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Étude des procédés discursifs de légitimation mobilisés par l'état et une entreprise privée dans un contexte de gestion de crise-À partir du cas Deepwater Horizon au large de la Louisiane - approche sociopolitique

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Étude des procédés discursifs de légitimation mobilisés par

l’État et une entreprise privée dans un contexte de gestion de

crise-À partir du cas Deepwater Horizon au large de la

Louisiane-Approche sociopolitique

Thèse

Amira Heni

DOCTORAT EN COMMUNICATION PUBLIQUE

Philosophiæ Doctor (Ph.D)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

Notre étude relève d’une analyse exploratoire fondée sur une étude de cas. En partant d’un exemple de débat articulé autour d’un enjeu public, en l’occurrence la responsabilité sociale d’entreprise (RSE), nous appréhendons le discours comme un instrument de pouvoir déployé par des acteurs en position conflictuelle. Nous prenons comme un cas d’étude la crise écologique provoquée par British Petroleum (BP) au large du Golfe de Mexique le 20 avril 2010. Pour sélectionner notre corpus, nous avons désigné deux populations cibles de discours, en l’occurrence le discours tenu par le gouvernement américain (discours d’Obama) et le discours représentant l’avis officiel de BP (communiqués de presse de BP). Nous avons analysé les discours publics d’Obama et de BP datant du 20 avril 2010 jusqu’au 19 septembre 2010.

Nous avons considéré tout discours produit dans un contexte conflictuel travaillé par une crise comme un instrument porteur symboliquement des signes de pouvoir et mobilisant des rapports de force entre les acteurs impliqués. Nous partons de l’hypothèse suivante : les discours organisationnel et gouvernemental étudiés et produits dans un contexte de crise, sont forcément des discours conflictuels au sens de Windisch (1987). Et nous avons utilisé la grille d’analyse élaborée par Windisch (1987) pour mettre en exergue le fonctionnement interne d’un discours conflictuel envisagé comme un vecteur du pouvoir et de légitimation. Nous avons précédé l’analyse de discours, méthode principale dans notre étude, par une analyse de contenu qualitative. Le recours à l’analyse de contenu se justifie par notre souci de déterminer les divers thèmes développés dans le discours, d’examiner comment les acteurs imprègnent de sens le thème de la RSE et de poser le corpus dans sa réalité propre, en ayant recours au logiciel d’analyse de contenu qualitative HYPERRESEARCH. En outre, en mobilisant les présupposés théoriques et les outils méthodologiques issus de l’analyse de discours, nous avons ausculté le potentiel performatif légitimateur des discours construits et élaborés dans un contexte de communication conflictuelle. Pour ce faire, nous avons utilisé le logiciel d’analyse textuelle TROPES reconnu comme un outil d’analyse textuelle capable de générer des modèles représentatifs de la structure du corpus et de son organisation thématique.

NOTIONS-CLÉS

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ABSTRACT

Our study is intended to be an exploratory analysis based on a case study. Starting from a sample debate articulated around a public issue, namely the corporate social responsibility (CSR), we apprehend the discourse as an instrument of power deployed by actors in a conflict position. We take the ecological crisis caused by British Petroleum (BP) in the Gulf of Mexico since April 20, 2010 as a case study, and the reaction of the U.S. administration to intervene and reassure the public opinion alarmed by this crisis. In order to select our corpus, we have identified two target populations of discourse, in this case the speech given by the U.S. government (Obama's speech) and discourses representing the official opinion of BP (BP's press releases) dated April 20, 2010 until September 19, 2010.

We considered any discourse occurring in a context of conflict symbolically as a power signs carrier and a mobilizing instrument of power relations between the involved actors. We start from the hypothesis stating that organizational and governmental discourses, studied and produced in a crisis context, are necessarily conflictual discourses within the meaning of Windisch (1987). And we used the analytical framework developed by Windisch (1987) to highlight the internal functioning of a confrontational speech seen as a vector of power and legitimacy. In our research, we preceded the discourse analysis, the main method in our study, by a qualitative content analysis. The use of content analysis aims to determine the various themes developed in the discourse, examine how actors define the CSR topic and put the corpus in its own reality, by using the HYPERRESEARCH qualitative content analysis software. In addition, by implementing the theoretical assumptions and methodological tools from discourse analysis, we auscultated the performative legitimating potential of discourses constructed and developed in a conflict communication context. We used the TROPES text analysis software recognized as a textual analysis tool able to generate representative models of the corpus structure and its thematic organization.

KEY CONCEPTS

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... III ABSTRACT ... V LISTE DES TABLEAUX ... IX LISTE DE FIGURES ... XI REMERCIEMENTS ... XV

I- NOTE INTRODUCTIVE ... 1

II- PROBLÉMATISATION ET CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE ... 4

1- Question de recherche ... 4

2- Cadre conceptuel ... 6

2.1- Appréhension de l’espace public pour y inclure les pratiques de la RSE ... 6

2.1.1- L’esquisse habermassienne d’un espace public rationnel ... 8

2.1.2- Une ré-appréhension critique de la thèse habermassienne ... 12

2.1.3- Entreprise et espace public ... 18

2.2- RSE : Étymologie, Fondements théoriques et pratiques ... 29

2.2.1- Rapports entre Entreprise privée/État en matière de RSE ... 29

2.2.2 - Environnement sociopolitique de l’entreprise ... 32

2.2.3- Qu’entend-on par « politiques publiques »? ... 38

2.2.4- Dualité Entreprise privée/État ... 40

2.2.5- Facteurs de politisation des pratiques des entreprises ... 43

2.2.6- Lobbying : stratégies et procédés d’intervention ... 46

2.2.7- Les processus consultatifs dans les arènes institutionnelles ... 61

2.3- Articulation discours/pratiques dans le cas de la RSE ... 68

2.3.1- Qu’est-ce qu’un « discours »? ... 68

2.3.2- Le discours comme un instrument de pouvoir ... 73

2.3.3- Le discours organisationnel ... 83

2.3.4- Discours organisationnels de RSE ... 87

2.3.5- Qu’entend-on par la « RSE »? ... 89

2.3.6- Les arguments de RSE dans les discours organisationnels ... 93

2.3.7- Articulations discours/pratiques en matière de RSE ... 96

2.3.8- Notion de légitimité ... 97

2.3.9- La RSE, au-delà des mots… ... 100

2.4- Articulation transparence/propagande en matière de RSE ... 104

2.4.1- Communication VS Information ... 106

2.4.2- La transparence communicationnelle ... 109

2.4.3- Information VS Propagande ... 114

3- La RSE : un champ investi par des enjeux de légitimité et du pouvoir ... 122

3.1- Approche théorique sociopolitique ... 122

3.2- Posture épistémologique ... 127

3.3- Légitimité discursive en matière de RSE ... 132

3.4- Stratégies discursives de légitimation ... 136

3.5- Conception sociopolitique de la RSE ... 140

III- VOLET MÉTHODOLOGIQUE ... 148

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1.1- Les potentiels légitimateurs du discours organisationnel ... 150

