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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Auguste Comte, la science sans citoyens ?

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Academic year: 2021

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AUGUSTE COMTE, LA SCIENCE SANS CITOYENS?

Alain KERLAN

I.U.F.M. de Franche-Comté

MOTS-CLÉS: POSITIVISME· CITOYENNETÉ

RÉSUMÉ: Deux conceptions de la science interfèrent.Lapremière, issue des Lumières, fait de la science le socle de la citoyenneté.Laseconde est nourrie de positivisme. On rappelera opportunément que le créateur de la philosophie positive rangeait la citoyenneté au rang des vieilleries métaphysiques. Comte, ou Condorcet? Le débat peut éclairer notre présent.

SUMMARY : Two approaches to science interfere with each other. The first, stemming from the Enlightenment, makes science the base of citizenship. The second is fostered by positivism.Itis opportune to recallthat the creator of positivist philosophy placed citizenship among the ranks of outdated metaphysics. Comte or Condorcet? The debate can shed light on our present.

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1. INTRODUCTION

Mon introduction emprunteraà une remarque de Dominique LECOURT. Elle concerne deux plaques commémoratives apposées dans les locaux de l'École Nonnale de la rue d'Ulm. La première pene l'inscription: MORTS POUR LA FRANCE. La seconde: MORTS POUR LA SCIENCE. Témoignage saisissant de l'intégration des valeurs de la science aux valeurs politiques, et plus encore aucredorépublicain, progressiste.

2. LA BONNE ET LA MAUVAISE SCIENCE

Cette vision de la science est encore largement dominante. C'est celle qui a, commenaturellement et historiquement,autant que par engagement et volonté, panie liée avec la démocratie, la République, le socialisme, le progressisme. La proximité de deux figures historiques, celle de DURKHEIM et celle de JAURES l'illustre assez bien.Àl'engagement socialiste de l'un, répond le choix de la sociologie et la pédagogie chez l'autre: la connaissance positive et scientifique de la société, et la défense d'une école laïque refondée par l'enseignement et les valeurs des sciences.

Cette vision de la "bonne" science est aujourd'hui en crise1.La menace de la destruction a succédéà la cenitude du progrès. La science fait peur2. Etl'avenissement que BRECHT met dans la bouche de GALILÉE touche juste:"JIse peut qu'avec le temps vous découvriez tout ce qu'ilyaàdécouvrir, et pourtant votre progrès ne sera qu'une progression loin de l'humanité3''. Aujourd'hui, le pouvoir des sciences est perçu comme une menace pour la démocratie, et un déni de citoyenneté. La question de l'alliance"se pose en termes nouveaux: comment éviter que les décisions, étant confiées au soin d"'experts", le progrès des sciences n'apporte inéluctablement sa contributionàce dévoiement majeur de la démocratie contemporaine que constitue la technocratie4"?

3. LE PARADOXE POLITIQUE DES SCIENCES

On mesure le paradoxe: ces sciences qu'on avait mis du côté de la démocratie, de la République et de ses valeurs, sont en passe de déposséder le citoyen de sa souveraineté, en raison même de leur prodigieux développement. Paradoxe? Dans la perspective d'un CONDORCET, pour qui la

1Toutefois, de la "bonne" à la "mauvaise science", quelque chose demeure inchangé. Nos peurs dessinent en négatif le même modèle, la même image, la même croyance. La "mauvaise" science mesure alors nos désillusions.

2 Cf. Dominique LECOURT,Contre la peur. De la scienceàl'éthique une aventure infinie,Paris; Hachette, 1990.

3 BenoIt BRECHT,La vie de Galilée,Paris: L'Arche, 1955-1960, 1975, p. 103. 4Dominique LECOURT,Op. cit.,p. 34-35.

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connaissance scientifique est au service de la citoyenneté, sans aucun doute. Il en va différemment dans le positivisme d'Auguste COMTE. La philosophie positive a l'ambition d'être la seule philosophie possible au temps des sciences, en pleine accord avec l'entrée du monde et de l'humanilé dans la civilisation scientifique et technique, et veut en tirer toutes les conséquences, notamment politiques. Or, et précisément parce qu'elle veut être la philosophie de la science, du temps des sciences, la politique positiviste récuse le "dogme" du suffrage universel, et voit dans la citoyenneté et les principes qui la fondent de puresabstractions, des survivances métaphysiques.

