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Le comportement marginal dans les Chroniques du Plateau Mont-Royal /

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1

LE COMPORTEMENT MARGINAL

DANS LES CHRONIQUES DU PLATEAU MONf-ROYAL

by

Peter V. PIIT

A thesis submitted to the

Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfillment of the requirements

for the degree of Master of Arts

Department of French Language and Literature McGill University, Montreal

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- - - _ ..

_--Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils sont agaçées.

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1

l

Résumé

L'intention de ce mémoire est de fclire une étude ~~l comportement des personnages principaux des Chroniques du plateau Mont-Royal de Michel Tremblay, en les analysant par rapp4'--t ~ certains arch~types, notamment celui de la mère, suggérés par la lecture des oeuvres de C. G. Jung. L'absence du père exerce une mfluence sur cc comportement qui devient, par conséquent, marginal, aberrant ou névrotique. L'homosexualité, le travestisme, l'alcoolisme, l'obsession sexuelle et l'obéisté sont des manifestations de la difficulté, r~"l\entie par un peuple séparé de !lon patrirnollle traditionel, de s'ajuster dans une ville de béton stérile. Ce n'est qu'en sc rendant comph~ de la nature de ce malaise, à l'aide de certains archétypes ataviques qui troublent l'inconscient collectif, que ce peuple peut s'adapter à son nouvel erlvironnement.

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Abstract

ft is the mtention of this mémoire to study the behaviour of the principal charactcrs In the Chroniques du plateau Mont-Royal by Michel Tremblay. This will be donc through an analysis of the relationship between them and certain archetypes suggcsted by the readmg of relevant \/orks by C. G. Jung and his followers, in particular those conccrning the archetype of the mother. The absence of the father exerts a consIderable mfluence on this behaviour, which, as a result, becomes non-conformist, abhorrent or nellrotic. HomosexlIality, transvestisism, alcoholism, sexual obsession and obeslty are manifestations of the difficulty experienced by a people which has been separated from its tradlhonal rural roots, and forced to adapt to a sterile city of concrete. Il is only in the reahsation of the nature of its malaise, that this part of the urban population can begin to settle In it's new environment.

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TABLE DES MATIERES

Introduction . . . 1 L'archétype de la mère et l'absence du pèrf.! . • . . . 15

Les erreurs d'Edouard . . . . · .. 23

Le calvaire de Gérard Bleau . . . . · .. 48

La grosse femme d'à côté se réveille . . . . · . . . 57

L'école des fem 'nes . . . . · . . . 67

Symboles et associations . · . . . 78

Conclusion . . . · .. 87

Notes . . . . · .. 92

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IntroductIon.

DepuIs le 22 août 1968, quand une partie du public québécois fut scandalisée pour la premIère fOIs par la présentatIon des Belles Soeyrs, Michel Tremblay nous offre, du mOins selon ce que dIt Alatn Pontaut dans son Introduction à la troIsIème édition de la pièce chez Lcméac:

le parfaIt Intcrocosme, fût-cc en un lieu réduit, délimité, d'une psychologie tndividuelle et collective décapée à l'acIde, enivrée au serum de vérité, nue jusqu'à l'os.

Pl

EnthOUSIaste au pOl:lt où il fait des comparaisons favorables avec les pièces de théâtre de Paul Claudel, Pontaut souligne l'Importance de l'arrivée tant attendue d'une littérature québécoise qui parle des vrais Québécois dans une langue non seulement compnse par un public nord-américain sûr de son identité en Amérique du Nord, mais aussi dans la francophome du monde entier. Il continue:

Et S'II pelJt paraître hasardeux de prétendre que "nous sommes tous des Duchesse (ie Langeais", on aura bien du mal, assurément, à demontrer que les G\!rmaine et les Linda Lauzon, les Rose Ouimet, les Angeline Sauvé ou les Plerrett.;! Guérin ne hantent pas quotidiennement, d'une présence dIaphane et cependant épaisse et familière, certaines cuisines, certaines cours et galenes, certams qllartiers de la cité. [2].

Le succès de cette première pièce écrite dans un langage populaire fut énorme, et le dramaturge lUI-même avoue dans la Gazette de Montréal du samedi 23 septembre

1989, qu'il a été "chanceux." Il sauta cependant sur 1't)Ccasion et sortit rapidement une série de pièces telles que La Duchesse de Lan&eais en 1968, A Toi. pour toujours. ta

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;

;. L'ensemble, avec une dizaine d'autres pièces, passe vite dans la tradItion populaire du Québec sous le titre général du cycle des Belles Soeurs. Michel Trcmhlay nc voulut jamais demeurer uniquement dramaturge. Ayant déjà participé à des films ct atl';~1 à dco; émissions à la télévision, et s'étant déjà illustré avec la publicatIon de C rà_JQllJr!.m:~

Laura Cadieux en 1973 où il annonce d'une façon IIldlrcctc la genèo;\? d'une ~éne de romans portant sur la vIe de certams de ces personnages cher~ au peuple quéhccols. lT

ne fut pas une grande surprIse de le VOIr entreprendre un enscmble de clIlq romano; que l'on reconnaît sous le nom collectif des ChronIQues du plateau Mont-Royal En 197R,

il fait publIer La firosse femme d'à côte est cncemt~, (GF), o;UIVI deux an .. plus t.ml par Thérèse et Pierrette à l'école des Samts-An~es, rrp), ct en 1982 par La duche~se ct le rôtuner, (DR). Des nouvelles d'Edouarq, (NE), paraît en 1984, l11al\ Il I~tudra attendre presque SIX ans pour ~ue le cycle s'achève avec la publicatIOn cn 1989 de \on derlller roman, Le premier quartier de la lune, (PQ).

C'est cette séne de cmq romans que.le comptc étudlcr afin de ~outcnlr la thè\c que je pré,enleral d'abord d'une façon générale, et ensuite d'une façon phi" Mtallléc cl

plus systématique. SI l"on accepte la poSition d' Alam Pontaut quc la cUI\Jne de Germaine Lauzon représente le microcosme d'une partlc de la société urballlc et populalrc deI) années soixante, Il va de soi que les ChronIques du platcau Mont-Royal nou\ cxpllql1cnt jusqu'à un certaIn pomt comment une partie de la ~ociété a évolué aprè\ la Dcuxlèmc Guerre mondiale quand elle a quitté la campagne afin de ~ 'Jn~tallcr dans l'C\t de Montréal.

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Carl GU\tav Jung, psychiatre et psychologue suisse naquit en 1875 et mourut en

1961. A partir de 1906, Il fut disciple de Sigmund Freud, maiS, après aVOir publié

MétamorDhme~ el symboles de la libido en 1912 (devenu Métamorphoses de l'âme et

de~ ~ymboles en 1944,) JI ~e sépara de Freud, car Il refusaIt d'attnbuer à la libido un caractère exc!u.,lvcment ~cxucl. Jung VOit plut;'t d1n~ la libido une énergie vitale pnmordlale et 1II11ver~elle, dont l'onentatlon vers le monde exténeur où la vie intérieure permet de dlstmguer deux types psychologiques fondamentaux: l'extravertllt l'introverti.

Il fait pt,hlier un livre sur ce ~ujet en 1927, ~s Psycholo~iQue~.

