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Le parcours du combattant

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Le parcours du combattant

Trajectoires de migrants dans l’attente :

une comparaison du Mexique et du Maroc

Thèse

Guillermo Candiz

Doctorat en sciences géographiques

Philosophiae Doctor (PhD)

Québec, Canada

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Le parcours du combattant

Trajectoires de migrants dans l’attente :

une comparaison du Mexique et du Maroc

Thèse

Guillermo Candiz

Sous la direction de :

Danièle Bélanger

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Résumé

Victimes, trafiquants, clandestins, délinquants, « narcos », aventuriers, sans-papiers, illégaux, héros, irréguliers, passeurs, frontières, naufrages, enlèvements, morts, « eldorado », « American dream ». La liste est longue pour décrire le phénomène migratoire qui touche aujourd’hui le Maroc et le Mexique. Depuis quelques années, ces deux pays attirent l’attention des gouvernements, des journalistes et des chercheurs, car ils sont désormais désignés pays de transit et de destination pour les migrants irréguliers en provenance de la région subsaharienne pour le Maroc et de l’Amérique centrale pour le Mexique. Ils se sont transformés en pays stratégiques, en zones tampons au niveau géopolitique, notamment en ce qui concerne les questions de sécurité, de gouvernance des flux migratoires et de protection des frontières des pays du Nord. En réponse à l’ampleur des flux migratoires, nous assistons à un processus de sécuritisation de la migration se manifestant fondamentalement, dans le cas de notre étude, par le renforcement du contrôle des frontières européennes et américaines et par l’externalisation de ces frontières bien au-delà de leurs limites territoriales. Une de principales conséquences de ce processus est l’augmentation des coûts économiques et humains de la migration pour traverser ces frontières créant ainsi une population de migrants qui s’installent à long terme au Maroc et au Mexique. Alors que la recherche actuelle porte principalement sur les politiques nationales et multilatérales et sur les dispositifs de sécurité et de contrôle, cette étude a pour objectif principal de comprendre les facteurs qui façonnent et influencent l’évolution du projet migratoire pendant l’attente au Maroc et au Mexique, dans un contexte de sécuritisation et d’externalisation des frontières. L’analyse repose sur une étude ethnographique ayant comporté trois périodes de collecte de données. La première période s’est déroulée au Mexique pendant le mois d’août 2013, la deuxième au Maroc entre les mois de janvier et juillet 2015 et la troisième au Mexique entre les mois d’août et décembre 2015. Au total nous avons réalisé 45 entretiens au Mexique et 30 au Maroc, en plus des données collectées à travers des observations réalisées sur le terrain. À partir de trois niveaux d’analyse (macro, méso et micro), les résultats montrent que la sécuritisation et l’externalisation des frontières précarisent davantage les migrants en mettant leur trajectoire en attente, dans une sorte d’immobilité dans la mobilité. Toutefois, pendant l’attente, les projets migratoires continuent à évoluer grâce à plusieurs facteurs qui permettent aux migrants d’entretenir leur projet de passer un jour en Europe ou aux États-Unis.

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Mots clés : Trajectoires migratoires; projets migratoires; attente; migrants centraméricains; migrants subsahariens; Mexique; Maroc.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des Figures ... x

Liste des Tableaux ... xi

Remerciements ... xiii

Avant-propos ... xv

Marcos, trajectoire migratoire d’un survivant au Mexique ... xviii

Mamadou, trajectoire d’un migrant bloqué au Maroc ... xxii

Introduction ... 1

1. Cadre conceptuel ... 9

1.1 Introduction ... 9

1.2 Revue de la littérature : approches classiques de la migration ... 9

1.2.1 La perspective micro-individuelle ... 11

1.2.2 La perspective macro-structurelle ... 12

1.2.3 La perspective du transnationalisme ... 14

1.3 Les limites des théories classiques de la migration ... 17

1.4 « Migration de transit » : une catégorie théorique ? ... 19

1.4.1 La contingence d’être en transit ... 21

1.5 Trajectoire et projet migratoire : à la quête de nouvelles approches ... 25

1.5.1 L’attente dans la mobilité ... 30

1.5.2 Champ migratoire et territoire ... 32

1.6 Conclusion ... 35

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2.1 Introduction ... 37

2.2 La recherche qualitative ... 37

2.3 Séjour sur le terrain ... 47

2.3.1 Maroc... 47

2.3.2 Mexique ... 61

2.4 Conclusion ... 67

3. Contexte : Externalisation des frontières et fracture de l’espace migratoire ... 68

3.1 Introduction ... 68

3.2 Des frontières pour « les indésirables » ... 68

3.3 L’externalisation des frontières ... 73

3.4 Conséquences de l’externalisation au Maroc ... 75

3.3.1 Campagne de régularisation migratoire ... 84

3.5 Genèse et conséquences de l’externalisation au Mexique ... 88

3.5.1 Trente ans de contentions de flux migratoires et d’externalisation des frontières ... 89

3.6 Conséquences de l’externalisation et de l’industrie de la migration au Maroc et au Mexique ... 96

3.7 Conclusion ... 101

4. Territoires de l’attente et trajectoires migratoires à l’ère de l’externalisation au Maroc103 4.1 Introduction ... 103

4.2 Les foyers de l’attente ... 103

4.3 Les forêts de l’attente... 108

4.4 Conclusion ... 112

5. Impact du programme de la frontière Sud au Mexique ... 114

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vii

5.2 Invisibilité et expulsion des migrants ... 114

5.3 Impact sur les organisations d’aide aux migrants ... 118

5.4 Conclusion ... 122

6. Trajectories of Precarity and Mobility: Places and Actors ... 124

Résumé ... 124

Abstract ... 124

6.1 Introduction ... 126

6.2 Honduras, El Salvador and Guatemala: Places of Economic Insecurity and Violence ... 127

6.3 The Southern Border ... 128

6.4 The Vertical Border: The Journey On the Bestia ... 130

6.5 The Vertical Border: Places of Captivity ... 134

6.6 The Vertical Border: Places of Migration Control ... 136

6.7 Humanitarian Places ... 137

6.8 The Northern Border Region ... 139

6.9 Beyond Mexico: Precarity within the US ... 141

6.10 Conclusion ... 143

7. Del tránsito a la espera: el rol de las casas del migrante en México en las trayectorias de los migrantes centroamericanos ... 144

Résumé ... 144

Resumen ... 144

7.1 Introducción ... 146

7.2 OSCAM y migración en tránsito ... 148

7.3 Proyectos y trayectorias migratorias ... 149

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7.5 Presencia e impactos del tránsito de migrantes centroamericanos por México .. 152

7.6 Trabajo de campo ... 155

7.7 La espera en las casas: impactos en las trayectorias y reformulación de los proyectos migratorios ... 156

7.7.1 Descansar y recuperarse ... 157

7.7.2 “Contactos fugaces” ... 159

7.7.3 Obtener la regularización migratoria... 162

7.7.4 Disuadirlos ... 164

7.8 Conclusión ... 165

8. Regularisation Policy and ‘Migration Projects’: The Case of Sub-Saharan Migrants in Morocco ... 167 Résumé ... 167 Abstract ... 167 8.1 Introduction ... 169 8.2 Migration Projects ... 170 8.3 Regularisation programs ... 171 8.4 Fieldwork ... 173

8.5 The Moroccan Migration Policy towards Irregular Migrants ... 174

8.5.1 The Regularisation Campaign of Irregular Immigrants in Morocco ... 177

8.5.2 Regularisation reasons ... 179

8.6 The Effects of the Regularisation Campaign on the Migration Projects of Undocumented Migrants ... 180

8.6.1 Migratory Regularisation: An Incentive to Stay in Morocco? ... 181

8.7 Conclusion ... 185

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Bibliographie ... 194

Annexes ... 232

1. Guides d’entretien ... 232

Trajectoires migratoires. Maroc ... 232

Trajectoires migratoires - Mexique... 235

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x

Liste des Figures

Figure 1: Trajectoire de Marcos ... xxi

Figure 2: Trajectoire de Mamadou ... xxv

Figure 3: Carte du Maroc ... 40

Figure 4: Carte du Mexique... 40

Figure 5: Migrants à Casiago, Maroc. Photo Guillermo Candiz © ... 55

Figure 6: Plage « del Tarajal ». Photo Guillermo Candiz © ... 56

Figure 7: Barrière Melilla. Photo Guillermo Candiz © ... 60

Figure 8:Centro de Estancia Temporal de inmigrantes (CETI), Melilla. Photo Guillermo Candiz © ... 61

