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A quoi sert un père ?

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Academic year: 2022

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Médecine

& enfance

« Mon père, ce héros au sourire si doux, / Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous / Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, / Parcourait à cheval, le soir d’une bataille, / Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. » Victor Hugo

N e nous leurrons pas, ce sont les mères qui font tout : por- ter le bébé pendant neuf mois ; supporter les vergetures, les seins lourds, les hémorroïdes, les insomnies, les nausées, et aussi les moments de dé- couragement, les contractions, les in- quiétudes, les fausses annonces de triso- mie 21… Et puis les douleurs de l’ac- couchement, l’épisiotomie… C’est le lot des mères, et aussi l’obligation d’être heureuse et celle d’allaiter, parce que c’est mieux pour le bébé. Et les mères qui ne veulent pas sont, dès le premier jour, considérées comme des mauvaises mères. Les hommes n’ont pas encore in- venté l’expression « mauvais père ».

Faut-il y ajouter, pour faire bonne me- sure, les jeunes pères qui trouvent qu’on se désintéresse d’eux, et qui ont du vague à l’âme parce que leur femme est moins disponible ; les biberons la nuit, ou bien le sein, que l’homme ne peut pas donner ; les rendez-vous chez le pé- diatre en s’absentant du travail, alors que le collègue masculin, lui, il ne s’ab- sente pas ! Les mises au placard et la perte de l’avancement parce qu’on a été en congé de maternité ; les absences parce que la nourrice est malade ; l’en- fant non admis à la crèche parce qu’il a de la fièvre ; les fièvres qui durent ; les hospitalisations, où la présence de la mère est bien indispensable. Et encore, les bébés nageurs ; les rendez-vous avec la maîtresse de maternelle, puis avec celle du CP ; l’orthophoniste, la psycho- motricienne, l’orthodontiste ; la mutuel- le qui rembourse mal, et le bilan pour voir s’il n’est pas surdoué, comme le pense le père. Le psychologue qui trou- ve qu’elles ne laissent pas assez de place au père. Les mères phalliques, castra- trices, abusives (ceux qui ne font rien n’ont pas de qualificatif accolé à leur nom).

Mais alors, à quoi sert un père ?

Remarquons d’emblée que cette ques- tion ne serait venue à l’esprit de person- ne il y a un siècle… Eh bien, il sert à tierciser la relation avec la mère, à don- ner son nom (de moins en moins), à ranger et à vider le lave-vaisselle, à don- ner le biberon, à prendre l’enfant dans ses bras quand la mère n’en peut plus, à sévir quand la mère est débordée par les caprices de l’enfant (quand ce sont vrai- ment des caprices), à réparer la pous- sette, à mettre des piles dans les jouets, à donner les bains…

Et le trou du nom du père ? (Lacan). Et les mères froides et distantes (Kanner) ? Et les mères camp de concentration (Bettelheim) ? Et ceux qui les trouvent suffisamment bonnes (Winnicott) ? Et ceux qui pensent que les mères transfor- ment l’alpha de la réalité insupportable en éléments bêta assimilables par le bé- bé (Bion) ? Et Françoise Dolto, et Serge Lebovici et son mandat transgénéra- tionnel ?

On ne parle des mères que pour souli- gner le drame qui accable l’enfant quand elles ne parviennent pas à faire tout ce qu’on attend d’elles. Mais qu’at- tend-on des pères en dehors des tâches que j’ai citées ? Difficile à définir.

Qu’ils soutiennent la mère plutôt que de la culpabiliser, qu’ils comprennent qu’elle est débordée, qu’ils la valorisent et la rassurent quand elle doute, qu’ils la soulagent quand elle n’en peut plus.

J’assistais récemment à un mariage et aux vœux civils d’une cérémonie qui remplace le religieux, où les époux se promettaient un amour éternel. Un jeu- ne père d’un bébé d’un mois, au fond de la salle, parodiait la cérémonie avec ses propres promesses : « Je te promets de laver les biberons, de ne pas oublier de vider le lave-vaisselle, d’apprendre à re- passer, de descendre la poubelle, d’ache- ter le bon lait et les bonnes tétines, de me lever la nuit, de le porter dans mes bras au-delà de 8 kg, de changer les couches, de prendre un jour de congé quand il sera malade, de l’emmener chez

A quoi sert un père ?