Cependant, l'Idée la plus originale de la théone de Jung est certainement celle de l'inconSCient collectif. Fonds commun de toute l 'humanité, celle-ci est structurée par des

archétype~ (CCliX des parents, de l'ammus et de l'anima.) Après avoir accumulé une masse de connal~~ancc~, dont Il ~c sert pour formuler sa thèse à lui, il conclut que cet Inconsclcnt ~ollectJf c~t constItué de schèmes éternels de l'expérience humaine qui

~'cxpnment dans les Images ~ymbollques collectives (mythes, religIOns, folklore, contes populalre~ etc.) ainSI que dans le~ oeuvres d'art, les rêves individuels et les symptômes névrotiques. Dans le glossaire de son lIvre Alcohol and Women, Jan Bauer, analyste américaine dans le style de Carl Jung, décnt l'archétype comme n'étant "pas présentable cn SOI," (J], mal'i clic affirme que les effets paraissent dans le conscient comme des

Il11age~ ct des idées archétypales. Ce sont des leitmotivs qui sortent de l 'mconscient collc,,'tlf ct qUI sont donc à la base de toutes les relIgions, mythologies, légendes et contes de toutes les cultures. Ils émergent dans les rêves et les visions. Carl Jung, lm-même, nous offre la défillltion sUivante dans son Dictionary of Analytical Psycholoi:Y, "Ce que

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JI"

comprends est Identique à "l'image prImordIale." terme que J'al emprunté à Jal'oh Burckhardt," \.-1], ct le grand psychologue SUl~~e continue à exphquer que l'drchéiypc e~t

une form!.lle secrètr qUI maintIent sa crol~~ncc ~n~ que l'mdl\ldu ,'en rende compte, ou lorsque ces Idéc~ '10'1t rdouléc~ pour de~ ral..,or,s externe~ ou I!1terne\ 1 'es"!cllCe de l'inconscIent collectif ~e rcpré~cntc dam l'lncomctent Hldt\'tducl 'ou"! forme de préférences prononcées et d':me façon partIculière de Hllr Ic~ chn\c, L' "dt\'tdu a tendance à crOIre que ce point de vue VIent dIrectement de l'obJct qu'JI cOIl"lderc, mal\ la réalIté dIt que son attItude a \a gcnbe dam la structure Incon~Clentt' du p\ydlé ct

qu'elle est tout SImplement déclenchée par l'effet de l'objet. L'archétype ou l'IIIMge primordIale eXIste en nom dè~ la r ais~ance, ct le, Idée~ ct le~ lI11dgC\ arclK~typalc ... font intégralement partIe de l'InconscIent collectIf commun à Wu, le, mdlvldm Jung aloute dans l'l;:troducllon de son livre Four Archetypc~-motheL. reblLtb-,_illlLJ1 .... !IICk.stcr, qu'une couche plus ou mOins superfiCIelle c~t sans doute pcr~onnelle. ma" JI Il1'II\tc \ur le t,ut que cet IllCOnSClent e~t posé sur une ('ouche beaucoup plm \ollde, celle de l 'IIlCOn\Clent collectIf.

La théOrie économique de Karl Marx aln~1 que Ic'l théOrie, de Frcud donnèrcnt naIssance, au début dl' vmgtlème ~iècle, à troIS approche, cntlquC\ qUI, déjà trè\ populaIres avant la PremIère Guerre mondlalc, demeun:nt. avec ccrtalnc\ modlflcatlOI1\, toujours à la mode aUJourd'huI. Je ne voudrallo pourtant pal, effcctuer unc analy\c dl' CrItique sociale de l'oeuvre de Mlc~el Tremblay, blcn que la condition urbalnc décnte dans les Chromques du plateau Mont-Royal SOit certainement Iolgndïcatlve. Le mllicu est certainement aussi important chez Tremblay que le nord d~ la France chc/' EmlÏc

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Zola, la Callfornlc dam lc~ romans de John Stembeck, le Mldwest des Etats- Unis chez Theodor Drcl'icr, ou le Manhattdn dc John [)oo;; Pa~\o\, mal~ cette approche de la cntique littéraire (~urtout dan... la tradition Innovée par Gyorgy Lukac~ dans son livre remarquablc IdtJbéor!c du roman publIé en 1914-15) \e concentre trop, du mOins à mon aVI"', '1ur une analy ... c \oclologlque structurale ct hls,tonque. On ne peut pas. chez Tremblay, \e IIT1lIter au rédh~mc d~ LC~ romam Ce serait également incomplet de se limiter à l'approchc p~ychologlquc q~1 met t!"op l'accent ~ur le rôl~ des facteurs socio-culturel~ dan ... Ic~ névro~e\ d'une ~ociété ou d'un mdivldu. )] cst vrai qu~ les rêves ne manqucnt pas d:\O\ Ic~ Chronique!!., maJ~ même s'II~ eXistent en abondance, ce serait m\uftï\ant de \c b"rncr à une cntlque à la manière de la célèbre psychanalyste française, Mane Bonaparte, ~m tenIr compte dc la VIC quotidienne des personnages. Il ne s'agit pa~ du tout ICI du tI~trcam of conclousness" dam le stylc de vVIlham Faulkner, de T.S. ElIot ou d' I:ugcnc O'Neill, ni du surréalisme de Franz Kafka. Il était indispensable de

trouver Ull Juste ITIllicu afin de pouvOIr commenter également le côté réaliste de l'oeuvre

ct le fanta\tlquc ct le fabuleux utilisés par l'auteur pOUf donner à ces personnages un moyen dc ~ 'affirmer. Et c'cst à l'approche critIque JungIenne que Je me suis arrêté. En cc qUI concerne le~ archétypes d~rls la httérature, Il ne manque certainement pas

d'cxelllple~. Il \uffit de consulter Northrup Frye et The Educated IMa~Ination, ou Joseph Campbdl dan ... The Hem \Vlth a Thousand Faces. On n'est pas nécessairement obligé d'adhérer à toute~ les théorie., de Carl Jung afin d'appliquer l'approche archétypale à la littérature. On dOIt seulement rec~nnaître la répétitIOn de certains thèmes ou certains leitmotIVs qUI se produisent dans le corpus. Le nombre possible d'archétypes est

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évidemment vaste, mais nOlis pouvons pourtant délimiter notre tâche en les classant dans trois catégories générales bien distinctes les unes des autres. D'abord les personnages; nous trouvons par exemple la "femme fatale, Il (La belle dame san'\ merCI, de John Keats, Nana, d'Emile Zola, Carmen, dt Prosper Mérimée), le "père-tyran," (Le rOI Lear, de William Shakespeare, Le père Goriot, d'Honoré de Balzac), "le héîOs", <1~J!umLsonll~ le ~Ias, d'Ernest Hemingway), ou le "reJeton," (Notre Dame de Pans, de Victor Hugo). EnSUite, comme deuxième catégorie, nous avons les situations, telles que "k voyage", (L'Odyssée, d'Homère), "la mort et la renaissance," (commp les ~alsor,s ûam GermInal, d'Emile Zola dans lequel la grève se termme et le travail reprend au momt'nt où le

printemps arrive avec la reprise de la vie, après des mois d'maCdvlté; comme Blanchc-Neige qui revlCnt de la mort; commr ~ans Orphée de Jean Cocteau, ou comme dans Li!

Divine Comédie, de Dante, où le héros remonte de l'enfer). La trOIsième ct dcrnl~rc

catégorie des archétypes comprend les symboles et les associations, y compris Ic~ polarités comme "lumière-obscurité, 1

(la lumière représente le ~aVOlr, J'espOIr ct la pureté, tandis que l'obscurité est symbolique de l'ignorance, le dé~cspolr ou le mal), "eau-désert," (l'eau correspond il la renaissance, à la vie ct à la créativité tandiS que le désert fait appel à la stérilité et à la mort), "hauteur-profondeur, Il (la hauteur rappelle le ciel, la réUSSite, la révélation et la pureté, alors que la profondeur rcOète le rejet, le mystère, le piège, l'enfer et la mort). Selon Kelley Gnftith Jr., dans Wnti!lg..c\')ay~ about Literature, certains critiques expriment l'avIs que le sort des personnagc\ dans le~ oeuvres d'Ernest Hemingway dépend du terrain où ih sc trouvent. Tout va bien lorsqu'ils sont à la montagne, mais de sérieux problèmes se présentent quand II~

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s'aventurent vers la plaine ou la mer, et l'ordre fragile de leur monde commence rapidement à se désintégrer.

La critique an.:hétypale nous permet de comprendre la popularité de longue durée de certains écrits tels que la Bible, Oedipe-roi, les mythes grecs et les contes de fées. La critique ar',;hétypale nous aide également à saisir pourquoi certaines formes littéraires rejetées par les critiques demeurent si popu1dlres. Regardons par exemple les romans de Louis Lamour, San Antonio ou même Barbara Cartland. Certains sociologues essaient de temps en temps de se servir de la littérature dite populaire afin de situer la culture de ses lecteurs. L'accent par exemple sur le voyage ou le dépaysement suggère peut-être une turbulence ou une nervosité provoquées par un manque de racines. Une prédominance de femmes fortes et l'absence des pères de familles pourrait signifier la diminution des rôles masculins. Ces deux thèmes, nous allons le voir, se trouvent comme deux fils blancs à l'intérieur des Chroniques du plateau Mont-Royal.

