• Aucun résultat trouvé

Considérations génétiques et environnementales dans l'association entre le développement du langage et l'agressivité physique à la petite enfance

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Considérations génétiques et environnementales dans l'association entre le développement du langage et l'agressivité physique à la petite enfance"

Copied!
200
0
0

Texte intégral

(1)

GINETTE DIONNE

¿0.S

UL

9-00/

J)S?>

CONSIDÉRATIONS GÉNÉTIQUES ET ENVIRONNEMENTALES DANS L’ASSOCIATION ENTRE LE DÉVELOPPEMENT DU LANGAGE ET

L’AGRESSIVITÉ PHYSIQUE À LA PETITE ENFANCE

Thèse présentée

à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval pour l’obtention du grade

de Philosophiae Doctor (Ph.D.)

École de psychologie

FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

MARS 2001

(2)

L’objectif de cette thèse consiste à étudier le lien entre l’agressivité physique précoce et le langage en terme de facteurs génétiques et environnementaux et d’influences

phénotypiques. Dans un premier volet de la thèse, les résultats démontrent que 1) les différences individuelles quant au vocabulaire et à la grammaire s’expliquent en grande partie par des facteurs d’environnement commun et une modeste contribution de facteurs génétiques et 2) que le lien entre vocabulaire et grammaire s’explique à la fois par une étiologie génétique et environnementale commune et par des influences phénotypiques réciproques entre 24 et 36 mois. Dans le volet central de la thèse, le vocabulaire et l’agressivité physique apparaissent liés à 18 mois, quoique modestement. Les résultats démontrent que le lien entre agressivité physique et vocabulaire ne s’explique pas par une étiologie commune mais presque entièrement par une influence phénotypique du vocabulaire sur le recours à l’agressivité physique.

(3)

RÉSUMÉ LONG

L’objectif de cette thèse consiste à étudier l’étiologie spécifique et commune des manifestations précoces d’agressivité physique et de !’acquisition du langage en terme de facteurs génétiques et environnementaux et d’influences phénotypiques mutuelles. Trois objectifs spécifiques en découlent : 1) d’abord étudier l’étiologie spécifique du vocabulaire et de la grammaire avant 3 ans, 2) ensuite, étudier le lien entre vocabulaire et agressivité physique à 18 mois en comparant un modèle d’étiologie commune à un modèle d’influences phénotype-à-phénotype et 3) enfin, utiliser de façon novatrice la modélisation génétique pour tester des modèles théoriques rivaux. Deux volets d’étude constituent le corps de cette thèse, l’un sur le lien entre langage et agressivité, et l’autre sur l’étiologie du langage. Dans un premier volet de la thèse sur le langage, les résultats démontrent que les différences individuelles quant au vocabulaire et à la grammaire, qui sont fortement liés de 24 à 36 mois, s’expliquent en grande partie par des facteurs d’environnement commun quoique chaque composante démontre une héritabilité modeste mais significative. Des analyses multivariées de ces résultats suggèrent que le lien entre vocabulaire et grammaire s’explique à la fois par une étiologie génétique et environnementale commune et par des influences phénotypiques réciproques entre 24 et 36 mois. Par ailleurs, le vocabulaire et l’agressivité physique à 18 mois apparaissent significativement liés (r = -.20), quoique modestement. Les analyses génétiques révèlent une forte héritabilité pour l’agressivité physique mesurée dès ce jeune âge. Deux modèles ontogéniques ont été testés pour expliquer la corrélation observée. Les résultats démontrent que le lien entre agressivité physique et vocabulaire ne s’explique pas par une étiologie commune aux deux phénotypes mais presque entièrement par une influence phénotypique du vocabulaire sur le recours à l’agressivité physique. Ces études font appel à la modélisation génétique pour tester ces modèles ontogéniques alternatifs.

(4)

ABSTRACT

The main purpose of this thesis was to explore the specific and shared etiologies of early manifestations of physical aggression and language development in terms of genetic and environmental factors and phenotypic influences. The aims were : 1) to study the

specific etiology of vocabulary and grammar before age 3, 2) then to study the link between vocabulary and physical aggression at 18 months by comparing shared etiology models to phenotype-to-phenotype effect models, and 3) finally to use genetic modelling in novel ways to test rival theoretical models. In the first part of the thesis on language development,

results indicate that individual differences on vocabulary and grammar, both phenotypic ally linked at 24 and 36 months, are mainly explained by shared environmental factors and a modest heritability. Multivariate analyses of these results suggest that the link between vocabulary and grammar is equally explained by shared genetic and environmental

etiologies and direct phenotypic influences between 24 and 36 months. In the second part of the thesis, results indicate a modest but significant correlation (r = -.20) between early physical aggression and vocabulary delay at 18 months. Genetic modelling reveals a strong heritability for physical aggression measured this young. Alternative developmental models were tested using genetic modelling to explain the observed correlation. Results show that the link between vocabulary and physical aggression can not be explained by shared

etiologies but rather almost entirely by a phenotypic influence of vocabulary towards the use of physical aggression.

(5)

AYANT-PROPOS

Cette thèse est le fruit d’une grande curiosité et du rêve qu’elle a nourri. Comme j’ai toujours su éviter les parcours droits et parcimonieux, la réalisation de cette thèse n’a pas fait exception. J’ai donc été choyée tout au long de ce processus de pouvoir bénéficier de la présence d’un entourage patient, motivant et généreux.

Ma gratitude s’exprime d’abord à l’endroit du Dr Michel Boivin pour y avoir cru. Michel inspire confiance comme directeur et sait en prodiguer. J’ai toujours pu compter sur sa grande rigueur scientifique, sa créativité intellectuelle et une disponibilité sans reproche. Sous sa supervision, le processus de doctorat ne se sera pas limité à la production d'une thèse, mais aura contribué à former une chercheuse. Cette gratitude s’étend à mon co- directeur Dr Richard E. Tremblay pour sa présence judicieuse.

Un merci tout spécial s’adresse aux membres des deux groupes de recherche dans lesquels je me suis faufilée pour réaliser les études de cette thèse. D’abord merci à Daniel Pérusse, pour avoir su « voir en double », et à David Laplante pour leur collaboration au dernier article de cette thèse dans le cadre de l’Étude des jumeaux nouveau-né du Québec. Warm felt gratitude is also extended to Professor Robert Plomin, Professor Philip S. Dale and Thalia Eley of the Twins Early Development Study for their vote of confidence, the great amount of work they confided to me and their inspiring drive for excellence. It has been a joyful learning experience.

Les trois articles empiriques qui composent le corps de cette thèse ont été réalisé en collaboration. L’identification des co-auteurs figure sur la page titre de chaque article. Sauf pour l’article en annexe rédigé en collaboration avec Dale, je suis responsable de la

(6)

Merci aux co-auteurs pour une contribution judicieuse dans l’élaboration de chaque étude et dans la production du document final. L’article en annexe est paru dans le numéro d’octobre 2000 du Journal of Child Language. Le deuxième article a été soumis au périodique Child Development et y a reçu un accueil favorable, enjoignant de procéder à certaines révisions dans le but d’une éventuelle publication. Le dernier article vient d’être soumis à un numéro spécial sur la violence chez les enfants dans le périodique Developmental Psychology.

Cette thèse a été réalisée avec un apport financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada sous la forme d’une bourse de doctorat et d’appoints financiers ponctuels du Groupe de recherche en inadaptation psychosociale. Les

contributions financières spécifiques à chaque étude apparaissent en page titre des articles. Enfin, je ne pourrais passer sous silence la grande contribution en coulisse de mes amis et ma famille. Merci à Annie, Valérie, Stéphane, Nathalie, François et Pierrette pour les grands et les petits plaisirs du travail en équipe. Merci à Germaine, une ange s’il en fut une, aux paroles inspirantes, et à Michel S. pour une dévotion touchante à mon projet et à ma famille. Vous avez été des appuis solides quand la confiance chancelait. Merci à la grande famille de !’Université de Moncton Campus d’Edmundston pour les encouragements et !’environnement de travail qui incluait Claude, Pierrette et un piano. À ma famille, mes parents d’abord, Charles et Madeleine, merci pour la « contribution génétique et

environnementale ». J’ai eu besoin que vous y croyiez aussi. Merci à Suzanne, ma « jumelle » et à Charlotte pour son appui inconditionnel et ses talents de bibliothécaire.

Cette thèse est dédiée à mes enfants, Dominique, Mireille, Nicolas et Justine. J’ai entamé ce rêve pour moi, mais c’est pour et avec vous que je l’ai mené à terme. Vous êtes la source de mes passions....

