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Histoire.s de la route de Vannes : l'invention d'une route commerciale

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Histoire.s de la route de Vannes : l’invention d’une route

commerciale

Oriane Jan

To cite this version:

Oriane Jan. Histoire.s de la route de Vannes : l’invention d’une route commerciale. Architecture, aménagement de l’espace. 2018. �dumas-01996449�

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HISTOIRE.S DE LA ROUTE DE VANNES

Oriane Jan

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ire.s de la r

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«L’histoire de la route de Vannes est la suivante : c’est le bout de deux communes, c’est le bout de Saint-Herblain, et c’est le bout d’Orvault. Deux communes où avant que Nantes Métropole n’existe, chaque ville avait un peu sa stratégie de développement, de permis de construire. Franchement, ils s’en foutaient royalement de cette

route de Vannes - parce que c’était éloigné.

Un jour, je vais dans Nantes discuter de la route de Vannes. Je me trouve dans les bureaux de la communauté urbaine avec les gens qui fabriquent un peu les villes et donc on parle de la route de Vannes. Et les voilà qu’ils disent : « C’est épouvantable la route de

Vannes, on a fait tout et n’importe quoi». Je ne moufte pas. Après ils décident de parler de la route de Paris, affirmant fièrement que : «Avec la route de Paris, on a été maîtres du dossier, c’est nous qui avons fait la route de Paris. Nous sommes très contents de ce que nous avons fait, c’est vraiment une grande réussite». Alors à ce moment là, je glisse que sur le plan du commerce, la route de Vannes est quand même bien meilleure. «Ah oui oui, sur le plan du

commerce..» répondent-ils, avant de changer de sujet.»

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Couverture : Mission photographique de la DATAR ©Albert Gordian

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Histoire.s de la route de Vannes

L’invention d’une route commerciale

Oriane Jan

Mémoire de master réalisé sous la direction de Laurent Devisme École nationale supérieure d’architecture de Nantes

2018

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Je remercie Laurent Devisme pour son accompagnement et ses conseils précieux. Je remercie Eric Chauvier de m’avoir guidée aux prémices de ce travail.

Je remercie Michel Decré pour son témoignage à point nommé. Je remercie également Frédérique Pellerin, Brigitte Tallet-Cuzol, Jean-Pierre Morineau, Samuel Tarapacki, Marine Lucas, Claire Legros, Virginie Lebreton et Tony Lesaffre pour leur temps et leur prévenance.

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«La rue conduit celui qui flâne vers un temps révolu. Pour lui, chaque rue est en pente, et mène, sinon vers les Mères, du moins dans un passé qui peut être d’autant plus envoûtant qu’il n’est pas son propre passé, son passé privé. Pourtant, ce passé demeure toujours le temps d’une enfance. Mais pourquoi celui de la vie qu’il a vécue ? Ses pas éveillent un écho étonnant dans l’asphalte sur lequel il marche. La lumière du gaz qui tombe sur le carrelage éclaire d’une lumière équivoque ce double sol.» Walter Benjamin, Paris : Capitale du XIXe siècle, Les éditions du

cerf, 1989.

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12 / Avant-propos 22 / Préambule

/ rencontre avec Michel Decré

56 / Introduction

Mise en contexte : introduction / entrer en ville

/ zoner ou s’étaler

/ marcher pour appréhender le réel Dialogue-fiction : introduction / Pluriel

/ Rythmes / Concurrence

94 / Chapitre 1 : Une périphérie attractive

Mise en contexte : premier volet

> deux siècles de mutations législatives et commerciales > d’une économie de subsistance vers une économie de marché > maraîchage, vélodrome et shopping

Dialogue-fiction : premier volet / Locomotive / Caravane / Requins / Supprimer Sommaire

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132 / Chapitre 2 : Tempérer l’urbanisme commercial

Mise en contexte : second volet

>1960 - 1990 : vers un encadrement législatif > 1990 à 2000 : vers des mises en actes effectives > la route de Vannes se rénove

Dialogue-fiction : second volet / Manager

/ Cohérence / Démolition / Signal

174 / Chapitre 3 : Altération, à l’épreuve du XXI siècle

Mise en contexte : troisième volet > les mouvements du retour > le mouvement de l’avant > du coté de la route de Vannes Dialogue-fiction : troisième volet / Foutoir / Danger / Draconien / Mixer / Vocation 208 / Conclusion 216 / Corpus 222/ Glossaire 226 / Annexe illustrée

> photographie de la route de Vannes >iconographie Sommaire

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«J

e crois qu’elle n’a pas été conçue. C’était une route qui menait chez les maraîchers. Après les commerces, ça s’est fait de manière empirique, sans réflexion en amont. Il y a de tout : de l’habitat, des gens qui entrent, qui sortent, d’autres qui viennent pour faire les boutiques.» Voici quelques mots extraits d’un entretien mené au début de la recherche. Trois phrases, à la fois simples et confuses, symptomatiques d’un espace qualifié d’impensé dans l’inconscient collectif.

Entrée de ville pour certains, zone commerciale, route du meuble ou encore pénétrante stratégique pour d’autres, la route de Vannes ne manque ni de qualificatifs, ni de blâmes. Sujet de ce mémoire, la route de Vannes désigne un fragment de la route départementale 965 et de la nationale 165. Il s’agit aussi du pôle commercial périphérique qui présente le plus grand regroupement de points de ventes du département de Loire-Atlantique1. Cinq kilomètres - de l’église Sainte-Thérèse à Nantes, à la porte de Sautron

1. La route de Vannes compte 152 points de vente en 2015 répartis sur Orvault, Nantes et Saint-Herblain, d’après le Panorama de l’appareil commercial de Loire-Atlantique. Extrait d’une étude de la CCI Nantes Saint-Nazaire. Novembre 2016. p5.

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après le périphérique, à la frontière entre Orvault et Saint-Herblain2 - le long desquels se succèdent rez-de-chaussée commerciaux, magasins de moyennes et grandes surfaces et grandes enseignes franchisées. Traversée quotidiennement par des centaines d’individus, dans un défilé discontinu mais permanent d’automobiles, la route de Vannes fait partie des lieux à priori ordinaires, que notre œil s’est habitué à voir, non plus à regarder. Il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel. La démocratisation de l’automobile et l’avènement des hypermarchés et grandes surfaces spécialisées ont donné forme depuis le début des années 1960 à des dizaines de regroupements commerciaux similaires à la lisière des villes françaises, et ce sur l’ensemble de l’hexagone.

En apparence banal, le lieu étudié est en réalité singulier. Une zone prise aux extrémités de trois communes - Nantes, Orvault et Saint-Herblain - dont le devenir n’a pas toujours préoccupé. Si son extension s’est faite depuis le milieu du vingtième siècle de manière «empirique», elle ne résulte pas moins de logiques économiques et financières, d’enjeux politiques et de considérations, ou absence de considération, urbanistiques. Les volontés et orientations politiques des différents maires qui se sont succédés à la tête des trois communes concernées ont assurément joué un rôle clé. Un enchevêtrement complexe de transformations socio-économiques sur les plans locaux, nationaux et mondiaux, a de fait participé à la production de ce morceau de ville tel que nous le connaissons aujourd’hui. Pour répondre à différents objectifs, la route de Vannes s’est mutée à plusieurs reprises. Quels ont été ses enjeux et quels sont ceux qui l’animent aujourd’hui ?