Il est évident que les romans qui composent les Chroniques du plateau Mont-Royal contiennent une richesse énorme de personnages, de situations, de symboles, d'images ct de contes tirés de l'inconscient collectif. Dans sa première pièce importante -du moins au niveau de sa popularité -le jeune dramaturge montréalais décrit une étrange dynamique de morosité et d'impuissance. Et il le fait en se moquant d'un groupe de femmes de lél classe ouvrière qui luttent entre elles pour voler la majeure partie d'un million de timbres-prime gagnés par une des leurs, une certaine Germaine Lauzon. Elles sont toutes frustrées d'une façon ou d'une autre et se servent de ce "party de collage"

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organisé dans la cuisine de leur victime, comme d'un forum où elles peuvent se vider le coeur en déclamant leur rancune, leur haine, leur déprime collectIve et individuelle et leurs ressentiments. Les ChroniQues du plateau Mont-Royal tracent la vie de certaines de ces "belles soeurs", ainsi que celle des membres de leur famIlle. Tremblay nous décrit un tableau de tout ce qui se passait dans son quartier au moment où il est né, fils de la "grosse femme d'à côté", jusqu'à sa sortie de l'école primaire. Ils habitaient tous le plateau et demeuraient autour de la rue Fabre où est né l'auteur. Je ne compte pourtant pas du tout tracer ou explorer l'influence de l'enfance et de la jeunesse de l'auteur sur la genèse de ces chroniques. Il me semble évident que Tremblay se sert de ce qu'il observait pendant ses premières années. Ce qUI m'intéresse plutôt, c'est de traiter le comportement des personnages et de les analyser par rapport à certams des archétypes postulés par Carl Jung, notamment celui de la mère. Je pense que ces braves femmes qui se disputent les timbres··prime dans la cuisme Lauzon représentent un peuple égaré et déraciné, un peuple tiré du patrimoine de ses ancêtres pour être parachuté dans un milieu urbain stérile. Ces femmes se trouvent mal équipées, et ne peuvent pas s'adapter, mais se sentent obligées de s'aventurer dans une espèce de demi-monde dans l'espoir d'assurer leur survie, car aucun des personnages principaux semble pouvoir mener une vie conventionnelle. Les symboles, les images et les contes évoqués par Tremblay ne sont pas uniquement les souvenirs de son enfance et de sa jeunesse, mais représentent aussi -et nous l'avons déjà vu dans l'oeuvre d'Ernest Renan -ccux de l'i mage ancienne et primordiale qui existe en lui, c'est-à-dire des archétypes tirés de l'inconscient d'un peupl" souffrant de l'incapacité de s'adapter à un changement radical de son milieu.

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1 Ne pouvant se mettre en harmonie, ne pouvant se synchroniser, ce peuple dénonce J'environnement stériJe du béton urbain et se tourne vers le patrimoine paysan-cultivateur afin de se retrouver.

S, nous considérons les idées de Jung en ce qui concerne l'animus et l'anima, nous voyons que l 'harmonie tant cherchée par tout être humain dépend d'un subtil équilibre des côtés masculin et feminin. Se priver totalement de l'un ou de l'autre crée tôt ou tard des monstres. Sans avoir le père pour le guider, le peuple finit par se perdre dans le labyrinthe de la ville moderne, loin du contact avec ses souches à la campagne. Selon Jung dans Man and his Symbols, il est extrêmement important de mé';,ntenir cet équilibre et cette harmonie entre le côté féminin qui représente la paix intérieure et le père qui symbolise l'aventure du guerrier dont parle Carole Pearson dans son livre que nous allons consulter de plus près, The Hero Within. Une communion est indispensable; il faut éviter tout conflit, mais dans les Chroniques du plateau Mont-Royal, le père est absent. Il n'y a pas de Thésée pour couper la tête de la Méduse. Saint Georges ne se présente pas pour faire succomber le dragon. Personne ne vient délivrer les demoiselles dans le pétrin comme Andromède ou Ariane. Les habitants de la rue Fabre et leur voisins sont pleins de remords et de culpabilité devant cette incapacité de faire face aux exigences de l'époque, avec le résultat que leurs sentiments sont de plus en plus refoulés.

Cette répression des émotions se manifeste dans un comportement qu'on pourrait considérer marginal, dans des aberrations (aberrations compte tenu des rigueurs de la société à l'époque) telles que l'homosexualité, le transvestisme, l'alcoolisme, l'abus

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sexuel, l'abus physique, le négativisme, les déprimes aigùes et Iz résignation stoïque à l'état désespéré de leur sort commun. Il s'agit, bien sûr, d'une réaction contre les demandes insatiables des revendications de la vie impersonnelle qU'Ils se sentent obligés de mener dans le centre urbain qui se construit dans l'est de Montreal.

Je voudrais donc étudier ces archétypes dans les Chroniques du plateau Mont-~, et le plus important à mon avis est celui de la mère. Comme je l'al déjà constaté, l'équilibre nécessaire à 1 'harmonie individuelle et cdlectlve manque à tous ces personnages à cause de l'absence totale du père. Ils sont, du mOins d'une façon métaphorique, frigides et stériles, mécontents et sans espoir de ne Jamais pouvoir survivre isolés de leur patrimoine. Ces personnages subsistent difficilement -non pas au niveau matériel, car à force de s'être installés en ville, ils possèdent plus que leurs ancêtres et profitent du confort phySique offert en quantité dans ce nouveau terram inculte -mais les femmes deviennent de plus en plus amères, de plus en plus malheureuses malgré les avantages d'une société croissante de consommateurs. Les personnages sont donc des femmes mécontentes et contrariées, des enfants qUI sont en train de répéter les mêmes erreurs que leurs mères, des homosexuels, des figures d'autorité asexuelles peu contestataires, tout prêts à prendre le contre-pied contre leurs pairs qui osent s'opposer aux exigences de la société. Tous ces personnages sont eux-mêmes stériles, dans une situation devenue stérile et asexuée mais le désir mconscicnt de s'échapper de cette stérilité se manifeste dans leurs fantaisies et dans leurs rêves.

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Toutes les pressions de cette société inféconde provoquent chez les personnages une espèce d'asservissement-piège, une dépendance dans laquelle ils cherchent des plaisirs illicites et clandestins. Ceci provoque des émotions fortes, pleines de culpabilité et de remords qui éloignent les participants des normes acceptables de la société d'après-guerre. Le grand résultat? Ils se plongent et parfois ils se noient dans l'alcoolisme, dans l'abus physique et sexuel et dans toutes les iilberrations que nous avons déjà mentionnées. Ils se laissent aller au point où ils connaissent non seulement les déprimes intolérables maIs le martyre et même la mon. Les pauvres qui ne trouvent pas de comportement marginal pour se distraire cherchent à se consoler dans une autre sorte d'évasion. Impuissants devant la réalité de la ville et incapables de la quitter, certains personnages se tournent vers l'irréel et se désaltèrent à la fontaine des fantaisies et des rêves où figurent une multitude de symboles évoquant l'apparition du père perdu sous forme de vieux contes des pays "d'en-haut". Sans avoir recours aux distractions malsaines de la ville ou à des fantaisies, ils succombent totalement et se sacrifient à l'autel de la folie, se perdant dans les rêves déments de leur imagination. Si le comportement marginal des personnages dans les ChroniQues du plateau Mont-Royal représente une fuite réelle d'une communauté improductive dans le Montréal urbain des années quarante et cinquante, les rêves et les fantaisies des personnages plus délicats ou plus sensibles expriment une fuite irréelle.

Je voudrais donc tenter d'offrit one explication, dans un contexte jungien, du symbolisme des archétypes qui prolifèrent et dans les contes et dans l'imagination folle de quelques-uns des personnages tels que Marcel, Josaphat-le-violon et la louve

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d'Ottawa. A la page 33 de son livre Dreams, Carl Jung nous apprend qu'il n'est pas important de classer des rêves selon les critères subjectifs. I! est certain que les rêves typiques existent, mais nous allons nous limiter icI aux motifs qUI permettent une comparaison avec la mythologIe qui fait partie du savoir et qUI est tirée par conséquent de l'image primordiale, c'est-à-dire ce que Jung préfère appeler les archétypes. Joscphat et Marcel, l'ancien et le moderne, fouillent dans leur inconscient -qUI n'est nul autre que celui de leur peuple -pour enfin divulguer, l'un à sa famIlle, l'autre à lUI-même, une solution au malaise qu'a leur race à s'adapter à la vie moderne, sans profiter de la richesse de leur passé. Le romanesque évoque le côté positif de cette recherche, la folie exprime le côté négatif.