(7)

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ COURT... i

RÉSUMÉ LONG... ii

ABSTRACT... iii

AVANT-PROPOS... iv

TABLE DES MATIÈRES... vi

CHAPITRE 1. PERSPECTIVES THÉORIQUES SUR L’ASSOCIATION ENTRE LE LANGAGE ET L’AGRESSIVITÉ PHYSIQUE 1.0 INTRODUCTION... 1

1.1 ÉMERGENCE DE L’AGRESSIVITÉ PHYSIQUE DANS LA PETITE ENFANCE... 6

1.2 STABILITÉ ET VALEUR PRÉDICTIVE DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES PRÉCOCES... 9

1.3 LE LANGAGE COMME CORRÉLÂT DE L’AGRESSIVITÉ PHYSIQUE... 11

1.4 LES MÉCANISMES À L’ORIGINE DE L’ASSOCIATION LANGAGE-COMPORTEMENT... 15

1.5 LES ÉTUDES GÉNÉTIQUES SUR LE LANGAGE ET LES CONDUITES AGRESSIVES... 17

1.6 LEXICAL AND GRAMMATICAL DEVELOPMENT: A BEHAVIOURAL GENETIC PERSPECTIVE... 21

1.7 LES OBJECTIFS DE LA THÈSE... 22

CHAPITRE 2. LA MODÉLISATION GÉNÉTIQUE ET SA CONTRIBUTION DANS LA VÉRIFICATION DE MODÈLES THÉORIQUES ALTERNATIFS 2.0 NOTIONS EN GÉNÉTIQUES DU COMPORTEMENT...25

'ד:״

2.1 LE MODÈLE UNIVARIÉ... 26

2.2 LES MODÈLES MULTIVARIÉS... 28

2.2.1 La décomposition Cholesky et les facteurs corrélés... 29

2.2.2 Le modèle dit causal... 32

2.3 LES POSTULATS DE LA MODÉLISATION GÉNÉTIQUE... 35

(8)

CHAPITRE 3. LES DEUXIÈME ET TROISIÈME ARTICLES EMPIRIQUES DE LA THÈSE

ARTICLE 2. GENETIC EVIDENCE FOR BIDIRECTIONAL EFFECTS

OF EARLY LEXICAL AND GRAMMATICAL DEVELOPMENT... 40

ARTICLE 3. DEVELOPMENTAL MODELS OF THE ASSOCIATION BETWEEN EXPRESSIVE VOCABULARY AND PHYSICAL AGGRESSION IN 18 MONTH-OLD TWINS... 85

CHAPITRE 4. CONCLUSION GÉNÉRALE 4.0 RETOUR SUR LES OBJECTIFS... 129

4.1 LIEN LANGAGE-COMPORTMENT: UN EFFET PHÉNOTYPIQUE... 129

4.2 ÉTIOLOGIE DU LANGAGE PRÉCOCE: ENVIRONNEMENT COMMUN, GÈNES ET ÉCLAIRAGE SUR LA MODULARITÉ ET L’ARRIMAGE... ... 131

4.3 APPORTS DU DEVIS GÉNÉTIQUE: TEST DE MODÈLES ONTOGÉNIQUES RIVAUX... 134

4.4 MESURES PRÉCOCES ET MÉCANISMES DE DÉVELOPPEMENT... 136

4.5 AVENUES DE RECHERCHE PROMETTEUSES... 137

RÉFÉRENCES (CHAPITRES 1,2 ET 4)... 139 ANNEXE: ARTICLE 1... t5î־l5׳L

(9)

CHAPITRE 1. PERSPECTIVES THÉORIQUES SUR L’ASSOCIATION ENTRE LE LANGAGE ET L’AGRESSIVITÉ PHYSIQUE

1.0 INTRODUCTION

L’objectif général de cette thèse de doctorat est d’étudier l’étiologie spécifique et commune des manifestations précoces d’agressivité physique et de !’acquisition du langage en terme de facteurs génétiques, environnementaux et d’influences phénotypiques mutuelles. Les différences individuelles quant au recours aux conduites agressives émergent au cours de la période 0-2 ans (Tremblay et Boulerice, 1998; Campbell, 1994). Parmi les comportements répertoriés, certains se rapportent à des manifestations physiques d’agressivité dès ce jeune âge. Les études prospectives et rétrospectives rapportent que plus ces comportements apparaissent tôt et plus ils sont fréquents, plus ils ont tendance à perdurer en cours de développement (Patterson, 1982). Pourtant, peu d'études ont porté sur l'étiologie des manifestations précoces d’agressivité physique, sur leurs corrélais et les mécanismes par lesquels ils émergent chez certains enfants.

Par ailleurs, les manifestations de conduites agressives apparaissent liés au développement du langage durant l’enfance. On note une proportion plus importante de retards langagiers chez les enfants qui présentent des troubles divers du comportement, dont l’agressivité physique (Chess et Rosenberg, 1974; Jenkins, Bax et Hart, 1980; Gualtieri, Koriath, Van Bourgondien et Saleeby, 1983). De même, chez les enfants d’abord identifiés pour un retard langagier, on note aussi une proportion plus élevée de troubles de

comportements concomitants (Beitchman et al., 1996; Warr-Leeper et al., 1994).

L’association langage-comportement durant l’enfance ne semble donc pas fortuite. Cette association a fait l’objet de quelques études descriptives en psycholinguistique, alors que

(10)

l’étude des mécanismes responsables de cette association a suscité très peu d’intérêt, sans doute en raison du défi méthodologique que pose la mise en place d’un devis de recherche approprié.

Une démarche qui veut s’attarder à l’étiologie du lien entre langage et comportement agressif présuppose une bonne compréhension de l’état actuel des connaissances sur

l’étiologie des phénotypes pris individuellement. Les causes communes doivent

nécessairement découler du recoupement entre les causes individuelles présumées ou d’une influence mutuelle. Or, une variété de perspectives de recherche, avec leurs méthodes propres, se sont intéressées à l’étiologie des conduites agressives et du développement du langage respectivement.

D’une part, les conduites agressives ont suscité un fort intérêt en recherche en partie attribuable au caractère dérangeant des manifestations pendant l’enfance et au coût social qu’elles impliquent éventuellement. Traditionnellement, la perspective de la socialisation a ciblé le rôle des facteurs environnementaux, familiaux et autres, sur le développement des conduites agressives dans l’enfance (Prior et al., 1993; Patterson, Reid et Dishion, 1992; Bronfenbrenner et Crouter, 1983; Maccoby et Martin, 1983; Cicchetti et Schneider-Rosen,

1986; Sameroff et Chandler, 1975). Cette perspective suppose généralement la présence de facteurs de risque au sein de la famille, du groupe de pairs ou de !’environnement étendu, susceptibles de déclencher le recours aux conduites agressives chez certains enfants. Par ailleurs, d’autres avenues de recherche se sont intéressées aux facteurs constitutionnels qui peuvent prédisposer certains enfants aux conduites agressives dès la naissance (Rutter, 1997; Miles et Carey, 1997; Mason et Frick, 1994). Notamment, la génétique du comportement s'est penchée sur l’influence relative des facteurs génétiques sur les différences individuelles quant au recours aux conduites agressives (Miles et Carey, 1997; Mason et Frick, 1994). Les

(11)

postulats théoriques de l’une et l’autre approche sont en apparence contradictoires : chez l’une, on conçoit le recours aux conduites agressives comme un apprentissage lié à des conditions de vie défavorables, alors que chez l’autre, on conçoit que la prédisposition aux conduites agressives puisse avoir des déterminants constitutionnels et physiologiques.

Le domaine de la psycholinguistique n’échappe pas à cette même dichotomie dans l’étude de !’acquisition du langage. La controverse est d’ailleurs au coeur même de la discipline : les approches dites nativistes et celles de la neurolinguistique conçoivent la présence de structures innées du langage, plus ou moins performantes sur une base

individuelle (Chomsky, 1995; Locke, 1997). D’autres perspectives insistent sur l’importance du processus de socialisation du langage, et conçoivent !’acquisition du langage comme un apprentissage issu des interactions avec le milieu et des interactions entre les diverses

composantes du langage et par extension, du développement cognitif général (Bates, E., sous presse; Nelson, 1981).

Les études qui traitent de l’étiologie de l’un ou l’autre phénotype sont généralement arrimées à des approches méthodologiques particulières selon le penchant théorique. Même si on s'entend pour dire que les parcours de développement en cause sont complexes et impliquent plusieurs facteurs liés à l'enfant et à son environnement, on s’est peu attardé à combiner différentes approches méthodologiques pour élucider les controverses théoriques. Les modèles théoriques en socialisation s'attardent peu aux différences individuelles liées à une possible prédisposition génétique. De même, les études en génétique du comportement ont surtout tenté de quantifier 1 ’ héritabilité de divers phénotypes sans par ailleurs étudier les processus de socialisation en cause. Ainsi, d’une tradition méthodologique à l’autre, les questions de recherche ne sont souvent ciblées que sur un phénotype particulier, ses corrélais et certaines causes probables. Il n’est donc pas étonnant de constater l’absence de

(12)

concertation sur le plan méthodologique quand vient le temps d’étudier l’étiologie commune de phénotypes liés en cours de développement.

