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D'une histoire, l'autre. Sociétés savantes et érudits bordelais au miroir de leur passé

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HAL Id: halshs-00138451

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00138451

Submitted on 4 Apr 2007

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bordelais au miroir de leur passé

Sylvie Sagnes

To cite this version:

Sylvie Sagnes. D’une histoire, l’autre. Sociétés savantes et érudits bordelais au miroir de leur passé. 2002. �halshs-00138451�

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Archives ouvertes IIAC Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain CNRS UMR8177/EHESS LC12 http://halshs.archives-ouvertes.fr/IIAC

D’une histoire, l’autre. Sociétés savantes et érudits bordelais au miroir

de leur passé

Sylvie Sagnes

Fichier auteur (sans les illustrations) Référence de publication

2002, Sylvie Sagnes, D’une histoire, l’autre. Sociétés savantes et érudits bordelais au miroir de leur passé, Rapport final à la Mission du Patrimoine ethnologique , Bordeaux, ADERA (Association pour le Développement de l’Enseignement et des Recherches Auprès des Universités, des centres de Recherche et des Entreprises d’Aquitaine), 80 p.

Appel d’offres « Histoire locale » MPE AO 97 AQ 13 En ligne sur le site de la Mission Ethnologie

http://mistral.culture.fr/culture/dp/mpe/recherche/rapports_de_recheches/liste_ra_region.htm www.culture.gouv.fr/mpe/recherche/pdf/R_366.pdf

halshs-00138451 – Mise en ligne 26/03/2007 oai:halshs.archives-ouvertes.fr:halshs-00138451

http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00138451

Coordonnées 2006

Chargée de recherche au CNRS sylviesagnes[at]wanadoo.fr

Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain CNRS UMR8177/EHESS LC12 IIAC-LAHIC

Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture

http://www.lahic.cnrs.fr/

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ADERA

Association pour le Développement de l’Enseignement et des Recherches Auprès des Universités, des centres de Recherche et des Entreprises d’Aquitaine

D’une histoire, l’autre

Sociétés savantes et érudits bordelais au miroir de leur passé

Sylvie SAGNES

AO 97 AQ 13

Rapport final à la Mission du Patrimoine ethnologique

Bordeaux 2002

(4)

Sommaire

Introduction 4

Les sociétés savantes bordelaises : un terrain à géométrie variable Faire l’ethnologie des sociétés savantes

L’enquête

1. Les sociétés savantes : toute une histoire 15

- histoire à écrire, histoire à faire

. l’histoire de la société : un objet d’érudition . les célébrations du passé

- 1 Place Bardineau

. entre incertitude et évidence . habiter pour exister

. habiter le temps - les reliques du passé

. les archives

. collections et musées - “ suivant la tradition ”

. statuts, règlements et coutumes . hors la loi

2. Une histoire de soi 45

- l’exercice biographique . “ Mon héros ” . Montesquieu

(5)

- Des sujets proches

. célébrer les morts (discours sur les tombes, notice nécrologique, éloge) . célébrer les vivants (liste, réponse, jubilé)

- Ecritures biographiques

Conclusion 63

Sources 64

- sources imprimées

1. Les sociétés savantes 2. Les érudits

- archives

1. Archives départementales de la Gironde 2. Archives municipales de Bordeaux

3. Bibliothèque Mériadeck – Service des fonds patrimoniaux

Bibliographie 74

- Bordeaux - Généralités

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Introduction

“ Récupérer ” un terrain est une expérience quelque peu inhabituelle dans la pratique d’un ethnologue. C’est celle qui m’a été proposée en 2000 par la Mission du Patrimoine ethnologique. Plus précisément, il s’est agi de faire mien cet immense champ d’observation que forment les sociétés savantes bordelaises et qu’avant moi d’autres chercheurs avaient identifié, cela dans le cadre de l’appel d’offres “ Producteurs, productions, et enjeux contemporains de l’histoire locale ”. Ma légitimité à investir et explorer cette terra incognita qu’était alors pour moi Bordeaux et ses sociétés savantes tenait à ma participation antérieure aux recherches suscitées par le dit appel d’offres1. Cependant, force m’a été de constater que