M. Boublil,centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP) de Grasse

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Rubrique dirigée par M. Boublil

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le médecin… ». Je n’ai pas encore vu de maire demander au futur père de prendre de tels engagements !

Comment font les autres espèces ? 5 % des mammifères mâles nourrissent et s’occupent de leur progéniture, contre 80 % pour les oiseaux. Quelques mâles poissons ou grenouilles collaborent avec la mère pour prendre soin des œufs. L’homme est un mammifère, et durant des siècles il a sans doute corres- pondu à ce qu’on sait des mammifères.

Les sociologues et les psychologues ont constaté que l’absence de père (ou de substitut paternel) entraîne plus souvent des problèmes de délinquance chez les garçons.

Certains pays (la Norvège) accordent au père un congé « paternité » très large, afin que les pères prennent le pli de s’occuper très jeunes de leurs enfants et que se crée ainsi une accroche. C’est donc que ça vaut le coup (statistique- ment et financièrement, puisqu’un Etat le fait) d’avoir un père.

En consultation pédopsychiatrique nous voyons rarement les pères. Quand nous les voyons et qu’ils s’impliquent, c’est plutôt de bon augure, et la mère n’est plus seule avec le problème que pose l’enfant. Dans certains cas (les pervers narcissiques), le père vient en dehors de la mère, présente bien, dit avec préci- sion et intelligence combien la mère est folle, et nous, professionnels, ne disons rien mais n’en pensons pas moins, car nous sentons à quel point l’enfant est ici instrumentalisé, et combien le parent qui instrumentalise l’enfant le maltraite.

Si l’on écoute les psychanalystes, « le pè- re est le garant d’une relation triangu- laire père-mère-enfant indispensable à la santé psychique de l’enfant. Le père est là pour interdire à la mère et à l’en- fant de se compléter, de se satisfaire mutuellement. Sa seule fonction est de séparer psychologiquement l’enfant de la mère, et cette dernière de l’enfant.

L’unique fonction paternelle inconscien- te et éternelle, c’est la mise en place du triangle père-mère-enfant. » (Simone et Moussa Nabati). Pour ces auteurs, les

troubles psychomoteurs, l’absence de propreté, les troubles du sommeil, l’échec scolaire, la délinquance, la toxi- comanie, le décrochage scolaire… tout est dû à la faillite du père !

Il est vrai que la fusion mère-enfant sans tiers mène souvent à des difficultés importantes dès que l’enfant grandit.

Pour d’autres auteurs, la société a évo- lué : « L’autorité paternelle était recon- nue comme une force positive appor- tant la sécurité et l’harmonie. Mais au- jourd’hui, la femme et les enfants survi- vent quoi qu’il advienne. S’ils n’y arri- vent pas, l’Etat s’en charge. Le rôle tra- ditionnel du père a été absorbé par l’Etat, duquel nous sommes tous deve- nus les enfants ».

Dans le cadre de l’Etat providence, le père ne servirait donc plus à rien. Cer- taines femmes le pensent, qui tra- vaillent, organisent leur vie à leur guise, et il n’est pas rare de voir une femme seule nous dire : « Quand j’étais avec le père, c’était un enfant de plus, un pro- blème de plus, je me débrouille mieux seule ! » En cinquante ans, il s’est pro- duit un bouleversement sociologique qui a complètement modifié le statut, le rôle et la place du père.

Ainsi donc, dans les temps modernes, certains pères ne servent à rien, si ce n’est à créer des problèmes supplémen- taires.

Si le père ne sert à rien, la théorie de Freud sur l’importance du complexe d’Œ- dipe s’effondre, faute de combattants.

Par contre, dans Totem et Tabou,Freud nous raconte une histoire de meurtre du père vieillissant par la horde des frères, un repas cannibalique et la culpabilité des assassins qui se prolonge jusqu’à l’homme moderne. L’enfant développe vis-à-vis du père des sentiments hostiles et une crainte. Le père suscite des senti- ments que la mère ne suscite pas. Quand j’entends un jeune dire « Si mon père sait ça, il me tue ! » (et il y a de la crainte dans son propos, et en même temps une sorte de sourire de satisfaction : on s’occupe de lui), je suis rassuré, parce que l’enfant craint quelqu’un, et a donc intégré les li- mites nécessaires à la socialisation et à la maîtrise de ses pulsions.