Dans l’objectif de contourner cette lacune, cette thèse veut d’abord innover en ciblant des questions théoriques d’actualité en ce qui concerne le développement des conduites agressives et du langage comme corrélât. Cependant, l’approche méthodologique privilégiée se veut aussi un effort novateur de concertation entre des traditions méthodologiques qui œuvrent généralement en parallèle. L’objectif est donc de démontrer que cette concertation entre la tradition de la socialisation et celle de la génétique du comportement permet un regard empirique nouveau sur les mécanismes à la base du lien entre entre langage et comportement.

Cette thèse s’intéresse donc particulièrement aux mécanismes responsables de l’association entre les conduites agressives et le langage durant la période 0-3 ans. La recherche s’inscrit dans un devis de jumeaux et permet d’utiliser les méthodes statistiques propres à la génétique du comportement. Toutefois, l’approche ne se limite pas à quantifier l’apport du bagage génétique sur les différences individuelles observées, mais utilise la modélisation génétique pour vérifier la pertinence de modèles théoriques rivaux.

Le développement du langage ayant été peu étudié dans des contextes génétiquement informatifs, le premier volet de recherche de la thèse est consacré à l’étiologie du langage entre 0 et 3 ans. L’objectif initial concernant le langage devait se limiter à en définir

l’étiologie en termes de facteurs génétiques et environnementaux avant d’aborder la question plus centrale du lien entre agressivité physique et langage. Toutefois, les données disponibles ont permis de bonifier cet objectif initial en explorant l’étiologie du lien entre vocabulaire et grammaire en cours de développement. Deux articles empiriques sont consacrés à l’étiologie du langage et certaines controverses théoriques qui y sont liées. Un premier article se penche

(13)

sur la question de l’étiologie individuelle et commune du vocabulaire expressif et de la grammaire à 24 mois, et de la spécificité du lien entre ces composantes du langage à l’égard du développement cognitif non-verbal. Il s’agit donc d’identifier ce qui est spécifique à l’étiologie du langage avant d’aborder l’étiologie du lien entre langage et comportement dans le second volet de la thèse. Un second article empirique poursuit la réflexion entamée sur !’acquisition du langage par une première vérification empirique de modèles controversés en psycholinguistique quant à l’arrimage entre la grammaire et le vocabulaire entre 24 et 36 mois. Bien que cette controverse théorique ne soit pas centrale dans le contexte de cette thèse, son inclusion permet, en accord avec l’objectif méthodologique de la thèse, de faire une démonstration de l’utilité de la modélisation génétique pour aborder des points de vue théoriques rivaux. Le même procédé sera repris dans le second volet de la thèse pour aborder la question plus centrale du lien entre langage et agressivité. Ces deux articles sont réalisés dans le cadre d’une étude londonienne sur 3000 familles de jumeaux.

Le second volet de recherche aborde, dans un dernier article empirique, la question principale de recherche concernant le lien entre langage et comportement dans la petite enfance. Cet article a pour objectif de démontrer qu’il est possible d’identifier dès 18 mois des différences individuelles quant aux comportements d’agressivité physique et ainsi de tester des modèles ontogéniques alternatifs quant au lien avec le développement du langage dès cette période. Dans cet article, la modélisation génétique est utilisée pour vérifier et comparer deux modèles explicatifs prédominants du lien entre langage et comportement et apporter, selon l’objectif de cette thèse, un éclairage empirique quant à !’association entre langage et comportement agressif. Cette dernière étude empirique est réalisée auprès d’une population de 620 familles de jumeaux de l’Étude des Jumeaux Nouveau-né du Québec.

(14)

Avant d’aborder les trois articles empiriques qui forment le corps de cette thèse, ce premier chapitre théorique propose une recension des écrits sur l’étiologie des différences individuelles quant au développement des conduites agressives et plus particulièrement sur les perspectives théoriques quant à !’association entre le développement du langage et les conduites agressives. Par ailleurs, puisque cette thèse propose une utilisation novatrice de la méthodologie génétique et que cette méthodologie est peu connue chez les non-initiés, un deuxième chapitre est consacré à décrire les bases de cette approche méthodologique, ses postulats, les modèles statistiques utilisés dans le cadre de cette thèse et le potentiel de ces modèles pour aborder des questions théoriques liées au développement.

1.1 ÉMERGENCE DE L’AGRESSIVITÉ PHYSIQUE DANS LA PETITE ENFANCE

Il peut apparaître incongru de parler d’agressivité physique au moment de la petite enfance. Pourtant, dès qu’un enfant atteint la maturation physiologique nécessaire à un plus grand contrôle moteur, soit au cours de sa deuxième année, !’observation ne dément pas : certains enfants frappent, mordent, donnent des coups de pied (Tremblay et al., 1998). Bref, ils sont en mesure d’attaquer physiquement une autre personne. Malgré ces observations, l’étude des conduites agressives durant l’enfance porte rarement sur des enfants de moins de 3 ans. Deux ensembles de facteurs peuvent expliquer cet état de fait. D’abord, l’étude des troubles de comportement a traditionnellement porté sur un éventail indifférencié de comportements dérangeants, dont l’agressivité physique n’est qu’une composante. On semble postuler que cet ensemble de comportements, de la crise de pleurs au coup de pied franc en passant par la désobéissance, correspond à un trait relativement stable dont les facteurs étiologiques s’appliquent à tous les comportements répertoriés. Or, une perspective de plus en plus répandue laisse entendre plutôt que les comportements liés aux troubles extemalisés puissent avoir des étiologies différentes. Hormis l’hyperactivité qui suscite un

(15)

intérêt particulier (Stevenson et al., 1993), le courant qui prévaut dans l’étude des troubles de comportement continue de regrouper sous un même vocable un ensemble hétérogène de comportements. Il n’est donc pas étonnant de constater le peu d’études portant sur l’agressivité physique proprement dite, surtout en bas âge.

Deuxièmement, le caractère indifférencié de la mesure serait renforcé par certains a priori dans la définition de !’agressivité physique. Le courant qui prévaut qualifie

généralement d'agressifs les comportements qui sont destinés à blesser ou à établir la domination (Parke et Slaby, 1983). Deux éléments sont alors présumés présents dans une agression physique : l’intention malveillante et l’impact négatif sur l’autre (Coie et Dodge, 1998). Or, le développement cognitif du jeune enfant de 18 mois le rend-il apte à agir volontairement dans le but de blesser ? Les études qui s’inscrivent dans la perspective piagetienne laissent entendre qu’un enfant de cet âge est limité dans sa capacité de faire du mal intentionnellement. De surcroît, l’impact négatif d’un coup de pied émis par un enfant de 18 mois est difficilement comparable à l’impact du même comportement émis par un enfant plus âgé. Si l’intention malveillante et l’intensité de l’impact sont des conditions incontournables pour définir un comportement comme agressif, on ne peut parler

d’agressivité avant une certaine maturité cognitive et physique. Toutefois, selon Tremblay (2000) l’intention malveillante et l’intensité de l’impact demeurent des critères inappropriés pour définir l’agressivité physique dans la petite enfance. En effet, ces critères ne permettent pas de tenir compte de comportements observables en bas âge qui sont par ailleurs associés à l’agressivité physique chez des enfants plus âgés. Pourtant, il existe vraisemblablement une continuité ontogénique entre les deux : une haute fréquence dans les manifestations initiales de conduites agressives diverses semble prédire le recours aux mêmes conduites

ultérieurement (Keenan et Shaw, 1996). Une définition de l’agressivité physique aurait donc avantage à s’attarder à décrire le comportement émis, ce qui, de surcroît, situe l’humain en continuité avec les autres espèces pour lesquelles l’agressivité n’est pas définie en fonction d’une intention malveillante ou de l’impact. Ainsi, un comportement précis peut être ciblé

(16)

plus tôt en cours de développement pour permettre d’en étudier l’émergence et les facteurs qui le font perdurer.

C’est cette dernière perspective qui a été adoptée dans cette thèse quant à l’étude de l’agressivité physique. U agressivité physique y est défini comme une attaque physique directe ou une menace physique ou verbale d’attaque à l’endroit d’une autre personne. Puisque l’agressivité physique proprement dite a peu été ciblée dans les écrits scientifiques, la recension présentée porte sur cet ensemble plutôt indifférencié de conduites dont les manifestations d’agressivité physique représentent un sous-ensemble. Le terme conduites extemalisées est retenu pour désigner l'ensemble des comportements aversifs et/ou agressifs observés chez les enfants.

