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Analyse économique des filières culturelles, une synthèse

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Academic year: 2022

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GRANEM

Groupe de recherche angevin en économie et management

de l’Université d’Angers et d’Agrocampus Ouest UMR_MA 49

Analyse économique des filières culturelles

Une synthèse

Rapport pour le Conseil Régional des Pays de la Loire

Dominique Sagot-Duvauroux

Novembre 2012

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Remerciements pour l’encadrement scientifique du travail des étudiants à :

Jean-Claude Boldrini, IAE IEMN, Université de Nantes Christophe Lamoureux, CENS, Université de Nantes Danielle Pailler, IAE IEMN Université de Nantes

Nathalie Schieb-Bienfait, IAE IEMN Université de Nantes Caroline Urbain, IAE IEMN Université de Nantes

Laurent Noel, Audencia

Sandrine Emin, GRANEM, IUT Université d’Angers Clhoé Langeard, GRANEM, IUT Université d’Angers Jean-René Morice, ESO, ITBS, Université d’Angers Vincent Coëffé, ITBS, Université d’Angers

Camille Baulant, GRANEM, UFR Droit Economie et Gestion, Université d’Angers

Solène Chesnel, GRANEM, UFR Droit Economie et Gestion, Université d’Angers

Remerciements pour l’encadrement professionnel du travail des étudiants à :

Eric Aubry, La Paperie, Centre National des Arts de la Rue Jean-Pierre Caillet, Télénantes

Céline Guimbertaud et Virginie Lardière, AMAC

Christophe Delaunay, Mission Pays de la Loire-Métiers d’art Virginie Guiraud, Centre de ressource du livre

Gérard Lambert, librairie Voix aux chapîtres, à Saint-Nazaire Hervé Marchand, Quinzaine Photographique Nantaise

Maud Blondel, conseillère développement économique design, SPR Jean-Louis Raynaud, Théâtre de l’Ephémère

Michel Hubert, CEFEDEM, Bretagne Pays de la Loire

Vianney Marzin, Emmanuel Parent, Le Pôle des Musiques Actuelles Pierre Montel, FRAP

Jérôme Fihey, le Crabe fantôme

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Liste des monographies réalisées

AUDENCIA

Analyse de la filière des arts plastiques de la Région des Pays de la Loire, C.A. Gomez, S. Le Garrec, J. Muchembled, Audencia,

Analyse de la filière design, F. Destin, J. Ezan, S. Nodale, C. Bourlier, Audencia, Nantes UNIVERSITE d’ANGERS

Analyse de la filière photographie, Y. Li, A. Millet-Streff, K. Savary, Master 2 Direction de projets dans les nouvelles filières culturelles, UFR Droit Economie Gestion, Angers.

Analyse de la filière cinéma, F. Fadiga, E. Ladan, G. Milot, I. Pichon, Master 2 Direction de projets dans les nouvelles filières culturelles UFR Droit Economie Gestion Angers

Analyse de la filière musiques actuelles, X. Berne, C. Counali, C. Fortin, P. Le Nost, Master 2 Direction de projets dans les nouvelles filières culturelles UFR Droit Economie Gestion Angers Les chaînes de télévision locale, L. Aribaud, G. Drezet, M1 Stratégie Economique, UFR Droit Economie Gestion Angers ;

Analyse de la filière Télévision-Vidéo, F. Abid, S. El Minaoui, S. Thiam, M2 Intelligence économique et stratégies compétitives, UFR Droit Economie Gestion Angers,

Analyse de la filière Arts de la rue et arts du cirque, C. Tharreau, M-L Cardenau, ITBS, Angers.

Analyse de la filière patrimoine à travers l’exemple d’un musée, M2 Management international des arts de la France, ITBS, Université d’Angers

Analyse de la filière métiers d’art, M2 Management international des arts de la France, ITBS, Université d’Angers.

Les dispositifs de soutien aux filières du cinéma et de la télévision, P. Jarnet, M. Lemoine, Licence professionnelle Administration des entreprises culturelles, IUT, Université d’Angers

Les dispositifs de soutien aux filières des arts de la rue et des arts du cirque, E. Babin, N.

Lalande, H. Remondeau, Licence professionnelle Administration des entreprises culturelles, IUT, Université d’Angers

Les dispositifs de soutien à la filière arts plastiques, M. Daviaud, C. Brunet, Licence professionnelle Administration des entreprises culturelles, IUT, Université d’Angers

Les dispositifs de soutien à la filière livres, E. Mercier, V. Menard, I. Rougé, Licence professionnelle Administration des entreprises culturelles, IUT, Université d’Angers

Les dispositifs de soutien à la filière Danse et théâtre, C. Merot, N. Meunier, M. Thirault, Licence professionnelle Administration des entreprises culturelles, IUT, Université d’Angers

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UNIVERSITE de NANTES

Analyse de la filière théâtre, S. Rodriguez, A. Bertrand, L.M. Calvaro, G. Leroux, IEMN-IAE Université de Nantes, 2012.

Analyse de la filière Danse, M.E. Sangidi, C. Gandrillon, E. Gaudin, IEMN-IAE Université de Nantes;

Analyse de la filière musique classique, I. Obambi, IEMN-IAE, Université de Nantes ,

Analyse de la filière Radio M. Bosc, H.E. El Ayadi, A. Ndiaye, S. Paquereau, S. Tercan, MAE, IEMN, Université de Nantes

Analyse de la filière livre, E. Abamahoro, O. Bah, M. Barbrel, J. Le Floch, N. Lucie, MAE, IEMN, Université de Nantes

Analyse de la filière Jeux vidéos, C. Bogaty, L. Bréchoire, J. Bridier, F. Desaize, W. Ducloux, B.

Guillet, A. Rouault, MAE, IEMN, Université de Nantes.

