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Poétique du récit court dans La comédie humaine

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par

Isabelle Daoust

Thèse de doctorat soumise à la_

faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de Doctorat ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Octobre 2002

(4)

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Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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(5)

TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES MATIÈRES ... li

RÉSUMÉ 1 ABSTRACT ... o ... ov REMERCIEMENTS ... 0 • • • • • • • • • _ • • • • • • • • • • • • • • _ • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • vii INTRODUCTION ... 1 1. 2. 3. 4. 3.1 3.2 4.1 Critique balzacienne ... 3

Théorie des gemes ... : ... 7

Le récit court: un objet à la recherche de sa définition ... 9

Évolution de la nouvelle ... 9

Récit court et roman ... 12

Méthodologie ... _ ... _ ... 16

Présentation de la thèse ... 18

CHAPITRE 1 - LA NARRATION ... _ ... 22

1.1 Foisonnements de récits ... 25

1.1.1 Le récit dans le récit ... 25

1.1.2 Superposition des genres ... _ ... 36

1.1.3 Symétrie des narrations ... 39

1.2 Stratégies narratives ... 43

1.2.1 Digression et condensation ... 43

1.2.2 L' anecdote ... 55

1.2.3 Fins ouvertes ... 60

(6)

CHAPITRE II - LE DESCRIPTIF ... 76

2.1 Les lieux et les objets ... 79

2.1.1 La luminosité ... 83

2.1.2 Collection, détail et principe d'accumulation ... 90

2.2 Le portrait ... _ ... , ... 102

2.2.1 Le regard ... · ... 103

2.2.2 Conscience du portrait ... 111

2.2.3 La création artistique ... 124

2.3 Emplacement de la description ... 130

CHAPITRE III - LE DIALOGUE ... 141

3.1. Discours et réalisme ... 145 3.1.1 Les répétitions ... 148 3.1.2 Les accents ... 153 3.1.3 Niveaux de langage ... 156 3.2 Transgressions discursives ... 161 3.2.1. Le leurre ... 165

3.2.2 La monologisation des répliques dialogales ... .173

CHAPITRE IV - LA COMPOSITION ... 181

4.1. Polytextualité, fragmentation et hypertextuaIHé ... .185

4.2 Les différents regroupements de La Comédie humaine ... .196

4.2.1 Trois recueils du catalogue de 1845 : Histoire des Treize, Les Célibataires et Illusions perdues ... .197

4.2.2 Le recueil effacé: Sur Catherine de Médicis et Le Livre mystique ... 203

(7)

CONCLUSION ... 224

ANNEXE 1 - LE CORPUS ... 233

ANNEXE II - LE CATALOGUE DE 1845 ... 235

ANNEXE III - TABLEAU DES OCCURRENCES DES EXPRESSIONS « VOICI POURQUOI» ET « VOICI COMMENT)} ... 238

ANNEXE IV - TABLEAU DES OCCURRENCES DES MOTS« COLLECTION ET « COLLECTIONNEUR» ET DU VERBE « COLLECTIONNER» ... 249

BIBLIOGRAPHIE ... 259

1. Textes de Balzac ... 259

II. Critique balzacienne ... 260

a) Livres ... 260

b) Articles sur les nouvelles ... 265

c) Articles sur d' autres aspects de l' œuvre balzacienne ... 275

III. Théorie générale ... 279

a)Théorie des genres ... 279

(8)

Résumé

Dans cette thèse, nous nous penchons sur la poétique structurale du récit court dans La Comédie humaine. Pour ce faire, nous analysons dans un premier temps trois composantes internes du récit, soit la narration, la description et le dialogue. Par la suite, nous étudions la composition des recueils qui forment La Comédie humaine.

Sans remettre en question les principes de concision et de concentration, admis depuis le XIXe siècle à propos du récit court, la présente thèse se concentre sur les moyens narratifs, descriptifs et dialogaux qui participent à ces principes et qui permettent de distinguer le récit court du roman. S'ajoute à cette étude des composantes internes une analyse du regroupement des textes en recueit aspect indissociable d'une étude sur la nouvelle.

Tout indique que le récit court est du côté de la concentration tandis que le roman s'apparente plutôt à la digression. Nous vérifierons cette affirmation par une étude du foisonnement du récit et des stratégies narratives, par Yexamen des fonctions de la description et des composantes du portrait et par une analyse des transgressions discursives et des fonctions du dialogue. Suivra une étude de la composition qui prend comme point de départ le « Catalogue des œuvres» de

1845, état de regroupement intermédiaire. Nous nous intéressons ici à la structure du recueil dans La Comédie humaine et aux différents assemblages que Balzac explore.

Chez Balzac, les différences structurales qui existent entre nouvelle et roman participent à Y élaboration d'une poétique du récit court. Ainsi, notre thèse s'inscrit dans la critique balzacienne et trouve sa place dans la théorie des genres.

(9)

ABSTRACT

In fuis thesis, we are examining the structural poetics of the short story in The Comédie humaine. We first of aIl analyze three internaI elements of the story:. narration, description and dialogue. We then study the composition of t~e.

collections which form The Comédie humaine.

Without challenging the princip les of concision and concentration,

accepted sinee the XIXIh century in regard to the short narrative, fuis dissertation focuses on strategies pertaining to narration, description and dialogue, which embraee these princip les, and which enable the short narrative to distinguish itself from the novel. Within our study of internaI components, we analyze how texts are grouped together into a collection. This is one aspect which is an integral part of any study of the short story.

Everything indicates that the short narrative favours concentration, while the novel tends to digress. We will establish the truth of this assertion by

studying the proliferation of this narrative and narrative strategies, by examining the functions of description and the components of the portrait, and by analyzing discursive transgressions and the functions of dialogue. What follows will be a study of the composition which will begin by focusing on the "Catalogue des œuvres de 1845", representing a state of intermediate assembling. What concerns us here is the structure of the collection in The Comédie humaine and of the various ways Balzac explored grouping his works together.

In Balzac' s work, the structural differences which exist between the short story and the novel contribute to the actuai development of the short narrative' s poetics. This dissertation therefore forms an invaluable part of Balzacian

(10)

Ma 'plus profonde reconnaissance va àGillianLane-Mercier quia accepté avec une grande générosité de diriger cette thèse. Ses commentaires m'ont permis de préciser ma pensée et de développer mon sens critique. Ma profonde gratitude s'adresse également à Jean-Pierre Duquette qui ml a permis de mener à

bien ce projet. Ses encouragements, surtout dans les derniers moments de la rédaction, ont été vivement appréciés.

Je présente aussi mes vifs remerciements à Stéphane Vachon qui m'a guidée avec sa grande bienveillance dans l'univers balzacien et qui m'a prodigué de précieux conseils.

Je tiens à remercier René Godenne, dont l'enthousiasme pour la nouvelle a fait naître ce travait et Jean-Claude Morisot, qui avait accepté de diriger cette thèse et dont le départ trop rapide m'a grandement affectée.

Je voudrais enfin mentionner mes proches, mes collègues et mes amis, à Montréal et ailleurs, qui m'ont sans cesse encouragée pendant ces années de recherche. Sans eux, cette thèse n'aurait pu voir le jour.

(11)

Balzac et la nouvelle ou encore Balzac nouvellier ; Balzac tantôt conteur, tantôt contier; voici des rapprochements qui peuvent paraître étranges à

première vue. Pourtant il n'en n'est rien, car pour Balzac le conte est "la plus haute expression de la littérature".l De plus, comme il l' affirme par l'entremise de Philarète Chasles, "[le talent du conteur] renferme en lui la déduction logique dans sa rigueur, le drame avec sa mobilité, l'essence même du génie lyrique avec son extase intérieure."2

La correspondance contient des informations précieuses sur le statut que Balzac réserve à ses récits courts dans sa propre typologie. Ainsi, Sarrasine et Étude de femme, de même que Le Colonel Chabert et Madame Firmiani y sont désignés comme des contes dans la correspondance. Lorsque la mode du conte s'essouffle, après l'influence de Hoffmann au début des années 1830, Balzac parlera davantage de nouvelle que de conte. Dans les années 1840, les allusions aux nouvelles envahissent le texte et Cf est ainsi que tour à tour, La Fausse

1 Théorie du conte, Œuvres diverses, Pierre-Georges Castex (dir.). Paris, Gallimard, « Bibliothèque de

. la Pléiade », 1996, Pléiade, t. l, p. 518. Dorénavant, les références aux œuvres diverses de Balzac

publiées dans la bibliothèque de la Pléiade seront indiquées comme suit: Œuvres diverses, Pléiade,

tome l, p. 518.