Pour Alexandre Mitscherlich, l’obéissan- ce au père se maintient seulement au prix de sentiments hostiles, sommeillant suite à la transmission de l’histoire de l’humanité et à l’expérience de sa propre enfance. Il déplace le sujet sur le terrain de la société : « Comment l’humanité se tirera-t-elle d’affaire sans projeter des structures sociales propres à tel ou tel groupe, par exemple sa structure fami- liale avec une autorité paternelle incon- testée, sur les futurs critères d’une orga- nisation mondiale ? Comment se pré- sentera alors une société sans pères, une société qui n’est pas contrôlée par un pè- re mythique et par ses représentants ter- restres » (Vers la société sans pères).

Pour Paul Federn, « Si, en effet, l’âme perdait une instance aussi puissante que le lien au père, tout ce qui était mainte- nu en fonction par elle serait emporté, à savoir avant tout la capacité de travail et le pacifisme intérieur et extérieur ».

Des ethnologues (Hua Cai) nous décri- vent des sociétés sans pères mais où, d’une certaine façon, les frères ou le groupe social exercent une fonction pa- ternelle, parfois encore plus fortement que ne le ferait un père.

La manière dont l’enfant a un père dans diverses civilisations ou

groupes ethniques montre que, de la même manière qu’il y a une fonction maternelle, il y a une fonction paternelle, et que l’important pour l’enfant est qu’elle existe.

Si l’on quitte la sociologie pour revenir à notre pratique, si l’on s’éloigne de l’an- tagonisme et des rivalités homme/fem- me, et si l’on se place du point de vue de l’enfant, on peut dire :

que le père sert par sa présence à ce que l’enfant puisse accéder à l’ambiva- lence, à travers des sentiments contra- dictoires, à la fois et alternativement doux et hostiles ;

que le père sert par son silence (les pères parlent peu) à être le garant d’une limite que l’enfant peut déborder s’il n’a que l’amour infini de sa mère. Dans les histoires de débordements ou de trans- gression, les familles racontent comment, Médecine

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à un moment précis, un jour, parfois avec brutalité, le père a mis fin, parfois physi- quement, à la tentative de domination de l’enfant (ce que Freud appelle d’un terme mal traduit la « castration ») ;

que le père, même absent, sert de modèle identificatoire à l’enfant garçon et fille, et davantage que ses paroles, sa manière d’être au monde marque l’en- fant. On ne sait pas comment ça se pro-

duit, mais nombre de mères séparées d’un mari violent retrouvent avec leur garçon, à l’adolescence, le double du conjoint que l’enfant n’a quelquefois ja- mais connu ;

que le père ne peut servir que si la mère le laisse servir à quelque chose et ne le considère pas toujours comme in- capable, maladroit, brutal ou inadapté (mais parfois, il l’est !) ;

que la situation du père rival (en mieux, pense-t-il) de la mère est terrible pour la mère, infériorisée, dévalorisée, culpabilisée, perdue (et parfois, elle est vraiment en difficulté…).

C’est pourquoi le père ne devrait pas de- venir une seconde mère. On voit le des- tin dramatique du père Goriot, qui sa- crifie sa vie à ses filles ingrates et profi- teuses, et qui ne parvient ni à s’arrêter ni à les arrêter.

Bien avant que Freud n’invente la psy- chanalyse, Rabbi Nahman de Braslav écrivait : « Si quelqu’un parle à son com- pagnon, il arrive quelquefois que le compagnon ne reçoive rien de lui, alors que son esprit s’ouvre lorsque, sous l’ef- fet des mots sortis de sa propre bouche, la lumière réfléchie revient vers lui ».

Avoir ce compagnon à qui l’on peut par- ler ou vis-à-vis de qui l’on peut expéri- menter l’altérité et la limite est indispen- sable à l’enfant, et il est compliqué pour la mère de jouer seule tous les rôles.