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Table des matières

I. Rappel du contexte général de l’étude ... 6

1. Problématique ... 6

2. Méthode... 7

3. Formations associées ... 8

4. Les Limites d’une démarche expérimentale ... 8

II. Note de Synthèse ... 9

1. Qu’est-ce qu’une filière ? ... 9

1.1 La fonction création-production ... 11

1.2 La fonction de distribution ... 15

1.3 La fonction de diffusion auprès du destinataire final ... 16

2. Les caractéristiques principales des filières culturelles ... 19

2.1 Une économie de projets risqués portés par de très petites entreprises ... 19

2.1.1 Une économie risquée ... 19

2.1.2 Une économie de projets ... 20

2.1.3 Une économie de TPE... 21

2.2 Des filières plus ou moins concentrées selon l’intensité des pressions commerciales ... 22

2.2.1 L’organisation des filières à dominante marchande ... 22

2.2.2 L’impact de l’intervention publique dans l’organisation des filières ... 23

2.3 Une complexification des modèles économiques ... 24

2.3.1 Les modèles à 360° ... 24

2.3.2 Une valeur vaporeuse... 25

2.4 Filières culturelles et numérique... 26

3. Présentation synthétique des différentes filières ... 27

3.1 Les modèles de valorisation des activités culturelles ... 28

3.2 Les filières des arts visuels ... 29

La filière photographie ... 30

La filière Design ... 31

La filière métiers d’art ... 32

3.3 Les filières du spectacle vivant (hors musiques actuelles) ... 33

3.4 Les filières des industries culturelles (Cinéma, Livres, musiques actuelles, jeux vidéos) ... 35

La filière cinéma : ... 35

La filière livre ... 35

La filière jeux vidéos ... 37

La filière musiques actuelles ... 38

3.5 Les filières médias audiovisuels (radio, télévision) ... 39

III. Conclusion ... 41

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I. Rappel du contexte général de l’étude

1. Problématique

Dans le cadre d’une convention de recherche avec le Conseil Régional des Pays de la Loire, le GRANEM a été chargé de coordonner une étude expérimentale sur l’économie des filières culturelles, en écho aux interrogations qui ont émergé de la Commission Régionale Consultative de la Culture.

Le principe expérimental de cette étude a été de mobiliser des équipes d’étudiants appartenant à différentes formations de la Région pour analyser chacune des filières en suivant une problématique et une méthodologie commune. Les enjeux de ce travail sont multiples :

- Fournir aux services du Conseil Régional, une lecture économique des filières culturelles de façon à faciliter la définition d’instruments de politiques publiques adaptés à la réalité des secteurs culturels ;

- Mettre en synergie les différentes formations régionales portant sur le management des entreprises culturelles en association avec les laboratoires de recherche pour accroitre la visibilité régionale sur cette thématique ;

- Utiliser l’opportunité des mémoires ou projets tutorés réalisés par les étudiants pour approfondir, grâce à une coordination de leur travail, la connaissance du fonctionnement des industries culturelles

Sur chaque filière, les questions que les étudiants devaient chercher à éclairer ont été les suivantes :

- Description des différentes fonctions qui contribuent à la valorisation des biens et services culturels d’une filière donnée : création, production, distribution, commercialisation, fonctions périphériques (laboratoires techniques, information, formation…) ; Identification des principaux acteurs au niveau national voir international ; Identification des acteurs présents en Région ; analyse de leur positionnement stratégique ; identification des maillons manquants.

- Analyse de la structure des marchés à chaque étape de la filière (degré de concentration verticale, horizontale ou conglomérale, liens entre Majors et indépendants, entre privé, public et associatif).

- Analyse des liens avec d’autres filières.

- Présentation des modèles d’affaires dominants dans chaque filière.

- Analyse de la place du web et des technologies numériques dans les évolutions.

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- Identification d’actions collectives déjà conduites par les filières.

- Identification des dispositifs institutionnels existants - Recensement bibliographique

Les filières analysées ont été les suivantes : Groupe industries culturelles

Cinéma

Télévision-video Radio

Livre

Groupe spectacle vivant Théâtre

Danse

Musique classique

Arts de la rue et arts du cirque Groupe arts visuels

Art plastique Photographie

Patrimoine (monuments, métiers d’art) Design

Jeux video

²

Précisons que dans le cadre de ce projet, les notes de synthèse n’avaient pas pour objectif de présenter les acteurs régionaux de la filière, même si certaines notes fournissent des éléments d’information sur ce point.

2. Méthode

Les filières ont été étudiées par des groupes de trois à quatre étudiants appartenant aux formations impliquées dans cette étude dans le cadre de projets prévus dans leur formation et donc évalués. Ces projets ont été encadrés par un représentant de la Région, un professionnel et un enseignant chercheur.

Le travail a consisté pour chaque groupe à :

- identifier les sources existantes (données statistiques, bibliographies…) et proposer une première description de ces filières à partir de ces sources ; pointer les informations complémentaires à réunir ;

- identifier et interroger quelques personnes ressources (entre cinq et dix par filière) susceptibles de préciser les spécificités économiques de la filière et les modèles d’affaires existant.

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- faire un rapport par filière répondant dans la mesure du possible aux questions initiales ; Préciser les méthodes possibles à mettre en œuvre pour répondre aux questions restées sans réponse.

Les étudiants de la licence professionnelle Administration des entreprises culturelles, de l’université d’Angers, se sont focalisés sur les dispositifs institutionnels existant sur chaque filière : identification des modes d’intervention aux différents stades des filières dans les différentes collectivités publiques : Evaluation de ces dispositifs sur la base de documents existants.

Sur la base des projets rendus par les étudiants, l’enseignant chercheur assurant l’encadrement du groupe a corrigé, en association avec le professionnel impliqué, une note de synthèse d’une vingtaine de pages, selon un plan commun à chacune des notes. Une note de synthèse générale (ce document) fait la synthèse des différents travaux.

