HAL Id: hal-02282270
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02282270
Submitted on 7 Jun 2020HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.
Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - NoDerivatives| 4.0 International License
animal
D. Vermersch, . Unceia,union Nationale Des Coopératives Agricoles d’Elevage
Et d’Insémination Animale,paris (fra)
To cite this version:
D. Vermersch, . Unceia,union Nationale Des Coopératives Agricoles d’Elevage Et d’Insémination An-imale,paris (fra). Positionnement éthique et impact sociétal du clonage animal. Séminaire UNCEIA, Jan 2003, Paris, France. 10 p. �hal-02282270�
030 l29Clonage.doc
gWpqe
.
Eifirsrr{Jr}ÆrffiBIBLIûTi,{ËieTIfl
Rue .A,dolpheEoï:ierre
cgj 61103
35Oi1
RENNES C}TDF]X Té1. o2.33.48.54.08E
f\
S
3
E
S
T
R.
E
T
D
V
rr
o
7
a
Positionnement éthique
et
impact
sociétal
du
clonage
animal
Séminaire
UNCEIA,
ParisBercy 29-30
janvier
03Dominique
Vermerschl
lDirecteur de recherche INRA, animateur du gtoupe Ethos INRA, mis à disposition à I'ENSAR. Les opinions émises dans ce texte doivent être considérées comme propres à leur auteur et s'appuient notamment sur les travaux de Ladrière (1997,2001). dominique.vermersch(Eagrorennes.educagri.fr
DOCUlïilEl'|TATOl'l ÉCOt,|OlTilIE RtlMLE REt'|I{ES
r lililt ililI ililt
ilil
ilIil ililtilil
il]
1.
INrnolucrroN
La possibilité effective du clonage animal témoigne à souhait du pouvoir de I'homme sur la vie, pouvoir aujourd'hui immense, rendu possible par I'accumulation d'un savoir sur la vie. Cette prouesse techno-scientifique illustre également le double changement, opéré par la science moderne, dans
la relation
entresavoir et pouvoir.
Tout
d'abord,un changement
quantitatif ou d'échelle : certes, les cultures grecque et médiévale disposaient d'un savoir degrande portée mais celui-ci ne conduisait pas à un pouvoir étendu.
A I'inverse aujourd'hui, et
comme le souligne Ladrière2,le savoir scientifique"produit" un
pouvoir impressionnant. En termes économiques,nous
pourrionsmême affrrmer que cette "production
de
pouvoir" s'effectue avec des rendements d'échelle croissants: un accroissement
marginaldu savoir
conduit à un accroissement plus que proportionnel du pouvoir. Ce changement quantitatif aété précédé d'un changement
qualitatif du
rapport entre savoir etpouvoir : délaissant son
aspectoriginel
proprement contemplatif,le
savoir tend
à
se confondre avecle pouvoir,
jusqu'à dire à la suite de F. Bacoî: "savoir,
c'estpouvoir".
L'espace des possibles ouvert parle savoir scientifique tend en effet à restreindre I'agir humain en un pouvoir technique sur la nature, délaissant par là-même la nécessaire orientation éthique de nos actions et ce, au nom
même d'une
exigencede rationalité
instrumentale.C'est en ce
sensque
I'amplification récente des préoccupations éthiques,et
notamment bioéthiques, constitueune forme
deréaction
à
I'ambiguilé
contemporainedu rapport entre savoir et pouvoir
humains. Uneréflexion
et
un
discernement
éthiques
qui ne
peuvent
se
réduire
à
une
sorte d'accompagnementvisant
I'acceptabilité
sociale
des
nouvelles prouesses
techno-scientifiques.Ces
dernièrestelles que
le
clonageanimal
conduisentà
des situations parfois
totalement inédites et pour lesquelles le discernement éthique ne s'impose pas d'emblée :ni
àl'intuition,
ni
aux grandes traditions philosophiques ou religieuses.Il
apparaît dès lors une indéterminationéthiquel, dont la science moderne est à I'origine. Ces situations nouvelles
nerelèvent
plus
[en effet]
du
monde
naturel, auquel
nos
capacités
de jugement
etd'appréciation sont accordées,
maissont de caractère artificiel...