En outre, un tel lieu soulève des questions quant à des

2. Orvault et Saint-Herblain sont deux communes limitrophes de Nantes faisant partie de Nantes Métropole. Orvault compte plus de 25 000 habitants et Saint-Herblain 43 000.

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manières de consommer, de se déplacer et d’aménager la ville. Des manières a priori en décalage avec les préoccupations contemporaines de durabilité, de densification et de retour à une certaine forme de lenteur dans la vie métropolitaine. Comment les canons du siècle passé s’articulent-ils avec les problématiques urbaines du vingt-et-unième siècle ? Par ailleurs, le renversement d’échelle entre le commerce du centre-ville de Nantes et celui de la zone commerciale frappe en apparence1. Ce dernier semble se placer dans un tout autre degré d’urbanité et un rapport à la ville opposé. Qu’en est-il vraiment ? Enfin, si les moyennes et grandes surfaces se sont démultipliées depuis les années 1960 de paire avec une consommation toujours plus accrue de marchandises, d’autres pratiques les concurrencent aujourd’hui, à travers notamment le commerce de proximité et le commerce en ligne2. Aussi, voit on émerger et se développer d’autres formes de consommation qui se détournent de la zone. D’ailleurs, certains auteurs interpellent sur l’approche des limites du modèle. D’aucuns spéculent même sur leur imminente disparition, envisageant les zones commerciales comme les friches de demain à l’instar des dead malls3 au États-Unis. Cette

idée m’intrigue particulièrement, peut-être simplement par la force évocatrice que suscite la notion de disparition.

En substance viennent d’être exposées les premières hypothèses ou intuitions qui m’amènent à investiguer le sujet de la route de Vannes. Le cas d’étude est circonscrit, de façon à prévenir

1. L’agglomération nantaise compte 872 150 m2 de surfaces commerciales répartis dans près de 4 100 points de vente. 89 % de commerces de moins de 300 m2 totalisent 220 550 m2 pour une taille moyenne de 61 m2 contre, 11 % de commerces de plus de 300 m2 qui totalisent 651 600 m² pour une taille moyenne de 1 474 m2.

Extrait du Schéma Directeur de l’Urbanisme Commercial de Nantes Métropole. p12. 2. Enquête «Nouveaux regards sur nos modes de vie», Auran, 2010.

3. Ils désignent l’ensemble des friches commerciales apparues aux USA dans les années 2010 notamment suite à la crise financière de 2008.

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l’apparition d’un méta discours. Je fais le choix de m’intéresser à un terrain familier et proche : la route de Vannes. J’ai grandi au nord de Nantes, dans un quartier éloigné du centre-ville. Je me souviens qu’enfant cette route et ses magasins constituaient pour moi une vraie distraction. Je me souviens supplier ma mère de m’y emmener, sous prétexte d’avoir besoin d’un nouveau cartable ou parce que j’avais entendu à la radio que les soldes commençaient. Nous prenions sa voiture, et souvent coincées dans les embouteillages, ma mère répétait que c’était la dernière fois. Je me souviens de la banquette arrière de la Renault Clio noire et des lueurs des enseignes se mêler aux feux rouges des voitures à l’arrêt, la pluie s’abattant sur les carreaux. Je me souviens m’attarder longtemps au rayon animalier de la jardinerie, pendant que mes parents choisissaient quelles graines acheter pour resemer la pelouse du jardin de notre pavillon. Quelques fois, j’avais même réussi à convaincre ma mère de faire ses courses dans l’hypermarché le vendredi soir, car c’était là que les parents de mon amie d’enfance avaient l’habitude de faire les leurs.

En grandissant, mon rapport à la route de Vannes et ses commerces s’est transformé. J’ai été scolarisée dans un collège et lycée bourgeois du centre-ville où j’ai découvert un univers, des codes et des rapports à la marchandise pour moi nouveaux. Les sorties se faisaient désormais dans les rues anciennes de Nantes. Par un jugement de valeur machinal, j’ai radicalement rejeté cet espace qui m’apparaissait soudainement insipide et triste, simplement laid. J’ai aussi commencé à me questionner sur mes habitudes alimentaires et mes modes de déplacements. J’ai rapidement associé la zone commerciale à un mode de consommation que je rejetais désormais. Aujourd’hui, j’y reviens en adoptant une posture que je souhaite prudente, néanmoins animée par les sentiments paradoxaux que m’ont inspiré ce morceau de ville. L’idée de ce mémoire n’est en aucun cas de fustiger le lieu ou d’en dresser le réquisitoire - des

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auteurs se sont déjà attachés à le faire. A l’inverse, la démarche développée ici se veut interrogatrice et avertie. L’intention est bien de comprendre le lieu et ses enjeux, en saisir les composantes et les mettre en perspective, à travers mon regard cette fois d’étudiante en architecture.

De cette envie, vient la question de la méthode. J’aborde le sujet et la recherche par plusieurs chemins. Les écrits - essais, romans, thèses, articles, manuels - sont au départ d’une grande aide pour saisir le fonctionnement de la distribution en France, les évolutions du commerce de détail et l’histoire du territoire nantais. La marche et l’observation in situ d’autre part, me permettent de m’imprégner du site et de fonder mes ressentis personnels. De ces explorations sortent de nouvelles interrogations mais aussi des matières pour enrichir la recherche : photographies, textes descriptifs et croquis. La confrontation au terrain est un premier bouleversement dans la recherche. Les hypothèses de départ sur la fin présagée du modèle de la zone commerciale ne trouvent pas de prime abord écho. L’ensemble paraît fonctionner comme dans mes souvenirs. De nouvelles lectures me viennent en aide et me permettent de faire la seconde hypothèse que les changements et mutations présumés s’inscrivent dans une temporalité trop diffuse pour être déjà tangibles.

Outrepassé ce constat, je décide de prendre contact avec des acteurs qui participent ou ont au cours de leur vie participé à la fabrique de la route de Vannes - commerçants, services municipaux et institutions. Débute ainsi une série d’entretien semi-directifs. Je me laisse guider par les conversations et les interlocuteurs, en ne perdant pas de vue mes premières interrogations. Ce second temps marque un nouvel élan à la recherche entreprise. Les entretiens apportent une nouvelle dimension qui structurera toute la démarche. Dès le premier rendez-vous, je réalise qu’il y autour de ce territoire une

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histoire, des personnages et des enjeux que je n’avais pas soupçonné. Sur cette route - qui malgré l’antériorité de notre relation restait pour moi anonyme - je parviens à projeter des visages, des aventures personnelles et des constructions chevauchantes. M’anime alors la question du récit et de l’histoire locale. Comment en rendre compte?

Dans un effet de boule de neige, les rendez-vous se suivent. Ainsi, j’échange successivement avec :

. Frédérique Pellerin - manager de l’Association des commerçants de la route de Vannes

. Michel Decré - entrepreneur nantais et élu local en retraite

. Brigitte Tallet-Cuzol - conseillère à la Chambre de Commerce et d’Industrie Nantes Saint-Nazaire

. Jean-Pierre Morineau - commerçant de la route de Vannes en retraite.

