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Processus de redéfinition identitaire et reconfiguration des rapports interétatiques chez les Slaves de l'Est

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Academic year: 2021

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(1)

PROCESSUS DE REDÉFINITION IDENTITAIRE ET RECONFIGURATION DES RAPPORTS INTERÉTATIQUES CHEZ LES SLAVES DE L'EST

THÈSE SOUMISE

COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN SCIENCE POLITIQUE

PAR YANN BREAULT

(2)

Avertissement

La diffusion de cette thèse se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

(3)
(4)

LISTE DES ABRÉVIATIONS. . . . VU!

LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX. . . . ix

NOTES SUR LA TRANSLITÉRATION . . .

x

RÉSUMÉ... ... ... .. ... ... . ... . .. . ... . .. .. ... .. ... .. XI! INTRODUCTION . CHAPITRE 1 DE LA FAMILLE COSMOPOLITE SOVIÉTIQUE À LA FAMILLE ETHNOLINGUISTIQUE SLAVO-ORIENTALE. . . . 22

1.1) Le pari risqué d'une cinquième génération de communistes. . . . 25

1.2) De la réforme soviétique à la révolution russe. . . 32

1.3) La mort inattendue du soviétique ukrainien. . . 39

1.4) La découverte de la Ruthénie blanche. . . 46

1.5) Les Slaves de l'Est comme catégorie analytique. . . . 55

CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES RELIÉES À L'USAGE DU CONCEPT D'IDENTITÉ. . . 61

2.1) Précisions conceptuelles préliminaires. . . 65

2.2) De la nature indéterminée de l'agence étatique/nationale. . . . 69

2.3) Critères d'évaluation pour une approche post-positiviste. . . . 72

2.4) Sources juridiques : terminologie, lois et traités. .. .. . . . .. . . 80

2.5) Sources institutionnelles: discours (des) officiels. . . . 86

(5)

CHAPITRE III

DE LA TRANSFORMATION IDENTITAIRE AUX RELATIONS

INTERNATIONALES . . . 96

3.1) Identités et politiques étrangères. . . 99

3.2) Transformations identitaires et systèmes interétatiques . . . 110

3.3) Logique systémique des catalyseurs identitaires . . . 115

CHAPITRE IV LA RUSSIE: LA GRANDE PÉRIODE DE TROUBLES. . . 120

4.1) L'émergence d'une superpuissance énergétique... 123

4.2) Le péril de la schizophrénie nationale. . . 136

4.3) 1991-1994: la libéralisation forcée et son échec. . . . .. . 148

4.4) 1994-1999: le gouffre de la revanche impossible... ... 158

4.5) 1999-2008: le capitalisme d'État et le défi de la postmodernité . . . 169

CHAPITRE V L'UKRAINE: LE DRAME DE LA MODERNISATION FORCÉE. . . . 182

5.1) La préservation du « bassin génétique ukrainien» . . . 186

5.2) La configuration du champ de bataille. . . 193

5.3) 1991-1994 : les épreuves du romantisme. . . 198

5.4) 1994-2004 : l'équilibrisme de survie. . . 205

5.5) 2004-2008 : la surenchère euro-atlantiste . . . 218

CHAPITRE VI LE BELARUS : LE CHEMIN DE CROIX D'UNE AUTOCRATIE ATHÉISTE ORTHODOXE. . . 228

6.1) Les stigmates du choc des chrétientés rivales. . . 232

6.2) Le « miracle économique» . . . 243

6.3) 1991-1994 : l'éphémère République blanche-ruthénienne . . . 253

6.4) 1994-2001: le réunificateur des Slaves de l'Est. . . 262

(6)

CHAPITRE VII

L' ANALYSE COMP ARATIVE LONGITUDINALE COMME INSTRUMENT

DE MESURE DE LA DYNAMIQUE FAMILLIALE . . . 280 7.1) Le groupe slavo-oriental comme fait idéel et matériel. . . . 284 7.2) La comparaison comme mécanisme constitutif des identités. . . . .. . . 293 7.3) L'analyse d'une trilectique internationale/interétatique . . . 309

CONCLUSION. . . 321 BIBLIOGRAPHIE. .. . . .. . . . .. . . .. . . .. . . .. 337

a) Références sur les aspects théoriques . 337

b) Références sur l'ex-URSS et la Russie . 342

c) Références sur l'Ukraine .

355

(7)

que ce que nous voyons et écrivons ne peut être, en définitive, qu'un reflet de ce que nous sommes. Fondamentalement, nous sommes tous prisonniers des langages avec lesquels nous appréhendons notre environnement.

Pour ma part, étant issu de ce que l'ex-ministre des Affaires étrangères canadiennes Pierre Pettygrew avait publiquement nommé « le Québec profond », ma logique première est celle de ces gens accoutumés à manipuler un lexique plutôt restreint, et dont l'esprit ne se manifeste pas tant à travers l'usage d'une grammaire complexe que par la justesse des métaphores avec lesquelles il s'exprime. Or, en conséquence de la matrice universitaire généreusement offerte par la social-démocratie québécoise, j'appartiens simultanément à la catégorie des personnes instruites, condamnées à se questionner avec un éventail d'outils analytiques dont la diversité, apparemment jamais satisfaisante, n'a pour limite que l'imagination humaine.

Ce n'est pas sans douleur que je ressens les effets de la superposition de ces modes d'entendement. Aussi, la pulsion à l'origine de cette thèse provient-elle du désir de réconcilier leurs logiques respectives comme s'il s'agissait, en quelque sorte, d'un exercice dans lequel il me fallait faire dialoguer, sur un pied d'égalité, mes parents et mon directeur de thèse. Vu sous cet angle, la réalisation du présent travail serait une façon de communiquer l'estime que j'ai pour eux.

Comme on disait chez nous qu'il fallait se méfier de la « belle parlure» et des « courbettes

de politesse» (tout en précisant qu'« on en a gros de ça pour cent piastres »), je ne souhaite

pas m'étend~e avec les remerciements usuels, qui ne servent en fait qu'à situer le candidat dans son champ socio-académique. À l'exception des évaluateurs anonymes du Fonds canadien d'aide à la recherche et des contribuables de ce pays, les nombreuses personnes envers qui je suis reconnaissant le savent déjà. Ils se reconnaîtront.

(8)

CEl Communauté des États indépendants FCE Forces conventionnelles en Europe FMI Fonds monétaire international

FSB Service fédéral de sécurité (Federalnaia sloujba bezopasnosti)

KGB Comité pour la sécurité d'État (Komitet gosoudarstvennoi bezopasnosti)

NKYD Commissariat populaire aux affaires intérieures (Narodnyi komissariat vnoutrennikh de!)

OUN Organisation des nationalistes ukrainiens (Organizatsiia Oukrainskikh Natsionalistiv)

OCS Organisation de coopération de Shanghai ONG Organisation non-go uvernementale ONU Organisation des Nations-Unies OMC Organisation mondiale du commerce OTAN Organisation du traité de l'Atlantique Nord

OSCE Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe PIB Produit intérieur brut

PC Parti communiste

PCUS Parti communiste de l'Union soviétique URSS Union des républiques socialistes soviétiques RSS République socialiste soviétique

RSSF République socialiste soviétique fédérative

START Traité de réduction des armes stratégique (Strategie Arms Reduction Treaty)

TNP Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires

UE Union Européenne

(9)

Tableau 6.1 Taux de croissance annuelle comparés du Belarus, de

l'Ukraine et de la Russie . 242

Figure 7.1 Empreinte contemporaine d'appartenance au groupe slavo­

oriental . 286

Figure 7.2 Empreinte architecturale de l'expansionnisme slavo-oriental. 287

Tableau 7.1 Comparaison démographique et géographique . 294

Tableau 7.2 Comparaison économique et militaire . 295

Tableau 7.3 Comparaison de l'importance relative des partenaires

commerciaux . 296

(10)

Le premier concerne le choix de la langue d'origine à retranscrire, du moins lorsqu'il s'agit d'un nom, d'un titre ou d'un passage provenant d'un document produit au Belarus ou en Ukraine. Or, comme je lis le russe avec plus d'aisance que les deux autres langues slavo­ orientales, j'ai pris 1'habitude de retranscrire en caractère latin les versions russes de tous les noms propres et des sources primaires, du moins lorsque celles-ci étaient disponibles dans les deux langues (ce qui est très souvent le cas).