or
leporteur
de
cetteartificialisation
du monde, c'est en définitive la science.4Le
même auteur5 relève deux options disponibles pour lever cette indétermination éthique. Dans un premier temps, nous présenterons ces deux options puis ferons le choix de2 Lud.iè.. (1997, p. 278)
3 indétermination éthique qui est fréquemment associée à des incertitudes scientifiques relatives par
exemple à I'innocuité ou la sûreté des biotechnologies (Vermersch et Matthee, 2001)
4 Lud.ièr. (2001, p.150)
J
la seconde,
tentant alors de prolonger ce que Ladrière lui-même a commencé à développer face à I'interrogation éthique induite par la possibilité du clonage animal6.2.
DncrsroNNrsMnou
REINTERpRETATToN ?Faisant
le
constat d'une conscience éthiquea
priori
démunie,la
première option relève d'un pragmatisme ambiant soucieux de faireun bon usage des
nouvelles possibilités techniques,Ie
bon étant alors issu pour I'essentiel d'une éthique procédurale et consensuelle, d'une "sagesse de compromis". Cette option est qualifiée par Ladrière de décisionniste, dansla mesure
où
une instance sociale décisionnelle et normative enui.nt
à
r"
s.rbstit.t.r
au* normes éthiques usuelles. Cette instancedoit
êtremunie
d'une autoritélégitime,
capable d'emporter I'adhésion du corps social à telle outelle décision
normative.Au delà
du risque deI'arbitraire qui
apparaîtrait éthiquement inacceptable, I'inconvénientà
terme est que le souci éthique, I'orientation éthique que nous souhaitons donner à nos actions, se réduisent àun
souci tutioristeT. En outre, les procédures utilisées pour construire,justifier
et légitimer les normeset
les décisions sont souvent inspirées parla démarche
scientifique elle-même. Elles se caractériseront par une méfiance apriori
pourtout ce
qui est d'ordreintuitif et par
une tendance à traiter tout problème de légitimation comme un problème de validation ; les norrnes éthiques seront validéesvoire testées
sur
la
base de données empiriques, d'une manière analogue à toute pratique scientifique. C'est ainsi qu'opèrentle conséquentialisme,
I'utilitarisme (en tant qu'éthique économique) ou encore les éthiques du
moindre mal.Le réductionnïsme et l'éviction du sens
L'autre option, proposée par Ladrière lui-même, précise tout d'abord en quoi "le sens
éthique des situations
n'estplus
donné defaçon
immédiateà
l'intuition éthique". Par
I'entremise des procédures de "réduction"(i.e
de modélisation) qu'elleutilise,
la démarche
scientifique dépouille les situations à analyser de leur signification existentielle danslaquelle s'enveloppe,selon I'auteur,
la
signification éthique.
La
signification existentielle
d'unesituation
étantla
manière dont
elle
affecte l'existence [humaine]
en
sa
destinée9. La démarche scientifique opère par "réduction" lorsqu'elle substitue à l'élément de réalité étudiéun
objet en quelque sorte épuré, censé extraire de la réalité des caractéristiques objectives,6 Lud.ièt" fut I'un des intervenants de la première école chercheurs organisée en 1999 par le groupe
Ethos INRA (Arnsperger et al., 2001), la dimension éthique du clonage animal étant précisément I'une des
questions qui lui furent posées.
7 "c'est à dire d'un souci qui se préoccupe systématiquement de suivre toujours, dans les situations où
plusieurs orientations paraissent possibles, le parti le plus sûr" (ibid, p. 179)
empiriquement vérifiables et à même de faire progresser les connaissances9.
