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La vie et l'oeuvre d'un orphelin de Pourrières (Germain Nouveau) /

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Texte intégral

(1)

LA VIE ET L'OEUVRE DIUN ORPHELIN DE POURRIERES (GERMAIN NOWEAU) par

Jacques Vigneault

Nous c?nsacrons notre premier chapitre

è

retracer les principaux événements de la vie du poète. Dans les pages qui suivent,

è

llaide des poèmes de Germain Nouveau, nous essayons de pénétrer le drame intérieur du poète, d'en suivre le dérou-lement et de décrire sa physionomie. Nous essayons ensuite de ~ituer lloeuvre poétique de Germain Nouveau par rapport

è

celles de Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Richepin. Nous analysons plus profondément les influences qu'eurent l'auteur de la Saison en Enfer et celui de Sagesse sur la vie et l'oeuvre de Nouveau. Puis nous décelons les accents surréalistes de son oeuvre.

Comme on le sait; la vie de Germain Nouveau s'acheva dans une expérience mystique. Nous faisons remarquer qu'on a trop vite donné un sens métaphysique

à

son mysticisme et que cette dernière option se présente avant tout comme un refus d'affrontement, une réaction d1échec.

Université McGill Montréal

(2)
(3)

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(GERMAIN NOtNEAU)

par

Jacques Vigneault

Thèse de Mattrise ès Arts, préparée sous la direction de Monsieur Henri Jones, Département de langue et littérature françaises, Peterson Hall, le 15 aeptembre 1967. Université McGi11 Montréal 1967

@)

Jacques Vigneault

1969

\

\

(4)

Qp'on excuse mon insistance,

C'est un fou qu1i1 faut que ja sois! Germain Nouveau

(5)
(6)

..

V

Je ne suis que le vieux caniche De tous les gens de n'importe où.

Germain Nouveau

Entre Verlaine et Rimbaud se dresse la figure d'un poète méconnu dont la vie n'a rien d'une destinée exemplaire ou hérofque, Germain Nouveau. En 1922, André Breton écrivait:

Il r8de actuellement par le monde quelques individus pour qui l'art, par exemple, a cessé dl~tre une fin ••• Chacun de nous sait qu'une oeuvre comme celle de Rimbaud ne s'arrête pas comme l'enseignent les manuels, en 1875 et qu'on croirait

à

tort en pénétrer le sens si l'on ne suivait pas le poète jusqu'à la mort ••• BIle est doublée en ce sens de celle d'un autre grand poète malheureusement peu connu, Germain Nouveau, qui de bonne heure renonça même à son nom et se mit

è

mendier. La raison d'une telle attitude défie étrangement les mots, c'est certain, mais n'en allait-il pas de même du sphinx dont pourtant la question était inévitable? (1)

Sans doute y a-t-il quelque excès

è

dire avec Aragon que Germain Nouveau fut linon pas un épigone de Rimbaud: son égalll, ou encore,

avec Breton, que nul n'a fait "scintiller et éclore plus merveil-leuse rosée verbale". Nouveau est un poète singulier et attachant qui demeurera, sans doute toujours, le domaine de quelques-uns ••• Sa vie et son oeuvre, qui se reflètent réciproquement, s'inscrivent

(1) Cité par Jacques Brenner: Préface aux Oeuvres poétiques de Germain Nouveau, Gallimard, 1953; p. 7 •

(7)

sous le signe de l'échec et se situent dans la perspective d1une recherche qui dépasse le champ proprement poétique pour aboutir

,

a une forme de mysticisme.

Que faut-il voir en Germain Nouveau sinon un poète remar-quablement doué qui fut littéralement dévoré par le besoin d'~tre

aimé? Voyages, r~veries, idéal et poésie furent autant de voies détournées grâce auxquelles i l crut tromper la solitude et le désespoir.

Son oeuvre fait peu foi d'une vie aussi tragique. De prime abord, Nouveau semble n'avoir rien

à

dire. Ses images, souvent conventionnelles, sont rassurantes; presque des lieux communs. Ses nombreux poèmes religieux sont d'une banalité qui n'a d'égal que leur infantilisme, et, quand il chante l'amour, i l doit presque se battre les flancs. Cependant, paradoxalement, i l retient et intéresse. Malgré son désenchantement profond, i l cherche constam-ment

à

s'exalter,

à

créer. L'état naturel de Germain Nouveau est celui de l'~tre qui désespère de s'éprouver en tant qu'existant. Des existences virtuelles qu'il endosse, l'une après l'autre, i l

souffre de n'en mener aucune

à

son ultime achèvement. Il n'est rien. Donc multiple et protéen.

On

le voit se désavouer, parler de sa misérable vie. Il y a tout un aspect de Nouveau qui gagne-rait

à

être étudié

à

la lumière de l'oeuvre de Villon, autre chantre de la misère morale et de la déchéance. Ses plus beaux

(8)

poèmes témoignent de la souffrance et de l'inquiétude de vivre. Toute préciosité disparatt alors pour raconter, dans le plus pur langage, comment on est

à

la fois ironique et lyrique quand on croit faire partie de la race canine.

Par le pouvoir que possède l'imagination de créer une réa-lité subjective, la poésie, chez Nouveau, part aussi

è

la recher-che de l'innocence première. Par la magie des mots i l retourne au passé. Il parle des fleurs des champs, des mois de Marie et des anges. Tout est harmonieusement régi par la Providence et la fièvre des passions fait place

è

la simplicité d'une vie dévote. Puisque l'8ge d'homme ne lui apporte qu'amertume, c'est

è

l'en-fance,

eut

souvenirs qu'il tire d'elle,

è

l'univers dont elle était faite qu'il demande le bonheur. Enfin, un presque bonheur, disons la béatitude du toutout

Au moment de sa mort, on a écrit sur Germain Nouveau; mais ces témoignages sont le fait de l'amitié plus que de l'analyse. C'est André Breton, nous l'avons vu, qui, le premier, se pencha sur l'oeuvre de Nouveau et tenta de lui donner une signification universelle, en l'insérant au coeur des préoccupations littéraires et philosophiques du surréalisme. Car Germain Nouveau est, dans une large mesure, le type m~me du poète méconnu et donc maudit. Sa vie illustre, sans l'éclat tragique de celle de Rimbaud, la déchéance

à

laquelle peut parvenir une figure de génie.

(9)

Extr$me-ment doué, Nouveau n'utilise ses dons que pour ironiser sur lui-m~me, s'abaisser, faire en sorte que la société de son temps le rejette; ivre d'amour (et parfois d'amour divin), il refuse d'$tre aimé, dans un vaste effort d'auto-destruction. Il ne lui reste, en fait, qu'à disparartre dans l'obscurité, la misère, le mépris. Né à Pourrières, ayant passé sa jeunesse dans des voyages sans fin, i l revient à pourrières vivre sa solitude et sa pauvreté. C'est là qu'il mourra, inconnu, oublié, vieillard falot et vague-ment méchant, qui fait peur aux enfants et qui vit de la charité publique. Personne n'est à ses cStés, aucune soeur, comme celle de Rimbaud, pour entretenir la flamme.

C'est à Monsieur Jacques Brenner que nous devons l'édition la plus complète des oeuvres de Germain Nouveau. (1) La notice biographique dont i l a fait précéder son édition est exhaustive~ comme les documents de première main manquent, nous y avons trouvé

l'armature de notre premi~r chapitre. Mais, dans les pages qui vont suivre, nous nous sommes surtout efforcé, à l'aide des poèmes de Germain Nouveau, de retracer le drame intérieur du poète, de suivre le déroulement de ce drame, si personnel, de décrire sa physionomie. ToutefOis, nous tenions

à

souligner l'apport immense de Monsieur Jacques Brenner à la connaissance de Germain Nouveau;

(10)

c'est surtout

à

lui que l'on doit, aujourd'hui, de pouvoir lire ce poète et de pouvoir méditer sur les hasards de son destin.

(11)
(12)

Germain, Marie, Bernard Nouveau est né le 31 juillet 1851 à Pourrières (Var). Le registre de naissances de la commune nous apprend qu'il est le fils de Félicien, Martin Nouveau, ~gé de vingt-cinq ans, et de Marie, Augustine, Alexandrine Silvy, dix-huit ans. Le père s'installe à Paris où i l devient propriétaire d'une fabrique de nougat. C'est là que Germain passe sa petite enfance. Hélas, les r~ves de fortune du père ne s'incarneront jamais et i l se voit forcé de retourner à Pourrières pour s'occu-per des coupes de bois peternelles, comme auparavant.