2 Philarète Chasles, « Introduction» aux Romans et contes philosophiques, Pierre-Georges Castex

(dir.). Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, 12 volumes, Pléiade, tome X, p.

1185-1186. Dorénavant, toutes les références aux textes publiés dans cette édition de La Comédie

humaine seront indiquées commes suit: « Introduction» aux Romans et contes philosophiques, Pléiade, tome X, p. 1185-1186.

(12)

Maîtresse, Honorine, Un homme d'affaires, mais aussi certaines sections de romans (soit« Deux Poètes» 1 la première partie d'Illusions perdues, et« Un ménage de

garçon en province }); la deuxième partie de La Rabouilleuse) sont pour lui des nouvelles à un moment ou Yautre de leur écriture.

Pour Balzac, les mots« roman» et« nouvelle}) vont parfois de pair. Félix Davin, porte-parole de Balzac dans l'introduction aux Études de mœurs du XIXe siècle écrit, sous la supervision de l'auteur: "Aussi nul mot n'avait-il encore reçu une extension plus vaste que celui de romans ou celui de nouvelles, sou~ lequel on a mêlé, rapetissé ses nombreuses compositions."3 Et encore:

Quelques critiques n' ayant pas l'échelle de proportion ou n'étudiant pas les divers travaux de l'auteur d'aussi près que nous peut-être, qui avons suivi avec amour toutes les phases de son talent, ont critiqué le peu

d'étendue des sujets, les appelant ici des contes, là des nouvelles, et presque partout les amoindrissant.4

Sans qu'une véritable théorie du récit court apparaisse jamais sous sa plume, Balzac est conscient de la présence du genre bref dans son œuvre. Son ctésir de totalisation le pousse peut-être à évacuer comme telle la question du genre court, mais celui-ci existe néanmoins dans La Comédie humaine. Voyons maintenant ce que la critique balzacienne et les études sur la théorie des genres disent à propos du récit court balzacien.

3 Félix DavÎn, « Introduction )} aux Études de mœurs du XIXe siècle, Pléiade, tome l, p. 1160.

(13)

1. Critique balzacienne

Parmi les ouvrages qui ont marqué la critique balzaciennel plusieurs

s'intéressent au romanS et les ouvrages complets sur ce genre littéraire abondent,

tout comme les études sur des romans particuliers6

• Par contre, il faut constater

que le récit court chez Balzac fait l'objet de peu d'études comparativement au

roman, malgré son importance quantitative à l'intérieur de La Comédie humaine

car, rqppelons-le; La Comédie humaine est composée de romans, mais également

de plus de quarante récits courts.

En fait! trois ouvrages seulement traitent en profondeur de cet aspect de

l'œuvre balzacienne: il s'agit de L'Art structural de la narration dans la nouvelle de

Balzac de Stéphanie Des Loges7

, des Nouvelles de Balzac de Diana Festa

McCormick8 et de Balzac's Shorter Fictions de Tim Farrant9 S'ajoutent à ces titres

les études précieuses de Pierre-Georges Castex qui, outre ses analyses de certains

textes dans Nouvelles et contes de BalzaclO, consacre au récit court balzacien un

SCitons, entre autres, Maurice Bardèche, Balzac romancier, Genève, Slatkine Reprints, 1967

-réédition de l'ouvrage paru à Paris, chez Plon, en 1943, (signalons toutefois que Maurice Bardèche consacre d'importants chapitres aux nouvelles); Le Roman de Balzac, Roland Le Huenen et Paul Perron (dir.). Montréal, Didier, 1980; Balzac: l'invention du roman, Claude Duchet et Jacques Neefs (dir.). Paris, Belfond, 1982; Juliette Fr0lich, Pictogrammes. Figures du descriptif dans le roman

balzacien, Oslo, Solum Forlag/Privat, 1985; Balzac. Une poétique du roman, Stéphane Vachon (dir.). Montréal; Saint-Denis, XYZ; Presses Universitaires de Vincennes, 1996; Éric Bordas, Balzac, discours et détours. Pour une stylistique de l'énonciation romanesque, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, «Champs du signe », 1997; et Florence Terrasse-Riou, Balzac: le roman de la

communication, Paris, SEDES, 2001.

6 Citons, à titre d'exemple, Pierre Barbéris, Le Père Goriot de Balzac. Écriture, structures, significations, Paris, Larousse, 1972; Balzac et «La Peau de chagrin», Claude DUchet (dir.). Paris, Sedes et C.D.U., 1979; Roland Le Huenen et Paul Perron, Sémiotique du personnage romanesque: l'exemple d'Eugénie Grandet, Montréal; Paris, Presses de l'Université de Montréal; Didier Érudition, 1980; et Balzac et « Les Parents pauvres », Françoise Van Rossum-Guyon et Michel Brederode (dir.).

Paris, SEDES, 1981.

7 Wrodaw, PoIs ka Akademia Nauk, 1967.

8 Paris, Nizet, 1973.

90xford, Oxford University Press, 2002. 10 Paris, C.D.U., 1961.

(14)

chapitre entier dans son étude sur le conte fantastiquel l, et la thèse de Scott Lee,

soutenue en 1997, Sur les traces de Balzac: l'excès dans les nouvelles philosophiques, qui explore la figure de l'excès dans cinq nouvelles12

BiensÛf, d'autres ouvrages de la critique balzacienne traitent des récits courts. Ainsi, dans Avec Balzac, Alain se penche sur la technique des personnages reparaissants et souligne avec justesse que Bianchon, un des personnages-dés de La Comédie humaine, apparaît souvent, à différents stades de son évolution,

notamment dans les récits courts (Une double famille, Autre étude de femme, Étude de femme, etc.). TI voit en ceux-ci des carrefours:

Ces nouvelles, et éminemment celle-là [Un prince de la bohème], sont comme des carrefours où les personnages de la Comédie humaine se rencontrent, se saluent et passent. De là vient qu'au lieu d'être dans un roman, on est dans dix; et le court récit semble intarissable. Personnages, anecdote, tout est pris dans la masse et participe de la puissance architecturale.13

Bien que cette notion de carrefour comme trait distinctif du récit court balzacien puisse paraître discutable14, il est important de la mentionner car elle met en

valeur l'idée de La Comédie humaine comme recueiP5

Maurice Bardèche évoque lui aussi cette notion de carrefours et d'après lui, "beaucoup de nouvelles postérieures à 1835 [ ... ] ne sont plus que des

carrefours de personnages et dans lesquelles l'intérêt de l'action elle-même n'est

11 Voir Le Conte fantastique en France, de Nodier à Maupassant, chapitre TI, "Balzac et ses visions",

Paris, José Corti, 1982, p. 168-213.

12 Soit Un drame au bord de la mer, Melmoth réconcilié, L'Auberge rouge, Le Chef-d'œuvre inconnu et Adieu. Signalons la publication de cette thèse sous le titre Traces de l'excès. Essai sur la nouvelle philosophique de Balzac, Genève, Honoré Champion, 2002.

13Alain, "Avec Balzac" (publié initialement en 1937) dans Balzac, Paris, Gallimard, «Tel », 1999,

p. 114-115.

14 Les « romans longs» peuvent aussi être lus comme des carrefours puisque la présence de

personnages reparaissants n'est pas limitée aux récits courts. 15 Concept que nous étudierons au chapitre IV.