Qu'il
s'agissed'étudier le
métabolismecellulaire, I'embryogenèse ou
encoreles
transferts d'informationgénétique,
le
biologiste
utilise
quotidiennementun
<objet
épuré>,
une
réduction scientifique de la réalité étudiée, ou plus communément un modèle. Ce faisant, en isolant en effet les propriétés jugées objectives d'un objet ou phénomène réel, la procédure de réductionen
évacuesa signification existentielle
:
la
vision
réductionnistedu réel élimine toute
réference à un sens qui ne serait pas définissable àpartir
d'une réduction à l'élémentaire ; les réductions scientifiques opérées ne renvoient qu'à laportion de
réalité étudiée, elles ne sont le symbole (le signe) d'aucune autre réalité.Vers une herméneutique de
l'articifiel
La
démarchescientifique exclut donc les présupposés
qui
sont
de I'ordre
de
la perception ou de I'affectif. Or, parce que l'éthique est viséedelavie bonne,
il
n'est possiblede
statuersur
la
signification
éthique d'unesituation que
si
elle revêt une
significationexistentielle.
Partantdès lors de I'univers des objets
techniquesou
hybridesl0,
et
en s'appuyant sur les apports de la phénoménologie, Ladrière propose de faire (ré)apparaître, ou encore d'inférer,le sens
existentiel àpartir du sens objectif.
Par analogie, ce mouvement d'inference est en quelque sorte une inversion de la démarche scientifique de réduction qui nécessite une démarche interprétative, c'est à dire une herméneutique de I'artificiel. L'auteur propose une piste pour lever I'indétermination éthique ainsi mise en évidence, au travers des troisfondamentaux de I'existence humaine (les trois dimensions d'intégration si I'on poursuit I'analogie mathématique!)
que sontla corporéité,
la
temporalitéet I'altérité.
C'estpar le
corps eneffet que
notre existence est en prise sur le monde;
c'est dans le temps que notre existence déploie sa propre histoire et son accomplissement;
notre existence est enfin"co-existence" avec
autrui
:
elle
porte
la
responsabilité d'elle-même
tout en
assumantpartiellement,
directementou
indirectement,celle d'autrui
dansun
souci
de solidarité.
Ladrière
nomme "réinterprétation" cette démarche ambitieuse,plus
conforme, selonlui,
àI'exigence de rationalité que le décisionnisme.
Il
en donne un début d'illustration concernant la question du clonage animalll
qu.
nout essayons maintenant d'étayer.9 ibid, p.t5s
l0
Entre objet technique fabriquéet
objet naturel modifié,il
apparaît aujourd'hui uneindifferenciation progressive (Bourg 1996, p.2l). La sophistication des objets techniques tend à les confondre avec les objets naturels tandis que la modification de ces derniers les rend toujours plus proches de I'univers des machines. Ainsi, le génie génétique ne s'emploie-t-il pas à imiter des phénomènes proprement naturels ?
Les biotechnologies ne peuvent-elles être assimilées à des unités de fabrication de molécules d'intérêt, à des transformateurs d'énergie ? La notion d'objet hybride assure alors le continuum entre les deux catégories d'objets.
5
3.
Ln nrrrNussEMENT
EXTSTENTIEL DU cLoNAGE ANTMALCe travail de
réinterprétationévoqué
précédemmentn'est
évidemmentque
lapremière
étapevers
la
déterminationde
normes appeléesà régir des
actions humaines rendant possibles des situations inédites telles que le clonage. Cette détermination se traduit notamment par un choix entre des "possibles réels" qui s'inscrivent ou non dans le sens de ce que visele vouloir profond
de I'existence humaine, personnelleet collective
;
c'est à dire encoreson telos, ce qu'elle
est appeléeà
êtreL2.Nous
nous contentonsici
de recenser quelques éléments à même de pouvoir contribuer à la détermination objective de ces norrnesdans
le
cas
du
clonageanimal.
