnaie électronique » qui se trouvent engagés dans une concurrence de réseaux. Ces fournisseurs sont des entreprises qui offrent une marque de monnaie électronique et rassemblent des émetteurs de monnaie qu’ils soient bancaires ou non. Ils ont la charge de la compensation et du règlement des opérations et supervisent leur bon déroulement opérationnel selon un schéma assez comparable à celui des réseaux de cartes de crédit. Or il est bien établi que la concurrence entre les réseaux de moyens de paiement peut donner lieu à des bouleversements rapides des parts de marchés lors des phases de concurrence initiale puis à faire preuve ensuite d’une grande inertie12. Les émetteurs de monnaie électronique ont intérêt à

12. On se référera aux nombreux articles de McAndrews sur l’économie des réseaux de moyens de paiement, l’un d’entre eux est donné dans la bibliographie.

(13)

se rallier aux réseaux les plus importants ou à ceux dont on anticipe qu’ils deviendront dominants. En l’absence d’accord d’interopérabilité, c’est-à-dire lorsque les moyens de paiement d’émetteurs différents ne peuvent pas utiliser les mêmes réseaux de paiement, l’acceptabilité de la monnaie émise et utilisée par leur clientèle est dépendante de la taille de la marque de réseau auquel l’émetteur s’est rallié. On pourrait retrouver une logique assez comparable à celle qui a prévalu sur le marché des cartes de crédit aux Etats- Unis. Les émetteurs de cartes – les banques – ont toujours eu intérêt à rejoindre les réseaux dominants (en l’occurrence Visa et MasterCard) pour offrir à leur clientèle un moyen de paiement de très bonne qualité car universellement accepté. Gazé (1999) montre comment les deux grands réseaux de cartes de crédit Visa et MasterCard ont su exploiter à leur avantage les effets de réseau. L’idée à retenir est celle d’une « prime » continuellement donnée au « grand » réseau qui va bénéficier ainsi de rendements croissants d’adoption jusqu’à la disparition de ses concurrents.

Selon ce type de dynamique, la concurrence entre des réseaux privés de marque de monnaie électronique pourrait être si rapide et si violente qu’un réseau pourrait être très rapidement déclaré illiquide et insolvable.

L’économie des réseaux sait caractériser ces situations et permet aussi de définir les tailles de réseaux spécifiques qui écartent le risque d’implosion : il s’agit des masses critiques des réseaux. Tant que ce nombre d’utilisateurs minimal n’est pas atteint la probabilité est forte pour que le réseau retourne à son « état absorbant initial », c’est-à-dire disparaisse. C’est cette possibilité d’implosion de réseaux privés de monnaie électronique qui expose la sphère des paiements de détail à un risque supplémentaire.

A ce risque lié aux modes spécifiques de concurrence inter-réseaux s’ajoute le risque de défaillance en chaîne des paiements. Ces risques ont été particulièrement bien identifiés dans les systèmes de paiement de gros montant et les mesures pour les contrer sont, elles aussi, bien connues. La littérature consacrée à l’analyse et à la prévention de ces risques liés à la structure en réseau des paiements a été très abondamment alimentée au début des années 90 et a joué un rôle important dans la conception actuelle des systèmes de paiement de gros montant.

Ce risque de structure en réseau des paiements et de concurrence destructrice inter-réseaux ne sont pas indépendants l’un de l’autre. On peut même considérer qu’ils concourent tous deux au risque total de réseau qui résulterait de la multiplication de ces deux « sous-risques ». Ainsi la migration d’un émetteur de monnaie électronique vers un réseau concurrent serait susceptible d’entraîner une réaction en chaîne de défaillance et

(14)

précipiter la faillite du réseau d’origine qui ne pourrait faire face à une ruée contre ses instruments de paiement.

Une résurgence de la problématique du risque systémique dans les systèmes de paiement ?