Le deuxième problème concerne le choix du système de translitération. C'est une fois de plus la facilité qui a guidé ma décision. Sauf pour certains noms propres usuels jouissant en français d'une orthographe déjà bien établie, j'ai utilisé un système simplifié qui fait non seulement l'économie de tous les accents et des signes durs et mous, mais qui omet aussi la distinction entre le «e» et le « 3 », ainsi que ce.lle entre le « i » et le « 11 (H) » propres à l'ukrainien et au bélarussien.

À force d'être confronté à une multitude de systèmes de translitérations, et ce, tant dans les textes en français qu'en anglais, on finit tous par développer une grande souplesse dans la lecture des langues slaves latinisées. Je mise sur celle du lecteur pour me pardonner ce système simplifié.

(11)

depuis le démantèlement de l'URSS.

Fondamentalement, son objectif est double. Il s'agit d'abord de vérifier l'hypothèse d'un groupe d'États-nations slavo-oriental distinct, ayant des propriétés particul ières dont les effets s'observent sur les processus de redéfinition identitaire et de reconfiguration des rapports interétatiques entre la Russie, l'Ukraine et le Belarus. 11 s'agit ensuite de trouver la clef interprétative permettant de comprendre la dynamique ou la logique interne des interactions qui s'observent au sein d'un tel groupe, à la fois frontalier de l'Europe et de l'Asie.

Bien qu'il s'agisse, en réalité, d'une sorte d'anthropologie de la diplomatie postsoviétique, ce travail s'inscrit entièrement dans le champ disciplinaire des Relations internationales. Les discours des hommes po 1itiques influents, les documents juridiques qu' iIs ont fait adopter ainsi que les commentaires et les réactions qu'ils ont suscités auprès des experts et des masses forment le terrain empirique à l'étude.

Reformulée dans le langage théorique de l'approche constructiviste cette thèse aspire, dans un premier temps, à mettre en relief la macrostructure (à la fois matérielle et idéelle) constitutive d'un sous-système commun aux trois (et seulement aux trois) États-nations successeurs de l'URSS à majorité slavo-orientale et orthodoxe.

À cet égard, la présente étude vient confirmer que l'histoire militaire, économique, juridique, religieuse et linguistique génère une structure intersubjective commune et particulière aux Slaves de l'Est. Celle-ci se manifeste par cette croyance, constamment débattue, d'appartenir à une seule et même famille, dont le fondement est à la fois ethnolinguistique et historique. Son existence génère une tension dialectique permanente et unique entre, d'une part, le sentiment de fraternité ethnolinguistique et religieuse et, d'autre part, les rivalités liées au partage de l'héritage d'un passé commun, lequel s'étend de la Rous à l'URSS.

En second lieu, ce travail propose d'identifier les microstructures (matérielles et idéelles) explicatives des particularités de chacune des unités étatiques-nationales du sous-système. Ce travail démontre, par le biais d'une analyse des facteurs militaire, économique, juridique, religieux et linguistique susceptibles d'affecter la pol itique étrangère de chacun des États­ nations à l'étude, que les comparaisons jouent un rôle constitutif des personnalités postsoviétiques de la Russie, de l'Ukraine et du Belarus. Cette thèse fait ainsi valoir que les dirigeants tentent de définir leur État-nation d'une façon qui soit tant gratifiante que viable, mais que ce processus n'est pas linéaire et prévisible. Le développement de la personnalité simultanément étatique et nationale constitue plutôt un mécanisme d'apprentissage par essais-erreurs dans lequel chacun, à sa manière, se compare aux autres unités du sous­ système.

(12)

Puisqu'elle oscille entre l'optimisme d'une confédération pacifique et le pessimisme d'une prédation vorace entre ses unités, il appert que la macrostructure sous-systémique à l'étude ne saurait être classée dans l'un des idéaux-types « hobbesien », « lockéen » ou « kantien », tels que décrits par Alexander Wendt. Afin d'expliquer et de mieux comprendre ces passages rapides entre les épisodes de collaboration et les épisodes de confrontation, la présente thèse explore un autre idéal-type de structure intersubjective dont la forme, particulièrement instable, serait de type « familiale».

En dernière analyse, afin d'évaluer la valeur heuristique du prisme interprétatif que serait la métaphore de la famille, ce travail examine les séquences d'interaction triangulaire entre les États-nations slavo-orientaux au cours des années 1990-2010. Sans prétendre pouvoir surmonter la difficulté consistant à identifier des critères stricts et précis de falsifiabi lité (caractéristique de tout modèle théorique parcimonieux), cette thèse fait valoir les mérites d'un cadre analytique comparatif et longitudinal fondé sur la métaphore de la famille et permettant à la fois d'expliquer et de comprendre les rapports politiques postsoviétiques chez les Slaves de l'Est.

Par cette analyse sous-systémique, l'étude permet d'approfondir le débat sur les mérites et les limites de l'approche constructiviste en Relations internationales.

Mots-clés: relations internationales; constructivisme; analyse comparative; Russie; Ukraine; Belarus

(13)

positifs et directeurs concrets. Il ne doit servir qu'à renverser certaines idoles et, après avoir mis le lecteur

devant des piédestaux vides, à le forcer à se remuer les

méninges à la recherche d'une solution.

Nicolas Troubetskoï'

Il est toujours désolant de prendre connaissance d'un propos académique sans avoir été préalablement informé des particularités de la perspective de l'auteur. Car si la méthode de recherche se doit d'être la plus rigoureuse et la plus transparente possible, le choix de la question, et bien sûr celui des concepts avec lesqu.e1s elle est formulée, ne peut en aucun cas être apprécié sans égard au lieu de parole. Dans les premières pages de cette introduction, je m'efforcerai donc brièvement d'exposer ce lieu. La description de la problématique de ma thèse et celle de la méthode de recherche qu'elle requiert suivront plus loin.

Court examen réflexif

C'est initialement en tant qu'enseignant de Ja langue française à Riga, dès l'automne 1992, que je commençai concrètement à explorer J'espace postsoviétique. À J'adolescence, la fascination romantique que j'avais éprouvée pour la détermination des peuples baltes à exiger

1 Le linguiste Nicolas Troubetskoï, figure de proue du mouvement eurasianiste issu des intellectuels

russes en exil, introduisait ainsi son essai L'Europe et l'humanité (Evropa i tchelovetcheslvo), publié à Sofia en 1920, dans lequel il critiquait les prétentions universalistes de la pensée européenne. Cet extrait est cité par Marlène Laruelle, « La triangulaire "Russie", "exil russe", "culture d'accueil" : le prisme occidental inassumé de l'eurasisme », colloque Les Premières Rencontres de l'Institut

européen Est-Ouest, Lyon, 2-4 décembre 2004,

(14)

de Moscou J'indépendance politique avait été à la source de ma curiosité pour cette région, et du désir de m'y aventurer.

À cette époque où je n'avais encore reçu aucune formation universitaire, J'idée de formuler une question de recherche avec les concepts de « processus de redéfinition identitaire)} ne m'aurait jamais traversé l'esprit. Alors que j'étudiais la langue lettonne (que l'on disait être, après le lituanien, la plus vieille langue vivante de la famille indo-européenne), l'hypothèse que le sentiment d'appartenance à une communauté de langue puisse correspondre au stade particulier d'une transformation sociale m'était complètement étrangère.

