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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

T H E S E

PRESENTEE

A L'ECOLE DES GRADUES

DE L'UNIVERSITE LAVAL

POUR L'OBTENTION

DU GRADE DE MAITRISE EN PHILOSOPHIE

PAR

ANDRE ROBEhGE, L. TH.

UNE _ANALYSE _ CRITIQUE

(2)

i

FOI ET ALIENATION chez henry d uher y

!:TP.CDüCTL·^ :

- Position du problème... 1· - Méthode philosophique·... ... P· 3·

DEVELOPPENT;

Première partie

Définition de l 1 aliénation religieuse:

1- Définition nominale... ...P. 19. 2- Le concept d ’ aliénation chez Feuerbach... . . . p . 20.

3- Influence indirecte de Luther...p, 22. h- Marx reprend Feuerbach...p. 23. 5- Aboutissement, c! ez Nietzsche... ...p. 27.

Deuxième partie

Description de la foi chrétienne par Duméry:

A- Préambule

1- La foi n'est pas un insaisissable...p. 30. 2- La foi est totalité différenciée... p. 32.

3- Une histoire et une psychologie de la foi ne

(3)

B- Modalité du lien entre le factuel et le doctrinal»

1- Les Evangiles sont des interprétations religieuses... p.

38

· 2- Historicité de Jésus... p. U6. 3- Comment Jésus accomplit la Loi et les Prophètes?... p. U7·

h- Pourquoi Jésus est Christ et Seigneur?... ,.p . U9· 5- Réalité de la Résurrection... 50· 6- Comment Jésus devient le Logos Incarné?... .p. 55·

C- Valeur de ce lie n :

1- Le christianisme n'est-il qu'un mythe supérieur?... p.

6

I

4

.· 2- La projection du sacré... p. 65· 3- Polyvalence de la factualité chrétienne... · . · p .

69

· U- Certaines structures mythiques dans les Evangiles... p. 75· 5- La foi chrétienne est mythistoire...p.

76

.

D- Mentalité projective et conscience religieuse:

1- Actualité de la mentalité projective...

.p.

78

. 2- Mentalité projective et Rédemption... p. 81· 3- Plan psychologique...

83

. H- Plan mythologique...p. 8U. 5- Plan institutionnel... . . . p . 86. 6- Plan historique... . . . p . 8?. 7- Globalisme et spontanéité de la f o i · . ... p. 88.

(4)

1 1 X

CONCLUSION:

1- Vérité de la foi c h r é t i e n n e . . . ... . . . p .

96

. 2- Réalité et permanence de la structure projective de la

conscience incarnée... ...p. 97· 3- La foi chrétienne est l'opposé d'une aliénation...·.p . 10iu

BIBLIOGRAPHIE:

Liste des Ouvrages Etudiés... ... ... . . p . 111· Liste des Ouvrages Consultés... . . · · . · . . · · · . · · ··p · 112·

(5)

Historiquement, la religion est à l'origine de la philosophie. Elle sera toujours pour le philosophe matière â réflexion. Ainsi de nos jours, dans la foulée de Hegel, la religion comme telle est con­ sidérée en plusieurs milieux comme une aliénation qui dépouillerait l'homme du meilleur de lui-même au profit d'un être fic t if: Dieu.

Comme home et comme prêtre cette question de l'aliénation re­ ligieuse m'intéresse au plus haut point. Aussi ai-je décidé de la dé­ battre dans ce travail qui, sans se prétendre exhaustif, veut aller quand même au coeur de la question et voir clair davantage, princ!par­ lement à l'aide d'un essai philosophique d'Henry Duméry sur la foi

chrétienne.

(6)

INTRODUCTION

Tenter une approche philosophique de la foi peut paraître disquali­ fié dès le départ aux yeux de certains pour qui ce domaine semble un sur­ naturel suprarationnel, voire irrationnel, réservé à cet énigmatique spé­ cialiste d'un divin tout à fait transcendant, le théologien fidéiste du libre examen par exemple, pour qui la foi est un cri en réponse à. une

sorte de choc invérifiable.

Pourtant, toute l'expérience humaine est soumise de droit au dis­ cernement de la raison critique. A priori, la raison n'est à exclure d'aucun champ d'activité de l'animal raisonnable. En ce sens, la souve­

raineté de la raison est universelle ou n'est pas du tout. Ainsi la foi religieuse n'est pas un intouchable à part: elle aussi est sous la juri­ diction de la raison. Nous verrons comment.

D'autant plus que, depuis Luther surtout, toute une tradition s'est installée en Occident qui prétend encore trop édifier la cité de la foi sur les ruines de la ״putain raison״. La réaction ne s'est pas fait at­ tendre d'ailleurs. Très tôt l'esprit humain se cabre, s i bien que le pro­ grès de la raison implique de plus en plus, dans les milieux intellectuels

allemands surtout, le recul et la disparition de la foi.

Ainsi, pour Hegel, Marx, Nietzsche et Freud, toute croyance reli­ gieuse est une sorte de maladie qui dépouille l'homrre du meilleur de

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lui-même: une aliénation. C'est le tragique faux dilemme: Dieu ou l'homme. H faut choisir: le triomphe de l'u n implique la défaite de l'autre. La religion est un opium.

La foi est-elle vraiment une aliénation pour l'homme? Voilà la ques­ tion débattue dans ce travail. Après avoir défini l'aliénation, ses mani­ festations, ses sources et ses conséquences, nous aborderons la réalité de la foi, telle que vécue et comprise à la base même de la tradition judéo-

chrétienne, pour discerner et décider en guise de conclusion.

La religion de la Bible sera en effet la base principale de nos ré­ flexions. EL ne s'agit pas de bannir ou de mépriser les autres pensées religieuses, l'hindouisme ou le bouddhisme, par exaaple. Mais un choix s'impose, et pour deux raisons principales. D'abord la religion n*est pas un en soi qui existerait en l 'a i r , purement formel. La religion est toujours un vécu de conscience bien concret, positif, incarné, socialisé, institutionnalisé. Ainsi la religion n'existe pas: il y a les religions. Ensuite, il convient de se situer sur le même terrain que les tenants de l'aliénation. Or pour eux, la religion chrétienne,y compris ses fonde­ ments judaïques, est la meilleure religion} entendons: la pire aliéna­

tion. Bref, c'est un cas type.

Nous aborderons donc la catégorie de foi et ses structures en phi­ losophe: avec un esprit ouvert et accueillant, mais désireux de compren­ dre et de discerner. Ne pas confondre les rôles et les méthodes. Ce travail ne se veut ni catéchétique, ni théologiquB, ni apologétique, mais uniquement philosophique. H procédera donc sereinement et objective­ ment, en s'efforçant de ne rien présupposer et sans esprit polémique.

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3

La catéchèse, difficile à définir d'ailleurs, veut proposer l'essen­ tiel de la foi chrétienne en la proportionnant selon les conditions de l'au­ diteur. ¿Ile est fondamentalement une pédagogie de la foi et veut susciter un engagement dans la vie. ;Son premier objectif est non pas systématique et critique (au sens étymologique du mot: le p ! v £

11

/'grec qui signifie ju­ ger, discerner, apprécier), mais principalement pédagogique, lequel est bien sûr important comme tel.

La théologie, pour sa part, participe à l'ordre de la grâce. Elle use en définitive de l'argument d'autorité: celle de Dieu Révélant. Bien entendu la raison peut ordonner et systématiser le contenu de cette foi, en montrer la non répugnance, voire la haute convenance. La raison peut toujours, avec rigueur, en induire ou en déduire une conclusion, probar- ble ou certaine selon le cas.

