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Au paradis de Johan Muyle

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Academic year: 2021

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AU PARADIS DE JOHAN MUYLE Julie Bawin

Johan Muyle a déboulé, à fin des années 80 sur la scène de l’art contemporain avec des sculptures-assemblages et des immenses installations mobiles dont la force était de traduire en œuvre cette contradiction entre un besoin de rendre compte de la condition humaine et un désir d’imaginaire. Vingt ans après, les travaux de Johan Muyle sont toujours en prise sur le monde contemporain, laissant une grande place aux appropriations, aux détournements et au jeu des métamorphoses. Infatigable, l’artiste est dans une période faste : on le retrouve en avril à la Galerie Jacques Cérami (1) tandis que le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (2) lui consacre une exposition de trois mois cet été, avant que celle-ci ne soit montrée à la Fondation Odapark à Venray aux Pays-Bas (3). Avec Claude Lorent comme commissaire, l’exposition de Bruxelles s’intitule Sioux (see you) in Paradise. Belle entrée en matière que ce titre déjà utilisé précédemment par l’artiste ; titre promettant, sinon le paradis, du moins un engagement total du visiteur.

Partant de travaux récents ou spécialement conçus pour l’exposition, Muyle a imaginé un dispositif dense et réfléchi qui lui permet non seulement d’affirmer fortement son propos, mais aussi d’interpeller les sens et les consciences des visiteurs. Ainsi découvrira-t-on, dans un espace indéfinissable et volontairement occulté, des créatures hybrides se déplaçant comme de véritables robots de taille humaine et réagissant dans leur parcours à la présence du spectateur. Sur la frontière entre tragique et grotesque, c’est de l’Ensor revu et corrigé qui se profile : ces sculptures animées sont des squelettes aux os délicieusement customisés et surmontés de moulages de la tête de l’artiste. Si l’autoportrait est pour Johan Muyle une façon d’assumer le propos de l’œuvre qu’il nous donne à voir, il semble que ces clones hybrides sont plus qu’une simple allégorie burlesque de l’artiste. Dénonciation de l’uniformisation imposée par une société dopée par les biotechnologies et dictée par la conformité des genres ? Probablement, mais pas seulement. Par des variations étranges et des accessoires immédiatement reconnaissables, les créatures robotiques se réfèrent plus subtilement à des figures emblématiques de la résistance : la marche des Mères de la Place de Mai, la troupe des Moustaches Brothers ou le Commandant Massoud sont autant de modèles choisis par Johan Muyle pour évoquer ce qu’il appelle lui-même une « résistance créative ». Sans pathos, et avec d’autant plus de force, il parvient ainsi à mettre à l’épreuve le visiteur, l’obligeant à regarder ces êtres étranges et à lire les aphorismes qui s’inscrivent dans les œuvres ou à proximité. Loin de se limiter à une proposition ludique et participative qui ne chercherait qu’à provoquer chez le spectateur des situations troublantes pour la perception, ces sculptures animées posent également le problème de la fuite. Car si ces créatures s’éclairent et s’animent au contact de notre seule présence, elles se refusent à suivre la trajectoire que l’on pourrait éventuellement leur imposer. Cette manière de faire participer le spectateur au scénario de l’œuvre elle-même n’est pas nouvelle : Muyle nous a déjà habitué à des dispositifs impliquant le corps du spectateur tout entier et non pas seulement son regard. La nouveauté réside cependant dans le fait que, non content de nous faire agir sur le déroulement de la scène, l’artiste a placé des sièges mobiles et motorisés nous permettant d’évoluer dans l’espace au milieu de ces créatures hybrides. A la manière des autos-scooters des fêtes foraines, ces pièces ont été conçues sur le mode du tableau vivant muet. L’attraction est bel et bien présente, mais moins pour nous amuser que pour créer une pièce de théâtre imprévisible.

Dans une autre salle, Johan Muyle a réuni plusieurs pièces récentes témoignant d’un intérêt pour l’image filmique. Comme pour ses objets, l’appel à la vidéo se fait sur le mode de la

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récolte. YouTube est devenu une brocante virtuelle fournissant à l’artiste des images qui, entre ironie et gravité, affirment le caractère politique de son travail. Précision nécessaire et aussitôt affirmée : politique ne signifie en rien narration ou description d’une image violente ou percutante. En choisissant, par exemple, de montrer la pendaison de Saddam Hussein, l’artiste ne consigne pas seulement des images volées prises aux chaînes de l’information planétaire. Il associe l’épisode à un objet qui révèle une réflexion plus profonde sur une guerre chronique et tragique. Comme des tableaux cachés, ces sculptures filmiques abondent de sens et de référence. Ceci n’est pas une pipe est le titre donné à une séquence montrant le sous-commandant Marcos qui, avec son légendaire passe-montagne et sa pipe, prononce un discours sur le pouvoir des médias. Par une technique d’assemblage et un ingénieux système de motorisation, une véritable pipe est placée sous l’écran, se mettant en mouvement au moment où le film se déclenche. La référence à Magritte n’est finalement qu’un prétexte. Une

sorte d’antithèse du célèbre tableau de l’artiste belge. Ces assemblages s’inscrivent donc

dans la logique du travail de Muyle : manipuler des images devenues populaires pour affronter poétiquement et sans relâche le chaos du monde et le pouvoir hypnotique des médias.

Johan Muyle bricole, sculpte, transforme et monte. Il dessine aussi. Activité moins connue de l’artiste à laquelle, pourtant, il s’adonne depuis toujours. Carte à jouer se transformant en sirène, études de boulons, calculs techniques et essais anatomiques, collages accompagnés de légendes, de commentaires et de motifs colorés ou tracés rapidement au stylo bille sont autant de signes qui éclairent non seulement sur la genèse du travail, mais aussi sur le plaisir que le plasticien éprouve à l’égard du papier. Ces carnets de croquis, d’esquisses et de dessins préparatoires ont été entièrement scannés pour l’exposition : ils défileront sur l’écran à la manière d’un livre n’acceptant pas d’être lu rapidement, car les dessins de Muyle exigent un temps d’arrêt, de contemplation et de réflexion.

Pour terminer le parcours déjà riche et dense de l’exposition, un extrait d’un documentaire récemment consacré à Johan Muyle vaudra au visiteur d’écouter l’artiste expliquer et analyser sa démarche, son œuvre et le rapport qu’il entretient avec l’art contemporain (4). Occasion de découvrir, ou de redécouvrir, les instruments et les pensées de cet artiste hors définition.

(1) Heureusement que la pensée est muette, Galerie Jacques Cérami, Couillet, du 26 avril au 31 mai 2008

(2) Sioux in Paradise, Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. (3) Sioux in Paradise, Fondation Odapark à Venray.

(4) Julie Bawin et Pierre-Jean Foulon, Art contemporain. Huit Itinéraires, Production SAVE, Namur, 2008.

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