Le 18 octobre 1859, la mère de Germain meurt. Trois ans plus tard son père se remariera avec Marie Roure et quittera Pour-rières pour habiter Aix. Cette fois, i l s'associe avec un fabri-cant de p~tes, M. Augier. Germain restera traumatisé par la mort de sa mère, alors qu'il n'avait que huit ans. Sa vie durant i l lui cherchera une remplaçante. On pourrait tenter d'expliquer ainsi l'exigeant besoin d'affection qui l'a constamment tiraillé et qu'il sublima dans un absolu religieux, mystique, voire éroti-que. Deux autres deuils marquèrent bient8t l'enfance de Germain Nouveau. Le 15 août 1864, Marie, sa soeur, meurt. ~~lques jours plus tard son père disparatt

à

son tour des suites d'une variole con"tractée au chevet dl un de ses ouvriers.

~and ils viennent pour nattre, Leur mère va mouri~

Quand ils viennent pour rire, Leur père meurt aussit

(13)

Après le décès de son père et de sa soeur, Germain fut con-fié à ses oncles Silvy qui le mirent pensionnaire au petit sémi-naire Saint-Stanislas dont i l suivait déjà les cours comme externe. Sa famille inculqua à Germain Nouveau des principes religieux très rigides. Ses tantes étaient toutes deux religieuses Ursulines. De 1864 à 1867, année où i l termine sa Rhétorique, durant les grandes vacances et aux jours de sortie, Germain retrouve sa soeur

à

Pourrières.

Je t'aime parce que tu m'aimes, soeur gentille Parce que dans ce monde où je me sens errer

Je n'ai que toi pour tout bien et pour toute famille, Et parce que je n'ai que ton sein pour pleurer ••• Je t'aime parce que notre si bonne mère,

De sa tombe

sur nous son regard veille encor, M'a fait de bien t'aimer une loi qui m'est chère, Et que ton amour seul de jour en jour plus fort M~le quelque douceur au regret de sa mort.

En

1867 ses oncles le poussent vers la pharmacie "(Homais qui ne voit pas plus loin que l'antimoine)". Lui, hésite sur sa vocatiOl:l. Il demande de participer

à

la retraite de huit jours que l'on organisait avant les grandes vacances pour les élèves qui se destinaient

à

la pr~trise. L'année suivante i l entre, non au séminaire, mais au Collège Bourbon. Doué aussi pour la peintu-re, Nouveau obtient en philosophie le prix d'honneur et le premier prix de dissertation française.

Le

2 aoat 1870 i l est reçu bache-lier ès lettres. Pendant deux ans i l sera "mattre d'études" au lycée de Marseille. En 1872, Nouveau est à Paris. Muni d'une

(14)

part de l'héritage de ses parents, i l loue une chambre, 16 rue de Vaugirard, chez Madame Cordelle. Il est présenté à Richepin et se lie d'amitié avec lui. On décèle déjà l'influence de Richepin dans un poème comme Chanson du Mendiant - qui commence ainsi:

Je fais mon train

En mendiant mon pain.

A cette époque, i l dtnait pour dix sous chez Mongeon, avec Riche-pin ou avec Charles Cros, avec Raoul Ponchon chez Polydore ••• Richepin et Ponchon étaient les chefs de file des Vivants qui

s'opposaient aux Parnassiens. Richepin était alors un agréable compagnon, habile à jongler avec assiettes et bouteilles.

Pendant l'été de 1873 Nouveau est en villégiature à Marlot-te, à la lisière de la for~t de Fontainebleau. Il écrit à Léon Valade:

Me v'là à Marlotte; c'est draIe, Marlotte. Ca me botte assez: on man-ge, on dort, on se promène, on fume, on s'ab~tit, tout douce-ment, lentedouce-ment, sans s'en apercevoir... Je cherche toujours; dame! j'y mets le temps; qu'est-ce que vous voulez? •• Voilà; mon cher Valade, je compte mener cette existence une semaine ou deux encore: je fais de~ vers, et je me trouve un peu soal tous les soirs; que voulez-vous de plus? Soal? Direz-vous: pourquoi? Dame! avec Vana, i l est difficile, tant cette fille aime faire la noce, de se coucher avec toute sa raison.

Fin 1873, i l rencontre Rimbaud. Sur le champ ils s'embar-quent pour l'Angleterre. "Ce fut, dit Richepin, un enlèvement." Au début de 1874, Nouveau est à Londres, ville pour laquelle i l

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n'a aucune affection particulière. Il évoque "les brouillards saligots, les nues basses, les ciels tombés à terre, les cons-tructions colossales comme la nuit". liEn France, dit-il, on sort pour vivre; en Angleterre, on rentre ••• vie dégoûtante après tout, si l'on n'est pas marié." BientSt l'héritage de Nouveau est e-

,

puisé et les deux éphémères compagnons doivent travailler "pour le pain" chez un fabricant de bottes et donner des leçons de fran-çais et de dessin. Au mois de septembre 1874, on retrouve Nouveau en France où i l se rappelle

à

l'aimable souvenir de Mallarmé en lui adressant "deux sonnets qui ne sont pas méchants": Au Pays et Janvier.

Au Pays

De la nuit bleue et blanche Il résulte qu'on aime,

En

dansant tout de m~me Parce que c'est dimanche. Jean, la lune s'écrème, A penser qu'on en mange;

Et,

fausse comme un ange,

La musique est suprême! Dérubannez, S notes, Les mazurkas menées

Autour des foins en bottes; Et qu'il semble

à

nos joies ~'il y ait des années ~'on a couché les oies.

Nouveau passe trois mois

à

cette époque dans des voyages mouvementés. "J'ai vu, sans curiosité oisive pourtant, des nords

(16)

de France d'une saveur inattendue, des paysans rouges, violets, des champs de guerre et de seigle, de gracieuses nuageries, des Ardennes singeant admirablement les cantons de Vaud des Suisses

à

deux cents lieues de leur Topffer. La Belgique ne devait faire de Moi qu'une bouchée; ••• " Pendant ce temps i l semble bien que Rimbaud a séjourné

à

Londres. Lui et Nouveau se seraient retrou-vés, au début de l'année 1875, mais Rimbaud aurait alors décidé de regagner Charleville tandis qu'Humilis demeure en Angleterre pour apprendre l'anglais.

Il ne devait rester qu'une ironie immonde, Une langueur des yeux détournés sans effort. Quel bras, impitoyable aux Echappés du monde,

Te pousse

à

l'Ouest, pendant que je me sauve au Nordl Au printemps, Nouveau fera, cette fois, la connaissance de l'auteur de Sagesse. Verlaine a écrit, dans Dédicaces, un poème

à

Germain Nouveau.

Ce fut

à

Londres, ville ou l'Anglaise domine, ~e nous nous sommes vus pour la première fois,

Et, dans King's Cross m~lant ferrailles, pas et voix, Reconnus dès l'abord sur notre bonne mine.

Puis, la soif nous creusant à fond comme une mine, De nous précipiter, dès libres des convois,

Vers des bars attractifs comme les vieilles fois OÙ de longues misses plus blanches que l'hermine Font couler l'ale et le bitter dans l'étain clair Et le cristal chanteur et léger comme l'air,

- Et de boire sans soif

à

l'amitié future! Notre toast a tenu sa promesse. Voici

~e, vieillis quelque peu depuis cette aventure, Nous n'avons ni le coeur ni le coude transi.

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Nouveau revient d'Angleterre en mai 1875. Il retourne a-lors dans sa famille qu'il n'a pas revue depuis trois ans. Il passe l'été

à

Pourrières où i l se brunit au soleil et travaille!:'

"Plus rien de macabre, de bizarre, d'étrange (ces na!vetés se valent) ma~s le pur, le simple, le choisi; aller toujours

à

la plus grande lumière qui est le soleil! - Poush, les lunes!"

Au physique, Nouveau avait l'aspect d'un petit mériodional brun et vif, au type sémite. Dans Valentines, tournant l'accusa-tion en ridicule, i l confesse ne pas avoir l'€me d'un juif.