Tous ces personnages, et je compte les classer afin de donner des exemples de chaque catégorie, se mettent ensemble pour former une collectIvité de gens qUI ont plus de chance de survivre en groupe qu'\,ldividuellement. Au heu de demeurer stagnan!s ou de renoncer aux nouvelles valeurs de la SOCIété urbaine croissante, ils s'unissent pour former un tout cohérent qui lutte contre J'adversaire autoritaire représenté par la VIlle où ils demeurent et l'église qUI les forme. Sans vraiment le saVOIr, II~ se classent en groupes selon les catégories d'archétypes décrits par la docteure Carol S. Pearson dans son livre The Hero Withm. Ces six archétypes -l'innocent, l'orphelin, le martyr, le guerrier, l'aventurier et Je magicien- ne sont que leurs façons à eux de traIter cc malaise social. Ils se regroupent, ils se tolèrent-même si parfOIS Ils s'exaspèrent -à un moment dans l'histoire de l'évolution de leur peuple où ils n'ont absolument rien en commun avec ce qui les (',ntoure. L'église de leur jeunesse est devenue autoritaire; les écoles primaires

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" arrachent les enfants du sein de leur famille sans leur offrir de bonheur ou d'espoir pour

l'avenir; les mêmes ecclésIastiques qu'ils admiraient à la campagne sont devenus des m~tituteurs qUI sunt eux-mêmes frustrés par le dépaysement et par conséquent se servent de leur positIon tradItionnelle dans la ~ociété pour se purger de leur honte en punissant d'une façon systématique les enfants de leurs compatriotes.

Au heu d'habiter la campagne confortable, pleine de sécurité, les nouveaux montréalais se trouvent dans une ville dure et impersonnelle, pleine de pièges et de trahison. Ou Ils vont mourir déçus comme Victoire et la louve d'Ottawa, ou ils vont re perdre dans le demi-monde comme Edouard, ou ils vont se perdre dans la folie comme Marcel et Léopold Brassard. Peu nombreux sont ceux qui s'adaptent et encore moins nombreux sont ceux qui trouvent le bonheur. L'un après l'autre ils se rendent, victimes d'une lutte inégale, épuisés par le fardeau de leur existence minable. Les plus jeunes commencent ce calvaIre plein d'e~poir et d'enthousiasme, mais cette ardeur disparaît grad'Jellement avec l'âge et avec la réalisation que l'antagonisme qui les étouffe demeurera toujOUL) msurmontable. Ils deviennent amers. Ils se rendent compte qu'ils auraient dû rester à la campagne comme Josaphat~le-violon. Nous ne rencontrons que deux personnages qUI ne perdent jamais l'assurance qu'ils sortiront indemnes. Claire Lcmieux comprend que le vrai bonheur se trouve depuis des siècles à la campagne et que pour l'atteindre il faudra effectuer un retour aux sources. Elle compte y retourner avec son fils Claude qui voit Saint-Eustache pourtant comme étant un calvaire personnel. Madame Lemieux, dont la mort de son mari avait été une délivrance, donne sa démission chez Giroux et Deslauriers pour repartir vers ses origines. Elle s'est débarrassée du

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poids de son mari afin de redevenir fidèle à son patrimoine. Ellc veut travailIer dans un restaurant "tout près de l'église" (Le premier Quartier de la lune, (PQ), page 125) ct en rêvant de Saint-Eustache elle attend avec impatience "la douceur des soirs d'été à la beauté des nuits d'hiver... Les jours qui, tous, se ressembleralcnt parfaitement ct dans l'harmonie desquels elle pourraient .nourir." L'autre personnage qUi vit dans l'espoir? L'enfant de la grosse femme qui réussit à masquer ses hontes et ses peurs en se purgeant dans ses travaux académiques, et qui sait? dans son ambition de devenlT écrivam.

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L'archétype de la mère et l'absence du père.

Carl Jung nous apprend dans Four Archetypes que comme tous les archétypes, celui de la mère paraît dans une variété presqu'infinie de formes, mais la plupart apparticnner t à deux: catégories générales. Il nous cite d'abord la mère personnelle, qui peut être la mère elle-même, la grand-mère, la belle-mère: voire n'importe quelle femme qUi remplit un rôle féminin traditionnel dans notre culture. Ceci pourrait inclure par exemple celui de gouvernante ou d'infirmière, ou même d'une ancêtre éloignée. Quand il parle de la deuxieme catégorie. il indique les archétypes dans un sens figuré, tels le que les déesses et surtout la mère de Dieu ou la Vierge. La mythologie nous offre une plémtude d'exemples, et les contes populaires, ainsi que la littérature plus conventionelle sont remplis de syr.1boles comme le paradis, le royaume de Dieu, l'Église, l'Université, le Ciel, la Terre, les Bois et la Mer. Ils comprennent tous l'idée de fertilité, de chaleur, de bonheur et surtout de protection. Des objets creux comme les fours et les pots de cuisine sont par leur ressemblance à l'utérus des symboles typiques de l'archétype de la mère. Nous pouvons même ajouter à cette liste certains animaux comme la vache et la lapine qui sont toutes les deux symboles de la procréation.

Les qualités que l'on attnbue à la mère sont en général positives comme la sollicitude, la sympathie, l'autorité magique de la mère, la sagesse qui dépasse la raison, tout ce qUi fait croître et qui fertilise. Il est cependant important de souligner que dans certains cas le côté négatif et vengeur apparaît et réussit à dominer totalement les

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éléments positifs et affecteux du côté positif. La mère possède la capacité de dévorer sa progéniture, de garder des secrets et de nUire à la crOIssance de ses enfants, de séduire ses enfants, d'empOIsonner et même de tuer pour se venger d'lin affront inconnu de la victime. Jung nous dit que c'est dans Symbols of Transformation, (oeuvre qU'Il cite dans Four Archetypes,) qU'Il formalisa l'ambivalence des attnbuts de la mère. La Saintc-Vierge est à la fois la mère de Jésus et son calvaire; aux Inde~, Kali, paradoxe bl7.arre, devient "la mère affectueuse et terrible." [5]. Ce n'cst guère dlffércnt au niveau de l'individu ollon peut observer les traits de caractère, les attribut~ et les attitudes de sa mère, ou pire, effectuer des variations fantaiSIstes de ces traits en utIlisant une imagination vive qui peut parfois créer une personnalité malsame cl dangercll~c. 'l'cl

père. tel fils peut-être, mais quand le père est absent, comme nous allons le vOIr plus loin, c'est plutôt une question de telle r !'e, tel fils! Car les femmes dan'i les Chroniques du plateau Mont-Royal ne sont pas en elles-mêmes des archétypes -liauf bien sûr quand II s'agit de Rose, de Violette et de Mauve- maIs leur collectivité deVIent un archétype. Le malheur général des femmes adultes comme Albertmc, Mane Bras~f(l et la grosse femme elle-même est archétypal car celleS-CI, plu~ que n'Importe qUI, souffrent de l'amputation du patrimoine qu'elles avait connu très Jeunes. Sans le contact avec le passé, ces archétypes ont tendance à deventr des Méréotypes. Rose, Violette et Mauve représentent le passé campagnard, tandiS qu'Albertine el la grO')~c femme affirment la sténlité de la Ville. La Jouve d'Ottawa, avec ses nombrcux voyages entre la campagne, Ottawa et Montréal, proclame la nature troublée de cc peuple déracmé. Seule, Claire Lemieux semble savoir comment se sauver par un retour à Samt Eustache.

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L'archétype de la mère ~e préoccupe de tout ce qU'II y a de naturel, alors que celui du père représente le côté spIrItuel. Sibylle BIr1chauser-Oeri, autre analyste de l'école jungIenne, qUI mourrut en 1971, soulIgne dans son livre The Mother -Archetypal

Ifll~n FaIry Tale~, que les archétypes de la mère et du père représentent les deux pnncIpes Importants de toute eXIstence. On peut les appeler "logos" et "eros" comme Jung, ou comme les ChInOIS "yang" et "ym". Ils peuvent s'umr et former une harmonie poSItIve ou, par contre, s'opposer l'un à l'autre et créer le chaos. Le père symbolise le côté actIf et créateur, la mère le côté paSSIf el nourricier. PUIsque je souligne depuis le début l'ab~ncc du père, 11 est éVIdent que cette harmOnIe Idéale n'existe pas dans les ChronIques du plateau Mont-Royal. Le conflit n'existe pas non plus. L'absence du père crée un malaIse et une sténhté qui provoquent la honte et la culpabilité qui accompagnent un comportement marginaI, parfOIS clandestin.