1.2- Cadre et intérêt de la recherche ... 156

2- Approche méthodologique constructiviste ... 162

2.1- Analyse de contenu ... 165

2.2- Analyse de discours ... 167

2.3- Étude de cas ... 168

3- La grille d’analyse de discours de Windisch (1987) ... 174

3.1- Les fondements théoriques de l’œuvre de Windisch (1987) ... 178

3.2- Caractéristiques langagières du discours conflictuel ... 182

3.3- Les stratégies discursives légitimatrices du discours conflictuel ... 189

3.3.1- Le discours rapporté direct ... 190

3.3.2- Le discours rapporté indirect ... 191

3.3.3- Formes de négation et de réfutation ... 192

3.3.4- Démasquage/Masquage ... 193

3.3.5- La concession ... 194

3.3.6- Ironie et simulation ... 194

3.3.7- La représentation fantasmatique ... 195

3.3.8- La stratégie de la guerre invisible ... 196

3.4- Discours conflictuels selon le paradigme de l’action ... 197

3.5- Typologie des discours conflictuels ... 213

4- Corpus et analyse descriptive et thématique ... 224

5- Analyse de discours en utilisant la grille de Windisch (1987) ... 288

5.1- Analyse des discours d’Obama en utilisant le logiciel Tropes ... 298

5.2- Analyse des CP de BP en utilisant le logiciel Tropes ... 379

IV- VOLET CONCLUSIF ... 428

1- Discussion des résultats ... 428

2- Limites de la recherche ... 436

3- Perspectives de la recherche ... 441

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ix

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1: Quatre perspectives sur l'interface entreprise/société (Igalens et Gond, 2008) ...143

Tableau 2: Intensité conflictuelle et forme langagière s'y rapportant ...181

Tableau 3: Analyse comparative de deux univers discursifs conflictuel/non conflictuel ...182

Tableau 4: Typologie de discours conflictuels ...214

Tableau 5: Emploi des pronoms personnels associés à des verbes d'action et de volonté par Obama ...243

Tableau 6: Extraits textuels dénotant un style énonciatif des discours d'Obama ...299

Tableau 7: Thèmes introduits par des substantifs situés dans des propositions remarquables ..305

Tableau 8: Les références les plus significatives selon le nombre d’occurrences dans les discours d'Obama ...308

Tableau 9: Les univers référentiels les plus présents dans les discours d'Obama selon le nombre d'occurrences ...309

Tableau 10: Rapports sémantiques triés selon la fréquence de cooccurrence ...312

Tableau 11: Répartition des unités linguistiques selon la position syntaxique ...313

Tableau 12: Éléments signifiants répartis dans des catégories grammaticales ...320

Tableau 13: Intensité relationnelle en fonction de la fréquence de cooccurrence référentielle322 Tableau 14: Caractérisation des stratégies discursives implémentées par Obama ...341

Tableau 15: Indicateurs langagiers attestant de la vocation narrative des discours de BP ...382

Tableau 16: Thèmes introduits par des substantifs inscrits dans des propositions remarquables ...385

Tableau 17 : Les références les plus significatives dans les CP de BP selon la fréquence d’occurrences ...388

Tableau 18: Univers référentiels rangés selon la fréquence d’occurrences dans les CP de BP ...389

Tableau 19: Rapports sémantiques triés selon la fréquence de cooccurrence dans les CP de BP ...391

Tableau 20: Unités linguistiques réparties selon leur position syntaxique ...392

Tableau 21: Les unités linguistiques les plus occurrentes dans les catégories grammaticales ...395

Tableau 22: Intensité relationnelle selon le taux de cooccurrence référentielle ...397

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LISTE DE FIGURES

Figure 1: La politisation de la communication d'entreprise ... 33

Figure 2: Conception sociopolitique de la dynamique discursive déployée par État/entreprise en matière de RSE ... 161

Figure 3: Les cinq moments de l'intervention langagière conflictuelle ... 224

Figure 4: Nombre de communiqués de presse publiés par BP par mois ... 225

Figure 5: Évolution du nombre de communiqués de presse de BP durant la crise ... 226

Figure 6: Nombre de discours tenus par Obama au cours de la crise ... 227

Figure 7: Évolution du nombre de discours tenus par Obama au cours de la crise ... 227

Figure 8: Comparaison entre le nombre de discours d’Obama et celui de BP ... 228

Figure 9: Termes utilisés par Obama pour évoquer l'incident de la marée noire ... 230

Figure 10: Termes employés par BP pour évoquer l'incident de la marée noire ... 231

Figure 11: Fréquence des thèmes liés à la RSE dans les discours d'Obama ... 237

Figure 12: Proportion des thèmes liés à la RSE dans les discours d'Obama ... 238

Figure 13: Thèmes composant l'un des domaines de la RSE: le volet environnemental ... 241

Figure 14: Thèmes exposant l'un des domaines de la RSE: le volet social ... 247

Figure 15: Thèmes composant l'un des domaines de la RSE: le volet éthique ... 257

Figure 16: Thèmes composant l'un des domaines de la RSE: le volet économique ... 259

Figure 17: Les thèmes composant la RSE telle qu'envisagée par Obama ... 260

Figure 18: Fréquence des thèmes liés à la RSE dans les CP de BP ... 285

Figure 19: Proportion des thèmes liés à la RSE dans les CP de BP ... 285

Figure 20: Comparaison de la fréquence des thèmes liés à la RSE selon Obama et BP ... 286

Figure 21: Les thèmes composant la RSE telle qu'envisagée par BP ... 286

Figure 22: Cheminement par étapes de l'analyse de discours ... 291

Figure 23: Graphe étoilé généré par Tropes représentant la relation Obama-BP de manière orientée (Actant-Acté) ... 324

Figure 24: Graphe en aires généré par Tropes représentant la relation Obama-BP de manière orientée (Actant-Acté) ... 325

Figure 25: Graphe des acteurs généré par Tropes représentant la relation Obama-BP de manière orientée (Actant-Acté) ... 326

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Figure 26: Graphe d’épisodes généré par Tropes à partir des discours d’Obama (avril-mai 2010)

... 328

Figure 27 : Graphe d’épisodes généré à partir des discours d’Obama (juin-juillet 2010) ... 330

Figure 28 : Graphe d’épisodes généré à partir des discours d’Obama (août-septembre 2010) 331 Figure 29 : Graphe étoilé généré par Tropes représentant la relation BP-Gouvernement de manière orientée (Actant-Acté) ... 399

Figure 30 : Graphe en aires généré par Tropes représentant la relation BP-Gouvernement de manière orientée (Actant-Acté) ... 400

Figure 31 : Graphe des acteurs généré par Tropes représentant la relation BP-Gouvernement de manière orientée (Actant-Acté) ... 401

Figure 32 : Graphe des acteurs généré par Tropes représentant la relation BP-Autorité gouvernementale de manière orientée (Actant-Acté) ... 401

Figure 33 : Graphe d’épisodes généré par Tropes à partir des CP de BP (avril-mai 2010) ... 404

Figure 34 : Graphe d’épisodes généré à partir des CP de BP (juin-juillet 2010) ... 405

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“Language is a process of free creation; its laws and

principles are fixed, but the manner in which the

principles of generation are used is free and infinitely

varied. Even the interpretation and use of words involves

a process of free creation” Noam Chomsky

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REMERCIEMENTS

C’est avec profond bonheur que je saisis cette occasion solennelle pour adresser mes sincères remerciements à mon directeur de thèse, M. François Demers. Il a su conduire mes recherches et m’accompagner tout au long de ces années en combinant, subtilement et avec discernement, les critiques, remontrances et encouragements. Je le remercie pour son soutien sans faille, sa confiance et sa disponibilité. Sa capacité d’analyse et son enthousiasme m’ont montré que le monde de la recherche pouvait être un univers passionnant. Ses nombreuses relectures et corrections de cette thèse ont été très appréciables.

