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Les écrivains de La Relève et la pensée romanesque : critique et pratique du roman chez Robert Charbonneau, Robert Élie, Jean Le Moyne et Hector de Saint-Denys Garneau

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(1)

Les écrivains de La Relève et la pensée romanesque.

Critique et pratique du roman chez Robert Charbonneau, Robert

Élie, Jean Le Moyne et Hector de Saint-Denys Garneau

Thèse

Andrée-Anne Giguère

Doctorat en études littéraires

Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

(2)

Les écrivains de La Relève et la pensée romanesque.

Critique et pratique du roman chez Robert Charbonneau, Robert

Élie, Jean Le Moyne et Hector de Saint-Denys Garneau

Thèse

Andrée-Anne Giguère

Sous la direction de :

François Dumont, directeur de recherche

Isabelle Daunais, codirectrice de recherche

(3)

iii

Résumé

Cette thèse porte sur quatre écrivains ayant contribué de manière considérable au réseau à l’origine des revues La Relève et La Nouvelle Relève (1934-1948), soit Robert Charbonneau, Robert Élie, Hector de Saint-Denys Garneau et Jean Le Moyne. Fondé sur la poétique et l’usage des genres littéraires et des modes du discours, ce travail cherche à comprendre quelle pensée romanesque se dégage des essais de ces écrivains et comment cette pensée se répercute dans leurs textes romanesques. Le corpus analysé est constitué de tous les numéros de La Relève et La Nouvelle Relève et des principaux écrits publics ou inédits (disponibles à ce jour) des quatre écrivains susmentionnés, et ce, dans l’optique de ne pas restreindre la pensée de ces écrivains à l’idéologie qui se dégage de leur revue. La première partie de la thèse porte sur l’influence de trois romanciers phares à La Relève : Bernanos, Dostoïevski et Proust. C’est notamment à la lecture de ces romanciers que Charbonneau, Élie, Le Moyne et Garneau construisent leur discours idéaliste sur le roman, sur sa pratique, mais aussi sur son usage. La deuxième partie de la thèse départage les lectures romanesques françaises et anglo-saxonnes à La Relève, éclairant du même coup les positions souvent divergentes des membres du groupe à l’égard du roman, mais également à l’égard des référents culturels étrangers. La troisième partie analyse la transformation du discours sur le roman lorsqu’il se rapporte au roman canadien-français. Moins admiratif, plus pragmatique, ce discours vise à accompagner la naissance d’une littérature moderne au Canada français. La quatrième partie de la thèse se consacre aux romans de La Relève. Elle permet de confronter l’art du roman de ces écrivains à leur pratique concrète tout en tenant compte de leurs différences : si Robert Charbonneau et Robert Élie ont publié des romans, Saint-Denys Garneau n’a laissé que des esquisses, tandis que Jean Le Moyne utilise le mode romanesque dans sa pratique d’autres genres littéraires. Le rapprochement entre leur pensée romanesque et leur pratique individuelle permet d’éclairer autrement la faillite du roman de ce groupe, qui est pourtant l’un des premiers dans l’histoire littéraire au Québec à avoir utilisé le genre romanesque dans la constitution de sa vision du monde.

(4)

IV

Table des matières

Résumé... iii

Table des matières ... IV Remerciements ... IX Avant-propos ... X Introduction ... 1

Prédominance du roman ... 6

La poésie et l’ombre de Jacques Maritain ... 7

État de la recherche ... 11

Architecture de la thèse ... 19

Première partie : Trois œuvres phares ... 24

Lectures de Bernanos ... 25

Bernanos au Canada français ... 25

Le point de vue de La Relève ... 27

Saint-Denys Garneau et le suicide de Mouchette ... 31

Robert Charbonneau, Bernanos, les damnés et les saints ... 34

Jean Le Moyne et le prophète Bernanos ... 36

Conclusion ... 39

Lectures de Dostoïevski ... 40

Vivacité du personnage dostoïevskien ... 41

Dostoïevski, romancier psychologique ? ... 43

Dialogisme des Karamazov ... 45

Conclusion ... 48

Lectures de Proust ... 50

Proust, les mœurs et le Canada français ... 50

Jean Dufresne, Berthelot Brunet et la morale chez Proust... 52

Robert Charbonneau et l’intuition proustienne ... 55

Expérience proustienne chez Robert Élie ... 57

Proust contrapuntique ... 59

Conclusion ... 63

Deuxième partie : Se former à l’étranger ... 64

La différenciation française et anglo-saxonne ... 64

L’inévitable référence française ... 65

Choisir l’anglais : pragmatisme ou fatalisme ? ... 67

L’esthétique anglo-saxonne : ambivalence et contradictions ... 70

Regards de La Relève sur le roman français ... 74

Saint-Denys Garneau et cinq romanciers contemporains ... 74

François Mauriac et Marcel Jouhandeau : le traitement du mal ... 74

Alphonse de Châteaubriant : le dépouillement en question ... 77

C.F. Ramuz et Julien Green : exemples d’authenticité ... 79

(5)

V

Problèmes de la moralité et du moralisme ... 82

Le roman moral en théorie ... 83

« Mauriac », 1934 ... 85

Mauriac dans « Connaissance du personnage », 1944 ... 86

Mauriac dans La Relève... 88

Robert Charbonneau et les cycles romanesques ... 90

Une démarche extérieure à l’art du roman ... 90

Des personnages sans âme ... 91

Jean Le Moyne et l’exigence de la double nature ... 94

Marcel Jouhandeau : diabolisme et diablerie ... 94

François Rabelais : le rire et la sagesse ... 96

Robert Élie en dialogue avec Gide, Malraux et Camus ... 99

« Gide et l’expérience communiste » ... 100

Imitation et innovation en architecture (Malraux, Gide) ... 101

« Réflexions sur le dialogue » (Malraux) ... 102

Nouvelle rencontre avec Gide ... 106

Hommage à Camus ... 107

Conclusion ... 108

Regards de La Relève sur le roman anglo-saxon ... 110

Lectures anglaises de Robert Élie ... 110

Saint-Denys Garneau : entre Charlie Chaplin et Katherine Mansfield ... 112

Katherine Mansfield ... 113

Le comique ... 115

Robert Charbonneau : nommer les références américaines ... 117

Références anglo-saxonnes dans Connaissance du personnage et « Aspects du roman » ... 118

Références anglo-saxonnes dans La France et nous ... 121

Les lendemains de la querelle ... 123

Jean Le Moyne, le comique et le dialogisme ... 125

Samuel Pickwick et les frères Marx : un art comique ... 125

La leçon de Henry James ... 128

Scott Fitzgerald : le mauvais moment ... 131

Conclusion : usage des références anglo-saxonnes à La Relève ... 133

Troisième partie : Une génération orpheline ... 135

Présence du roman canadien-français dans la revue ... 135

Saint-Denys Garneau : regards sur deux aînés ... 137

Claude-Henri Grignon ... 138

Félix-Antoine Savard ... 139

Robert Élie et le roman canadien-français ... 141

Anne Hébert ... 142

Robert Charbonneau ... 144

Naissance de la littérature canadienne-française ... 149

Robert Charbonneau et le roman canadien-français ... 153

Solitude du jeune romancier ... 153

La France et nous : autonomie littéraire et fierté nationale ... 156

Enseigner le roman canadien ... 159

Menaud : entre poésie et roman ... 161

Jean-Jules Richard : se libérer de la guerre ... 162

Ringuet : le visible, le tragique ... 163

Yves Thériault : animalité de l’homme ... 164

Germaine Guèvremont ou la condition féminine ... 166

Gabrielle Roy : misère et vide intérieur ... 169

(6)