Les modalités de la concurrence inter-réseaux et la nature de la

« monnaie des réseaux » donnent naissance à des risques qui ne sont pas sans rappeler le risque majeur auquel un système de gros montant est exposé lorsque des précautions très spécifiques ne sont pas prises, à savoir le risque systémique. Une réflexion économique très fructueuse a guidé la conception des systèmes de paiement de gros montant actuels. Ce risque majeur a été efficacement contré par un arsenal de normes (les normes Lamfalussy) et on peut se demander si au fond ce n’est pas une problématique identique qui est en train de renaître au sein des systèmes de paiement de masse.

On considère traditionnellement que ces systèmes ne sont pas des lieux d’émergence du risque systémique. On admet tout au plus qu’une défaillance dans leur fonctionnement serait une source de dysfonctionnements importante dans le déroulement des transactions sans qu’il y ait pour autant une manifestation du risque de système. On pourrait toutefois assister prochainement à une reconsidération de cette classification a priori.

La BRI a édicté les principes fondamentaux d’organisation des systèmes de paiement en vue de la réduction des risques systémiques (BRI, 2001a). La BCE rappelle qu’un système est qualifié d’importance systémique s’il est capable de « provoquer des perturbations ou de transmettre des chocs dans le système financier au niveau domestique ou même international » (BCE, 2002).

C’est la raison pour laquelle la valeur des paiements acheminés par le système est déterminante et constitue grosso modo la clef permettant de classifier un système dans la catégorie des SPIS (système de paiement d’importance systémique)13. Les montants élevés de la moyenne des règlements ne sont pas cependant une condition nécessaire puisque certains

13. Le montant des paiements est une condition suffisante pour qu’un système fasse l’objet d’un risque systémique. Deux autres conditions sont également à elles seules suffisantes : « il s’agit du seul système de paiement d’un pays ou du principal système en termes de valeur globale des paiements », « il est utilisé pour le règlement de transactions sur les marchés de capitaux ou le règlement d’autres systèmes de paiement » (BCE : Normes de surveillance pour les systèmes de paiement de masse en euros).

(15)

systèmes de paiement de masse sont considérés par les banques centrales des pays concernés comme étant des SPIS. Les systèmes de paiement de masse de la France et de la Finlande relèvent de cette catégorie. Sans être le lieu privilégié du risque systémique, les systèmes de paiement de détail sont des sources de risque secondaires mais potentielles. De ce point de vue, il n’est pas possible d’accepter le risque d’une défaillance de ces systèmes.

Quelle est l’ampleur réelle de la prise de risque ?

Le comportement des agents non financiers est un facteur de diminution du risque

L’idée selon laquelle la monnaie électronique est inexorablement appelée à remplacer un jour ou l’autre les moyens de paiement traditionnels – éventuellement en mettant hors jeu les banques centrales – est probablement fausse. Même une situation de concurrence entre les signes monétaires des banques centrales et ceux des monnaies privées nous semble être assez improbable. L’idée que des innovations monétaires radicales vont inexorablement découler du progrès technologique sur les moyens de paiement n’est pas convaincante. Les formes monétaires classiques disposent de tels avantages comparatifs par rapport aux monnaies privées qu’on voit mal dans quelles conditions l’histoire monétaire serait susceptible de faire un bon en arrière vers des régimes de type free banking.

Ce qui est plus probablement inexorable c’est le rôle croissant des technologies de l’information dans l’usage des moyens de paiement. Il est clair que cette sophistication technologique est rendue possible par les progrès du numérique et on ne prend guère de risque à prévoir un poids croissant des TIC dans le champ des moyens de paiement. Comme il a été dit, ces nouveaux moyens techniques ne contiennent cependant pas en eux- mêmes les bouleversements de la sphère des moyens de paiement. Ces bouleversements nous semblent être en revanche très dépendants de la demande d’innovation des agents non financiers ; cette tautologie pour souligner que les agents économiques font preuve d’une grande inertie dans leurs habitudes d’utilisation des moyens de paiement. Parmi les nombreux facteurs de résistances dans l’adoption des moyens électroniques, on a par exemple pu évoquer la « demande d’anonymat » des agents. Les paiements numériques sont toujours capables d’assurer une traçabilité des transactions et des agents qui les mènent14 contrairement aux billets de banque pour