Au moment de la disparition de l'URSS, je considérais sans détour que l'indépendance des groupes ethnolinguistiques était un impératif à la protection de la diversité culturelle planétaire. Malgré l'inconfort de la majorité russophone de Riga, qui avait jusqu'alors démontré peu d'intérêt pour la langue indigène, je me réjouissais pOlir mes amis nationalistes de voir la langue de l'ex-Empire être retirée de l'affichage public. Sur place, je découvris d'ailleurs que les Lettons étaient souvent bien au fait de la situation linguistique canadienne. Certains d'entre eux me confiaient d'ailleurs que la Charte de la langue française (la Loi 101, adoptée par le Québec en 1977) avait été pour eux un modèle des plus inspirants, ce qui ne manquait pas de consolider ma sympathie à leur égard.

À

la même période, la lecture de L'Empire éclaté: la révolte des nations en URSS 2 m'avait conforté dans mon intuition selon laquelle l'identité soviétique n'avait en fait été qu'un déguisement chauviniste du peuple russe. Même si cette révolte éclata finalement dans les pays baltes (et non en Asie centrale, comme l'avait entrevu Hélène Carrère d'Encausse à la fin du règne de Brejnev\ il m'apparaissait raisonnable de croire que cet «Homo Sovieticus» était prédestiné à s'écrouler sous le poids des revendications nationalistes. Avant même d'avoir lu ce grand auteur qu'est Alexandre Zinoviev4, la dénomination de ce génotype

caricatural d'une anthropologie scientifique me semblait relever l'ignominie d'une

2 Hélène Carrère d'Encausse, L'Empire éclaté: la révolte des nations en URSS, Paris, Librairie générale française, 1990, 399 p.

3 La première édition de cet ouvrage notoire date de 1978.

(15)

expérience sociopolitique visant à transformer une mosaïque pluriethnique hétérogène en une entité homogène dénommée « peuple soviétique (sovietskii narod) »5.

Aujourd'hui, je ne peux que sourire devant la naïveté avec laquelle je tentais alors d'établir, instinctivement, une distinction entre les identités collectives « naturelles» de celles qui ne l'étaient pas. Cette intuition analytique était manifestement inspirée par le désir sous-jacent d'opposer ici, au Québec, la création volontariste d'une nation bilingue canadienne par la revendication d'un foyer politique indépendant pour les gens partageant ma langue maternelle.

Or, le voyage intellectuel que j'entrepris, d'abord comme étudiant d'Histoire puis en tant qu'étudiant au département de Science politique de l'UQÀM, allait bientôt m'amener à poser un regard généalogique sur le processus d'identification à la nation québécoise et, conséquemment, à m'interroger

à

savoir comment celle-ci avait pu suppléer si abruptement la « race canadienne-française» à laquelle étaient attachés mes aïeux. En questionnant sous cet angle la reconstruction identitaire post-catholique, il apparaissait clairement que cette «Histoire du Québec »6 était un récit recomposé par les élites engagées dans ce qu'ils nommèrent la «Révolution tranquille ». Il s'agissait d'une rupture envers la période précédente appelée « grande noirceur ». Si la réalité ethnolinguistique ressentie dans mon village des Cantons-de-l'Est n'était pas artificielle, le cadre institutionnel et la dénomination nationale« québécoise» qu'on lui avait attachés l'étaient assurément.

5 L'expression «sovietskii narod» fit officiellement son apparItIon dans les déclarations du 24"

congrès du PCUS en 1971 et sera finalement enchâssée dans la dernière constitution soviétique de 1977, où le « peuple soviétique» y est défini comme « une nouvelle communauté historique de gens»

(novaia istoritcheskaia obchtchost lim/dei). Voir Je préambule de la Constitution (loi fondamentale) de l'URSS Soviétique (adoptée le 7 octobre 1977), (Konstitoutsiia (Osnovnoi Zakon) Soiouza Sovetskykh Sotsialistitcheskikh Respoublik (priniiata na vseotcherednoi sedmoi sessii Verkhovogo Soveta SSSR devyatogo sozyva 70ktyabrya 1977g.),

http://www.constitution.garant.ru/DOC_1491566.htm#sub-.para_N _100000.

6 Je fais ici indirectement référence à J'œuvre charnière, en deux tomes, de Paul-André Linteau, René

Durocher et Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain (Montréal, Boréal, 1979), dont l'intégrale constituait le fondement du cours d'histoire donné par le frère Roger Lamoureux, au niveau collégial, au Séminaire de Sherbrooke, au début des années 1990.

(16)

Il s'agit bien sûr là d'un constat banal, tant le caractère imaginé ou construit des nations est aujourd'hui bien admis en sociologie. Depuis la céJèbre conférence d'Ernest Renan à la Sorbonne7, l'idée que l'appartenance nationale relève de la volition humaine et non des lois

de la génétique a fait un grand bout de chemin, à tel point que l'on admet sans réserve que ce soit par « référendum de tous les jours»8 que les populations modernes deviennent des nations. C'est d'ailleurs par le truchement de ce consensus que le mot « Québécois» désigne aujourd'hui des gens d'origines fort diverses.

Comment se fait-il qu'une telle évolution, alors inimaginable pour mes grands-parents, puisse maintenant couler de source pour beaucoup de gens de ma génération? Avec un peu de recul, je réalise maintenant qu'il s'agit là du questionnement théorique inconscient ayant stimulé ma curiosité à l'égard des « processus de transformation identitaire» dans l'espace postsoviétique.

Ceux qui ont fait de la distanciation envers leur objet d'analyse une condition nécessaire à l'élaboration du propos académique estimeront possiblement qu'un tel aveu est inutile. Bien que j'appréhende un tel verdict, il m'apparaît tout de même fort improbable (comme aux yeux de tous ceux que l'on associe à la sociologie réflexive bourdieusienne9) qu'il soit

possible, pour quiconque, de renier l'emprise de son vécu à la fois individuel et collectif sur sa façon d'objectiver J'environnement social. Cette courte analyse réflexive, qui assume l'interdépendance du sujet et de l'objet, révèle au mOlDs les rudiments d'une réflexion épistémologique plus souvent qu'autrement absents des textes produits en Relations internationales.

Je laisserai à d'autres la délicate tâche d'évaluer à quel point il m'est réellement possible d'objectiver mon lieu de parole. J'inviterai néanmoins le lecteur à garder à l'esprit que cette question de recherche (portant sur les processus de redéfinition identitaire chez les Slaves de

7 Ernest Renan, Qu'est-ce qu'une nation? (Conférence prononcée à la Sorbonne, le Il mars 1882),

Paris, Éditions Mille et une nuits, 1997, p. 5-37.

8 Ibid, p. 32.

9 Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, Réponses: pour une anthropologie réflexive, Paris, Éditions du Seuil, 1992,272 p.

(17)

l'Est) se pose à une période particulière où, grâce aux progrès réalisés ici en matière d'accessibilité à l'éducation supérieure, il m'est possible de réfléchir aux conséquences épistémologiques de la disparition de l'agriculture préindustrielle et du sociolecte qui lui était associé, et ce, en français académique standardisé.

Du crépuscule des cultures paysannes

Ce dernier paragraphe évoquant les effets de l'exode rural et de la disparition de la culture paysanne canadienne-française sur nos façons de voir et de décrire le monde fera sourciller la plupart de mes collègues, lesquels sont plus à l'aise avec le jargon disciplinaire des Relations internationales. Je concède qu'il s'agisse sciemment là d'une provocation de ma part. Celle-ci me semble néanmoins justifiée par trois raisons.

La première concerne directement les hautes sphères de la diplomatie. Faut-il le rappeler, ce grand « mouton noir »10 de J'Europe qu'incarne le président du Belarus, Alexandre

Loukachenko, clame fièrement sa filiation au monde rural 11 . Avec son comportement

erratique et souvent empreint d'une émotivité déliée qui n'est pas sans rappeler celles d'autres politiciens issus de familles paysannes - on pense tout de suite à Nikita Khrouchtchev ou à Boris Elstsine l2 - il est rapidement devenu la risée de l'élite diplomatique

des grands « États bourgeois », comme on dit en langage conceptuel marxiste.