. Samuel Tarapacki - chargé de communication au centre de tri de La Poste, route de Vannes

. Marine Lucas, responsable du développement économique au pôle Nantes-Ouest de Nantes Métropole

. Claire Legros, responsable du développement économique au pôle Loire-Chézine de Nantes Métropole

. Virginie Lebreton, experte commerce au sein de la DG Développement Economique de Nantes Métropole

. Tony Lesaffre, dirigeant avec Denis Maure de l’entreprise Europcar-Atlantique, dont l’une des agences se trouve route de Vannes.

Instinctivement, je récolte le matériau qui va me permettre de raconter ensuite une histoire de la route de Vannes. Cette dernière n’est en aucun cas exhaustive, puisque l’échantillon même des personnes rencontrées ne l’est pas et ne saurait l’être. Aussi, j’envisage ce document comme le début d’un récit qui pourrait se compléter et s’affiner - presque à l’infini - pour venir préciser une histoire globale.

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Finalement, l’objet du présent mémoire peut se décrire comme la tentative de donner à comprendre un lieu de la quotidienneté à travers une exploration personnelle du terrain, guidée par la rencontre de ses acteurs économiques et institutionnels. Dans ce projet, l’interviewer donne la part belle à la parole à l’interviewé. Ce dernier est au cours de la recherche interrogé dans son cadre professionnel : il est commerçant, conseiller en commerce, publiciste, entrepreneur, urbaniste, retraité ou en activité, indépendant ou employé, dans le secteur privé ou public. L’objectif initial est de transmettre les savoirs récoltés sans esquinter l’essence des propos et le vocabulaire emprunté, pour donner à lire ces paroles au lecteur et le lier de manière didactique au sujet mais aussi jouer de la distance entre interviewer et interviewé.

Nonobstant, les matériaux récoltés lors des entretiens ne sont pas ici livrés bruts. Après retranscription de ces derniers, des thématiques récurrentes se profilent et dessinent progressivement les chapitres du mémoire. Les propos de chaque entretien sont regroupés et classés méthodiquement par sujet abordé. Par un procédé que l’on pourrait qualifier de copier-coller-déplacer, les extraits réels fabriquent des dialogues fictifs entre les différents interviewés, mis en scène lors de la mise en texte. A ces derniers s’ajoutent des textes rédigés in situ - descriptifs, et d’autres rédigés à la bibliothèque - davantage théoriques. Une forme hybride se profile, tentant de proposer pour reprendre les mots d’Ivan Jabloncka1, «une autre manière d’écrire plus libre et plus réflexive», «une littérature du réel». Afin de tirer parti du potentiel cognitif de la création littéraire, la limite entre fiction et réalité se meut. Ces trois expériences d’écritures dialoguent ainsi pour raconter une histoire contemporaine et locale, celle de la route de Vannes.

1. Ivan Jabloncka, écrivain et historien, est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-XIII-Nord.

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n guise de préambule suit la retranscription d’un entretien mené au début de la recherche avec un entrepreneur nantais aujourd’hui à la retraite : Michel Decré. Arrière-petit-fils de Jules-César Decré, qui fonde au milieu du dix-neuvième siècle le Bazar Decré, balbutiement des actuelles Galeries Lafayette rue de la Marne à Nantes, Michel Decré - entrepreneur, élu local et industriel - appartient à une incontournable famille de commerçants de la région nantaise. Né en 1928, il est témoin et acteur tout au long de sa vie de changements majeurs dans le visage commercial de la ville. Et ce, au centre-ville de Nantes comme sur la route de Vannes, où il implante en 1967 le premier hypermarché de l’agglomération. Un hypermarché nommé Record. A ce titre, il est d’ailleurs un précurseur du développement commercial de l’axe et apparait en ce sens comme un acteur clé et historique dans la mutation de la route de Vannes. Il me semble intéressant d’exposer son témoignage particulièrement instructif au commencement afin de s’imprégner pleinement du sujet, mais aussi d’un vocabulaire propre au monde - nous ferons ici l’hypothèse qu’il s’agit d’un monde - du commerce.

Un jeudi d’automne grisâtre mais doux, je rencontre Michel Decré et son épouse, qui m’accueillent à leur domicile. Alors même

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que je passe la porte d’entrée, la conversation est lancée. Monsieur Decré me tend fièrement un livre, offert par les employés de son ancien magasin, depuis racheté par le groupe Auchan. Sur la page de garde se trouvent des dizaines de mots à son attention, et à l’intérieur, des photographies de Nantes durant les années 1960. L’entretien se poursuit sur le canapé fleuri du salon. J’installe mon dictaphone sur la table basse en bois verni. La retranscription qui suit débute à ce moment, en cours de conversation.

« Michel Decré : J’ai fondé Record en 1967 et ça a changé après en 1972, 73 ou 74, absolument. J’ai monté Record, après j’ai monté Frigécrème1, et la centrale des hypermarchés de France au niveau du

GAGMI. Le GAGMI c’est la centrale d’achat que mon père avait créé, la centrale d’achat des grands magasins indépendants. Voilà.

— D’accord. Et comment avez-vous eu l’idée de fonder le Record, à cet endroit et à ce moment là ?

— Dans le commerce, il faut toujours essayer de savoir ce qui va se passer. Déjà au niveau du grand magasin Decré centre-ville, j’avais devant moi trois générations : mon arrière père, mon grand-père et mon grand-père. Mon grand-grand-père et mon grand-père avait eu des visées très nettes sur ce qu’il fallait faire en tant que stratégie commerciale - on parle d’abord de la stratégie et après cela se traduit par de l’urbanisme. Alors la stratégie commerciale de Decré à l’époque, c’était de faire un magasin de centre-ville le plus grand possible et le plus complet possible. C’est-à-dire que l’on arrivait bientôt à une période de grande mobilité.

1. «En 1976, Frigécrème produisait 10 millions de litres de crèmes glacées dans son usine de Saint-Herblain. Aujourd’hui la marque fait partie du groupe Farggi-Menorquina, situé dans la région de Barcelone. Son slogan : « La glace des Restaurateurs ».»

Source : frigecreme.fr Préambule

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Les nantais avaient été très créatifs en lançant la conserve, avec Nicolas Appert. Nicolas Appert était un ingénieur qui a donné d’entrée de jeu tous les brevets qu’il avait déposés. Formidable ! Et on ne le sait pas assez. Nicolas Appert a inventé l’appertisation et la pasteurisation, et donc la conserve. Dès qu’il a prouvé que c’était bien, il a dit : «Je donne ça à l’humanité, tous les hommes peuvent s’en servir gratuitement.». Formidable ! Le résultat dans la région, c’est qu’il a permis à tout un tas de gens de monter des conserveries. D’abord de poisson. Alors comme à l’époque, il n’y avait pas de froid, il fallait mettre les conserveries au plus près des lieux de pêche, pour avoir le poisson le plus frais possible. Il y a eu près de deux-cents conserveries de créées entre La Rochelle et Douarnenez, sur toute la côte. Tout ça, essentiellement par les nantais. Les fabricants de boîte ont suivi. Après les banquiers ont suivi, et après nous on a suivi.