VI

Jean Le Moyne et le roman canadien-français ... 176

Forces et faiblesses de Robert Charbonneau ... 176

La tâche écrasante du romancier canadien-français ... 178

Un problème symbolique : le couple et la femme dans le roman ... 179

Conclusion ... 187

L’art du roman de Robert Charbonneau ... 190

Le personnage vivant ... 191

À l’école du roman ... 194

La transposition ... 195

L’épreuve du roman ... 198

Robert Charbonneau et ses personnages ... 212

Les fourbes et le saint ... 212

Ils posséderont la terre ... 213

Fontile ... 215

Les désirs et les jours ... 217

Les envoûtés, les prisonniers ... 222

Aucun chemin n’est sûr… ... 222

Aucune créature ... 228

Chronique de l’âge amer ... 238

Conclusion ... 243

L’art du roman de Robert Élie ... 245

Le roman, une aventure en zone morte ... 245

Le roman, une aventure hors de ce monde ... 246

Les romans de Robert Élie ... 250

Marcel Larocque, Charlie Lamont et Marie-Justine : faillite du dialogue ... 250

Jeanne Larocque et Pierre Grégoire : des personnages en lutte ... 259

L’élan vers les autres ... 263

Dialogue et politique ... 269

Conclusion ... 271

Essais romanesques de Jean Le Moyne ... 273

Le Bon Larron ... 273 Itinéraire mécanologique ... 276 La rêverie ... 279 Distanciation ... 281 Personnification ... 283 Conclusion ... 286

Esquisses romanesques d’Hector de Saint-Denys Garneau ... 289

Le « recueil » de 1929-1932 ... 289

« L’automne des esquisses » ... 290

« Imposteur » : l’attente ou la mort ? ... 293

Agathe ou l’impersonnalisation ... 299

Conclusion ... 301

Pensée romanesque et pratique du roman... 303

Conclusion ... 305

Bibliographie ... 312

Corpus à l’étude ... 312

Fonds d’archives consultés ... 312

Textes publiés ... 312

(7)

VII

Sur La Relève et La France et nous ... 315

Sur Robert Charbonneau ... 316

Sur Robert Élie ... 318

Sur Hector de Saint-Denys Garneau ... 319

Sur Jean Le Moyne ... 321

Sur Berthelot Brunet, Claude Hurtubise et Louis-Marcel Raymond ... 324

(8)

VIII

(9)

IX

Remerciements

Je tiens à remercier le Conseil canadien de Recherche en Sciences Humaines (CRSH), le Centre de recherche interdisciplinaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ), la Faculté des lettres et le Département des littératures de l’Université Laval d’avoir contribué au financement de cette recherche. Je remercie également le personnel de Bibliothèque et Archives Canada, Monsieur André Biron et Madame Anne Hurtubise, le personnel de Bibliothèques et Archives nationales du Québec et du Centre Lionel-Groulx, les membres de la Fondation Hector-de Saint-Denys-Garneau, le personnel de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet et de la Division des manuscrits occidentaux de la Bibliothèque nationale de France.

Pour leurs questions inspirantes et leurs suggestions au long de mon parcours, j’aimerais exprimer ma gratitude à Madeleine Frédéric, Albert Minguelgrün, Cécile Vanderpelen-Diagre, Gilles Marcotte, François Ouellet, Patrick Guay, Michel Biron, Lakis Proguidis, le père Benoît Lacroix, Cécile Facal et Michel Lacroix.

Les membres du CRILCQ, plus particulièrement les habitués du DKN-7160 entre 2000 et 2006 n’imaginent pas à quel point leur soutien m’a été essentiel. René Audet, Marie-Andrée Beaudet, Annie Cantin, Guy Champagne, François Dumont, Marie-Andrée Mercier, Richard Saint-Gelais, Denis Saint-Jacques, Chantal Savoie : chaque midi était une fête intellectuelle. Vous ne m’avez pas seulement transmis des connaissances et une méthode de travail, vous m’avez appris informellement à connaître le métier d’enseignant et à comprendre le sens du mot collégialité.

Ces dernières années, j’ai été portée par les encouragements de mes collègues et amis. Remerciements interdisciplinaires à Annie Bélanger, Edward Berryman, Lisa Birch, Gordon Brown, Denis Côté, Meagan Daley, Bruce Gilchrist, Isabelle Guy, Warren Hinkson, Geneviève Jacques, Marie-Christine Lalande, Suzanne Lemay, Daniel Perreault, Martin Poulin, Caroline Savard et Patrick Savard.

Cette thèse n’aurait pas vu le jour sans l’appui indéfectible et les lectures patientes de François Dumont et d’Isabelle Daunais, qui m’ont fait confiance en dépit de mes multiples engagements et du temps qui passait. Je leur dois beaucoup.

L’écriture commande un certain isolement. Je tiens à remercier Louise Caron, Guy Giguère, Céline Jacques, Fernand Perron, ainsi que le reste de ma smala, d’avoir su respecter ma retraite et d’avoir si chaleureusement entouré mes petits durant le temps de l’écriture.

Enfin, merci Philippe pour toutes ces années passées à m’encourager, à m’aider à me relever et à croire, bien souvent plus que moi, que j’y arriverais.

(10)

X

Avant-propos

Les articles suivants ont été publiés durant mes recherches et certains passages ont pu en être repris dans le cadre de cette thèse. Ils constituent des étapes préliminaires à la rédaction de la présente étude dont je certifie être la seule auteure.

« Robert Charbonneau et le secret du roman », dans L’Atelier du roman, no 46 (juin 2006), p. 69-78.

« Usages de l’essai chez Anne Hébert et Saint-Denys Garneau », dans Les Cahiers Anne

Hébert, no 7, Université de Sherbrooke – Fides, 2007, p. 115-124.

« Portrait de l’essayiste en Karamazov. Les Convergences de Jean Le Moyne », dans Hélène Jacques, Karim Larose et Sylvano Santini [dir.], Sens communs, Québec, Nota bene, 2007, p. 283-300.

« Écrire à la diable. Les hypocrites de Berthelot Brunet », dans François Ouellet [dir.],

Décliner l’intériorité : le roman psychologique des années 1940-1950 au Québec, Québec, Nota bene, 2011, p. 157-173.

(11)

1

Introduction

Nous, nous venions à la vie par la littérature, et non pas par l’histoire1.

Robert Élie

Ils formaient un cercle où les amitiés étaient parfois fragiles. Ils arrivèrent à l’âge adulte au moment où la Crise des années trente éclatait et ils croyaient que le spirituel viendrait à bout de tout. Certains aimaient Mozart, d’autres Bach. Ils étaient catholiques, mais quelques-uns s’impliquèrent dans le mouvement laïque et aucun ne tolérait le cléricalisme canadien-français. L’un se livra à des improvisations à l’orgue, deux autres se passionnèrent pour les arts visuels, au moins trois écrivirent des poèmes, mais tous lisaient des romans, beaucoup de romans.

Robert Charbonneau, Robert Élie, Hector de Saint-Denys Garneau et Jean Le Moyne font partie du cercle à l’origine de la revue La Relève. Lancée à Montréal en 1934, La Relève est une revue de littérature, de spiritualité et de philosophie animée par un groupe de jeunes hommes au sortir de leurs études classiques au collège Sainte-Marie. C’est le sociologue Jean-Charles Falardeau qui, le premier, a réuni sous l’appellation de « génération de La Relève2 » le groupe ayant, au milieu des années trente, contribué à la fondation de cette revue. L’usage du terme génération, s’il tend à gommer la complexité des relations entre les membres du réseau3, peut être justifié par le fait que ces intellectuels de l’entre-deux-guerres ont cheminé dans des directions souvent analogues. Nés vers le début de la Première Guerre mondiale, ils proviennent pour la plupart de la haute bourgeoisie canadienne-française et ont reçu à l’adolescence l’enseignement des jésuites du collège Sainte-Marie. Leur origine sociale leur a permis de n’être touchés que de loin par les difficultés de la Crise des années trente. En revanche, la Seconde Guerre

1 Gérald Godin et Robert Élie, « Robert Élie : vis d’abord, on verra après (une entrevue de Gérald

Godin) », dans Le Magazine Maclean, vol. IV, no 11 (novembre 1964), p. 102.

