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ARTheque - STEF - ENS Cachan | L'expérience historique : une histoire de mots et de choses

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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L’EXPÉRIENCE HISTORIQUE :

UNE HISTOIRE DE MOTS ET DE CHOSES

Faouzia KALALI

UMR STEF, ENS Cachan

MOTS-CLÉS : EXPÉRIENCE – VIVANT – CHOSE NATURELLE – VOCABULAIRE

RÉSUMÉ : L’expérience historique allie à la fois les mots et les choses dans une construction de la pensée. Sa valeur est doublement didactique pour l’enseignement et la formation des enseignants.

ABSTRACT : The historical experience rergoup words and things in order to construct thought. Her double value concern training and learning.

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1. INTRODUCTION

Aborder la problématique des mots et des choses dans les sciences naturelles, c’est retracer le chemin laborieux de la constitution d’une connaissance scientifique du vivant et d’une rationalité proprement biologique. L’avènement de l’expérience en physiologie au XVIIIe siècle coïncide avec la constitution du vivant comme objet de science. D’objet mythique - car l’enjeu n’était pas toujours scientifique -, la digestion, la reproduction ou la génération (et d’autres fonctions érigées au rang des problèmes qui préfigurent les fondements de la biologie moderne) deviennent l’objet d’expériences. Ainsi on peut lire que l’expérience historique du XVIIIe siècle interroge directement les faits, procède par l’analyse et s’appuie sur un vocabulaire qu’elle tente d’épurer des images familières. C’est sur l’œuvre de Spallanzani (en particulier les expériences qui portent sur la reproduction des Batraciens) que nous allons nous pencher pour retracer cette histoire des mots et des choses. Il s’agit de la systématisation sinon de la formalisation des uns et des autres, des uns par rapport aux autres. À ce titre, les textes de Spallanzani sont emblématiques pour l'enseignement et la formation des maîtres. Leur valeur pédagogique est didactique est exploitée depuis longtemps dans les manuels scolaires et dans les épreuves de CRPE (Concours de recrutement des professeurs des écoles).

2. LES ORIGINES DES EXPÉRIENCES SUR LA REPRODUCTION DES BATRACIENS 2.1. L’opinion de Swammerdam

Dès le XVIIe siècle, Swammerdam a affirmé que le mâle déverse sa semence sur les œufs. Il a même représenté par un dessin une espèce de gerbe de liqueur sortant du derrière du mâle. Mais il n’a donné aucune preuve de son assertion.

2.2. L’ingéniosité de Réaumur

Entre 1736 et 1740, Réaumur s’intéresse à la fécondation des grenouilles et réalise ses fameuses expériences sur les grenouilles en caleçon. Dans ces expériences, pendant la période de reproduction, il va donner une culotte de vessie et puis en taffetas ciré plus solide (quand celle-là se révélera molle, flasque) aux grenouilles mâles. Ces dernières se débarrassent vite des caleçons en recourbant leurs cuisses et en les retirant en dedans de la culotte pour ensuite la pousser et s’en défaire. Réaumur décide de munir les caleçons de bretelles qu’il fait passer sur les bras de la grenouille mâle, entre son corps et celui de la femelle. Malgré l’ingéniosité de cet artifice, Réaumur

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ne réussit pas à surprendre ce qui pouvait le mettre sur la voie de la fécondation. En effet, le mâle peut rester sur le dos de la femelle plusieurs jours sans que l’on puisse voir la ponte des œufs. De plus, cette dernière est de si courte durée et s’accompagne simultanément de la libération de la liqueur séminale chez la grenouille mâle. En dépit de l’observation faite par sa collaboratrice (Mlle du Moutier) de l’expulsion par le derrière du mâle d’un « jet de fumée de pipe » lors de la ponte, Réaumur va chercher ailleurs l’origine de la semence. Il l’imagine dans les doigts du mâle et projette, pour en avoir le cœur net, de leur mettre des gants (une pièce de taffetas) pour les empêcher de presser directement la femelle !