(15)

rien à côté du défilé des intérêts et des caractères. "16 Le livre de Maurice Bardèche est un ouvrage fondateur sur l'art du roman balzacien. Il y consacre plusieurs pages aux récits courts, et au chapitre 8 (intitulé Les Scènes de la vie privée) il examine les premières nouvelles de Balzac. Son ouvrage traite souvent des techniques qu'utilise Balzac dans ses récits courts, et ce par le biais,d'une approche historique.17

D'un autre côté, il faut souligner qu'à titre individuel, les récits courts de Balzac font l'objet d'un nombre important d'essais critiques et que depuis quelques années, les travaux sur les textes courts se' font plus fréquents. A ce titre, signalons les numéros spéciaux de L'École des Lettres consacrés à la

nouvelle18 et les nombreux articles sur les récits courts dans L'Année balzacienne

1999 (1)19. À l'intérieur de ces études, certains aspects de l'esthétique balzacienne sont privilégiés, dont surtout le fantastique des nouvelles20 Plusieurs textes sont

consacrés à la narration21 et à l'esthétique de la réception22

16 Maurice Bardèche, Balzac romancier, op. cit., p. 529.

17 Rappelons que Balzac romancier porte comme sous-titre La Formation de l'art du roman chez Balzac

jusqu'à la publication du « Père Goriot ».

18 Balzac et la nouvelle (I et II), numéros spéciaux de L'École des lettres second cycle, n° 13, 1er mai 1999;

n° 9, 15 janvier 2001. Un troisième numéro est en préparation.

19 Voir dans ce numéro les articles d'Owen Heatcote, "Nécessité et gratuité de la violence chez

Balzac: Z. Marcas", p. 153-168; de Mireille Labouret, "Madame Firmiani ou « peindre par le dialogue )}', p. 257-278; d'Allan H. Pasco, "Les Proscrits et l'unité du Livre mystique", p. 75-92, et

d'André Vanoncini, "De « Zadig» à « Maître Cornélius» : le récit policier en gestation",

p.203-216.

20 Mentionnons, outre les livres de Pierre-Georges Castex sur le conte fantastique et de

Marie-Claude Amblard, (L'Œuvre fantastique de Balzac. Source et philosophie, Paris, Didier, 1972), la thèse

de Dorothy Kelly (Studies on Ambiguity in the Fan tas tic Genre. Balzac, Blanchot, Nodier, Ph.D., Yale

University, 1980. Son chapitre sur Balzac fait l'objet d'un article intitulé "Balzac' s L'Auberge rouge.

On reading an Ambiguous Text", Symposium, vol. :XXXVI, n01, (Spring 1982), p. 30-44), le livre de

Gabriel Moyal (La Trace du somnambule: « Maître Cornélius» de Balzac, Ottawa, Didier, 1986), et le

chapitre V de la thèse de Scott Lee (intitulé "Du diabolique et de l'hyperbolique: Melmoth

réconcilié ou l'excès du don"). Il existe aussi beaucoup d'études sur Melmoth réconcilié et sur L'Élixir de longue vie, deux des récits courts les plus « fantastiques }} de Balzac.

21 Outre L'Art structural de la narration dans la nouvelle de Balzac de Stéphanie Des Loges (op. cit.)

(16)

Signalons également que la description, surtout celle des « nouvelles

artistiques », fait l'objet de plusieurs analyses. Parmi les récits courts qui mettent -en scène des artistes, Sarrasine, Gambara, Massimilla Doni et Le Chef-d'œuvre

inconnu sont les plus fréquemment commentés. Les travaux critiques concernant ces quatre textes examinent surtout la création artistique et le personn~ge de l'artiste-génie. Dans le cas des arts de la représentation, les questions du modèle et de la perfection de la reproduction sont évoquées, de même que la notion de l'artiste tué par l'art. Parmi ces récits, Le Chef-d'œuvre inconnu est

incontestablement le texte de prédilection sur la création artistique. Ainsi, le personnage de Frenhofer, la relation entre les trois générations de peintres, la question des modèles, la composition interne de la nouvelle et, bien sûr, le tableau lui-même suscitent de nombreux commentaires.

Notons toutefois qu'alors que certaines nouvelles sont largement étudiées, d'autres sont plutôt négligées comme Un homme d'affaires, La Bourse, Les Proscrits et Gaudissart II. Il faut aussi préciser que les nouvelles sont davantage étudiées individuellement plutôt qu'en groupe23 Force est de constater que, le récit court

balzacien a fait l'objet de peu d'études significatives. Pour remédier à cette situation, nous comptons examiner ici sous un nouvel angle le récit court dans La Comédie humaine.

vol. V, n° 3 (September 1980), p. 218-238), de Lucienne Frappier-Mazur, ("Lecture d'un texte

illisible. Autre étude de femme et le modèle de la conversation", Modern Language Notes, voL ne,

n04, (1983), p. 712-727), de Léo Mazet ("Récit(s) dans le récit: l'échange du récit chez Balzac", L'Année balzacienne 1976, p. 129-161), de Claudine Vercollier (ilLe lieu du récit dans les nouvelles

encadrées de Balzac", L'Année balzacienne 1981, p. 225-235), et de Juliette Frolich ("Le phénomène

oral: l'impact du conte dans le récit bref de Balzac", L'Année balzacienne 1985, p. 175-189).

22 Nous pensons ici plus précisément aux travaux de Franc Schuerewegen (notamment à son

Balzac contre Balzac, Toronto; Paris, SEDES; Para texte, « Présence critique }), 1990.) et à un article

de Dorothy Kelly ("Balzac' s L'Auberge rouge. On Reading an Ambiguous Text", Symposium,

voL XXXVI, n° 1 (Spring 1982), p. 30-44).

23 Un des mérites du livre de Tim Farrant est justement l'étude exhaustive qu'il fait des récits

(17)

2. Théorie des genres

S'il existe des lacunes à propos du récit court dans la critique balzacienne, Balzac fait-il l' objet d'analyses dans les ouvrages consacrés à la théorie des genres courts? Nous avons noté une absence quasi totale d'allusions à Balzac dans ces ouvrages. Dans leurs études générales consacrées au récit court, René Godenne24,

Thierry Ozwald25 et Daniel Grojnowski26 se contentent de faire allusion à Balzac

lorsqu'ils traitent du XIXe siècle, car les noms de Maupassant et de Mérimée viennent davantage à leur esprit. Ainsi René Godenne, désirant "rendre [son] choix le moins arbitraire possible", annonce dès l'introduction que

[p ] our le XIXe siècle, le choix fut dicté par la sélection naturelle qui s'est opérée : parmi les nouvellistes ont été élevés très vite, au rang de maître, Mérimée et Maupassant. Des auteurs aussi exemplaires ne prêtent guère à discussion. Seulement, ils ne sauraient exprimer à eux deux

l'extraordinaire richesse de la nouvelle pendant le siècle dernier, c'est

pourquoi seront cités - hélas! rapidement -les noms de Nodier, Vigny, Stendhal, Gautier, Villiers de L'Isle-Adam, France, voire Musset,

Gobineau, Flaubert, Bloy, etc. 27

Balzac est ici relégué dans le « etc. », alors que La Comédie humaine contient plus de cinquante nouvelles dont certaines sont des chefs-d' œuvre du genre! Dans son chapitre consacré à la nouvelle au XIXe siècle, René Godenne mentionne Balzac en passant lorsqu'il dit qu'à cette période,

[t]ous les grands romanciers ou poètes, à un moment de leur carrière, composèrent des nouvelles : [ ... ] Balzac, dont les « scènes » et les

« études» de La Comédie humaine sont truffées de récits courts: Le Bal de

24 Dans La Nouvelle, Paris, Honoré Champion, 1995. (édition augmentée et revue de la version

parue initialement sous le titre La Nouvelle française, Paris, Presses Universitaires de France, 1974).

25 Dans La Nouvelle, Paris, Hachette Supérieur, « Contours littéraires », 1996.

26 Dans Lire la Nouvelle, Paris, Dunod, 1994. 27 René Godenne, La Nouvelle, op. cit., p. 22.

(18)

Sceaux (1829), Sarrasine (1830), Une Passion dans le désert (1830), Un Drame au bord de la mer (1834), etc.2B

Il fait également allusion à Balzac dans la section qu'il consacre à la nouvelle fantastique29

Pour sa part, ThierryOzwaldHre plusieurs de ses exemples de Mérimée et

il parle peu de Balzac. Dans une section intitulée « Problématique du recueil de nouvelles », il évoque Balzac, mais c'est pour le comparer à Mérimée:

Mérimée met au point à sa manière un « système» des personnages, de

moindre envergure certes que celui de Balzac, mais de même nature

assurément; après tout, La Comédie humaine participe, à bien des égards, de cet effort pour dépasser le stade de la nouvelle (voir, par exemple,

comment Balzac tente d'insérer La Femme de trente ans à son grand-œuvre, en rappelant de Marsay pour les besoins de La Fille aux yeux d'or) et se ramène, pour certains de ses pans, à la juxtaposition d'une série de nouvelles (voir L'Histoire des Treize).30

Dans cet ouvrage, les allusions les plus importantes à Balzac se font par

l'entremise de textes critiques présentés en fin de chapitre; c'est le cas d:un extrait du Balzac visionnaire d'Albert Béguin, qui se trouve à la fin du chapitre sur le personnage de nouvelle, et du Balzac romancier de Maurice Bardèche dont un extrait est reproduit à la fin du chapitre consacré au temps31.