Dans une perspective ontogénique, la fréquence des conduites extemalisées chez l'enfant moyen augmente rapidement à partir de la naissance pour atteindre un sommet vers

18 à 36 mois selon les relevés, sommet inégalé par la suite en cours de développement

(Tremblay et al., 1996 ; Larzelere, Amberson et Martin, 1992 ; Koot, 1993 ; Crowther, Bond et Rolf, 1981 ; Goodenough, 1931). Ce sommet observé dans la fréquence de conduites extemalisées correspond à la période communément qualifiée d'âge difficile (Hurlock, 1978) ou de période du négativisme (Olds et Papaba, 1996). Dès la naissance, les manifestations d'émotions négatives sont observées, les refus et parfois même une certaine forme de provocation sont notés avant un an (Larzelere, Amberson et Martin, 1992). Vers un an, apparaissent les premières manifestations d'agressivité proprement dite ainsi que les différences individuelles dans le recours à de telles conduites (Olds et Papaba, 1996). Ces manifestations initiales d'agressivité semblent être un signe précurseur de difficultés ultérieures (Keenan et Shaw, 1996).

Parallèlement à ce développement, on observe, entre 20 et 36 mois, une période de transition majeure sur les plans cognitif et moral marquée par le développement du langage, * l'émergence de la conscience de soi et des normes de conduite (Piaget, 1977 ; Emde et al,

(17)

langagière et comportementale a été documentée. La capacité de communication verbale émerge vers la fin de la première année (Marlow, 1987) et se développe rapidement pour atteindre un niveau fonctionnel autour de trois ans (Fletcher, 1987). Cette période coïncide avec le sommet observé quant à la fréquence de comportements aversifs émis par l’enfant. Pour expliquer comment certains enfants continuent de manifester des comportements agressifs à une haute fréquence après le sommet observé autour de deux ans, on évoque l'hypothèse d'un lien avec un retard dans !'acquisition du langage. Certains enfants continueraient d'avoir recours à des mesures aversives à défaut d'habiletés prosociales articulées autour d'une capacité accrue du langage (Patterson, 1982). Si, après 36 à 48 mois, on note une diminution constante des comportements aversifs émis au profit de

comportements prosociaux (Keenan et Shaw, 1996 ; Tremblay et al. 1996 ; Patterson, 1982), certains enfants vont continuer de manifester de l’agressivité physique à une fréquence plus élevée que leurs pairs. Ce n’est toutefois qu’après cette période que le comportement est généralement identifié comme problématique alors que son émergence, peu étudiée, remonte à plusieurs mois.

1.2 STABILITÉ ET VALEUR PRÉDICTIVE DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES PRÉCOCES

Puisque l’agressivité physique demeure mal ciblée comme objet d’étude dans la petite enfance, il demeure difficile d’en inférer la stabilité en cours de développement. Toutefois les études sur la prévalence et la stabilité des conduites extemalisées après 36 mois, dans lesquelles sont incluses les manifestations d’agressivité physique, abondent. Après le sommet observé entre 18 et 36 mois, Gagnon (1989) estime qu'au moment de l'entrée à l'école, entre 4% et 10% des enfants persistent à manifester des troubles de comportement à une haute fréquence. Dans une recension de plusieurs études

(18)

7% à 15% selon la sévérité pour les conduites extemalisées entre trois et six ans. Certes, certains enfants peuvent présenter des troubles de comportement de façon transitoire et ponctuelle (Campbell, 1994 ; Prior, Smart, Sanson, Pedlow et Oberklaid, 1992 ; Soussignan et al. , 1992). Toutefois, plusieurs recherches démontrent que les différences individuelles précoces ont tendance à persister (Campbell, March, Pierce, Ewing et Szumowski, 1994 ; Prior, Smart, Sanson et Oberklaid, 1993 ; Zahn-Waxier et al. , 1990 ; Lee et Bates, 1985).

À cet égard, P évaluation du comportement chez le nourrisson est généralement associée à l’étude du tempérament. Dès la naissance, le tempérament correspond à certains indicateurs de difficulté générale sur les dimensions d'irritabilité, d'émotivité négative, d'adaptabilité, de persistance et/ou d'impulsivité (Rothbart et Bates, 1998). Certaines de ces dimensions s'avèrent des indicateurs précoces de troubles de comportement ultérieur (Lee et Bates, 1985). Or, la proportion de nourrissons identifiés comme étant plus difficiles ou irritables sur diverses échelles de tempérament est très similaire aux taux observés pour les troubles de comportement après 3 ans (Oberklaid, Sanson, Pedlow et Prior, 1993 ; Emde et al., 1992 ; Lee et Bates, 1985 ; Thomas et Chess, 1984). Les différences individuelles quant aux manifestations aversives semblent donc exister très tôt en cours de développement.

Par ailleurs, ces différences individuelles affichent une certaine stabilité dans le temps. Même si les mesures de tempérament avant un an semblent moins associées au comportement futur, certaines études démontrent que le tempérament difficile, après un an, apparaît comme un bon prédicteur de mesures subséquentes de tempérament (Schmitz et Fulker, 1996 ; Oberklaid et al., 1993 ; Lee et Bates, 1985) et de mesures de conduites extemalisées avant six ans (Sanson, Smart, Prior et Oberklaid, 1993 ; Shaw, Keenan et Vendra, 1994 ; Earls, 1987 ; Lee et Bates, 1985) et après l’entrée à l’école (Rende, 1993). Il semble donc y avoir une continuité entre les indices de difficulté quant au tempérament avant deux ans et les troubles de comportement au cours de l’enfance.

Après 2 ans, certaines études rapportent une stabilité des mesures dites de

(19)

l'âge de deux ou trois ans, la stabilité des mesures de comportements externalises demeure élevée, à la fois pour des échantillons normatifs et pour des échantillons cliniques, et ce, particulièrement chez les garçons (Shaw, Keenan et Vendra, 1994 ; Campbell, et al., 1991 ; Martin, 1981). De plus, les enfants de deux ou trois ans qui ont davantage recours aux conduites extemalisées sont ceux qui persistent à utiliser ces comportements après l'entrée à l’école (McGee, et al., 1991 ; Campbell et Ewing, 1990 ; Egeland et al., 1990 ; Cummings et al., 1989 ; Fagot, 1984 ; Richman et al., 1982). Par ailleurs, il n’est pas étonnant de constater que ce type de conduites dans l'enfance est lié à diverses difficultés d'adaptation scolaire (Hinshaw, 1992) et psychologique à l'adolescence et à l'âge adulte (Rutter, 1997 ; Boi vin, Poulin et Vitaro, 1994 ; Patterson, 1988 ; Caspi, Elder et Bern, 1987). Ainsi, bien qu’on ne puisse déterminer à partir de ces études la stabilité propre des manifestations d’agressivité physique, le portrait qui se dégage porte à croire qu’elles pourraient aussi demeurer relativement stables chez certains enfants dès leur apparition. Il faut donc pouvoir cibler les conduites agressives dès ce moment pour étudier leurs parcours de développement.

1.3 LE LANGAGE COMME CORRÉLÂT DE L’AGRESSIVITÉ PHYSIQUE

Le développement de la capacité verbale est couramment associé aux troubles de comportement dans l’enfance (Stevenson, 1996 ; Dumas, Blechman et Prinz, 1994 ; McGee et al., 1991). Comme la diminution du taux de conduites agressives chez l'enfant de 18 à 36 mois correspond à une période de transition majeure sur le plan du développement langagier, cette variable a suscité un intérêt particulier dans l’étude des corrélais précoces du

développement des comportements extemalisés problématiques.

Sanson et ses collègues du Australian Temperament Project (Sanson et al., 1993) ont observé une incidence élevée de retards de langage chez les enfants qui présentaient des conduites extemalisées problématiques dans la petite enfance. Cette observation est loin de refléter un fait isolé. Les liens entre le recours aux conduites extemalisées et un retard du

(20)

développement verbal ont largement été documentés à la fois dans les écrits scientifiques en orthophonie (Beitchman, Wilson, Brownlie, Walters, Ingis et Lancee, 1996; Brinton, et Fujiki, 1993 ; Craig, 1993 ; Maynard, 1988), en psychologie du développement (Benasich, Curtiss et Tallal, 1993 ; Piel, 1990 ; Schonfeld, Shaffer, O'Connor et Portnoy, 1988 ; Richman et al, 1982 ; Stevenson et Richman, 1976) et en psychiatrie (Baker et Cantwell,

1977, 1987 ; Baltaxe et Simmons, 1991 ; Warr-Leeper, Wright et Mack, 1994 ; Giddan, Milling et Campbell, 1996).

Toutefois, plusieurs aspects du développement verbal ont généralement été associés à des conduites extemalisées hétérogènes, ce qui limite la portée des conclusions quant au lien entre des aspects précis du développement verbal et du comportement. Par exemple, un lien étroit entre P hyperactivité et les troubles de lecture est rapporté (Stevenson et al. , 1993), alors que d’autres études révèlent un lien entre l’étendue du vocabulaire expressif, de la compréhension du langage et des conduites extemalisées variées. Les mécanismes qui lient le développement verbal et le comportement peuvent toutefois varier selon les mesures. Il importe donc de cibler des aspects précis du développement verbal pour étudier leur lien avec des comportements précis.