Quelqu'un qui jamais ne se trompe,

M'appelle juif... Moi, juif? Pourquoi? •• Je suis juif, ah! c'est bien possible! Je n'ai le nez spirituel

Ni l'air résigné d'une cible; Je ne montre un coeur insensible. Tout juif est-il en Israel?

C'est avec une excentrique ardeur que Nouveau vécut la boh~me du Parnasse. Il a passé ses plus belles années dans une

existence boulevardière bien humaine, "trop humaine" au gré des moralistes. Homme bien vivant, jeune, débordant de sève, plein d'esprit, aimant la terre, la grande route, le tabac, le "piq\..r.èt"

••• et faisant des dettes dans les estaminets comme mattre Villon. Plus tard i l chantera,

à

son tour, la complainte des années folles:

Ma bougie est morte;

~e pour rire un peu, Mandat l'on me porte Pour l'amour de Dieu!

(18)

A l'automne 1875, Nouveau loge dans un h8tel de la rue des Boulangers. Il se rend chez Nina de Villars et y travaille

f=s-quemment. Elle lui commande un dramè bouffe en vers. C'est aussi en" 1875 que Nouveau est engagé comme surveillant d' é~èves

à

"Bar-badaux". Une lettre de Delahaye raconte

à

Verlaine une anecdote sur" le séjour du poète dans cette institution. Elle sera reprise dans la préface

à

Valentines que Delahaye fit publier chez Messein en 1922.

Monsieur Germain ne va pas "faire le pion" et se conduire "avec des jeunes gens qui lui semblent studieux comme avec des pauvres moutards. Ils préparent des examens, ils piochent, ils croient avoir besoin de distractions; dam! si quelques-uns quittent le dortoir, aussitSt le gaz en

veil-leuse, et descendent llescalier

à

pas de loup et vont au café - et m~m~ plus loin - et, quand ils rentrent un peu avant llaube; ont llidée d10ffrir un punch

à

leurs condisciples, sans oublier le surveillant, celui-ci trouve qulil est plus sim-ple de ne pas alarmer et, au contraire, de prendre part

à

ces joyeusetés juvéniles.

Et Delahaye ajoute: "C'était dans ses temps d'erreur,

à

l'époque où i l imitait le trop glorieux modè~e,

è

grand renfort d1extrava-gances et d'absinthes

à

la Musset.1I Il faut dire que Nouveau avait

suggéré aux étudiants de faire ce punch dans un vase de nuit. Le chroniqueur termine en disant: que cette histoire lia dG emp~cher l'AUTRE de dormir, s ' i l l'a connuell Qu'on ne s'étonne pas si

Nouveau quitta, au bout d'un mois, l'Institution Barbadaux.

En

janvier 1876, Verlaine invite Nouveau

à

venir le rejoin-dre

à

Londres. Pour des raisons d'ordre pécuniaire le voyage n'eut

(19)

pas lieu. Pendant quelques temps Nouveau est rédacteur au Corsaire.

Le

15 aoGt, il repart pour la Provence.

Le

17 octobre, à pourriè-res, i l assiste au mariage de sa soeur avec un jeune notaire, Eugène Manuel. Il passers l'automne et l'hiver, moitié à Pourrières,

moitié à Rousset.

Pourri ères

Un

vieux clocher coiffé de fer sur la colline.

Des fen~tres sans cris, sous des toits ssns oiseaux. D'un barbaresque Azur la paix du Ciel s'incline. Soleil dur! Mort de l'ombr~! Et Silence des Baux. Marius! son fant8me à travers les roseaux,

Par la plaine!

Un

son lent de l'Horloge féline. Quatre enfants sur la place où l'ormeau perd ses os, Autour d'un Pauvre, étrange, avec sa mandoline.

Un

banc de pierre chaud comme un pain dans le four, OÙ trois Vieux, dans ce coin de la Gloire du Jour, Sentent au rayon vif cuire leur vieillesse.

Badet revient du bois, tenant sa mule en laisse.

Noir, le vicaire au loin voit, d'une ombre au ton bleu,

Le

village au soleil fumer vers le Bon Dieu.

Le

12 février 1877 i l écrit à Richepin: "Mes affaires de fa-mille sont terminées, mais là complètement. Jlen suis sorti pas trop écorché. Je vais pouvoir avoir (quel mot bourgeois!) un petit atelier à Paris; car tu sais je fais toujours de la peinture, oui, et cela va même assez mal.1I Vers pS;ques, il est à Paris et

re-joint ensuite son ami Richepin

à

Guernesey.

De 1875 à 1877, Germain Nouveau vint plusieurs fois

à

Charle-ville dans l'intention secrète de revoir Rimbaud ••• Mais Rimbaud ne parut jamais.

(20)

Le 30 décembre 1877, le bohème devient fonctionnaire. Il est nommé employé temporaire à la Direction de la Comptabilité du ministère de l'Instruction Publique. Indemnité mensuelle: 125 francs. Il travaille dans la vieille maison de la rue de Grenelle, célèbre pour avoir accueilli Maupassant et Izambard. C'est là qu'il se lie avec Léon Dierx, Camille de Sainte-Croix et Léonce de Larmandie. Il 'loue un petit appartement montmartrois qu'il décore de peintures lascives.

Cheminant rue aux Ours, un ~o~r que dans la neige

S'effeuillait ma semelle en galette: - Oh! que n;'-ai-je, Me dis-je, l'habit bleu barbeau, les boutons d'or,

La

culotte nankin, et le gilet encor,

Le

beau gilet à fleurs où se fane la gloire D'une famille, et, bien reprisés par Victoire, Les bas de cotonnade, et, chères aux nounous, Les syllabes en coeur du patois de chez nous ••• Car un Bureau disait sur une plaque mince:

"On

demande un jeune homme arrivant de province." En septembre 1878, Nouveau, fidèle à ses vieilles amours, passe ses vacances chez sa soeur,

à

Rousset. Il y invite Verlaine, mais celui-ci se trouve emp~ché.

Le 31 mars 1879, Nouveau est nommé titulaire au Miniatère, au traitement annuel de 2.400 francs.

C'est en novembre 1879 qu'il écrit les premiers poèmes de La Doctrine de l'Amour. Il le fait avec un zèle de néophyte.

L'année 1881 s'annonce assez bien pour Nouveau. Tout d'a-bord, i l obtient une hausse de traitement; ensuite, i l est nommé officier d'Académie par arrêté du 13 novembre 1881. Dans une

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1et-tre de Delahaye à Verlaine, on commente cette nomination avec ver-ve et humour:

Je crois que Nouveau est en train de devenir républicain. Il a trouvé le moyen, gr~ce

A

Roujon, de se faire donner par Ferry, avant son dépsrt, les p ••• p ••• p ••• palmes d'officier a'Académie et il s'est fait faire un pardessus de 110 francs pour les porter. Et, comme il se trouvait dans une veine de transaction, il en a profité pour se repapilloter avec Richepin qui lui a permis de le faire éditer chez Dreyfous •••

Il faut dire que Delahaye, Nouveau et Verlaine, formaient un grou-pe de joyeux compères. Tous trois s'amusaient

à

se caricaturer avec beaucoup de saveur. Dans l'Album reproduisant les dessins dont ils farcissaient leurs envois, on peut voir une caricature de Delahaye qui rencontre Nouveau affublé de son nouveau pardessus. Nouveau a un air pompeux et une allure altière tandis que Delahaye s'affaisse presque sous le coup de la surprise.

Sous le pseudonyme de Jean de Noves, il collabore au Gaulois et au Figaro.

En

aoat, il ach~ve

Le

Doctrine de l'Amour qu'il termine sur ces vers:

Savoir aimer suffit, savoir aimer délivre;

Ames simples et coeurs souffrants, vivons ce livre.

En

1881 il partage, pendant quelques semaines, une chambre avec Delahaye. Nouveau a toujours été bizarre, mais c'est

à

cette époque qu'il commence véritablement

à

inquiéter ses amis...