Mes remerciements vont également à Mme June Marchand, M. Alain Lavigne et M. Bernard Motulsky, pour m'avoir fait l'honneur de participer au Jury de soutenance, et pour les conseils stimulants que j'ai eu l'honneur de recevoir de leur part. Ils ont contribué par leurs nombreuses remarques et suggestions à améliorer la qualité de cette thèse. Je leur en suis très reconnaissante. Je remercie Mme Guylaine Martel pour les discussions fructueuses que j'ai eu la chance d'avoir avec elle, ses suggestions et contributions salutaires. Toute ma gratitude à Mme Véronique Nguyen-Duy, présidente du département d’information et de communication, d’avoir présidé le jury. Je dédie cette thèse à mes parents, une vraie école de la vie. Ils ont su me donner toutes les chances pour réussir. Qu’ils trouvent, dans la réalisation de ce travail, l’aboutissement de leurs efforts ainsi que l’expression de ma plus affectueuse gratitude. Je passe une dédicace spéciale à Sami, mon mari. Ta tendresse m'a toujours portée et ta finesse intellectuelle m'a fourni un cadre de vie extrêmement stimulant. J'ai même envie de dire que tu as « co-encadré » cette thèse tellement tu m'as entourée. Tu m'as soutenue pendant mes périodes de doutes, et tu m'as prodigué des encouragements répétés. Pour tout cela et pour ces années passionnantes, du fond du cœur : MERCI ! À Mon fils Bayen... Tu m’as replongée dans mon enfance et m’a apporté des moments de maturité et de recul très enrichissants.

À mon oncle, mes frères et sœurs, pour leur soutien indéfectible et leurs encouragements à distance. Qu'ils soient assurés de ma sincère gratitude. À tous mes amis de parcours pour leur soutien moral et leur tendre affection. Enfin, ces remerciements ne seraient pas complets sans mentionner le support financier de la mission universitaire de Tunisie à Montréal et leur flexibilité lorsqu’il s’agit des accommodements administratifs adaptés aux aléas de mon parcours.

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I- NOTE INTRODUCTIVE

La présente thèse est née d’une interrogation sur le rôle du langage dans les pratiques sociopolitiques. Saisir le phénomène langagier dans un contexte de lutte, de discorde et d’antagonisme a à l’origine nourri et orienté notre réflexion. Toute intervention langagière s’institue et se développe dans un cadre d’échange et d’interaction. L’échange langagier ou

débat se saisit comme une situation d’interlocution où l’on négocie sa position d’autorité et

œuvre à imposer ses contraintes. Le débat autorise une interaction dialogique et instaure une relation de réciprocité entre les diverses parties prenantes. L’appréciation des phénomènes langagiers tels qu’ils se manifestent au quotidien est un objet d’étude revisité incessamment sous différentes approches sociologique, linguistique, communicationnelle… Le débat est appréhendé comme une scène d’interlocution où se cristallisent les divergences et se heurtent les représentations. L’intérêt de notre recherche est de contribuer à éclairer davantage la thématique portant sur le fonctionnement langagier dans une procédure d’exercice du pouvoir et d’influence réciproque. L’appréhension de l’activité langagière menée par des acteurs motivés, chacun de son côté, par l’imposition de leurs versions de

faits et de leurs cadrages des enjeux débattus nous réfère au rapport dialectique entre le

pouvoir et le langage.

Louis Marin (1982) a consacré un article à l’étude de la relation existant entre le pouvoir et le discours, la qualifiant d’une « double et inverse » relation régie par le principe de « chiasme » (Marin, 1982 : 29). Marin conçoit le discours comme étant « le mode d’existence d’un imaginaire de force, imaginaire dont le nom est pouvoir » (Marin, 1982 : 30). Quant au pouvoir, il désigne « l’imaginaire de la force lorsqu’elle s’énonce comme discours de justice » (30). Dès lors, le pouvoir est un rapport de forces qui s’amorce pour l’établissement d’un ordre hiérarchique régi par la loi dominant-dominé. Ce jeu de placement s’effectue en mobilisant une panoplie d’instruments langagiers et discursifs. Le pouvoir est un antagonisme de forces qui s’instituent et s’exercent à l’aune des valeurs et des règles communément admises et perçues comme justes dans la société. Le véhiculeur

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de cette force juste et légitime est le discours. Marin (1982) conçoit le discours comme une accumulation de signes porteurs et réflecteurs du pouvoir. « La force se réfléchit en discours, se représente en signes et se convertit en sens » (Marin, 1982 : 42). En s’emparant des signes, la force est alors réfléchie, représentée, activée et réactivée par le langage qui devient un acte de force et de domination. Le discours acquiert une fonction symbolique en s’érigeant en représentant ou délégué d’une force quelconque. Via le discours, le pouvoir se représente, s’institue, se légitime et édicte sa loi. Dans ce jeu langagier réfracteur du pouvoir, on assiste à trois types de force : « une force dominante mise en représentation, une force réservée dans et par les signes et une force dominée et asservie qui est l’opérateur et le producteur de ses signes » (Marin, 1982 : 52). Tout énoncé est l’effet d’une domination et répond fondamentalement au droit du plus fort de parler, de s’exprimer et de

signifier. Il recèle une charge de violence à côté ou en sus de sa signification (Marin, 1982).

Dès lors, le discours est entendu comme « une accumulation de signes (qui) n’est autre qu’une accumulation de force réfléchie, représentée, réservée en pouvoir, à la mesure de l’infini désir de domination qui en est l’essence » (Marin, 1982 : 54).

En partant de cette conception du discours véhiculeur du pouvoir, nous concevons toute scène de délibération et de débat des enjeux d’intérêt public comme un échiquier où se croisent et se négocient les intérêts et où s’affrontent les conceptions partisanes détenues par des représentants occupant des positions d’autorité divergentes. Nous insistons sur le caractère fondamentalement utopique de la thèse qui croit en la présence d’une délibération publique pure, aseptisée de toute forme de conflit ou d’exercice du pouvoir. Cette assertion clichéique, cantonnant le débat à sa fonction informative et sa nature harmonieuse, fut contestée par des thèses réclamant de nouvelles approches pour saisir le débat dans sa complexité et sa dynamique mouvante. Certaines approches expérimentales ont appréhendé le débat, articulé autour des thèmes d’intérêt public et mené par divers acteurs (gouvernements, entreprises, société civile…), comme une suite d’attitudes produites et prescrites par divers déterminants dans la société. Cette lecture clinique ausculte la procédure délibérative suivant une vision comportementaliste selon laquelle les acteurs agissent sous l’emprise des facteurs politique, médiatique, économique, etc., déclencheurs

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3 et déterminants de leurs attitudes. D’autres approches ont étudié le débat public comme une scène théâtrale où tout est une mise en scène et un simulacre de négociation et de polémique. Le débat autour des enjeux publics est considéré comme une procédure techniciste, apathique, forcée, qui simule le dialogue et parfois le conflit. Le discours articulé autour des thèmes d’intérêt public devient parfois fastidieux et dépolitisé, en entretenant des clichés, brouillant les clivages sous prétexte de recherche de consensus et réduisant l’adversité partisane aux rivalités des vedettes médiatiques (Corroyer, 2011). Dans ce travail, nous tenons à esquiver les excès qui vouent le débat soit à son rôle exclusif de producteur de conflits soit à sa fonction morale qui cherche le consensus. « L’enjeu d’un conflit motivé heurte l’idéalisation du débat dans une morale communicationnelle, comme sa réduction à une joute de rivaux complices pour le pouvoir, au prétexte d’oppositions censées prendre le public au jeu » (Corroyer, 2011 : en ligne). Dans ce travail, la finalité de la recherche est de saisir un cas de débat public et de questionner le fonctionnement langagier dans une démarche d’exercice de pouvoir et d’influence pratiquée réciproquement par deux acteurs en situation conflictuelle. Nous partons du postulat selon lequel le débat n’est plus nécessairement une scène d’interaction harmonieuse et ordonnée, mais une entité complexe de paliers énonciatifs appréhendables sous diverses perspectives. Par paliers

énonciatifs, nous entendons un continuum ou étagement de phases coexistant dans le

parcours énonciatif et représentant les développements significatifs de l’interlocution. Le processus énonciatif et discursif se développe sur « des unités linguistiques plus complexes et plus vastes » qui forment ces paliers énonciatifs (Maingueneau, 1987 : 97).