Les définitions de ce qui constitue un retard du développement verbal et plus précisément un retard de langage, varient considérablement d'une étude à l'autre (Silva,

1987). C’est que plusieurs dimensions du langage se développent en parallèle. Dans la petite enfance, il s’agit principalement du développement du vocabulaire et de la syntaxe, à la fois sur les plans réceptif et expressif. Quoiqu’un enfant puisse présenter un déficit touchant seulement l'un de ces aspects, le vocabulaire et la grammaire demeurent fortement liés en cours de développement (Bates et Goodman, 1997).

Les premiers mots apparaissent généralement autour de 10 à 14 mois quand une enfant reproduit des mots communs comme “maman” ou “bye” et qu’elle comprend que les objets ont des noms. Ces premiers mots se démarquent du babillage des mois précédents par !’association que l’enfant semble faire entre l’objet et le mot, et signalent l’émergence du

(21)

développement lexical. Peu avant 18 mois, une augmentation rapide du vocabulaire se

produit. Certains mots sont alors utilisés pour désigner non seulement un objet mais une idée complète, comme dans le cas d’un enfant qui dit “parti” pour désigner un jouet caché.

Autour de 18 à 22 mois, les premières combinaisons de mots apparaissent et indiquent l’émergence de ce qui est traditionnellement conçu comme un aspect différent du

développement du langage, la grammaire. Cette conception dichotomique du vocabulaire et de la grammaire correspond à une hypothèse de modularité entre les deux aspects du langage sur le plan étiologique. En effet, les théories des 30 dernières années ont généralement conçu le lexique et la syntaxe comme émanant de structures physiologiques distinctes dont les mécanismes sont relativement indépendants. Pourtant, dès l’émergence de la grammaire, l’étendue du lexique demeure fortement liée à la capacité de faire des combinaisons de mots (Bates et Goodman, 1997). Un courant récent propose, à cet égard, une étiologie commune aux deux composantes du langage (Chomsky, 1995) et dans certains cas, l’élimination complète de la distinction entre grammaire et vocabulaire (Goldberg, 1995). Ces propositions n’ont toutefois pas fait l’objet de vérifications empiriques.

Il en est de même pour les propositions théoriques concernant l’arrimage entre le vocabulaire et la grammaire en cours de développement. La séquence d’acquisition où le vocabulaire expressif se développe avant les combinaisons de mots suggère un effet de l’étendue du vocabulaire sur la grammaire. On conçoit alors que la croissance du bagage lexical contribue aux capacités syntaxiques émergentes. Cette forme d’arrimage a été appelée « lexical bootstrapping » (Bates et Goodman, 1997; O’Grady, 1987). D’autre part, une fois la syntaxe amorcée, on propose que la connaissance grammaticale puisse contribuer au développement du lexique, soit par « syntactical bootstrapping » (Brown, 1957; Naigles,

1990). Ces mécanismes n’ont toutefois pas été soumis à des vérifications empiriques d’influences causales. Néanmoins, ces controverses théoriques autour du lien entre le vocabulaire et la grammaire découlent de l’observation qu’ils demeurent fortement liés en

(22)

cours de développement. L’un et l’autre s’avèrent donc de bons candidats comme corrélais de l’agressivité.

Si l’étendue du lexique est aussi liée au développement cognitif non-verbal, il semble que les facteurs qui influencent l’un et l’autre soient uniques à chaque composante avant 36 mois (Price et al., 2000). Cette observation porte à croire que si un lien spécifique est observé entre l’étendue du vocabulaire et le recours à des conduites extemalisées à cet âge, l’hypothèse d’une médiation par le développement cognitif général est peu probable.

Les études sur le lien entre le comportement et le développement langagier ont surtout porté sur l’étendue du vocabulaire, à la fois réceptif, soit les mots compris par l’enfant, et expressif, les mots dits par l’enfant. Certaines études s'appuient sur des échelles de langage normalisées de vocabulaire expressif ou réceptif (Beitchman et al. , 1996 ; Silva et Williams, 1983 ; Stevenson et Richman, 1976), alors que d'autres se basent sur une

impression clinique du langage expressif général (Jenkins, Bax et Hart, 1980) ou des normes de développement non-standardisées (Fundudis, Kulvin et Garside, 1979). La majorité d’entre elles établissent le seuil du retard langagier au cinquième percentile quoique des taux de prévalence entre 3% et 15% selon la sévérité soient rapportés par diverses études

épidémiologiques (Silva, 1987). Or, les taux de prévalence des retards de langage grimpent entre 24% et 65% dans des échantillons d'enfants qui présentent des troubles de

comportements (Chess et Rosenberg, 1974 ; Jenkins, Bax et Hart, 1980 ; Gualtieri, Koriath, Van Bourgondien et Seleeby, 1983). Inversement, plusieurs études rapportent des taux de prévalence de conduites extemalisées entre 59% et 80% chez les enfants qui présentent des retards de langage modérés ou sévères (Stevenson et Richman, 1976 ; Beitchman et al.,

1989 ; Warr-Leeper et al., 1994). La cooccurrence des conduites extemalisées et des retards langagiers semble donc bien documentée, quoique seulement à partir de la fin de la petite enfance. Cette cooccurrence ne cible toutefois pas précisément les manifestations

d’agressivité physique bien qu’elles soient incluses dans cet ensemble de comportements hétérogènes.

(23)

1.4 LES MÉCANISMES À L’ORIGINE DE L’ASSOCIATION LANGAGE- COMPORTEMENT

Certains mécanismes ont été invoqués pour expliquer le lien observé entre langage et comportement. Les hypothèses avancées sont de trois ordres (Stevenson, 1996; Rutter, 1987) :!)le problème de comportement précède et influence le développement du langage ; 2) le retard de langage précède et cause les conduites agressives ou 3) un ou des facteurs

communs influencent le développement des conduites extemalisées et du retard de langage. Dans leur recension critique sur les conduites problématiques et les retards de langage, Cantwell et Baker (1977) concluent que les problèmes de comportement ne causent pas les retards de langage observés puisqu’ils apparaissent après les retards langagiers. Dans une même perspective, Rutter (1987) note que dans la plupart des cas de cooccurrence, le retard de langage apparaît avant les conduites problématiques. La première hypothèse ne semble donc pas appuyée.

Concernant la deuxième hypothèse, quelques études ont démontré la valeur

prédictive d’un retard de langage précoce quant aux conduites ultérieures. Stevenson et ses collègues (Stevenson et al., 1985) ont observé qu’un retard de langage à trois ans prédisait le recours aux conduites extemalisées à huit ans et ce, en tenant compte du comportement à trois ans. Une étude longitudinale canadienne rapporte des résultats similaires (Beitchman et al, 1996). Dans cette étude, les enfants présentant un retard de langage à cinq ans

manifestaient davantage de conduites extemalisées au même âge, de même que sept ans plus tard, compte tenu du niveau initial de conduites extemalisées. Dans cette optique, il est permis de penser que le retard de langage puisse influencer le recours aux conduites

extemalisées. De plus, il est intéressant d’observer que, même si plusieurs enfants récupèrent leur déficit langagier avec le temps, le retard précoce demeure associé à une aggravation des

(24)

conduites problématiques ultérieures (Goodman, Gottlieb et Harrison, 1972). La valeur prédictive serait donc plus marquée pour les retards de langage qui se manifestent tôt.

Ainsi, un retard de langage semble précéder le développement de conduites agressives chez plusieurs enfants. Pour expliquer comment ce retard de langage est susceptible d'influencer le recours aux conduites agressives, Howlin et Rutter (1987) proposent un parcours susceptible de se présenter dès la fin de la première année, soit au début de la communication verbale chez l’enfant (Marlow, 1987). Selon Howlin et Rutter (1987), un déficit langagier pourrait influencer la qualité des interactions parent-enfant et ainsi participer au développement de conduites problématiques. Le processus par lequel cette caractéristique de l’enfant risque de perturber les interactions avec le parent n'est toutefois pas précisé. Par ailleurs, plusieurs recherches issues de la perspective linguistique ont illustré comment certains enfants utilisent des comportements aversifs comme moyen de

communication pour pallier les limites de leur capacité langagière (Brinton et Fujiki, 1993 ; Carr et Durand, 1985 ; Donnellan, Mirenda, Mesaros et Fassbender, 1984). Un parent sollicité par le comportement dérangeant de son enfant peut limiter les interactions susceptibles de stimuler le développement du langage.