14. Cet argument est évoqué par Goodhart (2000) et développé par Aglietta et Scialom, op.cit.

(16)

lesquels l’archaïsme technologique devient paradoxalement un atout. Cette demande n’est pas – seulement – alimentée par les activités occultes mais résulte d’un sentiment plus profond qui est la volonté des individus de vivre libre. Dans ce registre, les billets de banque imprimés par les banques centrales ont un avantage compétitif jusque-là inégalé. La monnaie privée qui, dans ses formes militantes, souhaite s’affranchir du joug des institutions au nom de la liberté des individus est paradoxalement bien incapable d’offrir les mêmes garanties de liberté individuelle.

Ces modes d’adoption ou de rejet particuliers de l’innovation ont été très bien analysés par l’économie des réseaux. Un désavantage comparatif de taille de réseau doit être compensé par des avantages intrinsèques très importants pour surmonter le handicap initial. Or c’est dans une très petite minorité des cas que les agents ont identifié (c’est-à-dire valorisé) ces avantages intrinsèques. Les causes des échecs sont complexes et ne se limitent pas à la taille de la base installée des moyens de paiement existants.

Les stratégies de tarifications souvent inadaptées15, l’immense difficulté de créer de toutes pièces un réseau d’acceptation, la qualité des solutions proposées doivent aussi être invoquées. Non seulement l’émergence d’une

« société sans espèces » n’est pas prévisible à moyen terme mais plus brutalement, on peut faire le constat d’un échec quasi systématique des moyens de paiement nouveaux, spécialement ceux utilisateurs de monnaie électronique. Le porte-monnaie électronique belge (Proton) est insuffisamment utilisé pour assurer sa rentabilité. La société Digicash, promoteur du e-cash, a été liquidée en septembre 1998 malgré de lourds investissements. Cybercash a disparu en 2000 et en France c’est KLELine qui a été liquidé au printemps 2000. Dans la grande majorité des situations, les agents ont donc fait preuve de la plus grande inertie précipitant ainsi la disparition de la solution innovante au profit des moyens de paiement traditionnels. Il y a là un facteur endogène de limitation du risque qui nous semble être particulièrement puissant.

15. Les promoteurs des solutions de monnaie électronique en carte ont tous facturé la délivrance des cartes et leur usage. De fait, la concurrence avec les moyens de paiement en place leur a été très défavorable puisque les porte-monnaie électroniques ont cumulé les handicaps : tarification comparativement désavantageuse, réseau d’acceptation limité. La valorisation de l’innovation par les consommateurs a été insuffisante pour compenser ces désavantages. A contrario, le système de paiement PayPal a su endogénéiser les effets de réseau dans sa tarification. PayPal a démarré son offre en subventionnant l’accès à son réseau : 10 dollars par ouverture de compte et 10 dollars par membre adressé. Aujourd’hui PayPal revendique 20 millions d’utilisateurs dans le monde et a réduit sa subvention d’accès à 5 dollars…

(17)

Au fond, on peut se poser légitimement la question de savoir s’il est vraiment utile d’anticiper des évolutions qui changeraient radicalement les systèmes de paiement dans la mesure où la probabilité que ces changements radicaux se produisent est extrêmement faible. La marginalisation des banques dans les systèmes de paiement de masse est-elle réellement plausible ? La concurrence effective entre signes monétaires l’est-elle également ?

S’il ne fait aucun doute qu’il existe des segments où l’innovation des moyens de paiement est très attendue (le commerce électronique des petits montants, les paiements de personne à personne par exemple), force est de constater que le public a jusqu’à présent massivement favorisé l’utilisation des « anciens » nouveaux moyens de paiement délaissant ainsi les solutions émergentes. Même lorsque ces innovations techniques ont été d’origine bancaire, le public a manifesté une très faible demande. Sans que cette observation implique que des innovations radicales puissent avoir lieu, elle doit être gardée à l’esprit pour prendre la mesure des risques réels qui pèsent sur nos systèmes de paiement.