2 Jean-Charles Falardeau, « La génération de "La Relève" », dans Notre société et son roman,

Montréal, Éditions HMH (« Sciences de l’homme et humanisme », no 1), 1967, p. 101-117. 3 Au sujet des divergences au sein du réseau, on consultera Michel Biron, De Saint-Denys

Garneau. Biographie, Montréal, Boréal, 2015, p. 187-226, ainsi que la thèse de Caroline Quesnel, Rencontre de Jean Le Moyne, le mauvais contemporain, Thèse de doctorat, Université Mc Gill, 2015, 317 p.

(12)

2

les a plus fortement interpellés puisque plusieurs d’entre eux ont été des acteurs de premier plan du relais éditorial mis en place à Montréal pour venir en aide aux éditeurs français sous l’occupation allemande. La plupart d’entre eux ont entretenu des contacts étroits – professionnels ou amicaux – avec des intellectuels européens touchés directement par le conflit.

Par ailleurs, les écrivains de La Relève ont partagé plusieurs questionnements, sans toutefois adopter les mêmes positions dans chacun des cas. Afin de ne pas délibérément uniformiser leur pensée, j’utiliserai donc avec réserve la notion de génération, lui préférant la position de Stéphanie Angers et Gérard Fabre qui affirment que « l’équipe de La Relève ne constitue pas une génération au sens strict : elle en est un rameau, offrant le visage d’un groupe concret4. » Rappelons que plusieurs études récentes démontrent que ce cercle était traversé par des courants divergents, Le Moyne et Garneau s’en tenant souvent à bonne distance. Au long d’un parcours intellectuel et professionnel qui s’amorce durant les années trente et s’étend, pour plusieurs, au-delà des années soixante, ils partagent néanmoins certaines réflexions sur l’humanisme, le catholicisme, le nationalisme, l’influence de la France sur la littérature canadienne-française, ainsi que sur les difficultés de concilier l’engagement ou le travail et la création artistique.

Outre le catholicisme, le domaine qui les unit peut-être le plus est celui de la littérature. Sa prédominance oriente le contenu et la facture de la revue à laquelle ils contribuent. Ainsi, dans La Relève, le littéraire participe de tous les domaines en étant fréquemment mêlé au politique, comme au religieux, en plus d’occuper en soi une place de choix dans les chroniques et articles de fond. Dans les « Positions » de la revue (mars 1934), la direction insiste d’ailleurs sur l'importance de « développer dans ce pays un art, une littérature, une pensée dont l'absence commence à nous peser5. » La présence du littéraire sera manifeste dès les premières années du mensuel : les deux premiers numéros proposent des articles sur Claude-Henri Grignon, madame de Sévigné, le théâtre français, Emily Brontë et Alain Grandbois; la revue présente des séries d’articles sur Dostoïevski (janvier, février-mars et avril 1935), Bloy (février-mars, avril et juin 1935) ou Gide (été et automne 1937); des numéros spéciaux sont consacrés à Claudel (avril-mai 1937) ou Ghéon

4 Stéphanie Angers et Gérard Fabre, Échanges intellectuels entre la France et le Québec

(1930-2000). Les réseaux de la revue Esprit avec La Relève, Cité Libre, Parti Pris et Possibles, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004, p. 20.

(13)

3

(octobre 1938). Il faut également tenir compte de la portion significative de chaque numéro qui est consacrée à la recension d’œuvres littéraires ou de représentations théâtrales. De 1934 à 1940, La Relève est de facture artisanale et sa présentation visuelle ressemble beaucoup à celle du journal Nous, publié par les étudiants du collège Sainte-Marie. Plusieurs articles des premières années font d’ailleurs penser à des travaux de collégiens. La revue prend cependant un virage plus professionnel en 1941 en adoptant une maquette qui rappelle celle de la NRF et est renommée La Nouvelle Relève. En avril 1945, l’équipe réduit la taille de la maquette, qu’elle modifie à nouveau en juin 1947 pour s’associer au talent de Robert La Palme : celui-ci propose une caricature en couverture des neuf derniers numéros de La Nouvelle Relève. À partir de 1941, la revue accueille en ses pages plusieurs collaborateurs européens (Jacques Maritain, Yves Simon, Auguste Viatte, Georges Bernanos) qui rendent compte des actualités de la Seconde Guerre mondiale, prennent position et appellent à la résistance. La même année, La Nouvelle

Relève développe également une entente avec la revue américaine Commonweal qui leur

permettra de publier simultanément certains articles. Ce contenu lié à l’actualité internationale ne remplace pourtant pas la part littéraire de la revue. Au contraire, l’actualité côtoie des critiques littéraires, des nouvelles et des extraits de roman, si bien que La Nouvelle Relève renforce même sa vocation littéraire. L’aventure de La

Relève / Nouvelle Relève prend cependant fin en 1948, quelques mois après la

retentissante querelle de La France et nous. Rappelons que cette altercation oppose dès 1946 Robert Charbonneau, le directeur de la revue et des éditions de l’Arbre, à plusieurs écrivains français (Georges Duhamel, Louis Aragon, François Mauriac, André Billy, Jérôme et Jean Tharaud). Au cours de la querelle, Robert Charbonneau est amené à défendre trois positions. Au nom de l’autonomie du littéraire, il défend la publication par des éditeurs canadiens d’écrivains français qui sont, pour reprendre les mots de Gilles Marcotte, « collaborateurs ou mal vus6 », il affirme l’autonomie de la littérature canadienne-française par rapport à la littérature française, et, enfin, il invite les écrivains canadiens-français à s’affranchir de l’influence française et à aller « chercher leur bien littéraire là où ils le veulent, et notamment aux États-Unis7 ». Sans être à l’origine de la fin de la revue, la querelle de La France et nous a néanmoins divisé les membres de l’équipe de rédaction. Durant ses deux dernières années, la publication du périodique devient

6 Gilles Marcotte, « Robert Charbonneau, la France, René Garneau et nous… », dans Littérature et

circonstances, Montréal, l’Hexagone, 1989, p. 67.

(14)

4

irrégulière et sert surtout à diffuser des extraits d’ouvrages à paraître aux éditions de l’Arbre. La revue s’éteint en 1948, en même temps que les éditions de l’Arbre, en raison de difficultés financières.

L’écrivain et éditeur Robert Charbonneau est demeuré à la barre de la revue, de sa fondation à sa fin, appuyé dans sa tâche par Paul Beaulieu (codirecteur) et Claude Hurtubise (rédacteur en chef). Durant les quatorze années d’existence du mensuel, Charbonneau est celui qui y publie le plus d’articles8. Durant les années 1930, le comité de direction de La Relève a bénéficié de l’appui et des conseils d’un cercle d’amis restreint qui a collaboré à divers degrés à la fortune du projet. Même si leur apport ne se traduit pas toujours par des articles, l’écrivain et critique d’art Robert Élie, l’essayiste Jean Le Moyne, le poète Saint-Denys Garneau, le botaniste et essayiste Louis-Marcel Raymond forment, avec le comité de direction, le cœur de La Relève. Avec les années, ce noyau se divise pourtant, à la faveur des intérêts diversifiés de chacun, de l’éloignement géographique de Garneau et de conflits de personnalités tendant à isoler Robert Charbonneau. D’autres collaborateurs et amis participent également, de près ou de loin, à la revue à certains moments de son existence. Parmi ceux-ci on compte notamment André Laurendeau, qui y fait paraître quelques articles au milieu des années trente ; Anne Hébert, qui publie des poèmes dans La Nouvelle Relève et qui demeure une grande amie de plusieurs collaborateurs même après son départ pour la France ; et, enfin, Berthelot Brunet, qui publie entre 1942 et 1948 une quantité stupéfiante d’articles, de recensions et de chroniques9, et dont la vie rocambolesque inspirera quelques écrits à Robert Charbonneau.

Voici un aperçu de mes données de catalogage de La Relève et La Nouvelle Relève. J’ai effectué un répertoire de chaque article ou texte individuel publié dans la revue de 1934 à 1948. Il est important de noter que les sommaires sont souvent inexacts : plusieurs articles signés n’y sont pas mentionnés tandis que certains articles qui y sont annoncés ne se trouvent pas dans la revue. On ne peut donc s’y fier. Ce tableau ne tient pas compte des 16 articles signés « La direction » (6) ou « La Relève » (10) et que l’on peut toujours en partie attribuer à Charbonneau, Beaulieu ou Hurtubise.