L'hypothèse d’un facteur commun influençant les deux phénotypes semble aussi appuyée par certaines études (Cantwell et Baker, 1977). Ainsi, Benasich et ses collègues (Benasich, Curtiss et Tallal, 1993) ont observé que des enfants présentant un retard de langage à quatre ans, manifestaient davantage de problèmes de comportement à quatre ans et à huit ans que les enfants d'un groupe contrôle. Toutefois, ni le retard de langage précoce, ni l'amélioration du langage ne prédisaient le recours aux conduites extemalisées à huit ans, la persistance des problèmes de comportement étant uniquement prédite par une baisse de Q.I. entre quatre et huit ans. Les auteurs concluent que la prévalence élevée des conduites extemalisées serait attribuable à un déficit cognitif général plutôt qu'au retard de langage en particulier. D'autres études ont documenté les effets protecteurs du Q.I. dans le

(25)

Les conclusions de ces études doivent cependant être nuancées lorsqu'on considère Γimportant recoupement entre une mesure de Q.I et le langage.

D’autres facteurs communs pourraient être à l’origine du lien entre langage et

comportement. Dans leur étude sur le lien entre les troubles de lecture et l’hyperactivité chez une population de jumeaux, Stevenson et ses collègues (1993) ont observé que la corrélation phénotypique s’expliquait presque entièrement par des facteurs génétiques communs. Bien qu’on ne puisse inférer que le processus sera identique pour l’agressivité physique et le langage, l’hypothèse de facteurs génétiques communs ne peut être écartée. Et comme les conduites parentales sont associées au développement du langage de même qu’aux conduites extemalisées, il est permis de croire que le lien entre langage et comportement pourrait aussi être influencé par des facteurs environnementaux communs. Par exemple, des aptitudes parentales limitées peuvent se traduire à la fois par une pauvre stimulation du langage précoce et une difficulté à gérer efficacement les comportements extemalisés, participant ainsi à la covariation observée entre langage et comportement.

1.5 LES ÉTUDES GÉNÉTIQUES SUR LE LANGAGE ET LES CONDUITES AGRESSIVES

La génétique quantitative permet d’estimer les facteurs génétiques ou

environnementaux communs à plusieurs phénotypes. Jusqu’à présent, aucune étude n’a porté spécifiquement sur le lien entre le développement du langage et l’agressivité physique. Toutefois, certaines études en génétique quantitative ont ciblé l’un ou l’autre phénotype ou des phénotypes qui leur sont associés. L'intérêt initial des études en génétique du

comportement demeure cependant principalement lié à !'identification du taux d'héritabilité d’un trait dans une population, c’est-à-dire, à la force des influences génétiques sur les différences individuelles observées. De tels estimés d'héritabilité ont été notamment dérivés dans quelques études sur le langage (Dale et al., 2000 ; Ganger et al., 1999 ; Dale et al.,

(26)

1998 ; Reznick et al., 1996) et plusieurs études sur les conduites extemalisées (voir la recension par Mason et Frick, 1994)).

Dans une méta-analyse de diverses études génétiques sur une variété de conduites extemalisées, du comportement criminel aux troubles de comportement dans l'enfance, Mason et Frick (1994) estiment un taux d'héritabilité moyen autour de 50% pour ces phénotypes. Plus les conduites sont sévères (i.e. délinquance et comportement criminel) et plus les sujets sont âgés, plus le taux d'héritabilité est élevé. Néanmoins, une étude récente (Van den Oord, Verhulst et Boomsma, 1996) auprès de 1300 paires de jumeaux rapporte des taux d’héritabilité de 38%, 60% et 69% respectivement sur les échelles globale,

d'externalisation et d'agressivité du Child Behavior Checklist. Ces résultats indiquent qu’environ la moitié de la variance observée entre individus s'explique par leurs différences génétiques, et même plus que la moitié pour l’agressivité. Les auteurs concluent que le bagage génétique semble jouer un rôle considérable dans le développement des conduites extemalisées.

Par ailleurs, Plomin (1994) précise que ces résultats indiquent aussi que

!'environnement joue un rôle considérable, correspondant au pourcentage résiduel de la variance observée pour le phénotype. Les effets de !'environnement sont typiquement conceptualisés comme étant attribuables à deux sources : 1) l'environnement commun, soit les influences partagées par les membres d'une même famille (expliquant les différences inter-familiales) et 2) l'environnement unique, soit les influences environnementales

particulières à un individu au sein d'une famille (expliquant les différences intra-familiales). Or, plusieurs études génétiques rapportent des “effets” négligeables de !'environnement commun dans les variations observées sur les conduites agressives (voir Plomin et Daniels,

1987). Les “effets” de !'environnement sur le recours aux conduites agressives sont généralement attribués à !'environnement unique auquel est soumis un individu (Rutter,

(27)

Le portrait est quelque peu différent en ce qui concerne le développement du langage. D’abord, peu d’études génétiques ont ciblé précisément le développement du langage. Les taux d’héritabilité rapportés sont de deux ordres: les uns concernent les différences

individuelles quant au développement du langage dans une population en général

(héritabilité propre à une population), alors qu’une étude s’est penchée sur la question du taux d’héritabilité particulier aux retards de langage (héritabilité de groupe). L’héritabilité de groupe diffère de l’héritabilité propre à une population en ce qu’elle ne concerne plus la force des influences génétiques sur les différences individuelles observées pour un

phénotype, mais bien la force des influences génétiques sur les manifestations extrêmes de ce phénotype. Le postulat à la base de ce second type d’analyses est que les manifestations extrêmes représentent un phénotype qualitativement différent de l’ensemble d’une

distribution.

Bishop (1996) rapporte des corrélations entre jumeaux MZ (monozygotes ou

identiques) plus élevées qu’entre jumeaux DZ (dizygotes ou fraternels) quant aux retards de langage. Cette étude se limite à rapporter les corrélations entre paires de jumeaux sans modéliser les données pour en dériver un taux d’héritabilité. Toutefois, une corrélation supérieure pour les jumeaux MZ indique une influence génétique si on adopte les postulats de la méthodologie des jumeaux (voir chapitre 2). Puisque la différence théorique entre paires de jumeaux MZ et DZ réside dans le pourcentage de bagage génétique en commun (100% pour jumeaux MZ et 50% pour jumeaux DZ), on en conclut que la plus grande similitude des MZ sur un phénotype donné s’explique par ce bagage génétique.

Dans !’échantillon du MALTS (Emde et al., 1992), les mesures de langage expressif et réceptif rapportées par les parents ne sont toutefois pas associées à la variation génétique, !'environnement commun expliquant une proportion très substantielle de la variance sur ces mesures (80% pour le langage réceptif). Par contre, dans la même étude on rapporte un taux d’héritabilité estimé à 30% sur une mesure de langage réceptif à 14 mois. Des taux similaires d'héritabilité et de variance expliquée par !'environnement commun sur une mesure de־־r~*^-.

/ψ^%\

(28)

vocabulaire à 2 ans ont été depuis reproduits auprès d’une imposante population de jumeaux. Le premier article empirique de cette thèse traite de cette étude (annexe 1) et sera résumé dans la prochaine section. On y rapporte des taux d'héritabilité variant entre 25% pour le vocabulaire et 39% pour une mesure de grammaire à 2 ans sur environ 3000 paires de jumeaux du Twin Early Developmental Study (Dale, Dionne, Eley et Plomin, 2000). Pour chacune de ces variables du langage, la variance attribuable à !'environnement commun est considérable, de l'ordre de 65% et plus. Ces taux d'héritabilité s'appliquent toutefois aux différences individuelles observées sur l'ensemble d'une population et non au retard de langage en particulier. Utilisant une méthode permettant d'estimer l'héritabilité de groupe, Dale et al. (1998) ont dérivé un taux d'héritabilité de l'ordre de 67% pour un sous-ensemble de la même population de jumeaux présentant un retard de langage (résultats inférieurs au 5e percentile) sur la mesure de vocabulaire à 2 ans.

À l'instar des conduites agressives, le développement du langage semble donc en partie associé à des facteurs génétiques, mais plus fortement quand il s'agit de retard de langage. La part attribuable à !'environnement commun est, par ailleurs, considérable pour le langage mais, selon les postulats du modèle, demeure négligeable pour les conduites

agressives. Il est donc peu probable que la covariance entre le langage et l’agressivité physique s’explique par un recoupement de facteurs environnementaux. Par contre, il est possible qu’un recoupement entre les facteurs génétiques impliqués dans la variance de l’un ou l’autre phénotype explique cette covariance puisque les deux phénotypes présentent des héritabilités significatives. Toutefois, les études génétiques sur le langage sont peu

nombreuses et permettent difficilement de dresser un portrait concluant. Les inférences quant à une possible covariation génétique sont du fait même limitées.