3. Formations associées Université d’Angers :

M2 Direction de projets dans les nouvelles filières culturelles (DPNFC), UFR Droit Economie Gestion

M2 Intelligence économique et stratégies compétitives (IESC), UFR Droit Economie Gestion,

Master 1 et 2 Valorisation économique de la culture et du patrimoine, Ingénierie du Tourisme, du Bâtiment et des services (ITBS)

Licence professionnelle Administration des entreprises culturelles, IUT Angers Université de Nantes :

M1 Sciences de gestion, Institut d’Administration des Entreprises (IAE) M1 Double compétence, IAE

M2 Administration des Entreprises et Double Compérence Audencia Ecole Supérieure de commerce de Nantes Majeure culture

4. Les Limites d’une démarche expérimentale

Ce projet présent une importante dimension expérimentale sous plusieurs Mobilisation d’étudiants de formations différentes sur un projet commun : Outre les questions de coordination que ce dispositif a posées, le degré d’attente de ce travail par les responsables des formations impliquées n’était pas homogène et cela s’est traduit par des niveaux d’implication des étudiants et des enseignants très variables d’une formation à l’autre. Par ailleurs, la connaissance de la notion de filière par les différentes formations n’était pas équivalente et certains groupes ont pu davantage que d’autres, s’approprier la

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problématique. Enfin, s’agissant d’abord de mémoires d’étudiants, le niveau des notes de synthèses par filière reflète aussi le niveau des étudiants, forcément inégal.

- Mobilisation des professionnels : Une autre originalité du projet fut d’associer au travail des étudiants, le regard d’un professionnel appartenant à la filière étudiée. Ici aussi, le projet a dépendu de la disponibilité des personnes impliquées, de leur appropriation du sujet et de la sollicitation des étudiants, parfois faible.

- Des filières très hétérogènes : Le travail a porté sur des filières très hétérogènes. La tentative de les analyser toutes selon un même canevas s’est révélée problématique pour certaines (patrimoine ou design notamment).

Au final, ce projet débouche sur la réalisation de documents de synthèse dont la majorité est fidèle aux objectifs initiaux et qui contribuent à la connaissance et la compréhension du fonctionnement économique des filières culturelles.

Mais ce travail reste une première étape en vue d’une analyse plus fine et rigoureuse de chacune d’entre elles.

II. Note de Synthèse

La présente note a pour objectif de conduire une analyse comparative des filières culturelles en s’appuyant sur les notes réalisées par filière mais aussi sur une connaissance générale de l’économie des filières culturelles. Compte tenu de la diversité des notes de travail rendues par les groupes d’étudiants, le but de cette synthèse n’est pas de présenter les caractéristiques de chaque filière mais de faire ressortir un certain nombre de questions transversales qui interrogent les modalités de l’intervention publique. La première section définit la notion de filière et présente l’organisation générale des filières artistiques. La seconde section fait ressortir les modèles économiques dominants et les grandes caractéristiques de ces filières. Enfin, la troisième section met en évidence quelques éléments significatifs des filières étudiées.

1. Qu’est-ce qu’une filière ?

Le projet s’est appuyé sur la notion de filière pour comprendre le fonctionnement économique des activités culturelles. Conceptuellement, le terme de filière est assez simple ! L’INSEE définit une filière comme

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« l'ensemble des activités complémentaires qui concourent, d'amont en aval, à la réalisation d'un produit fini ». On distingue les fonctions essentielles (la colonne vertébrale) de la filière (fonctions de création, production, distribution, commercialisation) des fonctions périphériques (formation, communication, services techniques, entretien…) qui varient d’une filière à l’autre.

D’un point de vue plus analytique, la filière permet de mettre en évidence l’organisation du système économique d’un produit. Quels sont les principaux modèles d’affaires qui sont mobilisés à chaque stade de la production ? Quels sont les acteurs clés ? Quel est leur degré de concentration ? Quels liens de dépendance entretiennent-ils ensemble ? Les analyses en terme de filières aident à mieux anticiper comment une transformation opérée à un stade de la chaine de valeur est susceptible d’affecter les autres niveaux et les autres acteurs. Comment par exemple une diminution du volume des ventes du produit fini affecte les activités en amont, ou comment une fusion entre deux entreprises remet en cause les équilibres entre acteurs aux différents stades de la filière ?

Ainsi les filières culturelles sont organisées selon le schéma suivant :

Acteurs centraux Fonctions périphériques

création Artistes, auteurs,

interprètes, Formation, instruments de musiques, pellicules…

production Producteurs, éditeurs,

galeries… Service techniques,

laboratoires, imprimerie, papeterie…, ateliers de décors…

distribution Tourneurs, distributeurs, messageries

Plate-formes numériques…

Réseaux de télédiffusion, transports, …

commercialisation Chaînes de TV ou radio, librairies, galeries, salles de spectacles, plate- formes numériques, Grandes surfaces spécialisées ou non spécialisées…

Communication, design d’espace…,

La notion de filière est plus difficile à utiliser à des fins de mesure quantitative d’une activité. Premièrement, la délimitation des frontières d’une filière n’est pas simple. Les entreprises de publicité appartiennent-elles par exemple à la filière media ? Des critères de pourcentage du chiffre d’affaire réalisé avec les entreprises de la colonne vertébrale de la filière sont parfois retenus.

Deuxièmement, la configuration d’une filière est différente selon qu’on la présente à partir de l’aval ou de l’amont. Par exemple, la filière télévision se décrit à partir de l’activité de diffusion des programmes. Elle se différentie de la

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filière programmes audiovisuels dont la destination est plus large que la seule diffusion sur les chaînes de télévision.

Les filières se distinguent ainsi d’abord par leur degré d’intégration verticale.

Est-ce que ce sont les mêmes acteurs qui interviennent aux différents stades de la chaine de valeur

1.1 La fonction création-production

D’un point de vue strictement économique, la création artistique entre dans la filière économique dès lors qu’elle est produite pour être diffusée auprès d’un public qui dépasse l’environnement privé de l’artiste ou de l’auteur. C’est pourquoi nous regroupons dans une même section ces deux étapes, reprenant le choix fait dans l’analyse de la filière spectacle vivant réalisée par le Pôle Régional des Musiques Actuelles1.

« Création – Processus, acte par lequel un créateur conçoit une œuvre, un message publicitaire, un plat culinaire, un dessin de produit… ». Cette fonction, définie ainsi par Thomas Paris2 est plus ou moins intégrée au processus de production et donc à la filière. Paris distingue trois principaux modèles :

-le modèle romantique où la création est l’œuvre d’auteurs / artistes autonomes, mais relayée ou non ensuite par des producteurs en fonction de l’appréciation qu’ils font de la valeur, notamment économique, de l’œuvre proposée ;

- le modèle intégré où la création est assumée à l’intérieur de l’entreprise par des créateurs salariés

- le modèle externalisé où la création est assurée, sur commande, par une entité extérieure au commanditaire.