8 Voir tableau ci-dessous. Il faut préciser que le sommaire n’est pas toujours exact. Les chiffres

fournis par Nancy Houle doivent parfois être revus à la hausse. Nancy Houle, « La Relève : une revue, un réseau », dans Pierre Rajotte [dir.], Lieux et réseaux de sociabilité littéraire au Québec, Québec, Nota bene (« Séminaires », no 13), 2001, p. 135.

9 Il signe souvent plus d’un texte par numéro et certains articles (« Signets ») s’apparentent à des

(15)

5

Auteur Nombre d’articles signés

Paul Beaulieu 28 dont « Préliminaire à un manifeste pour la patrie », sept.-oct. 1936.

Berthelot Brunet 99 dont 17 « signets » en février 1943.

Robert Charbonneau 101 dont « Préliminaire à un manifeste pour la patrie », sept.-oct. 1936.

Robert Élie 39 dont « Préliminaire à un manifeste pour la patrie », sept.-oct. 1936.

Saint-Denys Garneau 11 articles et 10 poèmes Anne Hébert 1 article et 4 poèmes

Claude Hurtubise 34 dont 1 avec Jacqueline Mabit et « Préliminaire à un manifeste pour la patrie », sept.-oct. 1936. André Laurendeau 4

Jean Le Moyne 20 [Louis-]Marcel Raymond10 57

Au-delà de sa présence dans la revue, la littérature a occupé une place primordiale dans la vie personnelle et professionnelle des Jean Le Moyne, Saint-Denys Garneau, Robert Charbonneau, Robert Élie, Claude Hurtubise, Paul Beaulieu et Louis-Marcel Raymond. Parallèlement à leurs activités professionnelles parfois éloignées du domaine culturel, ils ont tous continué de valoriser la littérature. Tous ont publié des essais ou critiques dans ce domaine, ont œuvré dans le milieu de l’édition ou des revues, ont tâté de l’écriture poétique, dramatique ou romanesque. Dans le cadre de cette recherche, j’ai isolé ceux des collaborateurs de la revue qui répondaient aux critères suivants : avoir contribué à l’élan de la revue (par la participation aux cercles de discussion qui l’entourent ou par des publications); avoir pris position sur le roman à travers des essais ou des critiques; avoir écrit des romans ou des ébauches de roman; avoir laissé une œuvre marquante11 dans l’histoire littéraire du Québec. Les œuvres de Charbonneau, Élie, Garneau et Le Moyne se trouvent donc au cœur de cette thèse. Leur usage du roman et leur contribution au cercle à l’origine de la revue les distinguent des autres collaborateurs, et ce, même s’ils écrivent souvent moins que Brunet, également romancier. Certes, ce dernier publie beaucoup dans

La Nouvelle Relève, mais il arrive huit ans après le début de l’aventure, il se tient à l’écart

du groupe et demeure essentiellement l’ami de Charbonneau.

10 Il est difficile de savoir si ces textes sont toujours de Louis-Marcel Raymond, membre de La

Relève, qui signe parfois « Marcel Raymond », ou encore du critique suisse Marcel Raymond qui est également publié dans la revue.

11 L’œuvre de Garneau seule peut être rangée parmi les classiques de la littérature québécoise.

Celles de Charbonneau, Élie et Le Moyne sont peu lues de nos jours, mais la reconnaissance de Jean Le Moyne comme essayiste majeur fait toutefois consensus dans la critique québécoise.

(16)

6

Prédominance du roman

Il existe, chez ces quatre écrivains, un intérêt certain pour le genre romanesque. Cette prédilection se vérifie de plusieurs façons. D’un point de vue strictement quantitatif, La

Relève recense davantage de romans que d’œuvres de tout autre genre littéraire. Il en va

de même pour les études d’auteurs et d’œuvres qui, là encore, ciblent le plus souvent des romanciers ou des œuvres romanesques. Selon mes données de catalogage, de 1934 à 1948, on compte 139 articles portant en tout ou en partie sur la poésie (dont 59 recensions) comparativement à 210 textes abordant au moins partiellement le roman (dont 109 recensions12). Il y a parfois croisement, c’est-à-dire qu’un essai portant sur la littérature peut à la fois se rapporter à la poésie et au roman. On compte également 145 poèmes, parfois regroupés en suites poétiques, 4 romans publiés en 23 feuilletons (Ils

posséderont la terre, Fontile, Le P’tit gars de Géorgie, Les désirs et les jours) et 18 fictions

brèves (contes, nouvelles, dialogues) signées par Jeanne Dufour, Thérèse Tardif, Pierre de Lanux, François Hertel, Paul Roussel, Yves Thériault (7), Claude Lafrance (3), Pierre Petel, Claude Melançon et Hélène Fréchette. En outre, il est possible que La Relève tire son nom de La Relève du matin, roman de Henry de Montherlant13, même si l’œuvre de ce romancier ne figure pas parmi celles qui sont fréquemment citées dans la revue14. Convenons cependant que La Relève, par son contenu, n’est pas toujours représentative des intérêts de chacun des membres de l’équipe.

Les activités littéraires individuelles des membres du groupe témoignent également d’une valorisation du roman. Ainsi, Robert Charbonneau et Robert Élie sont devenus romanciers au cours des années quarante et cinquante, tandis que les éditions de L’Arbre, fondées en 1941 par Robert Charbonneau et Claude Hurtubise, ont publié, dans le domaine littéraire, avant tout des romans. De leur côté, Jean Le Moyne et Saint-Denys Garneau ont conçu

12 J’utilise le terme « recension » comme catégorie de texte critique servant à assurer la réception

immédiate d’une œuvre. Un article répertorié en tant que « recension » peut lui-même faire la critique de plusieurs œuvres. Le nombre de recensions de romans (109) est donc inférieur au nombre de romans reçus ou critiqués dans toute la revue, qui seraient difficiles à dénombrer. Par exemple, Berthelot Brunet publie souvent des articles qui contiennent une liste commentée des derniers arrivages. Dans la troisième partie de la thèse, je présenterai le détail des romans canadiens-français reçus dans La Relève/La Nouvelle Relève.

13 C’est ce qu’affirme Hélène Poulin dans son mémoire de maîtrise. Hélène Poulin, La Relève :

analyses et témoignages, Mémoire de maîtrise, Université McGill, 1968, p. 5. Plusieurs critiques confirment cette affirmation, notamment Michel Biron (2015) et Yvan Lamonde (2008).

14 Un article d’Émile Baas sur Montherlant est paru en mars 1936. Guy Sylvestre a publié l’article le

plus substantiel sur Montherlant dans La Relève, en janvier 1941. L’auteur des Célibataires traverse rapidement quelques essais de Brunet et de Charbonneau.

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quelques projets narratifs demeurés inachevés, mais ont surtout été des commentateurs du roman par le biais de la pratique de l’essai, de la correspondance et du journal intime. Enfin, pour certains de ces écrivains, le roman deviendra fréquemment un outil apte à servir d’argument ou à étayer une prise de position. Par exemple, dans la querelle de La

France et nous, les prises de position de Robert Charbonneau s’effectueront presque

exclusivement sur le terrain du roman alors qu’il cherche à démontrer que le roman français (et, par extension, la littérature française) est moribond et qu’il faut désormais se tourner vers les cultures émergentes (d’Amérique latine et des États-Unis) pour trouver des modèles romanesques dignes de ce nom. De son côté, Jean Le Moyne utilise également le roman dans tous les domaines, intégrant des éléments de ses romans fétiches à l’ensemble de ses réflexions qu’elles soient théologiques, politiques ou musicologiques.