Nous tâcherons de saisir la dynamique discursive et le fonctionnement langagier dans une perspective agonistique et éristique. En partant d’un exemple de débat articulé autour d’un enjeu public, en l’occurrence la responsabilité sociale d’entreprise (RSE), nous appréhenderons le discours comme un instrument de pouvoir déployé par des acteurs en position conflictuelle. Notre démarche consiste à arrimer l’approche théorique sociopolitique avec la méthodologie qualitative (analyse de contenu et de discours). Nous articulerons l’analyse de corpus telle que pratiquée par les disciplines qualitatives avec des questions critiques portant sur la légitimité, le pouvoir et le conflit. Nous découperons notre

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4

corpus (ensemble de documents soumis à l’analyse) dans des extraits variés et tenterons de saisir la manière dont les acteurs thématisent la RSE, mobilisent leurs stratégies discursives à visée auto-légitimatrice et disqualifiante de l’autre et se positionnent dans ce jeu de placement face à une pluralité d’acteurs.

II- PROBLÉMATISATION ET CONTEXTUALISATION DE LA

RECHERCHE

1- Question de recherche

Partons du postulat qui stipule que « le pouvoir sur le langage est déjà une dimension de pouvoir » (Simunic, 2004 : 45), notre projet de recherche1 est dédié à l’étude des procédés discursifs mobilisés par des acteurs déstabilisés par une crise et motivés par le souci de légitimation et de pouvoir. Plus concrètement, nous nous pencherons sur l’étude des mécanismes discursifs employés par une entreprise privée et des pouvoirs publics, dans un contexte de désastre écologique provoqué par la firme, et dont lesdits acteurs se saisissent de l’univers discursif pour négocier leurs revendications et imposer leurs contraintes. Nous prenons comme un cas d’étude la crise écologique provoquée par British Petroleum (BP) au large du Golfe de Mexique le 20 avril 2010 et la réaction de l’administration américaine pour intervenir et rassurer l’opinion publique fortement alarmée par cette crise. Nous étudierons plus particulièrement les stratégies discursives de légitimation déployées par British Petroleum et le gouvernement américain dans un cadre de communication conflictuelle.

1 Ancrage disciplinaire- Le travail s’inscrit pleinement dans le territoire de la communication publique, soit

une recherche qui porte sur une fraction d’activités discursives produites par des acteurs dans une société donnée. Il s’agit d’analyser les prestations publiques de deux protagonistes (entreprise/gouvernement) en utilisant la grille d’analyse de discours élaborée par Windisch (1987). Notre étude se situe dans l’axe relatif à l’étude des « représentations et discours publics ». On analyse des contenus de communication publique (discours institutionnels), scrute leur teneur sémantique, dévoile leur architecture lexicale et linguistique, œuvre à déceler les représentations sociales et les stratégies de mise en scène de l’information...

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5 En outre, nous inscrivons cette dynamique discursive de légitimation dans un cadre d’exercice du pouvoir et nous la traitons non pas comme une pratique délibérative pour aboutir forcément à un consensus, mais comme une procédure mobilisée par des acteurs pour influer sur le cours des événements et dominer l’autre. L’échange discursif s’inscrit dans une dialectique d’exercice du pouvoir et de manipulation réciproque. Ainsi, nous considérons tout discours produit dans un contexte conflictuel travaillé par une crise comme un instrument porteur symboliquement des signes de pouvoir et mobilisant des rapports de force entre les acteurs impliqués. Dans notre recherche, nous partons de l’hypothèse suivante : les discours organisationnel et gouvernemental étudiés et produits dans un contexte de crise, sont forcément des discours conflictuels au sens de Windisch (1987). Et nous utiliserons la grille d’analyse élaborée par Windisch (1987) pour mettre en exergue le fonctionnement interne d’un discours conflictuel envisagé comme un vecteur du pouvoir et de légitimation.

De surcroît, nous étudierons cette dynamique discursive de légitimation en matière de responsabilité sociale d’entreprise (RSE). La multinationale BP et le gouvernement américain sont déstabilisés par un désastre écologique qui présente de véritables menaces pour l’écosystème et le bien-être social. La RSE est un enjeu d’intérêt public qui a alimenté le débat public quant aux dispositions et engagements qui doivent être pris à la fois aux niveaux gouvernemental et organisationnel pour éviter qu’un scénario similaire se reproduise. À travers notre étude de cas, nous appréhenderons plus précisément comment l’entreprise (BP) et les pouvoirs publics (le gouvernement américain) mobilisent le discours pour instaurer une légitimité en usant du thème de la RSE. Ainsi, nous avons adopté une perspective sociopolitique pour définir et représenter la RSE comme un enjeu de légitimité. Nous tenterons de montrer comment les acteurs impliqués dans ce conflit instrumentent et s’approprient le thème de la RSE pour forger un statut légitime auprès de leur entourage. L’exploitation de l’étiquette de la responsabilité sociale permet à l’entreprise et/ou au gouvernement de créer du sens pour que leur image et leurs activités soient envisagées dans des cadres de références qu’ils s’efforcent de définir eux-mêmes.

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6

En outre, nous avons fait référence au rapport conflictuel qui existe entre deux acteurs différents, en l’occurrence un État-nation et une multinationale. À travers notre étude de cas, le conflit discursif s’effectue sur trois niveaux : un premier niveau relatif à la nature des acteurs (un acteur économique et un gouvernement); un deuxième niveau relatif à la dimension et aux propriétés de chaque acteur (un acteur international et un gouvernement national); et un troisième niveau inhérent au domaine d’activité de chaque acteur (sphère économique et sphère politique). Nous allons montrer comment se développe discursivement cette dimension de conflit entre un État-nation et une multinationale en menant une analyse de discours.

La présente contribution veut apporter une pierre modeste à l’édifice de la problématique de recherche qui questionne les potentiels discursifs des unités linguistiques quant à l’aménagement et l’attribution d’une position de force au profit des acteurs motivés par le pouvoir et tourmentés parallèlement par un évènement déstabilisateur. L’appréhension du discours dans une dynamique d’exercice du pouvoir, de réciprocité et d’adversité convoque nécessairement la notion d’espace public que nous concevons comme étant le cadre global où se configurent et s’élaborent les règles du jeu de placement et de positionnement des acteurs concernés par le conflit et engagés dans un débat d’intérêt public, à savoir la responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Nous revisitons la notion d’espace public et l’articulons avec certaines notions telles que la RSE, le pouvoir et la légitimité.