En
effet,
cette objectivation
s'appuie égalementet
endéfinitive
sur un "travail"
personnelde
chacun:
la reconnaissance de ces norrnes
par
la conscience morale du scientifique, de I'industriel, du citoyen...13En guise
de préliminaire,
il
s'agit d'établir
la
signification objective du clonage
animal: autrement
dit, de
quois'agit-il
exactement? La réponse est évidemment du ressortdu
scientifique qui le définirait
commeun ensemble
de techniquesvisant à
produire un animalvivant
à partir d'un génome unique. L'incertitude demeure probablement sur le degréde similitude
génétique entrele
cloneet I'individu
cloné;
enparticulier,
il
n'y aurait
pas "reproduction" génétiquement identique de I'animal dont on a prélevé le noyau d'une cellule, certaines recherchesvisant
actuellementà établir les distances génétiques
entre clone etindividu
"parent". On devine alors que, dans ce cas, la technique du clonage laisse une partd'indétermination qui
risque
fort
bien
d'être
"récupérée"par
I'argumentation éthique enfaveur
du
clonage humain14...Comme
quoi,
la
signification objective d'une situation
nécessite d'être clairement établie afin d'en dégager sa signification éthique.Cette dernière, selon Jean Ladrière, s'enveloppe dans la signification existentielle :
c'est à dire en quoi une situation nouvelle retentit ou peut retentir sur I'existence humaine en sa destinée
?
Dansle cas du clonage
humain,il
estclair
quecelui-ci
affecte de manière emblématique les trois vecteurs de I'existence humaine précédemment évoqués que sont la corporéité,la
temporalité et I'altérité. Chacun (ou presque!)
enconvient : l'éviction d'une
singularité biologique comme
du
processus
de
filiation
affecteraient gravement
le déploiementde l'être humain ainsi "procréé"
dans sonrapport
à
son
corpset à autrui.
12 ibid,
p.tlo
13 Nour retrouvons la distinction entre éthique et morale suggérée par Ladrière (1997,p.22-23): c'est I'idée de normativité qui fait se rejoindre les deux termes ; l'éthique exprimerait la dimension objective de la normativité : la norme fait abstraction des individus, se transmet par Ia culture et fonctionne comme principe inspirateur de coutumes et d'institutions. La morale relèverait de la dimension subjective de la normativité : la norrne est reconnue intérieurement, par la conscience personnelle.
14 Com*e le note en effet Axel Kahn (1998), "l'une des bases biologiques de notre liberté, c'est notre indéterminab ilité".
L'engagement
de
nombreux scientifiques, I'actualité législative nationaleet internationale
témoignentd'une volonté d'interdire et de criminaliser
le
clonagereproductif
;
tout
en maintenant le distinguo contestable avec le clonage dit thérapeutique qui laisse la porte plus ouverte encoreà la réification
de I'embryonhumain... et
au clonageà
visée reproductive dans les pays à législation lacunaire (Verspieren,1999)Bien
qu'il s'agisse ici
du clonage animal, celui-ci retentit indirectement et de manière ambivalente sur I'existence humaine.Il
contribuerait par exemple à la production à moindrecoût
de
molécules d'intérêt thérapeutique;
il
a ouvert
d'autrepart la possibilité
de son
application technique à I'homme lui-même. D'où la question préalable à la détermination de normes éthiques: "Comment
réguler, etfout-il
lefaire,
les recherches surl'animal, au motif
queleur
transpositionà I'homme
aboutirait
à des
résultats que|on
souhaiteéviter ?15"
Plus généralement, cette ambivalence est à replacer dans le contexte, aujourd'hui fortement bousculé, du rapport de I'homme à I'animal.Le contexte
d'arrière-plan : une relation
homme-animal malmenéeLe clonage
animal exacerbe à nouveaux frais la question controversée du rapport de continuité, vs de rupture, entre I'homme et I'animal. Dans ce domaine et commele précise
Ide (2001), deux logiques
s'affrontent.D'une
part, celle de
la
hiérarchie
qui
voit
une différence de nature entre I'homme et I'animal;
d'autre part, une logique de I'altéritéoù
la différence n'est pas de nature,ni de degré,
mais d'altérité.La
premièrefait
corps avec les pensées antique, chrétienne et moderne. Chez les Grecs comme chez leurs héritiers chrétiens,la
hiérarchie s'inscrit
à la
fois
dansune continuité
de corps, de
vie
physiologique
et sensitive... et dans une ruptureplurielle
: < ontologique ('homme est seul berger de l'être), anthropologique ('homme seul est doué de langage et de raison;
variante:
l'homme seul est informépar
une âme immortelle);
juridique
('homme
seul estsujet de droits et
de devoirs);
scientifique
('homme seul est douéd'un contexte
préfrontal
aussi développé) ; théologique Q'homme seul estuéé àl'image
de Dieu)...,16.