Dans le modèle romantique, que nous appellerons par la suite le modèle autonome, la création artistique est censée s’élaborer en dehors des contraintes économiques en vertu du principe d’autonomie de l’art3. Cette version de la création est très présente dans le domaine du livre ou des arts plastiques par exemple, où des auteurs-individus conçoivent des œuvres dont l’existence économique démarre lorsqu’elles ont trouvé un producteur (éditeur, galerie, autoproduction…). Mais l’économie du cinéma est également assez proche de ce modèle. L’activité de création y est cependant indissociable de celle de production. Ce modèle induit naturellement un hiatus entre l’offre et la demande dans la mesure où les œuvres produites n’ont pas été conçues,

1 A. Bruneau, E. Parent, Observation participative et partagée du spectacle vivant en Pays de la Loire, le pôle des musiques actuelles, 2012.

2 T. Paris, Organisation, processus et structures de création, Culture Prospectives, 2007-5, Ministère de la Culture

3 Ce que R. Caves appelle Art for Art Sake Property, R. CAVES, Creative Industries, Contracts between art and commerce, Harvard University Press, Cambridge, 2000.

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préalablement, pour répondre à une demande. La surproduction structurelle de nombreuses filières culturelles trouve une partie de son explication ici.

Dans le second modèle (intégré), l’activité de création est soumise aux enjeux stratégiques de l’entreprise, notamment commerciaux. C’est souvent le cas dans les filières jeux vidéos et design ou encore dans les filières medias (radio, télévision). Les équipes artistiques permanentes dans les structures de spectacle vivant (la Comédie Française, orchestres philarmoniques par exemple) forment un cas particulier et rare de ce modèle4. De même, la production cinématographique aux Etats-Unis dans les années trente obéissait à cette logique.

Le modèle externalisé, est un intermédiaire entre les deux précédents. La création est certes externalisée hors de l’entreprise commanditaire, mais elle répond à une commande plus ou moins précise de celle-ci. C’est souvent le cas dans la télévision où les chaînes établissent un cahier des charges très détaillé aux producteurs de programmes. Dans le champ photographique ou du design, la commande a toujours joué un rôle déterminant dans la production d’œuvres.

Les dispositifs de commandes publiques aux artistes rentrent également dans ce cadre.

Dans les deux derniers modèles, la création n’existe pas indépendamment de la production. L’œuvre n’existe que parce qu’elle est produite, c’est-à-dire financée en amont par un tiers.

4 Cela revoie au modèle de la troupe évoquée dans la synthèse consacrée au théâtre.

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Ces modèles ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et dans chaque filière culturelle, les trois formes d’intégration de la création à la production peuvent coexister. Il existe en fait un continuum de situations entre les deux cas limites, l’artiste totalement autonome (écrivain, plasticien) et le créateur-technicien au service d’un producteur et d’un marché (designer salarié). Le tableau ci- dessous identifie selon les filières, les modèles existants.

Modèle

autonome Modèle intégré Modèle externalisé

livre ++ 0 +

cinéma ++ 0 +

télévision + ++ ++

radio 0 ++ ++

photographie ++ ++ ++

Jeux vidéos 0 ++ ++

Design 0 ++ ++

Arts plastiques

++ 0 +

Patrimoine métiers s’art

+ + ++

théâtre ++ 0 +

danse ++ + +

Musique classique

+ ++ +

Musiques actuelles

++ 0 +

Arts de la rue- cirque

++ 0 ++

0 : inexistant ou marginal ; + présent mais pas fréquent ; ++ fréquent

La fonction de production constitue la véritable entrée de l’œuvre dans son système économique. Le rôle essentiel du producteur est de transformer l’œuvre en un « produit culturel » présentant les attributs aptes à le rendre commercialisable : format, collection, prix… Il définit la maquette initiale qui sera ensuite éventuellement dupliquée sous forme de copies si les technologies le permettent5. Par les financements qu’il apporte, par la sélection qu’il opère, par les changements qu’il demande aux « créateurs », le producteur modifie la création originale. Dans le cas d’une création intégrée ou externalisée, il joue un rôle essentiel dans la définition des caractéristiques de l’œuvre et peut parfois apparaître au final, comme le principal auteur de l’œuvre.

Dans la filière des arts plastiques, il n’y a généralement pas beaucoup de différences entre l’œuvre et le produit. C’est une des raisons pour lesquelles les ventes en ateliers sont fréquentes et que les œuvres n’ont pas toujours besoin d’être produites pour exister. Le financement de la production est assuré par les artistes eux-mêmes (auto-production), les galeries, commerciales ou associatives, et les institutions (centres d’art contemporain, FRAC, collectivités

5 Voir D. Sagot-Duvauroux, De l'œuvre au produit culturel, in Sirven H., Thély N., "La culture distribuée, œuvre d'art et consommation culturelle", Collection Documents actes et rapports pour l'éducation, Edition Scérén,CNDP-CRDP, Page(s) 37-43

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publiques…) à travers des dispositifs d’accueil en résidence, de commande publique ou d’aides directes à la création. La mondialisation du marché de l’art a cependant rapproché une partie de la création plastique du modèle de l’économie du cinéma. Le coût de fabrication de certaines œuvres est tel qu’il nécessite un financement amont. L’œuvre n’existe que parce qu’elle est produite.

Dans le spectacle vivant, les compagnies sont les principaux acteurs de la production. Les œuvres bénéficient de plusieurs types de financement de production : l’autofinancement, les subventions publiques d’aide à la création, les prestations en nature, comme les accueils en résidence ou le prêt de salles de répétition et les aides financières en co-production, aides généralement apportées par les lieux de diffusion, notamment labellisés. Le financement sous forme de commande est relativement rare, sauf dans les arts de la rue où cela est plus fréquent.

Dans les industries de biens culturels, les transformations apportées à l’œuvre au stade de la production peuvent être importantes. D’abord, ce n’est pas l’objet déposé chez l’éditeur ou le producteur qui est directement commercialisé mais sa forme commerciale (DVD, livre). Celle-ci affecte la perception qu’en aura le consommateur final. Ensuite, dans certains secteurs comme le cinéma ou la télévision, l’œuvre n’existe que parce qu’elle est produite. Sans financements, elle ne reste qu’une promesse d’œuvres. Création artistique et valorisation économique deviennent indissociables. L’œuvre s’identifie au produit.