Mais en définitive, on reste toujours sous l'éclairage de la lumen fid e i: ordre d'évidence qui exige des dispositions spéciales d'esprit et de coeur. Par exemple prenons une conclusion théologique stricte, en théologie catholique: un syllogisme démonstratif nécessaire ou rigoureux, fin ternes aristotéliciens, on dirait une argumentation scientifique ou

analytique et non seulement dialectique. Eh bien même dans ce cas, où le moyen terne est de raison, le principe premier, ou la majeure en langage technique, n'en demeure pas moins rigoureusement de foi i .e . appuyée sur la parole révélatrice de Dieu, telle que vécue et inter­ prétée par l'Eglise, selon sa Grande Tradition, et en vue du salut des hoimies.

En effet, en dépit de ses allures souvent spéculatives et théo­ riques, la théologie poursuit toujours une fin pratique: le salut.

(9)

tre sub ratione salutis, selon un type de vérité et d'intelligibilité qu'on doit appeler sotériologique". (l) Cela va de soi, car la théologie est au service de la foi, laquelle ne trouve sa forme ou sa perfection que dans et par la charité qui doit déboucher sur un faire concret· Bref en dernière résolution, la raison est ici soumise à la foi· St-Thomas lui-même, pourtant ardent protagoniste de l'autonomie de la raison, abon­ de en ce sens. (2)

L'apologétique, de son coté ne sanble pas une discipline tout-à- fait indépendante de la théologie: l'autorité de l'E g lise , la tradition du groupe, en général, y joue un rôle important la plupart du temps.

Dès lors, dans la mesure où ses méthodes - car elles sont nombreuses - participent de la théologie, dans la même mesure elle est à apprécier se­ lon les critères valables pour la méthode théologique elle-même.

Il convient, avec Duméry, de distinguer deux types d'apologétique. La première espèce, la plus connue d'ailleurs sans doute, est celle qui,

au sens étymologique du mot, réfute les adversaires de la foi en montrant la crédibilité et la crédentité de cette dernière· Elle équivaut en som­ me à la troisième fonction rationnelle de la philosophie au service de

(1) H· Duméry: Critique et Religion, Sedes, Paris, 1957· Collection "Pensée", p. 28H.

(2) St-Thomas: Summa Theologiae, Marietti, Rome, 1952.

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5

la théologie, selon St-Thomas dans son De Trinitate ad Boetium. (3)

£n elle-même, cette apologétique n'a rien de répugnant; elle s'avère même nécessaire.

Hais en fait, elle aboutit trop souvent, selon Valéry à: "un horri­ ble mélange de méthode et de stratagème, combine les sentiments et les syl­ logismes, agite les spectres, prodigue les promesses et les menaces, exci­ te tour à tour le bestial et l'id é a l". (U) Duméry note aussi avec justes­ se que tous ceux qui ont à enseigner la foi sont sous la menace de cette déviation. Ün n'est jamais l'unique moyen pour aller à Dieu. Ce prosély­ tisme rétrécissant et dictateur est toujours à éviter. Cette déviation de la religion en une sorte de volonté de puissance fausse la religion mê­ me. Ce danger, d'ailleurs, n'est pas propre à la religion.

La deuxième espèce d'apologétique mérite à peine son nom. Elle est beaucoup plus une psychologie de la fo i. Elle vise objectivement, serei­

nement et sans polémique à reconstituer l'origine et le développement de l'acte de foi dans la c״r.sc !?nce ·lu croyant. Elle se vgut plus désinté­ ressée et plus pure. Et elle l'e s t réellement, même si son analyse des sources, des mécanismes et du fonctionnement de l'acte de foi souhaite secrètement valoriser ce dernier et susciter l'adhésion du récalcitrant ou de l'indifférent. Mais il lui manque, en dépit de la transparence de

(3) St-Thomas, In Boetium de Trinitate, Q 2, art. 3·

Cité et Commenté par H. D. Cnenu, La théologie comme

Science au X IIIe siècle, 2e édition, fro manuscripto, p. 97 (U) Cité par H. Duméry: Critique et Religion, p. 25>U.

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son témoignage, une attitude réflexive critique. De soi, elle n'est que descriptive, a posteriori et de fait.

Pour cette même raison, en définitive, une exégèse, une histoire, u- ne psychologie ou une sociologie de la foi sont intéressantes, nécessaires même, mais nettement insuffisantes comme telles. Ces disciplines spécia­ lisées sont dans la ligne de la première opération de l'e s p rit: la simple appréhension d'Aristote. Elles n'apportent fondamentalement que de l 'i n ­ formation, voire de l'érudition.

De plus, leur point de vue est nécessairement particulier, et même particularisant par méthode. Aussi, quand elles s'aventurent à expli­ quer un phénomène humain, elles ne peuvent toujours éviter une réduction simplificatrice de cette métaphysique en acte, selon le dire de Blondel, très complexe et totalisante. Ainsi le sociologue Durkheim définit-il la religion par le social, comme si elle n'était que cela. Ainsi le psy­

chanalyste Freud définit-il le judéo-christianisme par un complexe de cul­ pabilité, comme s 'i l n'était que ce sentiment de finitude.

Seule une philosophie de la religion peut a priori et de droit, discerner et juger, dans la ligne de la deuxième opération, perfective, de l'esp rit, au nom d'un point de vue ou d'un sens plus universel et plus total. C'est pourquoi elle s'avère nécessaire pour donner, d'un point de vue strictement rationnel, "la perspective du tout sur le tout, tandis que les spécialités positives ne sont que des points de vue fragmentaires sur le tout". (5) Distinguer pour unir, différencier

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7

pour intégrer, tel sera le mot d'ordre d'une saine méthodologie.

La philosophie de la religion, en tant que critique rationnelle du donné religieux, a un rôle spécifique et irréductible. Puisant son information auprès des différents experts des sciences religieuses, el­ le discute en son nom propre et conclut par ses moyens â elle. Reli­ gionum scientiae, ancillae philosophiae: nous pouvons énoncer cette for­ mule, en écartant clairement, cependant, toute volonté de puissance ou de dictature vis-à-vis ces diverses disciplines qui ont à oeuvrer cha­ cune dans son domaine et selon sa méthode. Duméry insiste: "c'est en respectant leurs propres consignes qu'elles se trouveront spontanément concertées et rapportées à la totalité qui leur échappe, totalité que seule la réflexion philosophique peut envisager, sans d'ailleurs l 'a r ­ racher à la vie concrète". (6)

Attirons l'attention, dès maintenant, sur une question de vocalu- laire qui a son importance. L'expression philosophie de la religion est nettement meilleure que celle de philosophie religieuse. Cette dernière en effet donne à penser à une philosophie qui impliquerait des données ou des valeurs religieuses, peut-être même une méthode ou une intention reli­ gieuse. Nous serions en présence, alors, d'une sorte de philosophe théo­ logien ou vice versa, simultanément. Ceci est inadmissible: le philosophe peut et doit revendiquer l'autonomie pleine et entière de la raison. Aus­ si faut-il catégoriquement dissiper toute équivoque possible en choisis­ sant l'expression philosophie de la religion dans le sens de critique ra­ tionnelle de la religion positive; ici la foi chrétienne.