L'hommeesttissé de lapâte
même du cosmos.Avec la science moderne, prenant
pour marchepied la philosophie cartésienne, et la poussée consécutive et vertigineuse dela technique, c'est la
logique dela
rupturequi
sera pousséeà
son
extrême.Celle-ci réfute
toute continuité
de substance
entre I'homme et
I'animal, I'homme et le cosmos, le premier s'érigeant << comme (seul) maître et possesseur dela
nature>...
C'est pourtant cette même continuitéqui
revient brutalement,et
comme en boomerang surle devant de
la scène, dans ce que I'on pourrait appréhender comme I'un des aboutissements contemporains de la technique que constitue le clonage animal.Parallèlement,
la
logique de rupture,
laisséeà
elle-même, induira
en
réactionlSHermitte, 1994
7
I'affermissement progressif et inédit d'une logique de I'altérité. Celle-ci conduit à reconnaître à I'animal une valeur intrinsèque
qui lui confère des
droits. S'inscrit dans cette logique toutun courant anglo-saxon (Singer,
Regan...)militantpour le
droits des animaux et contre lespécismel7. Tandis que d'autres auteurs,
tels que
E.
de
Fontenayet
F.
Burgat
(1997), s'attacherontà
déconstruire
la
difference homme-animal,
y
compris
leur
difference ontologique, patiemment élaborée pourtant depuisvingt-cinq siècles.
Notons simplementici
le
risqueconélatif, non
intentionnel mais déjà observable d'unetelle option
:
à
savoir la banalisation voire la réification de I'humain.Ces
deux
logiques
de
hiérarchie
et
d'altérité s'excluent mutuellement,
bien qu'exprimant I'uneet
I'autre une extériorité réciproque entre I'hommeet I'animall8.
Ell.t
conduiront probablement
à des
orientations éthiques très différentesà
proposdu clonage
animal.Dignité
humaine et responsabilité cosmiqueSi
I'on
s'entient à une
conception standardde
la
dignité
humainequi
s'appuie notammentsur une rupture
ontologique entre I'hommeet I'animal, sur la possession
de prérogatives essentielles à la condition humaine telles que la conscience réflexive, tout ceci amène à reconnaîtreet à assumer
une responsabilité de I'hommevis
àvis
de lui-même etdonc d'autrui
;
et plus
largement encorevis à vis
du
cosmos.Cette
conscience d'une responsabilité cosmique et écologique est de fait le propre de la personne humaine.Et c'est
dans cette perspective que se place Ladrièrepour suggérer
une orientation de normativité éthique dansle
casdu
clonageanimall9.
Cette suggestionpart de
I'observation suivantlaquelle
le processus
évolutif qui porte
le
cosmos(i.e
la
nature) se caractérisepar une
différenciation et une sophistication croissantes, tant dans le règne animal que végétal. Cette differenciation va dansle sens de
la
singularitéqui
atteint sans conteste un sommet dans le casde l'être
humain.La responsabilité
cosmiquepourrait
alors s'exprimerde la manière
suivante:
que "l'hommeo
Ia
mission desoutenir les tendances
qui se
manifestent dansl'évolution
cosmiqueet
de leur
donner
un
sensen les
réinscrivant dans
ses propresinitiatives."20 Adopter cette
modalité de responsabilité découle enfait
d'un méta principe éthique reformulé par Ladrière de la manière suivante: "la marche spontanée des êtres vers
leurfin
- c'est à dire ce qui se monifeste en eux en raison de leur essence - est une indication17le spécisme consiste à reconnaître à I'espèce humaine une supériorité aux autres espèces animales.
l8
Remettre en cause cette extériorité permettrait justement de dépasser I'antinomie radicale entrelogiques de hiérarchie et d'altérité, en visant alors, selon I'expression d'lde (2001), "une dffirence sans
indffirence".
l9 Lud.ièt" 2001,p.201
adéquate
de ce qui doit être et
unetelle indication
constitue unfondement légitime
denormativité éthique."