Mon objectif n’est pas d’imposer artificiellement une forme de hiérarchie des genres à La

Relève. Robert Charbonneau est le seul qui s’avance en ce sens, affirmant la supériorité

du roman sur les autres genres. Dans les faits, ces quatre écrivains poursuivent un questionnement qui leur est propre et qui semble trouver dans la lecture du roman et dans la pratique du mode romanesque15 une avenue permettant de développer ce questionnement, d’en chercher les ramifications possibles, voire de le résoudre. Ces observations ont été la source de cette recherche.

La poésie et l’ombre de Jacques Maritain

Jouons à l’avocat du diable : qu’en est-il de la poésie à La Relève? Elle a bel et bien joué un rôle important au sein du groupe durant les années trente. Ainsi, de tous les collaborateurs de la revue, c’est un poète, Saint-Denys Garneau, qui demeure le plus important dans l’histoire littéraire au Québec16. Après la publication de son unique recueil de poésie, Regards et jeux dans l’espace (1937), Garneau est d’ailleurs salué par les autres membres de la revue comme le porte-parole de leur génération. Cette étiquette

15 La notion de mode romanesque nous apparaît mieux traduire la pratique de Le Moyne et de

Garneau qui n’ont jamais pratiqué le roman en bonne et due forme. Au sujet de la distinction entre genre et mode, lire Gérard Genette, « Introduction à l’architexte », dans Fiction et diction, Paris, Seuil (« Points essais »), 2004, p. 7-82.

16 Du point de vue de la volumineuse réception critique de son œuvre, de 1937 à nos jours, mais

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d’emblème de La Relève colle pourtant mal à Garneau qui s’est souvent tenu en marge du groupe et qui pratique un genre littéraire dans lequel peu de ses amis se commettront17. Robert Élie a bien publié quelques poèmes épars dans La Nouvelle Relève au début des années quarante, mais il se tourne finalement vers le roman en publiant La Fin des

songes (1950) et Il suffit d’un jour (1957). Ses archives contiennent également deux

romans inédits, plusieurs nouvelles, et témoignent d’une pensée qui s’alimente au roman, cherchant notamment chez Proust des réponses à ses questionnements intimes. Suivant un parcours semblable, Robert Charbonneau publie pendant la guerre quelques poèmes de jeunesse, écrits plusieurs années auparavant, auxquels il accorde peu d’importance comparativement à son art du roman et à sa production romanesque. On peut enfin mentionner le projet avorté de Jean Le Moyne qui préparait en 1942 un essai sur Baudelaire, poète de qui, « après l’avoir longtemps pratiqué, [il a] fini par [s]e détacher presque entièrement […], à cause de son dualisme foncier18. » Il privilégia dès lors les œuvres de Marcel Proust, Henry James, François Rabelais et Charles Dickens.

L’élément qui aurait pu faire pencher La Relève du côté de la poésie, c’est bien l’influence de Jacques Maritain. En effet, Maritain accorde à la poésie une place prépondérante dans sa philosophie. Dans son mémoire de maîtrise, Marie-Christine Lalande affirme que Maritain considère la poésie comme « l’“âme” ou […] l’“esprit” de l’art19 ». Selon Cécile Vanderpelen-Diagre, la démarche créatrice d’Hector de Saint-Denys Garneau répond au processus décrit par Jacques Maritain dans Art et scolastique voulant qu’« avant de créer, l’artiste ouvre les yeux et son intelligence aux choses et à toutes les connaissances de l’homme [et qu’] il laisse ces éléments résonner en lui, pour ensuite transmettre aux autres hommes cette connaissance20. » Toujours selon Vanderpelen-Diagre, si la pensée de Maritain trouve des échos dans l’obsession de Garneau de « saisi[r] le réel par la poésie21 » la tâche est plus ardue lorsque vient le temps de l’adapter à l’écriture romanesque puisque le roman, lui, implique la morale en « pos[ant] le problème du

17 Dans sa biographie du poète, Michel Biron insiste sur la marginalité de Garneau au sein du

groupe. Op. cit., p. 187 et suivantes.

18 Jean Le Moyne, Convergences, Montréal, HMH (« Convergences »), 1961, p. 21. Dorénavant,

les extraits tirés de cet ouvrage seront référencés dans le corps du texte par la mention Convergences.

19 Marie-Christine Lalande, La revue Gants du ciel (1943-1946) : une esthétique littéraire de l’unité,

Mémoire de maîtrise, Université Laval, Québec, 2004, p. 75.

20 Cécile Vanderpelen-Diagre, Mémoire d’y croire. Le monde catholique et la littérature au Québec

(1920-1960), Québec, Nota bene, 2007, p. 65.

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réalisme et de la description psychologique22. » C’est pourquoi les théories de Maritain demeurent souvent inopérantes en ce qui concerne le roman23 et que, « bien qu’il soit très ami avec Mauriac, la question de la morale en littérature demeurera un sujet de désaccord entre eux24. » Selon Claude-Edmonde Magny, le point de vue moraliste de Maritain fait planer sur l’art du roman « un soupçon de “connivence” […] entendant par là l'involontaire complaisance que l'écrivain apporte à peindre le mal, lors même qu'il semble le stigmatiser vertueusement25. » Ce point de vue est contredit entre autres par Robert Charbonneau, non seulement parce qu’il valorise le roman au détriment de la poésie, mais parce que, comme Robert Élie, il privilégie la représentation du monde réel au détriment de la moralité à tout prix.

Jacques Maritain a profondément marqué les jeunes collaborateurs de la revue tant par ses écrits que par ses enseignements. Le travail minutieux de Cécile Facal26 a permis de montrer combien la pensée du philosophe français a chargé le lexique des collaborateurs de la revue montréalaise. Stéphanie Angers et Gérard Fabre démontrent quant à eux que pour les écrivains de La Relève, « le néothomisme de Maritain s’inscrit dans le prolongement de l’enseignement du cours classique (l’œuvre de saint Thomas occupe l’essentiel des cours de philosophie dans les collèges et universités du Québec)27. » Maritain a visité Montréal à plusieurs reprises et, lors de ses séjours, il recevait généreusement les membres de La Relève28. Toutefois, j’éviterai d’utiliser la philosophie

de Maritain comme une grille de lecture permettant de déchiffrer les écrits de La Relève, et ce, pour plusieurs raisons qu’il importe d’évoquer. Si son influence est indéniable durant les premières années de la revue, elle n’est pas à toute épreuve. En effet, plusieurs membres du groupe se sont éventuellement détachés de son emprise. Le moment de rupture est évoqué sous le voile ténu de la fiction dans Chronique de l’âge amer de Robert Charbonneau, lorsque le narrateur affirme avoir été « intoxiqué » par le thomisme qui « stérilise la pensée29 ». De l’avis de plusieurs critiques, cette mise à distance survient

22 Idem. 23 Ibid., p. 69. 24 Idem.

25 Claude-Edmonde Magny, Histoire du roman français depuis 1918, Paris, Seuil, 1950, p. 130. 26 Cécile Facal, La vie la nuit. Robert Élie et l’esthétique catholique de La Relève, entre modernité

et antimodernité (1934-1950), Thèse de doctorat, Université McGill, 2013, 649 p.

27 Stéphanie Angers et Gérard Fabre, op. cit., p. 24.

28 Outre les témoignages consignés dans le numéro spécial des Écrits du Canada français, no 43

(1983), on lira à profit le résumé des séjours de Maritain au Québec dans Stéphanie Angers et Gérard Fabre, op. cit., p. 33.

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après la guerre, coïncidant en cela avec la querelle de La France et nous30. En 1983, Jean Le Moyne explique par une anecdote qui est probablement survenue vers 1941, combien, malgré l’admiration qu’il éprouve pour le maître français, sa personnalité lui est peu à peu devenue étrangère en raison d’une incompatibilité résultant de leurs visions du monde divergentes : alors que Le Moyne est fasciné par la nature, le charnel et le grotesque, Maritain apparaît prisonnier d’un spiritualisme et d’un sérieux auxquels son jeune élève refuse de s’identifier entièrement.