la familiarité avec une problématique est une chose, celle avec un terrain en est une autre. La prédisposition qu’on me reconnaissait à adopter ce nouveau terrain ne pouvait en effet compenser la parfaite méconnaissance qui était alors la mienne des institutions, des réseaux et des personnes qui le constituent. Aussi, l’enquête a-t-elle débuté par une phase, difficilement quantifiable a priori, de reconnaissance des contours de ce nouveau chantier, de définition de l’objet et d’élaboration d’hypothèses propres à stimuler l’écoute et l’observation sur le terrain.

Les sociétés savantes bordelaises : un terrain à géométrie variable

Pour tout dire, ces préalables ont pris des proportions à la mesure de la profondeur et de l’ampleur la tradition érudite bordelaise. Celle-ci est née au tout début du XVIIIème siècle, avec la fondation, en 1712, de l’Académie Royale des Sciences, Belles Lettres et Arts et n’a cessé de s’affirmer depuis, de sorte qu’ “ après avoir été tout au long du XIXème siècle un des

1 SAGNES Sylvie, 1999, De l’oubli à la généalogie : le local et ses histoires, Rapport final à la Mission du Patrimoine ethnologique, APALR, Montpellier ; 2000, “ Un monument peut en cacher un autre. Rieux-Minervois et sa rotonde ”, Domestiquer l’histoire. Ethnologie des monuments historiques, (sous la direction de Daniel FABRE), MSH, Paris, pp 55-70 ; 2001, “ De l’archive à l’histoire : aller -retour ”, Une histoire à soi.

Figurations du passé et localité, (sous la direction d’Alban BENSA et Daniel FABRE), MSH, Paris, pp 71-86 ; à

paraître “ Le passé des historiens locaux ”, Ethnologies comparées, n° 4, http://alor.univ-montp3/cerce/revue.htm ; à paraître “ Le spectacle de l’histoire : mise en scène du passé local dans un village audois ”, Images, scènes, objets : façonner le passé (XVI-XXème siècles), (sous la direction de Jean-Luc BONNIOL et Maryline CRIVELLO), PUP.

(7)

principaux phares de (la) France savante ”, Bordeaux, avec ses vingt-neuf sociétés, se place en tête des villes érudites en 19312. Il est malaisé de situer la capitale de l’Aquitaine dans la

France savante d’aujourd’hui, eu égard aux difficultés rencontrées pour actualiser le classement des villes en fonction du nombre de sociétés qu’elles abritent. Car, avant de comparer, il s’agit de compter et à Bordeaux comme ailleurs, le recensement des sociétés est devenu une entreprise fort complexe. La multiplication des associations, la diversification des buts et missions qu’elles s’assignent, leur plus ou moins grande proximité avec les milieux professionnels (universités, DRAC,…) rend problématique leur exacte identification, quand par ailleurs leur existence formelle dans les tablettes de la préfecture ne garantit absolument pas leur longévité effective. Reste que, anciennes et nouvelles, actives ou moribondes, les sociétés savantes sont toujours et encore légion à Bordeaux. En témoignent les pages que leur consacrent les différents répertoires, celui du CTHS (Comité des travaux historiques et scientifiques) établi en 1996, l’Annuaire de la Fédération historique du Sud-Ouest, publié en 1997 par Fédération historique du Sud-Ouest ou encore le Répertoire des associations du

patrimoine de la Gironde paru la même année à l’initiative de l’A3PA (Agence de Protection

et de Promotion du Patrimoine Architectural), organe du Conseil Général de la Gironde. On comprendra que leur nombre, ajouté à la diversité de leurs formes (académies, sociétés spécialisées, associations d’ “ amis de ”, sections locales d’associations nationales…) fait de ces sociétés savantes bordelaises une nébuleuse au sein de laquelle l’on peine à s’orienter.