Figure 9:"La esperanza del migrante". Photo Guillermo Candiz © ... 65

Figure 10: Bénévoles préparant les sacs pour les migrants". Photo Guillermo Candiz © ... 65

Figure 11: Principaux points de départ vers l'Espagne ... 77

Figure 12: Migrants centraméricains sans-papiers détenus par l'INM et par la Patrouille frontalière américaine. Source : Rodríguez Chávez, 2016 ... 90

Figure 13: Principaux points de passage à la Frontière Sud mexicaine ... 91

Figure 14: Enfants migrants détenus par la Patrouille frontalière américaine dans la frontière sud-ouest (2014-2015). Source : CBP, 2015 et élaboration propre. ... 94

Figure 15: Nombre de migrants centraméricains détenus au Mexique. Source: SEGOB, 2013, 2014, 2015a et élaboration propre. ... 95

Figure 16 : Emplacement des Casas de Migrants REDODEM. Source : REDODEM, FM4 Paso Libre, CRS ... 119

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Liste des Tableaux

Tableau 1: Caractéristiques des personnes migrantes interviewés au Maroc ... 43 Tableau 2: Caractéristiques des personnes migrantes interviewés au Mexique ... 44 Tableau 3: Caractéristiques des membres des organisations interviewés au Mexique ... 45 Tableau 4: Nombre total de détentions des migrants au Mexique entre 2013 et 2015. Source : SEGOB, 2016 et élaboration propre. ... 117 Table 5: Characteristics of interviewed migrants ... 173

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à adresser mes remerciements aux migrantes et migrants qui ont accepté de partager avec moi leur expérience migratoire et de vie au Mexique et au Maroc. Merci d’avoir été si généreuses et généreux avec moi tout au long de mes séjours de recherche. Je tiens aussi à remercier les membres des organisations d’aide aux migrants, plus particulièrement à Sidy au Maroc et à Gabriela, Marina, Victor, Andrea et Rafael Alonso au Mexique, pour leur appui fondamental à ma recherche. Ensuite, je remercie Danièle Bélanger, directrice et guide tout au long de mon chemin. Sa confiance en moi, son aide, sa patience, son amitié et ses conseils m’ont été très précieux. Sans son soutien, cette thèse n’aurait jamais vu le jour. Elle m’a donné la possibilité de m’impliquer dans ses projets et m’a toujours encouragé à étudier les migrations internationales. À son côté, je n’ai pas seulement grandi comme chercheur, mais aussi comme personne.

Je tiens aussi à remercier très sincèrement les membres de mon comité de thèse, Victor Piché et Frédéric Lasserre, qui ont été toujours disponibles et à l’écoute. Merci pour vos conseils, suggestions et encouragements.

Je désire remercier le généreux appui financier reçu de la part du Centre de recherche pour le développement international (CRDI), du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC).

Mes remerciements s’adressent également à Sara Maria Lara Flores de l’Instituto de Investigaciones Sociales de la Universidad Autónoma de Mexico et à Mehdi Lahlou de l’Institut National de Statistique et d’Économie appliquée du Maroc, qui m’ont chaleureusement accueilli et assisté lors de mon séjour sur le terrain.

Je veux aussi remercier Tanya Basok et Martha Luz Rojas Wiesner pour leur générosité. Toutes les deux amies et membres de l’équipe avec laquelle j’ai eu la possibilité d’entamer différentes recherches. J’ai beaucoup appris de leur expérience de recherche et de leurs conseils.

Mes remerciements vont aussi à Louise Marcoux pour sa prédisposition, sa patience et pour ses belles cartes qui illustrent cette thèse. Merci aussi Marie-Hélène

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Vandersmissen, directrice du Département de géographie pour son généreux appui tout au long de mon parcours.

Je suis reconnaissant aux membres de l’équipe de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales avec lesquelles j’ai partagé des excellents moments de travail et de divertissements. Je pense notamment à Guillaume, Myriam, Annaelle, Naoko et Williams.

Un merci spécial à Giselle, mon amoureuse et mère de mes deux trésors les plus précieux, Luca et Elisa. Merci de me soutenir, de m’encourager et de m’accompagner depuis toujours.

Merci à mes amis et amies d’ici et d’ailleurs, en spécial à Andres et Caro pour leur accueil au Mexique et à Marie-Hélène pour la lecture de la version finale et pour ses conseils. Merci aussi à Walter, Mariano, Samuel, Marcela, Juan, Lise-Marie, Marina et plusieurs autres, lesquels, d’une façon ou d’une autre, ont été présents pendant la rédaction de cette thèse. Finalement, j'adresse mes plus sincères remerciements à mes parents et mon frère qui, malgré la distance, sont toujours à mes côtés.

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Avant-propos

La présente thèse intègre deux articles soumis à des revues scientifiques et un chapitre de livre préparé et soumis en cours d'études et dans le cadre de la recherche entreprise pour l'obtention de mon doctorat.

L’intégration des articles et du chapitre tels que soumis ou publiés fait en sorte que certains éléments du cadre théorique et de la méthodologie se chevauchent parfois. Premier article1: “Del tránsito a la espera: el rol de las casas del migrante en

México en las trayectorias de los migrantes centroamericanos”. Guillermo Candiz & Danièle Bélanger

Cet article a été accepté pour publication le 15 avril 2018 et publié en ligne le 5 juin 2018 dans la revue scientifique avec révision par les pairs, Canadian Journal of Latin American and Caribbean Studies / Revue canadienne des études latino-américaines et caraïbes [Guillermo Candiz & Danièle Bélanger (2018) Del tránsito a la espera: el rol de las casas del migrante en México en las trayectorias de los migrantes centroamericanos, 43:2, 277-297, DOI: 10.1080/08263663.2018.1467533].

En tant qu’auteur principal de cet article, j’ai participé à la conception intellectuelle du sujet d’étude, j’ai révisé la littérature existante pour l’état des connaissances sur le sujet et j’ai conçu la méthodologie. J’ai participé à la collecte et à l’analyse des données ainsi qu’à l’interprétation des résultats. J’ai écrit la première version de l’article, ainsi que les versions suivant la révision critique de ma coauteure et la version envoyée à la revue. J’ai également préparé la première version des réponses aux questions des examinateurs de l’article et celle finale après les commentaires de ma coauteure. J’ai enfin écrit la version finale de l’article suite aux révisions critiques des examinateurs, qui correspond à la version publiée et incluse dans la présente thèse.

Renseignements sur la coauteure de l’article

- Danièle Bélanger, professeure titulaire à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales.

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xvi

Elle a participé à conception intellectuelle du sujet et à une partie de la collecte des données. Elle a contribué de façon substantielle à l’interprétation des résultats. Elle a fait une révision critique des différentes versions de l’article. Elle a également révisé les réponses données aux examinateurs de l’article et a donné son approbation pour l’insertion de l’article dans la présente thèse.

Deuxième article2: “Regularisation Policy and ‘Migration Projects’: The Case of

Sub-Saharan Migrants in Morocco” Guillermo Candiz

Cet article a été soumis pour publication le 28 mars 2018 à la revue scientifique avec révision par les pairs, Cuadernos Geográficos, de l’Université de Granada, Espagne. L’article est présentement en étape d’évaluation. En tant qu’auteur de cet article, j’ai révisé la littérature existante pour l’état des connaissances sur le sujet et j’ai conçu la méthodologie. J’ai réalisé entièrement la collecte et l’analyse des données ainsi que l’interprétation des résultats. J’ai écrit la première version de l’article soumis qui correspond à la version incluse dans la présente thèse.