(13)

Plus précisément, nous irons d'abord aux choses mêmes, dans le sil­ lage de la phénoménologie de Husserl, avec Henry Duméry comme guide. No­ tre intention est de comprendre, en le respectant comme tel dans sa spéci­ ficité, ce donné religieux qu'est la fo i chrétienne; effort de compréhen­ sion philosophique et non de dépassement, au sens hégélien du terme par exemple, ou encore de condamnation. La suspension du jugement est dans

ce sens: il n'est pas nécessaire d'avoir pour soi-même à accepter ou à re­ fuser le surnaturel ou les valeurs de vie que le chrétien y découvre. Bref, on analyse le contenu et le s structures de la foi "sans autre but que de maintenir le sens de chaque partie dans l'axe de celui du tout, sans quoi, on traiterait le phénomène religieux non comme religieux, mais comme psychologique, sociologique, moral, politique, e t c .." (7 )· Et il n'est pas nécessaire d'être incroyant pour le faire.

Un bref rappel s'avère nécessaire des trois temps fondamentaux de cette méthode dite phénoménologiqua, pour voir ses forces et ses limites, à dépasser d'ailleurs par la méthode de discrimination. Réduction éidé- tique, réduction phénoménologique, et constitution sont les trois moments, difficiles à délimiter dans le concret, de cette approche dite phénoméno­ logique du vécu religieux de la conscience incarnée.

La réduction éidétique se propose, en présence d'un donné humain, quel qu'il soit, d'éliminer ses éléments empiriques contingents pour at­ teindre son "¿·'iSci", son essence, nécessaire et universelle. On procé­ dera alors sans construction ou systématisation a priori à la Kant, par

(7) H. Duméry, Phénoménologie et Religion, P .U .F ., 1962. Collection Initiation Philosophique, p. 96,

(14)

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intuition immédiate pour arriver à cette essence qui est signification à décrire ou à dévoiler. Selon Gaston Berger, cité par Duméry, cette intui­ tion des essences est ״compréhension d'un sens", (8) laquelle se fait par lecture immédiate, i .e . sans intermédiaire entre le sujet et l'o b je t.

Husserl veut faire de la philosophie une science. Aussi veut-il clairement dépasser le psychologisme subjectiviste et le naturalisme ob- jectiviste. C'est pourquoi sa phénoménologie veut pénétrer les faits de conscience "non plus comme des événements empiriques, externes ou inter­ nes, mais comme des essences qui emportent avec elles nécessité, univer­ salité, impersonnalité"· (9) On dépasse alors les particularités du si*־ jet psycho-physiologique, pour arriver à l'universel intelligible. Et l'intuition des essences est la voie obligée, seoondée et parfaite par la

réduction phénoménologique, qui met entre parenthèses le mode d'être du monde réel concret avec ses contingences singulières. Nous y reviendrons.

Au juste, qu'est-ce que cette intuition qui atteint l'essence? Son rôle en effet est capital et l'expression a un sens technique précis. In- tuitionner l'essence, avons-nous dit, c'est saisir le sens ou la significa­ tion, et non pas corane un objet externe ou interne. Voir une signification ne peut vouloir dire que la comprendre: c'est entendu. Même si Husserl est avare de commentaires plus explicatifs, pour lu i, intuition veut dira inten­ tion ou intentionnalité. Face aux objets, la conscience en effet ne se les assimile pas; elle les écarte mâne au contraire, elle prend ses distances face à eux. Elle ne s'unit pas aux objets; elle les vise, elle tend vers

(8) H. Duméry, Critique et Religion, p. 137. (9) H. Duméry, Critique et Religion, p. 137.

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eux: elle est de nature intentionnelle, voilà.

Rechercher ainsi les essences peut faire avancer la science de la religion. D'abord on dépasse en effet le donné mpirique, soit extérieur, soit intérieur. Aussi et surtout, chaque genre d'activité humaine étant spécifique et donc à décrire comme telle, "on peut prévoir l'élaboration d'une phénoménologie religieuse qui aura son économie propre et se trouve­ ra spontanément configurée à l'univers du sacré en ce q u 'il a d'original et d'irréductible". (10) Ce serait en effet se méprendre que décrire la religion, ici la foi chrétienne, de la même façon que la science, l 'a r t ou la morale. Nous l'avons déjà dit; il faut insister. Cette intuition du

sens refuse toute analyse qui resterait à l'extérieur du phénomène reli­ gieux. La méthode de recherche doit s'adapter à l'objet étudié et le res­ pecter dans sa particularité. Sympathie, pour ne pas dire empathie, et souplesse sont de mise chez le phénoménologue.

La réduction éidétique n'est pas toute la méthode phénoménologique. Sans l'apport capital de la réduction phénoménologique, l'intuition des essences peut facilement aboutir au psychologisme. Il ne suffit pas d 'é­ liminer le factuel empirique et contingent peur dégager 1s sens, il faut aussi dégager et valoriser l'égo transcendental, en mettant entre paren­ thèses le monde lui-même. On ne supprime pas le monde, attention. H devient un tout intentionné ou visé par 1s "je" qui se sait désormais

au-dessus du monde, tout en y participant. Le monde n'est alors "qu'un

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ensemble d'objets intentionnels dont le sens vaut pour le moi comme sub­ jectivité pure". ( I l ) La réduction phénoménologique veut en quelque sor­ te donner à l'homme un regard nouveau, au moins purifié. Elle est une

sorte de conversion intellectuelle. La seule attitude humaine authenti­ que face au monde est non pas d 'y communier naïvement, tel le bon sauva­ ge de Rousseau, mais de s'en déprendre pour le comprendre. Or c'est la conscience qui lui donne son sens, sans construction, mais par intuition.

Même si cette réduction phénoménologique suspend tout jugement de réalité et de valeur, en réservant le caractère surnaturel de la reli­ gion positive, son but premier n'est pas d'éviter le piège de l'immanen- tisme, mais d'inviter le sujet à découvrir son esprit comme un donneur de sens. Bien noter que ce sens universel dégagé ne perd pas contact avec le singulier; au contraire, c'est là, dans le singulier qu'il se révèle. Ainsi la réduction phénoménologique est libératrice: elle em­ pêche l'homme d'être fasciné par le monde qu'elle veut lui faire décou­ vrir sous son vrai jour, l 'y situer, et lui faire faire "l'expérience du sens, ce à quoi se résume toute la destinée humaine," selon le mot de Duméry. (12) C'est le rejet du naturalisme fataliste, inconscient

et passif, où l'homme est comme perdu et aliéné dans le monde. Le "je" veut se tenir debout, indépendant et libre devant le monde qu'il vise.

Il articule ainsi beaucoup plus facilement les fonctions corps, monde, autrui. Ainsi un chrétien en situation peut investiguer phénoménolo- giquement la constitution de sa fo i. H tâchera de découvrir le sens

11

(11) Critique et Religion, p. lU2„ (12) Critique et Religion, p. lU7»

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que les mystères chrétiens ont pour lui ou encore "puisque le mystérieux se problématise pour la conscience, le lien qui unit la valeur de ces mys­ tères et les structures expressives où elle s'incarne". (13)

Pour définir enfin le temps dit de la constitution, approfondissons cette fois une formule de Gaston Berger: "Etudier la constitution d'un ob­ jet, c'est voir à quelle intention de l'ego transcendental il correspond, voir comment ses aspects donnés et ses horizons potentiels étaient impli­

qués par la nature même de cette intention", (lli) Qu'es־t>-ce à dire? Ce­ la équivaut à définir 1 ' intentionnalité qui pose l'objet comme terme de visés. Bien voir alors ce qui est implicitement visé, et non seulement ce qui est intentionné explicitement. Autrement dit, bien rapporter au sujet toutes les intentions authentiquement siennes, les virtuelles com­ me les actuelles. Ainsi, dans le cas de l'objet religieux, la recherche dite constitutive déterminera, ou mieux révêlera, les intentions de l 'e s ­ prit (ego transcendental) de l'homme religieux qui se référé aux réalités du monde du sacré.