Un

matin, Delahaye se lève, ayant en t$te, un refrain d'opérette

à

(22)

bidibidibomm ••• , etc. 1I Nouveau est dans une de ses périodes de silence farouche et ne tarde pas à manifester son énervement. De-lahaye ne parvient pas à se taire. Comme ils se dirigent vers le restaurant, Nouveau exacerbé lance: "Ah non, assez~1I Sur ces mots, i l change de trottoir, déjeune seul et pendant quatre jours, n'adres-se pas la parole à son camarade. Et lorsque Delahaye lui demandera: IITu ne m'en veux-pas?lI, i l répondra: IIpourquoi tien voudrais-je. Je te plains. 1I

Nouveau continue à voir Verlaine, installé dans un meublé à Boulogne.

La

santé de Nouveau est mauvaise et en 1882, i l ob-tient m~me un congé de santé. En fait, NOUVt~au ni est pas fait pour vivre ainsi, enfermé dans un ministère. Le 1er aoGt 1883, i l quitte son emploi sous prétexte qu'on lui a refusé un nouveau con-gé. Fort de ses dons, i l se lance maint~nant dans la carrière de professeur de dessin. C'est à Beyrouth qu'il doit aller enseigner.

Il se serait m~me rendu à Jérusalem. Du moins clest ce qu'il ra-conte dans Valentines:

Je m'en revenais de Dion,

Pour baiser sa frange en dentelle, Et mettre ma dévotion

Entière à vos pieds d'Immortelle.

Il serait m~me passé par l'Egypte. Une lettre destinée à Rimbaud du 12 décembre 1893 en fait foi: IIJlai pensé à l'Egypte que j'ai habitée déjà plusieurs mois i l y a sept ans." Fin 1884, il est rapatrié à Marseille. Il passe quelques mois dans sa famille et publie, en mars 1885, quatre sonnets libanais.

(23)

Je vous fus présenté, Madame, dans la salle

De marbre frais et sombre où vous passiez les jours Au bruit de ces jets d'eau monotones des cours Damasquines; l'or blanc cerclait votre bras p81e. Assise

à

terre,

à

la manière orientale,

Vous écoutiez ceux qui distillent les discours, Devant les narghilés d'argent aux tons d'opale Que la paresse fume

à

coups distraits et sourds Des fleurs couraient parmi vos étoffes de soi~: Vos yeux éclairaient l'ombre où votre front se noie; Votre pied nu brillait; votre accent étranger

Eclatait dans ma t~te en notes délicates

Je vois toujours vos dents, blanches, fines et plates, Quand votre lèvre, mouche en rumeur, fit: Franger? (1) Nouveau vit

à

Montparnasse et au Quartier Latin.

Le

jour, i l suit des cours de dessin, ceux de l'Académie Oolarossi; le soir, i l rend visite

à

Verlaine.

Un

soir de juin 1885, i l rencontra, dans un café de la rive gauche, Valentine Renault, dont i l parle dans Valentines de façon très imprécise. Qui est-elle? Une petite employée? une Grande Dame qui tient salon? Probablement le nom de toutes les femmes qu'il a aimées. Ce qu'il aime, chez elle, c'est l'amour. Il jure m~me qu'il ne veut pas se marier.

Penserez-vous que je lésine, Si je reste, j'en suis penaud,

Le maquereau de Valentine ••• Quelle Valentine?.. Renault.

Dans une lettre

à

Delahaye, du 15 janvier 1910, on lit:

(24)

Ces vers qui, après tout (vu le sujet) ne sont qu'un badinage, et où l'équivoque joue (bien sottement, je l'avoue), sur le mot Amour, qui n'est pas synonyme du mot bleu (de là l'ésoté-risme de tous ces vers, malgré la clarté de l'expression), ces vers n'étaient pas destinés

à ~tre mis, comme on dit, dans le commerce.

Et ces épreuves ne sont jamais allées jusqu'au bon à tirer.

En mars 1886 la direction des Beaux-Arts avait confié à

Nouveau l'exécution d'une copie de David, le portrait de Barbaroux. La copie fut si bien réussie qu'elle fut jugée digne de figurer au musée de Versailles. Le 6 octobre, i l sollicite un nouveau poste de professeur de dessin dans un collège. Il fut nommé à Bourgoin (Isère). Hélas, le pauvre Nouveau ne semble pas avoir modifié de beaucoup ses méthodes pédagogiques depuis Charleville. Celles-ci ne plaisent guère plus qu'il ne le faut aux autorités:

Le service de M. Nouveau laisse beaucoup à

désirer; peu d'exactitude de travail, de méthode, et par suite aucun résultat. Il néglige ses élèves au point de les laisser entièrement livrés

à

eux-m~mes pendant les classes et de s'oc9uper exclusivement, devant eux, de sa pré-paration au certificat de dessin.

En

réalité, M. Nouveau n'a rien d'un professeur, et je de-mande instamment qu'il soit remplacé par un martre plus instruit et plus consciencieux. A Grenoble, le 30 juillet 1887. Le recteur.

Le 8 octobre 1887, i l est envoyé

à

Remiremont (Vosges). Dossier universitaire de Nouveau: "Bien vu à Remiremont, noté favorable-ment par l'Inspection générale du dessin. A Nancy, le 15 juillet 1888. Le recteur.1t Pendant qu'il demande à ~tre nommé à Paris,

(25)

la Direction de l'enseignement secondaire l'avertit le 6 décembre 1888 qu'il est désigné pour une suppléance ~ Janson-de-Sailly.

La première année tout va bien. "Si acquitte avec zèle et très convenablement de son service; suit avec attention le travail de ses élèves. Direction intelligente.1I Mais l'année suivante

tout se g&te: "Ce professeur étant nouvellement entré en fonctions, les inspecteurs ne peuvent pas formuler d'appréciation; toutefois ils ont pu s'assurer qu'il manquait dlinitiative, qu'il s'appli-quait ~ suivre les errements de son chef hiérarchique.1I Une

let-tre de Madame Delannoy rapporte ce que lui a dit Madame Thomazon, la gouvernante de Léon Dierx, ami de Nouveau:

M. Nouveau a passé un mauvais hiver, ~ cause de l'insuccès de son examen; i l s'est fait beau-coup de souci avant et après, parce qulil pen-sait qu'il ne serait pas maintenu ~ Paris, et que, pourtant, i l y tenait beaucoup. Le médecin dit qu'il a eu un accès de délirium tremens causé par l'abus des liqueurs et surtout de l'absinthe. J'avais bien remarqué qu'il "se rafrarchissait" souvent avec de l'absinthe. Je l ' a i dit ~ M. Dierx qui, lui ne s'en est pas aperçu, et a eu peine ~ le croire, vu le peu de ressources pécu-niaires dont disposait M. Nouveau. Mais, ai-je ajouté

à

M. Dierx, vous ne savez pas combien i l faut peu pour se procurer ces mauvaises liqueurs, qui sont d'autant plus pernicieuses qu'elles sont meilleur marché.

Le 14 mai 1891 Nouveau est terrassé. Crise mystique disent les uns, accès de délirium tremens ou aliénation mentale disent les autres. En pleine classe i l se jette subitement ~ genoux et supplie ses élèves de prier à haute voix avec lui. Il s'enfuit

(26)

du Lycée et va slagenouiller dans un ruisseau en multipliant les signes des plus bruyantes contradictions internes. Conduit au poste de police du quartier de la Muette, i l est examiné par un médecin qui rédige ce certificat: "Délire mélancolique, stupeur, hallucinations de llouie: génuflexions extravagantes sur la voie publique. Idées mystiques: récit continu de prières, fait par terre des signes de croix avec sa langue. Ce malade est dans un état mental qui exige son placement dans un asile d'aliénés.1I

Le 16 mai 1891 Nouveau est transféré

à

Bic$tre. Son seul désir est de se confesser et de voir un pr$tre. Il n'est pas un seul rapport médical

à

son sujet qui ne parle de ses idées mystiques. Ses amis se sont émus en apprenant son internement. Camille de Sainte-Croix lance un appel aux éditeurs pour qu10n entreprenne de publier Nouveau:

••• un poète de grand style et de haut esprit, un des plus purs et des plus originaux parmi ceux de notre temps, homme de savoir profond et d1inspiration éclatante.

Parmi son oeuvre, on peut recueillir la substance de trois grands volumes, deux de chansons d'amour, d1étranges et mordants ma-drigaux, un troisième volume a"ec de larges et calmes poèmes où se reflèten~ les essaims de visions mystiques, splendides en leur candeur.