En 1998-99, pendant la rédaction de mon mémoire de maîtrise et alors que ma curiosité intellectuelle m'avait poussé à étudier le russe à l'Université Linguistique d'État de Minsk, mes amis universitaires de toutes orientations idéologiques me confiaient être humiliés de

10 L'expression est utilisée par David Marples dès 1996 dans «Belarus, the black sheep of Eastern

Europe? », The Ukrainian Weekly, 13 octobre 1996, vol. 64, n° 41, http://www.ukrweekly.com/old/archive/1996/419604.shtml.

Il Cette filiation à la paysannerie est explicitement exposée dans le profil bibliographique publié sur le

site officiel du président béJarussien, «Bibliographical Profil of the President », http://www.president.gov.by/en/press 10003.html.

12 La proximité de la personnalité et du mode de gestion de Khrouchtchev et Eltsine est notamment

soulignée par Georges Breslauer dans Gorbachev and Yeltsin as Leaders, New York, Cambridge University Press, 2002, p. 245-246.

(18)

constater que l'image de leur peuple soit associée à une telle figure. De leur point de vue, Loukachenko était un homme aux manières beaucoup trop rustres, qui utilisait des raccourcis métaphoriques grotesques pour exposer sa vision des choses, et ce, en employant bien souvent un langage ne relevant ni du russe, ni du bélarussien standardisé, mais de cet idiome syncrétique empruntant librement au deux langues et que l'on nomme péjorativement

trasianka (mot désignant, jadis, le mélange formé de paille et de foin destiné à nourrir le

bétail lorsque les réserves de fourrage s'amenuisaient).

L'attitude de l'élite urbaine à l'égard de la façon de penser et de parler des paysans jouait vraisemblablement un rôle dans la façon dont se structuraient les luttes politiques '3 . La

déception ressentie à l'égard des politiciens comme Mikhaïl Gorbatchev et Stanislas Chouchkevitch, qui utilisaient tous deux un langage posé et respectueux des règles grammaticales, pourrait avoir joué en faveur des figures d'opposition s'adressant à une population (encore très majoritairement rurale avant la Grande guerre patriotique) dans le langage cru et coloré de la paysannerie. C'est par ce chemin que j'en suis venu à suspecter que les difficultés caractérisant les rapports entre les Slaves de l'Est et le « monde civilisé» (expression popularisée par l'entourage d'Eltsine au tournant des années 1990) puissent être partiellement symptomatiques de la survivance de ce mode de communication déstructuré et impulsif que l'on associe à la paysannerie.

En deuxième lieu, à un nIveau conceptuel plus abstrait, le lien entre les Relations internationales et la cosmologie paysanne concerne possiblement la place de la cellule familiale traditionnelle comme source d'inspiration métaphorique pour la compréhension du monde.

Dans la présente thèse, il pourrait être question de trois États-nations formant une sorte de famille. Le rôle de l'aîné, à la fois rempli d'affection et de condescendance envers les membres moins importants du groupe, serait évidemment joué par la Russie postsoviétique,

13 Il est significatif, à cet égard, que ce soit dans la capitale que l'on retrouve le plus fort soutien

électoral aux groupes d'opposition à Loukachenko. Stephen White et Elena Korosteleva-Polglase, « The parliamentary election and referendum in Belarus, October 2004 », Electoral Studies, vol. 25, nO 1, mars 2006, p. 155-160, http://eprints.gla.ac.ukJ6130/l/6 J30.pdf.

(19)

qui plaide en faveur de la règle de primogéniture pour se faire l'état continuateur de l'URSS. Interprétée par l'Ukraine, la personnalité du cadet se caractériserait quant à elle par un déchirement entre son attachement à la famille et son désir de défier l'attitude paternaliste du plus vieux, dont le comportement rustre indispose. Enfin, inquiété par les querelles des deux autres envers qui il se sent étroitement lié, le benjamin, incarné par le Belarus, chercherait d'abord à œuvrer pour la réunification familiale. De plus en plus dégoûté par la voracité des rapports familiaux, il trouverait cependant bientôt refuge dans la religion, d'abord à Moscou,

. ~ 'R 14

pUIS meme a orne .

D'une certaine manière, le psychodrame qui prend forme rappelle cette célèbre histoire des frères Karamazov15 . Dans ce roman dont Freud disait qu'il était le plus imposant de

l'histoireI6 , le benjamin était aussi le seul des trois à ne pas avoir souhaité la mort du père,

dont le sens moral était éteint. Bien que Je lecteur découvre que le parricide avait été commis par un rejeton illégitime dont on avait sous-estimé le rôle potentiel, c'est tout de même J'aîné de la famille qui prendra, seul sur ses épaules, le poids du verdict de culpabilité. Curieusement, il en sera ainsi de la Russie de Eltsine, qui pardonnera à la Lituanie le coup de couteau porté à l'URSS à l'été 1990, et assumera la responsabilité historique de son assassinat. En liquidant le Parti communiste, à l'automne 1991, il débrancha le corps malade de son respirateur artificiel.

Bien entendu, au regard de la pratique académique en Relations internationales, la pertinence de cette interprétation littéraire permettant de saisir et de décrire la dynamique familiale s'étant installée dans les rapports diplomatiques entre les trois républiques à majorité slavo­ orientale depuis le démantèlement de l'État soviétique ne coule pas de source. Ce serait toutefois une erreur, par suspicion pour la simplicité caricaturale d'une telle analyse, de se borner à croire que la métaphore de la famille ne puisse avoir de valeur heuristique pour la compréhension des rapports interétatiques dans cette région. Il se peut que cette image

14 Je fais ici indirectement allusion à la visite officieiJe du président bélarussien au Vatican, lequel fut

r:ersonnellement reçu par le pape Benoit XVI en ce 21 avril 2009.

5 Fedor Dostoïevski, Les Frères Karamazov (vol. 1 et 2), trad. A. Markowicz, Paris, Actes Sud, 2002,

(1880), 583 p. et 790 p.

16 Sigmund Freud, «Dostoïevski et le parricide », dans Les Frères Karamazov (vol. 1), Paris,

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caricaturale nous aide à comprendre les agissements des dirigeants mieux que toute autre construction théorique, dans la mesure où les principaux acteurs s'imaginent appartenir à un tel système relationnel. Cette hypothèse constitue le cœur du questionnement de la présente thèse.

Enfin, la troisième raison pour laquelle je considère qu'une sensibilité particulière à l'égard du monde agricole préindustriel est liée à mon angle d'approche m'est apparue un peu plus tard, soit vers les années 2002-2003, années au cours desquelles j'ai vécu en Pologne (pays de ma conjointe) dans la région de Podlachie. Les hasards de la vie m'ont alors donné l'occasion de découvrir une minorité singulière composée de paysans orthodoxes, dont le dialecte - qualifié tantôt de bélarussien, tantôt d'ukrainien - appartient à ce même groupe linguistique slavo-oriental.

Contrairement à ce qui s'est passé en URSS, cette région n'a pas fait l'objet d'un projet de modernisation accélérée. L'agriculture d'autosubsistance y constitue encore un mode de vie courant dans les vi liages. Or, on remarque que l'idée de devoir être associé à une « nation» est plutôt suspecte pour la plupart des paysans. Les outils statistiques contemporains démontrent d'ailleurs que la catégorie analytique « nationale» n'y constitue pas un marqueur identitaire significatif 7 . Dans la mesure où cette situation contrastait avec celle que j'étudiais

de l'autre coté de la frontière, je fus contraint de poser un regard comparatif sur la façon dont s'étaient construites les identités collectives.