Chapitre de livre3: “Chapter 3: Trajectories of Precarity and Mobility: Places and

Actors”

Guillermo Candiz, Danièle Bélanger, Tanya Basok et Martha Luz Rojas Wiesner Le livre qui contient ce chapitre a été accepté le 24 novembre 2014 et publié le 5 octobre de 2015 dans la série « Mobility & Politics » de l’éditorial Palgrave Macmillan [Tanya Basok, Daniele Belanger et Martha Luz Rojas Wiesner, « Rethinking Transit Migration: Precarity, Mobility, and Self-Making in Mexico ». Basingstoke: Palgrave Macmillan, 2015. Doi: 10.1057/9781137509758.0007]. Cette publication comporte un processus d'évaluation par les pairs.

En tant que coauteur de ce livre, j’ai révisé la littérature existante pour l’état des connaissances sur le sujet et j’ai participé à la conception de la méthodologie, à la collecte et à l’analyse des données ainsi qu’à l’interprétation des résultats. Pour ce qui est du chapitre en particulier, j’ai participé à l’écriture de la première version de l’article, ainsi qu’aux versions suivant les discussions critiques avec les autres auteures

2 Chapitre 8 de la thèse 3 Chapitre 6 de la thèse

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xvii

et la version envoyée à l’éditorial. J’ai enfin participé à l’écriture de la version de l’article suite aux révisions critiques des examinateurs. La version du chapitre intégrée dans cette thèse est légèrement différente à celle intégrée dans le livre publié. Cette version est plus courte afin d’harmoniser son contenu avec le reste de la thèse.

Renseignements sur les coauteures de l’article

- Danièle Bélanger, professeure titulaire à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales.

Elle a participé à une partie de la collecte des données et a contribué de façon substantielle à l’interprétation des résultats. Elle a participé à la rédaction du chapitre et elle a également rédigé les réponses données aux examinateurs et a donné son approbation pour l’insertion du chapitre dans la présente thèse. - Tanya Basok, professeure titulaire au Department of Sociology and

Anthropology, University of Windsor, Canada.

Elle a supervisé et participé à toutes les étapes de l’élaboration de l’étude et du livre. Pour ce chapitre en particulier, elle a fait une révision critique de la première version de l’article et de différentes versions subséquentes et a donné son approbation pour l’insertion du chapitre dans la présente thèse.

- Martha Luz Rojas Wiesner, professeure titulaire au Departamento de Sociedad y Cultura, El Colegio de la Frontera Sur, Mexico.

Elle a participé à une partie de la collecte des données et a contribué de façon substantielle à l’interprétation des résultats. Pour ce chapitre en particulier, elle a fait une révision critique de la première version de l’article et de différentes versions subséquentes et a donné son approbation pour l’insertion du chapitre dans la présente thèse.

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Marcos, trajectoire migratoire d’un survivant au Mexique

Je m’appelle Marcos et je viens de Choloma, Honduras. C’est la deuxième fois que je suis au Mexique. J’ai vingt-deux ans. La première fois que j’ai quitté mon pays avec l’intention d’aller aux États-Unis, j’avais seize ans, mais je suis retourné, car j’ai eu un accident de train. Je suis tombé de la « Bestia » et je me suis blessé au genou. Alors, je suis allé voir les agents de migration pour qu’ils me retournent à mon pays. J’ai été quinze jours enfermé, car j’étais mineur à l’époque. Après, ils m’ont envoyé chez moi. Six ans après j’ai décidé de partir encore une fois vers les États-Unis parce je me suis fait racketter par les gangs de rue en sortant de mon travail. Ils voulaient que je paie la « renta4 ». Je leur ai donné une partie de mon salaire pour qu’ils ne me tuent pas. À ce

moment-là, je me suis dit : pourquoi je vais travailler pour les autres? C’est mieux si je m’en vais. Je suis parti avec l’intention de rejoindre mes deux amies à Philadelphie, États-Unis.

J’ai pris une camionnette pour me rendre à la frontière avec le Guatemala. La police hondurienne m’a demandé 500 lempiras (30 $CAD) pour nous laisser traverser. En entrant au Guatemala, j’ai payé aussi la police guatémaltèque pour qu’elle me laisse passer. Ensuite, j’ai pris un autobus jusqu’à la frontière d’El Ceibo, entre le Guatemala et le Mexique. J’ai traversé à pied et j’ai marché plus de cinquante kilomètres pour arriver à Tenosique, Tabasco. Je suis resté trois jours dans une « casa de migrantes » afin d’attendre le train. Je suis monté en train jusqu’à Palenque, Chiapas. À Palenque, j’ai connu un autre migrant hondurien qui venait du même village que moi, j'étais malade et il m’a aidé. J’avais faim, mal aux pieds, j’avais marché beaucoup. Je lui ai demandé s’il connaissait quelqu’un qui nous aiderait à « monter ». Il avait un « coyote », donc on a fait un accord avec lui et on a commencé à voyager ensemble. Au total, on était sept personnes qui voyageaient avec le « coyote », six hommes et une femme. Quelques jours après, on est monté à bord du train pour arriver à Celaya, Guanajuato.

Nous sommes arrivés à six heures de l'après-midi, nous sommes descendus du train et nous avons contourné à pied un poste de militaires. Après ça, nous avons attendu

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environ deux heures un autre coyote qui allait venir nous chercher en camionnette. Quand il est arrivé, on avait compris qu’il allait nous amener directement à la frontière avec Houston en échange de 3 000 $USD (3 900 $CAD). Cependant, il nous a enfermés dans un hôtel et nous a dit: « vous aller payer 1 000 $USD (1300 $CAD) maintenant pour que je vous amène à Piedras Negras et là quelqu’un va vous aider à traverser la frontière et une fois à Houston, vous allez payer le reste de l’argent ». Alors, nous avons payé et il nous a amenés dans un chalet sale et abandonné, toujours à Celaya. Nous sommes partis vers Piedras Negras deux jours après. Nous avons voyagé douze heures jusqu’à la gare d’autobus. Un garçon avec le visage bien tatoué s’approche et nous dit: « venez-vous au nom du « Brasa »? Oui, c’est lui qui nous a envoyés. OK, montez dans les camionnettes ». Il y avait deux camionnettes qui nous attendaient pour nous amener à une maison de sécurité. Quand nous sommes arrivés à cette maison, nous avons vu qu'il y avait une fille et plusieurs migrants menottés et enfermés dans une petite chambre. Nous nous sommes dit : Non! Que se passe-t-il ? Ils ont pris nos effets personnels et ils nous ont aussi menottés, ils voulaient les numéros de téléphone de nos familles afin de demander une rançon. Le coyote nous avait trahis.

J’ai été kidnappé pendant vingt-sept jours, on mangeait un peu de riz tous les trois ou quatre jours. Finalement, mes amis à Philadelphie ont payé 1800 USD (2300 $CAD) pour me libérer. Les ravisseurs m’ont laissé au bord du « Río Bravo », j’ai décidé de traverser seul, sans coyote. J’ai marché dans le désert du Texas pendant deux jours, je tournais en rond, j’étais perdu, je ne trouvais pas la sortie. Donc, je suis retourné en direction du « Río Bravo » et j’ai traversé encore, mais cette fois-ci en direction du Mexique. Je suis arrivé à Piedras Negras et j’ai cherché la « casa de migrantes » pour pouvoir manger et me reposer. Avant de la trouver, sur le chemin vers la casa, j’ai demandé de l’argent dans la rue pour payer un taxi, car il était déjà six heures du soir et j’avais déjà entendu dire que c'était très dangereux de rester dans la rue quand il commence à faire noir. J’ai rencontré un garçon qui portait un sac avec de la nourriture et je lui ai demandé de l'argent, mais il m’a répondu : « Non, mais si tu veux, tu peux travailler avec nous, nous avons cinquante Honduriens qui travaillent avec nous. Nous leur payons 1500 $MEX (100 $CAD) par jour ». Il voulait me recruter comme tueur à gages parce qu'il y avait la guerre du groupe Zeta contre les militaires. Je lui ai dit: « Non, non merci, je ne fais pas ça, je ne suis pas venu pour ça, mon rêve est de passer de l'autre côté ». Alors, j’ai continué mon chemin et je suis arrivé à la

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xx

« casa de migrantes ». J’étais épuisé, je suis resté huit jours. Pendant mon séjour à la casa, j’ai contacté ma famille pour trouver un nouveau coyote. J’en ai trouvé un autre recommandé par ma famille. Toutefois, il fallait se déplacer jusqu’à une autre ville frontalière, Nuevo Laredo, Tamaulipas.