Quelle est alors l'Importance du père? Et plus spécifiquement, comment cette importance se mantfesle-t-elle dans Les Chroniques du plateau Mont-Royal? Jung nous éclaire sur cc sUJct dans The Collected Works of Jun~, en expliquant que l'archétype du père détermine nos relatIons av,,'c autruI, avec la loi qui nous gouverne, avec l'état et avec le dynanllsme de la nature. "Le patrimoine Implique des frontières, une localisation définie dans l'espace, tandis que la Terre maternelle est en soi tranqUille et féconde. Le

père représente l'autonté." [6]. Le père est donc l'élément créateur et spirituel. Enlever le patrImoine d'un peuple c'est nuire sévèrement à sa croissance, car sans cette structure psychologique mnée qui détermine notre perception du rôle paternel, le peuple se débat en vain, estropié dans un environnement insolite. Andrew Samuels, membre

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de la Société de psychologIe analytIque de Londres, dlscutt~ quatre thèmes Importants dans son lIvre The Fathcr, ContemPQrary Jun~lan Per~pc~:tlve~ (7). Cc~ thèmc~

essentiels sont à la ba~e de l'mtluence du père qll1 c~t fon:émcnt .\h,cntc dall'. Lcs ChronIques du plateau Mont-Royal Prermèrcmcnt, Sarnucl~ propmc le thème de l'autonté per~onnelle et SOCIale. comme nom allons VOIr, le, pcr,onnage'i de MIChel Tremblay se rebellent contre l'autonté socIale ~flIi Jamal~ poUVOII régler le prohlèrne de l'autonté personnelle. Deux.ièmement, Samucls mentIonne le thème de l'évolution de .. idéaux et dt"s valeur!!. Je SUIS certam que le féut que Ic père e~t ab~cnt l't manquant dénote que cette évolution n'a pas encore eu heu !!lIf le plateau du Mont-Royal, du moto .. à l'époque que nOLIs consIdérons. TroIsIèmement, Andl cw Samuel, parle du développement de la sexualité et de l'IdentIté p~ychosexuelle le dévclopcrnent manque tellement aux personnages que nous allon~ étudier, qu'li lieraIt peut-être Ixwllhle de constater que personne -sauf, à la ngueur, le père de l'enfant dc la gro .. ,e fellllTle, Gabriel- n'a réussi à trouver l'équIlibre sexuel eXigé par le .. re~tnctIOIl" de l'époque Le dernier thème traite du rôle SOCIal ct culturel. On n'exagéreraIt pa., en d(\(11 ' qu'JI ~'aglt ici d'un problème qui préoccupe de plus en plus le peuple québéco(~, clIlquante an .. aprè\ la naissance de l'enfant de la grosse femme.

L'exIstence et l'activJte du père archétypal peuvent pourtant continuer à M:

développer malgré l'absence du père. On peut même ~ créer un père fantal.,l.,te: Edouard choisit la France, avec ~es résultat~ hornbles que nou., con'1al.,.,on\ Cclte évolution interne du père peut avoir comme résultat un p~yché troublé. ct à la longue, le stress ressenti par les personnages des Chrol11que3 du plateau Mont-Royal., 'cxpnmc

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dan~ une mteractlOn de problèmes maténels et émotifs. L'absence du père accompagnée

de~ problèmes sociaux et environnementaux provoqués par cette absence sont

mamfe~tement à la ~ource de ce malal~e.

Eva Sellgman, égalrment de la Société de psychologie analytique de Londres, donna en 1980 une conférence à ,'umverslté de la Colombie Bntannique, sur The Half Allve Onc~, [81. une étude du père man4Jant. Le texte fut présenté dans le livre publié par Andrew Samuels. Sehgma'i montre qu'il eXiste une collusion inconsciente entre la mère et l'enfant dont le rôle semblerait être une tentatIve de prolonger et de maintenir leur mterdépendance et, également, de satisfaire les C:ésirs et leurs aspirations à tous les deux. Le ré~ultat, scIon Sellgman, serait parfois l'émergence gJaduelle d'une mère omnIprésente, ~urprotcctncc et très inqUIète qui domine et contrôle son enfant. Dans les cas les plu~ sévères, la mère peut séduire, castrer, culpabiliser ou tyranniser en feignant une maladie. L'~nfant deVient frustré par l'ImpossibIlité de plaire, et incomplet à cause d 'une crOl~sance II1tellectuelle et psychologique Imparfaite.

Guy Corneau, analyste Jungien du Québec, reçut sa formation à l'Institut C. G. Jung à Zunch. Il donne régulIèrement des conférences sur la masculinité contemporaine et poJblia en 1989 son livre Père manquant. fils man~. Selon lui, l'absence du père et la plainte du fils se trouvent déjà annoncées par le mythe chrétien. Saint Joseph voit sa paternité mée, et les dernières paroles du Chnst furent "Père, pourquoi m'as-tu abandonné?" [9]. Corneau utihse le terme "manquant" dans un sens beaucoup plus général que le terme "absent"; mais lui aussi souligne l'absence d'esprit autant que

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l'absence émotive, c'est à dire qu'il pense que la présence physique ne suffit pas; il faut que le père participe d'une façon active et positIve à la croissanc~ de son cnfant.

Manquer de père, c'est manquer de colonne vertébrale, nous dIt Corncau. Il pense que l'absence du père produit un complexe paternel négatIf consIstant en un manque de structure interne. Corneau veut dIre par "structure" que chaque personne qui arrive éventuellement à l'âge adulte doit être éqUIpé d'un système de valcurs ct d'un équilibre pyschologlque qui sert à le différencier d'un enfant ou d'un adolescent qUI dépend de ses parents afin de survivre. Un Individu qUI possède cc complexe paternel négatif ne se sent pas structuré à ]'inténeur de lui-même. Ses Idées sont confuses. 1\ ajoute: "La marque d'un complexe paternel négatIf est donc le dé~ordrc interne qUI peut aller d'un sens superficiel de confusion jusqu'à la désorgamsation mentale." [JO). Face à cette réalité, les enfants cherchent à se détruire, à se purger dans des activités destructives. Plus une personne se sent fragile, plus elle tente de se créer une carapace extérieure qui protège. Corneau continue:

Les fils révoltés se structurent en adhérant à des bandes qui sont fascistes dans leur essence et qui obéissent au père primitif; les éternels adolescents, malgré leur anarchie apparente, cherchent des maîtres spirituels et, pour ce qUI est des alcooliques, ils n'arrivent même plus à cacher ce désordre interne. [Il

J.

La signature du père manquant demeure la fragilité de l'Identité mas\:uhne de son fils. Je soutiens que le même phénomène se prodUIt quand le peuple se sépare de ses racines traditionnelles. Je cor.1pte étudIer ce phénomène du fils "manqué" à cause du père absent dans les Chroniques du plateau Mont-Royal.

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La tradition de la critique archétypale, comme nous l'avons déjà vu, se base sur l'interprétation de trois catégories distinctes d'archétypes: les personnages, les situations, et les symboles ct les associations. Vu le fait que le père est absent, les personnages de ces cinq romans souffrent individuellement ou comme collectivité d'une suspension ou d'un abandon dans au moins un des quatre aspects de leur développement discutés par Andrew Samuels dans son livre The Father. Contemporary lun~ian Perspectives. [12]. Ces quatre aspects sont la croissance de l'autorité personnelle et sociale, l'évolution des idéaux et des valeurs, le développement de la sexualité et l'identité psychosexuelle, et de l'essor du rôle social et culturel.

Le fait que ce peuple s'adapte mal à la culture urbaine modeTJ'le se manifeste dans ce que j'appelle le comportement marginal par rapport à la société ambiante. Ce comportement marginal se détinit dans le contexte des valeurs sociales de l'époque et peut varier d'une légère fascination pour le monde du théâtre (Edouard) à une vraie aberration comme l'abus physique (Léopold) ou une obsession sexufUe (Gérard ilIeau). Ce comportement marginal ou inusité pourrait englober l'homosexualité, le transvestisme, l'abus sexuel, l'abus physique, le négativisme, l'alcoolisme, les déprimes aigües, la résignation stoïque et le martyre.

Je compte analyser le corpus et présenter, d'une façon systématique, des exemples des trois catégories d'archétypes et les évaluer sek:ï ies critères suggérés par Andrew Samuels, en me servant des illustrations d'un comportement marginal dans le cas des personnages, d'une société suffoquante dans le cas des situations et du cri au secours

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évoqué dans les contes, dans les rêves et dans les hallucinations, dans le cas des symboles et des associations.

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!

1&.s erreurs d'Edouard.