On a développé la vente par correspondance. On livrait déjà les clients dans un rayon de cent kilomètres autour de Nantes. Mais on l’a développée pour suivre l’enrichissement des gens qui se faisait sur toute la côte. On a voulu suivre car ça développé des hôtels, après les fabricants de boîtes, après les banquiers, après il y a des tas de gens qui ont suivi. Et comme les conserveurs de poisson se sont rendu compte qu’il y avait des saisons pour les sardines, des saisons pour le thon, ils se sont dit pourquoi ne pas essayer avec des légumes. Donc ils ont mis des petits-pois en boîte, et puis des haricots verts. Si bien que ça a développé une activité continuelle. Tout ça c’est parti de Nantes - Chantenay. C’est ça qui est formidable! Quand on veut faire de l’urbanisme, il faut suivre l’évolution industrielle du coin. Parce que les petits-pois c’est parti de Chantenay. Les petits-pois de Chantenay étaient réputés. Chantenay était un coteau bien orienté, et maintenant tout est construit. Ça date de 1840, tout ça.

Voilà. Mon grand-père avait monté des succursales à la

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création du canal de Nantes à Brest. Parce que mon grand-père était grossiste en alimentation. Il avait trois bateaux qui allaient aux Caraïbes et ailleurs chercher du café, ça revenait à Nantes. Il torréfiait son café quai Baco, en face du château. A l’époque la Loire n’était pas comblée, naturellement. Et donc mon grand-père, avait créé des succursales à partir de Redon, dans un gros entrepôt à Redon et autour en étoile, il avait vingt-cinq magasins environ. Il était le premier distributeur de produits très fragiles, comme la vaisselle. A l’époque les camions n’existaient pas, et quand ils existaient, c’était des camions à pneus plats qui cassaient tout ce qu’ils transportaient. Il y avait des casses terribles. Alors que les péniches, les péniches voyageaient paisiblement. Quai Baco, il y avait les bateaux de haute mer qui amenaient les marchandises aux péniches, et ensuite sur l’Erdre. Et ça partait jusqu’à Redon, dans le grand entrepôt central qui lui inonde toute la région, enfin inonde les vingt-cinq magasins autour de Redon. Ce grand-père là a gagné tellement d’argent que dans l’année 1855, il s’est fait construire un superbe hôtel qui existe toujours avenue Camus. Et la même année, il a acheté un grand terrain à Préfailles pour construire une maison et une propriété avec des écuries, pour mettre les chevaux et tout le bazar. Comme quoi voyez-vous, avant de parler d’urbanisme, il faut déjà parler de flux. Parce qu’il y a des choses qui se créent. Le canal de Nantes à Brest a été une arme, disons plutôt une opportunité, pour passer de son stade de grossiste à un stade de succursaliste.

Alors, on continue. Decré a développé son rayonnement à travers des ventes par catalogue. On a vu que Nantes rayonnait, on s’est dit qu’il fallait que l’on fasse partie de ce rayonnement, que l’on participe au concert des industriels et de tous les gens qui vont. Alors on a mis des points de vente catalogue, en commençant par La Rochelle, l’Ile-d’Yeu, ensuite ça montait sur Vannes, tout le long de la côte. Préambule

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— Ça n’existait pas encore ?

— Non, et ça nous a permis de meubler tous les hôtels qui se construisaient, dont le personnel et les cadres avaient besoin. On meublait ces hôtels : on leur apportait clé en main, les meubles pour la salle à manger, les chambres. Tout ça était fabriqué à Nantes, dans une entreprise qu’on avait qui s’appelait Enac qui faisait des matelas, des sommiers, etc. Cela faisait partie des services du grand magasin. Là encore, pour faire rayonner le grand magasin on avait la vente par catalogue et on avait monté un restaurant au quatrième étage et puis un autre au sous-sol. C’est ce que l’on a recommencé après la guerre. — Vous parlez du bâtiment d’Henri Sauvage ?

— Oui, c’est ça. Ah mais c’est vrai qu’Henri Sauvage est connu en architecture. C’est un phénomène ! Il a fait le bâtiments en cent jours ! Il a battu un record de vitesse pour la famille. Moi j’avais un an, 1931. Je suis né en 28. Pour eux il fallait construire le plus vite possible, c’était un chantier épouvantable. Ils étaient repliés dans des bâtiments adjacents, ça ne pouvait pas durer trop longtemps. Alors, Sauvage avait dit je vous promets que le centième jour, on servira un repas au restaurant. Et il a réussi. Bon. Et alors qu’est-ce que l’on faisait à ce moment là avec le restaurant ? On attirait toute la semaine, tous les gens de la géographie du pays.

Le mercredi on faisait des prix spéciaux et des promotions pour les notaires. Alors les notaires venaient et ils se retrouvaient entre eux, au restaurant, ils discutaient. Les femmes, ce qui était le plus important pour nous, suivaient et faisaient leurs achats. En même temps, sur la terrasse, à l’époque on avait un cinéma et des manèges pour occuper les jeunes. Sur le magasin actuel il y a une

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grande terrasse sur laquelle on pouvait poser un hélicoptère, il y avait un manège, un petit bassin pour faire nager les bateaux. Les enfants pouvaient, quand les parents allaient faire leurs achats, rester sur la terrasse. Ça permettait de développer une activité toute la semaine. Avant, les grandes pointes étaient toujours le samedi. Après, on a développé des semaines bretonnes, on faisaient tous les ans une grande semaine pour mettre en valeur une partie de la région, par exemple la semaine vendéenne. On présentait toutes les nouveautés de la Vendée à l’époque. On a présenté les premiers bateaux Bénéteau, les premiers bateaux en plastique, sur le toit. On avait une grue qui montait les bateaux. On a fait aussi pour Jeanneau, et pour des fabricants de meuble. On montait des stands dans le magasin pour présenter des nouveautés et ça durait un mois. On faisait la même chose pour la Bretagne l’année d’après et encore une autre fois. On n’allait jamais loin, ça s’arrêtait à 70 kilomètres de Nantes alors que de l’autre coté, on allait à 220 kilomètres il me semble.

On a suivi exactement l’attraction de ce que les nantais avaient créé dans l’industrie. On arrivait derrière avec le commerce pour meubler les hôtels et pour vendre aux gens du coin qui commençaient à s’enrichir. Voilà. Alors après est arrivé le développement de l’automobile. Bon. Et à un moment donné, il y a eu un double phénomène. Il faut les lier tous. Nous on avait un magasin familial. Assez vulnérable donc. Il suffisait que les gars du Printemps avec leur Prisunic et les gars des Galeries Lafayettes avec leur Monoprix, arrivent en disant : «Monsieur Decré, on aimerait bien acheter votre magasin». Chose qui est arrivée plusieurs fois. On leur répondait : «Et bien on n’est pas à vendre, c’est dommage, et eux renchérissaient : — c’est dommage pour vous car on va vous mettre dans le bout de la rue un Prisunic ou un Monoprix, ou les deux, ça va faire tomber votre chiffre d’affaire de l’ordre de 20% et votre magasin vaudra beaucoup moins cher, il sera à peine rentable. — Très bien,

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nous répondions.» Alors mon père qui était très sur l’œil avait vu ça venir. Pourquoi ? Parce jusqu’à peu avant Record, il y avait environ 600 magasins Prisunic ou Monoprix en France, je sais pas si vous voyez ! 600 ! Et ces magasins là avaient leur marque, Prisunic c’était la marque Forza et Monoprix c’était la marque Beaumont. Ils avaient complètement avalé certains conserveurs qui faisaient des petits-pois en Bretagne pour eux avec leur marque. Les pêcheurs : pareil pour le poisson. C’était une intégration complètement verticale. Ils ne vendaient que des produits Forza. Tous les gens qui étaient fiers de leurs marques : Cassegrain, Saupiquet...ils passaient complètement à coté de la plaque. Quand on eu l’idée de monter ce commerce là... alors pourquoi on a eu l’idée d’abord. Pourquoi ? On a eu l’idée parce que le centre devenait de plus en plus inaccessible d’une part, d’autre part on s’est rendus compte que les gens se déplaçaient de plus en plus avec leurs voitures. Il fallait donc mettre un magasin qui puisse recevoir les voitures et avoir des caddies - des chariots à la dimension d’un coffre de voiture. C’est très important. Et on ne pouvait faire ça qu’à l’extérieur.