J’ai quitté la « casa de migrantes » avec trois autres migrants pour prendre l’autobus à la gare de Piedras Negras. Nous sommes arrivés à la gare et nous avons réalisé qu’une camionnette nous suivait depuis notre départ de la casa. Au moment d’entrer, un groupe de huit hommes nous arrête, « Hey! où vous allez? » Ils nous ont enfermés dans un restaurant et ils ont exigé de l'argent pour nous laisser aller ». Heureusement, j’ai réussi à m’échapper avec un autre, les deux restants ont été kidnappés. Nous avons couru jusqu'à atteindre à nouveau la « casa de migrantes » pour être en sécurité. Après cet évènement, j’ai décidé d’arrêter temporairement mes tentatives de traversée vers les États-Unis. Je suis resté deux jours de plus à Piedras Negras et avec l'aide de la casa, je me suis présenté devant les autorités mexicaines afin de dénoncer mes ravisseurs. Ensuite, j’ai été envoyé par les autorités à l’une des casas del migrante de la ville de Mexico, où j’ai vécu quatre mois en attendant l'obtention d’un visa humanitaire, et ce, pour avoir été victime d'un enlèvement. Le personnel de cette casa m’a beaucoup appuyé tout au long du processus administratif et cela m’a permis d'obtenir mes documents d'immigration plus rapidement. Présentement, je travaille dans un atelier de bicyclettes, j’essaie de ramasser de l'argent pour tenter encore une fois la traversée vers les États-Unis et payer la dette que j’ai avec mes amis de Philadelphie. Je vais me battre ici, je sais que pour leur retourner l’argent ça va me prendre au moins deux ans, mais je sais que je vais payer ma dette. (Entretien avec Marcos, migrant hondurien août 2013, ville de Mexico).

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xxi Figure 1: Trajectoire de Marcos

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Mamadou, trajectoire d’un migrant bloqué au Maroc

Je m’appelle Mamadou, je viens du Mali. Je suis parti pour des raisons économiques. Au Mali, ça n'allait pas. Je voulais me rendre en Europe, car j'ai plein d'amis là-bas. Ils m’ont dit que ça va là-bas. Il y a du travail, c'est bon. C'est pourquoi j'ai décidé d'aller en Europe, pour gagner un peu ma vie, pour travailler et aider ma famille. Au Mali, je ne travaillais pas, j'étudiais. J'ai terminé mes études et je suis parti. J'ai fait la comptabilité. J'ai mon diplôme.

Quand j'ai quitté le Mali, j'avais vingt-six ans. Ça fait trois ans que je suis sorti. Je ne suis pas né à Bamako, mais j'ai grandi là-bas. J'ai pris une voiture de Bamako à Gao. De Gao, il y a des gens qui t’embarquent pour l'Algérie, ce sont des passeurs. À ce moment-là, le Nord du Mali était tranquille, il y n'avait pas de problème pour passer, c'était en 2011 et les problèmes ont commencé en 2012. Donc j'ai payé 50 euros (80$CAD) jusqu'à la frontière avec l'Algérie et là j’ai payé un autre camion pour rentrer en Algérie.

J'ai passé trois mois en Algérie dans une ville qui s'appelle Ghardaïa. Après, je suis allé vers la frontière avec le Maroc, à Maghnia, j'ai fait un mois là-bas. Pendant ce temps, je travaillais dans les chantiers. À chaque fois que je gagnais un peu, je continuais parce que quand je suis entré en Algérie je n'avais plus d'argent. Il y a des foyers de Maliens, chaque mois on payait 500 dinars (6$CAD). Je travaillais d'abord avant de payer le loyer parce que là-bas il y a les amis et quand tu n'as rien, on te donne un peu de temps pour payer, un mois. Il y a des Maliens en Algérie qui m'ont dit « si tu n'as rien, tu vas chercher le travail et après tu me donnes l'argent du foyer ». Je travaillais dur, je n'étais pas habitué, mais il fallait payer le loyer et la nourriture. À Maghnia, j’ai travaillé un mois dans les champs de pommes de terre et après je suis entré à Oujda. Je suis resté trois jours là-bas pour venir à Rabat. J'ai passé trois mois à Rabat avant d'aller à la frontière, à Nador.

Pendant que j'étais à Rabat, j’ai cherché du travail, parfois je travaillais un jour ou deux par semaine. J'ai réussi à économiser 1000 $MAD (150 $CAD). Alors, avec six autres migrants on a acheté un zodiac et on est parti à Nador, on voulait traverser la mer. Malheureusement, on est monté sur l'eau et la marine marocaine nous a attrapés et nous a mis en prison pendant quinze jours à Nador. La police prend tout, même ton

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xxiii

argent de poche. Après, ils m’ont refoulé à Oujda. Je suis descendu à Maghnia encore parce que là-bas il y a un peu de travail. Pour passer la frontière entre le Maroc et l’Algérie on se cache la nuit. Les militaires savent qu’on passe. J'ai fait encore deux mois en Algérie et je suis reparti pour le Maroc, cette fois-ci, du côté de Casiago, proche de Ceuta.

J'ai fait trois mois là-bas, dans la forêt. La police venait nous chercher, on se réveillait à trois heures ou quatre heures du matin pour aller se cacher et après on revenait. On s'éloignait très loin, à cinq, à dix kilomètres. Et la nuit, c'est la tentative. J'ai essayé quarante fois, cinquante fois, trop! Une fois, je suis rentré à Melilla, mais ils m’ont fait sortir automatiquement. On est entré à huit personnes. La Guardia civile nous a remis aux Marocains, encore. En 2012 et 2013, j’ai tenté de sauter les grillages. On court pour monter, vite. Il y a des gens qui ont de la chance et il y a des qui se font attraper. Toujours, je me suis fait attraper. J'ai beaucoup d’amis qui sont entrés, mais une fois qu'ils rentrent, ils oublient. Ils m'appellent une fois, deux fois, trois fois et après ils coupent le contact. Il y a des gens qui sont rentrés par l'eau, il y a de gens qui sont rentrés à la nage, on se jette dans l'eau, on met le gilet et on nage.

Entre 2011 et 2013, je suis descendu plusieurs fois vers l’Algérie, car il y a plus de travail là-bas qu’ici, mais c'est plus facile de passer d'ici (du Maroc) qu'à partir de l’Algérie parce qu’en Algérie, il n'y a pas de frontière pour aller en Europe...on voulait venir ici. En Algérie, il y a du travail, mais ici tu es près de l'Europe. Quand tu restes en Algérie ce n'est pas… nous...on a besoin du Maroc […].

[…] Maintenant c'est trop difficile de passer, il y a beaucoup de sécurité, avant ce n’était pas comme ça. Ils ont renforcé encore, ils ont changé la politique. Maintenant, avec le petit zodiac pour cinq ou six personnes, quand tu rentres dans l’eau, directement la police marocaine vient te prendre. Avant, ils te laissaient partir un peu... quand les Espagnols vous voyaient, ils te sauvaient. Maintenant, les Espagnols même s’ils te prennent, ils te donnent aux Marocains, rapidement. Sans argent, c'est impossible. Avant, en 2011, c’était facile, mais maintenant non. Le seul moyen, c'est de payer le passeur.

J'ai utilisé des passeurs, il faut payer pour rentrer. Pourtant, les passeurs ne respectent pas leur parole. Ici, j'ai déjà payé un convoi à 650 euros (760 $CAD), on est parti et ça n'a pas marché. C'était à Layounne, en face des îles Canaries, pour rentrer à Las

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xxiv

Palmas, Espagne. J'ai fait deux mois à Layounne. Là-bas, il y a un Malien qui travaille avec les Arabes, c'est un passeur Malien qui travaille en collaboration avec les Arabes, il donne les clients aux Arabes. Quand il m'a contacté, j'avais un peu d'argent.