Daniel Grojnowski, quant à lui, parle à peine de Balzac. Il se penche sur El Verdugo dans sa section sur le personnage de nouvelle, et les quelques pages qui traitent de cette nouvelle sont les seules qu'il consacre à Balzac.

Que ce soit du point de vue de la théorie balzacienne ou de la théorie des genres, on constate que Balzac est avant tout considéré comme un romancier et 28 Ibid., p. 51.

29 "Les récits reposent sur des faits étranges, bizarres, extraordinaires, voire terrifiants, mais

toujours surnaturels. Chez Balzac: Melmoth réconcilié (le pacte d'un homme avec le démon),

L'Élixir de longue vie (don Juan entre en possession du secret d'éternité) [ ... l.", Ibid., p. 61. 30 Thierry Ozwald, La Nouvelle, op. cit., p. 26.

(19)

que, conséquemment, les textes courts, semblant a priori moins riches que les romans, sont laissés de côté. Nous croyons qu'il est temps de combler cette absence de théorisation du récit court balzacien.

Placés entre le conte et la nouvelleJ instinctivement distingués du roman à

l'aide de critères de longueur, les textes disparates qui correspondent néanmoins aux récits courts ne se laissent pas aisément réunir autour d'un ensemble de propriétés communes. Notre objectif est justement d'identifier ce que partagent les récits courts de La Comédie humaine en prenant comme hypothèse de départ que non seulement ces derniers se distinguent du roman, mais qu'il est possible d'élaborer une poétique du récit court chez Balzac.

3. Le rédt court: un objet à la recherche de sa définition?

Avant d'aller plus loin, il est toutefois nécessaire de faire le point sur l'évolution du récit court, exercice qui, loin d'être accessoire, renseigne sur les origines de la nouvelle et ses transformations jusqu'au XIXe siècle. Ceci nous permettra de justifier nos choix terminologiques, de comprendre pourquoi, pour le XIXe siècle, le terme de « récit court» est plus juste que celui de « nouvelle », d'observer le caractère protéiforme des genres courts, et, par la suite, d'amorcer une distinction entre genre court et roman.

3.1 Évolution de la nouvelle

On considère Boccace comme le père de la nouvelle européenne.

Composé entre 1350 et 1355, Le Décaméron était constitué de « novellas » de trois ou quatre pages s'inspirant de la tradition du conte oraL C'est ainsi que la

« novella )} italienne fait son entrée en littérature française sous l'appellation de

(20)

La nouvelle française du XVe siècle s'inscrit dans la tradition du fabliau.

En 1559, avec L'Heptaméron de Marguerite de Navarre, apparaît un changement

dans la nature de la nouvelle qui se donne alors un but élevé. Mentionnons qu'à la Renaissance, la nouvelle connaît beaucoup de succès. En 1623 paraît le recueil de Sorel, Les Nouvelles françaises où se trouvent les divers effets de l'Amour. et de la fortune, inspiré des Novelas ejemplares de Cervantes (1613).

Dans Les Nouvelles françoises ou les divertissements de la princesse Aurélie

(1656), Segrais élabore la première tentative de définition de la nouvelle par le biais du roman, comme si l'un n'allait pas sans l'autre: "le roman écrit les choses comme la bienséance le veut et à la manière du poète [ ... ] la nouvelle doit un peu davantage tenir de l'histoire et s'attacher plustôt [sic] à donner les images des choses comme d'ordinaire nous les voyons arriver, que comme notre imagination se les figure."32 L'inflation de la taille des nouvelles se produit à cette époque avec L'Amant ressuscité, nouvelle d'Ancelin qui totalise 182 pages, et avec une nouvelle anonyme, Le Rival encore après sa mort, qui fait 259 pages. La nouvelle change alors d'essence, et en 1668 apparaît la notion de nouvelle galante. Avec La Princesse de Montpensier de Madame de Lafayette s'inaugure le roman d'analyse

qui est associé à la «nouvelle romanesque» dont il faut souligner le

rayonnement dans les trente dernières années du XVIIe siècle. De 1670 à 1699 paraissent 12 recueils et 130 nouvelles indépendantes. La nouvelle va devenir, à la fin du XVIIe siècle, une série d'épisodes qui se divisent en parties, à l'exemple du roman. C'est pourquoi quelques nouvelles dépassent six centsj parfois sept cents pages! La nouvelle se caractérise alors par la complexité de son intrigue.

Au XVIIIe siècle, surtout "à partir de 1755, l'attention des auteurs va bientôt se détourner définitivement de la« nouvelle-petit roman ». C'est qu'un

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nouveau genre littéraire fait son apparition: le conte moral."33 Après le conte moral vient l'anecdote. En 1759, on voit apparaître une nouvelle forme de récit bref, la nouvelle morale, inspirée du conte moral. En voici une brève

description:

Dans l'ensemble, la nouvelle morale est brève et conçue selon les principes narratifs des Contes moraux de Marmmltel: unité -anecdotique, rapidité dans le déroulement, dépouillement et concentration dans l'exposition des faits. Le genre du conte moral entraîne donc l'apparition d'une forme de nouvelle courte qui présente la particularité d'exposer un sujet sérieux sans avoir recours à la technique romanesque.34 .

Le remaniement du récit romanesque est dû, selon René Godenne, au style du conte moral et à la forme de narration. Avec les nouvelles d'Ussieux, Le

Décaméron français (1772-1774) et Les Nouvelles françaises (1775-1784), "la brièveté devient un impératif"35. Nouvelles et anecdotes se confondent et c'est le début de la nouvelle moderne, cette dernière s'éloignant dès lors du récit long. Les auteurs de nouvelles "n'associent plus la notion de nouvelle à « petit roman », mais à

« anecdote », un terme qui suggère l'idée d'un récit concis, rapide, resserré".36 Peu à peu la nouvelle se voit assimilée au conte. C'est ainsi qu'on remarque que les Nouvelles en vers tirées de Boccace et de ['Arioste (1665) de La Fontaine devient, lors de la deuxième édition, Contes et nouvelles en vers. Le mot

« nouvelle» disparaît des éditions de 1668, 1674 et 1676. Au XIXe siècle, les appellations conte et nouvelle se confondent fréquemment, et la distinction entre le conte et la nouvelle s'efface. D'après Jean-Marie Schaeffer, "[alu XIXe siècle, [le conte] fonctionnera comme alternative au terme nouvelle et en arrivera à

33 René Cadenne, Histoire de la nouvelle française aux XVIIe et XVIIIe siècles, Cenève, Draz, 1970,

p.173. 34 Ibid., p. 186.

35 Ibid., p. 203.

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désigner n'importe quel récit plutôt bref."37 René Godenne parle pour sa part en ces termes:

un des grands enseignements de l'étude de la nouvelle au XIXe siècle m'apparaît être celui-ci: il n'est plus possible de distinguer les domaines du conte et de la nouvelle; il n'y a plus qu'un

-

-domaine: celui du récit court (par opposition au roman), qui repose tantôt sur des données fantastiques, tantôt sur des données

véritables, et que les auteurs (Nodier, Gautier, Flaubert France) traitent indifféremment de« conte» ou de «nouvelle »38.