Alors moi j’avais parié sur la route de Vannes. Pourquoi ? Parce que pour moi c’était le grand axe de développement Nantes - Saint-Nazaire. A l’époque j’étais administrateur de la foire. La foire de Nantes était à l’époque en plein centre-ville, au champ de mars, où est le CIO actuellement, il y avait un grand pavillon là, qui est énorme et devant il y avait tout un terre-plein qui allait jusqu’au canal Saint-Félix, et là c’était la foire de Nantes. Et moi j’étais administrateur de la foire de Nantes. Pourquoi ? Je suis devenu administrateur de manière tout à fait accidentelle, j’étais président de l’aérodrome, j’aimais beaucoup voler. J’étais aller voir le président de la foire et je leur avait dit : «laissez moi faire un stand, je vais vous faire un beau stand sur l’aviation et on mettra sur le canal Saint-Félix une péniche sur laquelle on fera venir un hélicoptère, on fera des baptêmes de

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l’air. — Ah mais c’est une bonne idée Michel ! D’accord, on t’offre l’endroit !». Alors ça a très bien marché et après ils m’ont demandé d’être administrateur de la foire, j’ai dit pourquoi pas, c’était sympa. On a fait des tas de trucs. Moi j’étais persuadé à ce moment là que l’évolution de la foire de Nantes qui était en plein centre, comme nous Decré, au centre de l’activité, au point où ça chauffait le plus et bien on serait amenés à partir. Et où partirions-nous ? On partirait forcément sur l’axe Nantes- Saint-Nazaire, c’était inscrit dans les textes. Et bien pas du tout ! Finalement, la foire de Nantes est allée à la Beaujoire. Pourquoi ? Parce que le poids des maraîchers, des horticulteurs et de la chambre de l’agriculture, a été tel sur la mairie de Nantes et sur la chambre de commerce, qu’ils leurs ont dit : «d’accord, vous allez mettre ça à la Beaujoire, c’est beaucoup plus joli comme cadre, un truc qui descend sur l’Erdre, c’est ravissant». Mais c’était à mon avis complètement contre-nature, puisque l’on s’était battus pour faire un Nantes - Saint-Nazaire. Il fallait faire un axe avec une route de desserte avec des commerces et une voie rapide en parallèle pour aller rapidement de Nantes à Saint-Nazaire. Avec un point fort à Savenay par exemple, et si on devait faire de gros investissement style Stade de Nantes, style Foire de Nantes, il fallait les mettre entre Nantes et Saint-Nazaire pour accélérer le mouvement. Et bien non, ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.

Alors on me disait : «Oui Michel c’est forcé, tu dis ça parce que tu as monté ton Record route de Vannes. et je leur disais : — mais non, moi j’ai besoin de personne!». A l’époque à la chambre de commerce, c’était Jean Chevalier qui était là. J’avais dit à Jean Chevalier : «J’ai un projet sur la route de Vannes, ma tante a une ferme. L’avenir est forcément à une déconcentration pour les gens qui veulent aller faire leur marché en voiture, il faut accueillir les voitures, le plus près possible de là où ils vont faire leurs achats. L’endroit où on peut le faire c’est en pleine campagne parce qu’on

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a toute la place qu’on veut pour faire des parkings.» Alors il me dit : — Mais Michel tu es complètement fou ! Moi je lui répond : — J’inviterais bien quelques commerçants à venir à coté de moi. Alors Jean Chevalier me dit : — Michel, tu prends le risque que tu veux. Moi je ne peux pas faire prendre ce risque à des commerçants de te suivre. Moi je lui ai dit, je vais mettre des commerçants à coté, comme ça se passe maintenant quoi. Et lui : — Ah non non non, nous on peut pas». Et puis d’ailleurs, la chambre de commerce, dont je faisais partie, tremblait de trouille parce que les électeurs à la chambre de Commerce, vous savez comment ça se passe ?

— Pas tout à fait non, pouvez-vous m’expliquer ?

— Les électeurs c’est : les professions libérales et les banques, 15%, les industriels, environ 20%, soit 300 à 400 personnes, et le gros de la troupe ce sont les petits commerçants : 16 000 votants ! C’est-à-dire que les petits commerçants...C’était à l’époque du poujadisme en plus, les petits commerçants voyaient des implantations comme ça d’un très mauvais œil. Alors : déchirement au sein de la chambre! On me disait : «Michel, tu nous emmerdes avec ton histoire ! et moi je répondais : — Mais moi je vous invite les petits commerçants à venir!». Je ne pouvais pas être plus gentil, je les invite à venir faire partie de l’expérience. «Oui mais on te voit venir» me disait-ils. Bon. Grande discussion.

J’étais parti là-dessus. Pour moi l’axe de développement de la métropole de demain, c’était l’axe Nantes - Saint-Nazaire avec une double voie. C’est ce qui a été fait finalement : une route à quatre voies rapides et à coté une voie de desserte Et ça paye ça. Aujourd’hui, quand vous allez vers Sautron sur l’ancienne route de Vannes, vous prenez la quatre voie, mais si vous continuez, vous pouvez aussi rejoindre la quatre voie 10 ou 15 kilomètres plus loin.

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Vous vous apercevez qu’elle a quand même un certain attrait. Alors moi, j’ai beaucoup vendu cette portion de la route de Vannes à des entreprises comme par exemple Liddl. A l’époque je m’occupais de Nantes-Développement et j’avais eu des boîtes comme Liddl qui étaient venues en me disant : «On veut construire un entrepôt régional, on hésite entre Bordeaux ou Rennes. Je leur dit : — Nantes est bien mieux.». Alors je les ai emmené en avion, parce que j’aimais beaucoup l’avion, et je leur dit : «Regardez Nantes, regardez comme ça se développe, et vous voyez la 4 voies qui va directement en Bretagne ? Et bien à coté, vous avez l’ancienne voie qui s’appelle route de Vannes, qui part de Sautron et qui tombe dans la route de Vannes un peu plus loin, à 7-8 kilomètres.» Ils trouvaient ça vachement intéressant. Et moi j’avais un autre terrain similaire route de Rennes. L’ancienne route de Rennes, qui va à Treillières, vous connaissez un peu ce coin là ?

- Oui, un peu !