(29)

1.6 LEXICAL AND GRAMMATICAL DEVELOPMENT: A BEHAVIOURAL GENETIC PERSPECTIVE

L’article présenté en annexe constitue une première étape dans l’étude du

développement du langage dans une perspective génétique. Cette étude a été réalisée auprès d’une population de 2898 paires de jumeaux nés en Angleterre et dans le pays de Galles. À 24 mois, des mesures de vocabulaire expressif et de grammaire ont été prises auprès de ces enfants par le biais de rapports parentaux. Les objectifs étaient de: 1) reproduire des résultats d’études antérieures qui démontraient une corrélation phénotypique élevée entre les deux composantes du langage, 2) de reproduire les estimés d’héritabilité et de partition de la variance attribuable à l’environnement commun obtenu dans une étude précédente et 3) d’évaluer dans quelle mesure les deux composantes partagent des étiologies communes et spécifiques.

Les mesures de vocabulaire et de grammaire à 24 mois apparaissent fortement liées à 24 mois (r =.66). Ce résultat est similaire aux corrélations observées dans d’autres études (Bates et Goodman, 1997). La modélisation génétique des covariances entre jumeaux sur chaque composante du langage indique qu’une part modérée des différences individuelles s’explique par des facteurs génétiques, soit 25% et 39% pour le vocabulaire et la grammaire respectivement. La part attribuable à des facteurs d’environnement commun est à la fois plus importante pour le vocabulaire (69%) et pour la grammaire (54%).

L’analyse multivariée du recoupement entre les facteurs liés aux deux aspects du langage et une mesure de développement cognitif non-verbal permet de dériver deux types d’estimés: 1) les corrélations génétique et environnementale, qui sont une mesure des facteurs étiologiques communs entre paires de phénotypes et 2) la part de variance dans chacune des composantes du langage attribuable à des facteurs étiologiques en commun avec le développement cognitif non-verbal. Le premier type d’estimés permet de vérifier les sources étiologiques communes à l’origine de la corrélation phénotypique observée. Les

(30)

résultats obtenus démontrent que les facteurs génétiques liés aux différences individuelles dans le vocabulaire sont largement les mêmes facteurs génétiques que ceux estimés pour la grammaire. La corrélation génétique est de l’ordre de .61 entre les facteurs génétiques liés au vocabulaire et ceux liés à la grammaire. De même, la corrélation des facteurs

d’ environnement commun entre le vocabulaire et la grammaire atteint .74, ce qui indique un recoupement presque complet des facteurs d’environnement commun liés à l’une et l’autre composante.

Ces résultats permettent de conclure à une forte correspondance étiologique entre le vocabulaire et la grammaire tôt dans !’acquisition du langage. Un dernier volet de cette étude a donc porté sur la spécificité de ce lien à l’égard du développement cognitif non-verbal. Les corrélations phénotypiques entre les composantes du langage et le développement cognitif non-verbal étaient respectivement de .41 pour le vocabulaire et .32 pour la grammaire. Ces corrélations sont plus modestes que la corrélation entre les deux composantes du langage mais demeure substantielles. Toutefois, les corrélations génétiques n’atteignent que .30 et .29 respectivement entre le vocabulaire et le développement cognitif non-verbal, et la grammaire et le phénotype cognitif. Alors, la corrélation phénotypique ne s’explique qu’en faible partie par un recoupement de facteurs génétiques entre les composantes du langage et la mesure de développement cognitif. Les mesures de langage démontrent donc une forte spécificité sur le plan étiologique qu’elles ne partagent pas avec le développement cognitif.

1.7 LES OBJECTIFS DE LA THÈSE

Dans le but de combler les lacunes en génétique du langage, comme l’indique le résumé du premier article empirique, un premier volet de cette thèse a pour objectif d’étudier le développement du langage au moment de son acquisition entre 24 et 36 mois pour tenter de reproduire les estimés de part de variance attribuable aux facteurs génétiques et

(31)

grammaire. Une étude plus approfondie de l’étiologie du langage expressif précède donc l’étude de l’étiologie du lien entre langage et agressivité. Deux objectifs secondaires viennent bonifier ce premier volet de la thèse. Il s’agit d’établir, dans un premier temps, le caractère spécifique du lien entre les composantes du langage sur le plan étiologique en regard du développement cognitif non-verbal. Dans un second temps, les deux modèles controversés quant à l’arrimage entre le vocabulaire et la grammaire tôt dans !’acquisition du langage sont vérifiés de façon empirique en utilisant la modélisation génétique de façon novatrice.

L’objectif principal concernant le langage et le premier objectif secondaire sont traités dans le premier article empirique résumé précédemment et présenté en version intégrale en annexe. Les deuxième et troisième objectifs poursuivent la réflexion entamée dans ce premier article et sont traités sur une base longitudinale dans le deuxième article empirique présenté au troisième chapitre de cette thèse.

L’objectif principal de la thèse a trait à l’étude du lien entre le langage et l’agressivité physique et cherche à vérifier:

1) l’hypothèse de la présence de sources de variance génétiques et environnementales communes pour expliquer le lien entre le développement du langage et l’agressivité physique;

2) et, l’hypothèse que le langage contribue, dans une certaine mesure, directement au développement de l’agressivité physique à la petite enfance.

Cet objectif fait l’objet d’un dernier article empirique présenté à la fin du chapitre 3. Un dernier objectif de la thèse consiste à démontrer l’utilité de la modélisation génétique pour vérifier des hypothèses théoriques rivales. À cet égard, les deuxième et troisième articles empiriques exploitent de façon novatrice les modèles utilisés en génétique quantitative. Dans le deuxième article, les modèles de facteurs corrélés et d’influences phénotypiques directes (voir chapitre 2) permettent:

(32)

1) de vérifier les sources génétiques et environnementales de la covariance entre vocabulaire et grammaire;

2) et de vérifier empiriquement, deux modèles théoriques controversés quant aux influences d’un phénotype sur l’autre en cours de développement.

Cet article constitue, par le biais de la modélisation génétique, une première démonstration empirique de la pertinence des modèles explicatifs controversés dans la littérature. Dans le dernier article, les même modèles génétiques sont utilisés pour :

1) vérifier l’hypothèse d’une comorbidité génétique et environnementale entre le langage et l’agressivité physique à 18 mois;

2) et, vérifier l’hypothèse que le langage contribue au développement de l’agressivité par le biais d’un lien phénotypique direct.

Le chapitre 2 présente la modélisation génétique traditionnelle, ses postulats et les modèles utilisés dans le cadre de cette thèse.

(33)

CHAPITRE 2. LA MODÉLISATION GÉNÉTIQUE ET SA CONTRIBUTION DANS LA VÉRIFICATION DE MODÈLES THÉORIQUES ALTERNATIFS

2.0 NOTIONS EN GÉNÉTIQUE DU COMPORTEMENT1

La génétique du comportement appliquée à la psychologie du développement s'est intéressée aux facteurs latents génétiques et environnementaux liés à certains parcours ontogéniques. On parle ici de facteurs latents puisqu’ils ne sont pas mesurés directement mais plutôt inférés à partir du devis de recherche. Le comportement, qu’on appelle phénotype, y est perçu comme la résultante d'influences génétiques et environnementales combinées. Par extension, le génotype fait référence au substrat du code génétique présumé à la base d’un phénotype. Dans le contexte d'un devis génétiquement informatif (étude de jumeaux ou étude d'adoption), il devient possible d'évaluer dans quelle proportion les

différences individuelles quant à une variété de phénotypes sont liées à !'environnement et/ou la constitution génétique. Dans le cadre d'un modèle impliquant plusieurs phénotypes, ceci permet en plus d'estimer dans quelle mesure les facteurs génétiques et

environnementaux liés à un phénotype se recoupent avec les facteurs de même nature liés à un second phénotype. Enfin, il est possible aussi d'estimer dans quelle proportion certains facteurs liés à une manifestation phénotypique, contribuent à la variance d'une seconde mesure. Les possibilités qu'offre un devis génétiquement informatif s'avèrent donc

1 La méthode décrite dans ce chapitre correspond à 30 ans de tradition en génétique du comportement. Elle implique toutefois plusieurs postulats décrits dans une section de ce chapitre. Les résultats obtenus doivent donc être interprétés à la lumière de ces postulats. Bien qu’elle demeure l’approche statistique la plus répandue dans les écrits en génétique du comportement, des méthodes alternatives, notamment les analyses multi- niveaux, sont actuellement adaptées aux données génétiquement informatives dans le but de contourner certains de ces postulats.

(34)

intéressantes pour étudier l’étiologie spécifique et commune de phénotypes en développement.