Nouveau recouvre vite sa santé mentale. Dès le 28 mai les bulle-tins médicaux laissent entrevoir sa sortie prochaine. Mais c1est en octobre seulement qu1il quittera Bic$tre. On doit

à

son

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inter-nement un tr~s beau poème qu'il écrivit:

La

Rotrouenge des Fous de Bic~tre. Original, rythmé, moderne, i l fait ressortir l'aspect contemporain de la poésie de Nouveau.

Vous qui filez nos jours, ô Parques filandières, Vous les savez filer de diverses mati~res,

Et des fous de Bic~tre où le flux a son cours

C'est de lin et de ••• hum! que vous filez les jours. Vous qui filez nos jours,

ô

Parques filandières, Vous savez les filer de diverses manières,

Et des fous de Bic~tre à tourner dans les cours C'est en ronds et carrés que vous filez les jours. Cependant qu'à guenon, ô Parques filandières, Vous qui filez nos jours de diverses manières, A guenon et sagouin du voyage à long cours C'est en zig et en zag

C'est en joyeux zigzags que vous filez les jours. Vous qui filez nos jours, ô Parques filandières, Si filez-vous les nuits sous toutes les paupières,

Et des fous de Bic$tre à r$ver dans leurs lits C'est de Vases dorés que vous filez les nuits. C'est là que d'ortolans, ô Parques filandières, Vous fi18tes mes jours quatre lunes plénières; Mais or que pour souper je danse comme un ours, Ce n'est de vermicelle où vous filez mes jours.

L'appel que Camille de Sainte-Croix avait lancé aux éditeurs est repris par Léon Deschamps dans la Plume, par Bernard Lazare dans les Entretiens politiques et littéraires et par Alfred Valette dans le Mercure de France; ce dernier affirme que III'écoulement d'une édition est d'avance assuré." Consulté, Nouveau s'opposa à toute publication, malgré les instances de sa soeur et de ses amis. Le 10 octobre, i l est libéré.

(28)

J'ai un état: je suis peintre et dessinateur. Le meilleur, c'est de vivre de cet état. Je travaillerai tous les jours, je dessinerai, je peindrai; je réussis surtout les t~tes. Puis j'irai faire des propositions aux marchands, aux amateurs... Il y a aussi les copies des grands mattres, au Louvre, au Luxembourg, etc. L'essentiel, c'est de travailler. Souvent, quand on ne réussit pas, c'est qu'on ne veut rien faire.

Début novembre Nouveau part pour Bruxelles. Il y mène une petite vie rangée. Tous les matins i l se rend

A

l'église, fait ses prières, entend la messe, travaille beaucoup, ne l i t que la Bible et l'Evangile. Il se rend ensuite à Londres où i l est professeur de dessin. Ses lettres commencent

à

prendre un draIe de ton: "Usage du monde! Préjugés du mondel Politesse du monde! le monde est irrémédiablement condamné... Ne me considère donc pas trop je t'en prie, au point de vue du monde ••• " L'instabilité de Nouveau devient chronique. Il se déplace sans cesse, s'enfon-ce dans son mysticisme. Une lettre du 15 avril 1892 nous apprend qu'il est de retour

à

Bruxelles. "Dieu n'a pas voulu que je restasse

à

Londres. Et ici la lutte est

à

recommencer ••• J'ai da reprendre mon nom de Germain ici,

à

cause des papiers que j'ai maintenant de mon ancien séjour.1I Eté 1892: Rome.

En

1893:

Marseille. Raison du séjour: demande une place de professeur de dessin. Peu de temps après i l s'embarque pour Alger.

En

mars 1894 il sollicite, et obtient de l'Académie d'Alger, son hospitalisation

à

la station thermale de Hammam-R1hira afin d'y soigner ses rhumatismes. Au cours de l'été il essaie de se

(29)

faire réintégrer dans l'enseignement: "Tunis, ou à son défaut Marseille, à défaut de Marseille, un poste en Algérie, n'importe

, la

ou ••• Pour toute réponse Roehn, son protecteur, lui fait parve-nir 200 francs; plus tard 800 francs. D'Aix-en-Provence, i l lui écrit en 1897: ItJ'ai

dG

faire allusion dans cette lettre de de-mande au manque de fixité que mes amis me reprochent. Vous voyez par mon voyage

A

Paris qui n'a pas eu d'autre but et par la suite de mes démarch~s, que je ne demande qu'à me fixer. J'esp~re, mon cher Roehn, que vous voudrez bien m'y aider de tout votre puissant et précieux concours. Cela ne dépend que de vous. Si vous ne me placez pas, vous me désespérez.1I Nouveau est nommé le 13 octobre

1897 professeur de dessin au collège de Falaise (CalvBdos)~ Ré-ponse de Nouveau: IIDes raisons de famille m'empÉlchent, au dernier moment, de mettre à profit la faveur dont la haute bienvaillance,

etc ••• 11 Il Y a plus de vingt ans il écrivait pourtant à Richepin:

liMes affaires de famille sont terminées, mais là complètement. J'en suis sorti pas trop écorché ••• 1t Mais voyant que Roehn ne

fera plus rien pour lui s ' i l refuse, il télégraphie de Marseille: "Accepte poste". Il reste une semaine à Falaise, envoie sa démis-sion et repart pour le Midi. Il renonce à l'enseignement.

Toujours à la recherche d'un lieu o~ se fixer, i l fait Aix, Marseille (1899-1900). Sous le porche de Saint-Sauveur i l mendie.

(30)

diman-ches. En 1904 i l est à Paris, loge dans un grenier, dort sur un sac. Un jour Larmandie le rencontre cherchant avec un crochet sa nourriture dans les poubelles. Il le fait suivre et lui fait ob-tenir de l'aide.

On

lui donne un l i t qu'il vend immédiatement pour distribuer les fruits de la transaction aux enfants du quar-tier. On le rachète, i l le revend.

On

en fait livrer un en bois blanc que Nouveau accepte enfin. Mais Delahaye raconte qu'il était toujours renversé, les pieds en l'air. ItUne dévote est en-core plus ent~tée qu'une putain ••• J'ai accepté celui-là pour en finir. Je nly couche pas, voilà tout," lui avait dit Nouveau.

En 1904 Larmandie fait parattre des poèmes de la Doctrine de l'Amour. Le recueil est intitulé Savoir Aimer et signé G.-N.

Humilis. Nouveau ne l'apprendra que sept ans plus tard. Sa deux-ième soeur, Laurence, meurt en mars 1906. Paris, Saint-Jacques de Compostelle, lIItalie ••• Nouveau s'est fait pélerin. A la fin de 1909, i l est tenté.par la vie religieuse d'un couvent espagnol, mais i l en sort.

En septembre 1911, Nouveau retourne dans son village natal. Il a soixante ans. Il achète, dans l'enceinte de la commune de Pourrières une maison en très mauvais état. Une carte de visite indique: ItFrançois Bernard - Dessinateur - On fait le portrait Pourrières (Var)". Il slintéresse encore à la poésie, fait im-primer son Ave Maris Stella chez E. Tournel. En 1913 i l poursuit

(31)

la Société des Poètes français qui a édité Savoir Aimer. Puis i l fonde un périodique mensuel la Presse du Pauvre.

Le

4 avril 1920, s,our de PSques, son absence à l'office surprend les voisins. Lorsque le mercredi, 7 avril, on force la porte de sa demeure, on trouve sur un grabat le corps de Germain Nouveau.

Moi, l'enterrement qui m'enlève, C'est un enterrement d'un sou Je trouve ça chic! Oui, mon r~ve, C'est de pourrir, comme une fève Et, maintenant, je vais dire où. Eh~ pardieu! c'est au cimetière pr.ès d'un ruisseau (prononcez l'Ar), Du beau village de Pourri ère

De qui j'implore une prière,

Oui, c'est bien

à

Pourrières, Var. Comme sans fourreau la rapière, Comme sans gant du tout la main, Nu comme un ver sous ma paupière,

Et,

qu'on ne grave sur leur pierre, Qu'un nom, un mot, un seul, GERMAIN.

(32)
(33)

Nous rimons du Phébus dans le haut allemand. Germain Nouveau

De la poésie, Germain Nouveau n'a jamais attendu qu'elle lui donne la clef du monde. Dans ses vers, i l s'épanche, se berce au rythme de ses propres chansons. Il apparaît dans la même pers-pective que Musset, Verlaine et Appolinaire. Pourtant il ne croyait pas à sa vocation de poète.