- Alors moi ma famille avait une ferme, après Aragon. Une belle ferme de 22 hectares. Interdiction de construire. Bon, j’ai jamais eu le droit de rien faire dessus mais ça m’intéressait quand même de réfléchir aux opportunités dans ce coin là et j’avais emmené Liddl. Ils me disaient «Michel, on vient sur votre terrain, on vient sur votre terrain.». Le maire de Treillières que je vais voir, Monsieur Savary, je lui dit : «Monsieur Savary, voulez-vous qu’on crée chez vous 250 emplois ? — Pour quoi faire ? me répond-il, — Un entrepôt. — Combien de camions par jour ? — Oh, 80. Il me dit : — Certainement pas !» Alors, je vais voir Monsieur Bodry, qui était un copain et le maire de Sautron, je lui dit : «Dis donc, ça t’intéresserait d’avoir une implantation sur ta route de Vannes là, tu as une petite zone industrielle là qui est très limitée mais tu pourrais peut-être l’agrandir pour mettre un entrepôt. — Ah bon, combien

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d’emplois ? — Deux-cent-quatre-vingts. — Combien de camions ? — Environ 80 par jours. — Ah bah ça gène pas dit, route de Vannes, c’est même très bien au contraire, et moi ça va me faire une bonne taxe professionnelle ! — Bon bah écoute je vais venir te voir, je vais te présenter les gars.». Et je suis venu lui présenter les gars, et ça s’est fait. L’entrepôt Liddl existe. Alors on a raté le coup avec Décathlon qui aurait du aller sur une route comme ça. Parce que la vieille route sert de voie de desserte, elle est très bien embranchée, soit sur la quatre voie qui va à Vannes, soit sur la rocade. C’est idéal. J’ai jamais compris pourquoi le comité d’expansion n’a pas mis ça en avant. Moi j’avais vu ça avec mes petits avions. Parce que ce qu’il faut dire c’est qu’avant de faire celui-là, j’avais emmené Marcel Fournier qui était un de nos associés au GAGMI. Ah je ne vous ai pas dit pourquoi le GAGMI est né. Si, pour aider les professionnels indépendants comme nous à tenir le coup face à l’invasion des Prisunic et des Monoprix. Voilà, j’ai bifurqué là.

Pour aider les entreprises familiales à résister on avait ouvert notre centrale d’achat à Paris, et on en a fait une coopérative. Mon père était président des patrons chrétiens et jouait beaucoup la solidarité entre collègues. Alors ça tombait bien et c’était en même temps dans notre intérêt. Plus on se regroupait, plus on était fort au niveau des volumes d’achat, au niveau du poids politique éventuellement. Le GAGMI était fait pour tous ces magasins indépendants comme Marcel Fournier à Annecy, les Decré à Nantes, et bien d’autres ailleurs du même type. On a créé au GAGMI une division pour les supermarchés qui s’appelait SNPI. Pourquoi ? Parce qu’il y avait un bonhomme à Versailles qui s’appelait monsieur Gamberger, qui avait créé un libre-service qui battait le record de France de chiffre d’affaire au m². Un homme seul. Et il est venu au GAGMI en disant : «Est-ce que vous accepteriez que je vienne avec vous, pour réfléchir en commun, entre commerçants ?» et nous on

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lui dit : — Nous on est très contents, vous avez su mettre au point un libre-service qui est rudement performant, ce serait intéressant de le développer». Et Gamberger est venu au GAGMI. On l’a briffé, en lui donnant tous les articles de nouveauté qu’il fallait, des articles de bazar aussi. Lui était exclusivement sur de l’alimentaire. Et on a créé comme ça un beau jour, le premier hypermarché. Le premier hypermarché c’est par accident. C’est parce que Monoprix avait pris un grand emplacement dans un ensemble immobilier dans la région parisienne, à Sainte-Geneviève-des-bois et le Monoprix a paniqué. «On veut plus y aller». Nous quand on a vu ça, avec Marcel Fournier, on s’est dit on va le reprendre. Bon les constructeurs étaient embêtés parce que pratiquement tous les immeubles étaient terminés. Pour eux et pour l’équilibre commercial de l’ensemble, le commerce comptait beaucoup. Mais Monoprix trouvait que c’était trop grand 2500m² dans un HLM. Et là Marcel a dit : «Moi j’ai 300 000 francs, je les mets sur la table». C’est rien du tout, c’est le dixième de ce qu’il fallait. Avec le GAGMI on s’est dit : «On va l’aider, on va créer le premier libre-service de cette taille». Et c’était le premier Carrefour, qui a marché du feu de dieu.

- Carrefour n’existait pas avant ? Comment cela s’est formé ?

- Carrefour c’était Marcel Fournier, adhérent du GAGMI qui avait un magasin à Annecy. Il était au centre des jeunes patrons lui aussi. Il a invité un soir, un certain Edouard Leclerc, qui roulait des mécaniques. Marcel Fournier a dit : «Monsieur Leclerc, moi je vous défie. Nous les indépendants on peut faire aussi bien et peut-être même mieux.» Et c’est comme ça qu’est parti le coup. Alors il a créé un premier petit Carrefour à Annecy, et le vrai Carrefour c’est Sainte-Geneviève-des-bois, le deuxième c’était nous. Nous le notre on l’a appelé Record parce qu’on était des indépendants. On voulait surtout diversifier les noms pour pas que les uns soient dépendants des

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autres, que l’on ait chacun fait notre expérience et que chacun amène son nom. Donc les Decré c’était Record, on a pris des associés. Après il y a eu, un grossiste, qui voulait monter un magasin aussi, il avait passé un accord avec Marcel Fournier pour monter un Carrefour à Caen. Et finalement lui quinze jours avant l’ouverture du magasins il dit : «Non, je ne veux plus monter de magasin avec Marcel, il est trop gourmand. Il faut que chacun ait son magasin. Michel a raison, il faut que l’on soit indépendants. On lui a répondu : — Écoute, tu changes de nom quand tu veux mais tu prends exactement le même nombre de lettre. Parce que le magasin est terminé, tu n’as plus qu’à mettre les lettres et tout est prévu pour les dix lettres de Carrefour. Alors tu nous dit comment tu t’appelles demain matin. — D’accord, demain matin. et il nous dit au téléphone : On va l’appeler Continent.». Oh c’était joli, et ça a marché. C’était très bien. Continent est arrivé en 76, il y avait déjà plusieurs Carrefour et plusieurs Record. Nantes en 67, en 68 c’était le Mans pour nous, après c’était Angers, Vannes, Cholet, enfin voilà la petite histoire.

Après mes tontons trouvaient ça complètement stupide de monter ce magasin, parce que ou ça réussi et c’est la ruine de Decré, ou ça réussit pas et c’est aussi la ruine de Decré. Alors ils ne m’avaient pas donné un sous pour ça ! «Tu te débrouilles, tu veux le monter ton machin, montes le.» Et j’ai eu le bol d’avoir un camarade qui avait créé une nouvelle source de financement qui était le crédit bail immobilier. Le principe du crédit bail immobilier, c’était de faire comme pour le crédit bail habituel mais pour l’immeuble. C’est-à-dire que l’on pouvait financer un magasin sur douze ans en ne donnant que 10% de la somme au départ. Et on payait année après année. La société de crédit qui faisait les crédit bail était propriétaire des magasins, jusqu’au dernier bail. Quand on était remboursé c’était fini donc ça c’était bien.