Réduction éidétique, réduction phénoménologique, constitution: voi­ là les trois temps fondamentaux de la méthode phénoménologique. Ces trois démarches ne sont pas des actes bien séparés les uns des autres, mais plu­ tôt comme trois niveaux d'une même vie intentionnelle. La phénoménologie, effort de compréhension, permet donc d'arriver aux essences directement et concrètement, de dégager la signification d'une réalité, de bien situer le sujet comme libre donneur de sens, au centre des phénomènes. En dépassant

(13) Critique et Religion, p. l5l» (lU) Critique et Religion, p. 150.

(18)

13

1 ' épistémologie, elle s'oriente vers la métaphysique, mais n'ose en fran­ chir le seuil.

Méfiants en effet vis-à-vis l'ontologie et l'histoire, la majorité des phénoménologues décrit mais ne décide pas. Or la description, même compréhensive, s'avère insuffisante: elle réserve trop son jugement. Et une authentique philosophie de la religion implique une judication, i .e . un effort de discernement critique, car juger est de droit la fonction du philosophe. D'ailleurs, le jugement, même s 'i l est laborieux et fa illi­ ble, n'est-il pas l'opération perfective de l'esprit humain?

La philosophie peut et doit apprécier, mais à condition, et ceci est capital, de prendre une conscience nette de ses présupposés et de les dire, de contrôler aussi si la teneur des conclusions est la même que cel­ le des principes, de reconnaître enfin l'irréductibilité de la pratique à la critique. Même si elle doit préciser les conditions de possibilité et de validité de l'acte de fo i, elle n 'a pas le droit de réduire l'acte lui- même à ces conditions; elle ne peut en droit l'absorber ou le dissoudre

dans leur élucidation théorique. La science morale n'est pas la morale vécue, même si elle peut l ' éclairer. La critique de la religion n'est pas non plus la religion vécue, même si elle peut dégager sa significa­ tion. Sans confondre faire et savoir, la réflexion se voudra ainsi coex- tensive toujours à l'expérience humaine. Même l'universel n'est percepti­ ble que dans et par le singulier, il n'existe jamais à l'état pur hors le singulier.

Mais objectera-t-on, ce projet de tout assumer, sans rien édifier en dehors de la vie, peut étouffer la systématisation. C'est vrai, mais

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faut-il le regretter? La philosophie aura une tâche en apparence moins grandiose, mais tout aussi réelle et efficace de par sa fonction criti­ que. Le philosophe arrive toujours après coup, après le donné* Sa târ- che est de ressaisir le sens déjà proféré et institué· "Plaçons-nous donc devant le fait du langage, celui des grands mythes collectifs, ce­ lui des arts, des sciences, des religions. Les étudier, les analyser, les juger, telle est la tâche du philosophe". (15) Rendre compte des institutions, au sens large, non seulement des notions: tel est son rô­ le. Or la religion est une de ces institutions.

Discerner est donc nécessaire. D'ailleurs, prétendre atteindre les choses en elles-mêmes, sans absolument aucune idée préconçue derriè­

re la tête, c'est se duper soi-même royalemento Une certaine "naïveté" est nécessaire, j'entends par là l ' épochè de Husserl qui refuse les pré­ ventions. Une autre est toutefois condamnable, celle qui accepterait ta­

citement les préjugés et les prétentions d'une conscience non éduquée. Vouloir atteindre les choses dans leur "brutalité" - tout homme arrive toujours trop tard pour le faire, - c'est ignorer que le sens commun, préphilosophique et précritique, est un organisateur né qui s'ignore.

Ainsi en est-il de même en religion. Vouloir étudier le phénomè­ ne religieux sans aucun instrument d'interprétation, entendons sans phi­ losophie, c'est se méprendre sur soi-même et se faire illusion. En te­ nant à rejeter la philosophie "on substitue simplement à une pensée plus fine, souple et riche, une philosophie de primitif", (l6) On veut en

(15) Phénoménologie et Religion, p. 100. (16) Critique et Religion, p. 179.

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quelque sorte reculer dans le spontané· D'autant plus que le refus de la philosophie est déjà une prise de position philosophique ou du moins qui implique des présupposés d'ordre philosophique. Bref on a toujours une philosophie d'irapliquée dans nos présupposés, lesquels sont d'autant plus dangereux qu'ils sont souvent inconscients. Qui est vraiment neutre à cent pour cent, de ce point de vue? La virginité métaphysique est impos­ sible. Tout homme a une certaine conception, au moins virtuelle, du "moi". Toute conscience comme telle est orientée.

Aussi le critique, au sens strict, est "celui qui connaît ses postu­ lats et qui les juge; celui qui non seulement sait, mais sait qu'il sait et comment il sait". (17) Il ne cache pas son recours à une philosophie, il veut la tirer au net, pour dire simplement et franchement le pourquoi de ses acceptations et de ses refus, sans jouer aux incorruptibles suppo- sément purs de tout préjugé. En ce sens, une approche philosophique de la fo i chrétienne n'est que normale, si on envisage cette dernière comme un donné humain, une expression de conscience et non comme une réalité céleste aux valeurs purement transcendantes.

Sans donc rien ajouter ni rien enlever â l'objet religieux, la philo­ sophie ou la critique de la religion s'avère nécessaire pour qui veut com­ prendre. La religion dira-t-on est essentiellement un faire. C'est vrai, mais il faut comprendre. L'idéal serait de ne faire que ce que l'o n a vu

comme étant à faire, sans prétendre toutefois, comme Hegel dans sa Phéno­ ménologie de l'E s p r it, à la supériorité de la philosophie sur la religion.

Nous ne voulons pas donner ici à entendre, en effet, q u 'il y aurait comme

(21)

deux sortes de religion. La première serait exotérique, accessible à la masse, située au niveau du faire spontané et non éclairé. Et la seconde, meilleure, la seule valable même, serait un pur savoir ésotérique qui se dispense du faire concret. Ne jamais oublier que l'action et la réflexion se vivijfient réciproquement et qu'une idée vraiment bien comprise c 'e s t u- ne vie changée.

Il importe ici de se résumer avant d'entrer dans le coeur de notre sujet de réflexion, £ savoir si, du point de vue du philosophe, la foi chrétienne est une aliénation. Le climat se veut ici non de réflexion complice "qui consiste à se regarder comme un objet de curiosité sans se modifier," (

18

) mais de réflexion purifiante, "qui avec clairvoyance et

résolution veut remettre le sujet en possession de son acte et de ses responsabilités, l'amenant à se libérer de toutes les complaisances et de toutes les fascinations". (19) Tandis que la réflexion complice demeure abstraite et impersonnelle, la réflexion purifiante m'aide â ־voir ce que je suis et à vouloir ce que je dois être. Selon une expression de Fran­ cis Jeanson commentant Montaigne dans sa " Phénoménologie11, notre esprit se veut "une pratique de soi" compréhensive et libératrice; bn?f: phéno­ ménologique.

Sans négliger l'apport des disciplines positives, en particulier l'histoire, nous tenterons une description des structures de la foi selon une méthode de compréhension en ajoutant à la phénoménologie proprement

(18) H. Duméry, Regards sur la Philosophie Contemporaine, Casteman, Paris, 195>7j p. 189.