Beaux Limousins, Gascons et Bordelais, Hordes du Nord et du Midi, Bataves, Tous, Allemands, Espagnols et Français, Bohémiens, peuples libres, esclaves,

o

vous les blonds et blancs comme des raves,

Et vous les bruns noirs comme des navets, C'est moi qui suis le poète aux yeux caves. Pitié, pitié pour mes vers polonais!

Les Valentines furent composées en vue d'une publication mais ne parurent pas. Ce fut sans son autorisation que parut La Doctrine

de l'Amour. Nouveau voulut m~me poursuivre ses éditeurs devant les tribunaux. De son vivant ont paru seulement quelques poèmes dans des revues, Les Dixains Réalistes et Ave Maris Stella.

Les années allant de 1872

à

1878 sont pour Nouveau une pé-riode de recherche. Il est remarquablement doué mais embarrassé de ses dons. Il les soumet è des directives peu personnelles, souvent m~me

è

des influences très visibles. Ces premie~s vers ressemblent au chant et auœcor verlainien, surtout aux F$tes

(34)

Galantes. Style Louis XV, entre autres, pourrai t,sans susciter l'étonnement, être inséré dans le recueil de Verlaine:

C'est adorable à voir, les peintures exquises; Carnavals de Boucher et danses de Watteau,

Silvains musqués, gothons à talon haut, marquises Et ducs, sous le loup n~~r gardant l'incognito; Amants toujours heureux, beautés jamais avares, Peuplant de frais baisers les salles d'un ch~teau,

Ou bien appareillant, en toilettes bizarres, Pour cythère, sur un fantastique bateau.

C'est le même thème, le même style discrètement mélancolique que l'on trouve dans A la Promenade de Verlaine: libertinage élégant, masques et bergamasques, paysages de rêves, bosquets et jets d'eau, pierrots et colombines •••

Trompeurs exquis et coquettes charmantes, Coeurs tendres, mais affranchis du serment, Nous devisons délicieusement,

Et les amants lutinent les amantes, De qui la main imperceptible sait

Parfois donner un soufflet, qu'on échange Contre un baiser sur l'extrême phalange Du petit doigt •••

Non moins évidente l'influence de Baudelaire que Nouveau copie, presque servilement, avec beaucoup de gaucherie, du reste légère-ment feinte. Sonnet d'été devient une caricature d'une amusante na!veté de La Mort des Amants.

Sonnet d'été

Nous habiterons un discret boudoir, Toujours saturé d'une odeur divine, Ne laissant entrer, comme on le devine,

(35)

Une blonde frêle en mignon peignoir Tirera des sons d'une mandoline,

Et les blancs rideaux tout en mousseline Seront réfléchis par un grand miroir.

~and nous aurons faim, pour toute cuisine

Nous grignoterons des fruits de la Chine, Et nous ne boirons que dans du vermeil; Pour nous endormir, ainsi que des chattes Nous nous étendrons sur des fratches nattes; Nous oublirons tout, même le soleil.

La Mort des Amants

Nous aurons des lits pleins d'odeur lég~res, Des divans profonds comme des tombeaux,

Et d'étranges fleurs sur des étagères,

Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux. Usant

à

l'envi leurs chaleurs dernières, Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux, ~i réfléchiront leurs doubles lumières

Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux. Un soir fait de rose et de bleu mystique, Nous échangerons un éclair unique,

Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux;

Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes, Viendra ranimer, fidèle et joyeux,

Les miroirs ternis et les flammes mortes.

A cette époque il imite également Jean Richepin et emprunte

à

Victor Hugo les secrets de son éloquence d'apparence facile. Parfois, i l débouche sur un rythme d'une douceur silencieuse et des images d'une force m~hique contenue, notamment dans les strophes de Ciels:

Le

Ciel a de jeunes p~turages

Tendres, vers un palais triste et vermail: Un essaim d'Heures sauvages

(36)

Des troupeaux silencieux du ciel, Un nuage, un doux taureau s'écume, Se détache, avec le souci réel

Du Baiser qui l'arrose et la parfume.

Et ces neiges, fratcheur et ferveur, Au ciel des étreintes fatales,

S'unissent, ô Douleurt

Le taureau roule sur la prairie idéale.

L'influence de Rimbaud est encore ici perceptible, elle ne fait m~me plus aucun doute si l'on tient compte des expressions "prairie idéale" et nIa passion •••

à

lui". La voix véritable de Nouveau ne s'y fait pas entendre encore. Le poème intitulé Les Yeux est

le premier qui soit plus personnel.

Les veilleuses dont notre nuit est parfumée

Sont des soeurs dont les longs regards sont des secrets,

Et les yeux de nacre et de perle des coffrets Nous pénètrent, et sur la basse cheminée. Le miroir où ta beauté nue est confirmée Répète ces regards et ces yeux indiscrets,

Qui, troublants comme les feux p~les d'un marais, Hantent, le coeur du doux poète et de l'Aimée.

o

ces yeux, tous ces yeux dans le calme aromal

De l'amour, sont d'autant plus tendres qu'ils font mal,

Et notre 8me connatt des terreurs, pourtant pures. Mais quand l'aube s'abat sur nos chastes volets,

La fen~tre a deux yeux bleus et vides, si laids

~e nous tirons sur nous toutes les couvertures.

Les poèmes que Nouveau écrit, entre 1873 et 1879, comptent parmi les plus délicatement précieux qu'il ait faits.

Elle veille en sa chaise étroit~; Quelque roi d'Egypte a sculpté Dans l'extas''! et la gravité

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Moitié coiffe et moitié bandeau, Fond pur A des lignes vermeilles, Un pan tourne autour des oreilles. Sa robe est la prison du Beau. Ses yeux, de profonds péristyles

OÙ ne passe rien de réel, De toute la largeur d'un ciel S'ouvrent aux visions stériles;

La fratcheur du visage antique Laisse au vague appétit des yeux Deviner les seins précieux

Dans un pli trop énigmatique,

Et sous l'impur raffinement

D'un profil qu'on r$ve A des chèvres, C'est pour des dieux que vont les lèvres Souriant indéfiniment.

Il faudra attendre les vers de La Doctrine de l'Amour et ceux des Valentines pour retrouver une poésie d'une qualité aussi personnelle. La Doctrine de l'Amour qui porte aussi comme titre Les Poésies d'Humilis date de 1880. Ces deux recueils chantent l'amour: le premier sous un aspect religieux; l'autre exalte la sensualité.

S'il est plus personnel, Nouveau reste gauche, au niveau de la technique prosodique et de l~utilisation du r~ve. La Doctrine de l'Amour est faite de poèmes didactiques, véritables petites dissertations en trois temps sur des dogmes religieux, la bonté de Dieu, etc. Ou bien, i l rédige quelques cantiques et prières bien inférieurs

A

ce que Verlaine a produit dans le genre. Ce

dernier réussi A nous toucher, de Nouveau hélas~ se dégage un léger ennui •••

(38)

Ou

encore:

Dieu, c'e8t la beauté, Dieu, beauté m~me a parlé Dans le buisson de flamme

à

son peuple assemblé •••

Dieu fit votre corps noble et votre ~me charmante. Le corps sort de la terre et l'~mè aspire aux cieux; L'un est un amoureux et l'autre est une amante. Dans la paix d'un jardin vaste et délicieux

Dieu souffla dans un peu de boue un peu de flamme,

Et le corps s'en alla sur ses pieds gracieux.

Entièrement consacrées

à

la femme, Les Valentines relèvent d'une autre "Doctrine de l'Amour". Nouveau renonce

à

la grande poésie. C'est la forme octosyllabique qui triomphe ici. Ces poèmes témoignent d'une tentative que fit Nouveau aux environs de 1885 de prendre la vie

à

la légère, avec esprit et ironie. Sans conviction profonde, sous prétexte de magnifier l'amour physique, la passion, i l nous livre des pièces précieuses qui illustrent sa remarquable facilité verbale. Il y va de ses jeux de mots, étale son érudition, s'éprend de son image,s'échauffe l'esprit mais l'~me reste de glace.

On

devine aisément qu'il est plus

à

l'aise dans la ruelle que dans le l i t .

Je suis bien ignorant, Madame: Je ne sais si j'ai quatre mains, Si je niai qu'un corps ou qu'une ~me,

Ou quatre pieds sur les chemins.