On peut raisonnablement douter que des solutions de paiements non bancaires parviennent à convaincre massivement un public déjà réticent à l’utilisation d’un porte-monnaie électronique pourtant totalement convertible en monnaie scripturale bancaire. Dans ces conditions les conjectures sur la cohabitation entre les monnaies des états et les monnaies privées émises dans le cadre d’un free-electronic banking généralisé nous apparaissent être excessivement fragiles.

L’exemple d’E-Gold : un projet (anti)social plus qu’un nouveau moyen de paiement

Les innovations radicales sont celles qui visent à concurrencer les signes monétaires émis par les banques centrales par des signes monétaires privés.

Le but affiché est de mettre en concurrence les régimes monétaires les uns par rapport aux autres conformément aux théories hayékiennes. Les promoteurs de ces systèmes réfutent la légitimité de l’Etat à définir les unités de compte et à réguler l’émission de la monnaie.

Par exemple, le moyen de paiement E-Gold s’inscrit dans ce champ de contestation radicale d’un système monétaire hiérarchisé. Ce type de systèmes vise à détruire la convention sociale qui confère à la monnaie des institutions une acceptabilité universelle et permet aux agents d’en retirer de l’utilité. L’Etat est perçu comme le profiteur intéressé de cette convention sociale détournant une part des ressources légitimement échues aux agents

(18)

privés. Cette conception de l’Etat n’est pas naïve comme on pourrait le juger au premier abord, mais repose sur l’idée qu’au fond les hommes ne peuvent pas vivre ensemble, en société. La dangerosité de telles innovations seraient bien sûr très importantes si ces « moyens de paiement » (et ces nouvelles monnaies) avaient une chance réelle de se développer. La prise de risque dépasserait alors très largement la sphère économique. Nous croyons que de tels systèmes ne pourront pas se développer hors d’un réseau d’utilisateurs militants.

Nous pouvons rester dans la sphère économique en notant que ces systèmes détruisent la confiance conventionnelle des agents dans la monnaie (c’est le but) et sont donc contraints de définir la monnaie dans une marchandise. L’or et d’autres métaux précieux sont utilisés à cette fin pour que les unités de compte puissent être définies (en poids de métal) et que les créances circulant sous la forme de moyens de paiement voient leur valeur garantie autrement que par un projet collectif (une convention sociale)16. Dans ces conditions, il paraît difficile de prétendre améliorer l’efficacité des paiements en bâtissant le système autour d’un archaïsme monétaire – l’or – que les économies monétaires modernes ont mis tant de temps à évacuer.

La fragmentation des systèmes de paiement de détail est-elle plausible ? Le comité sur les systèmes de paiement et de règlement de la BRI (BIS, 2000) consacre un développement intéressant à l’efficacité des systèmes de paiement de détail. Il est rappelé que celle-ci est très liée au degré de standardisation des paiements et au nombre de paiements qui sont traités (les gains liés aux effets de réseaux). La standardisation doit se comprendre dans son acception la plus large possible. Contribue à la standardisation tout ce qui contribue à éviter la fragmentation des systèmes de paiement.

Plusieurs strates de standardisation sont à distinguer. La standardisation technique est celle qui établit des règles communes à la conception des

16. Les vertus présumées d’un système de banque libre résident, entre autres choses, dans les capacités d’autorégulation du système qui assurerait constamment l’adéquation entre l’offre et la demande de monnaie, cette capacité étant supposée conservée même dans le cas d’une perturbation exogène. Cette capacité est remise en question par Figuet et Kauffmann (1998) qui rappellent au préalable les principes fondamentaux d’un régime de free banking. L’exogénéité de la base monétaire en est un (la base ne dépend pas de l’activité du système bancaire). La base monétaire est typiquement une monnaie marchandise, l’or par exemple, l’idée étant que la quantité d’or, la quantité de monnaie de premier rang, ne dépend pas de l’activité des banques. La monnaie de premier rang permet de régler les soldes interbancaires et de faire face aux demandes de conversion du public.