La méthode en génétique du comportement vise à estimer dans quelle mesure et par quels mécanismes les différences individuelles observées pour un phénotype sont liées à des facteurs génétiques et/ou environnementaux dans une population. Le plus souvent, les composantes génétiques et environnementales ne sont pas mesurées mais plutôt estimées et exprimées en terme de pourcentage de la variabilité phénotypique totale. Cette variance phénotypique est une fonction du modèle théorique postulé quant aux mécanismes en cause. Ainsi, le modèle univarié le plus fréquemment employé postule que la variance

phénotypique associée aux facteurs génétiques et environnementaux est additive. Pour ce cadre, les différences individuelles observées sur un phénotype donné dans une population sont donc considérées comme un cumul d'effets génétiques et environnementaux

indépendants.

2.1 LE MODÈLE UNIVARIÉ

Pour estimer la force de ces effets respectifs, la méthode des jumeaux est une stratégie privilégiée. La théorie génétique permet d'affirmer que les jumeaux monozygotes (MZ) partagent un bagage génétique identique. Par ailleurs, on estime qu'en moyenne les jumeaux dizygotes (DZ) partagent 50% de leur bagage génétique, comme c'est le cas entre les membres d'une même fratrie. Ces groupes de paires de jumeaux diffèrent donc

systématiquement quant à leur similarité génétique.

Par ailleurs, les jumeaux d’une même paire partagent les mêmes parents, ont été exposés à un environnement prénatal commun, sont nés au même moment et vivent les

(35)

transitions liées à l'âge au même moment. Ils sont susceptibles d’être exposés à un

environnement commun que l'on suppose, généralement, associé au fait de grandir dans une même famille. Par ailleurs, les événements de vie particuliers à l'un ou l'autre membre d'une paire de jumeaux, par exemple une maladie, constituent les facteurs associés à

Y environnement unique.

La modélisation par équation structurelle adaptée au contexte de la gémellité permet d'obtenir des estimés de la variance phénotypique attribuables : 1) aux facteurs génétiques, dénoté par A (parfois G, a2 ou h2) ; 2) aux facteurs d'environnement commun, dénoté par C (ou c2) et 3) aux facteurs d'environnement unique ainsi qu'à la marge d'erreur, dénoté par E (ou e2). La comparaison des covariances intra-paires de jumeaux en fonction de la zygotie permet d'estimer la force des influences génétiques et environnementales dans un modèle donné. Puisque les analyses sont essentiellement basées sur la covariance intra-paire, le modèle suppose une normalité de distribution du phénotype étudié. La figure 1 présente le modèle univarié de base duquel découle la majorité des modèles génétiques, un modèle additif des facteurs génétiques et environnementaux sur un phénotype.

Les estimés d'héritabilité qu'on retrouve dans les écrits scientifiques sont dérivés en postulant l'additivité et l’indépendance des effets génétiques et environnementaux tels qu’illustrés. On obtient alors l'équation suivante pour la variance phénotypique totale :

Vp=A+C+E

où Vp=variance phénotypique totale A=effets génétiques additifs

C=effets d'environnement commun

(36)

MZ=1 ou DZ= .5

Figure 1. Modèle additif ACE univarié où A = a2 et désigne la force des facteurs génétiques ; C = c2 et désigne la force des facteurs d’environnement commun ; E = e2 et désigne la force des facteurs d’environnement unique y compris la mesure d’erreur.

Pl=phénotype jumeau 1 ; P2=phénotype jumeau 2

La variance phénotypique peut être standardisée pour obtenir Vp=l. La valeur de A devient alors un pourcentage de la variance phénotypique totale, en l'occurrence le taux d'héritabilité qui réfère à la force des facteurs génétiques sur les différences individuelles observées pour ce phénotype. Les valeurs de C et E indiquent le pourcentage de variance attribuable à chacune des composantes de l'environnement.

2.2 LES MODÈLES MULTIVARIÉS

L’avènement de la modélisation génétique multivariée constitue un avancement important en génétique du comportement au cours des deux dernières décennies. La modélisation multivariée permet de s’attarder non plus à l’étiologie d’un seul phénotype mais à l’étiologie de la covariance entre phénotypes reliés (Eaves et al., 1977; Plomin et

(37)

DeFries, 1979). Deux grands types de modèles bivariés sont utilisés dans le cadre de cette thèse : la décomposition Cholesky, de laquelle on peut estimer les facteurs corrélés entre deux phénotypes par une simple transformation mathématique (Lohelin, 1987) et le modèle dit causal (Neale et Cardon, 1992) qui postule un lien phénotypique direct entre deux phénotypes tout en estimant les paramètres A, C et E de façon orthogonale pour chaque phénotype.

Dans le premier type de modèle, Γ équation de variance demeure V= A+C+E, mais de par la nature bivariée du modèle, la contribution des facteurs étiologiques du premier phénotype sur la variance du second phénotype est aussi estimée. Dans le modèle dit causal, l’équation de variance devient V= P*(A+C+E) où P est le parcours entre les deux

phénotypes qui peut être précisé dans un sens ou dans l’autre ou réciproque si le modèle ne devient pas saturé. Un modèle devient saturé quand le nombre de paramètres estimés excède le nombre de paramètres observés et l’adéquation d’un tel modèle ne peut être estimée.

2.2.1 La décomposition Cholesky et les facteurs corrélés

Les modèles bivariés qui découlent de la décomposition Cholesky permettent d’obtenir trois types d’information entre des variables qui sont corrélées (Loehlin, 1997; Dale et al., 2000):

1) ils permettent de dériver un taux d’héritabilité bivariée (équivalent à la proportion de covariance phénotypique expliquée par des facteurs génétiques) qui traduit la force des influences génétiques sur la corrélation phénotypique entre deux phénotypes;

2) ils permettent de dériver un indice de corrélation entre les facteurs génétiques (rA ou rG) et environnementaux (rC et rE) latents influençant deux phénotypes qui sont corrélés;

(38)

ces corrélations indiquent le recoupement, c’est-à-dire, les facteurs génétiques et environnementaux qui semblent être liés à la fois à l’un et l’autre phénotype.

Par exemple, le taux d’héritabilité bivariée peut être modeste - de l’ordre de 20% - alors que la corrélation génétique peut atteindre 60% ou 70%. La corrélation génétique n’indique rien quant à la. force des influences génétiques sur la corrélation entre deux phénotypes, elle reflète uniquement le recoupement entre les facteurs génétiques qui influencent l’un et l’autre phénotype (figure 2);

3) puisque les modèles bivariés postulent une séquence temporelle logique entre les phénotypes modélisés (Loehlin, 1997), il devient possible d’estimer dans quelle proportion les facteurs latents liés à un premier phénotype (ce phénotype peut précéder le second parce que la mesure est prise à un temps antérieur ou peut le précéder selon une logique théorique) influencent les différences individuelles observées (variance) pour un second phénotype (figure 3). E devient ainsi possible de dériver un pourcentage de variance expliquée pour le second phénotype par les facteurs latents du premier phénotype et un pourcentage de variance résiduel, unique aux facteurs latents du second phénotype.

fl est à noter que les modèles présentés aux figures 2 et 3 sont des modèles équivalents, paramétrisés de façon identique. La figure 3 illustre le modèle de base de la décomposition effectuée lors de ce type d’analyse bivariée. La figure 2 présente le modèle des facteurs corrélés qui n’est autre qu’une transformation mathématique de la

décomposition de base pour dériver les parcours de corrélation illustrés (voir Loehlin, 1997, pour une description complète des transformations mathématiques possibles à partir du modèle de décomposition de base).

Figure

Figure 1. Modèle additif ACE univarié où A = a2 et désigne la force des facteurs génétiques ; C = c2 et désigne la force des facteurs d’environnement commun ; E = e2 et désigne la force des facteurs d’environnement unique  y compris la mesure d’erreur.
Figure 2. Modèle bivarié des facteurs corrélés où A = facteurs génétiques latents, C = facteurs  environnement commun latents et E = facteurs environnement unique latents
Figure 8. Décomposition Cholesky où A = facteurs génétiques latents, C = facteurs environnement  commun latents, E = facteurs environnement unique latents et:
Figure 4. Modèle dit causal où  P  représente un parcours d’influence phénotypique directe de la  variable 1 à la variable 2
+7

Références

Documents relatifs

Ainsi, par cette recherche, j’espère qu’avec ma collègue Johanna, nous pourrons acquérir de nouveaux outils, et une meilleure compréhension de ce phénomène autant pour

Par mon expérience dans un service de neuroréadaptation et grâce aux entretiens exploratoires réalisés avec Florence auprès de l’infirmière cheffe de

• Trouble psychotique bref ( BDA dans les classifications françaises): Idées délirantes, hallucinations, désorganisation du comportement et du discours survenus depuis plus

Nous sommes en situation d e manque car, dans ces villes, l ' anonymat de la multitud e fait de nous des solitaires dans la rue, dans les transport s en commun, dans les

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des

La logique de ces systèmes a été poussée au bout, avec une génétique favorisant une production laitière très élevée (9 800 kg de lait par lactation en 2008) pour limiter

 Philippe  André  est

Cliquez ici pour telecharger le