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Beaucoup d’hypermarchés ont été faits par crédit bail. Parce que les commerçants n’avaient pas l’argent qu’il fallait, sauf quand c’était Fournier. Quand on a un magasin, on a une telle trésorerie parce qu’évidemment on vend comptant. On paie des trente jours fin de mois, aux soixante jours fin de mois. Donc on a une masse de trésorerie considérable. Et Marcel lui, quand il montait un magasin, il avait assez de trésorerie pour en monter deux. Et quand il montait deux magasins, il avait assez de trésorerie pour en monter quatre. Il faisait ça avec le fond de roulement de la trésorerie qu’il devait au fournisseur. Alors moi ma famille trop contente de pouvoir m’emmerder, me dit : «Michel, on ne prend pas le risque d’utiliser de l’argent qui ne t’appartient pas. Cet argent là, c’est un délai de paiement pour les fournisseurs, pour les industriels.» Donc je n’ai pas eu d’auto-financement en prenant sur les fonds de trésorerie. Marcel s’est fait un marché, il n’a gêné personne, il n’a eu aucun problème. Mais sur le plan des Decré, c’était un petit point moral qui les intéressait pour m’emmerder. Ils avaient peur. Donc ce magasin là, on l’a ouvert en août 67, sur la route de Vannes. Parce que je considérais que c’était l’axe. On était les premiers à monter là une station service à essence en discount. Au même moment que le magasin.

— Et comment le magasin a-t-il été reçu par le public ?

— Alors il y a eu tout un travail de lancement. On a lancé ça le 27 août. C’était une petite société, Decré alimentation, qui avait pris le risque. Petite société dont j’étais gérant, qui gérait jusqu’ici le supermarché Decré, au sous-sol. Il fallait absolument que ça marche. Enfin, dans ma tête j’avais une ressource. Comme j’avais lancé Frigécrème à coté, qui était une petite société qui avait 25/30 personnes, si ça ne marchait pas avec le Record, j’en ferais une usine Frigécrème. C’est pour ça que le bâtiment est en pente d’un mètre. Un mètre de

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dénivelé. D’abord parce que le terrain était déjà en pente et ça coûtait moins cher de suivre la pente, en même temps ça entraînait les gens dans le fond du magasin, insensiblement et si j’en faisais une usine d’agroalimentaire, ça me permettait d’avoir un écoulement aussi par le sol. Et à ce moment là, je mettais l’usine Frigécrème. Bon, en fait ça ne s’est pas passé.

Alors on a fait une publicité. Pas onéreuse mais en mettant beaucoup dans le coup les nantais. En leur disant : «Vous avez chacun une voiture, on vous invite à venir, l’essence est moins chère.» J’avais mis dans le coup les taxis. Tous les taxis étaient là avec des petits drapeaux Record, ils mettaient des trucs Record sur leurs capots, sur leurs ailes. Je leur donnais en échange vingt litres d’essence par semaine. Les taxis sont un bon vecteur. Et puis on a fait des concours, j’avais passé un accord avec Renault aussi, en disant : «Venez voir, la route de Vannes on est bien.» Et finalement ils m’avaient fait un prix pour dix 4L que j’offrais dans les trois jours.

Comment il s’appelait cet acteur, il avait un petit chapeau, il s’appelait Georges. Georges Decausnes ! Il était venu pour mettre de l’ambiance. Et en fait il est venu pour calmer les gens. Parce qu’il y avait tellement de succès que des chefs de rayon - en tout cas le chef poissonnier - ont eu peur de la foule. Lui quand il a vu la foule, il est parti et puis il est revenu une heure après : «Monsieur Decré, vous pouvez pas savoir la trouille que j’avais quand j’ai vu cette foule à l’entrée !». J’avais réquisitionnée ma femme pour la mettre à la caisse centrale, parce que les caissiers étaient débordés. Je lui avait donné un grand carton en lui disant : «Tu mets les billets de mille d’un coté, les billets de 500 de l’autre». Elle était complètement affolée. Et la veille pour remercier mes cadres du boulot qu’ils avaient fait, on dînait sur la terrasse de Decré, entre nous. Et Jeanne Maison est arrivé : «Alors Michel, c’est demain Waterloo ? — Pardon ? —

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Messieurs, vous voyez cette homme, il était derrière moi en me montrant comme ça, — demain cet homme nous aura ruiné!» C’était sympa hein ! Et bien le lendemain soir, il sabrait le champagne sur la terrasse Decré, pour saluer le succès. Donc ça a très bien marché. On a eu un petit peu de mal aux mois d’octobre et novembre qui ont suivi, parce qu’après l’euphorie il y a une petite retombée. Il faut que les gens gardent l’habitude.

A ce moment là, j’ai eu de bons acheteurs qui sont allés en Espagne, acheter par pleins wagons. Je leur disait, les wagons on ne les décharge pas à la gare, on va les décharger sur le parking. Ils ont des remorques pour transporter des wagons, ils mettaient trois rails et hop. Et donc les camions étaient pleins de chaises espagnoles. Les gens venaient et les prenaient directement dans le wagon en disant : «Oh mais on en veut dix !». Des astuces comme ça ont fait que finalement on a peu amener les gens à prendre l’habitude. Il fallait passer de l’euphorie de l’inauguration, à l’habitude. Et l’habitude au mois d’octobre, novembre, quand il pleut un petit peu tout ça... Alors on a essayé d’instaurer ça par des opérations un petit peu choc. Sur le plan plus général, je continuais de dire : «Vous allez voir, la route de Vannes ça va flamber.» Ceux qui ont compris les premiers c’étaient les marchands de voiture. Mustière, Alain, vous avez un garage Mustière près de Auchan. Il n’est pas venu directement lui, il est allé faire son garage dans la zone industrielle de Saint-Herblain. Il a rectifié quelques temps après. Il est allé se mettre au grand rond-point. Tous les fabricants de voitures sont là finalement : Toyota, Peugeot, Citroën.. Alors ça fait un bon pôle. Il y a eu un pôle ameublement aussi avec Conforama, le premier à venir s’installer. Après, sur le plan du développement commercial, ça s’est passé tout seul. Moi j’ai toujours regretté le fait que l’on ait pas travailler d’avantage la liaison Nantes - Saint-Nazaire. Préambule

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Les grossistes alimentaires, c’était Les Docs de l’Ouest, des succursalistes. Les grossistes sont devenus petit à petit succursalistes parce qu’ils ont vu que le gros tombait. Les gens allaient se fournir directement chez les industriels. Ils ont achetés des magasins. Au Mans par exemple, Les comptoirs modernes ont créé leur magasins Les comptoirs modernes. Alors ce qu’il y a de rigolo, c’est quand Les comptoirs modernes ont vu ce que l’on avait fait avec Record, ils sont venus nous voir en nous disant : «Michel, est-ce que tu crois que ça marcherait au Mans? Je lui dit — Evidemment, ça marcherait partout.» Et Joseph Fourage1 - j’étais à Saint Stan avec Joseph - il me téléphone quatre mois après pour venir me voir. Je l’invite, il visite le magasin et me dit : «Tu crois que ça marcherait avec l’enseigne Leclerc. Je lui dit — ça marcherait avec n’importe quelle enseigne, moi j’ai mis Record mais tu crois que ça veut dire quelque chose Record ? Ce n’est rien.» Il fallait simplement pas que je mette Decré, sinon j’avais une crise chez les Decré.