Manifestement, le facteur religieux y est incontournable. Comme on le verra plus loin, c'est parmi la minorité catholique du Belarus et celle des gréco-catholiques d'Ukraine que l'on compte le plus grand nombre de partisans de la cause nationaliste. Cela n'a rien d'étonnant quand on sait que l'adhésion aux idéaux romantiques avait été, au 1ge siècle, un puissant instrument de résistance contre l'assujettissement à la Russie impériale aux yeux de la

17 Lors du recensement polonais conduit en 2002, moins de 15 % des 300 000 orthodoxes du nord-est

de la Pologne ont affirmé appartenir à une « nationalité» (en polonais narodowosé) distincte, soit 37000 Bélarussiens et 1 400 Ukrainiens. Jan Maksimiuk, « An Unclaimed Creative Potential or the Belarusians in the Bialystok Region as a Trilingual People », Annus Albarhutenicus, nO 6, 2005, p. 97-1 04, http://www.kamunikat.fontel.net/czasopisy/annus/2005/index.htm.

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noblesse locale (polonisée et convertie au catholicisme depuis les 17e et 18e siècles)18. Or, dans la Pologne d'aujourd'hui, la situation se présente tout autrement. Contrairement aux paysans orthodoxes de Podlachie, qui disent parler «po nachemou» (à la nôtre) et qui admettent volontiers leur parenté linguistique avec les Russes l9 , les catholiques-romains

(dont la langue maternelle est la même) s'identifient presque fanatiquement à la nationalité polonaise. En voyageant dans les villages situés au nord-est de Bialystok où ceux-ci habitent, je n'ai pu faire admettre à quiconque qu'ils étaient liés, par la langue, aux autres Slaves de l'Est. Tout au plus, certains ont admis du bout des lèvres que je les avais surpris à parler «po

prostou» (à la simple), un idiome n'étant pas l'objet d'une passion romantique mais éveillant

plutôt un sentiment de honte.

Quoique objective, la réalité ethnolinguistique n'est manifestement pas une condition suffisante pour expliquer l'identification collective. Cette identification varie dans le temps et dans l'espace et doit être analysée en tant que processus. Ce constat préliminaire, implacable, a assurément affecté l'orientation théorique de mes recherches.

Problématique

Ces premières observations générales sur la problématique d'identification nationale des deux côtés de l'ex-frontière soviétique nous permettent, d'entrée de jeu, de mettre en relief le rôle crucial que les institutions religieuses et étatiques y ont joué. Posé en marge de mes travaux de recherche en cours, ce regard comparatif m'a amené à convenir, lors de la lecture

de Nationalism Reframed, de Roger Brubaker20 , que la « nationalitude (nationness) » était

non seulement une institution sociopolitique construite mais également une catégorie analytique imaginée dont l'histoire particulière méritait d'être étudiée.

18 Timothy Snyder, The Reconstruction on Nations: Poland, Ukraine, Lithuania, Belarus, 1569-1999,

New Haven, Yale University Press, 2003,367 p.

19 À la fin des services religieux, plusieurs prêtres orthodoxes choisissent encore de s'adresser en russe

aux paroissiens, comme s'il était normal que les locuteurs de ce dialecte slavo-orientallocal soient en mesure de comprendre la langue du patriarche de Moscou.

20 Roger Brubaker, Nationalism Reframed. Nationhood and the National Question in the New Europe,

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Dans ce vague espace où vécurent nombre d'artisans et commerçants juifs, artistes gitans, notables et hommes de lettres polonais et qui fut occupé par des soldats et des administrateurs, tantôt russes, tantôt allemands) les paysans locaux avaient jadis leur propre mot pour exprimer qu'ils étaient les « gens d'ici ». Au Belarus, le concept de touteichyia, immortalisé au début des années 1920 dans l'œuvre d'Ianka Koupala, constitue un exemple d'identification collective à un lieu - tout (ici) - n'ayant pas de limites géographiques définies21 .

À

l'origine, la construction de frontières n'était pas le corollaire obligé de

l'affirmation d'une identité collective particulière.

Or, la situation se présente tout autrement de nos jours. Lorsqu'elles sont appliquées à l'étude de l'espace postsoviétique, les notions de

«

relations internationales» ou de

«

rapports interétatiques» contribuent à la banal isation et à la réification des frontières, résultant du divorce politique s'étant opéré en 1991 entre les Slaves de l'Est. Que la littérature en Relations internationales investisse maintenant le champ de la post-soviétologie en utilisant le même langage conceptuel pour parler des relations entre Moscou, Minsk et Kiev que celui qu'elle utilise pour parler des relations entre ces lieux de pouvoir que sont Moscou, Beijing et Washington, révèle de façon éloquente le poids de ces « fictions juridiques» que sont les nations et les États sur nos façons de saisir et de décrire le fonctionnement de l'arène mondiale.

Bien qu'il comporte son propre biais idéologique, ce langage de la diplomatie internationale/interétatique devra pourtant être utilisé pour formuler ma problématique de recherche. Il faudrait être bien téméraire, voire kamikaze, pour oser rejeter les principaux concepts sur lesquels repose la perspective analytique propre au champ académique auquel j'appartiens. En revanche, je soulignerai que les réserves à son endroit sont pleinement justifiées. Il serait en effet absurde de perdre de vue que l'État et la nation ne sont pas des

21 J'en profite pour souligner l'excellent travail de traduction effectué par Larrissa Guillemet et

Virginie Symianec, grâce auquel l'auditoire francophone peut désormais apprécier la pièce de théâtre de Koupala, Les Gens d'ici, Scènes tragi-comiques en quatre actes, Paris, L'espace d'un instant, 2006 (1922),149 p.

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organes autonomes susceptibles d'entretenir des rapports avec « l'étranger », mais bien des institutions sociales créées et administrées par des individus.

Dans le contexte disciplinaire auquel j'appartiens, il demeure certainement opportun d'examiner les changements institutionnels vécus en ex-URSS à travers la loupe d'un langage conceptuel dont la popularité s'est considérablement accrue depuis une vingtaine d'années22 • Je parle bien sûr ici de l'approche constructiviste stato-centriste, dont la figure de proue est Alexander Wendt. Même si le choix de ce langage devait être strictement guidé pour des motifs disciplinaires opératoires, il m'offre au moins la chance d'évaluer la portée et les limites de la lecture qu'il génère à l'égard des rapports au sein des populations slavo­ orientales de l'ex-URSS et, en définitive, d'interroger sa pertinence générale en Relations internationales.

Il serait toutefois exagéré d'affirmer que mon choix en faveur de ce cadre théorique se justifie principalement par les tendances récentes de la mode académique (occidentale). Par son caractère récent en tant que construction juridique, le système interétatique s'étant formé entre les Slaves de l'Est est prédisposé à être analysé comme processus plutôt que comme donnée fixe de l'histoire. Dans la mesure où mes réflexions théoriques se sont développées simultanément à l'exploration empirique d'une région du monde en pleine mutation, j'ai instinctivement penché pour le langage conceptuel de ceux qui soulignent le caractère historiquement contingent des formations sociales.

Marquant bien plus que cette supposée fin de « l'ordre bipolaire », le démantèlement de l'URSS a été le catalyseur de multiples processus de transformation identitaire dont on peine encore à mesurer l'étendue des conséquences sur le système interétatique international. Est-il nécessaire de le rappeler? Nous habitons un monde où les réponses aux interrogations les

22 L'importance grandissante des approches constructivistes en Relations internationales est confirmée

par l'étude de James D. Long, Daniel Maliniak, Susan Peterson, et Michael J. Tierney, « Teaching and Research in International Politics: Surveying Trends in Faculty Opinion and Publishing », Prepared for 461h Annual Convention of the International Studies Association, mars 2005, Honolulu, Hawaï, http://www.allacademic.com/meta/p71444_index.html.

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plus fondamentales demeurent entièrement ouvertes. Où se trouvent désormais nos alliés et nos adversaires?