Entre les créateurs et les producteurs peuvent agir des intermédiaires (agents, managers, développeurs d’artistes) dont le rôle essentiel est d’initier et ensuite de développer l’insertion économique de l’artiste dans la filière.

Le tableau ci-dessous décrit les formes de productions dans les différentes filières.

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Modèle

autonome Modèle intégré Modèle externalisé

livre Auteur de

roman ? Encyclopédies

cinéma Film d’auteurs Studios US

années Trente Films

commerciaux de producteurs

télévision Achat de

programmes Production interne de programme

Commande de programme

radio Achat de

programme Production interne de programme

Commande de programme

photographie Photographe de

galerie, photographe free lance

Photographe d’entreprise, Photographe salarié dans la presse…

Commande publique,

commande de presse,

Commande publicitaire

Jeux vidéos Studios de

développement indépendants

Production interne Editeurs jeux vidéos

Production interne fabricant de console

Commande d’éditeurs à des Studios de développement

Design Designer-artiste

freelens, éventuellement représenté en galerie

Designer salarié d’une entreprise

Commande par des entreprises à des designers indépendants

Arts plastiques Artistes de

galeries ? Commande

publique, privées

Métiers d’arts Artisans

indépendants Artisans

salariés Commandes

théâtre Compagnies

indépendantes Troupe permanente (Comedie Française)

Commande publique, commande d’entreprise

danse Compagnies, Ballet

permanent Commande publique, commande d’entreprise Musique

classique

Groupe de musiques de chambre ;

Orchestres permanents (villes, radios, TV)

Commande publicitaire, télé, cinéma

Musique actuelle Groupes,

orchestres de jazz, chanteurs

Orchestres de radios,

télévision…

Commande publicitaire, télé, cinéma

Arts de la rue Cirque

Compagnies, Cirques traditionnels employant des artistes à l’année

Commande d’animation commerciale ; commande publique

1.2 La fonction de distribution

La fonction de distribution assure la transition entre l’activité de production et l’activité de commercialisation. Elle revêt une signification technique et économique.

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La fonction technique du distributeur est d’organiser l’acheminement des œuvres, devenues produits culturels, vers les lieux de commercialisation. Dans la filière spectacle vivant, les tourneurs ont précisément cette fonction. Dans le livre, les diffuseurs distributeurs ravitaillent les librairies en ouvrage. Dans l’audiovisuel, l’acheminement des programmes est assuré par les services de télédiffusion. Dans la photographie, jusqu’à récemment, les images étaient acheminées physiquement par les agences dans les rédactions des journaux.

Cette fonction technique a été très affectée par la révolution numérique, l’acheminement numérique des produits culturels se substituant, parfois totalement comme dans le cas de la photographie de presse, à l’acheminement physique. Dans le secteur du cinéma, la numérisation des salles se traduit par la disparition progressive de la réalisation de copies argentiques au profit du transfert de fichiers numériques. Dans le domaine du livre, l’activité des grossistes en Région est en grande difficulté. Les fonctions périphériques de l’activité de distribution technique (laboratoires photographiques, messageries, imprimeries) sont directement affectées par ces transformations.

Mais la distribution consiste également à définir les stratégies économiques de valorisation des œuvres : date de sortie, effort promotionnel, lieux de diffusion…). Tout comme les producteurs, les distributeurs opèrent un second tri entre les produits proposés. Certains ne seront tout simplement pas distribués et leur existence économique s’arrêtera au stade de la production.

D’autres bénéficieront d’une distribution et d’une promotion très réduite, compromettant le succès commercial de l’œuvre.

La distribution « économique » peut être assurée directement par le producteur comme c’est souvent le cas dans l’édition, elle peut être autonome par rapport aux autres stades de la filière, comme dans le cas d’un tourneur indépendant de spectacle. Elle peut s’opérer par l’intermédiaire de marchés sur lesquels les organisations chargées de la commercialisation des œuvres auprès du consommateur final s’approvisionnent (marché de la syndication pour les programmes audiovisuels par exemple, grands festivals dans le domaine du spectacle vivant…).

Cette fonction est généralement la plus concentrée de la filière surtout lorsque celle-ci est dominée par des logiques marchandes. Les filières culturelles marchandes s’organisent ainsi selon une structure en sablier où les distributeurs, peu nombreux, jouent un rôle de filtre. Dans la filière phonographique, trois distributeurs affiliés à des labels6 (production) contrôlent ainsi cette activité (EMI- Universal, Warner et Sony).

1.3 La fonction de diffusion auprès du destinataire final

6 Si le rachat d’EMI par Universal est validé par les autorités de la concurrence

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Le dernier maillon de la chaîne de valeur est constitué par la phase de commercialisation des œuvres ou plus généralement de mise en relation de l’œuvre avec son destinataire final (public, consommateur, collectionneur…), mise à disposition qui n’induit pas nécessairement une vente et qui peut donc être marchande ou non marchande.

Les salles de spectacles et de cinéma, les festivals, les chaînes de télévision, les galeries, les librairies mais aussi les musées, les médiathèques sont autant d’acteurs assurant cette fonction.

Ce destinataire final peut être un individu ou une organisation. Une photographie ou un programme audiovisuel peuvent ainsi être commandés par une entreprise à des fins institutionnelles ou publicitaires.

Le destinataire final peut être directement impliqué dans la filière économique par l’intermédiaire du prix qu’il acquitte pour s’approprier ou avoir accès à l’œuvre. Mais les pouvoirs publics peuvent se substituer à ces destinataires en permettant, grâce à des subventions, l’accès à celles-ci gratuitement ou à un prix bas. Enfin, un troisième modèle économique consiste à financer l’accès aux œuvres (souvent gratuitement) par l’intermédiaire de la vente de produits dérivés dont le plus important est la publicité.