Nous endossons ces commentaires, car établir des différences trop subtiles entre ces deux genres nuit considérablement à l'étude du récit bref du XIXe siècle. C'est pourquoi nous préférons le terme de « récit court}) à ceux de nouvelle ou de conte, car « récit court» fait consensus et permet d'éviter les discussions sur la

parenté des textes avec les nouvelles ou les contes.39

3.2 Récit court et roman

La distinction entre nouvelle et roman, et le malaise qu'elle implique à

propos du récit court trouvent leur origine dans le domaine anglo-saxon. En effet le terme « short story» implique une idée de brièveté qui n'est pas

étrangère, selon nous, au critère utilisé pour distinguer la nouvelle du roman. La traduction littérale de« short story » devrait être «histoire courte », et certains critiques vont jusqu'à mettre un nombre de pages limite après quoi la« short story » se transformerait en roman court (novella) ou carrément en roman.

La discussion théorique sur la « short story }) prend forme avec les textes critiques d'Edgar Allan Poe dans la première moitié du XIXe siècle, notamment dàns son commentaire sur Twice-Told Tales de Hawthorne (mai 1842). Dans cet

37 Jean-Marie Schaeffer, Qu'est--ce qu'un genre littéraire?, Paris, Seuil, "Poétique», 1989, p. 66.

38 René Codenne, La Nouvelle, op. dt., p. 92. Nous soulignons.

39 Puisque le terme de « récit court » englobe les termes « nouvelle » et « conte », ces derniers

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article, Poe n'utilise pas le terme de « short story » mais parle plutôt de « short

prose narrative» ou de « brief tale ». "Review of Twice-Told Tales" est un texte capital car il est à la base de la définition du récit court. Poe insiste sur le temps de lecture et sa réflexion dictera la théorie sur la « short story » pour les

décennies à venir:

We allude to the short prose narrative, requiring from a half-hour to one or two hours in its perusaI. The ordinary novel is

objectionable, from Hs length, for reasons already stated in

substance. As it cannot be read at one sitting, it deprives itself, of course, of the immense force derivable from totality. Worldly interests intervening during the pauses of perusal, modify, annul, or counteract, in greater or less degreel the impressions of the book.

But simple cessation in readingl would, of itselfl be sufficient to

destroy the true unity. In the brief tale, howeverl the author is

enabled to carry out the fullness of his intention, be it what it may. During the hour of perusai the soul of the reader is at the writer's control. There are no external or extrinsic influences resulting from weariness or interruption. 40

Poe identifie donc le récit court comme un texte pouvant se lire en une seule séance. Ille distingue du roman puisque ce dernier est construit de manière à survivre à une lecture interrompue, et pour luil « totality» et« unity » sont liées.

Chaque interruption détruirait, selon Poe, l'impression d'unité qui se dégage de la nouvelle, car celle-ci est faite pour être lue en une fois. Baudelaire reprend cette définition lorsqu'il écrit:

Elle [la nouvelle] a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l'intensité de l'effet. Cette lecture, qui peut être accomplie tout d'une haleine, laisse dans l'esprit un souvenir bien plus puissant qu'une lecture brisée, interrompue souvent par les tracas des affaires et le soin des intérêts mondains. L/unité d'impression, la totalité d'effet est un avantage immense qui peut donner à ce genre de composition une supériorité tout à fait particulière, à ce point qu'une

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nouvelle trop courte (c/est sans doute un défaut) vaut encore mieux qu'une nouvelle trop longue. L'artiste, s'il est habile, n'accomodera pas ses pensées aux incidents; mais ayant conçu délibérément; à loisir, un effet à produire, inventera les incidents, combinera les événements les plus propres à amener l'effet voulu. Si la première phrase n'est pas écrite en vue de préparer cette impression finale, l'œuvre est manquée dès le début. Dans la composition tout entière, il ne doit pas se glisser un seuJ mot qui ne soit une intention, qui ne tende, directement ou indirectement, à parfaire le dessein prérriédité.41

Suivant cette définition, certains croient que l'essence de la « short story » réside

dans cette notion d'unité, tandis que le roman est nécessairement découpé en une série d'épisodes à cause de l'interruption de lecture. Pour d'autres, la« short story » doit être courte et doit donner l'impression de totalité. Le« single

effect »42 est une caractéristique du récit court et les différents éléments de la

diégèse doivent converger vers cet effet unique, vers ce point culminant.

Dans cette thèse, nous allons explorer l'univers de La Comédie humaine par le biais des récits courts sans remettre en question les principes de concision et de concentration. Bien au contraire, nous postulons que les structures internes reflètent les principes de concision et de concentration. Notre objectif est de jeter un nouvel éclairage sur La Comédie humaine par le biais d'une théorisation du récit court. En effet, nous avons noté qu'il n'existe pas d'analyse globale des constituantes (narration, description, dialogue) du récit court balzacien et nous croyons qu'il est temps de remédier à cette situation. Voilà le premier axe de notre réflexion. De plus, l'étude des récits courts de La Comédie humaine conduit à

~ un questionnement sur la forme de leurs regroupements étant donné que l'idée

41 Charles Baudelaire, "Notes nouvelles sur Edgar Poe", Baudelaire, œuvres complètes, Marcel A.

Ruff (éd.). Paris, Seuit " L'Intégrale », 1968, p. 350.

42 Nous empruntons ce terme à James Cooper Lawrence cité par Charles E. May dans Short Story

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de nouvelle implique nécessairement celle de recueil. Voilà le deuxième axe de notre réflexion.

Contrairement à Diana Festa-McCormick, nous croyons que le récit court balzacien possède des caractéristiques qui lui sont propres et qui permettent de le distinguer des autres formes de récit. Rappelons que dans l'introduction de son livre Les Nouvelles de Balzac, Diana Festa-McCormick s'appuie sur le critère de longueur pour choisir les textes qu'elle étudie:

Le seul critère relativement objectif est celui de la dimension; seul il permet de tracer une ligne de démarcation nette. Il a donc été

décidé [ ... ] de n'indure dans cette étude que les écrits (nouvelles, contes, études) ne dépassant pas cinquante à soixante pages.43

Elle met ainsi de côté Le Colonel Chabert, un peu trop long et "déjà beaucoup étudié"44, Autre étude de femme qui, selon eUe, est un roman, et Les Marana, "en raison de la longueur et du caractère de l'histoire''45. Or le survol historique proposé dans les pages précédentes montre bien que le nombre de pages joue un rôle mineur dans l'appartenance d'un texte au genre court. En fait, le récit court se définit plutôt par opposition au roman et par les principes de concision et de concentration qui sont d'ordre structurel plutôt que quantitatif. Soulignons dès à présent que l'établissement de notre corpus s'est fait par induction, les

conclusions de nos analyses nous permettant de classer les textes.

Nous entendons donc élaborer une poétique du récit court en analysant ses composantes internes et son mode d'assemblage. Étudier la poétique du récit court dans La Comédie humaine, c'est non seulement mettre en lumière un aspect important de la création balzacienne, c'est aussi analyser le fonctionnement de cette création.

43 Diana Festa McCormick, Les Nouvelles de Balzac, Paris, Nizet, 1973, p. 14.

44 Ibid., p. 17. 45 Ibid., p. 17.

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4. Méthodologie

Parler du récit court dans La Comédie humaine nous oblige à nous inspirer d'analyses structurales du roman. C'est pourquoi, dans chacun des chapitres de notre thèse, les références au roman sont nombreuses. Autrement dit, puisque notre but est d'établir une poétique du récit court chez Balzac, ce qui nécessite une comparaison du genre court avec le roman, nos hypothèses seront parfois vérifiées a contrario, par l'étude de phénomènes qui existent dans le roman mais sont absents du récit court. Ceci est fréquent dans les études sur les genres littéraires, car, comme le dit Antoine Compagnon à propos des théories

modernes des genres, "[ ... ] les œuvres sont toujours identifiées négativement, par ce qu'elles ne sont pas, plutôt que par ce qu' elles sont: ainsi le système des genres reste pertinent [ ... ]."46

Dans notre élaboration d'une poétique du récit court dans La Comédie humaine, nous avons choisi une approche d'ordre structural plutôt qu'une approche génétique de la création. Nous empruntons cette distinction à Stéphane Vachon qui distingue deux types de poétique:

[ ... ] une poétique est [ ... ] un art de faire progressivement conscient de ses moyens et de ses fins, qui exige et formule une réponse à la question: «Par où commencer?» A côté d'une poétique structurale s'intéressant aux formes, aux systèmes et aux fonctions du texte, à sa place dans la série des genres, dans les catégories des modèles et des procédés, il y a une poétique de la création, entre espace et temps, entre instant et durée [ ... ].47 Cette « poétique de la création» dont parle Stéphane Vachon s'établit par le biais d'une "remontée du cours des éditions vers les avant-textes, [vers] la fabrique des

46 Antoine Compagnon, "Conclusions: modernité et violation des genres", Théories de la littérature: la notion de genre, http:Uwww.fabula.org/compagnon/genre13.