Que l'on affirme que les États « X

»

ou « Y

»

représentent des formations sociales partageant des intérêts communs et pour qui la collaboration s'avère la meilleure solution, ou que l'on affirme au contraire que ces États seront toujours des ennemis potentiels devant se préparer au pire on ne parvient, en bout de piste, qu'à partager une croyance à l'égard de l'essence (bonne ou mauvaise) ou de l'existence (amicale ou haineuse) des communautés humaines. En langage mathématique, on se positionne souvent dans ce débat en évoquant l'histoire des prisonniers qui, lorsque interrogés séparément, se trahissent l'un l'autre pour profiter de la réduction de peine promise par la police plutôt que de collaborer pour taire leur crime commun et éviter la prison. On le sait, cette métaphore mettant en scène des criminels est enseignée aux étudiants de Relations internationales pour illustrer le fondement du dilemme de sécurité auquel seraient confrontés tous les États dans un environnement international anarchique23 . Chez les auteurs dits « réalistes », on postule ainsi que « la source du confort de

l'un constitue la source de l'insécurité de l'autre »24.

Inversement, d'autres experts influents dans la discipline font plutôt valoir qu' i1 est possible de considérer différemment la logique du jeu25, dans la mesure où les différentes parties

peuvent jouer au « dilemme du prisonnier» de façon répétée et se souvenir du com portement de l'autre joueur lors des joutes précédentes. À preuve, lorsque les « prisonniers» détiennent le contrôle d'ogives nucléaires et que l'absence de coopération risque d'être fatale pour toutes

23 Pour une excellente histoire de la façon dont la métaphore du dilemme du prisonnier a été utilisée

comme façon de penser la stratégie militaire américaine à compter des années 1950, voir ('ouvrage de William Poundstone, Prisoner 's Dilemma: John von Neumann, Came Theory and the Puzzle of the

80mb, New York, Anchor Books, 1992, 294 p.

24 Kenneth Waltz, « The Origin of War in Neorealist Theory », Journal of Interdisciplinary History,

vol. 18,no4, 1988,p.619.

25 C'est ce que prétend avoir scientifiquement démontré Robert Axelrod dans son ouvrage charnière

publié en 1984, The Evolution of Cooperation, (New York, Basic Books, 241 p.) dans lequel il démontre à la suite d'une vaste compétition que la meilleure stratégie dans un jeu itératif du dilemme du prisonnier serait d'offrir en premier lieu de coopérer, pour ensuite imiter systématiquement le comportement que l'autre joueur a adopté lors de la joute précédente.

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les parties, le comportement rationnel consisterait plutôt à initier une telle coopération26 .

C'est d'ailleurs là l'essence du raisonnement qui fut explicitement repris et défendu dans l'ouvrage rédigé par Gorbatchev en 198727 .

Lorsqu'appliqué aux faits sociaux, le problème avec ce langage mathématique repose bien entendu sur l'impossibilité d'obtenir un consensus pour déterminer la valeur des variables « X » et « Y ». Si l'on peut s'entendre sur le fait qu'un manque de collaboration entre l'un et l'autre risque de conduire au pire, il n'en demeure pas moins que l'on ne s'entendra jamais pour dire qui est cet « autre», et encore moins pour dire ce qu'est « le pire» : cet « autre» est-il celui qui possède plus de pouvoir que nous, celui qui pense différemment de nous ou celui qui parle un autre langage que nous? Le pire est-il l'assimilation, la soumission ou alors

la confrontation?

La réponse à pareilles questions ne peut provenir de la science mais seulement de la sensibilité au monde, ressentie différemment selon le lieu de parole. Et c'est précisément ici que prend fin la quête d'universalisme supposément sous-jacente au propos académique. Ce propos prend la forme d'un récit révélant cette sensibilité au monde dès lors qu'il faut, pour appliquer l'équation à un cas réel, circonscrire la valeur des variables qu'elle contient. En se déployant dans les réseaux d'information, il se joint à la multitude des autres récits qui participent à la construction de nos imaginaires collectifs (plus ou moins stables dans le temps) en vertu desquels sont justement prises nos décisions de collaborer avec « l'autre» ou de se préparer « au pire».

Comme tous ceux qui cherchent à comprendre ce que signifie vraiment « la fin de [a Guerre froide», je tente de décoder les signes de rapprochement et les signes de distanciation envoyés par les pays de J'ancien bJoc communiste. Bien que ces vingt années demeurent impossibles à caractériser dans l'absolu, je demeure à la recherche d'un langage convenable

26 Ces conclusions furent notamment celles du rapport de la célèbre Commission indépendante sur le

désarmement et les enjeux de sécurité, présidée par l'ex-Premier Ministre suédois Olof Palme,

Common Security: A Programfor disarmament, Londres, PanBook, 1982,202 p.

27 Mikhaïl Gorbatchev, Perestroïka, Vues neuves sur notre pays et le monde, traduit par 1. Bon.nefoy et

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pour le faire. Voilà peut-être une ambition démesurée et certes vouée à l'échec, mais en ma qualité d'étudiant des Relations internationales il m'est paradoxalement impossible d'y échapper.

Pour ceux qui s'investissent dans la méthode scientifique sans questionner le choix de leur langage ce constat peut, à première vue, sembler décourageant. Pour ma part, je concède que le choix du langage conceptuel révèle d'abord la nature de l'interaction s'étant manifestée entre le sujet et l'objet du propos. Au demeurant, je laisse au lecteur le soin de décider si son usage revêt une quelconque valeur s'étendant hors du lieu de parole, ou s'il ne constitue qu'une trace anthropologique d'un intérêt plutôt limité.

Malgré l'évocation fréquente du scénario-catastrophe d'une nouvelle « guerre froide» entre les deux anciens blocs idéologiques (notamment lors du second mandat présidentiel de Vladimir Poutine) celle-ci n'est pas survenue, du moins pour le moment. À ce stade-ci, l'avenir de la relation entre les deux anciens pôles ne repose sur aucune constante établie. Les processus de redéfinition identitaire en cours ne sont pas fixés dans un système de représentation mutuellement acceptable pour les parties en cause. C'est là le postulat servant de pierre d'assise à l'élaboration de la présente thèse.

Les facteurs qui influencent la construction de la nouvelle architecture européenne de sécurité sont certes nombreux mais il apparaît évident, aux yeux de plusieurs, que l'évolution particulière des rapports entre Ukrainiens et Russes - avec ou sans les Bélarussiens - est l'un des plus importants. Alors que Sherman Garnett parle de l'Ukraine indépendante comme d'une « pierre angulaire» au sein de cette architecture28 , Zbignew Brzezinski ajoute qu'elle

constituerait un véritable frein à « l' im périalisme russe» (et donc essentielle à la stabilité du vieux continenr9). Dans les deux cas, on convient de l'énorme influence que la relation entre

28 Sherman Gamett, Keystone in the Arch: Ukraine in the Emerging Security Environment of Central

and Eastern Europe, Washington, Carnegie Endowment for International Peace, 1997, 145 p.

29 Zbignew Brzezinski, The Grand Chessboard, New York, Basic Books, 1997, p. 44. Cette idée correspond à la thèse développée quelques années plus tôt dans « The Premature Partnership»,

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les États slavo-orientaux de l'ex-URSS aura pour la suite des choses. Voilà le second grand postulat sur lequel repose mon questionnement.

Au moment où l'OTAN et l'UE s'élargissent à l'Est en accueillant de nouveaux États jadis sous la coupe de Moscou, la place de la Russie, de l'Ukraine et du Belarus au sein de l'Europe demeure l'objet de toutes les spéculations. Plusieurs demeurent optimistes quant à l'avenir de la politique européenne de voisinage30 alors que d'autres craignent, au contraire, qu'un nouveau rideau de fer soit en train de s'ériger à la frange orientale de l'UE, particulièrement depuis l'élargissement de la zone de Schengen s'étendant, depuis décembre 2007, jusqu'aux États slaves de l'ex-URSS3 ). De la façon la plus générale qui soit

cette question de la redéfinition des relations d'amitié ou d'inimitié est au cœur du questionnement de cette thèse.