Vu le grand nombre de personnages qui peuplent les ChroniQues du plateau Mont-Royal -j'en ai compté plus d'une centaine dans le premier volume, commençant avec Victoire (GF page Il), et finissant avec Fine Dumas (GF 313) -il serait impossible et inutile de les classer tous afin d'ajouter du poids à la thèse que je suis en train de présenter ici. II suffit d'en choisir quelques-uns afin de démontrer qu'ils sont motivés par des archétypes dans le sens illustré par Carl Jung dont nous avons déjà discuté. J'obéis alors aux exigences et aux traditions de la critique archétypale. Puisqu'un appui convenable à cette thèse se base essentiellement sur une interprétation du comportement marginal de ces personnages, il était important de trouver des exemples qui offrent une idée de la variété de personnages décrits dans les chroniques. J'ai choisi huit personnages qui, il me semble, répondent à ces critères. J'ai décidé d'éliminer tout de suite Thérèse et Pierrette même si elles sont toutes deux les sujets d'un roman entier. J'ai l'impression que c'est plutôt la situation elle-même qui est archétypale, non pas les personnages décrits par l'auteur. Ce serait d'ailleurs difficile de placer les enfants dans cette catégorie si l'on veut parler d'une croisSélllce arrêtée. Ces deux jeunes filles sont seulement au le seuil de l'ado]pscence, et par conséquent, ne peuvent pas être considérées comme candidates pour soutemr un argument dont la preuve exige des comportements d'adultes. Je compte pourtant en parler davantage quand je traiterai la deuxième catégorie d'archétypes, celle des situations. J'ai également décidé de laisser de côté

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Josaphat-le-violon, Rose, Violette et Mauve, préférant les garder pour la tro~sième catégorie, celle des symboles et des associations. Il fallut un peu plus de délibérdtion, avant de prendre une décision concernant Marcel. Après plus de réflexion, je me suis convaincu que Marcel appartenait aussI à cette troisième catégorie. Nous verrons donc ces trois ~nfants plus tard. J'ai finalement fixé mon choix en sélectionnant trois personnages dont le comportement est non seulement typique, dans le sens qu'ils se cachent tous derrière une aberration quelconque afin de faire face aux difficultés imposées par les rigueurs d'un environnement hostile, matS démontre aussi une suspension ou une déviation de croissance dans au moins une des catégones déterminées par Andrew Samuels. Il va de soi que je pourrais inclure sans difficulté beaucoup d'autres personnages dans cette étude. Nous n'avons qu'à penser à Victoire, à Albertine, à la louve d'Ottawa, à Claire Lemieux ou à Marie-Lou Brassard. Le protocole pour la présentation de ce travail me limite cependant à cent pages. Ces élus sont, dans le désordre, la grosse femme elle-même, Gérard Bleau et, bien sûr, celui dont la vie demeure une métaphore pour le malaise de son peuple déraciné et dépaysé, la vraie vedette des ChroniQues du plateau Mont-Royal, l'inimitable Edouard.

Je vais commencer par ce dernier. Edouard est omniprésent dans le premier volume où son nom paraît dès la première page. (GF Il). Il est presque totalement absent du deuxième où son nom ne figure qu'en passant. (TP 202). Sa présence fleurit cependant en abondance dans les deux romans qui suivent; La duchesse et le roturier et Des nouvelles d'Edouard, où il devient incontestablement la véritable vedette des chroniques. On peut suivre sa vie du moment où il se souvient d'avoir travallJé chez

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Giroux et Laurier, (GF 218), jusqu'à sa mort dans un stationnement sombre au coin du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sainte-Catherine. (NE 43). Nous le voyons quitter l'emprise de sa mère, s'aventurer dans le monde brillant du spectacle montréalais, faire un voyage en Europe qui devient un échec monumental, retourner ensuite dans son pays d'origine comme un héros, prendre sa place dans la société de son choix, et finalement chuter et mourir comme un raté: malheureux, misérable et médiocre. Edouard n'est jamais méprisable, mais à force de lutter (avec brio et avec humour, il faut le di"e) contre son incapacité de se trouver une niche sociale confortable, il connait un échec total, mais, néamoins un échec qui peut émouvoir jusqu'aux larmes.

Ce qui nous concerne le plus ici, c'est une série de comportements marginaux et d'aberrations. Je voudrais donc expliquer une fois pour toutes ce que j'entends par les termes "comportement marginal" et "aberration". Le comportement marginal demeure à mon avis une conduite dé~pprouvée par la grande majorité de la population. Elle n'est pas mauvaise en elle-même, mais elle est inacceptable si l'on considère les moeurs et la moralité de l'époque. L'homosexualité, par exemple, fut beaucoup moins tolérée dans un Montréal catholique il y a cinquante ans que dans le contexte nord-américain moderne. Je propose que l'on puisse considérer les préférences sexuelles et vestimentaires d'Edouard comme faisant partie de son comportement marginal. En ce qui concerne l'aberration, j'entends le comportement où la conduite est anathématisée par toute la société, même parfois par le malfaiteur lui-même. Un exemple d'une aberration serait la préférence sexuelle la plus flagrante de Gérard Bleau, un autre serait l'abus sexuel souffert par Marie-Louise Brassard. A ces deux classifications de comportement

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marginal et d'aberration, il faudrait en ajouter une troisième, celle de la névrose, dont des exemples pourraient être l'obésité de la grosse femme ou celle d'Edouard, ainsi que la rage qui semble motiver les actions d'Albertine.

Edouard, fils préféré de Victoire, personnifie le dilemme de sa race éloignée de son patrimoine. Son père est absent, et au tout début des Çhroniqucs du plateau Mont-Royal, sa mère est omniprésente dans sa vie au point où cette présence le frustre. Il sc rend compte que cette dame qu'il aime tant nuit à la croissance de son être, ct au nivC<1u sexuel et au niveau social. On peut donc tracer l'histoire de la vIe adulte d'Edouard en commençant avec l'énorme influence de sa mère Victoire et on peut poursUIvre en constatant que le comportement margmal de cet homme obèse ct surprotégé consIste en trois éléments fondamentaux. Il démontre une préférence homosexuelle dans ses relations intimes, il devient finalement, après la mort de sa mère, travesti flagrant ct il souffre d'alcoolisme. Tout ceci fait d'Edouard le marginal le plus parfait. Lor~que la future duchesse de Langeais se débarasse finalement de la présence de sa mère -ct c'est elle qui se rend enfin compte au bout de quarante ans de surprotection que son fils bien-aimé est différent et qu'il a besoin de se créer un style de vie à lUI-Edouard essaie à deux reprises de se trouver. Il profite d'un certain succès la première fOIS quand Il fait son entrée dans le monde irréel du spectacle, maIs la deUXIème fois quand il part en France à la recherche d'un père symbolique, il subit un échec aussi gigante~que que lUI ct dont

il ne se remet jamais. A son retour à Montréal, il cherche à noyer ses problèmes dans les bars du centre-ville fréquentés par les travestis, tout en se vantant de ses réussites sociales à l'étranger. Comment le savons-nous? Il laisse la clef d'un de \;Cs meubles à

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Hosanna, nul autre que Claude Lemieux, anc'ien camarade de c1asse de son neveu, l'enfant de la grosse femme. Hosanna se sert de cette c1ef et nous raconte la vraie histoire de ce voyage désastreux en lisant le journal de la duchesse: "Quand je vas mourir, ouvre le tirOIr du bas de ma commode, pis essaye de rire une dernière fois à ma santé." (NE 33). Quel symbolisme! Le jeune Claude Lemieux refuse de rester à Saint-Eustache avec sa mère et Il gagne le droit à l'héritage de la duchesse. Celle-ci aurait dû chercher son vrai père à Duhamel, non pas en France. Hosanna aurait mieux fait de suivre sa mère et de reprendre le contact avec ses racines à la campagne. A force d'avoir faIt le mauvais choix, Edouard chute et passe quinze années en exil avant de mourir au point le plus central de la ville de béton, le coin de la rue Sainte-Catherine et du boulevard Saint-Laurent.