47 Stéphane Vachon, «Présentation », Balzac. Une poétique du roman, Stéphane Vachon (dir.).

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œuvres [ .. .]"48 car La Comédie humaine a sa propre histoire, sa propre chronologie. Nous avons choisi de nous attarder sur le dernier état de la publication tel qu'il apparaît dans le Fume corrigé que reproduit l'édition de la Pléiade! et de ne pas nous pencher sur la genèse des textes et sur l'évolution de l' écriture49

• À , l'occasion toutefois, la présentation des textes contiendra des références à

l'histoire de leur rédaction et ce surtout au chapitre IV où nous examinerons de plus près l'histoire des regroupements de certains textes.

Notre travail relève donc avant tout d'une poétique structurale, seule apte à identifier et à décrire la spécificité narrative, descriptive et dialogale du récit court de La Comédie humaine. Nous avons choisi ces trois aspects parce qu'ils sont à la base de la poétique structurale et parce qu'ils englobent en partie d'autres composantes internes du récit comme le lieu, le personnage et l'espace. De plus, il nous semble qu'une analyse structurale du récit court balzacien est un

préalable nécessaire à une étude de la composition de La Comédie humaine, où ce genre entretient des rapports tout à fait particuliers avec le genre romanesque.

La poétique structurale comprend, on le sait, une analyse des formes et des systèmes. L'idée du système se retrouve d'ailleurs dans 1'« Introduction}) aux Études de mœurs du XIXe siècle où Félix Davin, rapportant les paroles de Balzac, écrit: "Il ne suffit pas d'être un homme, il faut être un système".50 La Comédie humaine illustre cet axiome ed'où l'intérêt de faire suivre notre analyse des composantes internes d'une réflexion sur la composition de l'ensemble.

48 Ibid., p. 19.

49 Ce travail est déjà réalisé en partie par Tim Farrant dans sa thèse The Evolution of Themes and

Techniques in Balzac's Shorter Fiction from Corsino to Les Célibataires (thèse, Oxford University, 1990),

dont l'objectif central est de montrer l'évolution de l'écriture de Balzac dans la première moitié de sa carrière. Son livre Balzac's Shorter Fiction (op. cit.), poursuit cet objectif mais cette fois pour

l'ensemble de l' œuvre balzacienne, incluant les articles et les fragments.

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4.1 Présentation de la thèse

L'étude des composantes internes permettra de noter les différences entre les récits courts et les romans qui composent La Comédie humaine. La narration fera l'objet du premi~r chapitre. Comme l'affirme René Godenne:

Vouloir cerner la spécificité de la nouvelle implique [ ... ] qu'on se

préoccupe davantage du contenant que du contenu. C'est pourquoi [nous accorderons] la primauté à l'analyse des problèmes de technique et de structures narratives.51

Dans ce chapitre, nous nous pencherons sur le foisonnement de récits et sur certaines stratégies narratives. Notre travail se distingue du livre de Stéphanie Des Loges, L'Art structural de la narration dans les nouvelles de Balzac, qui contient quantité de tableaux et de listes montrant statistiquement la présence de

phénomènes aussi différents que la période historique à laquelle se déroule le récit et les liens entre les nouvelles et La Comédie humaine. Nous essayerons plutôt d'identifier les traits d'une organisation narrative spécifique à la nouvelle.

Étudier la narration implique une analyse de la manière de raconter une histoire et du fonctionnement d'un texte par le biais de sa narration. Dans ce sens, la présence de plusieurs récits à l'intérieur d'un même texte court est

importante, et nous avançons l'hypothèse qu'une narration-type se fait jour dans les récits courts par le biais du récit enchâssé dont nous verrons les modalités d'inscription. Nous nous pencherons également sur la superposition des genres et nous analyserons la symétrie au sein de la narration.

La question des stratégies du narrateur sera aussi abordée dans ce

chapitre, d'abord par une étude de la digression et de la condensation, puis par un examen des occurrences des expressions « voici pourquoi» et « voici

comment» qui, croyons-nous, révélera des différences entre le récit court et le

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roman, car ces expressions sont liées à la technique du résumé. Nous nous tournerons ensuite vers l'anecdote

atm

de voir queUe place elle occupe au sein des récits courts. Viendra enfin une analyse des fins ouvertes qui montrera que certains procédés de la clausule sont.plus fréquents dans la nouvelle que dans le roman. Dans la mesure où ces procédés s'apparentent aux relations entre le narrateur et le narra taire, ils ne sont pas sans rappeler les questions de l'adresse et de la destination telles que traitées par Franc Schuerewegen52

Le deuxième chapitre portera sur la description. il s' ouvrira par une réflexion sur la luminosité, qui sera suivie d'une analyse de l'emplacement de la description. Par la suite, nous nous attarderons aux rapports entre l'énigme, le détail et l'indice, et nous verrons comment l'utilisation de l'énigme dans le récit court diffère de celle retrouvée dans le roman. Notre étude de la description des lieux attachera une importance particulière à la présence du détail et de la

collection, et nous ferons une analyse des occurrences des mots « collection» 1

« collectionneur» et« collectionner ». Ceux-ci sont liés au principe

d' accumulation et nous émettons l'hypothèse que ce principe est absent des récits courts.

Nous nous pencherons ensuite sur le portrait par le biais de réflexions sur le regard, puis nous étudierons, d'une part, la « conscience du portrait »53, en soulignant les différences entre les portraits des nouvelles et ceux des romans, et, d' autre part, le thème de la création artistique puisque description et travail artistique sont liés. Notre analyse du thème de la création artistique nous

permettra de voir si ce dernier joue un rôle dans le déplacement de la nouvelle au roman dans la création balzacienne.

52 Voir notamment son Balzac contre Balzac, op. dt.

53 Nous empruntons ce terme à Jean Molino qui l'utilise dans "Balzac et la technique du portrait:

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Au chapitre III, consacré au dialogue, nous nous attarderons aux rapports entre le discours direct et le réalisme, ainsi qu'aux transgressions discursives. Dans la première partie de ce chapitre, nous analyserons les répétitions, les

accents et les niveaux de langage afin de d~terminer si le réalisme dialogal mis en place dans le roman est différent de celui de la nouvelle. Notre hypothèse est que le dialogue dans le roman vise à reproduire le réel. Nous croyons que les

éléments qui contribuent à « l'effet de réel» dans le roman sont tantôt absents des

nouvelles, tantôt au cœur d'une poétique du récit court qui met en scène l'énigme. La deuxième partie portera sur les transgressions discursives

engendrées lorsque le dialogue achoppe et qu'il y a un dysfonctionnement de la communication. Parmi ces transgressions, nous étudierons le leurre et la

transformation des répliques dialogales en monologue. Certains travaux d'envergure ont été entrepris récemment sur la communication et le dialogue balzaciens.54 Nous nous inspirerons de ces ouvrages, qui portent surtout sur le

roman, et de textes théoriques afin d'explorer l'esthétique du dialogue du récit court balzacien.

Au chapitre IV, les concepts de fragmentation, de polytextualité et

d'hypertextualité seront rapprochés de la composition de La Comédie humaine. Il est possible de lire La Comédie humaine comme un recueil formé de recueils. Par la suite, une étude des divers « étages» de La Comédie humaine nous permettra de

voir à quel point la technique du regroupement des textes est complexe. Pour ces réflexions sur la composition interne de La Comédie humaine, nous suivons la

54 Nous pensons ici notamment au livre d'Éric Bordas, Balzac, discours et détours. Pour une

stylistique de l'énonciation romanesque, op. cit. et à celui de Florence Terrasse-Riou, Balzac: le roman de la communication, op. cit.