[La Relève] ne se comportait pas comme un chapitre et ses tendances dionysiaques étaient assez marquées. Naturellement, lorsque nous rencontrions Maritain “dans le monde” […] nous étions fort sages ; mais seuls avec lui nous ne réprimions pas toujours notre exubérance. […]

Toutefois, je pense qu’un certain soir nous allâmes trop loin. Après un de nos dîners, j’avais invité tout le monde à la maison. […] Or j’avais des aquariums, comme à presque tous les âges de ma vie. Ce soir-là une femelle vivipare se libérait justement de son étonnante portée, gobant tous ceux de ses petits qu’elle pouvait attraper. Le spectacle révolta Maritain. Avec Raymond31, j’essayai de lui montrer comment ce cannibalisme servait les meilleurs intérêts de l’espèce. En vain.

La réaction et la résistance de notre éminent invité m’avaient déconcerté. […] Sur le moment, je me rappelai simplement que dans sa jeunesse Maritain s’était vu obligé, pour vivre, de travailler à une petite encyclopédie omnibus aux allures d’almanach : le Dictionnaire de la vie pratique, que j’avais trouvé parmi les cadeaux d’un lointain Noël. Décrivant la pêche au brochet, le dictionnaire glorifiait la vigueur et la férocité du “monstre”. Cet article avait bien fait rire dans le temps le pêcheur que j’étais déjà. […] En tout cas, souriant encore d’attendrissement, je me dis maintenant qu’un Maritain à la pêche, particulièrement avec Alfred Jarry, a toujours été aussi inimaginable qu’un Henry James faisant du “jogging” le long de Beacon Hill32.

Pour Le Moyne, cette scène, très significative, lui révèle l’écart qui subsiste entre la pensée du philosophe français, contraignante, et sa propre pensée en germe, intéressée au monde dans sa globalité. Il affirme d’ailleurs qu’en ce qui le concerne, « la discordance de ce soir-là n’a jamais été suivie d’une cadence parfaite…33 ». En 1961, dans

30 Voir à ce sujet Stéphanie Angers et Gérard Fabre, op. cit., p. 29, 36-37. Eux-mêmes renvoient à

ce sujet aux travaux de Jacques Michon, Éditeurs transatlantiques, Montréal, Ex-Libris-Tryptique, 1991, p. 36.

31 Louis-Marcel Raymond botaniste et homme de lettres moins connu, mais membre important du

groupe de La Relève.

32 Jean Le Moyne, « Les Maritain – de loin, de près », dans Les Écrits du Canada français, no 43

(1983), p. 63-64. (Repris, mais légèrement modifié par les éditeurs, dans Une parole véhémente.)

33 Jean Le Moyne, « Les Maritain – de loin, de près », dans Les Écrits du Canada français, no 43

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Convergences, il affirmait déjà : « Avec ceux de ma génération, je me suis engagé, en

même temps que laissé charrier, jusqu’au fond de l’impasse néo-thomiste » (Convergences : 21). Dans son « Itinéraire mécanologique », il sera convaincu d’avoir trouvé la voie du véritable « humanisme intégral », référant par là tacitement à la faille de la pensée de Maritain. En ce qui concerne les influences, La Relève n’a donc pas suivi aveuglément les positions esthétiques de Maritain. Parallèlement à leur fréquentation du philosophe français, les Le Moyne, Charbonneau, Élie et Garneau ont développé un questionnement personnel plutôt que d’appliquer purement et simplement son modèle philosophique.

État de la recherche

Les études portant sur les membres de La Relève se limitent souvent à les envisager à travers la lorgnette de la revue et de l’idéologie qui s’en dégage. En outre, peu de critiques s’intéressent à la dimension proprement littéraire de la revue et peu de ceux qui étudient la revue cherchent à voir comment les individus qui y contribuaient pouvaient se distinguer du propos collectif qu’elle donne à lire.

C’est en 1969 que Jacques Pelletier a publié sa vaste étude sur l’idéologie de La Relève, étude qu’il a revue et rééditée en 1995. Pelletier s’intéresse à la vision du monde de La

Relève, « théocentrique et hiérarchisée34 ». Sa méthode d’analyse, volontairement statique plutôt que dynamique, ne permet pas de dénoter l’évolution de la pensée des membres du collectif, évolution qui, du reste, n’existe pas selon lui35. Le critique insiste sur le caractère abstrait du discours de La Relève, sur son décalage à l’égard des effets concrets de la Crise économique dans la population et sur son ambivalence quant aux questions politiques. La pensée de ces jeunes gens atteint selon Pelletier un degré élevé de « déréalisation36 », dont il attribue en partie la responsabilité à leur appartenance à une classe sociale aisée, instruite par les jésuites, et à leur incapacité de s’identifier à

34 Jacques Pelletier, « La Relève : une idéologie des années 1930 », dans Le poids de l’histoire.

Littérature, idéologies, société du Québec moderne, Québec, Nuit blanche, 1995, p. 257.

35 Ibid., p. 246-247. Il est à noter que Pelletier analyse principalement des textes de la revue qui ont

été publiés entre 1934 et 1938.

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« l’idéologie de conservation37 » dominant la société canadienne-française de leur époque38.

André-Jean Bélanger (1977) est le deuxième auteur phare s’étant penché sur l’idéologie de La Relève. De son point de vue, l’idéologie de La Relève est « une structure qui dépasse les circonstances biographiques des intervenants, et même dans une certaine mesure, leurs intentions conscientes39 ». Son intention est de montrer par quelles stratégies elle tente de rompre avec le nationalisme clérical de la société canadienne-française. L’analyse de Bélanger est essentielle, entre autres, en ce qu’elle révèle combien les jeunes membres du collectif sont tournés vers l’Europe. Toutefois, en négligeant les dessous de La Relève, elle accorde parfois une importance trop grande à l’apport de personnalités qui ont été en périphérie du réseau (par exemple Guy Frégault ou, sur le plan des influences, Emmanuel Mounier40). Son propos étant volontairement centré sur les idéologies, comme Pelletier, il tient peu compte de la part littéraire de la revue et du désir maintes fois répété par les membres de La Relève de contribuer à l’avènement d’une littérature canadienne-française digne de ce nom.

Depuis le début des années 2000, un pan de la critique s’intéresse à La Relève sous l’angle de la théorie des réseaux. En 2001, Nancy Houle41 a étudié ce réseau en mettant en valeur, d’une part, la pratique de la revue comme « genre » à partir des théories d’Olivier Corpet, et d’autre part, l’amitié qui unit les membres du collectif. Son travail permet de mieux comprendre l’organisation interne du groupe, scindé en différents sous-groupes parfois conflictuels : la revue elle-même est l’œuvre des esprits pratiques que sont Charbonneau, Hurtubise et Beaulieu, qui en assurent la production et la diffusion, alors que Le Moyne et Garneau font davantage office de penseurs (ou de viveurs!), et que

37 Ibid., p. 300. Pelletier se réfère à un concept élaboré par Marcel Rioux dans La question du

Québec (1969).

38 Il faut souligner que Cécile Facal et Caroline Quesnel ont, dans leur thèse respective, relevé

plusieurs erreurs factuelles et d’analyse dans les travaux de Jacques Pelletier.

39 André-J. Bélanger, Ruptures et constantes. Quatre idéologies du Québec en éclatement : La

Relève, la JEC, Cité Libre, Parti Pris, Montréal, Hurtubise HMH (« Sciences de l’homme et humanisme », no 8), 1977, p. 8.

40 Contrairement à Maritain, Mounier n’est jamais venu au Canada et n’a jamais rencontré les

membres de La Relève. Dans sa correspondance avec Claude Hurtubise, Le Moyne semble incertain de l’influence de Mounier sur La Relève, et ce, malgré le fait que la revue ait publié quatre textes du philosophe français : « À part moi qui ne l’ai jamais pratiqué ni apprécié, les boys de La Relève étaient-ils simples lecteurs ou réels disciples [de Mounier]? » Le Moyne à Hurtubise, 19 mars 1991, Fonds Claude Hurtubise, Bibliothèque et Archives Canada, R-644, vol. 2, dossier 2-2. Ce questionnement se répète dans plusieurs lettres des années 1990.