2.3. Le programme de Spallanzani

C’est Spallanzani (entre 1777 et 1778) qui va élucider en partie le phénomène de la reproduction des Batraciens en reprenant le stratège de Réaumur. D’abord, il va s’assurer, comme l’avait fait un siècle plus tôt Leeuwenhoek, que les mâles n’ont pas d’appareils copulateurs. Il va ensuite prélever des œufs dans l’utérus de 156 femelles accouplées dont il va suivre le développement. Les œufs demeurant stériles, il conclut que la fécondation n’est pas interne. Il peut donc répéter les expériences de Réaumur. Dans ces conditions, et malgré l’accouplement, les œufs ne se développent pas ; par contre des gouttelettes de liquide séminal se retrouvent à l’intérieur des caleçons.

Comme la fécondation est externe, Spallanzani va tenter de la réaliser artificiellement. Il prélève, sur des crapauds, des œufs qu’il va arroser avec du sperme non sans placer des œufs témoins dans l’eau. Alors que ces derniers ne se développent pas, il montre que les œufs arrosés se développent et donnent des têtards (Spallanzani appelle les œufs des têtards car il est oviste). La fécondation est ainsi instituée en un véritable programme expérimental.

3. L’EXPÉRIMENTATION A L’ÉPREUVE DU VITALISME 3.1. Insémination artificielle et expériences des verres de montre

On a longtemps cru que la fécondation est due à une vapeur qui se dégagerait de la semence (aura

seminalis). Spallanzani va utiliser un verre de montre dans lequel il place des œufs vierges de

grenouille et qu’il place, en guise de couvercle, sur un autre verre de montre garni de liqueur séminale. Malgré la faible distance qui sépare les deux verres de montre et donc les différentes substances mâles et femelles (2,25 mm), les œufs ne sont pas fécondés. Il faut donc un contact matériel entre les œufs et le sperme pour réaliser la fécondation.

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Ces expériences des verres de montre ainsi que celles de la fécondation artificielle excluent l’idée d’une force vitale qui coordonnerait la reproduction.

3.2. Propriétés de la semence ou le contrôle expérimental poussé à son extrême

Spallanzani va multiplier les expériences en variant les conditions tant pour les œufs que pour la semence. Concernant la semence, il va faire varier la température et montrer que le pouvoir fécondant disparaît par la dessiccation, par le chauffage (2 minutes à 35°), par la filtration à travers des étoffes, du coton, des feuilles superposées de papier spongieux. En outre, la semence garde ses pouvoirs quand elle est tenue en glacière (jusqu’à 24 heures), ou diluée à l’extrême (3 grains de semences dans 22 litres d’eau).

4. UNE HISTOIRE DE MOTS ET DE CHOSES

En accord avec notre projet annoncé dans l’introduction, nous allons esquisser une histoire des mots et des choses concernant la reproduction des Batraciens. Pourquoi ni Swammerdam, ni Réaumur n’ont-ils réussi à accéder aux faits, à les analyser, à en tirer les conclusions qui s’imposent ? Pourquoi Spallanzani va-t-il réussir à percer le mystère de la reproduction des Batraciens sans aller jusqu’au bout du phénomène de la fécondation ?

4.1. Théoriciens versus praticiens

Avant de tenter de comprendre la réussite de Spallanzani, il faut se pencher sur la période qui le précède. L’avènement de l’expérience au milieu du XVIIIe marque une rupture avec le début du XVIIIe et XVIIe siècles, sur le plan des discours et de l’approche du vivant et des choses naturelles. Salomon-Bayet (1978) distingue trois discours dans ces deux dernières périodes. Le premier, qu’elle qualifie des pratiques du mot sans la chose, est tenu par les chimistes (Duclos et Bourdelin) et les botanistes (Dodart). Ici on s’attarde à analyser tout et rien (plantes, eaux minérales…). On distille, macère, rectifie, analyse, pèse. Les descriptions sont interminables, le dénombrement et la quantification des choses sont à leur maximum. Le deuxième discours sera tenu par les botanistes dont la pratique répétitive de l’analyse des plantes exclut les véritables expériences. Ici, on classe et on dénombre. Le troisième discours concilie différentes disciplines (mécanique et physique végétale par exemple chez Mariotte). L’animal, l’homme et la plante qui présentent des phénomènes semblables peuvent être analysés de façon expérimentale et donner lieu à des modélisations. Ce