Alors Joseph lui va en faire deux. Il achète un premier magasin dans la demi-mesure et me dit : «Tu comprends moi, je suis un social, je veux m’installer dans les quartiers pauvres. — Joseph, va t’installer dans les quartiers pauvres, tu seras sur de ne pas faire fortune.» Il monte un premier magasin à Saint-Herblain, là où il y a la banque alimentaire. Il a fermé ce magasin là quand il a créé Atlantis2

et Paridis3. Il a fait la même chose à la Bottière, c’était 2000m² avec

un petit parking de 100 places, le tout dans un des quartiers les plus pauvres. Sauf que ça marchait pas bien parce que les gens n’avaient

1. Feu Joseph Fourage, boucher de formation rejoint le Mouvement E.Leclerc à la fin des années 1960 avant d’ouvrir en 1969 son premier centre E.Leclerc à Saint-Herblain. 2. Atlantis le Centre est un centre commercial situé à Saint-Herblain qui accueille 151 magasins, dont l’hypermarché E.Leclerc et le magasin de meubles IKEA, et 31 restaurants. 3. Paridis est un centre commerciale situé route de Paris, à Nantes. On y trouve un hypermarché E.Leclerc et autour près de 68 magasins.

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pas de pouvoir d’achat. Très rapidement il s’en est rendu compte et il a monté Paridis. Il me dit : «Regarde Michel, là je monte un immeuble de bureaux dans le fond du terrain, pour mes vieux jours.» Pauvre Joseph. Le terrain valait rien parce qu’il y avait des grosses lignes à haute tension et ça a marché tout seul. Très bien. Paridis et Atlantis ont très bien marché. Ça a marché simplement vingt ans après nous. Il y a eu avant son expérience qui a durée dix ans à peu près dans son quartier pauvre là, à la Bottière et Saint-Herblain. Il a fait un succès avec Paridis et Atlantis. Là il a fait un fric... je sais plus combien, à un moment 500 millions par an je crois. «Mais n’ait pas honte Joseph ! Fais plaisir aux gens ! Distribue ton argent ! Fonce !». Alors eux ils n’ont pas eu la même démarche non plus. A Saint-Herblain, il essayait de créer une grande zone commerciale, Atlantis. C’était un fiasco, pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas eu d’unité, il y a eu quatre ou cinq individualités qui sont venus, ils ont mis des cinémas, ils ont mis un magasin de soldes, ensuite il y a eu Boulanger qui a pris un terrain, si bien que c’était n’importe quoi. Et celui qui tire son épingle du jeu c’est Joseph, et son gendre maintenant, qui est homogène avec sa galerie marchande, IKEA en un bout et lui de l’autre, et la galerie qui est très bien foutue, impeccable et un parking bien pensé. Là il est tranquille, le long de la quatre voie vers La Baule, très bien. C’est dans la même logique que la route de Vannes, ça va vers l’Ouest, c’est bien. Ça va très bien vers l’Ouest.

Mais on a raté notre coup à Nantes à mon avis, en ne privilégiant pas assez l’axe Nantes - Saint-Nazaire. Il fallait raccrocher Saint-Nazaire, avec un système de transport rapide entre les deux. Il y aurait à tester là par exemple un transport pneumatique, et tu vas à 400 à l’heure avec ça, c’est vachement écologique ! A Nantes on a eu tort de faire le tramway, une paille de fer. Route de Vannes on a eu le tramway après. Je trouve que ce n’est pas souple du tout, c’est enraciné. Il existe des Trolleybus qui sont drôlement chouettes, il

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n’y a pas de rail et avec ce système là, c’est beaucoup plus souple. Nous on défonce les chaussées, on mobilise les voies, on réduit les deux tiers les voies en mettant le tramway au milieu. C’est comme la voie qu’on a créé pour aller à Chateaubriand, le tram-train, vous avez vu comment ça marche? Vous croyez qu’ils ont le même écartement que les chemins de fers ? Vous croyez qu’ils ont le même écartement que le tramway ? Et bien non, vous avez un écartement spécial. Et comment il s’appelle ce transport qui mets une heure quand même pour faire Nantes - Chateaubriand ? Un tram-train. Et pourquoi ? Parce que vous avez 30% de gens assis et 70% de gens debout. C’est vachement confortable! Et ça a coûté une fortune, c’est la région qui a financé ça. Et les gens voyagent debout! Alors pour le commerce et le rayonnement de Nantes, les gens qui voyagent debout ils peuvent porter quoi ? Dix kilos de marchandise maximum ? Alors il faut qu’ils viennent acheter des mouchoirs à Nantes ou des éponges. Ça ne rime à rien. Et c’est ça que l’on sous-estime régulièrement.

— D’accord mais alors pour en revenir à votre expérience, comment avez-vous suivi l’évolution du Record, notamment après le changement de propriétaire ?

— Alors, le Record aujourd’hui c’est Auchan. Avec Auchan on est très bien ensemble, pourquoi ? Parce que quand j’ai créé Record, au centre des jeunes patrons j’ai travaillé avec des gens, notamment les Mulliez. Il y a deux Mulliez. André et Gérard qui sont les présidents du groupe. Ils me tombent dessus en novembre 67 : «Michel, qu’est-ce que tu as monté là ? c’est formidable, il faut que tu viennes monter un Record à Lille.» Alors eux, ils étaient dans les tissages, les Mulliez étaient présidents de Fildar. «Michel tu comprends, la vie est chère, on te donne une usine, tu viens la monter.» On a eu une réunion, je leur ai dit : «Voilà, il faut que je vous emmène voir quelque chose.» Je les ai emmenés au GAGMI, dans notre bureau d’étude. Je leur ai

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dit vous voyez les bureaux d’études là, on y prépare un quatrième Carrefour, et là le cinquième Record, etc. Ils me disent : «Mais tu fais ça? Je dis — oui, on est un groupe d’indépendants donc on essaie de mettre les techniciens ensemble et chacun fait son choix dans l’endroit où il est. Et toi dans le Nord, j’ai pas du tout envie d’aller à Lille, tout le monde fait faillite à Lille. Le tissage c’est mort, la métallurgie c’est mort, les hauts fourneaux, c’est mort. Montez le vous-même le magasin ! — Mais on n’y connaît rien ! — Justement, vient adhérer au GAGMI». Alors, on rentre chacun chez soi, j’en parle à mon père qui était le président. Il me dit : «Michel, qu’est-ce que c’est que ça ? Tu proposes à des industriels de monter un hypermarché ?. Je lui dit — Papa, les industriels en question, sont dans une région impossible qui fait faillite. Personne voudra aller à Lille. Moi je n’irai pas à Lille. Tout le monde fait faillite là-bas, la municipalité n’a même plus d’argent pour entretenir les voies. Alors non que ce soit les lillois qui le fassent, c’est à eux de remonter leur machin. — Bon bon, la semaine prochaine tu m’envoies les Mulliez.» Alors je leur dit : «Il faut que vous preniez contact avec le paternel il vous attends. C’est le président du GAGMI». Et mon père leur dit : « On va vous aider. Choisissez un directeur et vous me l’envoyez à Nantes.»

Alors ils envoient à Nantes, le futur directeur qui s’appelait Michel Leclerc, rien à voir avec les Leclerc, c’est celui qui a créé le Décathlon après. Il a travaillé pendant un mois et demi, on lui a trouvé des cadres, pour voir comment ça marche mais il n’y a rien de sorcier. Et donc il a monté le premier magasin avec toutes nos références. Il en fait un deuxième, très bien. Et puis maintenant qu’on a le truc, on a plus besoin de vous. Et ils ont décliné la même formule que l’on faisait au GAGMI dans tous les domaines : l’outillage avec Leroy Merlin, remarquable, les tapis avec Saint-Maclou. Ils ont déshabillé mon GAGMI en le spécialisant. Ils ont été rudement

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