2- Cadre conceptuel

2.1- Appréhension de l’espace public pour y inclure les pratiques de la RSE

Le concept d’espace public est en vogue et n’en finit pas de défrayer la chronique. Il serait fort nécessaire de cadrer le champ sémantique inhérent à la notion d’espace public et d’identifier les interprétations formulées et conçues à partir de ce vocable. Certes, la notion d’espace public a subi de plein fouet une armada de métamorphoses au fil du temps et a été

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7 remodelée par les chercheurs selon leurs champs de recherche et disciplines scientifiques. L’élasticité du concept et sa perpétuelle mutation ont engendré une cacophonie polyphonique de termes apparentés et « dérivés », brouillant, de ce fait, les contours définitoires de ce concept et engendrant le foisonnement des lectures interprétatives éphémères et fugitives. L’espace public est une notion de frontières poreuses et d’une pluralité de significations et, à l’évidence, l’objet de positions paradoxales et de controverses au sein de la communauté scientifique. La polysémie de ce concept et la difficulté à délimiter le sens qu’il recouvre exactement ont engendré un foisonnement d’approches et de théories qui tentent d’apporter un certain éclairage théorique à ce terme. Le concept d’espace public, « tiraillé de toutes parts », une expression que nous empruntons à Bernard Miège (1995), ne cesse de subir les séquelles des mutations exogènes qui émanent des contingences sociales, économiques, politiques et éthiques ambiantes et qui ne cessent continuellement de redessiner sa forme actuelle. La malléabilité de cette notion et sa perpétuelle transfiguration ont nivelé le terrain à une diversité des modes d’appropriation de cette notion par les académiciens et une variété des usages dans les différents champs et différentes disciplines, en autorisant, bien évidemment, une panoplie d’interprétations et de problématiques. Face à ces défis politiques, technologiques et sociaux qui traversent la société, selon les propos de Dominique Wolton (1996), ce vocable fait l’objet d’une reformulation permanente afin de refonder son statut théorique et de l’adapter aux nouvelles réalités de la société contemporaine. En conséquence, une prolifération de discours tenus par des praticiens et des théoriciens et une abondance de la littérature, notamment en sciences sociales, ont eu lieu en nivelant le terrain à de nouvelles pistes qui sont autant de nouvelles voies de recherche pour approfondir et réinterpréter ce concept.

La réclamation d’une reconquête et d’une refondation de cette notion est d’ailleurs plébiscitée par un grand nombre de chercheurs dont Bernard Miège (1995) qui revendique une reconsidération théorique de cette notion afin de ne pas périmer et ne pas être décalée ou en déphasage par rapport aux réalités et aux questions posées par la modernité et de se réconcilier avec les problématiques de la société contemporaine. La « refondation » théorique du concept d’espace public s’impose impérativement, car il en va de sa survie.

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Sans assises conceptuelles solides, l’espace public n’a plus de sens et donc perd naturellement la valeur de son existence. Dans les lignes qui suivent, nous nous attèlerons à mettre en évidence les significations qui émergent de la notion d’espace public ainsi que les contours qui délimitent sa portée, pour y inclure ultérieurement la figure de l’entreprise socialement responsable.

2.1.1- L’esquisse habermassienne d’un espace public rationnel

Dans son livre célèbre paru en 1962– un livre tiré de sa thèse de doctorat et dont le titre original pourrait se traduire à peu près par « L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise », Habermas a posé un geste fondateur dans la formulation d’une théorie de l’espace public et dans la description enchantée de cet univers symbolique qui s’appuie sur l’idéal démocratique et le potentiel de l’argumentation rationnelle pour aboutir à un compromis d’entente entre les acteurs. Après avoir été introduit dans la pensée politique par Kant et redécouvert par Habermas, le concept d’espace public est devenu la référence de ceux qui voulaient défendre et promouvoir la démocratie pluraliste. C’est également le lieu accessible à tous les citoyens, où un public s’assemble pour la formation des opinions publiques et des volontés politiques. En paraphrasant les propos habermassiens, l’espace public se veut être un « laboratoire à arguments », où s’animent des discussions rationnelles et où s’élaborent des procédures complexes de formation et d’expression de la volonté, à travers un processus d’argumentation rationnelle. La conception habermassienne de l’espace public valorise la discussion et le débat et considère les pratiques délibératives libres la condition fonctionnelle et normative de l’espace public « bourgeois ».

La thèse habermassienne se polarise sur l’étude du « processus, au cours duquel le public constitué par les individus faisant usage de leur raison s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’État » (Habermas, 1988 : 61). Le concept de l'espace public selon le modèle habermassien englobe la rationalité communicationnelle. La rationalité est une condition

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9 structurelle de cet espace public qui se nourrit de nouvelles formes de délibération démocratique. Habermas définit la rationalité comme « une disposition propre à des sujets capables de parler et d'agir. Elle se traduit dans des modes de comportements pour lesquels de bonnes raisons peuvent à chaque fois être exhibées » (Habermas, 1987 : 38). La rationalité est un principe fondamental qui ne peut s’exercer que dans un cadre démocratique libre. Chez Habermas, la démocratie est assimilée à « la possibilité d’une discussion publique, d’une argumentation publique rationalisée » (Le Moënne, 1995 : 140-141). La valeur démocratique est la norme fondamentale qui assure la genèse d’une opinion politique libre, suite à un processus de délibération rationnelle. Sa théorie prônant le modèle d’une rationalité purement logique se heurte à une théorie foucaldienne qui rejette l’idée d’une rationalité parfaitement logique au profit d’une rationalité plus « sensible » qui s’appuie sur le « sensus communis » kantien.

En fait, la singularité de la philosophie habermassienne s’est associée souvent à l’originalité de la thèse de la pratique communicationnelle rationnelle. Habermas énonce sa conception d’une rationalité s’incarnant dans le langage, voire dans la communication entre des sujets « connaissants » et « agissants ». L’action communicationnelle est considérée comme une opération de coordination entre les acteurs par l’intermédiaire d’un « médium » qui est le langage. Dans la foulée de ses postulats sur « l’agir communicationnel », Habermas analyse les activités langagières dans une posture d’échange et d’intercompréhension entre les acteurs. Il considère l’intercompréhension langagière comme un mécanisme de coordination des actions.

Sa théorie de l’agir communicationnel convoque la figure de sujets engagés dans un processus d’interlocution interactionniste et bilatérale et dans une dynamique d’interprétation cognitive pour générer du sens. Ce processus de coconstruction de sens s’envisage en situation conversationnelle, dans une perspective relationnelle qui met aux prises deux appareils cognitifs incarnés et situés socialement et qui constitue le lieu d’intercompréhension entre les « inter-actants ». De surcroît, Habermas décrit un modèle normatif d’une communication idéal-typique en valorisant son caractère « libre », « non

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instrumental et non stratégique », et ce en dépit de son aspect « procédural et normatif ». Habermas s’acharne ardemment pour toute forme de dialogue « libre » et toute procédure priorisant « le sens partagé » et « l’intercompréhension » et bannit toute « instrumentalisation de la communication » notamment celle appliquée dans le système économique et le système administratif (Le Moënne, 1995 : 140-141).