Edouard et sa mère passent une grande partie de leur temps à se battre, mais dans le fond ils donnent l'impression de s'aimer. A la maison, Edouard a sa place qui se trouve "juste en face de sa mère." (GF43). Il est toujours flamboyant et même avant l'époque où il commence ouvertement à se déguiser en femme, il se parfume généreusement avec de l'eau de "cologne Lotus de Yardley." (GF 33). Il chante souvent à tue-tête des airs comme "Heureux comme un roi," imitant "parfaitement la voix de Robert L'Herbier, l'idole de sa mère et donc son rival à lui." (GF 45). Il se rend compte pourtant, à l'âge de quarante ans, que le temps qu'il passe avec sa mère l'empêche de poursuivre d'autres activités que la brave Victoire désapprouverait sûrement. Le principal de sa vie se déroule entre les murs de sa mère dont la présence

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fait tellement partie de lui qu'il la voit comme faisant partie de son système nerveux. L'idée de la perdre le terrorise mais il sait que sa mort serait pour lui une délivrance:

Tant que sa mère vivrait il ne pourrait que barboter dans lél frange de sa volonté, à elle, évoluant autour d'elle \,:omme un satellite dépendant, soumis à des lois qui ne sont pas les siennes, privé complètement de toute autodétermination et, surtout, de choix, et du jour où elle cesserait de vivre, il mourrait peut-être avec elle, désarmé, débranché, désoeuvré. pantin désarticulé qu'on oublie dans un coin et qui s'empoussière dans l'indifférence générale, à moins qu'il ne fleurisse tout à coup, expérimentant tous ses printemps en même temps, exubérant, débordant, défoncé de joie, ivre de liberté, au centre de lui-même, enfin, tenant les rênes d'une main ferme mais folle et chevauchant à bride abattue pour rattrapper le temps perdu. (GF 221),

Malgré toute cette délibération de la part d'Edouard, c'est Victoire qUI provoque la séparation, ayant appris, assez tard Il faut le dire, qu'elle le gardait au md depuis bien trop longtemps. Cela est heureux pour Edouard car il n'aurait jamais eu le courage d'annoncer ce qu'II ressentait ou de "parler de l'étouffement malsain que représentait pour lui la maison." (NE 3(0). Il n'ajamais ose révéler qu'il avait peur que la liberté ne vienne jamais maintenant qu'il a bel et bien dépas~é le cap de la jeunesse. VictOIre la lui donne, cette liberté: "Va-t-en Edouard ... Ca va être tellement plus simple si t'es pas là quand les autres vont revenir pour le réveillon". (NE 302). Il l'aime plus à ce moment qu'à n'importe quel autre pendant leur vie tumultueuse ensemble, mais Il saisit l'occasion des deux mains et fuit la maison. (NE 302). Il est enfin libre.

Nous avons déjà discuté de l'archétype de la mère ainsi que de l'effet du père absent sur l'enfant. Jung, Samuels, Seligman et Corneau semblent être unanimes. Le phs grand effet psychique sur l'enfant demeure toujours l'influence des parents. Ceci est encore plus vrai lorsque l'on parle de la sexualité. La confusion qui entoure l'identité

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sexuelle commence à se manifester dès l'enfance et les premiers contacts avec les parents. Si les deux parents ont une présence plus ou moins égale, il existe de fortes chances que la sexualité de l'enfant évolue normalement. Ce n'est pas le cas jjes personnages que Michel Tremblay décrit pour nous dans les ChroniQues du plateau Mont-Royal. Ceux-cI souffrent énormément du dépaysement, nous l'avons déjà constaté, et aucun individu n'en souffre jJlus qu'Edouard. Les ~v~ns entre lui et sa mère sont devenus très forts pendant l'enfance du fils préféré, et ils se sont visiblement renforcés pendant l'adolescence ct l'âge adulte. Ce serait trop demander de les briser carrément après quarante ans de protection, sans qu'il y ait des cicatrices. Pour citer Seligman, "La mère devient l'autorité morale, l'enfant peureux ayant besoin d'approbation." L'enfant constamment en contact avec la mère-poule omniprésente repousse le concept du père absent et, dans le cas d'Edouard, laisse l'anima dominer presque totalement l'animus. L'équilibre nécessaire à ce que l'on pourrait traiter de croissance normale est manifestement absent che .. :.!ouard. Un comportement marginal s'ensuit et ceci éclate avec l 'homosexualité, le travestisme et l'alcoolisme.

L'homosexualité d'Edouard ne serait pas trop importante en ce qui concerne cette thèse si le vendeur de chaussures n'avait pas de difficulté à accepter son orientation sexuelle, si en somme il était bien dans sa peau. Ce n'est malheureusement pas le cas. H "avait honte que "ça" se sache. Il (DR 142). Il se promène en costume rose, fréquente les prostituées sans vouloir coucher avec elles, mais il ne se sent pas à l'aise. Il tombe amoureux de Samercette, un homme qu'il rencontre "au magasin de chaussures où il

travaillait." (DR 141). Mais personne ne parle de

"ca".

Cependant, le poids de cette

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orientation sexuelle marginale le fait tellement souffrir et devient un si grand fardeau, qu'un t·("au soir d'août 1945, il sent le besoin de se confesser à sa belle-soeur, la grosse femme. (DR 139). Il lui annonce carrément après une courte période d'hésItation: "J'al rencontré quelqu'un." (DR 141). Il parle à sa belle-soeur, mais se terrorise en pensant à sa mère. La gros4iie femme lui demande si Victoire est au courant ct la réponse révèle cette peur bleue: "Etes-vous folle, Vous? A me tuerait. Ou ben donc a' feraIt semblant de ne pas comprendre, comme d'habitude." (DR 144).

Tremblay ne parle pas beaucoup de l'homosexualité d'Edouard. Il est ccrtam que l'aspect le plus documenté du comportement marginal d'Edouard demeure le travestisme. On se doit pourtant de considérer ce que signifie cette confeSSIon à sa belle-soeur. Premièrement, cette conversation souligne qu'Edouard est bel est bien homosexuel. Les activités sexuelles sont rares dans les Chroniques du plateau Mont-Royal, à part l'activité chez les prostituées Betty Bird et Mercedes, (GF 26 et DR 114), et la masturb:ttion de Richard. (GF 137). Deuxièmement, elle souligne la psychologie de culpabIlité qui pousse Edouard à s'ouvrir à la grosse femme. Richard y fait allusion:

Son oncle lui avait parlé de choses qu'il ne connaissait pas, avaIt avûué des fautes qu'il ne comprenait pas et lui avait demandé l'absolutio!1 pour des péchés qu'il avait semblé inventer de toutes pièces juste pour troubler sa tête d'enfant. Mais n'était-ce pas uniquement du délire d'homme paqueté qui divague au petit jour pour exorciser des fantômes trop grands pour lui? (GF 54).

Troisièmement, nous pouvons expliquer cette orientation sexuelle causée en grande partie, selon les jungiens comme Corneau, par l'absence totale d'un père. Ceci fait d'Edouard la personnification de sa race. La Poune parle pour tout le monde, sur la scène du Théâtre national bien sûr:

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Elle fit quelques cabnoles, son célère sourire envahit son visage, elle envoya quelques tatas aux femmes des premiers rangs qu'elle aurait pu toutes nommer par leur nom et se lança dans cette chanson thème du Théâtre National qu~ tout le monde connaissait par coeur et qui promettait tant de mes, tant d'oubli: C'est pas d'ma faute si j'suis v'nue au monde comme ~a. C'est pas de ma faute c'est d'la faute à poupa! (DR 55).

Guy Corneau prétend que "la femme est, l'homme doit être fait." [13]. Des rites d'imtlatlon des adolescents sont tellement répandus qu'il se demande si la masculinité du fils s'éveilleraIt si elle n'était pas forcée. Au tout début de la grossesse les caractères masculins de l'embryon ne sont pas discernables. Corn eau ajoute que cette réalité biologique semble expliquer pourquoi l'identité mâle a constamment besoin de renforcement. Elle doit être soutenue régulièrement par d'autres présences masculines pour pouvoIr devemr stable. Dans d'autres cultures, comme par exemple le monde tribal, l'Identification au père suit l'identification à la mère. Dans la nôtre, il arrive souvent qu'à l'âge de la puberté, le fils d'une famille monoparentale exprime le désir d'aller vivre chez son père. "Mais, pour que le fils se reconnaisse dans son père, il faut que le père SOit là." [14].