(19) H. Duméry, Regards sur la Philosophie Contemporaine, Casterman, Paris, 195>7j P· 189·

(22)

17

dite une ontologie qui fonde la description même dans le dynamisme spiri­ tuel. L'histoire d'abord s'avère indispensable pour manifester l'origine même du sens. La compréhension elle, réserve la question de la valeur ul­ time de la fo i; avec son intentionnalité, elle respecte la sphère du sacré, sans subjectivisme; en intuitionnant les essences, elle découvre la signi­ fication d'un phénomène; par son approche des problèmes de constitution, "elle répère les différentes couches de sens qui s'amalgament dans l'acte intentionnel". (20) Une ontologie permet enfin une judication, avec sa conception du moi et des différents niveaux de conscience, car cette der­ nière nous saible rien d'autre, avec Duméry:

"qu'une exigence de libération de soi par voie de réflexion et d 'a c­ tion. En conséquence, toutes cho­ ses sont à juger d'après cette exi­ gence„ Les étapes de la libération de soi deviennent les degrés d'être et de vérité. Ou encore, la vérita­ ble hiérarchie des valeurs est celle

qui correspond aux différaits moments de cette conversion". (21)

(20) Critique et Religion, p. 221. (21) Critique et Relirion, p. 206.

(23)

DEFINITION DE L'ALIENATION RELIGIEUSE.

1- Définition nominale.

2- Le concept d'aliénation chez Feuerbach.

3- Influence indirecte de Luther.

U- Marx reprend Feuerbach.

(24)

19

La fo l chrétienne est-elle une aliénation? D'après Foulquié, (22) le mot français aliénation dérive du mot latin alienus qui signifie en tout premier lieu: autre, étranger. Un sens juridique s'est peu â peu ajouté pour exprimer: dépossession d'une chose ou encore privation d'un droit. On rencontre encore couramment ces expressions: aliénation d ,un droit ou droits inaliénables, e t c ... Une connotation médicale fait en­ suite son apparition: aliéné signifie malade mental. Beaucoup plus tard seulement, chez les allemands, ce terme prit une signification éthique et philosophique. Pour Hegel s'aliéner signifie devenir autre, devenir plus, se dépasser, dans le sens d'un perfectionnement. Mais pour Feuer- bach et ses disciples, dont Karl Marx, un homme est aliéné s 'i l est es­ clave des choses extérieures à lui, soit l'argent, soit Dieu par exemple. Plus près de nous, mais dans la même foulée, Roger Garaudy explique: "L 'a ­ liénation c'est le dédoublement de l'homme qui, ayant créé des symboles ou des institutions, ne les reconnaît plus canne produits de son activité, mais les considère comme indépendants de son humanité et inaccessibles à son action". (23) Dans son Vocabulaire technique et critique de la phi­ losophie, Lalande abonde aussi en ce sens. Pour Feuerbach et sa descen­

dance, la plus profonde aliénation c'est la religicn. L'homme aliéné n'est autre chose que l'homme frustré, dépossédé par un autre, Dieu, de ce qui lui revient de droit, comme homme. Cette phrase de Feuerbach ré­ sume bien sa théorie de l'aliénation religieuse: "Plus vide est la vie et plus riche, plus concret est Dieu. C'est par un seul acte que le

(22) Foulquié, Paul. Dictionnaire de la langue philosophique. P .U .F ., Paris, 1962, p. 18.

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monde est vidé et que la divinité trouve sa plénitude* Seul l'homme pau­ vre a un Dieu riche21) ·״».) La religion chrétienne, comme toute religion d'ailleurs, dépouille l'homme du meilleur de lui-mône · Plus l'homme est riche, plus son dieu est pauvre et vice versa.

Chef de file de la gauche hégélienne révolutionnaire, Feuerbach con­ centre sa réflexion sur le problème de Dieu. Son intention rejoint celle de son compatriote et ami David Strauss qui veut expliquer les débuts du christianisme. Strauss veut rendre compte par l'histoire de l'illusion chrétienne; Feuerbach veut rendre compte par la psychologie, de l'illu sio n qu'est toute religion en général. Dans sa Vie de Jésus l'historien avance en substance que les récits évangéliques sont des mythes où s'expriment les aspirations des Juifs. Dans son Essence du Christianisme, le psycho­ logue dira, dans la même ligne, que Dieu est un mythe qui exprime les as­ pirations de la conscience humaine. “Qui n 'a pas de désirs, n 'a pas non plus de dieux. Les dieux sont les voeux de l'homme réalisés". (25) Cet­ te dernière expression signifie ici qu'on leur attribue à ces "voeux dieux" une existence réelle - qu'ils n'ont pas du tout - extérieure à l'homme, autre que lui-même, concrète.

Pour rendre compte de cette théogonie, ou fabrication de dieux,

Feuerbach emprunte à Hegel le concept d'aliénation. Mais, pour ce dernier, c'est l'Esprit Absolu qui s'aliène, i .e . s'extériorise et se perd dans le

(21*) Collaboration: L'Athéisme dans la Philosophie Contemporaine, Desclée, Paris, 1970. T. Vol. 1, p. 159· (25) Cité par Henri De Lubac dans: Le Drame de l'Humanisme Athée,

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21

monde matériel pour se ressaisir plus tard en plénitude. Feuerbach, lu i, renverse cette relation de l'idée au réel pour l'appliquer â l'homme con­ cret. L'aliénation devient alors la situation de l'homme "dépossédé de quelque chose qui lui appartient par essence, au profit d'une réalité il­ lusoire". (26) Les grands attributs qui sont l'être même de l'homme, l 'i n ­ telligence, la volonté, la liberté, l'amour, la puissance, la bonté, e t c ... l'affectent comme si c'était un autre être. Alors l'homme les projette donc comme spontanément hors de lui-même, les objective en créant un être fantasmagorique, auquel il les attribue, et pur produit de son imagination

qu'il nomme Dieu. H nie en lui-même ce q u'il affirme de Dieu. La reli­ gion n'est rien d'autre qu'un vampire de l'humanité qui se nourrit du sang et de la chair même de l'homme.

H ne peut en être autrement poursuit Feuerbach, fidèle en cela à son maître. La religion a été une forme essentielle de l'esprit humain. Sans cette relation à un dieu extérieur, l'homme ne se serait pas perdu ni donc retrouvé par la suite. Ce dédoublement par la religion était pour ainsi dire la voie obligée des retrouvailles de l'homme finalement pleinement conscient de lui-même, récupéré, intériorisé. Moment néces­

saire dans l'histoire de l'humanité, il n'en doit pas moins être mainte­ nant dépassé. H faut exorciser le démon car le règne de l'homme est désormais arrivé, celui de la réflexion et de la liberté. Le pivot de l'histoire humaine sera ce moment où l'homme découvrira que le seul dieu de l'homme n'est nul autre que l'homme même. Dans la pensée de

(26) Daniélou, Jean. La foi en l'homme chez Marx.

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Feuerbach, Dieu n'est que l'ensemble des qualités qui font la majesté et la transcendance mêmes de l'homme. En ce sens, le Dieu du christianisme l'e s t par excellence: la foi chrétienne est la religion la plus haute, en­ tendons l'aliénation la plus forte. Le Dieu de Jésus-Christ est le par­ fait miroir de l'homme.

On ne soulignera jamais assez ici, l'influence formidable de Hegel, cet Aristote des temps modernes. D'une part sous l'influence directe du romantisme et probablement aussi du célèbre chapitre sur la religion ci­ vile du Contrat Social de Rousseau; d'autre part, en réaction contre la

pensée religieuse de la tradition protestante luthérienne qui étouffe la raison et la liberté, il en vient à développer le fameux thème, dans sa Phénoménologie. de la dialectique du maître et de l'esclave qui sous-tend toute la critique marxiste et nietzschéenne de la religion. H se met alors à comparer le citoyen grec dont la destinée s'accomplit "à ni­ veau d'homme, dans l'immanence de la cité, dans la belle harmonie, à A- braha-n le nomade, esclave errant au gré des volontés arbitraires de son naître du ciel, le Dieu transcendant de l'Ancien Testament qui est aussi le Dieu du Christianisme". (27) Il faut donc démasquer ce maître, car ce n'est pas lui vraiment qui aliène, mais c'est bien plutôt l'aliénation qui crée la figure du maître. Cette dernière est une réification du pro­ cessus d'aliénation qui se raffermit par la chosification même.