Pour aller à Layounne j'ai pris le bus, j'ai payé 400 $MAD (55 $CAD). On se cachait dans une petite chambre, on ne voyait même pas le soleil pour attendre le jour pour partir. Quand ils sont contents [les passeurs], ils te donnent un peu à manger, après c’est toi qui paies toutes les dépenses, jusqu'au jour du départ. On a fait deux mois dans la chambre, on était soixante personnes dans le zodiac... c'était grand... j'avais trop peur, mais j'avais l'espoir de rentrer en Europe. À trois heures du matin, c'était le départ... ce sont plus de dix heures de voyage... on avait fait trois heures... le capitaine était un Marocain... si on continuait, on allait tous mourir... on avait trop peur, mais je voulais qu'on aille devant, quand il a fait demi-tour, j'ai perdu tout l’espoir... j'ai pleuré parce que si on revenait, je savais qu’on n'allait plus partir. On devait partir, même si on allait mourir !

Le Maroc est trop dur. Ils sont trop racistes, les gens du quartier sont trop racistes, ils nous fatiguent beaucoup... il y a des gens qui viennent et nous traitent de pauvres africains […] on n’a pas quitté chez nous pour venir s’assoir ici, on veut aller en Europe.

Ici, je suis très dérangé, je me sens tout seul ici... même avec les amis... on est venu pour chercher de l'argent, mais ici on ne gagne pas de l’argent, on ne peut pas faire des économies. Je me sens un peu trop perdu, je regrette d'avoir quitté mon pays, d'être venu ici... l'objectif était de rentrer en Europe, je ne suis pas rentré, je suis bloqué ici. Je suis coincé dans le Maroc, je ne peux pas avancer et quand on me dit de retourner encore je ne veux pas retourner... j'ai perdu des années pour rien... c'est dur de retourner ... ils vont dire : « il a quitté, il voulait partir en Europe et il n'a pas pu y aller et il est retourné avec 0 dirham ». J'ai même peur de retourner... ce n’est pas bien de retourner quand tu n’as rien après trois ans de voyage. Chez nous, quand tu sors à l'aventure et puis de retour tu n'as rien amené ... c'est la honte totale! (Entretien avec Mamadou, migrant malien, mars 2015, ville de Rabat).

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xxv Figure 2: Trajectoire de Mamadou

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1

Introduction

Victimes, trafiquants, clandestins, délinquants, « narcos », aventuriers, sans-papiers, illégaux, héros, irréguliers, passeurs, frontières, naufrages, enlèvements, morts, « eldorado », « American dream ». La liste se fait longue quand l’on pense à décrire le phénomène migratoire qui touche aujourd’hui le Maroc et le Mexique. Depuis quelques années, ces deux pays attirent l’attention des gouvernements, des journalistes et des chercheurs, car désormais ils sont désignés comme pays de transit et de destination pour les personnes migrantes irrégulières en provenance de la région subsaharienne pour le Maroc et de l’Amérique centrale pour le Mexique. Ils se sont transformés en pays stratégiques, en zones tampons au niveau géopolitique en matière de sécurité, de gouvernance des flux migratoires et de protection des frontières des pays du Nord. Pourtant, le Maroc et le Mexique ont longtemps été considérés comme des pays d’émigration. On estime à 4,5 millions le nombre de Marocains vivant actuellement en dehors du pays (Cherti & Grant, 2013) et à 12 millions les Mexicains qui résident à l’étranger(SRE, 2017). Malgré cela, ces deux pays sont devenus des territoires de passage étant donné le nombre croissant de personnes migrantes qui tentent d’atteindre les pays du Nord. De plus, un certain nombre de ces personnes migrantes finissent par s’établir dans ces pays de transit qui se transforment ainsi en terres d’immigration. À l’heure actuelle, la migration irrégulière à travers le Maghreb, avec une majorité de personnes migrantes ayant comme projet migratoire de passer en Europe, et la migration irrégulière à travers le Mexique, avec une majorité de personnes migrantes ayant comme projet migratoire de passer aux États-Unis, constitue un phénomène relativement nouveau, étant donné l’intensité et l’ampleur des flux migratoires provenant de ces régions(Barros, Lahlou, Escoffier, Pumares, & Ruspini, 2002; Beauchemin, Kabbanji, Sakho, & Schoumaker, 2013; Bredeloup & Pliez, 2005; de Haas, 2014; Stoney & Batalova, 2013; Villanueva, 2013).

Différentes sources estiment la présence d’entre 25 000 et 40 000(Jeune Afrique, 2013) personnes migrantes d’origine subsaharienne au Maroc et de plus de 300 000 personnes migrantes centraméricaines au Mexique (Rodríguez Chávez, 2016). Dans les deux cas,

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la plupart de ces personnes migrantes se trouvent en situation irrégulière5 du point de

vue juridique. Ces faits montrent jusqu’à quel point il est maintenant difficile de distinguer entre les pays d'émigration, d'immigration et de transit, car malgré l'intention de nombreuses personnes migrantes de demeurer temporairement dans ces pays de transit, plusieurs facteurs peuvent faire en sorte qu’ils restent en attente plusieurs mois ou plusieurs années ou qu’ils décident de s’établir de façon permanente.

En réponse au phénomène de l’ampleur des flux migratoires, nous assistons à un processus de sécuritisation de la migration se manifestant fondamentalement, dans le cas de notre étude, par le renforcement du contrôle des frontières européennes et américaines et par l’externalisation de ces frontières bien au-delà de leurs limites territoriales. Une des principales conséquences de ce processus est l’augmentation des coûts économiques et humains de la migration pour traverser ces frontières créant ainsi une population migrante qui s’installent à long terme au Maroc et au Mexique.

Alors que ces deux pays, longtemps considérés comme pays d’émigration, ont essayé de faciliter la mobilité de leurs ressortissants, l’Union européenne et les États-Unis tentent de les engager dans des efforts visant à réduire l'émigration irrégulière et la migration de transit. Ainsi, l’enjeu que représentent les migrations dans les relations internationales entre le Maroc et l’Union européenne et entre le Mexique et les États-Unis s’est transformé au cours des dernières années.Les pays du Nord veulent contrôler en amont la migration irrégulière bien loin de leurs propres frontières ; ils encouragent et financent aussi les pays de transit dans leurs efforts d’interception et de retour forcé des personnes migrantes. En outre, la présence croissante d’immigrants et immigrantes confronte la société marocaine et la société mexicaine à un ensemble de nouvelles questions sociales, juridiques et sécuritaires, en décalage avec la construction politique et démographique du Maroc et du Mexique en tant que pays d'émigration (De Haas, 2014).

5 « Les immigrés en situation irrégulière sont donc ceux qui, par leurs déplacements,

installations, insertions dans le marché du travail, rentrent en opposition avec la réglementation de la mobilité humaine instituée par les États, elle-même hiérarchiquement différenciée selon les pays d’origine des candidats à l’entrée » (Ambrosini, 2010, p. 9)

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À ce jour, la réponse de ces deux États face à ce phénomène bascule entre les expulsions et les tentatives de régularisation des personnes migrantes sans qu’il n’y ait une stratégie claire de gestion des flux.

Dans le cas du Maroc, soumis à de fortes pressions de la communauté internationale et de la société civile marocaine, à la suite de dénonciations concernant de mauvais traitements infligés aux personnes migrantes d’Afrique subsaharienne, le gouvernement a mis en place une nouvelle politique6 de migration et d'asile basée sur les

recommandations du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH). En fait, cette nouvelle politique est une campagne de régularisation migratoire résultant dans la régularisation de 17 916 personnes migrantes entre le 1er janvier et le 31 décembre 2014 (MAP, 2015). En même temps, ce pays n’a pas abandonné ses pratiques répressives envers les personnes migrantes subsahariens. En effet, le jour où la campagne a pris fin, la police a détenu et expulsé autour de 1 200 personnes migrantes (GADEM, 2015). Qui plus est, la nouvelle politique n’a pas modifié la loi migratoire qui criminalise les migrants et les migrantes irrégulières.