2l
C'est
ainsi que
le
gazouillement
du
nourrisson
indique
un développementde celui-ci
orientévers un langage
articulé
:
d'où
la reconnaissance d'un
devoir de lui apprendre à parler.Appliqué
à la nature et à son devenir, ce méta principeinviterait
donc à soutenir et accompagner le déploiement de la biodiversité. Et, par voie de conséquence, à objecter une éventuelle possibilité de clonage animal à grande échelle dèslors
quele déploiement de
labiodiversité
commele
processusévolutif
sont comme "portés"par le brassage génétique
induit par la reproduction sexuée.Ce faisant, nous sommes bien conscients de réouvrir la boîte de Pandore relative à
I'idée d'une finalité présente dans
la
nature.Celle-ci
est encore largement rejetéepar le
regard scientifique, un regard motivé d'abord par la recherche des causes efficientes etsous-tendu
par une vision
mécanisteet
amorale22de
la
nature,allant
jusqu'à
réfuter I'idée
pourtant objectivable d'une certaine harmonie de celle-ci.Ainsi
Gouyon(200I, p.
38) qui reprend I'idée selon laquelle "les individus sont des artifices inventéspar
les gènespour
sereproduire". Le sujet d'intérêt,
voire l'être de raison, ne seraient donc plusI'individu mais le
gène porté à se reproduire et à se pérenniser23... Bref, chassez I'idée de finalité, elle revientau galop
!
Elle
revient, en effet,
quelquepeu épurée
de
sadimension providentielle et
dogmatique24;
quitte à lui reconnaître une fonction heuristique et un caractèrepluriel. C'est
2l
Ludrière, 1997 p.183. Thiel et Thévenot (1999) proposent une illustration incontestable de cemétaprincipe
:
"le dëveloppement spontané d'un nourrisson conduit celui-ci à entrer dans le champ de la parole humaine. En conséquence, il existe un devoir de lui apprendre à parler."22 L'"*p."sion serait due à Thomas Huxley, compagnon de Darwin
: "la
nature n'est ni morale niimmorale, la nature est amorale" (in Gouyon 2001,p.48-49)
23 La nature ne serait donc pas harmonieuse mais au contraire se dégraderait, étant réduite au théâtre d'un vaste conflit entre gènes et allèles d'un même organisme ou d'organismes différents... le clonage pouvant être perçu alors comme I'aboutissement des gènes vainqueurs !
24
Co
^"
le souligne encore Ladrière (2001, p.158), on ne peut en effet déduire une propositionnormative de propositions descriptives. Si I'on s'appuie en effet sur des propriétés objectives (telles que des
"lois" biologiques mais aussi économiques et sociales) pour fonder des orientations éthiques pour I'action, on
fait
intervenir un méta-principe là distinguer du méta principe évoqué supra où il est question du mouvement de l'être vers sa fin en raison de son essencef disant que la valeur éthique de l'action réside dans sa conformité aux indications fournies pqr la nqture ou par les faits sociaux. Or, comme le note avec force Ricæur (2000) "ily a éthique d'abord parce que, par l'acte grave de position de liberté, je m'arrache au cours des choses, à la
9
dans une
telle inflexion
que nous pouvonsrelire les propos
de G. Paillotin, ancien président de I'INRA: "Je ne
veux pasfaire
dufinalisme
un peu simpliste. Je constate simplement qu'ily
a
de
la
cohérenceentre les lois de
la
nature
et que celle-ci
n'estpas en complète
dysharmonie avec nos propres cohérences sociales."
(Paillotin,
1997).Bref, à
défaut de reconnaître dansla
nature une harmonie, pouvons-nous reconnaître raisonnablement des harmoniques possibles entre un logos quiy serait
inscrit
etles nomo,s que nouslui assignons
?