A la base, l'héritage du protestantisme de Martin Luther est res­ ponsable au premier chef de cette façon de concevoir les relations entre l'homme et Dieu, lesquelles sont en effet développées non pas à partir

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de la condition de créature, nais à partir de l'état de péché. Déjà il y a comne une idée d'opposition entre l'homme et Dieu, et non de participa­ tion. Avec la disparition de la spiritualité luthérienne et de sa fo i en Dieu, ne restera que 1 1antogonisme homme-Dieu avec son alternative inéluc­ table. Des lors en effet, au sein de la créature, transcendance et imma­ nence entrent en conflit. L'immanence veut absorber une transcendance qui l'a lièn e. C'est la conclusion même de Feuerbach que reprendra le jeu­ ne Marx: seul le matériel compte vraiment pour l'homme. En réaction con­ tre l'idéalisme, la recherche de l'immanence trouve une formulation maté­

rialiste.

Chez Marx, l'athéisme est, comme une option, antérieur à sa conver­ sion au matérialisme. Sa thèse sur Démocrite et Epicure est explicite la- dessus. "La philosophie fait sienne la profession de foi de Prométhée: en un mot j 'a i la haine de tous les dieux. Et cette devise, elle l'oppose à tous les dieux du ciel et de la terre qui ne reconnaissent pas la conscien­ ce humaine comme la divinité suprême". (28) Mais bientôt Marx emprunte à Feuerbach sa théorie de l'aliénation qui le séduit. Il en fait son idée maîtresse dans sa critique de la religion. "Le forriement de toute la cri­ tique religieuse est celui-ci: l'homme fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme". (29) Cet extrait du Capital est sans équi­ voque; il faut ramener l'homme à l'homme.

Mais Marx reproche à Feuerbach de raccrocher la religion à l'homme individuel, "abstrait". Pour l'auteur de la septième thèse sur Feuerbach,

(28) L'Athéisme dans la Philosophie Contemporaine, p. 152. (29) L'Athéisme dans la Philosophie Contemporaine, p. 161*

(29)

le sentiment religieux est un produit social qui reflète la condition de la société. En effet, la critique de la religion de Marx, - pour lui c'est la condition même de toute critique, - 11 la fait d'abord au niveau sociologique. La critique sociologique prétend établir le rôle social de la religion, qui est toujours celui d'une force conservatrice et réac­ tionnaire. C'est la signification évidente de son célèbre leitmotiv:

"la religion est l'opium du peuple". Elle promet le bonheur pour l'au- delà, elle empêche l'homme de travailler efficacement à l'amélioration de son sort ici-bas, en prêchant la patience et la résignation. Aussi la suppression de la religion, ce bonheur illusoire, est nécessaire au bonheur réel et actuel de l'humanité.

Marx passe ensuite au plan psychologique et cherche l'origine de l'idée de Dieu. Cette dernière vient, selon lui, d'un sentiment de fai­ blesse que l'homme éprouverait, soit en présence d'une nature qu'il n 'a pas encore réussi à dompter, et c'est le cas du primitif, soit en vivant au sein d'une société qui l'écrase, c'est le cas du travailleur dans un système capitaliste. Pour désigner le produit d'une société opprimante, l'expression "l'opium du peuple" prend un sens plus précis et plus pro­ fond. Expression de la misère réelle, la religion est en même temps pro­ testation contre cette misère. Expression car l'homme dépendant person­ nifie sous les traits d'une divinité transcendante, la force matérielle qui le subjugue. Protestation car l'homme malheureux ici-bas projette sa soif de bonheur dans un au-delà, voulant comme se consoler par l ' i ­ magination d'un bonheur futur. De là on peut conclure à la disparition de la religion, une fois la misère abolie. Et même selon Engels, en 18£0, ce processus est si avancé q u 'il peut être considéré comme terminé.

(30)

La critique dialectique, enfin, permet à Marx de détecter l'essence même de la religion: c'est une aliénation. La religion est cette attitu­

de par laquelle l'homme se vide de lui-même et transfère le meilleur de lui-même au fantôme d'un Dieu dans l'au-delà, qui veut bien concéder à

son tour une part de son superflu à l'homme qui lui doit obéissance.

Mais en niant Dieu, l'athéisme pose l'existence de l'homme. Entendons i- ci par existence une vie pleine, autonome, libre de toute subordination. L'athéisme est négation d'une négation: il a donc un résultat positif, en instaurant l'humanisme véritable où l'homme s'appartient totalement.

A partir de Feuerbach se développe donc une nouvelle forme d'athéis­ me qui triomphe, selon toute apparence, chez les philosophes du XXe siècle, lesquels en même temps n'osent traiter des questions d'ontologie fondamen­ tale posées par l'athéisme. La préface de la première édition de l ' Essen­ ce du Christianisme donne déjà le ton: l'auteur explique clairement qu'il va traiter de la théologie comme d'une pathologie psychologique. Voilà, la critique de Feuerbach et de ses disciples, face à la religion chré­ tienne ou autre, est toujours d'ordre psychologique et sociologique. L 'a ­ théisme contemporain ne se donne pas sérieusement la peine de se penser comme une cosmologie athée. EL néglige les problèmes fondamentaux: il semble prendre pour acquis ce qui justement fait question.

Pourquoi cela? Avec Occam, Luther et Kant, la foi devient fidéisme. Aussi l'id ée se propage-t-elle chez les philosophes que !'existence de Dieu ne peut être démontrée avec certitude par la raison humaine qui ré­ fléchit sur le monde. Dieu, même dans son existence, est un objet de croyance ou d'option seulement. La foi devient sentiment religieux fa­ cultatif et indémontrable en aucune façon. Fort curieusement, cette

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corruption du monothéisme amène une sorte de corruption de 1 ׳ athéismes le fidéisme religieux amène une sorte de fidéisme athée. Et aujourd'hui nous vivons tous plus ou moins dans ce double atmosphère. A quoi bon traiter des problèmes d'ontologie que soulève la philosophie athée, puisque Kant,

avec sa Critique de la Raison Pure a établi depuis longtemps que ces ques­ tions ne sont pas traitables rationnellement. Ce sont des questions dia­ lectiques, dirait ici un Aristote. Presque toujours, un athée marxiste à qui on signale les problèmes métaphysiques posés par son athéisme se ré­ fugie plus ou moins dogmatiquement sous la mante du philosophe de Koenigs- berg. Tels sont Lénine et Staline.

De toute façon, le marxiste doit dépasser l'athéisme. Le jour où l'homme se sera pleinement réalisé par cette autocréation qu'est la praxis, il jouira totalement de sa propre divinité: la question de Dieu ne se pose­ ra même plus. Une lutte théorique par des arguments philosophiques est l i ­ mitée, insiste Marx. Elle doit être complétée par une négation pratique.