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Élie, tout comme Hurtubise, navigue entre les deux groupes. Comme plusieurs critiques l’ont fait avant elle, son travail repose notamment sur les témoignages recueillis par Hélène Poulin, en 196842, qui a réalisé plusieurs entrevues dans le cadre de son mémoire de maîtrise sur La Relève.

En 2004, Stéphanie Angers et Gérard Fabre43 proposent un ouvrage qui rappelle celui d’André-Jean Bélanger par son désir de comparer différentes revues, mais il s’en distingue en fondant essentiellement ses analyses sur les réseaux entre la France et le Québec. Ils permettent de cerner efficacement les échanges entre La Relève, les éditions de l’Arbre et le réseau entourant la revue Esprit et de baliser les limites de l’influence que Maritain a pu avoir sur ces jeunes intellectuels. Néanmoins, les assises strictement sociologiques d’Angers et Fabre ne leur permettent pas, d’aborder avec les nuances nécessaires les questions reliées à la poétique et plus largement à la littérature. Notons que Michel Lacroix44, Pierre Rajotte45 et Denis Saint-Jacques46 ont également produit des études portant sur les réseaux France-Québec de l’entre-deux-guerres.

En 2008, dans « La Relève (1934-1939) : Maritain et la crise spirituelle des années 1930 », Yvan Lamonde approfondit le travail d’Angers et Fabre en retraçant plus minutieusement que jamais le parcours de Maritain lors de ses visites au Canada. Il relate ses rencontres avec les jeunes intellectuels de Québec et de Montréal, le contenu de ses conférences et met en relation les propos du philosophe avec certains textes des premières années de La Relève. La nouveauté de ce travail réside entre autres dans le fait qu’il révèle combien Maritain, Mounier, le père Doncoeur et d’autres acteurs du renouveau catholique en France se souciaient des conditions spirituelles déplorables (cléricalistes, obscurantistes) dans lesquelles les jeunes intellectuels Canadiens français évoluaient. Lamonde, contrairement à plusieurs critiques qui donnent souvent à penser que La Relève n’a pas été assez révolutionnaire, considère davantage ses avancées :

42 Hélène Poulin, La Relève : analyses et témoignages, Mémoire de maîtrise, Université McGill,

1968, 103 f.

43 Stéphanie Angers et Gérard Fabre, op. cit., 248 p.

44 Michel Lacroix, « Littérature, analyse de réseaux et centralité : esquisse d’une théorisation du lien

social concret en littérature », dans Recherches sociographiques, vol. XLIV, no 3 (2003), p.

475-497; « Lien social, idéologie et cercles d’appartenance : le réseau « latin » des Québécois en France (1923-1939) », dans Études littéraires, vol. 36, no 2 (automne 2004), p. 51-69.

45 Pierre Rajotte, « Stratégies d’écrivains québécois de l’entre-deux-guerres : séjours et rencontres

en France », dans Études littéraires, vol. 36, no 2 (automne 2004), p. 31-49.

46 Denis Saint-Jacques, « Mauvaises fréquentations. Les réseaux littéraires France-Québec

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Cécile Vanderpelen-Diagre s’est intéressée à la pensée catholique dans les œuvres littéraires canadiennes-françaises. Paru en 2007, ce travail de nature panoramique lui permet de remonter aux sources néo-thomistes de La Relève, dans son chapitre « La Relève : un renouveau littéraire catholique48? », mais ses analyses portent essentiellement sur les poèmes de Regards et jeux dans l’espace présenté comme emblématique de la pensée de Maritain. Cette étude

évoque la difficulté de concilier la pensée de Maritain à la création romanesque et de distinguer les problèmes esthétiques propres à la pratique de la poésie et du roman dans le cercle de La Relève.

Deux thèses de doctorat récentes et importantes plongent plus avant dans le réseau de La

Relève et cernent avec précision l’apport de certains de ses membres dans l’histoire des

idées au Québec. La thèse de Cécile Facal (2013) s’inscrit dans la foulée des travaux visant à remonter aux sources catholiques, néo-thomistes et personnalistes de La Relève. Son analyse cible davantage l’œuvre du jeune Robert Élie, de ses premiers écrits à la parution de La fin des songes et explore de manière exhaustive ses textes publiés et inédits jusqu’en 1950. Cette étude révèle que la vision du monde d’Élie, fortement empreinte de son adhésion au catholicisme, même si elle paraît un exemple d’anti-modernité, lui aura paradoxalement permis d’apprécier des formes proprement modernes en art. Caroline Quesnel (2015) s’intéresse quant à elle à la pensée de Jean Le Moyne, à sa place dans les réseaux de son époque et à son influence dans l’histoire intellectuelle du Québec. Elle étudie notamment l’apport de la philosophie de Teilhard de Chardin sur sa pensée ainsi que son usage du contrepoint. Son travail l’amène à situer Le Moyne en marge des directeurs de La Relève, puisqu’il n’adhère que partiellement aux positions esthétiques ou philosophiques de la revue49 et qu’il y contribue fort peu.

47 Yvan Lamonde, « La Relève (1934-1939) : Maritain et la crise spirituelle des années 1930 »,

dans Les Cahiers des dix, no 62 (2008), p. 191. 48 Cécile Vanderpelen-Diagre, op. cit., p. 62-70.

49 Caroline Quesnel, Rencontre de Jean Le Moyne, le mauvais contemporain, Thèse de doctorat,

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L’éloignement volontaire de Le Moyne a fort à voir avec celui de Saint-Denys Garneau qui, lui non plus, ne peut être qualifié de « membre fondateur » de La Relève, la revue demeurant sous l’autorité de Robert Charbonneau. C’est ce que démontre de façon probante la biographie de Saint-Denys Garneau, publiée en 2015, par Michel Biron50. Même s’il est centré sur la vie du poète, cet ouvrage permet de mesurer le rôle de chacun des acteurs au sein du réseau de La Relève, dont l’origine fugace remonte aux cercles de discussions qui avaient lieu durant les années de collège des jeunes amis de Garneau. Le travail de Biron permet également de constater l’ampleur des divergences d’opinions qui existent entre, d’un côté, Robert Charbonneau et, de l’autre, Le Moyne et Garneau.

Le travail que je propose ici s’inscrit dans la foulée des critiques qui ont souhaité faire la part belle au littéraire dans leur lecture de l’œuvre des acteurs de La Relève et qui montrent bien que c’est sur le terrain de la littérature que ces jeunes gens ont tâché de formuler les propositions les plus concrètes.

En 1967, le sociologue Jean-Charles Falardeau fait paraître Notre société et son roman dans lequel se trouve une étude d’ensemble, « La génération de "La Relève" », ainsi

50 Michel Biron, De Saint-Denys Garneau. Biographie, Montréal, Boréal, 2015, 450 p.

51 Robert Dion, « La France et nous après la Seconde Guerre mondiale. Analyse d’une crise »,

dans Voix et images, no 38 (hiver 1988), p. 292-303.

52 Gilles Marcotte, « Robert Charbonneau, la France, René Garneau et nous… », dans Littérature

et circonstances, Montréal, L’Hexagone, 1989, p. 65-83.

53 Marie Malo, La France et nous : contexte et histoire d’une querelle, Mémoire de maîtrise,

Université de Montréal, 1987, 228 f.

54 Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, Histoire de la littérature

québécoise, Montréal, Boréal, 2007, p. 284-288.

55 Élisabeth Nardout-Lafarge, Le champ littéraire québécois et la France, 1940-50, Thèse de

doctorat, Université McGill, 1987, 444 f.; « Autonomie littéraire et rupture symbolique : le Québec et la France, 1940-1950 », dans Littératures, no 1 (1988), p. 125-147.