Les évolutions technologiques affectent fortement cette fonction de diffusion des œuvres. Les œuvres musicales, les films sont aujourd’hui massivement accessibles sur internet sans que soit véritablement stabilisé le modèle économique associé à cette diffusion. Une des conséquences de ces évolutions est que la notion de consommateur final perd une partie de son sens. On parle alors de filière circulaire. Le consommateur final peut intervenir directement dans la filière, en tant qu’auteur lorsqu’il diffuse des œuvres sur un site spécialisé, parfois en concurrence directe avec des professionnels (photographie), producteur (sur les sites de crowdfunding par exemple), distributeur (sur les sites de partage de fichiers) ou encore prescripteur en donnant son avis sur un réseau social.

Le tableau suivant donne une représentation simplifiée des principaux acteurs des filières étudiées

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création production Distribution

physique Distribution

économique Diffusion

livre Auteur

Agents littéraires

Editeur

Agents Distributeur- diffuseur Plateformes numériques,

Editeur Distributeur- diffuseur Plateforme numérique Salons

Librairies

physiques sites internet

bibliothèques

cinéma Scénariste,

réalisateur Compositeur…

Producteurs Chaînes de télévision SOFICA.

Distributeur TDF Plateformes numériques de VOD,

Distributeurs Syndication Plateforme VOD

Salles de cinéma, Site de VOD, Television, video club

médiathèque

télévision Scénaristes,

réalisateurs, animateurs

Producteurs indépendants ; Chaines de télévision

Telediffusion, réseaux Plateformes numériques,

Distributeur Syndication Chaîne de télévision

Chaînes de

télévision Plateformes numériques,

radio Animateurs

Musiciens… Producteurs indépendants Chaînes de radio

TDF RNT Chaînes de

radio Chaînes de radio Plateformes numériques, Arts plastiques,

métiers d’art Artistes,

artisans Galerie Artisans, Entreprises

Galeries, courtiers, ventes aux enchères Salons et foires

Galeries, courtiers, sociétés de ventes aux enchères Salons et foires

Galeries, courtiers,

ventes aux

enchères

Salons et foires, internet

photographie photographe Agences,

presse, galeries, Edition Entreprises

Agences

réseaux Agences Galeries Plateforme numérique

Agence, site internet

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2. Les caractéristiques principales des filières culturelles

Les filières culturelles regroupent majoritairement de très petites entreprises qui portent des projets risqués dans un univers économique mixte où les logiques institutionnelles, marchandes et associatives s’entrecroisent. Leurs modèles d’affaires se complexifient et questionnent le statut social des artistes et des auteurs.

2.1 Une économie de projets risqués portés par de très petites entreprises

2.1.1 Une économie risquée

Les entreprises culturelles sont souvent considérées comme des laboratoires d’observation des modes de gestion du risque. L’économiste américain Richard Caves considère ainsi que la principale spécificité des industries de la création consiste dans l’incertitude qui entoure les décisions des agents (nobody knows)7. Le producteur ne sait pas ce que va lui rapporter l’argent qu’il investit dans une œuvre. Malgré les dépenses de communication, malgré l’emploi de stars, le succès reste aléatoire.

Du côté du consommateur, l’incertitude est également grande. Chaque œuvre est singulière et sa qualité ne peut, la plupart du temps, être perçue qu’après consommation. Elle entre dans la catégorie des biens d’expérience. Comme au poker, il faut payer pour voir. Et cette difficulté se trouve démultipliée par l’abondance de biens et services culturels offerts. Non seulement la qualité précise de chaque œuvre est inconnue mais cette ignorance porte sur des milliers de biens apparemment substituables. Pourquoi choisir tel roman plutôt que tel autre dans une librairie ?

Dans ces économies de singularité8, le prix joue un rôle faible dans la décision d’achat. De nombreux dispositifs de jugements s’y substituent (classements, réseaux, labels, critiques et guides…) qui jouent un rôle essentiel dans l’accès à la notoriété. L’économie de la culture est une économie de l’attention ! Elle est marquée par un paradoxe : à l’abondance des œuvres correspond une concentration de la demande sur un petit nombre d’entre elles. L’enjeu du couple créateur-producteur est alors d’arriver à attirer l’attention des distributeurs et des consommateurs. C’est pourquoi les distributeurs ou les lieux de distribution (foires, festivals salons) jouent un rôle aussi central dans l’économie d’une œuvre. Ceux-ci sont sensibles à deux catégories de signaux

7 R. CAVES, Creative Industries, Contracts between art and commerce, Harvard University Press, Cambridge, 2000. Voir aussi, X.GREFFE (dir.), Création et diversité au miroir des industries culturelles, » Questions de culture », la Documentation française–ministère de la Culture et de la Communication, 2006.

8 Voir L. Karpik, l’économie des singularités, Bibliothèques des Sciences Humaines, NRF Gallimard , 2007

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dont l’importance relative varie d’une filière à l’autre : les avis d’instances de légitimation artistique et le succès commercial.

Dans l’économie du spectacle vivant subventionné (théâtre, danse) et sur le marché de l’art, la réussite commerciale dépend de façon cruciale du signalement artistique du spectacle ou de l’exposition par ce que Raymonde Moulin appelle les « instances de légitimation de l’art »9. Les lieux institutionnels occupent une place importante dans ce processus (Frac, Scènes nationales…). Ces mécanismes de reconnaissance aboutissent à des clivages forts entre les activités soutenues par les institutions et celles qui se développent en marge de celles-ci.

Dans les industries culturelles ou les métiers d’art, mais aussi dans une moindre mesure dans les musiques actuelles, la reconnaissance passe davantage par le marché. Certes, les prix comme le prix Goncourt dans le livre ou la Palme d’Or du festival de Cannes joue un rôle important mais ces signaux sont contrebalancés par le succès public ou la multiplicité d’autres sources d’information sur les œuvres. En conséquence, les oppositions entre culture

« populaire » et culture « elitiste », entre logiques artistiques et logiques commerciales, apparaissent moins marquées.