(19)

instruments et des systèmes de paiement dans le but d’assurer une communication efficace des informations définissant chaque transaction. Le deuxième mode de standardisation est celui qui concerne les procédures, les pratiques et les accords techniques ou non concernant le processus de compensation et de règlement. Le troisième mode de standardisation est celui de l’interopérabilité.

La standardisation des systèmes de paiement est un levier très puissant de leur efficacité, elle permet d’exploiter les rendements d’échelle, de gamme et favorise également les effets de réseau. On sait que pour les moyens de paiement traditionnels les économies d’échelle sont extrêmement fortes jusqu’à des volumes de paiements importants (Humphrey D. et al., op.

cit.). Concernant les paiements électroniques, la nature croissante des rendements d’échelle et de gamme est probablement moins marquée.

Toutefois, il est à noter que l’idée d’un système de paiement fragmenté, mettant en concurrence des moyens de paiement non interopérables, est probablement aussi peu plausible que souhaitable. Les principes de base de l’économie des réseaux indiquent que le marché des paiements tend à un certain degré de concentration. De plus, l’économie de ressources obtenue par les effets d’échelle détruisent les espoirs d’efficience accrue dès lors que les systèmes sont trop nombreux, ne fonctionnent pas ensemble et donc gaspillent des ressources. Les monnaies de réseaux présentent actuellement des handicaps considérables dans ces deux registres.

Conclusion

La clef de la modification des risques auxquels vont s’exposer les systèmes de paiement de détail est à rechercher dans les nouvelles formes d’organisations économiques des paiements, nouvelles formes rendues possibles par les technologies numériques. La technologie avec laquelle les paiements sont effectués n’est donc pas à elle seule facteur de risque car à chaque risque purement technologique correspond une mesure technologique de prévention de ces risques. Il est certes parfois possible que de telles mesures de prévention s’avèrent insupportables car trop coûteuses à mettre en œuvre. Il est clair que ce type de solutions ne peut pas prétendre améliorer l’efficience des systèmes de paiement.

Cet article suggère que l’évolution du risque sera assez liée aux rôles que les firmes non bancaires seront amenés à jouer dans la production et la distribution des paiements de petits montants. Aussi, la régulation qui s’appliquera dans cette sphère va jouer un rôle prépondérant.

(20)

Les raisonnements que nous avons menés sont souvent assez intuitifs et demanderaient à être approfondis avec plus de rigueur. Un inventaire précis des modalités et de l’ampleur du rôle joué par les firmes non bancaires dans les paiements de détail serait une première étape dans cette démarche. En tout état de cause, il nous semble opportun sinon urgent que l’analyse économique se penche, plus qu’elle ne le fait aujourd’hui, sur les systèmes de paiement de détail tant les bouleversements actuels sont porteurs d’enjeux de première importance pour la collectivité.

Remerciements

L’auteur remercie David Bounie pour le rôle précieux qu’il a joué dans l’élaboration de cet article ainsi que Anne-Gaël Vaubourg pour ses relectures inspirées d’une version antérieure de ce travail.

Bibliographie

Andries M. (1999), « Développements récents en matière de monnaie électronique », Bulletin de la Banque de France, n° 72, décembre.

Aglietta M. (2000), « Les trajectoires de la monnaie », L’avenir de l’argent, OCDE.

Aglietta M, Scialom L. (2002), « Les défis de la monnaie électronique pour les banques centrales », Economies et Sociétés, série « Monnaie », ME, n° 4, 2/2002, p. 241-268.

BCE (1999), « The Effects of Technology on the EU Banking Systems », July.

BCE (2002), Normes de surveillance pour les systèmes de paiement de masse en euros.