Entrer plus
avant dans cette questiontrès
disputée d'unefinalité inscrite
dans la nature nécessiterait d'autres détours philosophiques que I'auteur de ces lignes ne maîtrise pas vraiment. Celadit, la question préalable sur
laquelle on peut s'entendreaujourd'hui
estcelle du
positionnementde
la
rationalité
inévitablementlimitée de nos
propres actions humaines sur (et dans) une nature dont chacun s'accorde à y trouver un ordonnancement, uneintégrité, un équilibre
interne dynamique.Bon
gré mal
gré, tout ceci
conditionne notreliberté humaine,
Ladrière25nous invitant
à
y
voir
tout
autant desmotivations
et
des suggestionspour I'agir moral que des
contraintes.En
définitive
d'ailleurs, c'est
toute I'expériencehumaine,
personnelleet
collective,
qui
témoigne
d'un déploiement d'une
feconditéde
la
natureà
la
mesuredu travail de
I'hommeet de
I'exercice d'une liberté humaine responsable, c'est à dire au service du bien.4.
CoNcr-usroNL'ambivalence
de certaines
innovations technologiquessur le
bien-être humain, ladifficulté
croissantede
dissocierla
sciencede
sesapplications
(i.e
la
technoscience), I'importance des intérêts économiques enjeu,
I'ampleur des changements socio-économiquesinduits
par
ces
innovations,tout cela
:
(i)
catalysela
quête actuellede sens que nous
souhaitons donner à la poursuite de la manipulation de la nature, espèce humaine ;(ii) remet
en cause I'affirmation sans nuances d'une neutralité éthique de la science ;(iii)
renvoie enfinà la liberté
et à la responsabilité
du
scientifique comme detout
citoyen.La
capacité de I'homme à auto-limiter son pouvoir technique n'est-elle pas aujourd'hui la meilleure garantie de I'affirmation et de la pérennité de son autonomie morale ?Parallèlement, l'herméneutique de I'artificiel à laquelle nous convie Jean Ladrière ne pourra se passer en définitive d'une herméneutique de la nature que Lambert (1999)
définit
de
la
manière suivante
:
< Celle-ci,tout en
respectant scrupuleusementles acquis
des sciences, tenterait d'en donner une intelligibilité, un sens qui les débordent.Elle
nefait
queprolonger
le
mouvementde
recherchede
sensqui commence
au
cæurde
la
démarche systémique mais qui ne peut s'achever en elle >. Ceci renvoie à une perspective plus large, àsavoir
unir
la
nature, dans son
déploiementet
dans
son devenir,
à
I'action
humaine,notamment dans ses aspects éthiques.
Du fait
que la possibilité du clonage boucle dans unraccourci saisissant notre origine
et
notre devenir, cette herméneutique, autrementdit
cetravail
interprétatif, est réalisée en fait par chacun d'entre nous et la société elle-même.RBrnRnNcns
Arnsperger
C., Larrère C.,
LadrièreJ.,
2001,Trois
essaissur l'éthique
économique et sociale. INRA Editions, Coll. Sciences en Questions.Bourg
D., 1996,L'homme artifice.
Ed. Gallimard, Paris, 351p Burgat F.,1997,Animal,
monprochain. Ed
Odile Jacob.Gouyon P.-H., 2001, Les harmonies de la nature à
l'épreuve
de la biologie, Evolution etbiodiversité. INRA
Editions, Coll. Sciences en Questions.Hermitte
M.-A., (1994):
Les techniques de la transgenèse en agriculture: de la science au
politique. Natures-S ciences-Sociétés, 199 4,2(4) p. 3 5 6 -3 65 .Ide
P., 200I,
L'homme et I'animal. Une différence sans indifférence.Liberté
Politique,
4è*' trimestre.Kahn
A.,
PapillonF., 1998, Copies conformes.
Nil éditions.
Ladrière J. 1997, L'éthique dans I'univers de la
rationalité. Artel-Fides.
Ladrière J,,2001,
L'éthique
déstabiliséepar
la science. in Arnsperger et al., 2001.Lambert
D., 1999, Sciences
et
théologieLes figures d'un
dialogue.Ed; Lessius,
Presses Universitaires de Namur, 220p.Paillotin
G,
1997,50 ans de recherche
publique pourI'INRA.
DEMETER
97198. Armand Colin, Paris.Ricoeur P., 2000, Ethique. Article in Encyclopaedia Universalis.
Thiel M.-J.,
ThévenotX.,
1999, PratiquerI'analyse éthique, Etudier un
cas'Examiner
un
texte. Ed du Cerf, Paris,408p.Vermersch,