En outre, Habermas s’est penché essentiellement sur l’espace public bourgeois. L’étude socio-historique de Habermas ayant pour objet de retracer les mutations structurelles de l’espace public bourgeois s’est soldée par une panoplie de constats : tout d’abord, le principe de « publicité », au sens de rendre accessible à tous, demeure la procédure ultime offerte à l’individu pour légitimer et contrôler l’autorité politique et pour mettre un terme à la pratique du secret propre à l'État absolu. Habermas conçoit le rapport entre l’État et la société bourgeoise en termes d’opposition conflictuelle et de tension marquant la volonté de chaque partie de s’imposer et de dominer. Le terrain où s’opposent ces deux acteurs est désigné « la sphère publique ». Ce concept, élaboré et popularisé par Habermas, a acquis une dimension paradigmatique chez certains intellectuels (Gingras, 2006). Pour Habermas, l’espace public ou la sphère publique, née de la distinction entre le privé et le public (au sens de l’État), devient un lieu de médiations des points de vue privés qui prennent une dimension publique. Le développement de la sphère publique s’effectue dans une opposition dialectique à la sphère privée. On ne peut, en effet, évoquer la constitution du public sans faire référence à celle du privé. Cette sphère publique se développe au sein des tensions qui opposent l’État qui symbolise le pouvoir public et la société civile qui représente le domaine privé. Sous cet aspect, la sphère publique est l’arène où s’opposent les deux univers, en l’occurrence le privé et le public, et dont l’usage public de la raison y figure comme un fondement majeur. La sphère publique renvoie à un idéal démocratique en permettant les populations, notamment les « couches cultivées », de s’autogouverner, de s’affirmer et de se consolider face à l’État-providence qui ne cesse d’envahir les domaines privés.

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11 Cette attribution à l'individu d'une compétence proprement politique s'est faite progressivement par la représentation d'une aptitude et d'une légitimité, individuelle ou collective, au jugement et à la critique rationnelle à l'égard de l'autorité politique. Ainsi se sont développées de nouvelles formes de sociabilité fondées sur la pratique de la discussion et l'usage de la Raison. (Le Moënne, 1995 : 140-141)

Cette médiation entre l'État et les individus s’opère à l'aide d'un assortiment d’appareillages et de dispositifs institutionnels, à l’instar des structures de l'État constitutionnel, des élections, de la presse et surtout de la publicité des débats parlementaires. Ainsi, la légitimité de l’autorité politique demeure tributaire de la critique rationnelle des tribunaux. Toutefois, Habermas a renoncé à cette glorification adulatrice de la « capacité de résistance », et surtout du « potentiel critique » du public (bourgeois) afin de déjouer les manœuvres autoritaires de l’État. Il se livre à une nouvelle théorisation de l’espace public : il réclame que les transformations structurales contemporaines de l’espace public ont généré l’affaiblissement voire le déclin des fonctions critiques de la sphère publique et d’une « crise de la citoyenneté ».

L'interpénétration des domaines privés et publics avec la prégnance fort prononcée de l’État dans les domaines administratif et technique ont abouti à la fragilisation des aptitudes critiques d’une opinion publique instrumentalisée par des techniques publicitaires « manipulatrices » et les intérêts privés de certains groupes d’intérêts. « Il s'est produit une dérive vers un espace public purement acclamatif où la politique peut redevenir spectacle et, où le marketing politique se substitue à la rhétorique. À l'ère de la publicité manipulée, ce n'est plus l'opinion publique qui est motrice mais un consensus fabriqué prêt à l'acclamation » (Le Moënne, 1995 : 145).

Habermas a réussi à unifier au sein d’un paradigme cohérent et fécond une série d’objets et d’approches hétérogènes et jusque-là séparés- par exemple « l’étude de la crise idéologique des anciens régimes européens, celle des modes de formation de la culture politique contemporaine et celle des effets de la diffusion des médias et des formes de communication de masse » (Haber, 2005). L’analyse de Habermas est fort pertinente en ce qu’elle dégage la ligne de l’évolution et des transformations de l’espace public décrit

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comme un modèle idéal conquis par un public faisant un usage libre et partagé de son entendement en ayant recours à des arguments rationnels. L’ouvrage-repère du philosophe allemand est décrit, par Neveu (1995), comme une « consécration » ou « canonisation » révolutionnaire dans les recherches philosophiques, socioéconomiques et politiques, au point que cet auteur ose évoquer le terme de « habermassologie » (Neveu, 1995).

Toutefois, l’histoire n’est pas statique. L’espace public contemporain est modelé par de nouvelles forces. À la lumière de ces changements, ce concept risque de se banaliser, de devenir anachronique et perdre sa force normative. Ceci amène à réfléchir aux concepts contre lesquels l’espace public s’est construit, « pour savoir à quelles conditions ceux-ci (les concepts) peuvent contribuer à refonder le statut théorique de l’espace public » (Wolton, 1996 : 178).

Dans un article récent de mise au point, Habermas (1992), lui-même, propose une définition renouvelée de l’espace public politique qui fait référence à des « conditions de communication par lesquelles la formation discursive de l’opinion et de la volonté d’un public de citoyens peut être réalisée ». L’espace public des démocraties modernes naissantes était lui-même inscrit dans un contexte socio-historique et économique qui a évolué et l’a transformé. Il faut donc réévaluer l’analyse de Habermas et la confronter aux nouvelles données intellectuelles et politiques.

2.1.2- Une ré-appréhension critique de la thèse habermassienne

La problématique de l’espace public s’est réactivée suite à des métamorphoses de taille qui ont rendu désuète la définition classique habermassienne. Habermas a certes idéalisé un modèle historique précis, celui de la sphère publique bourgeoise et libérale. Toutefois, la révolution technologique additionnée à des réformes économiques et sociopolitiques a actualisé le débat sur la nouvelle identité et les contours de cet espace public contemporain. Des thèmes d’actualité apparaissent sur scène. Citons à titre d’exemples : les nouvelles

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13 technologies, la mondialisation, les enjeux environnementaux, les rôles des associations et des ONG, la genèse des espaces publics partiels, le recul de l’État providence face à des structures plus performantes comme les entreprises, la concurrence acharnée, l’accès des entreprises aux gens en utilisant les médias de masse et des médias personnalisés, l’importance de la communication virtuelle, etc. Ces nouvelles réalités contemporaines mettent en question la validité et la véracité du modèle habermassien.

En effet, nombre d’études portent à croire que la notion d’espace public habermassien est frappée par de « regrettables ambigüités » et qu’il incombe aux chercheurs de réactualiser cette notion et de l’adapter aux nouvelles conjonctures économiques, culturelles, sociales et politiques de nos sociétés. Cet espace public, figure emblématique des mouvements émancipatoires et condition fondamentale de la démocratie de masse, n’est plus à l’abri d’un appauvrissement symbolique et d’une banalisation « normative ». Il faut donc réexaminer les fondements théoriques et les préconstruits qui ont édifié ce concept et les confronter aux nouvelles données intellectuelles et politiques. La remise en question de ces prérequis permettrait de redonner à la notion d’espace public un certain « rééquilibrage théorique » qui s’adapte à la réalité bouleversée et agitée de la société. Ce faisant, le concept d’espace public a été abordé sous différents angles par un grand nombre de chercheurs qui l’ont confronté à la complexité des enjeux théoriques et pratiques du monde contemporain tels que le déplacement des frontières entre espaces public et privé, la place de la sociabilité dans la participation à l’espace public, l’influence du processus de marchandisation dans la constitution de cet espace public, l’existence d’une pluralité d’espaces publics aux caractéristiques diversifiées, etc. (cf. entre autres Calhoun et al., 1992, Pailliart et al., 1995).