Il ne faut pas se méprendre, ce n'est pas une femme en particu-lier qu'il glorifie, c'est l'érotisme.

Si ce n'est l'Amour, c'est l'image De l'Amour, qu'en vous je veux voir, Jeune femme aux cheveux de Mage, Tels que les neiges du savoir!

(39)

Tout au long du recueil i l marivaude; la passion ironique n'écla-te que dans les derniers vers.

"Tout fait l'amour.1I Et moi, j'ajoute,

Lorsque tu dis: Ittout fait l'amourll :

M~me les pas avec la route,

La

paguette avec le tambour. M~me le doigt avec la bague, M~me la rime et la raison M~me le vent avec la vague, Le regard avec l'horizon.

Oui, tout fait l'amour sous les ailes

De l'Amour, comme en son Palais, M~me les tours des citadelles Avec la gr~le des boulets.

On ne pourra parler d'un génie propre à Germain Nouveau qu'au moment où perdant partiellement le contrale, i l ne brime plus son inspiration et laisse les mots jaillir en liberté. C'est une certaine fièvre érotique qui lui dicte Les Baisers.

N'est-il pas infini le r~le De bonheur pur comme le sel, Dans ta matrice interastrale Sous ton baiser universel?

La fièvre mystique lui inspire également des invocations à la Vierge et au Christ. Par delà la monotonie et l'incontinen-ce verbale parfois affligeante, l'incontinen-ces images faciles sont soulevées par un rythme qui atteint un point de tension exceptionnel, res-semblant en cela-à péguy. Chez Rimbaud la fièvre est dans l'image. Point de cela chez Nouveau. Rien n'est plus conventionnel que ce qu'il raconte.

(40)

Son originalité réside dans llenvoûtement du rythme. C'est ce délire, ce martèlement fiévreux que nous fait entendre le "Battez, battez, tambours" qui scande le poème Le Baiser.

La passion est ici

à

l'état pur.

Car l'Amour est horrible Au gouffre de son jour! Pour le t i r à la cible Battez, battez, tambours!

Sa caresse est est féline Comme le point du jour: Pour gravir la colline Battez, battez, tambours! Sa caresse est cBline Comme le flot du jour: Pour gravir la colline, Battez, battez, tambours! Sa caresse vous touche Comme l'onde et le feu; Pour tirer le cartouche,

Battez, battez~un·peu.

Après Les Valentines, le décor change. Le poème fait place

à

la chanson.

Je ne puis ma gloire payer; Mais qui voudra fortune faire, Il n'a qu'à mes vers publier

Et s'établir notre libraire. Sur un siège éditorial,

Voire un Malassis n'est si mal!

Les Uixains Réalistes sont sans doute les poèmes les plus amusants et les plus personnels que Nouveau ait écrits. Cocasses, dépourvus de préciosité, légèrement érotiques parfois et pleins d'humour, un ton d'ingénuité les caractérise.

(41)

Dans ce bordel provincial plein de fratcheur, Attendant le sonneur, Martin, pauvre p~cheur,

~i vient tirer son coup entre deux sons de cloche Si son gland violet sur sa poche baloche,

Trois filles dorment. - Ah! doux repos vaginal! Et leur rSve est bercé par le chant virginal Des Enfants de Marie, au jardin de la Cure: Mais c'est le sacristain qui leur bat la mesure

(Car tout se m~le en songe) et le vit de lilas Saccade en le rythmant l'Ave Maris Stella.

Cette sorte d'érotisme n'est pas bien méchant. Quelque gaminerie de Nouveau, tout au plus, pour choquer les bourgeois.

Elle était

à

genoux et montrait son derrière Dans le recueillement profond de la prière.

Pour la mieux contempler j'approchai de son banc: Sous la jupe levée i l me sembla si blanc

~e dans le temple vide OÙ nulle ombre importune N'apparaissait au loin par le bleu clair de lune, Sans troubler SB ferveur je me fis son amant. Elle priait toujours. Je perçus vaguement ~lelle bénissait Dieu dans le doux crépuscule. Et je n'ai pas trouvé cela si ridicule.

S'il n'y avait autre chose que ces vers précieux, ces petits pastiches sans grand talent et ces mauvais sermons de défroqué,

(42)
(43)

Germain Nouveau Savoir aimer suffit, savoir aimer délivre.

Germain Nouveau

Au moment où sa mère meurt, Germain est encore,

à

huit ans, psychologiquement identifié

à

elle. Il conservera toujours l'im-pression, voire la conviction d'~tre divisé, incomplet"; i l cherche-ra constamment cette union idéale qui recréecherche-ra la relation mère-fils au coeur de laquelle il se sentait heureux. Jacques Brenner écrit: ItSa faiblesse (il s'agit de No~veau) expliquerait pour une part la violence et le totalitarisme de ses attachements ••• " Cette explication est spécieuse, car comment peut-on ~tre violent quand on est faible? Il vaut mieux admettre la thèse selon laquelle Nouveau n'a jamais pu admettre psychologiquement dl~tre seul au monde. Elle est empirique et cautionnée par le poète. Dernier Madrigal qui fait partie des Valentines nous renseigne suffisam-ment sur ce drame:

~and je mourrai, ce soir peut-~tre, Je n'ai pas de jour préféré,

Si je voulais, je suis le maître, Mais ••• ce serait mal me connattre, N'importe, enfin, quand je mourrai. Mes chers amis, qu'on me promette De laisser le bois ••• au lapin,

Et, s ' i l vous platt, qu'on ne me mette Pas, comme une simple allumette,

(44)

Je ne veux pas que l'on m'enferre Ni qu'on m'enmarbre, non, je veux Tout simplement que l'on m'enterre,

En faisant un trou... dens 118 Mère,

C'est le plus ardent de mes voeux. Je serai donc avec les Femmes Qui m'ont fait et qui m'ont reçu, Bonnes et respectables Dames,

Dont l'une est sans coeur et sans flemmes Pour le fruit qu'elles ont conçu.

Ah! comme je vais bien m'étendre, Avec ma mère sur mon nez.

Comme je vais pouvoir lui rendre Les baisers qu'en mon ~ge tendre Elle ne m'a jamais donnés.

Voilà qui en dit long. Germain Nouveau ne pensant qu'à la dépos-session que la mort de sa mère entratne, fait de la mort dont elle fut en premier la victime, un instrument dont cette femme cruelle s'est servie pour se débarrasser d'un fils qu'elle n'aurait pas aimé. C'est Germain Nouveau qui devient alors la victime de cette déchirure. Ainsi identifié

è

l'auteur de ses jours, n'ayant ja-mais été rejeté, ayant résolu en apparence cette première contra-diction de aon être, i l cherchera sans cesse

è

se confondre, tant dans des rapports physiques que sur le plan intellectuel et sen-sible, avec tous ceux qu'il trouvera dignes d'admiration. Il abandonna tout pour l'amitié de Rimbaud, l'amour de Valentines est tout aussi absolu et l'adoration

è

éclipses puis définitive de Dieu l'amène

è

se perdre dans l'anonymat de la misère. Toutes

(45)

subis-sent des catastrophes et connaissubis-sent des sommets. Dans Mendiants, poème qui stigmatise ses relations avec Rimbaud, i l écrit:

Nous avons tant suivi le mur de mousse grise ~'à la fin,

à

nos flancs qu'une douleur emplit, Non moins bon que ton sein, tiède comme l'église, Ce fossé s'est ~uvert aussi sGr que le l i t .

Et pourtant, oh~ pourtant, des seins de l'innocent Et de nos doigts, sonnant, vers no~re r~ve éclos Sur le ventre gentil comme un tambour qui chante, Diane aux désirs, et charger aux sanglots,

Il ne devait rester qu'une ironie immonde, Une langueur des yeux détournés sans effort. ~el bras, impitoyable aux Echappés du monde,

Te pousse

à

l'Ouest, pendant que je me sauve au Nord! Voici la rencontre de Valentine:

J'ai découvert un nouveau Dieu. "Nous irons le pr~cher ensemble ...