C'est comme si Marx disait: l'homme se divinisera pratiquement par le tra­ vail et il verra bien que Dieu c'est lui. En théorie et en fait, dépasser l'athéisme par la praxis ne signifie pas l'atténuer, mais bien plutôt le renforcer. Selon cette expression de Georges M. H. Gottier:

"L'homme qui est devenu pratiquement, existentiellement son propre maître et son propre centre n 'a plus besoin de Dieu. Dieu est pratiquèrent exclu de sa vie et par là, de l'horizon de sa pensée, puisque la théorie de la transcendance n'était qu'un reflet du déchirement de l'homme. L'athéis­ me est donc pensé en termes d'éthique: Dieu est incompatible avec la fin sa­ turante de la vie humaine, qui est l'homme lui-même". (

30

)

(32)

L'homme marxiste est donc cette puissante volonté d'immanence qui veut tou­ jours être " causa sui" par la science et la technique. Ainsi la loi de la charité, le coeur de la foi chrétienne, endort l'homme en le nourrissant d'une tiède bouillie sentimentale. La morale chrétienne est contre nature: elle nie ce qui est spontanément humain et jeune. Pour nous en convaincre, Marx nous invite â. regarder les personnages d'Eugène Sue. L'affirmation

chrétienne du spirituel calomnie et nie le corps: à preuve les moines ma­ sochistes. La morale sociale du christianisne prêche la lâcheté, le mé­ pris de so i, l'amollissement, l'humilité, bref toutes les qualités de la canaille.

Cette castration des saines énergies de l'homme annonce déjà Nietzsche pour qui l'origine de l'idée de Dieu est la suivante: "L'homme n 'a pas osé mettre sur son propre compte tous les moments les plus forts et les plus

étonnants de son existence...la religion est le produit d'u n doute concer­ nant l'unité de la personne...il a découpé et mis â part 19S deux côtés, dont l 'u n était très misérable et l'autre très puissant et très étonnant, et il a appelé le premier "homme" et le deuxième "Dieu". (31) La religion est une sorte de dédoublement psychologique. Pour l'homme religieux la nature est vile et remplacée par la contre nature par excellence: Dieu· Le concept de Dieu est le concept même de l ' anti-vie. Ainsi la foi en une providence prédestinatrice et toute puissante anéantit la raison et la volonté libre; l'égalité des hommes, tous frères et à l'image de Dieu, conduit â la ruine de l'espèce; la morale, fondée sur la croyance en Dieu invertit les instincts naturels. C'est encore la théorie de l'aliénation

(33)

qui sous-tend la critique du prophète de la mort de Dieu et son amour du surhomme*

Une bonne part de ce que Nietzsche clame prophétiquement, Marx et Feuerbach l'avaient exprimé avant lui, quoique moins pathétiquement· Nous somnBs aujourd'hui comme habitués à ce qui, pour lui inoui, est pour nous notre pain quotidien. Non seulement le Dieu de Jésus-Christ, mais même le Dieu de la religion naturelle est pour les philosophes d'aujourd'hui un être dont ils ne savent pas ou ne veulent pas dire le nom. Comme le signale Von Balthasar: "L*Aufklärung le prononçait avec tant d'applica­ tion que cela touchait à la légèreté; aujourd'hui, lorsqu'il surgit par mégarde dans un article de journal, ou dans un discours, il rend la plu­ part du temps un son faux ou creux". (32)

Même, on nous affirme de partout avec insistance que l'athéisme, c'est la rationalisme et qu'en dehors de l'athéisme il n 'y a pas de l i ­ bération possible pour un rationaliste logique, que le rationalisme amè­ ne nécessairement à l'athéisme et que, en conséquence, le monothéisme aussi est un irrationnel qui relève de la foi et non de la raison. Com­ ment, encore, à l'époque des satellites, garder raisonnablement le Dieu des Hébreux? L'homme du XXe siècle ne doit-il pas enfin apprendre à se tenir debout?

(32) Von Balthasar, H. Urs, Dieu et l'Homme d'Aujourd'hui, Desclée de Brouwer, 1966,

(34)

D E U X I E M E C H A P I T R E

DESCRIPTION DE LA FOI CHRETIENNE PAR DUM2RY.

1- La foi n'est pas un insaisissable.

2- La foi est totalité différenciée.

3- Une histoire et une psychologie de la fo i ne suffisent pas.

(35)

Après cette explication du concept d'aliénation, la cjiestion se fait plus significative et plus pressante: la foi chrétienne est-elle une aliénation? Nous traitons ici uniquement de la foi chrétienne, pour les raisons déjà mentionnées, et selon la méthode exposée au début et appli­ quée par Henry Duméry dans son deuxième tome de sa Philosophie de la Reli­ gion réservé à une analyse critique de la catégorie de f o i · Comment abor­ der la fo i pour en dégager la signification? Le champ de la foi est si vaste, en effet, qu'un seul acte de foi implique pratiquement toutes les assertions de la religion positive: tout comme l'esprit humain, la fo i est une totalité vivante. On ne peut la dire tout d'un coup: il faut y aller par étapes· Sans perdre de vue la totalité, il faut la démonter en quel­ que sorte pièce à pièce: pour nous, la problématisation de mystère est la voie obligée vers une certaine clarté.

Mais attention, totalité n'est pas synonyme de confusion. Même si la totalité de la foi n'est pas œlle d'un théorème de géométrie, d'un é- noncé métaphysique ou d'une proposition morale, elle est pourtant réelle parce que son acte récapitule plusieurs démarches en visant toutefois un terme unique. Son intention est unique alors que sa matière est diverse. Et précisément, le critique a pour fonction de différencier le donné de foi. Ce que le croyant synthétise, spontanément d'ailleurs, en une sorte d'unité, le critique doit l'analyser en le répartissant sur des plans hié­ rarchisés· La devise sera distinguer pour unir· Autrement le contenu de la fo i est une réalité insaisissable et inassimilable· Supposons par exemple un observateur étranger au christianisme. Un premier contact a- vec la fo i chrétienne a de quoi le stupéfier. L'esprit de participation, prélogique et précritique semble envelopper cette totalité bizarre et

(36)

31

hétéroclite. Notre observateur:

"se demande malgré lui comment une égale ferveur peut tomber indistinc­ tement sur ce mélange de faits, d'i­ dées, d'images, d'impressions, de comportement et de réflexions. On réclame de lui une adhésion incondi­ tionnée, et on offre une pantologie bigarrée. S 'i l refuse, il ne pense pas scandaliser; au contraire, c ’ est lui qu'on scandalise". (33)

Cette expérience est invoquée pour mieux manifester l'exigence radicale de la méthode critique: bien spécifier les niveaux noétiques pour chaque donnée.

Mais la situation se complique car la foi monolithe devient vite la foi caméléon. Critiquée en bas de son édifice, elle se réfugie vers le haut: attaquée en haut, elle retourne vers le bas. Ce jeu de cache-cache peut durer indéfiniment. C'est pourquoi Brunschvicg dans le Progrès de la Conscience soutient que la foi chrétienne défie toute tentative "soit d 'a ­ pologétique, soit de réfutation, qui commencerait par postuler une inter­ prétation unilinéaire de son contenu spéculatif ou de son orientation pra­ tique". (3U) Le christianisme serait bel et bien insaisissable de par la multiplicité mouvante de ses facettes.

Sans trancher tout de suite la question, nous pouvons constater que la foi est une puissance d'intégration qui accueille des éléments souvent fort disparates: le concept du Dieu Trine se rencontre â la fois en Occi­ dent et en Orient; l'idée du Logos est platonicienne, la doctrine de

(33) Duméry, Henri: Philosophie de la Religion.

Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, P.U.F. Paris, 1957, T. 11, p. U.