Certes, la pertinence, l’originalité et la force heuristique de la démonstration habermassienne qui ne cessent d’innerver « avec une belle régularité » les recherches en sciences humaines et sociales font éclater de nombreuses cloisons disciplinaires issues notamment des sciences politiques, de l’histoire, de la sociologie et des sciences de la communication (Pailliart, 1995). L’ambition de ces recherches interdisciplinaires est de

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réinterpréter, de réactualiser et de critiquer les assises qui sous-tendent la thèse habermassienne et « d’engager, par des approches plurielles, l’analyse des nouvelles formes que revêt l’espace public contemporain du fait, notamment, de l’emprise, qui tend à se généraliser, de la communication dans l’ensemble des champs sociaux » (Pailliart, 1995 : 8). Une panoplie de recherches s’est penchée sur l’étude des modalités d’existence et les processus de construction de l’espace public, en empruntant maintes procédures historique, sociologique, philosophique, etc. La fécondité de l’œuvre habermassienne et son inventivité ont suscité des postures de réception départagées entre une démarche de réfutation de l’œuvre et une tendance de sacralisation et de plébiscite acharné de la communauté scientifique à l’égard de cette thèse.

À partir d’une telle problématique habermassienne de l’espace public, Éric Neveu se propose alors de catégoriser l’ensemble des postures dans deux démarches : des études qui s’écartèlent entre l’acceptation de la notion « originelle » d’espace public sans toutefois renoncer à nourrir la réflexion initiale par des éléments contemporains et critiques; et des études qui réfutent totalement la notion habermassienne en s’attachant à redéfinir l’espace public « contemporain » et cerner de nouveau les formes de sa composition (Pailliart, 1995). Les revendications ayant pour but de révolutionner les propositions établies originellement par Habermas veulent dépasser les théories simplistes qui cernent leurs objets d’étude dans l’opposition classique entre État et économie, intérêts particuliers et intérêts d’ordre général, qui fondent l’opposition du public et du privé.

En dépit de la cohérence idéologique du discours habermassien et de son appareillage conceptuel sophistiqué, l’œuvre de Habermas a été considérée comme étant une description utopique, idéaliste et enchantée de l’espace public bourgeois. Les critiques s’accordent sur le fait que le plein potentiel utopique de l'espace public habermassien n'a jamais été réalisé en pratique, pas plus que l'exigence d'ouverture universelle. D’ailleurs, Habermas (1992) a reconnu lui-même les failles et les lacunes de sa thèse dans un article intitulé « L’espace public, trente ans après ». Les critiques adressées à Habermas déplorent l’idéalisation de l’espace public et la banalisation de ce concept. Sur quoi Habermas n’a pas suffisamment

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15 insisté, c’est que, « si l’exercice de la démocratie est lié à l’existence d’un espace public, ses formes ne sont pas figées dans le temps et leur transformation ne signifie pas pour autant leur perte » (Goupil, 2004). De plus, l’analyse habermassienne s’est fondée sur une tendance centrale qui prédestine et oriente le débat vers une certaine issue, en marginalisant la disparité des opinions et en empêchant d’en discerner les nuances, voire les contradictions. L’espace public, tel qu’il est décrit par Habermas, souffre de simplification. Habermas « décrit avec une nostalgie parfois naïve l’espace public bourgeois d’antan, peuplé de citoyens rationnels et politisés, plus conformes aux idéaux des Lumières qu’aux agents sociaux que peut étudier l’historien » (Neveu, 1994 : 24). Neveu (1994) rejoint Dahlgren (1994) en adressant les mêmes critiques aux travaux de Habermas. Dahlgren considère que la logique interne du discours habermassien sur l’espace public relève quelques zones d’ambigüité.

D’une part, le discours bourgeois n’a jamais manifesté le degré de rationalité que Habermas lui attribue. D’autre part, l’idéal d’un espace public bourgeois avec ses salons et ses publications littéraires, sert de modèle, bien que ses manifestations historiques fussent en fait relativement modestes. La critique dévastatrice de Habermas se teinte alors d’un romantisme qui confine à la nostalgie, et d’un pessimisme confus. Habermas semble attaché à un idéal dont lui-même a brillamment montré que la réalité historique relevait du mythe, donnant le sentiment d’aboutir à une impasse. (Dahlgren, 1994 : 246)

En outre, dans l’analyse habermassienne, la critique de l’espace public bourgeois est totalement absente, laissant un grand vide théorique. De même, il existe une omission majeure des « sphères publiques alternatives » populaires et informelles, à l’instar des forums qui ont façonné la conscience politique des individus, servi de réseaux d’échange informationnel, et fourni un cadre où puisse s’élaborer et se manifester la volonté politique des gouvernés face aux gouvernants. Dahlgren (1994) cite, à titre d’exemple, les syndicats et les mouvements politiques populaires qui ont conjugué des fonctions d’ordre culturel, social et informatif, en créant des cadres opportuns au débat.

Parmi les chercheurs qui ont tenté également de revisiter le concept d’espace public, on trouve le sociologue et penseur des médias Dominique Wolton. Le propos de ses écrits

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porte sur la redéfinition de l’espace public « contemporain ». Dans une démarche analytique et critique, Wolton considère l’espace public comme « une spécificité de l’histoire moderne liée à l’émergence de l’individu, à la liberté de conscience, de parole, et réclame de nombreuses conditions culturelles » (Wolton, 2000 : 175). La genèse d’un espace public requiert obligatoirement l’existence des intérêts communs, une grille de valeurs et de références communes, des territoires symboliques communs et une reconnaissance mutuelle des droits et des devoirs. Wolton considère également l’espace public comme un synonyme pour « les processus d’opinion publique ou pour les médias d’information eux-mêmes » (Wolton, 1997).

Dans son analyse critique, Wolton retrace les symptômes d’une métamorphose profonde de l’espace public. Il reconnaît l’émergence d’une pluralité dynamique d’« espaces publics alternatifs ». Les acteurs de l’espace public ne sont pas uniquement les gouvernements, les leaders d’opinion et les ONG. L’espace public s’ouvre aussi aux discours publicitaires, aux pratiques de lobbying et de relations publiques. Les entreprises font leur entrée dans la sphère publique. Les modes de communication institutionnelle des organisations se sont profondément changés. Des mouvements alternatifs (ex : Greenpeace) parviennent à se servir des médias dominants et entrer en compétition avec les organisations les plus établies, en faisant pression pour revendiquer leurs causes. Il s’agit là d’un premier signe de la division et de l’éclatement de l’espace public. Dans sa redéfinition de l’espace public, Wolton a recours à un nouveau concept, à savoir « l’espace public médiatisé ». Il le redéfinit comme suit :

La démocratie de masse a (…) conduit à ce qu'un plus grand nombre d'acteurs s'exprime sur un plus grand nombre de sujets. Ce qui a modifié l'espace public dans le sens d'un élargissement. C'est pourquoi, l'espace public contemporain peut être appelé espace public médiatisé, au sens où il est fonctionnellement et normativement indissociable du rôle des médias. (Wolton, 1991 : 95)

Wolton considère la sphère publique comme le lieu physique et symbolique de la délibération, de l’échange, de la discussion et du débat. La communication demeure sans cesse la condition fonctionnelle et normative de l’espace public et de la démocratie de

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17 masse. Toutefois, l’espace bourgeois restreint a cédé sa place à une sphère élargie, hétérogène et multiculturelle. La parole et la discussion de face à face reculent face à des discussions virtuelles universelles. Les médias de masse envahissent les sphères privées et publiques en laissant émerger une multitude de programmes et une variété de publics. Wolton s’attache à l’idée de l’existence de l’opinion publique et considère les sondages comme l’instrument essentiel qui doit refléter fidèlement l’hétérogénéité des opinions.