En ce qui concerne le Mexique, avec une augmentation des flux migratoires, la société civile mexicaine et les organisations internationales ont fait pression sur le gouvernement mexicain pour modifier la loi migratoire et incorporer ainsi des mécanismes permettant aux personnes migrantes de régulariser leur situation migratoire (Alba & Castillo, 2012; Basok & Rojas Wiesner, 2018; González-Murphy, 2013). De la sorte, la loi migratoire adoptée en 2011 donne au gouvernement mexicain le pouvoir d'accorder des visas temporaires pour diverses raisons, qu’elles soient d’ordre humanitaire, familial, travail ou par l’entremise des programmes spécifiques, tel le Programme temporaire de régularisation migratoire. En fait, entre 2014 et 2016, le Mexique a régularisé la situation de 33 996 personnes migrantes d’origine guatémaltèque, hondurienne et salvadorienne. Par contre, pendant la même période, ce pays a expulsé 428 945 personnes migrantes centraméricaines (SEGOB, 2014, 2015a, 2016).

Ceci étant dit, les migrants et les migrantes posent de sérieux défis aux États impliqués (soit d’origine, de transit ou de destination), autant d’ordre sécuritaire qu’humanitaire.

6 « Le Maroc met en œuvre une nouvelle politique d'accueil des subsahariens». Le Monde, 22

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Dans les pays d’origine, les homicides, les enlèvements, les extorsions, la violence des gangs de rue et la traite de personnes favorisent l’émigration. En Amérique centrale, la criminalité urbaine a contribué à un accroissement d’émigrants dans la région. Être victime d'un crime ou se retrouver en danger de mort augmente la probabilité de quitter son pays (Hiskey, Malone, & Orcés, 2014). Ainsi, la plupart des personnes migrantes qui passent à travers le Mexique et le Maroc font partie d’une population hautement vulnérable ayant des besoins médicaux, psychologiques et humanitaires spécifiques (MSF, 2013). La vulnérabilité fait de ces personnes migrantes une cible facile pour les réseaux de traite des êtres humains7 dans les pays de transit ou de destination. En plus,

la plupart vivent dans la crainte constante de se faire détenir, expulser et de subir plusieurs formes de violences, des abus et de l’exploitation aux mains des forces de sécurité, des délinquants, mais aussi de la population civile.

Le contexte de violence, les tensions sociales entre les personnes migrantes dans les pays de transit et la population locale et l’infiltration du crime organisé dans les flux migratoires aggravent les scénarios xénophobes. En novembre 2012, la couverture d'un hebdomadaire marocain8 représentait les migrants subsahariens comme « le péril noir »,

en suggérant que leur présence favorisait l’augmentation du trafic de drogue, de la prostitution. Aussi en 2012, au Mexique, des affrontements entre personnes migrantes et population locale ont provoqué la fermeture de certains refuges, créés pour assister les migrants dans leur parcours9. Les organisations citoyennes alléguaient, quant à elles,

que les migrants avaient commis des actes délictueux comme des vols, des viols et de la consommation de drogue10. Au Mexique, des organisations de défense de droits des

migrants ont avoué l’infiltration de groupes criminels, tels les « maras »11 12. Les

7 Selon les données de l’Institut national de migration du Mexique, 60 % des étrangers exploités

sexuellement au Mexique sont d’origine guatémaltèque et hondurienne; dans “México, eje de la trata”. El universal, 12 mars 2014.

8 « Le péril noir ». Maroc Hebdo, no 998, 8 novembre 2012.

9« Ordenan cierre definitivo de la Casa del Migrante en Tultitlán », Animal Politico, 10 juillet

2012

10 « Clausuran albergues de migrantes en Tultitlán ». El Universal, 10 juillet 2012. 11 « Lamenta ONG cierre de albergue en Huehuetoca », La Jornada, 8 novembre 2012.

12 Les « Maras » sont des « gangs » de rue originaires d’Amérique centrale. L’OEA définit les

« gangs de rue » comme des groupes de jeunes ayant émergé de la pauvreté extrême, l’exclusion et le manque d’opportunités et qui cherchent à satisfaire leurs droits de survivance, protection et participation. Selon cette définition, les « gangs de rues » essaient de créer un espace dans la

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groupes criminels étant mobiles, la guerre contre les « gangs de rues » en Amérique centrale a largement contribué à la présence de « maras » au Mexique (Jütersonke, Muggah, & Rodgers, 2009). La présence de tous ces réseaux criminels qui réussissent à s’infiltrer dans les flux migratoires représente un enjeu sécuritaire majeur pour ces pays. Par exemple, plusieurs migrants sont forcés d’agir en tant que passeurs de drogue au moment de traverser les frontières. Bref, les bandes criminelles utilisent fréquemment ces migrants précaires comme une main-d’œuvre au service de leurs activités.

En outre, du point de vue du genre, il faut mentionner qu’il s’agit d’une migration essentiellement masculine, avec une féminisation progressive au cours des dernières années. Selon différentes estimations, autour de 80 % des migrants en transit sont des hommes (INCIDE, 2012; Mghari, 2009; Mourji, Ferrié, Radi, & Alioua, 2016). Malgré que tous les migrants en transit vivent une situation de précarité et de vulnérabilité, ce sont les femmes qui font face au plus grand nombre de risques entraînant des dommages à leur santé physique et mentale. Pour Auclair, « […] les discriminations, les inégalités et les stéréotypes, notamment genrés […] incitent souvent à la naturalisation de la violence et à l’assujettissement des femmes dans leur société d’origine, dans leur expérience du passage des frontières, et une fois arrivées en sol étranger » (2017, p. 217). La violence sexuelle est courante et, dans la plupart de cas, les relations sexuelles occasionnelles sont non protégées ; les faveurs sexuelles sont souvent exigées par les hommes migrants, les passeurs et les représentants de l’ordre comme monnaie d’échange pour une certaine protection au cours du parcours migratoire. Cette situation est liée de façon étroite à la vulnérabilité particulière que vivent les migrantes sans papiers et s’inscrit dans l’étude du phénomène migratoire comme étant un phénomène marqué par les rapports sociaux de genre13 (INCIDE, 2012). À ce sujet, plusieurs

recherches mettent l’accent sur cette vulnérabilité dans les processus de déplacement et

société (principalement urbaine) adéquat à leurs besoins. Par contre, cette quête d’un espace dans la société est en détriment des droits propres et d’autrui, et génère de la violence et des crimes dans un cercle qui nourrit et perpétue l’exclusion dont ils proviennent; donc les « gangs de rues » ne peuvent pas renverser leur situation; Secretaría General de la Organización de Estados Americanos. Departamento de seguridad pública, « Definición y categorización de pandillas », Washington DC, juin 2007.

13 Bien qu’il soit très pertinent de reconnaître la dimension genrée du phénomène, il est

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de passage des frontières (Adelman, 2004; Auclair, 2016; Cowburn, 2011; Kaya & Cook, 2010; Mora, 2007; Walton-Roberts, 2008).

Concernant les participants de cette recherche, nous avons étudié le cas de deux groupes parmi les plus fortement représentés dans la composition des flux migratoires traversant le Maroc et le Mexique, à savoir : les personnes migrantes subsahariennes et les personnes migrantes centraméricaines. La justification du choix de ces deux groupes migratoires tient à sa représentativité, car ce sont les deux groupes les plus nombreux parmi les migrants qui sont en attente dans les deux pays avec l’intention de traverser vers l’Europe ou vers les États-Unis.

Alors que la recherche actuelle porte principalement sur les politiques nationales et multilatérales et sur les dispositifs de sécurité et de contrôle (Barros et al., 2002; Brachet, Choplin, & Pliez, 2011; de Haas, 2007a, 2007b; Franck Düvell, 2006; IMI, 2006; D. S. Massey, 1991; Pian, 2009, 2010; Piché, 2014), cette étude a pour objet principal de comprendre les facteurs qui façonnent et influent l’évolution du projet migratoire pendant l’attente ou le transit, dans un contexte de sécuritisation et d’externalisation des frontières.

Le caractère inédit de cette étude réside dans l’approche comparative entre deux cas, deux pays. Ces migrants ont en commun la précarité de leur statut et l’incertitude de leur projet migratoire. Nous nous concentrerons davantage sur les facteurs qui influencent les changements des projets migratoires, qu’ils soient volontaires ou non, dans l’étape du transit au Maroc et au Mexique. Ainsi, les réseaux sociaux et les liens sociaux que les migrants peuvent tisser dans l’attente dans la société du pays de transit jouent un rôle très important dans l'élaboration et l’évolution des stratégies de migration.