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l'Incarnation se retrouve aux Indes: le royaume des cieux est Juif, les anges nous viennent de Perse, e t c .. . jusqu'à l'efficacité sacramentaire qui semble pythagoricienne. Peut-il en être autrement? Non. Passant par les voies de l'histoire humaine, donc par l ' immanence psycho-empiri­ que, la foi se colore nécessairement de tous les reflets de la conscien­ ce. Alain abonde en ce sens:

"Quand on pense aux langues, aux con­ quêtes, aux mélanges des cultes, on ne s'étonne pas que les religions soient inextricables. Mais en consi­ dérant un autre mélange, qui est la grande donnée, à savoir la position de l'homme dans la nature, la struc­ ture même de l'homme, et l'animal dans l'homme, on approche de comprendre pourquoi les religions sont inextrica­ bles". (35)

Voilà, la foi n'est pas une chose extérieure à la conscience; au contrai­ re, elle lui est intrinsèque et en épouse les structures. Or la conscien­ ce est à la fois monde, histoire, corps, imagination, raison, esprit. Mê­ me les élans les plus profonds de sa liberté spirituelle, elle les média­ tise par le corps et la psychologie.

Pourquoi alors crier à l'insaisissable bigarrure? Cette bigarrure est justement le fait brutal de la conscience incarnée. Mais la fo i n'est pas pour autant je ne sais quel bazar d'objets hétéroclites, accidentelle­ ment assemblés: elle oriente d'une façon nouvelle des données gnoséologi-ques et axiologignoséologi-ques qui, de simples produits naturels, se transforment par elle en moyens spécifiques pour réaliser une f in transcendante. Une simple description de la conscience religieuse est significative à cet

(35) Alain: Préliminaires à la Mythologie, Paris, Hartman, 1951» PP· llU-l!5·

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33

effet: de bas en haut, elle passe par la peur, la fabulation sociale, l ' i ­ magination, la réflexion, l'esprit. A partir du corps on traverse la

conscience collective, la conscience individuelle pour atteindre l'esprit pur. La subjectivité concrète est tout cela: la foi ne peut que l'assu­ mer et l'u tilis e r en vue de sa fin propre et selon ses modalités à elle. Vouloir une religion de la pure raison est illusoire: l'homme n'est pas que tête.

Le critique sera donc attentif â la multiplicité interne du donné de la fo i. En distinguant les divers plans, il manifestera aussi leur enchaînement ou mieux la signification globale de la foi. Dégager les différents matériaux de la foi est insuffisant, il faut en montrer la forme totale. Mettre en évidence la variété du contenu de la foi est important mais "ce n'est pas ce qu'on affirme qui importe au premier chef, c'est la modalité de l'affirmation". (36) L'important est plus la façon de croire que l'objet matériel de la f o i. Autrement dit, que vaut l'acte personnel du croyant? Ou encore, comment est-il amené à croire? Un double piège est ici à éviter: 1 ' historicisme et le psycho­ logisme.

La recherche historique obtient des résultats fort appréciables. Il serait particulièrement intéressant de montrer l'évolution du croyant comme tel, de l'Ancien ou Nouveau Testament. On pourrait mieux manifes­ ter l'invariant de visée à travers les différents schèmes d'expression. Mais l'historien ne peut par sa seule étude des documents, dégager le

(39)

sens véritable de l'acte de fo i.

"Qu'on y prenne garde, insiste Duméry: l'acte de foi ne pourrait livrer son sens dans le passé, s 'il n'était aus­ si donné dans le présent. Hier ne ti­ re pas sa signification d'aujourd'hui. Hais pour nous, le seul moyen de com­ prendre hier est de le retrouver à partir d'aujourd'hui". (37)

Ceci vaut pour toute histoire. Le problème capital auquel l'historien ne peut répondre, de par sa méthode propre, est le suivant: comment le croyant peut-il - c'est le coeur même de la foi - passer du factuel empirique

à l'interprétation métempirique qui en dégage le sens? Une invitation de cette sorte est du ressort de la seule liberté constituante. L'acte même de fo i échappe au philosophe aussi bien qu'à l'historien.

Le philosophe n 'a d'autre aibition que de qualifier la modalité de cette affirmation de foi. Il ne prétend pas l'instituer ou l'é tablir dans son acte même. La réflexion critique est postérieure à l'acte de foi et est oeuvre de repérage noétique. Elle veut d'abord différencier les niveaux de conscience; cherche ensuite à les unir après les avoir

spécifiés; pout enfin raccorder au besoin total de la consciaice les ex­ pressions oiï cette dernière se projette. Le critique apprécie à la fois la visée du sujet et les objets visés par lui pour permettre â la liberté d'assumer toutes les situations concrètes qu'elle vit. Comme l'acte de foi se répartit sur tous les plans de la subjectivité incamée, il im­ porte de savoir comment cette dernière s'en sert dans la poursuite de son but. Vérifier si l'affirmation de foi respecte ces divers plans de la

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35

subjectivité concrète, si elle demande à chacun selon ses possibilités, si elle les dispoæ avec efficacité dans sa poursuite de I 'd ) so lu. Telle sem­ ble la tâche du philosophe de la religion; telle est aussi sa compétence:

établir les conditions de possibilité et de validité de l'acte de fo i, ac­ tuellement.

La philosophie de la religion ne porte pas que sur le passé. Puis­ que la fo i chrétienne est observable présentement, puisqu'elle se présen­ te comme ayant la même signification permanente quelles que soient les é- poques et les mentalités, nous pouvons aujourd'hui en faire une analyse valable pour le passé, le présent et l'avenir. Car les structures noé- tiques sont fondées sur des plans de conscience qui ne changent guère en eux-mêmes dans l'évolution de 1 ' humanité.

"Ce qui change, selon l'expression de Duméry, c'est le degré d'élucidation, c'est la puissance de discernement: du globalisme primitif à la différen­ ciation critique, il y a bien des in­ termédiaires.. .et la conscience a pro­ gressé. Néanmoins elle ne s'est pas modifiée au point de se perdre ou de susciter des types d'hommes étrangers les uns aux autres". (38)

Autrement si l'acte spirituel n'est pas fidèle à lui-même, il s'aliéne­ rait dans le temps et l'espace. La conscience reste homogène à elle-même et son exigence d'unification est radicalement la même. Donc si l 'a f f i r ­ mation de foi est valide maintenant, elle l'est pour toujours.

Le psychologisme avons-nous dit est aussi â dépasser, qui cantonne l'analyse de l'acte de foi dans l'ordre psychologique. Mâne si son étu­

de apporte des lumières fort précieuses, le psychologue ne va pa3 jusqu'au

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liste, conme celle de Jean Mouroux, de la catégorie biblique d'alliance, n'institue pas une authentique critique des notions utilisées. Dans son

" Je Crois en toi11, Mouroux offre au lecteur une psychologie synthétique et vivante fort suggestive oû la foi est décrite en termes de dialogue, de relations interpersonnelles, de communion. Mais un esprit plus criti­ que désirera connaître l'indice noétique de ces concepts. Ces diverses catégories résistent-elles à la réduction? Ne faut-il pas les dépasser ou les purifier? Comment surtout la foi peut-elle raccorder l'empirique et le métempirique? Et ici le dernier mot n'est pas â la psychologie, mais à la philosophie. Même les philosophes se contentent trop souvent d'une psychologie de la foi.

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T R O I S I E M E C H A P I T R E

DESCRIPTION DE LA FOI CHRETIENNE PüR DUMERY.

MODALITE DU LIEN ENTRE LE FACTUEL ET LE DOCTRINAL.

1- Les Evangiles sont des interprétations religieuses.

2- Historicité de Jésus·

3- Comment Jésus accomplit la Loi et les Prophètes?

I

4

- Pourquoi Jésus est Christ et Seigneur?

5- Réalité de la Résurrection·

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