Le positivisme n'est pas une pure spéculation, sans effets réels. Dans la forme et l'influence que lui a données Émile LITTRÉ,ila pénétré de nombreux esprits, gagné les institutions de la république, et de son école5. Jules FERRY fut profondément marqué par la philosophie de Nous sommes ici devant une singularité de l'idée de science dans la culture politique française. Comme l'école, elle est le fruit d'un compromis, d'une synthèse contradictoire: elle hérite àla fois de CONDORCET et de COMTE, elle retient de l'un l'exigence d'une citoyenneté souveraine éclairée par la science, et de l'autre celle d'une organisation rationnelle sur le modèle el dans l'esprit des sciences. Un compromis de cet ordre peUl-il durer? Nous ne pouvons esquiver plus longtemps le soupçon: et si COMTE avait raison ? S'il n'y avait plus place el sens pour la parole des citoyens dans la civilisation scientifique et technique? Si le déficit démocratique de la civilisation scientifique marquait le triomphe de la conception positiviste, par-dessous le modèle républicain de la citoyenneté éclairée ?

4, LA MENTALITÉ POSITIVE

Le monde issu de la positivité que décrivait COMTE présente de nombreux traits où nous croyons reconnaître notre propre monde. En tout premier lieu, l'idée générale qu'on se fait des sciences, et notamment dans la communauté scientifique "ordinaire" et dans l'enseignement, esttoUle pénétrée de positivité, Qu'on relise la description que donne COMTE de l'esprit positif. Souci du réel "par opposition au chimérique", préoccupation de l'utile (opposé à "l'oiseux"), exigence d'une cenitude de nature scientifique, valorisation de la précision chiffrée7: n'est-ce pas là une description de la mentalité de l'homme moderne? Et même le credo de l'homme politique? L'esprit positif, comme esprit général de la science, entend échapperà "ces doutes indéfinis et ces débats interminables" où enfenne le régime de pensée pre-scientifique. Il"consisteàopposer le précis au vague" ; sa tendance véritable est d'obtenir"partout le degré de précision compatible avec la nature des phénomènes". Ajoutons pour couronner l'ensemble que lepositif s'oppose au négatif, et nous comprendrons que le son et la légitimité dela pensée critique sont bien en jeu dans la conception positiviste des sciences. La fameuse"loi des trois états" est tout autant devenue l'une des structures implicites de la mentalité

5 Claude NICOLET,L'Idée Républicaine en France, Paris: Gallimard, 1982.

6 Cf. Louis LEGRAND,L'influence du positivisme dans l'Œuvre scolaire de Jules Ferry, Paris: Rivière, 196 I.

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moderne. L'idée selon laquelle l'humanité et l'esprit humain auraient dû, au cours de leur histoire, avant d'entrer dans une civilisation et une pensée enfin positives et proprement scientifiques, s'arracher aux errements et aux fourvoiements théologiques et métaphysiques, a pour beaucoup la force d'une évidence.

5. LE POSITIVISME, UNE ENTREPRISE POLITIQUE

Dans le positivisme, la préoccupation politique est préalable, inaugurale, et ancrée dans l'histoire du début du XIXe siècle. Très tôt, COMTE lie exigences scientifiques et aspirationsàla régénération sociale et politique.Iln'est pas le seul, en ces temps de tourmentes et de bouleversements. COMTE le dit et le répète: la méditation ordonnée des sciences prépare l'ordre médité de la société positiveOrdre et progrès,devise qui formule l'ambition d'une politique accèdant à la positivité.