Au sem de cette problématique très large, nous l'avons dit, la question plus précise des rapports entre les trois anciennes composantes slaves de l'URSS apparaît fondamentale. Cela est d'autant plus vrai que leur intégration conjointe dans les institutions européenne et transatlantique semble irréalisable pour le moment. Or, nombre de cas de figures sont envisageables entre les deux scénarios suivants (tout aussi extrêmes qu'improbables), à savoir: a) la réunification politique, économique et militaire des Slaves de l'Est, érigée en pôle d'opposition à la civilisation occidentale; b) l'apparition d'une nouvelle fracture entre, d'un côté, une Ukraine intégrée aux institutions européenne et transatlantique et, de l'autre, une Russie isolée et repoussée vers l'Asie (avec ou sans le Belarus).

Afin de pouvoir discuter de ces cas de figures, il faut exam iner et analyser le fonctionnement des processus de redéfinition identitaire qui se déroulent dans cet espace sociétal. Or, une telle démarche appelle des réponses aux questions suivantes:

30 Voir les conclusions sur le renforcement de la politique européenne de voisinage adoptées par le

Conseil « Affaires générales et relations extérieures» de l'UE, le 18 juin 2007, http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/07/stl J/st 110 16.fr07 .pdf.

31 Claire Bigg, « For Schengen Outsiders, A New Isolation », RFE/RL, 20 décembre 2007,

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1. En quoi consistent les choix identitaires formulés par les élites dirigeantes des trois États à majorité slavo-orientale?

2. En quoi les débats identitaires au sein de chacun de ces États sont-ils reliés les uns aux autres?

3. Quel type de structure sociale semble vouloir émerger des actions récentes menées par chacun de ces États?

4. En quoi les trois États slaves forment-ils un sous-système ouvert distinct qu'il convient d'étudier séparément?

5. Quelle place occupe J'identité nationale par rapport à la définition d'une politique étrangère?

6. Comment se forment et se transforment les identités collectives au sein des systèmes interétatiques?

Il s'agit là d'une problématique tout aussi théorique qu'empirique qu'il faut aborder de façon holistique. Or, un sujet si vaste impose une bonne dose de modestie quant à la pOltée des réponses offertes. C'est en tentant d'en élargir les paramètres que cette thèse cherchera à faire évoluer le débat entourant l'avenir de Slaves de l'Est en Europe.

En bout de piste, il est question de la place d'un sous-système interétatique slavo-oriental marqué, sur son flanc ouest, par la rencontre entre le catholicisme et l'orthodoxie et, sur son flanc est, par la rencontre entre la chrétienté et l'islam. À cet égard, la présente thèse pourrait, d'une certaine façon, se réclamer de cette nouvelle « théologie politique internationale» que Vendulka Kubalkova appelait de ses vœux (pour faire contrepoids à l'économie politique internationale) :

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If liberalism and capitalism and the early stages of what we now cali globalization required that IR scholarship correct its course by incorporations economics into its concerns then yet another corrective may now be in order. What economists were to the first expansion ofIR, sociologists, sociologists of religion, cultural historians, and anthropologists are to the present broadening32

Adoptant comme elle une approche constructiviste stato-centrique, je verrai s'il est possible de soutenir qu'une quête de sens se situant à l'intérieur de la métaphore familiale constitue une clef interprétative pertinente pour comprendre l'évolution des rapports entre ces trois « peuples-frères (bratskii narod) » issus de l'ex-URSS. En retraçant sous cet angle analytique le parcours irrégulier et hésitant des stratégies identitaires russe, ukrainienne et bélarussienne depuis la fin des années 1980, j'entends vérifier l'hypothèse suivante: les processus de redéfinition identitaire et de reconfiguration des rapports interétatiques chez les Slaves de l'Est peuvent être décrits comme des mécanismes interactifs d'apprentissage social à travers lesquels les dirigeants cherchent à définir leurs État-nations respectifs d'une façon qui soit à la fois gratifiante et viable.

Notes méthodologiques préliminaires

Lorsque l'on examine le problème de la relation entre le sujet et l'objet, on aboutit invariablement à deux truismes contradictoires: 1) toute étude empirique nécessite, a priori, l'adoption d'un cadre conceptuel à travers lequel est examinée la réalité sociale; 2) le choix d'un cadre conceptuel pertinent requiert une connaissance empirique préalable de cette réalité sociale. Ainsi, contrairement aux thèses dans lesquelles on prétend que la réalité sociale précède l'élaboration du modèle théorique et contrairement à ceJJes qui sous-entendent, inversement, que c'est le modèle théorique qui dévoile la réalité sociale, cette thèse postule que le développement du langage conceptuel et le raffinement de l'observation ne peuvent être séparés l'une de l'autre. Il s'agit, en fait, des deux facettes d'un seul et même mode d'acquisition des connaissances.

32 Vendulka Kubalkova, « Towards an International Political Theology», Millennium: Journal of International Studies, vol. 29, n° 3, 2000, p. 703.

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Pour être conséquente avec ce postulat épistémologique, la méthodologie doit pouvoIr appréhender ce processus de transformation identitaire de façon simultanément empirique et théorique. Elle doit pouvoir offrir cette liberté d'effectuer un va-et-vient constant entre la réflexion et l'observation. En conséquence, le questionnement à l'origine de cette thèse se prêterait bien mal à une démarche de recherche linéaire classique de type « question­ hypothèse-test-conclusion ». C'est pourquoi j'ai privilégié une méthodologie évolutive, dont les paramètres peuvent s'adapter au terrain, à mesure que celui-ci se dévoile.

Ainsi, ce travail repose pour une bonne part (et ce, dans des proportions d'importance comparables) sur des sources secondaires à la fois théoriques et descriptives. Les principaux auteurs de la littérature critique et constructiviste en Relations internationales ont été consultés pour discuter du modèle théorique approprié à l'objet d'étude. De la même façon, les principaux auteurs ayant traité des questions d'identité nationale et de politique étrangère en Russie, en Ukraine et au Belarus ont été mis à contribution pour formuler une lecture empirique académiquement recevable des transformations identitaires et de l'évolution des rapports interétatiques entre ces trois États.

Pour vérifier la justesse du propos, un large éventail de sources primaires a également dû être consulté. Celles-ci comprennent des discours officiels ainsi que des documents juridiques relatifs à la politique étrangère et à certains aspects de la politique intérieure touchant notamment la langue, la religion et la place occupée par les minorités nationales. Ces sources primaires comprennent aussi les textes dans lesquels des analystes locaux les plus influents traitent de ces questions, à la fois dans les médias et les publications académiques. Enfin, elles incluent à l'occasion des sondages d'opinion.

Le défi consiste à accorder à ces sources une importance comparable à celle que les acteurs leur accordent, et à bien comprendre le sens qu'elles recouvrent selon le contexte. La pertinence du choix des sources s'appuie donc sur la connaissance, forcément incomplète, que j'ai acquise des réseaux d'information dans la région. Étant donné qu'il résulte d'une analyse qu'il m'aurait été impossible de faire avant d'avoir procédé à lIne exploration approfondie des lieux, ce choix devra faire l'objet d'une discussion plus étoffée. C'est ce que

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je propose de faire dans le deuxième chapitre, après une mise en contexte plus élaborée de la problématique.