BIS (1998), Risk Management for Electronic Banking and Electronic Money Activities, Basle Committee on Banking Supervision March, BIS.

BIS (2000), Clearing and Settlement Arrangements for Retail Payments in Selected Countries, September, Committee on Payment and Settlement Systems, BIS.

BIS (2001a), Principes fondamentaux pour les systèmes de paiement d’importance systémique, Banque des règlements internationaux, Bâle, janvier 2001.

BIS (2001b), Survey of Electronic Money Developments, Committee on Payment and Settlement Systems, November.

BIS (2002), Policy Issues for Central Banks in Retail Payments, Committee on Payment and Settlement Systems, September.

Bounie D. (2001), « Quelques incidences bancaires et monétaires des systèmes de paiement électroniques », Revue Economique, vol. 52, numéro hors série (octobre 2001).

(21)

Cohen B. (2002), « Monnaie électronique : un jour nouveau ou une aube trompeuse ? », L’économie politique, n° 14, 2e trim. 2002.

European Central Bank (1999), The Effects of Technology on the EU Banking Systems, July.

Freedman C. (2000), « Monetary Policy Implementation: Past, Present and Future.

Will Electronic Money Lead to the Eventual Demise of Central Banking? », International Finance, n° 3, 2, July.

Gazé P. (1999), Un commentaire sur l’action antitrust menée à l’encontre de Visa et de MasterCard sur le marché des cartes de crédit aux Etats-Unis, Document de recherche, Laboratoire d’Economie d’Orléans.

Gazé P. (2000), « La monnaie électronique », Monnaie et politique monétaire en Europe, Les Cahiers Français, n° 297.

Goldfinger C. (2002), « Economie incorporelle et monnaie électronique », L’avenir de l’argent, OCDE.

Goodhart C. (2000), « Can Central Banking Survive the IT Revolution? », Future of Monetary Policy and Banking Conference, World Bank, July 11.

Humphrey D. B., Keppler R., Montes-Negret F. (1997), « Cost Recovery and Pricing of Payment Services: Theory, Methods, and Experience », World Bank.

McAndrews J.J. (1997), « Network Issues and Payment Systems, Federal Reserve Bank of Philadelphia », Business Review, November/December.

McHugh (2002), « The growth of person-to-person electronic payments », Chicago Fed Letter, August, n° 180.

Roberds W. (1998), « The impact of fraud on new methods of retail payments », Quarterly Review, Federal Reserve Bank of Atlanta, First Quarter, p. 42-52.

Références

Documents relatifs

Il sera soumis à l’ensemble de la législation applicable aux établissements de crédit exerçant une activité d’émission et de gestion de monnaie électronique

III - Les nouveaux modèles économiques associés à l’évolution des paiements. Avec le paiement par mobile apparaît quelque chose de tout à fait nouveau : pour la

Le protocole de chargement du système de monnaie dématérialisée spécifie les procédures de demande d’autorisation et de transfert de la valeur électronique vers le porte-monnaie

Chapitre 10 : Moyens de paiement Banque ETEBAC : Envoi des données à la banque Chapitre 11 : Transfert de fichiers AFB Chapitre 12 : Téléchargement Internet.. Chapitre 13

Le coût annuel d’une carte dépend de ses prestations : nationale ou internationale, à débit immédiat ou différé (les opérations sont décomptées à la fin du mois),

UNE RÉPARTITION ORIGINALE DES MOYENS SCRIPTURAUX LES PLUS UTILISÉS PRIVILÉGIANT LE CHÈQUE ET LA CARTE BANCAIRE Par rapport aux autres pays européens la répartition des moyens

Partant du constat que la sécurité des moyens de paiement est un enjeu qui concerne l’ensemble des acteurs de la chaîne des paiements, les recommandations du groupe de travail

Attention : Dans le graphique de droite (en milliards d’euros), compte tenu des ordres de grandeur très différents des trans actions par chèque, prélèvement, monnaie électronique