Dans son ouvrage intitulé « Penser la communication » (1997), Wolton a retravaillé le concept d’espace public et son évolution en termes d’un élargissement des thèmes débattus publiquement et des acteurs intervenants à ces délibérations et d’une omniprésence de l’information, des sondages, du marketing et de la communication. Cet espace public, une des conditions structurelles du fonctionnement de la démocratie, demeure un espace symbolique de délibération publique, de confrontation entre des discours souvent contradictoires tenus par divers acteurs politiques, sociaux, religieux, culturels, intellectuels, composant une société. La redéfinition de l’espace public par Wolton demeure fidèle à la thèse habermassienne qui assigne une importance majeure à la discussion libre et contradictoire et à l’argumentation, deux normes fondamentales symbolisant l’existence d’une démocratie pluraliste.

Dans ses écrits sur l’espace public médiatisé, Wolton établit la liste des caractéristiques théoriques qui le constituent. Tout d’abord, les liens symboliques entre les acteurs composants cet espace public élargi prédominent les liens réels et concrets. En outre, cet espace public contemporain est fortement marqué par la mise en place progressive d’une société ouverte, urbanisée, marquée par une forte valorisation à la fois de l'individu et de la masse, et par l’implantation d’un modèle de consommation de masse. Cet espace public médiatisé est imprégné par la prégnance des sondages pour la représentation de l’opinion publique et la surabondance d’information grâce à l’expansion et à la forte utilisation des médias de masse.

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Partant de cette redéfinition d’un espace public contemporain « éclaté », « élargi » et « médiatisé », la notion d’entreprise « citoyenne » a fait irruption dans les discours des chercheurs au début des années quatre-vingt et figure parmi les thèmes légitimes et dignes de considération dans les débats publics. Ainsi, l’organigramme de l’entreprise a subi de plein fouet des mutations liées notamment à la genèse d’une fonction de communication qui s’est répandue et s’est généralisée dans les grandes firmes privées. Dans les paragraphes qui suivent, nous aborderons la question de la relation entre entreprise privée et espace public. Et nous tenterons de redéfinir le concept d’espace public pour y inclure la figure d’une entreprise socialement responsable.

2.1.3- Entreprise et espace public

Certes, la question de la relation entre entreprise et espace public demeure, à bien des égards, problématique pour un bon nombre de chercheurs qui tentent de mobiliser cette catégorie d’analyse afin de fournir une appréhension du phénomène de l’évolution des entreprises et d’étaler par la suite les métamorphoses majeures qui ont traversé le monde des organisations et ont modifié les contours de l’ espace public. Christian Le Moënne est l’un des chercheurs qui s’est notamment préoccupé de la problématique inhérente à l’évolution de l’entreprise dans l’espace public. Ses travaux se sont soldés par la distinction de deux directions de recherches qui ont souvent orienté les études traitant de la question du rapport entre entreprise et espace public. Premièrement, la thématique de la « démocratisation » des entreprises sous l’effet du développement de la communication s’empare d’un grand nombre de recherches ayant pour objet l’étude de la nature de la relation entre les firmes et l’espace public. Deuxièmement, Le Moënne insiste particulièrement sur les répercussions de cette politique de « démocratisation » sur la « transformation des entreprises privées en espaces publics partiels » (Le Moënne, 1995 : 140). Le Moënne lie l’essor de la communication dans les univers des entreprises à une prise de conscience dans les milieux managériaux de la nécessité d’intervenir dans l’espace public. Cette prise de conscience se traduit par la genèse des stratégies de communication

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19 « globale » dans les univers des entreprises et s’est d’ailleurs exprimée dans les discours de responsabilité sociale, notamment dans la mise en place de stratégies de communication « institutionnelle » et la prise en compte des dimensions culturelles de management (Le Moënne, 1995).

La thèse de la dégénérescence latente de l’espace public et de sa déchéance engendrée par l’abaissement du culturel, du politique et du social au profit des normes marchandes, semble être en déphasage par rapport aux profondes transformations structurelles qui ont traversé l’espace public contemporain. Les mutations ayant affecté l’espace public contemporain imposent de revisiter la notion d’espace public et d’en proposer une nouvelle modélisation qui concordait avec les réalités théoriques et empiriques récentes. Une des redéfinitions proposée du nouvel espace public est celle de Floris qui rejette l’acception d’un espace public décrit comme étant un « champ de médiation symbolique » à caractère formel où se tissent des rapports entre un État démocratique et une société civile souveraine. Il conçoit plutôt un espace public moderne comme étant « le champ de médiation entre des intérêts et des positions sociales contradictoires passant nécessairement par des formes culturelles et symboliques de formation de l’opinion » (Floris, 1996 : 72). Floris a insisté notamment sur l’emprise des experts de communication dans l’espace public qui se fait ressentir essentiellement dans les espaces d’information et de négociation qu’ils soient domaine politique, champ économique ou société civile. L’ubiquité des conseillers en communication et leur omniprésence dans tous les aspects de la vie économique, politique et sociale marquent bel et bien la « valeur ajoutée » de cette expertise dans l’espace public moderne.

Au milieu des années soixante-dix, la genèse et la généralisation de la fonction de communication dans les entreprises privées ont été précédées par l’apparition d’un nouveau type d’experts et de consultants venus de la publicité, du journalisme ou du conseil de management. Ces experts ou conseillers ont tenu une abondance de discours qui étalent les bienfaits de la fonction de communication pour une entreprise privée et les consignes pour optimiser l’exercice de cette profession. En raison de l’abondance des discours sur la

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« communication d’entreprise », la communication est devenue une activité « normale » et « normalisée », la grande presse écrite et la télévision l’ont incluse dans leur programmation, des revues spécialisées ont vu le jour, un enseignement spécifique a été créé dans les universités (Floris, 1996). C’est grâce aux communicateurs et journalistes que la fonction de communication s’est institutionnalisée et vulgarisée dans les sphères professionnelles. La communication managériale a fait son entrée dans l’espace public permettant ainsi une réhabilitation et une revalorisation de l’image de l’entreprise pour en faire « l’entreprise citoyenne » (Floris, 1996 : 5-6).

Floris (1995) s’est consacré à l’étude des phénomènes ayant poussé l’entreprise à faire sa percée dans l’espace public. Il attribue cette revalorisation de l’image de l’entreprise à « l’affaiblissement de la légitimité des institutions étatiques et des services publics » en faveur d’autres institutions et groupes sociaux qui viennent d’envahir l’espace public. La crise de la légitimité de l’État-providence a provoqué la « disponibilité d’un espace social » opportun à l’accroissement de la légitimité d’autres structures notamment les entreprises privées. L’auteur postule que « dans le processus international de dérégulation, la force des États nationaux et des secteurs publics et nationalisés s’est réduite, celle de l’économie libérale s’est accrue et a ouvert un champ élargi de promotion de la fonction et de la valeur symbolique des entreprises privées et des entrepreneurs » (Floris, 1995 : 133).

La firme profite de sa part des modèles démocratiques mis en place pour prendre part dans les négociations afin d’influencer les décisions gouvernementales. L’idéal démocratique est une condition sine qua non dans un espace public façonné selon les normes habermassiennes. Cet espace public démocratique se présente comme une arène où les acteurs procèdent à l’échange et à la délibération pour prévaloir le bien commun et défendre également les intérêts à titre individuel. Cet espace public démocratique est ouvert et accessible à des acteurs ayant des visions divergentes et conflictuelles du bien commun. La discussion, l’échange et le débat démocratique permettent de résoudre le conflit, d’aboutir à un compromis entre les acteurs et de se solder par une loi publique. La décision publique n’est pas l’apanage des autorités gouvernementales et des circuits classiques de prise de

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