Les répertoires évoqués à l’instant fournissent, à vrai dire, des listes loin d’être exhaustives, soit que l’on ait choisi une spécialité (l’histoire, le patrimoine architectural) comme dénominateur commun des groupements recensés, ce qui en exclut de fait un certain nombre, soit que ces listes émanent d’une organisme fédérant de manière plus ou moins lâche ces sociétés (Fédération historique du Sud-Ouest ou CTHS), laissant dans ce cas dans l’ombre les associations non affiliées. On ne saurait par ailleurs espérer du recoupement des listes en question l’inventaire complet des sociétés. L’Académie Montesquieu, par exemple, ne figure dans aucun des répertoires, son existence ayant été portée à ma connaissance par les membres de l’Académie de Bordeaux.

Face à un terrain aussi vaste qu’insaisissable dans sa totalité, on ne peut manquer de se laisser gagner par la perplexité à laquelle finit de vous livrer la découverte de sociétés aujourd’hui disparues, telles, entre autres, la Société du Musée, la Société philomathique, la Société des Archives historiques du département de la Gironde et la Société de Géographie commerciale de Bordeaux. Autant que le présent, le passé révolu de la tradition érudite

(8)

bordelaise donne le vertige.

L’immensité de la tâche contraint l’ethnologue des sociétés savantes bordelaises à faire des choix, à ramener à la mesure de ses capacités, c’est à dire essentiellement à l’échelle du temps dont il dispose, les contours de ce terrain. En l’occurrence, l’option la plus radicale serait sans doute de s’en tenir à une seule de ses sociétés savantes, comme par exemple la plus ancienne, ou la plus pourvue en adhérents ou encore la plus coopérante. Cependant, centrer sa curiosité sur l’Académie nationale des Sciences, Belles Lettres et Arts de Bordeaux ou la Société des Bibliophiles de Guyenne forte de ses huit cents membres, ou encore la Société archéologique de Bordeaux qui, chacune, satisfont à l’un de ces possibles critères serait trop réducteur. Confinée, une telle approche ferait courir le risque de mésestimer tout ce que ces sociétés possèdent en commun (adhérents, locaux), échangent (revues, ouvrages), produisent ensemble (Le mois scientifique bordelais), vivent sous le regard les unes des autres (assemblées générales, anniversaires, réception d’un nouveau membre…) et partagent, notamment dans le cadre de l’Union scientifique bordelaise et à l’occasion des Journées du Patrimoine. Si à l’évidence, les différentes occurrences de ce face à face forment une dimension constitutive de la vie érudite locale, elles fournissent également à l’analyse un précieux matériau. Cantonner son regard et son intérêt à une seule de ces sociétés, ce serait donc gaspiller tout le profit à attendre des coopérations, des complicités ou encore des conflits dont est tissée l’histoire commune de ces sociétés, soit tout un faisceau contrasté de faits et de discours susceptibles de d’éclairer d’un jour nouveau l’objet de nos observations.

Entre un terrain sans bornes et un terrain trop étriqué, la nécessité d’un compromis m’a conduite à m’intéresser à cette poignée de sociétés savantes que désigne clairement comme telles leur cohabitation au sein de l’Hôtel dit “ des Sociétés savantes ”, l’Hôtel Calvet, place Bardineau. Il s’agit là, selon mes informateurs, des “ sociétés de base, "de base" parce qu’elles existent depuis toujours et parce qu’elles sont logées depuis toujours ”. Plus précisément, ont retenu mon attention l’Académie nationale des Sciences, Belles Lettres et Arts de Bordeaux (1712)3, la Société linnéenne de Bordeaux (1818), la Société archéologique de Bordeaux

(1874), la Société astronomique de Bordeaux (1909), la Société spéléologique et préhistorique de Bordeaux (1948) et le Centre généalogique du Sud-Ouest (1970). A cette liste déjà longue s’ajoutent quelques unes des sociétés aujourd’hui dissolues, parmi lesquelles la Société des Archives historiques de la Gironde (1858 - 1939) et la Société de Géographie commerciale de Bordeaux (1874 - 1953). Ces deux sociétés partageaient, au 71 de la rue du Loup, avec les