56 Élisabeth Nardout-Lafarge, « Histoire d’une querelle », dans Robert Charbonneau, La France et

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qu’une analyse des romans de Robert Charbonneau. Dans son étude de La Relève, Falardeau, comme Jacques Pelletier en 1969 et André-Jean Bélanger en 1977, s’intéresse aux premières années de la revue et non à La Nouvelle Relève. Le sociologue est le premier à étudier la dimension et la portée littéraire de la revue. Même s’il faut aujourd’hui nuancer son usage du terme « génération », il faut reconnaître qu’il est le premier à avoir cherché à mieux comprendre la quête d’absolu et l’idéalisme de La

Relève, en tâchant de distinguer la pensée individuelle de ses participants, et à s’être

attaché à faire des liens entre l’idéologie de la revue et les œuvres littéraires produites ensuite par Charbonneau, Élie, Garneau et Le Moyne.

Gilles Marcotte a été un ami de quelques membres de La Relève, après que la revue eut cessé de paraître. Il a publié plusieurs études sur Garneau, mais aussi sur Le Moyne, sur Hurtubise, et sur la place que cette revue et ses contributeurs ont occupée dans l’histoire littéraire du Québec. On retiendra notamment « Les années trente : de Monseigneur Camille à la Relève57 » pour son analyse du discours critique à La Relève. Cette étude vise à répondre par la littérature aux critiques qui ne se sont arrêtés qu’à l’idéologie derrière la revue. Selon Marcotte, au temps de Monseigneur Camille Roy, « La Relève, c’est le loup dans la bergerie58. » En 1962, dans Une littérature qui se fait59, Marcotte a également étudié les romans de La Relève en contexte soulignant notamment le caractère abstrait des personnages de Charbonneau, qui « finissent par perdre toute densité, dans le tourbillon d’activités où le romancier veut les entraîner60 », et « l’incommunicabilité des êtres61 » dans les romans de Robert Élie.

D’autres ouvrages étudient les œuvres romanesques produites par Robert Charbonneau et Robert Élie et permettent de mieux les situer dans l’histoire du roman au Québec. Centrée sur la représentation de l’écrivain dans les romans québécois de 1941 à 1958, l’étude d’André Belleau, parue en 1980 et rééditée en 1999, est l’une des plus éclairantes à ce jour. Selon lui, les romans d’Élie et de Charbonneau sont des « romans de la parole »

57 Gilles Marcotte, « Les années trente : de Monseigneur Camille à la Relève », dans Littérature et

circonstances, op. cit., p. 51-63.

58 Ibid., p. 63. Jacques Allard reprendra cette idée dans Traverses de la critique littéraire au

Québec, Montréal, Boréal (« Papiers collés »), 1991, 212 p.

59 Gilles Marcotte, « Brève histoire du roman canadien-français », dans Une littérature qui se fait,

Montréal, HMH (« Constantes »), 1962, p. 11-50.

60 Ibid., p. 44. 61 Ibid., p. 46.

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au sens où ils ne désignent pas « sans équivoque le personnage comme écrivain62 ». Leur statut d’écrivain est souvent uniquement connoté et « ce sont des actions et surtout des indices qui instituent un personnage comme écrivain plutôt que son écriture63. » Pour Belleau, si le roman de cette période n’arrive pas à créer un personnage écrivain plausible, « vivant », il faut chercher les raisons de cet échec « dans la situation concrète de l’écrivain dans la société64 » de l’époque. Parallèlement à cette sociocritique de la représentation de l’écrivain dans les romans d’Élie et de Charbonneau, André Belleau souligne à quelques reprises l’étrange temporalité qui régit leurs récits. Par exemple, chez Charbonneau, les nombreuses ellipses et l’absence de transition entre les scènes font dire à Belleau que « le discours va staccato par thèmes courts, secs, dépourvus d’harmoniques. Rien n’est développé. On aime sans se mettre à aimer. On souffre sans avoir commencé à souffrir65. » À la suite de ces observations, je tâcherai de comprendre quelle signification il est possible d’accorder à cette temporalité particulièrement problématique dans l’œuvre de Charbonneau. Cependant, à la différence de Belleau, je ne centrerai pas mon analyse sur le personnage écrivain, mais sur les répercussions de la pensée romanesque des écrivains de La Relève dans leur pratique du roman.

Dans l’Histoire de la littérature québécoise, Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge étudient les romans des années 1940-1950 en s’inspirant de la définition que le père Ernest Gagnon donne de L’Homme d’ici66, qui est aussi le titre de son essai.

L’homme d’ici serait un être dont « l’univers intérieur est infiniment complexe67 » et qui est « livré aux incertitudes, aux hantises du passé, aux affres du doute, à une subjectivité souvent malheureuse68 ». Selon Biron, Dumont et Nardout-Lafarge, cette définition philosophique que Gagnon applique au Canadien français trouverait sa représentation dans les œuvres littéraires de la période, dont les personnages sont aux prises avec leur intériorité problématique. Dans la même veine, Michel Biron69 qualifie le roman de cette

62 André Belleau, Le romancier fictif. Essai sur la représentation de l’écrivain dans le roman

québécois, Québec, Nota bene (« Visées critiques », no 1), 1999, p. 113. Le roman de la parole se

distingue du roman du code qui désigne plus nettement le personnage comme écrivain.

63 Ibid., p. 121. 64 Ibid., p. 127. 65 Ibid., p. 120.

66 Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, « Le roman de "l’homme d’ici" »,

dans Histoire de la littérature québécoise, op. cit., p. 339-352.

67 Ernest Gagnon cité par Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge dans

Histoire de la littérature québécoise, op. cit., p. 341.

68 Ibid., p. 341.

69 Michel Biron, « Le roman de l’individu. 1945-1960 », dans Le Roman québécois, Montréal, Boréal

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période de « Roman de l’individu » dans son ouvrage Le Roman québécois. Selon lui, dans le roman québécois, « [l]e culte de l’intériorité est si fort qu’il oriente le projet réaliste vers des formes plus intimistes, comme le journal, et l’éloigne des grandes fresques sociales telles qu’elles ont pu apparaître ailleurs70. »

Dans Le roman sans aventure71, Isabelle Daunais s’arrête sur le roman de la période des

années 1940-1950, notamment sur La fin des songes, de Robert Élie. L’auteure cherche à savoir pourquoi le roman québécois ne rejoint pas un plus vaste lectorat à l’extérieur de ses frontières. Selon elle, l’explication réside dans les caractéristiques propres à ce roman, habité depuis toujours par des personnages qui se tiennent à l’abri des aventures, dans un état d’« idylle » qui correspond difficilement aux attentes du lecteur de roman universel. Selon l’auteure, le roman canadien-français d’après-guerre serait celui qui, de tous les romans canadiens-français ou québécois, aurait le plus tendu vers l’aventure. Cette quête, menée entre autres par le protagoniste de La fin des songes, Marcel Larocque, aurait été effectuée en vain puisque ces personnages échouent à quitter leur monde idyllique.

Pour terminer, rappelons que d’autres études ciblent généralement l’un des membres du collectif en ne négligeant pas de le relier à La Relève, la revue étant toujours présentée comme son port d’attache ou son point d’origine. Il serait fastidieux de passer en revue les traditions critiques associées à Robert Charbonneau, Robert Élie, Saint-Denys Garneau et Jean Le Moyne, si bien que je les convoquerai en temps opportun, au fil de mes analyses. Néanmoins, il est possible de résumer la tradition de lecture de ces auteurs en affirmant qu’ils ont souvent été lus soit pour leur valeur testimoniale (leur œuvre étant fréquemment perçue comme une œuvre à clé permettant de fournir des révélations sur leur vie personnelle), soit en lien avec l’idéologie de La Relève (catholique, progressiste, néo-thomiste). En somme, si plusieurs critiques se sont penchés sur l’idéologie et le réseau de

La Relève, une poignée seulement a su les lire, comme groupe, dans une perspective

littéraire. Personne ne s’est arrêté à comparer véritablement la pensée de ces quatre écrivains, personne, non plus, n’a fait ressortir la présence du roman comme dénominateur commun, ou mieux, comme fer de lance de leurs projets, individuels ou collectifs.

70 Ibid., p. 43.

71 Isabelle Daunais, « L’ennui comme seul ennemi », dans Le Roman sans aventure, Montréal,

Références

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