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division que propose Balzac dans le «Catalogue des ouvrages que contiendra La Comédie humaine »55 de 1845.

Nous avons décidé d'analyser un petit nombre de regroupements: il s'agit d'Histoire des Treize, des Célibataires et d'Illusions perdues pour la première partie du chapitre; de Sur Catherine de Médicis et du Livre mystique pour la deuxième partie, et de La Femme de trente ans pour la dernière partie. Si ridée de grouper tous les textes sous un titre commun est souvent considérée'comme ridée maîtresse de La Comédie humaine, nous montrerons que les variétés de

regroupements offrent autant de réflexions que les composantes internes. De plus, cet aspect est souvent négligé dans les études qui portent sur le récit court, lacune que la présente thèse cherche à combler pour autant que le mode

d'agencement qui guide la lecture fait partie d'une poétique structurale du récit. Plus largement, il est possible de lire La Comédie humaine comme un vaste recueil à rintérieur duquel le récit court sert de point de départ: en effet, comme point de départ à une intrigue qui se développera ultérieurement, il comble les vides laissés par les romans; par petites touches; il tend à compléter l'univers balzacien.

LI étude de ces éléments nous permettra de forger une poétique du récit court chez Balzac, poétique qui sous-tend l'élaboration de chacune des nouvelles. Ce travail trouve sa place non seulement au sein de la critique balzacienne mais aussi à l'intérieur des études génériques puisqu'il contribue à poser les jalons d'une définition, beaucoup plus vaste, du récit court du XIXe siècle.

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Chapitre 1 - La Narration

La narration est un des éléments clés de tout type de récit. D'après nous, une investigation des modes narratifs prend forme dans La Comédie humaine. Balzac donne l'impression de chercher un nouveau mode en s'éloignant de la narration traditionnelle du conte. Cette recherche est visible tout

particulièrement dans les récits courts puisque ceux-ci sont conçus sur les

vestiges de l'oralité du conte. Il nous semble également que les éléments narratifs (narrateur, narrataire, type de narration, structure du récit, etc.) contribuent à la spécificité de la nouvelle. Comme le dit Jean-Marie Schaeffer, "le terme de nouvelle présuppose aussi implicitement la référence à une modalité

d'énonciation spécifique, à savoir la narration"1 S'il est vrai que cet énoncé peut s'appliquer à n'importe quel type de récit, du poème en prose à l'épopée en passant par le roman policier, il nous semble intéressant de souligner que la nouvelle a probablement un type de narration qui lui est propre

Nous nous pencherons ici sur les techniques narratives qui caractérisent le récit court y mais avant d'entamer une telle étude, une réflexion autour de la

notion d'oralité est nécessaire puisque, comme nous le verrons, le phénomène du récit dans le récit porte la marque de l'oralité. Dans son ouvrage sur l'oralité, Walter

J.

Ong souligne combien l'écrivain du XIXe siècle est près du conteur et

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d'une culture orale. Il remarque que les écrivains de cette époque utilisent souvent des références aux lecteurs, et il assimile cet usage à celui des conteurs qui s'adressaient directement à leur public:

The nineteenth-century novelist's recurrent 'dear reader' reveals the problem of adjustment: the author still tends to feel art audience, listeners, somewhere, and must frequently recall that the story 1S not for Hsteners but for readers, each alone in his or her own world.2

La relation complexe entre le conteur et son auditoire se traduit, dans le récit écrit, par les rapports entre narrateur(s) et narrataire(s). Le narrataire est souvent inscrit dans le récit sous la forme d'un auditoire. La technique du récit dans le récit, qui apparaît dans près de la moitié des nouvelles de Balzac, est un élément important de l'investigation des modes narratifs. Comme l'affirme Peter Brooks, Balzac "met en scène très souvent une transmission de communication orale où c'est l'échange et la transmission du récit qui est en jeu."3 Le narrateur joue un rôle de premier plan dans ce passage du récit oral au texte écrit et Balzac explore les différents champs narratifs par le biais d'un éventail de narrateurs. Selon José-Luis Diaz, H[t]out en remodelant l'esthétique du conte à sa guise-parce qu'il y projette une exigence de réalisme contemporain et des sarcasmes dissonants - Balzac transforme aussi le rôle convenu du conteur."4 Dans la même étude, José-Luis Diaz parle de « conversion esthétique» pour illustrer certains commentaires de Balzac, ce qui évoque ce que nous appelons l'investigation des modes narratifs. Ce phénomène se traduit par un nombre important de

1 Jean-Marie Schaeffer, Qu'est-ce qu'un genre littéraire?, Paris; Seuil, «Poétique», 1989, p. 83.

2 Walter J. Ong, Orality and Literacy. The Technologizing of the Word, London; New York, Methuen,

1982, p. 149.

3 Peter Brooks, "Le conteur. Réflexions à partir de Walter Benjamin" Maupassant miroir de la nouvelle, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, « L'Imaginaire du texte », 1988, p. 227.

4 José-Luis Diaz, "Portrait de Balzac en « conteur phosphorique », Balzac, Une poétique du roman,

Stéphane Vachon (dir.). Montréal; Saint-Denis, XYZ; Presses Universitaires de Vincennes, 1996,

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nouvelles constituées de récits-cadres et de récits encadrés. La construction en diptyque, présente dans les premières Scènes de la vie privée, se transforme et apparaît désormais au sein même de la narration.

La présence d'un foisonnement de métarécits est intimement liée à la narration qui caractérise la nouvelle. D/une pàrt on assiste à une superposition des genres par le biais, par exemple, de lettres ou de poèmes qui apparaissent au sein d'un récit. D'autre part, les récits deviennent peu à peu symétriques, ils se répondent et se transforment en véritables mises en abyme. Ces deux

phénomènes complexifient les relations entre narrateur et narrataire. Parmi les stratégies narratives, nous identifions un mouvement de digression, présent par l'entremise de l'expression «voici pourquoi», de même qu'un mouvement contraire de condensation qui se fait jour par le biais des différentes techniques de résumé. L'anecdote est aussi une des composantes-dés du récit court et participe à l'élaboration de la nouvelle. Nous verrons comment ce« micro-récit» s'inscrit à l'intérieur d'une poétique de la nouvelle et contribue à enrichir celle-ci. Nous avons également choisi de nous pencher sur la présence des« fins ouvertes» dans les nouvelles qui utilisent la technique du récit dans le récit, et nous verrons comment cette utilisation de l'excipit s'inscrit dans une stratégie discursive plus large.

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1.1 Foisonnement de récits

Le foisonnement des récits est un des aspects de la nouvelle qui a été largement étudié, mais il est essentiel d'y revenir dans la mesure où cette technique est utilisée dans un nombre considérable de nouvelles et est_au cœur de l'«investigation des modes narratifs». Dans la terminologie narratologique que nous utilisons, les termes de récit dans le récit, de récit-cadre et récit encadré, et de métarécits employés ici se correspondent et s'équivalent. Dans tous les cas, il s'agit d'un récit fait à l'intérieur d'un récit premier.

Nous porterons ici une attention particulière aux nouvelles techniques narratives qui se font jour dans le récit balzacien par le biais de la technique du récit encadré. Près de la moitié des nouvelles de notre corpuss sont des nouvelles

qui contiennent un récit second, ce qui montre à quel point cette technique doit être prise en compte pour l'élaboration d'une poétique de la nouvelle

balzacienne. Pour illustrer notre propos, tournons-nous maintenant vers

l'excellente étude de Juliette Fr0lich sur la présence du récit dans le récit au sein de la nouvelle balzacienne.