La surproduction est une conséquence de ce risque. L’économie de la culture est marquée par le paradoxe de l’abondance des œuvres proposées confrontées à la concentration de la demande sur une poignée d’entre elles. Tout se passe comme si, ne pouvant pas prévoir à l’avance quelles productions rencontreront le succès, on en produit un grand nombre, en espérant que le succès de quelques-unes couvre les échecs de la majorité. L’attrait des activités de création, le goût du jeu, et l’intervention publique renforcent l’excès d’offre sur la demande, ce qui vient peser en permanence sur les rémunérations des acteurs.

C’est logiquement lorsque la création s’opère conformément au modèle de création autonome, que les risques de surproduction sont les plus importants (livre, art plastique, danse, théâtre…)

2.1.2 Une économie de projets

Economie risquée, l’économie de la culture est également majoritairement une économie de projets. Les équipes se réunissent sur un projet et se dissolvent au terme de celui-ci. L’organisation de la production autour de projets explique l’importance des modèles autonome et externalisé. C’est particulièrement le cas dans les activités de spectacle (vivant et audiovisuel). L’intermittence de l’emploi est une conséquence de cette particularité. Mise à part les créations qui se font selon le modèle intégré, les « travailleurs de la création » ont une

9 R. Moulin (1992) -L'artiste, l'institution, le marché, Flammarion, Paris.

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position non stabilisée sur le marché du travail. Leur durée d’emploi et leur rémunération dépend de la nature et de la durée du projet sur lequel ils sont mobilisés.

Dans une économie où la création constitue le cœur de l’activité, proportionner le coût de la main d’œuvre artistique à la réussite commerciale des œuvres apparaît comme un moyen efficace de gestion du risque, la forme la plus aboutie de remontée des risques vers l’amont, c'est-à-dire vers les auteurs ou les artistes, en faisant de ces derniers des co-producteurs de fait des œuvres.

Le travail artistique est rarement rémunéré en tant que tel – exception notable faite des artistes interprètes dans le spectacle et encore ne s’agit-il que du travail visible. C’est le droit de propriété de l’auteur ou de l’artiste sur son œuvre qui fait l’objet d’une rémunération, soit sous forme de la vente d’une œuvre, comme sur le marché de l’art, soit sous la forme d’une cession de droit comme dans les industries culturelles.

Autre conséquence de cette économie de projet, la proximité des entreprises porteuses de projets est un facteur déterminant de réussite parce qu’elle permet la circulation des idées, des informations et des ressources humaines.

C’est pourquoi l’activité artistique est souvent concentrée spatialement dans ce qu’on appelle des « clusters »10 culturels. Le marché de l’art, l’audiovisuel et le cinéma11 sont de bons exemples de cet impératif de regroupement géographique qui crée d’importants effets de seuil et interroge directement les politiques régionales.

2.1.3 Une économie de TPE

L’économie de la culture est enfin majoritairement une économie de très petites entreprises12. L’existence de majors dans les industries culturelles, et de quelques grosses structures subventionnées dans le spectacle vivant et le patrimoine, ne doit pas faire oublier que l’essentiel de la production, notamment au niveau régional, est assuré par de petites organisations, marchandes (labels, producteurs ou éditeurs indépendants, galeries d’art, …) ou non-marchandes (compagnies de spectacle vivant, collectifs d’artistes…) dont l’existence est perpétuellement menacée par un échec commercial, un retard de paiement, une remise en cause de subvention ou le refus d’une banque à financer un projet.

Ces TPE culturelles ont la nécessité de s’organiser en réseaux et la proximité, notamment géographique devient un facteur propice au développement de

10 Porter, M. (1998), « Clusters and the new economics of competition ». Harvard Business Review 11:77-90.

11 Voir sur le cas du cinema, Scott, A.J. (2005), On Hollywood: the place, the industry. Princeton University Press.

12 Pour une analyse des spécificités économiques des TPE, voir Jaouen A., Torrès O. (2008), Les très petites entreprises, Lavoisier,

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ceux-ci13. Cela fait une deuxième raison de l’importance de l’agglomération spatiale des entreprises culturelles.

2.2 Des filières plus ou moins concentrées selon l’intensité des pressions commerciales

Les pressions commerciales et capitalistiques poussent les filières à faire remonter le risque vers l’amont, sur les producteurs, les auteurs et les artistes.

2.2.1 L’organisation des filières à dominante marchande

Lorsqu’elles sont dominées par des logiques marchandes, ce qui est le cas des industries culturelles, les filières s’organisent selon une forme en sablier plus ou moins cintré. En amont, l’activité de production, risquée, est éclatée en de multiples entreprises de tailles très inégales. Quelques majors côtoient une multitude de petites structures qualifiées souvent d’indépendantes (labels indépendants dans la musique, producteurs indépendants dans le cinéma…).

Les majors sont elles-mêmes le résultat de la fusion ou du rachat d’anciens producteurs indépendants. Le rôle systémique de ces indépendants est généralement d’assumer le risque de l’innovation, trop grand pour les majors compte tenu de l’importance de leurs coûts fixes. Cette structure de marché est appelée oligopole à frange.

Au stade de la distribution, l’activité est beaucoup plus concentrée. Le risque est moins important et surtout il peut être atténué grâce aux économies d’échelle et d’envergure que permet cette fonction. Les majors dominent fortement le marché et les indépendants n’ont souvent d’autres solutions que de confier la distribution de leurs productions aux majors qui trouvent ici une source d’information privilégiée sur les nouveaux artistes et les nouvelles tendances. Parfois cependant, les indépendants se regroupent pour assurer collectivement cette fonction.

La phase de commercialisation est de nouveau plus éclatée même si les technologies numériques favorisent la concentration. De nouvelles majors, relativement autonomes par rapport à l’amont de la filière peuvent apparaitre, comme la FNAC, Amazon ou Apple, à côté d’enseignes contrôlées par les majors de la distribution et de nombreux détaillants (libraires, disquaires, salles de cinéma, radios locales…), parfois spécialisés sur des niches, répartis sur le territoire.

L’organisation des filières culturelle à dominante marchande peut être représentée par le graphique ci-dessous :

13 Torrès O. (2003), ‘‘Petitesse des entreprises et grossissement des effets de proximité’’, Revue française de gestion, 144 (3), 119-138.