Robert H. Hopcke nous instruit beaucoup plus sur la question de l'homosexualité et du travestisme dans son livre Jun&. Jun&ians and Homosexuality. Après avoir analysé l'évolution de la pensée de Jung au sujet de l'homosexualité en commençant avec les premières études chez Eugen Bleuler et Pierre Janet, en passant par la brouille avec Sigmund Freud, Hopcke termine avec l'affirmation que l'homosexualité, loin d'être une maladie, une déviation ou une aberration est une variante compréhensible de l'orientation sexuelle d'un individu, une fois que l'on comprend la formation de cet individu. Hopcke

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nous offre ceci comme synthèse. L'enfant d'une mère narcissique Cl d'un père absent

ne connaît pas de vrai amour. Le besoin de cet amour qlll ne Vient pas dCI; source~ traditionnelles peut parfois se manifester dans des fantaisies homosexuelles. Dans la psychologie de Jung et celle de ses adhérents, l'hommexuahté elle-même est secondaire. "moins importante que la dynamique des émotIOns dans la famille." (15). I:n réllumant la pensée de Jung, Hopcke continue. L 'homosexualité n'c~t pa~. toul '1I11plcmcnt. le résultat d'un complexe vis à vis de la mère. Elle n'est pas non plu, un dé~qllllJhrc enlrc l'animus et l'anima chez l'indIvidu. Elle reflète plutôt une Image II1cc~tueu,c 4U1 domlnc l'âme dont le pouvoir reste dans un lien entre le ~Ol et l'archétype d'accomphs!I4.!mcnt. En d'autres mots, certains éléments manquent à l'évolution ou à la crols~ncc dc l'identité sexuelle de l'indiVidu. Pour Edouard c'eM l'absence du père. pour Ic, enfants des anciens cultivateurs c'est la séparatlon de leur patnmolOc.

Un travesti peut être un acteur qui joue un rôle féminll1. comme dans lLnc fête travestie de Marcel Proust, ou, et il s'agit sûrement ICI du cas d'Edouard, un homo\exuel fardé comme une femme et qUl a parfois des caractères sexuels \ccondalrcs fémIl1Hl\, naturels ou provoqués. Le beau-frère de la grosse femme ne po~~ède pa~ dc caractéristiques physiques fémimnes -II nous apprend que l'idée de ~e faire opérer ne lui vint jamais à l'esprit, (NE 26) -mais Il est éVident que l'absence d'un père dans sa VIC accorde plus de puissance à l'archétype de l'androgyne. Pendant le Vivant de ~a mère Victoire, Edouard démontre une préférence neUe pour des vêtements dc couleurs vive~, et ceci à l'époque où la mode des hommes adopte plutôt des couleurs sombres telles que

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le grIS et Je noir. Son côté travesti se cache pourtant au sein de sa fam iJIe , mais il se révèle finalement à la grosse femme:

Un prince, ça se tient raide pis ça J'a l'air constipé même quand c'est beau! Une pnncesse, ça peut faire c'que ça veut pis, au moins, ça peut s'éventer avec des plumes d'autruche quand y fait trop chaud! Pis ça peut rire fort en se pliant par en arrière! Je l'sais que tout ça c'est rien que dans les vues pis dans les pièces de théâtre pis dans les romans mais c'est là quej'veux vivre! Vous m'avez passé L'histoire des Treize, de Balzac, y a qucqu'mois,pls je l'ai dévoré en deux soirs! Ca m'a tellement pâmé que j'en ai pas dormi pendant des jours! Surtout

La

duchesse de Laneeais, que j'al lu trois fois parce que j'me disais que tant qu'à être fou, j'voudrais être fou de même! (DR 146).

Blcn que l'idée de se présenter ouvertement soit compromise par une peur bleue de la réaction de ~ mère, il est facile d'observer comment l'archétype de l'androgyne le possède de plus en plus. Edouard ressent le besoin de se révéler à Madame Pétrie:

Des fOIS quand je vais chez Samarcette ... J'ai pris l'habitude de faire des imitations. Icitte, aussi au poulailler ... J'imite toutes sortes de monde ... Mae West, Tallulah Bankhead, Bette Davis, Suzy Delair, Danielle Darrieux ... " (DR 127).

Ce n'est qu'à la mort de sa mère que l'obèse vendeur de souliers décide de se déguiser en public. L'évolution est toujours claire et nette. Victoire le met à la porte, (DR 302). Edouard apprend la mort de sa mère. (DR 334). Il en souffre énormément, mais pendant cette période de catharsis il se découvre:

Sa mère morte, il n'aurait peut-être plus de ces scrupules qui l'empêchaient de s'assumer et de faire les folies dont il avait besoin pour s'affirmer. Il était sûr, maintenant, qu'elle n'aurait pas honte de lui! Il avait passé son enfance à séduire sa mère, son âge adulte à entretenir cette séduction et ressentait un immense soulagement à l'idée qu'il pouvait désormais diriger ses énergies ailleurs. (DR 336).

La transformation prend de l'allure. Il se déguise d'abord en clown pour faire rire les enfants, et il finit par embarrasser les adolescents et les adultes. (DR 358). Il

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devient tout de suite Edouard-la-duchesse. (DR 357). Il décide que s'il n'a pas assez de talent pour monter sur une scène, il va se faire une réputation dans un autre oomaine, celui des travestis où tout le monde rira avec lui et finira par l'accepter pour ce qu'il est. Il se présente alors au concert offert par Tino Rossi au Plateau où il vcut scandaliser sa famille. Seule la grosse femme peut le retenir. (DR 358). Plus tard la transformation est complète: " .. une corpulente femme, un peu défaite mais autoritaire et imposante, sc présenta à la réception du Ritz Carlton." (DR 371). Elle lance son défi à Montréal comme un autre héros de Balzac. Edouard adopte plus tard le sobriquet " la duchessc de Langeais," (NE 39), malS ce soir-là il est bel et bien Eugène de Rastignac.

Robert H. Hopcke consacre un chapitre entier à l'archétype de l'androgyne. Selon ce psychothérapeute dans le style de Carl Jung, les premiers explorateurs français en Amérique du Nord utilisaient le terme "berdache," [16], pour désigner un certam personnage qu'ils trouvaient dans beaucoup de tribus amérindiennes: un mâle, habillé en femme qui accomplissait les tâches traditionnellement atttribuées aux femmes et qui occupait une position de prestige dans la communauté. L'église catholique fit tout son possible pour éliminer cette "aberration'" mais sans totalement réusm. Le corcept de "berdache" ain~i que son histoire offre une forme sociale et psychologIque à l'expérience homosexuelle qui comprend les côtés masculin, fémimn et androgyne. Le modèle de l'androgyne a des racines archétypales et Jung suggère que l 'homosexualIté peut être non seulement l'identification de l'individu avec le côté féminin, mais aussi le résultat d'une personnalité croissante influencée par l'archétype de l'hermaphrodite. Blcn comprendre le travesti nécessite de comprendre que l 'homosexualité est une réalité spirituelle séparée

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de J 'hétérosexualité tant révérée par l'Eglise catholique. Le remords et la culpabilité qui empêchent Edouard ct ses semblables de faire face au fait qu'ils sont différents sont dûs aux contraintes des moeurs de l'époque non pas à des activités criminelles ou antisociales. SI toute orientation sexuelle e~t Je résultat d'un confluent des trois archétypes fondamentaux; Je masculin, le féminin et l'androgyne, le travesti n'est pas une créature étrange et risible comme le prétend Samarcette, (DR 315), une "abomination" comme J'affirme l'Eglise catholique à travers la bouche de la grosse femme, (DR 143), ou un phénomène inacceptable comme le déclare Madame Pétrie: "Un homme habillé en femme, au National! Mais mon pauvre Edouard, tu vas te faire tuer!" (DR 127).

Le choix sexuel d'Edouard est influencé par l'absence du père. Ce choix est renforcé par une mère omniprésente, comme le dit Seligman. Mais l'archétype de l 'androgyn~ offre une troisième explication. Au niveau individuel, TIdouard apprend à mieux se sentir dans sa peau, tout en refusant de se laisser domjner par Jes exigences d'une société oppressive. Sa chute inévitable comporte un aspect positif. Malgré les apparences, Edouard se sert de son homosexualité pour sortir du piège de la société matriarcale stérile. Coupé de son héritage, il fait de grands efforts pour s'adapter à son milieu urbain. Les raisons de l'échec d'Edouard ne se trouvent pas dans sa sexualité. Au contraire, la sexualité de ce vendeur de chaussures contribue à sa vision d'un avenir positif. Son échec est causé par deux mauvais choix. Rejeté par sa famille, et par

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société qui le trouve ignoble, il cherche une autre communauté où il pourrait briller: le théâtre. Il n 'y fait pas long feu. Il cherche un autre père en Europe pour équilibrer les côtés masculin et féminin, mais il est rejeté encore une fois. Ceci le met sur }p ~hemin

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