Même si certaines mères pensent le contraire, on n’est pas trop de deux pour élever un enfant. La place du père est celle qu’il prend, mais aussi celle que lui laisse la mère. L’évolution de la so- ciété fait qu’il n’y a plus d’habits pater- nels tout prêts dans lesquels se glisser, mais un rôle à inventer en permanence selon les besoins de son enfant. 첸

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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DIALOGUE ENTRE PÈRE ET FILS

Richard Martineau, Journal de Montréal,21 juin 2015,

http://www.journaldemontreal.com/2015/06/21/un-pere-ca-sert-a-quoi C’est quoi ça, un père ?

– De nos jours, ça n’existe pratiquement plus, mais il y a plusieurs années, le père était une fi- gure importante dans la famille. C’est lui qui aidait les enfants à devenir adultes.

– Ah, c’était comme une mère…

– Hmmm, pas vraiment. En fait, il aidait les enfants à se détacher de leur mère.

– Se détacher de leur mère ? ! Mais c’est dégueulasse ! Pourquoi il faisait ça ?

– Pour que ses enfants puissent devenir autonomes. L’amour d’une mère, tu sais, peut devenir étouffant.

– Etouffant ? Voyons, papa, on n’est jamais assez aimé ! On ne reçoit jamais assez de câlins, de caresses, de compliments… On ne se fait jamais trop dire qu’on est beau, bon, gentil ! – Tu sais, aimer quelqu’un, ce n’est pas seulement l’envelopper, le cajoler et flatter son ego.

C’est aussi se montrer sévère, exigeant… Etre capable de punir un enfant lorsqu’il ne respecte pas les règles, par exemple.

– Tu trouves que c’est de l’amour, ça ? Moi, je trouve que c’est de l’abus de pouvoir ! – Les profs n’agissent pas de cette façon à l’école, avec toi ?

– Non, ils sont comme maman. Quand je coule un cours, ils me consolent, me disent que ce n’est pas si grave, que je pourrai me reprendre, que je suis quand même une bonne personne…

– Et tu trouves ça correct ? – Ben oui !

– Tu trouves que toutes les personnes en position d’autorité devraient agir comme maman ? Les policiers, les politiciens, les juges, les profs ?

– Ben tiens ! Ça tombe sous le sens !

– Tu ne trouves pas que ça prend un équilibre ? Des câlins d’un côté, des critiques de l’autre ? Qu’un enfant a besoin des deux pour se développer ?

– Non ! Pourquoi penses-tu que la figure du père est disparue ? Parce que plus personne ne la voulait, que ça ne correspondait plus à rien, que tout le monde s’en crissait… D’ailleurs, tu as lu la définition du verbe « paterner » dans le Larousse? « Qui est d’une bienveillance doucereu- se »… C’est comme « materner », non ?

– Et tu trouves ça bien ?

– Si la figure du père était si nécessaire, elle aurait survécu. Or, ce n’est pas le cas. Aujour- d’hui, tout le monde materne, même les hommes qui ont des enfants. Les profs maternent, les juges maternent, le gouvernement materne… La figure de la mère s’est imposée partout, dans tous les domaines. Ça veut sûrement dire quelque chose, non ?

Pour en savoir plus

BALZAC H. : Le père Goriot,Gallimard, Paris, 1999.

BEN SOUSSAN P. : « Les pères sont des mères comme les autres », inHURET J.C. : Dans la famille… Je demande le père, Erès, Paris, 2005 ; p. 49-64.

BOUBLIL M. : « Politique et psychopathologie pédiatrique », Méd. Enf.,2012 ; 32 :345-7.

FEDERN P. : « La société sans pères », Figures de la psychanaly- se,2002 ; 2 :217-38.

FREUD S. : Totem et Tabou,Gallimard, Paris, 1993.

HAESEVOETS Y.H. : « Le père absent dans l’existence de l’en- fant », avril 2010, http://www.psy.be/famille/enfants/pere-ab sent-enfant_2.htm.

HUA CAI : Une société sans père ni mari. Les Na de Chine,PUF, Paris, 1998.

LEBRUN J.P. : Un monde sans limites,Erès, Paris, 2009.

NABATI S., NABATI M. : Le père, à quoi ça sert ? La valeur du trian gle père-mère-enfant,Dervy, Paris, 2015.

NAOURI A. : « Pourquoi papa et maman sont des êtres diffé- rents », inGREINER G. : Fonctions maternelle et paternelle,Erès, Paris, 2004 ; p. 101-6.

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