La description et la théorisation que fait COMTE du monde politique 8 né de la science offrent plus d'un trait où nous croyons reconnaître notre monde. Prépondérance du travailet del'industrie. Relégation de l'idée dÉtat et des théories du contrat social. Rapports de l'humanitéàla planète Terre au premier rang des préoccupations. Développement d'une civilisation urbaine et industrielle mondiale. Internationalisation des échanges, brassage des peuples. Bref, la mondialisation. Tout ceci ne peut demeurer sans effet sur l'organisation politique. Ses formes traditionnelles sont appelées à s'effacer: la forme de l'État et le parlementarisme cèdent "normalement" le pas à la politique industrielle internationale. Le pouvoir anonyme des industriels administre la société internationale. Certes, le peuple a le devoir de choisir les grandes orientations politiques. Mais la souveraineté est une entité abstraite et un principe entaché d'esprit métaphysique. Elle compte moins que la régulation sociale, dont le pouvoir indirect deJ'opinion publiqueest un rouage essentiel.

Aux formes démocratiques doit donc se substituer une nouvelle distinction du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel; au citoyendoit succéderJ'opinion. Le pouvoir spirituel, qui a pour destination propre le gouvernement de l'opinion, doit revenir aux savants. C'est pourquoi"son attribution principale est l'éducation9", surtout générale.

En fin de compte, l'organisation démocratique de la société comme les valeurs sur lesquelles nous la fondons ne sont que transitoires10.C'est bien clair: une certaine fornle démocratique et citoyenne, bâtie sur les principes de liberté de conscience, de souveraineté du peuple, d'égalité, fait. selon Comte, obstacle àl'avènement du nouvel ordre social issu des sciences. celui de la civilisation scientifique et industrielle.

8On se reporteraàJuliette GRANGE,Politique d'AugusteComte, Paris: Petite Bibliothèque Payot, 1996.

9 Considérations sur le pouvoir spirituel(1826), inSystème de politique positive,IV,Appendice général,Paris: Éditions Anthropos, 1970, p. 194.

10Ibid.,pp. 180·181.

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6. LA CITOYENNETÉ PARCE QUE LA SCIENCE

Étrange actualité du comtisme. Prisàla lettre, il paraît apparteniràun autre temps. Et pourtant, comme le monde qu'il dessine a de la ressemblance avec le nôtre! Mais le positivisme rampant, il est temps de s'en souvenir, n'est que l'une des deux composantes de l'idée de science dans notre culture. Peut-être en sommes-nous aujourd'huiàun point où le compromis n'est plus tenable, où il importe de restaurer contre le positivisme rampant lavertu critiquedu citoyen éclairé. Les sciences sont devenues notre monde. Un monde que nous ne pouvons pas habiter, comme notre domicile ll , mais qu'il faut bien rendrehabitable.La maîtrise sociopolitique des sciences est bien désonnais l'un des enjeux majeurs de la citoyenneté. Nous ne pourront y faire face sans être au clair avec notre héritage positiviste. Cette exigence, me semble-t-il, est en marche. Les débats dont les sciences font aujourd'hui l'objet marquent peut-être un tournant. Bruno LATOUR le constate:"nous entrons dans une nouvelle époque: aux controverses politiques s'ajoutent les controverses scientifiques. Au lieu de définir une science par son détachement, on la définit par ses attaches I2 ".Cette nouvelle culture de la science réclame des citoyens, restaure l'éthique du débat et de la responsabilité.

BIBLIOGRAPHIE

A. COMTE,Discours sur l'esprit positif(1844), Paris: Vrin, 1987.

A. COMTE,Système de politique positive(1848), Paris: Éditions Anthropos, 1970.

A. KERLAN,La science n'éduquera pas. Comte, Durkheim, le modèle introuvable,Bem : éd. Peter Lang(àparaître deuxième semestre 1997).

Dominique LECOURT, Contre la peur. De la scienceàl'éthique une aventure infinie,Paris: Hachette, 1990.

t1COMTE lui-même disait que l'homme ne peut pashabiterla science. Elle n'est, écrivait-ilà Audiffrent en février 1857, "nullement capable de nous fournir un domicile pennanent".

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