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sont les praticiens de la seconde moitié du XVIIIe siècle qui vont réaliser ce programme à travers la pratique de la physiologie :

Théoriciens / Praticiens

(Invocation expérimentale) (Expériences)

Arguments rhétoriques et philosophiques Arguments scientifiques Champ de pratique de la médecine Champ de pratique de la physiologie Nous pouvons dire que le programme des praticiens confronte les mots et les choses dans une sorte de discours critique sur le vivant alors que les théoriciens abondent dans des spéculations philosophiques. C’est ce programme qui va permettre, à l’aube de la seconde moitié du XVIIIe, l’investigation des grandes fonctions de la reproduction, de la respiration, de la digestion, de la motricité…

4.2. Expériences : obstacles versus aides

Si on examine les travaux de Spallanzani à la lumière de ceux de Réaumur, nous allons focaliser notre attention sur l’expérience et ses attributs. Ici apparaît la valeur pédagogique et didactique des textes de Spallanzani à travers la séparation des variables, le contrôle expérimental, l’importance de l’expérience témoin… Bachelard (1980, chapitre IV), concernant la fonction de la digestion, classe Réaumur dans le stade de la pensée préscientifique. Il précise que dans l’explication du phénomène, Réaumur fera l’usage d’images familières et d’opinions qui vont constituer pour lui un obstacle verbal. Dans le cas de la reproduction, on peut penser à la conjoncture du génie de Spallanzani et du choix des grenouilles (fécondation externe et donc plus facile à observer). Cependant, ce même choix d’animal va constituer un obstacle pour Spallanzani et retarder de plus d’un siècle l’explication complète du phénomène de la fécondation. Notre praticien étant oviste (il loge le germe dans la femelle en s’appuyant sur ses observations de l’œuf non fécondé qu’il appelle d’ailleurs têtard), il va minimiser le rôle des spermatozoïdes. L’expérimentation (Guyénot, 1941) est une arme a double tranchant : elle est dangereuse par les apparences qu’elle met sous les yeux et les conclusions auxquels elle semble conduire avec une rigueur absolue. Les expériences de filtration de la semence (voir 3.2) pouvaient conduire Spallanzani à déterminer le rôle des spermatozoïdes qu’il a d’ailleurs étudié au microscope et dont il a confirmé la nature animale. Mais étant oviste, il va écarter certains faits qui ne rentrent pas dans son cadre :

Obstacles

Expérience (mots/choses) : (verbal, expérimental ou de raisonnement, matériel…) Aides

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Le XVIIIe siècle s’achèvera sans que le phénomène de fécondation ne soit expliqué. Un siècle plus tard, ce sont les mêmes expériences de Spallanzani qui vont servir à de nouvelles interprétations intégrant les apports de la théorie cellulaire.

BIBLIOGRAPHIE

BACHELARD G. (1980). La formation de l’esprit scientifique. 11e édition. Paris : Vrin

GIORDAN A. (dir.) (1987). Histoire de la biologie. Tome II. Paris : Technique et documentation – Lavoisier

GOHAU G. (1978). Biologie et biologistes. Paris : Magnard

GUYENOT E. (1941). Les sciences de la vie aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris : Albin Michel ROSTAND J. (1945). Esquisse d’une histoire de la biologie. Paris : Gallimard

SALOMON BAYET C. (1978). L’institution de la science et l’expérience du vivant. Paris : Flammarion

ANNEXE

Date Objets ou choses naturels

Animalcules : premiers travaux sur les générations spontanées 1765 Rédaction de son mémoire (Saggio) et son envoi à Bonnet

Publication des CR de ses expériences. Engagement de la polémique avec Nedham 1776 Publications des opuscules de physique animale et végétale

1768 Résume ses travaux sur la régénération dans (Promodo) dédié à Nollet 1777-1778 Expériences sur la reproduction des batraciens

1780 Rassemble ses expériences sur la génération et publication

1785 Traduction en français de ces travaux par Senebier (Expériences pour servir à l’histoire de la génération des animaux et des plantes)

Références

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