1.1.1. Récit dans le récit Selon Juliette Fmlich,

le récit cadré de Balzac n'est que très rarement simple formule

schématique. Le plus souvent il s'agit, au contraire, d'un récit modulé selon des liens thématiques explicites entre le cadre et l'encadré, bref d'un récit dans lequel ces liens peuvent être dramatiquement exploités pour les besoins de la diégèse. On verra ainsi que cette « relation dramaturgique »

entre l'histoire que raconte le récit-cadre et l'histoire que raconte « le récit

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dans le récit}) peut acquérir une si grande intensité que l'action, dans le· récit-cadre, se voit modifiée par le conte relaté dans le récit encadré.6

Pour sa part Claudine Vercollier identifie une vingtaine de nouvelles qui

comportent un récit encadré ou un récit second qui correspond à la définition de Gérard Genette dans

Figures

II: "est second tout récit pris en charge par un agent de narration (ou plus généralement de représentation) intérieur au récit

premier."7 Nous nous pencherons ici sur les fonctions du récit second et sur le phénomène de « contagion narrative »8, dans le sens où la narration du récit second aura un impact direct sur le récit premier et ira jusqu'à le contaminer. C'est pourquoi la relation entre le récit-cadre et le récit encadré dans la nouvelle en est souvent une d'interaction, voire de fusion. La présence du double récit et le rôle du récit second dans la trame narrative font partie des caractéristiques du récit court balzacien.

C'est dans Gobseck, croyons-nous, que Balzac emploie pour la première fois

la technique du récit dans le récit. Cette nouvelle se déroule dans le salon de la vicomtesse de Grandlieu; sa fille Camille s'intéresse au jeune comte de Restaud, fils d'une demoiselle Goriot, malgré les réserves de la vicomtesse qui s'inquiète de la fortune du jeune homme. L'avoué Derville, ami de la vicomtesse, raconte alors une histoire au sujet du jeune homme et dévoile comment le comte de Restaud père a mis sa fortune en sécurité. Le récit de Derville contient celui de Gobseck qui raconte les événements d'une journée passée entre une comtesse et une pauvre fille. Un court dialogue suit le récit des rencontres avec les deux femmes qui sont Anastasie de Restaud et la future Mme Derville, dialogue au cours

6 J. Frolich, "Le phénomène oral: l'impact du conte dans le récit bref de Balzac", L'Année balzacienne 1985, p. 176-177.

7 Gérard Genette, Figures Ur Paris, Seuil, «Poétique», 1969, p. 202.

8 L'expression est tirée de l'article de Léo Mazet "Récit(s) dans le récit: l'échange du récit chez

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duquel Mme de Grandlieu s'exclame: "Mais je ne vois rien là-dedans qui puisse nous concemer"9. Ce commentaire fait penser à celui de Mme de Rochefide dans Sarrasine: "Mais [ ... ] je ne vois encore ni Mariana ni son petit vieillard"lO. Dans Gobseck cependant le récit n'a pas de valeur marchande comme Cf est le cas dans Sarrasine. Le récit de Derville est une explication qui a pour objet de dévoiler à la vicomtesse de Grandlieu l'existence de la fortune prochaine du jeune de Restaud. C'est pourquoi, plutôt que de faire une réponse énigmatique au commentaire de son interlocutrice, Derville s'exclame:

Sardanapale! [ ... ] je vais bien réveiller Mlle Camille en lui disant que son bonheur dépendait naguère du papa Gobseck, mais comme le bonhomme est mort à l'âge de quatre-vingt-neuf ans, M. de Restaud entrera bientôt en possession d'une belle fortune. Ceci veut des explications.11

La narration de Sarrasine est différente de celle de Gobseck car dans Sarrasine, raconter une histoire est un acte de séduction et sert de monnaie d'échange12

; fait par un homme à une femme, le récit à valeur marchande sert de

monnaie d'échange pour une faveur future. Ici, le pacte narratif se solde par un échec car après avoir entendu l'histoire de castrat, Mme de Rochefide repousse son interlocuteur :

Vous m'avez dégoûtée de la vie et des passions pour longtemps. [ ... ] Demain je me ferais dévote si je ne savais pouvoir rester comme un roc inaccessible au milieu des orages de la vie. Si l'avenir du chrétien est encore une illusion, au moins elle ne se détruit qu'après la mort. Laissez-moi seule. 13

9 Gobseck, Pléiade, tome TI, p. 978. 10 Sarrasine, Pléiade, tome VI, p. 1063. 11 Gobseck, Pléiade, tome TI, p. 978.

12 Un phénomène semblable se répète dans d'autres nouvelles, notamment dans Les Secrets de la

princesse de Cadignan, ou encore Une passion dans le désert. 13 Sarrasine, Pléiade, tome VI, p. 1075.

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Que trouve-t-on dans Sarrasine? L'incipit, qui souligne l'opposition du dedans et du dehors, annonce en quelque sorte les multiples oppositions qui prendront forme non seulement dans la diégèse mais aussi à travers la narration, et à

l'intérieur même du pacte narratif. Ces multiples oppositions sont présentes dans la relation narrateur-narrataire; ici, le narrateur est celui qui connaît le mot de l'énigme tandis que la narrataire, Mme de Rochefide, «veut savoir».

Le personnage du narrateur dans Sarrasine joue un rôle de premier plan à

plusieurs niveaux. Il y a tout d'abord la situation de «double narrateur» signalée par Genette:

Le même personnage [assume] deux fonctions narratives identiques (parallèles) à des niveaux différents: ainsi [ ... ] le narrateur extradiégétique devient lui-même narrateur intradiégétique lorsqu'il raconte à sa

compagne l'histoire de Zambinella. Il nous raconte donc qu'il raconte cette . histoire, dont au surplus il n'est pas le héros [ ... ]. La situation de double narrateur ne se trouve à ma connaissance que dans Sarrasine.14

Bien qu'absent comme personnage dans le récit second, le narrateur est .celui qui· lie les deux récits. Ici, les deux récits correspondent aux deux univers auxquels fait référence Pierre Citron lorsqu'il écrit:

Dans Sarrasine s'affrontent deux univers, celui d'un passé coupable, surmonté mais dont la menace n'est pas écartée, et celui d'un présent rassurant et ouvert. Mais le présent, comportant la mémoire du passé, conserve une dualité. [ ... ] Le narrateur participe de ces deux univers, non seulement parce qu'il observe leur contraste, mais parce qu'ilIe vit dans sa chair.15

Ceci nous amène au rôle joué non seulement par le narrateur mais aussi par la narration. Pour Barbara Johnson, Sarrasine "is divided in two parts: the story of the telling and the telling of the story"16, soit le récit de la narration et la

14 Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, «Poétique», 1972, p. 239. 15 Pierre Citron, Dans Balzac, Paris, Seuil, 1986, p. 100.

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narration du récit. Nous nous intéressons ici à la forme que prerment les récits et

à la forme du pacte narratif. Dans

Sarrasine,

l'expression « pacte narratif »

désigne le contrat ou l'échange narratif entre le narrateur et Mme de Rochefide. Ces deux aspects de la narration sont intimement liés à l'histoire racontée. C'est au niveau de l'acte narratif que nous désirons concentrer nos propos.

D'après Ross Chambers17

J aucun acte de narration n'apparaît sans un

contrat implicite entre narrateur et narrataire. Tout en obéissant aux désirs de la marquise, le narrateur émet ici quelques réserves: "je n'ose commencer.

L'aventure a des passages dangereux pour le narrateur."tS Ce commentaire sur le

danger de raconter une telle histoire est assez éloquent sur l'idée d'échec qui se

dégage de la « castration racontée». La réaction de Mme de Rochefide, qui brise

le pacte, n'est pas déterminée par l'histoire racontée (la « castration racontée»)

mais davantage par le simple fait de raconter une telle histoire, et c'est pourquoi

Ross Chambers emploie les termes de« castration racontée» et de «( narration

La différence essentielle entre la narration du récit diégétique et la narration du

récit métadiégétique devient claire à l'examen du personnage du narrateur. Dans

ses rapports avec Mme de Rochefide, le narrateur est dans une position subalterne, tandis que dans le récit métadiégétique, le narrateur prend une

assurance nouvelle. Ainsi, dans le récit initial, le narrateur hésite. La question de Mme de Rochefide sur l'identité de l'Adonis suscite une hésitation chez le

narrateur: "Je crois [ ... ] que cet Adonis représente un ... un ... parent de Mme de

Lanty."20 L'hésitation du narrateur, et sa réponse un peu timide face à

17 Dans "Sarrasine and the Impact of Art", French Forum, vol. V, no 3 (September 1980), p. 218-238. 18 Sarrasine, Pléiade, tome VI, p. 1057.

19 Ross Chambers, "Sarrasine and the Impact of Art", French Forum, vol. V, no 3 (September 1980),

p.220.

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