••• mais c'est Vous, Vous que j'aime, Mais c'est ton corps, mais c'est ton Bme, Mais c'est Toi, ma petite femme,

Toi, cet adoré petit Dieu;

Nous allons arpenter le globe ••• Nous allons vous pr~cher ensemble •••

Ainsi, i l attendra teujours l'8tre privilégié avec lequel i l pourra se confondre: "je voudrais bien ~tre à toi, et je suis toujours

à

moi". C'est une Bme féminine éperdue d'adoration.

Lui-m~me s'en moque dans le singulier Refus où il fait mine de

protester contre certaines accusations qu'on laisse peser sur lui. Le poème est très ambigU et les réticences de Nouveau sont préci-sément de nature

à

confirmer des soupçons qu'entretenait son

(46)

ami-tié pour Verlaine et Rimbaud. Peut-~tre d1ailleurs veut-il nous laisser percevoir de façon voilée •••

Je suis pédéraste dans ll~me, Je le dis tout haut et debout. Assis, je changerais de gamme, Et, couché sur un lit, Madame, Je ne le dirais plus du tout.

La pédérastie est un vice: C'est llavis du médecin.

Je le crois, i l n'est pas novice ~and i l soutient que l'exercice Le plus naturel, le plus sain, C'est .de froisser le traversin D'une femme qu'on désaltère, Quand elle serait adultère,

Quand elle n'aurait qu'un seul sein. Pour moi, vous remarquerez comme J'ai quelque gr~ce

à

protester: Passant pour la moitié d'un homme, N'aurais-je pas le droit, en somme, De chercher

à

me compléter?

Germain Nouveau se meut à l'aise dans cette ambig~!té. Il vire-volte, i l sourit, i l est tout en sous-entendus. C'est dans llex-pression ironique d'une tristesse indéfinissable que ses vrais dons se révèlent; i l se hait et pourtant, il est fier d'~tre ce qu'il est; il n'est, dit-il, que "la moitié d'un homme"; mais i l l'affirme sur le ton de la badinerie. S'il ressent le besoin de s'humilier, c'est pour se grandir puisqu'il est llagent de son humiliation; mais dès qu'il s'humilie, par une sorte de retour paradoxal sur lui-m~me, il rit. S'il y a une dialectique dans la poésie de Germain Nouveau, elle réside dans ce mouvement pitié-ironie, qui donne

à

ses vers leur allure

à

la fois grinçante et mystérieuse.

(47)

Se projetant sans cesse autour de lui, i l ne faut pas s'étonner qu'il se cherche, avoue ne pas se connettre et finisse enfin par dire: "je ne suis rien"

Qpe le toutou de ma niniche; Je ne suis que le vieux caniche De tous les gens de n'importe où.

La nature de son oeuvre trouve ici sa premi~re explication.

On

comprendra plus facilement pourquoi la poésie de Germain Nouveau est si peu personnelle, si précieuse quand elle nlimite pas tout simplement Verlaine, Rimbaud, Baudelaire ou Richepin. On compren-dra aussi pourquoi i l ne crut en rien dlautre qu'en llam.ur, mi-rage toujours fuyant qui ne pouvait produire que des échecs puis-qu'un tel amour l'obligeait

à

nl~tre pas, ou, au mieux,

à

ne vivre que par médiation seconde. Nouveau lui-mame neus donne raiaen.

Il a écrit: "Savoir aimer suffit, savoir aimer délivre", i l faut conclure, non pas qulil n'a pas aimé, bien au contraire, mais qu'il a mal aimé, puisqu'on le voit de plus en plus tendu jusqu'à cette crise de folie qui le m~nera à Bic~tre en 1891. Dans sa "dynamique", vie et oeuvres devaient produire un échec. Convain-cu qu'il était incapable,de par sa nature même, de produire quoi que ce soit avec une étonnante application, i l entreprendra de donner raison

à

la nature. Nouveau. ne· veut pas être po~te, i l ne veut plus créer d'oeuvre. Il prend le nom d'Humilis. Si ses voeux étaient exaucés, son oeuvre ne lui survivrait même pas. C'est au hasard et à ses amis que ses oeuvres poétiques doivent

(48)

d'exister encore. L'humour, l'ironie, l'absurde, la souffrance et la pitié seront toujours traités avec succ~s: ces th~mes sent en accord avec sa dynamique de l'échec.

Et,

dans son optique, ce qui est néant retourne au néant.

Un

des po~mes les plus émouvants des Valentines s'intitule

l'~; c'est le po~me des amants séparés. C'est un po~me d'exil;

i l signifie beaucoup pour le po~te qui se sent inspiré par l'acui-té de son éloignement. L'image d'un double vivant sans cesse

à

ses eStés le rassure et rend la solitude plus lég~re à supporter; la mémoire imaginative joue un rSle: NQuveau n'est pas enti~rement seul. C'est l'Autre qui est dépossédé. Le poète marche dans la solitude de sa vie; le poème se déroule selon le rythme de ses pas. Il est seul et loin; pourtant, une présence à ses eStés donne un sens à sa solitude. Celle qu'il aime sera toujours là, puisqu'il lui a arraché son &me. A la suite de cette sorte de viol, Nouveau vit, mais comme toujours, par procuration.

Du temps où nous étions ensemble, N'ayant rien

à

nous refuser, Docile à mon désir qui tremble, Ne m'as-tu pas, dans un baiser, Ne m'as-tu pas donné ton &me?

Or le baiser s'est envolé,

Mais l'8me est toujours là, Madame; Soyez certaine que je l'ai.

Ne s'appartenant pas, Nouveau ne peut aimer ni se donner, c'est un perpétuel soliloque qu'il entretient avec son coeur dépossédé.

(49)

Lorsque je vais seule lire

Ou

filer dans la for~t,

Ma

lèvre brGle et voudrait Baiser votre beau sourire. Je voudrais bien ~tre

A

toi

Et

je suis toujours

A

moi.

Comme Rimbaud qui peignait ses anc~tres sous des traits de barba-res: - IIJ'ai de mes anc~tres gaulois lloeil bleu blanc, la cer-velle étroite, et la maladresse dans la lutte... Les Gaulois étaient des écorcheurs de b$tes, les brGleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps" - Nouveau déclare dans La Ballade du Mé-chant Poète:

Mon père était un loup dans les for~ts, Ma mère fut une chienne aux crins flaves, Et jlai grandi dans les joncs des marais. Telle, aux lueurs des tristes rats de caves, Va la sorcière, aux viscosités haves,

Telle une Muse, avec ses yeux mauvais, Mla déniché dans un vieux tas à'épaves. Pitié, pitié, pour mes vers polonais!

Il s'associe au nègre, ~tre réprouvé et solitaire par excellence, pour composer un poème très moderne. Il y atteint une très grande liberté dlexpression, audacieuse pour l'époque. En cela Nouveau est un novateur et précède les surréalistes. La poésie m~me de Rimbaud n'atteindra que rarement à cette gratuité de l'inconscient.

Il pleut, que la mer Nia pas autant d'eau Que ce triste hiver!

Et

pas un bateau Sur le lac d'Auber OÙ pleurez, roseau! -Le zéphir amer

(50)

Clest celui du tri-ste saint Alari Que son ~me n'a Encor pour mari; Cependant quia ri Mossieu Roffina!

Germain Nouveau est interné

A

Bic~tre. Il y écrit un po~me dédié Aux Saints dans lequel i l se déclare responsable de son in-carcération. La raison, dira-t-il, avec une émouvante simplicité, en est qu'il n'a pas assez aimé et puis parfois encore, i l siest abstenu de faire ses prières. Il a douté de Dieu; ensuite, i l n'a pas toujours été chaste. Le diable lia entratné dans de mau-vais sentiers. Il lia suivi volontiers. S'il avait fait un bon pr~tre ainsi que son devoir le lui prescrivait i l serait aujourd'hui au parloir, mais ce ne serait pas celui de Bic~tre... Le poème possèda une valeur incontestable d'autobiographie intérieure. Nouveau utilise admirablement le vers "Je ne serais pas dans la cour", qui ponctue, en quelque sorte, les étapes de sa déchéance.

Si, tous les matins de nos f~tes, Nous chantions tous avec amour Sur les harpes des saints prophètes Nos prières qui sont parfaites, Je ne serais pas dans la cour.

Si nous récitions nos prières

Dans le crépuscule du soir Avec des lèvres régulières, Avant dlallumer les lumières, Je ne serais pas au chauffoir.

Figure

TABLE  DES  MATIERg;

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