En conséquence, la question principale à laquelle nous essayerons de répondre au cours de notre étude est la suivante : dans un contexte de sécuritisation migratoire et d’externalisation des frontières, quels sont les facteurs qui influencent et façonnent l’évolution du projet migratoire des personnes migrantes centraméricaines au Mexique et des personnes migrantes subsahariennes au Maroc, pendant leur attente?

Dans un contexte où les stratégies des migrants sont marquées par l’incertain (Pian, 2009; Piché, 2014), par la précarité et par la vulnérabilité, diverses logiques guident

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l’action et les pratiques migratoires. Le migrant peut changer sa trajectoire, passer à une nouvelle situation migratoire ou même revenir au point de départ et recommencer le parcours migratoire. Certains migrants chercheront à explorer les possibilités d’établissement temporaire tout en espérant atteindre, un jour, leur passage vers l'objectif final. Cependant, les espaces de transit deviennent des espaces d’attente, comme conséquence des barrières et des obstacles qui les empêchent de continuer vers leur destination désirée. Ces espaces sont souvent des espaces de détresse, de peur et de désillusion profonde (impossibilité d'obtenir des visas promis, argent volé par des criminels, passeurs disparus avec leur argent, expérience de violence, etc.). La migration implique une dimension expérientielle, un sens du défi, qui nécessite une capacité à s'adapter aux circonstances en constante évolution (Timera, 2011, p. 203). Comme nous l’avons déjà indiqué, le statut des migrants dans la société du pays en transit est précaire, ils sont relégués, en général, à des espaces périphériques ou marginaux où ils accumulent une perte de ressources, ils ne se sentent pas valorisés et portent la mauvaise réputation qu’ont les étrangers en situation irrégulière.

À cet égard, ce projet se concentrera davantage sur les niveaux d’analyse micro (individuel), méso (relationnel) et il s’avère aussi pertinent de travailler sur les influences réciproques de ces niveaux avec le contexte plus macro (structurel), afin de mieux comprendre l’évolution du projet migratoire. Notre analyse s’effectue non seulement à travers le regard des migrants, mais en considérant aussi les rapports avec les deux autres niveaux d’analyse. Il est important de souligner que l’analyse de l’évolution du projet migratoire doit se faire en tenant compte du contexte dans lequel les migrants s’insèrent. La situation des individus en migration se développe en fonction des contacts et des relations établies avec différents acteurs de la société civile du pays de transit, ainsi qu’en fonction des politiques migratoires des États impliqués. Ces derniers jouent un rôle de poids dans les changements et dans l’évolution du projet migratoire, la géopolitique des migrations ayant un impact direct sur les migrants. La thèse est structurée de la façon suivante. D’abord, dans le premier chapitre nous réalisons la revue de littérature et nous développons les notions qui vont encadrer notre travail du point de vue théorique, à savoir : la trajectoire migratoire, le projet migratoire et l’attente. Ensuite, dans le chapitre deux, nous abordons la méthodologie de recherche. En fonction de notre question de recherche, nous recourons à une approche qualitative

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8

pour étudier des expériences telles que relatées et vécues par les participants. La discussion sur la pertinence de ladite méthode et d'autres aspects liés à la collecte et à l'analyse des données sont aussi traités dans ce chapitre.

Puis, dans le chapitre 3 nous analysons le contexte géopolitique dans lequel se développent les trajectoires migratoires étudiées dans le cadre de cette thèse. Nous mettons l’accent sur le processus de sécuritisation des migrations et d’externalisation des frontières.

Finalement, les chapitres 4, 5, 6, 7 et 8, présentent les résultats de notre recherche. Dans les chapitres 4 et 7 nous identifions certains territoires de l’attente qu’utilisent les migrants subsahariens au Maroc et les migrants centraméricains au Mexique pour structurer leur trajectoire et reformuler leur projet migratoire. Dans le chapitre 5, nous nous penchons sur les effets d’une des mesures d’externalisation des frontières au Mexique, le « Programme de la frontière Sud », sur les migrants et sur les organisations d’aide aux migrants. Dans le chapitre 6, nous examinons les expériences de précarité vécues par les migrants d’Amérique centrale dans leur pays d’origine, au Mexique et aux États-Unis. Dans le chapitre 8, nous étudions les effets de la campagne de régularisation migratoire lancée par le Maroc en 2013 sur les projets migratoires des subsahariens. En terminant, un neuvième chapitre est dédié à une discussion et à la conclusion générale de cette recherche.

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1. Cadre conceptuel

1.1

Introduction

Au cours du présent chapitre, nous approfondissons deux notions-clés qui servent de cadre théorique à notre étude, celles de la « trajectoire » et du « projet migratoire ». Ces deux concepts nous permettent d’aborder la problématique de notre recherche, c’est-à-dire les facteurs qui influencent et façonnent l’évolution du projet migratoire dans un contexte d’externalisation des frontières.

En lien avec ces deux notions, nous abordons d’autres catégories comme celle de « l’attente », du territoire et du champ migratoire. Ces catégories s’avèrent fondamentales pour comprendre les trajectoires étudiées dans le cadre de cette thèse. Dans ce premier chapitre, nous effectuons d’abord une revue de la littérature générale sur les théories de la migration, puis nous réalisons une analyse critique de la notion de migration de transit. Ensuite, nous abordons le cadre théorique avec les notions et catégories choisies pour guider notre travail.

1.2

Revue de la littérature : approches classiques de la migration

À l’heure actuelle, les migrations internationales sont un des principaux enjeux de la planète. Toutes les régions du monde sont concernées. Cependant, les migrations sont une préoccupation centrale des États et des décideurs politiques depuis la première grande vague de migrations en 1880 (de Wenden, 2010) . Dans ce sens, la migration est devenue un domaine de recherche important pour les scientifiques sociaux et, en conséquence, plusieurs théories ont été développées afin d’expliquer les migrations internationales.

La migration est un phénomène à la fois spatial et temporel, ce qui en fait manifestement un fait géographique. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir que ce sont des géographes, dont Ravenstein et Zelinsky, qui ont apporté des contributions importantes à la théorisation de la migration (King, 2012, p. 136). Même si les géographes ont pris de l’avance, de nombreuses théories de la migration ont été élaborées par des chercheurs relevant de diverses disciplines – notamment de l’économie et de la sociologie (Borjas, 1989; Boyd, 1989; Castles & Kosack, 1972; Goldust & Richmond, s. d.; Harris & Todaro, 1970; D. S. Massey, 1990, 1991; D. S. Massey & España, 1987; Sassen, 1988;

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Simmons, 1991). Cette diversité a eu comme conséquence des théories fragmentées et aucun paradigme dominant (IMI, 2006). Selon Alan Simmons, « la diversité des schémas migratoires qui ont été identifiés et le grand nombre de modèles conceptuels développés, dans le but de les expliquer, ont débouché sur une crise de la pensée théorique » (Simmons, 2013, p. 61)

De façon générale, la migration a été étudiée du point d’origine (du départ des migrants) ou du point d’arrivée. En ce sens, la recherche s’est concentré sur la question : « Pourquoi les gens migrent ? », avec une attention particulière accordée aux processus de prise de décision avant le départ. Concernant le point d’arrivée, la plupart des études ont porté sur les modèles d’immigration et les processus d’intégration, d’assimilation et sur les contributions socioéconomiques des migrants dans leur pays d’origine ou d’arrivée (Schapendonk, 2011, p. 3). Selon Piché, « une théorie migratoire doit accomplir essentiellement deux choses : (1) expliquer pourquoi les gens migrent (les causes) et (2) démontrer dans quelle mesure la migration atteint ses objectifs (les effets) » (Piché, 2013, p. 19). Ces deux questions abordent fondamentalement deux niveaux d’analyse, à savoir le niveau micro et le niveau macro. Cette distinction, selon l’auteur, traverse le champ migratoire jusqu’à aujourd’hui.