Organisation de la thèse

Fruit d'une première exploration générale des lieux, le premier chapitre traite de l'effondrement du projet sociopolitique soviétique en tant que catalyseur des redéfinitions identitaires nationales chez les Slaves de l'Est. J'y examine entre autres comment la stratégie identitaire soviétique eut le double effet de renforcer l'attachement symbolique à la nationalité (définie sur des bases ethnolinguistiques) et de renforcer le sentiment d'appartenance à la famille slavo-orientale, qui jouait un rôle d'avant-garde dans l'État soviétique. Par ailleurs, en rappelant comment l'émergence des nationalismes ukrainien et bélarussien au 1ge siècle s'était articulée en opposition à l'impérialisme russe, avant de se revirer au début du 20e siècle contre les aspirations de la Pologne, ce chapitre illustre l'aspect relationnel des processus de constructions identitaires. C'est ainsi que s'y dévoile la pertinence d'étudier les trois États-nations slavo-orientaux comme un sous-système ayant des caractéristiques propres.

Au second chapitre, de façon à situer l'objet d'étude dans son champ disciplinaire, je j'aborderai l'usage du concept d'identité en Relations internationales. En explicitant les postulats épistémologiques d'une approche constructiviste stato-centriste post-positiviste, je préciserai les implications méthodologiques découlant du caractère mutuellement constitutif de l'identité nationale et de la structure intersubjective des rapports interétatiques. Ce faisant, je clarifierai ma neutralité provisoire dans le grand débat disciplinaire opposant les approches dites rationalistes et réflectivistes33 . Éclairé par une réflexion sur la nature de l'agence, en

l'occurrence l'État-nation, je présenterai en détailla nature des sources primaires que j'estime devoir être examinées dans le cadre d'une telle recherche.

33 Alex MacLeod, Isabelle Masson et David Morin, « Identité nationale, sécurité et la théorie des

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Tout aussi théorique, le troisième chapitre aborde la question un peu plus pointue de la transformation des identités collectives. En décrivant les principaux travaux effectués sur la région qui ont intégré la variable identitaire, ce chapitre montre que les auteurs ont généralement traité l'identité étatique/nationale de deux façons. Certains ont choisi de la prendre comme variable indépendante ayant un effet causal sur la définition de la politique étrangère. D'autres ont plutôt voulu mettre en relief la codétermination de l'identité étatique/nationale et de la politique étrangère. Explorant plus précisément la question du processus de changement identitaire, ce chapitre fait valoir la nécessité d'étudier la dialectique entre les rapports internationaux/interétatiques et la formation des identités collectives.

Le chapitre quatre propose pour sa part une première lecture de l'évolution de la stratégie identitaire russe, en montrant comment elle est étroitement liée à son contexte historique d'émergence - un contexte où la question des rapports avec l'Ukraine et le Belarus joue un rôle important, mais qui demeure tout de même subordonné aux grands défis planétaires auxquels se mesure prioritairement les dirigeants russes. J'examinerai en l'occurrence comment est-ce que les contradictions entre, d'un côté, le sentiment de fraternité qui empêche la Russie de traiter ses voisins slaves en fonction de la même logique stato-centrique qu'envers les autres États et, de l'autre, le sentiment de frustration géopolitique qui l'amène à vouloir exercer sur ses petits frères une domination politique sans partage prédispose la Russie à initier une série de revirements apparemment contradictoires dans l'évolution de ses rapports avec l'Ukraine et la Belarus.

Le cinquième chapitre aborde quant à lui le cas l'Ukraine - lui-même exposé à des tensions identitaires contradictoires, d'un ordre cependant fOlt différent, relié à l'annexion forcée, par Staline, de régions n'ayant jamais été sous la tutelle de Moscou. D'une part, les difficultés économiques ont durement affaibli les forces désireuses d'affirmer l'indépendance du pays et d'opter pour une orientation euro-atlantique qui aurait donné au pays un autre point d'ancrage. D'autre part, l'attitude cavalière adoptée par la Russie a renforcé la position politique de ceux qui questionnaient la nature fraterneJle des liens entretenus avec elle. Condamnée à réagir aux revirements identitaires successifs initiés par la Russie, l'Ukraine

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peine à construire le consensus nécessaire à sa stabilité. Ce chapitre illustre notamment comment le tissu social se fragilise à toutes les fois que s'accroît la compétition entre les grands pôles géopolitiques.

Au sixième chapitre, l'objet d'analyse se déplace au Belarus, dont le parcours n'est pas tant la conséquence des changements identitaires survenus en Russie que la conséquence de l'évolution des rapports entre Kiev et Moscou. L'attachement familial de Loukachenko se manifeste dans le contexte bien précis de la dégradation de la relation entre les deux autres

«

nations-sœurs» : c'est dans un tel contexte qu'il pouvait espérer jouer un rôle important, voire héroïque, dans le processus de réintégration des Slaves de l'Est. Quoique très populaire sur la scène intérieure, ce projet laissait toutefois naïvement supposer que Moscou laisserait une si petite république circonscrire sa liberté d'action d'État souverain. Or, après l'arrivée de Poutine, la froide rationalité avec laquelle Moscou traita le Belarus affecta de plus en plus le sentiment de fraternité indéfectible que l'on attribuait aux Bélarussiens. Loukachenko serait­ il sur le point de faire mentir ceux qui croyaient que le Belarus était destiné à établir des liens plus étroits avec Moscou que ne le ferait jamais l'Ukraine34?

Dans une perspective systémique il convient d'examiner, dans un dernier chapitre, la façon dont les transformations identitaires survenant dans chaque pays affectent la macrostructure (intersubjective) des rapports interétatiques. J'étudierai aussi de quelle façon celle-ci peut avoir, inversement, un effet causal sur la quête identitaire des États. Dans Je but de tirer des conclusions sur la nature de l'interaction au sein de ce sous-système ouvert, je proposerai une analyse à la fois comparative et longitudinale de la succession des réactions exprimées par les dirigeants lors des changements ayant le plus marqué la région. C'est donc ici que sera formellement vérifiée l'hypothèse générale concernant le processus d'apprentissage social par lequel les dirigeants étatiques/nationaux, en interagissant avec les autres

«

membres de la famille slavo-orientale », cherchent par essais et erreurs à doter leur État-nation d'une identité qui soit à la fois gratifiante et viable.

34 Stephen Burant, « Foreign Policy and National ldentity: A Comparison of Ukraine and Belarus », East-Asia Sludies, vol. 47, n° 7, 1995, p. 1125-1144.

(34)

Mais devoir s'avouer vaincu par ce qui n'est même pas un homme, mais une simple fonction sociale primitive dotée d'une apparence humaine, voilà qui est impossible

Alexandre Zinoviev'

L'URSS n'est pas disparue d'elle-même. Elle a été démantelée par un nombre restreint de personnes, pensant et agissant dans ce qu'elles estimaient être leurs conditions objectives d'existence. À ce titre, Mikhaïl Gorbatchev (dernier secrétaire général du PCUS) et Boris Eltsine (premier président élu de la RSFS de Russie) prirent une place monumentale dans le panthéon politique du 20e siècle.

Évidemment, ces deux hommes furent entourés de proches collaborateurs dont l'influence fut capitale. On pense tout de suite à Alexandre Iakovlev (membre du politburo et principal allié de Gorbatchev) et à Guénnadi Bourboulis (secrétaire d'État pour le président Eltsine)2. Il faudrait aussi certainement mentionner ces artisans de la diplomatie internationale que furent les ministres des affaires étrangères soviétique et russe, Édouard Chevardnadze et Andreï Kozyrev.

1 Tirée de son roman Homo Sovieticus, traduit par 1. Michaut, Paris, 1983 (1982), Éd. Ju1iard, 238 p. 2 Ces deux personnalités arrivent en tête de liste d'un sondage effectué auprès d'une sélection de

42 experts de la Russie au milieu des années 1990 et visant à identifier les personnalités les plus influentes ayant gravité autour de Gorbatchev et de Eltsine. Voir David Lane, « L'élite politique sous Gorbatchev et Eltsine au début de la période de transition: étude analytique de réputation », Cultures et Conflits, nO 17, 1995, p. 81-110, http://www.conflits.org/index333.html.

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