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En haut du sablier, se trouve la fonction de production. De nombreux indépendants côtoient quelques majors. Au centre, figure la fonction de distribution. Les majors sont fortement dominantes. Des structures indépendantes (I) peuvent néanmoins se regrouper pour ne pas être contraintes d’être distribuées par une major. En bas, la fonction de commercialisation réunit certaines majors présentes tout le long de la filière, de grosses entreprises spécialisées sur cette fonction et des détaillants de taille modeste.

2.2.2 L’impact de l’intervention publique dans l’organisation des filières

L’intervention publique dans la culture a, entre autres objectifs, d’aider à la prise de risque des producteurs et des diffuseurs. L’organisation générale des filières culturelles s’en trouve affectée. Tandis que la logique commerciale tend à faire remonter le risque vers l’amont de façon à l’isoler sur de petits acteurs, les financements publics permettent de répartir la prise de risque entre les différents maillons de la chaine de valeur et de favoriser les coopérations entre eux.

En règle générale, le degré d’intégration verticale est plus fort dans les filières à forte intervention publique que dans les filières commerciales.

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Dans le secteur du spectacle vivant subventionné, il y a assez peu d’intermédiaires entre le producteur et le lieu de diffusion. Contrairement aux filières marchandes, la fonction de distribution est rarement autonome. Les lieux organisent eux-mêmes leur programmation en se rendant à des festivals ou à des spectacles, en mobilisant leurs réseaux ou en répondant aux compagnies ou à leurs agents. ils sont souvent co-producteurs des spectacles qu’ils présentent. Dans l’audiovisuel public, la production en interne est également plus développée que dans le privé même si le recours à l’externalisation domine.

2.3 Une complexification des modèles économiques

L’évolution des filières culturelles est marquée par la complexification de leurs modèles économiques. Conceptualisés dans le secteur des musiques actuelles, les modèles dits à 360° sont présents dans un grand nombre de secteurs et concernent à la fois l’amont et l’aval de la filière. Par ailleurs, les filières ont de plus en plus de difficultés à empêcher l’évaporation vers d’autres activités de la valeur économique qu’elles produisent.

2.3.1 Les modèles à 360°

Une des formes de cette complexification est le développement des modèles à 360° tels qu’ils ont pu être décrits dans le secteur musical. On en distingue de deux sortes, les 360° artistes et les 360° usagers.

Dans le 360° artiste, celui-ci devient le centre de gravité d’une exploitation commerciale diversifiée assurée par une même entreprise14. L’œuvre est une sorte de matrice à partir de laquelle est déclinée une gamme de biens ou de services. Dans la musique, une partition ou une chanson se valorise sous forme de cd, de concerts, de concerts enregistrés, sur un téléphone portable, sur internet, à la télévision ou à la radio ou encore dans la publicité. Dans les jeux vidéos, les studios et les éditeurs doivent être présents sur le marché des consoles, des téléphones portables ou d’internet. Dans la photographie, le marché des tirages en galerie côtoie la photographie pour la presse et l’édition, pour les entreprises ou pour les agences de publicités. Dans le domaine des arts plastiques, l’artiste se pose en producteur d’œuvres mais aussi en prestataire de service de création dans les écoles, en répondant à des commandes publiques, en se positionnant comme performer dans une institution. Dans le spectacle vivant, la compagnie propose des spectacles, des animations dans les écoles, des prestations dans les entreprises.

14 J.B. Gourdin, Création musicale et diversité numérique, Rapport au ministre de la culture et de la communication, sept 2011, p. 42

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Si cette diversité des marchés est une chance, c’est aussi une difficulté car à chaque marché correspondent des modèles d’affaires et des intermédiaires différents même si, comme dans les musiques actuelles, les acteurs des sous- filières ont tendance à se rapprocher et à se concentrer. La diversification des marchés de la création a été plus rapide que celle des systèmes de protection sociale des artistes. Malgré quelques améliorations, on reste dans une situation où à chaque marché correspond un système de protection sociale spécifique ouvrant des droits s’agrégeant difficilement d’un marché à l’autre (régime général, régime des auteurs, régime des intermittents, des indépendants…)15. A côté des 360° artistes, se développent en aval de la filière des modèles 360°

usagers16. Cette fois-ci, c’est l’usager qui est considéré comme une ressource à partir de laquelle peuvent être dégagées différents revenus. On parle alors de modèles bi-face. La forme la plus fréquente est le modèle publicitaire. L’usager y est considéré comme un client mais aussi comme une ressource à valoriser auprès d’annonceurs intéressés par son profil. Les télévisions et radios commerciales, une bonne partie des sites sur internet fonctionnent majoritairement selon ce modèle. Ce qui est nouveau, c’est qu’il se développe également dans le secteur du spectacle vivant. La concentration de l’activité de billetterie en est une des traductions. Les trois principales entreprises de billetterie, Billetel (FNAC), Ticketnet (Live Nation) et Digitick (Vivendi Universal), sont l’occasion pour leur propriétaire, de vendre des places de spectacle bien sûr, de valoriser la trésorerie mais aussi les meta-données recueillies à l’occasion de l’achat.

2.3.2 Une valeur vaporeuse

L’économie des filières culturelles se caractérise également par l’importance des externalités qu’elles produisent. Ce concept, introduit par A. Marshall à la fin du XIXeme siècle17, signifie qu’une partie de la valeur produite par les entreprises (culturelles en l’occurrence ici), s’évapore de la filière pour se fixer ailleurs, sur d’autres filières économiques sans qu’il soit facile pour le créateur de cette valeur d’en récupérer les fruits. Le risque est alors grand de voir l’activité disparaitre, faute de ressources propres suffisantes, alors que si toute la valeur produite avait pu être récupérée, les comptes auraient été équilibrés.

C’est un cas de défaillance des marchés qui jusfifie, selon les économistes, une intervention publique18.

15 F. Labadie, F. Rouet , Travail artistique et économie de la création, collection Questions de Culture, la Documentation Française

16 G. Guibert, D. Sagot-Duvauroux, La musique, ça part en live, à paraitre, IRMA, Ministère de la Culture et de la Communication

17 Marshall, A. (1890), Principles of economics. McMillan. London

18 MEADE J. (1952) - External Economies and Diseconomies in a Competitive Situation", The Economic Journal, Vol. 62, No. 245 pp. 54-67

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