Les théories migratoires peuvent ainsi être regroupées selon trois perspectives. La première est celle de l’échelle micro-individuelle, basée sur la théorie économique néoclassique. Celle-ci considère l’individu comme un acteur rationnel qui prend des décisions rationnelles pour maximiser ses bénéfices(Harris & Todaro, 1970; Lee, 1966). Les théories les plus importantes au sein de cette première perspective sont la théorie néoclassique et la nouvelle économie de la migration. Dans cette première perspective, nous pouvons aussi inclure la théorie dite « push-pull »(Lee, 1966), même si pour plusieurs chercheurs ce n’est pas une théorie en tant que telle, mais plutôt un cadre conceptuel (Piché, 2013, p. 22). La deuxième perspective est celle de l’échelle macro-structurelle, ou structuraliste, qui accorde la priorité aux facteurs structuraux (économiques, culturelles et politiques) qui déterminent les initiatives des individus (Ambrosetti & Tattolo, 2008, p. 3). La théorie du système-monde et celle du marché du travail segmenté correspondent à cette deuxième perspective. Nous pouvons également identifier une troisième perspective, celle du transnationalisme ou des réseaux, qui reprend des éléments de l’une et l’autre tendance tout en tentant de les dépasser.

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1.2.1 La perspective micro-individuelle

La théorie néoclassique part de l’idée que la décision de migrer est liée à un choix rationnel que les individus font en fonction des différences salariales entre un pays et un autre. Il s’agirait donc d’une comparaison entre les coûts et les bénéfices de rester chez soi ou de migrer. Selon Massey et al., « actors estimate expected net returns by taking the earnings anticipated in the destination country and multiplying them by the probability of obtaining and holding a job there, thus deriving an estimate of “expected destination earnings” » (2003, p. 10).

Une des principales critiques à la théorie néoclassique est qu’elle ne prend pas en considération le contexte social dans lequel les migrants prennent leurs décisions et effectuent leurs calculs « rationnels ». Cette théorie néglige les impacts sociaux de la migration et n’arrive pas à expliquer les raisons pour lesquelles les flux migratoires vers les pays riches continuent même si ces pays connaissent des taux de chômage élevés (Joly, 2000, p. 26). D’autre part, ce type de théorie suppose que les marchés respectent le modèle de la concurrence parfaite dans lequel il n’y a pas d’imperfection et où tous ont accès à la même information. Ce modèle suppose que la prise de décision est basée sur une prédiction quant à la maximisation des bénéfices. Or la réalité est plus complexe : les marchés sont imparfaits et la concurrence aussi. De plus, la position de l’individu dans la structure sociale façonne son accès à l’information (Massey et al., 2003, p. 11).

Un regard qui va plus loin que l’analyse néoclassique, mais qui s’inscrit dans le même courant théorique, est celui de la « nouvelle économie de la migration »(Stark & Bloom, 1985). Cette théorie souligne le rôle de la famille au moment de prendre la décision de migrer, le centre d’intérêt étant donc déplacé de l’individu à la famille(Piguet, 2013). Ainsi, « la comparaison entre différents ménages dans la même communauté et l’impression de "privation relative" qui peut en dériver proportionnellement aux écarts socioéconomiques entre les familles constituent un encouragement à l’émigration » (Ambrosetti & Tattolo, 2008, p. 11).

Même si cette théorie invite à tenir compte du contexte dans lequel la décision de migrer est prise, elle reste imprécise quant à l’importance du contexte structurel dans lequel l’individu s’insère. La position de l’individu dans la structure peut exercer une influence importante sur ses choix et sur les ressources et l’information auxquelles il

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aura accès, donc sur les coûts et les bénéfices de toute action. Le changement structurel dans la société peut avoir des effets assez prononcés sur l’augmentation ou la diminution de la probabilité de la migration internationale (Massey et al., 2003, p. 13) et par conséquent entraîner des changements dans la prise de décision au niveau microéconomique.

Enfin, la dernière théorie dans cette première perspective de niveau micro est celle du push-pull(Lee, 1966). Elle considère que les migrations sont le résultat du choix rationnel des individus concernant le rapport entre les facteurs de « répulsion » et ceux d’« attraction » de leurs régions d’origine et de destination. Le modèle push-pull fait essentiellement référence au choix individuel et à un modèle d’équilibre, d’où son association aux modèles micro néoclassiques. Ce modèle a gagné en popularité dans la littérature sur la migration et est devenu un modèle très présent dans le monde de la recherche ainsi que dans de nombreux discours médiatiques et ceux provenant d’organismes internationaux (de Haas, 2008, p. 9).

Comme nous l’avons mentionné plus haut, le modèle push-pull n’est pas considéré comme une théorie, mais plutôt comme un modèle descriptif dans lequel les différents facteurs jouant un rôle dans les décisions de migration sont énumérés d’une manière arbitraire(de Haas, 2008, p. 9). De plus, ce modèle confond les diverses échelles d’analyse (allant de l’individuelle à la structurelle) et ne permet pas d’attribuer des poids relatifs aux différents facteurs qui influent sur la décision de migrer (de Haas, 2008, p. 9). Selon Brachet, le modèle fournit une explication mécanique des flux migratoires qui ne tient pas compte des dimensions sociales et culturelles de la migration et n’arrive pas à exprimer, par exemple, pourquoi les populations les plus pauvres n’émigrent en général pas (Brachet, 2009, p. 54). Comme les modèles économiques néoclassiques, celui du push-pull peut être critiqué pour sa vision irréaliste de la migration en tant que calcul rationnel coût-bénéfice par les individus et son absence de prise en compte des contraintes structurelles. Qui plus est, ce modèle néglige le fait que les individus ont généralement un accès inégal aux ressources (de Haas, 2008, p. 11), et que cet accès inégal s’aggrave davantage entre les hommes et les femmes en raison des rapports sociaux inégalitaires (Auclair, 2016; Lopez Núñez, 2013; Ortega & Ospina, 2012; Ospina, Santacruz, & Vallejo, 2012).

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En général, les théoriciens marxistes considèrent la structure comme étant à l’origine des facteurs qui déterminent le processus migratoire. Nous rentrons ainsi dans la deuxième perspective, la structuraliste. D’après celle-ci, le flux de migrants est une conséquence des politiques des institutions financières internationales et des pays les plus développés sur les sociétés les plus démunies. Selon cette approche, le colonialisme et le néocolonialisme ont déstructuré les sociétés du Sud, « libérant » une main-d’œuvre qui va alimenter les marchés de travail des pays du Nord (Ambrosetti & Tattolo, 2008, p. 7). D’après Castles : « The penetration of multi-national corporations into less-developed economies accelerated rural change, leading to poverty, displacement of workers, rapid urbanization and the growth of informal economies » (Castles, 2008, p. 6).

Un des pionniers dans le développement de ces théories marxistes est Immanuel Wallerstein (1979; 1980), qui est à l’origine du concept de système-monde. Selon Massey, à la suite de l’apparition de ce concept, de nombreux théoriciens (Castells, 1989; Morawska, 1990; Petras, 1981; Portes et Walton, 1981; Sassen, 1988, 1991) ont établi des liens entre les origines de la migration internationale et les structures des marchés globaux plutôt qu’entre la migration et les décisions individuelles ou familiales (Massey et al., 2003, p. 13). En ce sens, il est important de relever la notion d’« équilibre structurel » (Portes & Walton, 1981). Ses effets se reflètent, par exemple, dans l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). La signature de cet accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique a entraîné une restructuration de la production régionale avec comme conséquence la création d’un important réservoir de main-d’œuvre au Mexique même. En effet, en raison des dynamiques déclenchées par l’entrée des acteurs du capitalisme avancé, les calculs individuels de coûts et de bénéfices revêtent un tout autre sens. Ainsi, « migration resolves the inescapable contradiction between the undermining of local autonomy and the increasing diffusion of new consumption expectations in weaker nations without the parallel diffusion of the economic resources to attain them » (Portes, 2008, p. 3).

Une autre théorie s’inscrivant dans la deuxième perspective est celle des marchés du travail segmenté. Cette théorie stipule que ce sont les facteurs d’attraction (pull) qui engendrent la migration et non ceux d’expulsion (push). Par exemple, la migration des Subsahariens vers l’Europe et de Centraméricains vers les États-Unis serait causée par la carence de main-d’œuvre bon marché dans ces deux destinations. En conséquence, la

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