(9)

services des Archives municipales et les sociétés citées précédemment existant déjà, les locaux de l’Hôtel de Ragueneau, rebaptisé alors Hôtel des Sociétés savantes. Quant au Musée de Bordeaux (1783 - 1793), victime de la Révolution, et à la Société philomathique (1809 - 1939) qui récupéra à la fois les objectifs et les membres du Musée, elles doivent leur inclusion dans le cercle semi-fermé des sociétés qui forment le terrain de cette enquête au rôle déterminant qu’elles ont joué dans l’histoire de la tradition érudite bordelaise, mais aussi au fait qu’elles se formèrent non pas vraiment contre l’Académie de Bordeaux, mais en réaction au manque d’ouverture présidant à son recrutement. Cette même sélectivité qui peut être personnellement vécue en termes d’exclusion est à l’origine de la création en 1945, par le Docteur Jean-Max Eylaud, de l’Académie Montesquieu et c’est bien en vertu de cette relation antagonique à l’ “ autre ” Académie, rivalité toujours d’actualité en 2002, que l’Académie Montesquieu, logée dans les locaux des Archives Départementales, figure au rang des sociétés qui retiendront ici mon attention. Enfin, le terrain de cette étude comprend la Société des Bibliophiles de Guyenne (1866) qu’abrite aujourd’hui la Bibliothèque municipale de Bordeaux. Cette société acquiert droit de cité dans cet échantillon en raison tant de son ancienneté que de l’importance de sa production.

Faire l’ethnologie des sociétés savantes

Sans aucun doute, un tel terrain, même resserré aux dimensions des réseaux érudits les plus immédiatement observables, aurait supporté une investigation plus fouillée que celle que j’ai pu conduire d’avril à juin 2000 et de septembre à décembre 20014. Tout aussi certainement, ce

travail ne saurait prétendre égaler, sous le double rapport des questions posées et de la richesse ethnographique, les recherches similaires, entreprises collectivement (sept chercheurs impliqués) dans le cadre du même Appel d’Offres, sur les sociétés savantes de la ville de Trames5. Ses prétentions sont comparativement bien plus modestes.

4 L’interruption de l’enquête entre juillet 2000 et août 2001 est due à l’attribution d’un poste d’ATER à l’Université Paul Valéry à Montpellier.

5 “ Trames ” est le produit d’une anonymisation ; la ville en question se situe dans la grande banlieue lyonnaise : cf BACIOCCHI Stéphane, HERTZOG Anne, LAFERTE Gilles, L’ESTOILE Benoît, LE GUILLOU Olivier, ROWELL Jay, WEBER Florence, La noblesse

d’une ville. Erudition locale et politique municipale, Rapport pour la Mission du Patrimoine

ethnologique, Laboratoire de Sciences sociales, Paris, 2000 ; voir aussi BACIOCCHI Stéphane, LAFERTE Gilles, LE GUILLOU Olivier, ROWELL Jay, “ La carrière d’un historien local entre entreprise touristique, érudition et patrimoine ”, Une histoire à soi.

Figurations du passé et localités, (sous la direction de Daniel FABRE et Alban BENSA),

MSH, Paris, 2001, pp 119-133 ainsi que L’ESTOILE Benoît de, “ Le goût du passé. Erudition locale et appropriation du territoire ”, Terrain, n° 37, 2001, pp 123- 138.

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En particulier, le lecteur ne doit pas ici s’attendre à voir démêler l’écheveau compliqué des différents univers (politiques, familiaux, professionnels,…) qui se croisent au sein des sociétés savantes. Cet aspect-là et avec lui celui de la sociabilité érudite, défriché par Jean-Pierre Chaline6, auraient pu nourrir une curiosité des plus rentables dans le contexte bordelais,

compte tenu du large éventail de possibles que décrit ici la diversité des sociétés (académies, sociétés généralistes, sociétés spécialisées), des modes de recrutement qu’elles pratiquent (cooptation, élection, parrainage, simple adhésion) et des activités qu’elles proposent (communications, concerts, remises de médailles, sorties, cours, etc). Si leur analyse n’occupent pas le centre de notre propos, ces enchevêtrements et leurs traductions spécifiques n’en seront pas pour autant ignorés.

L’Appel d’Offres dans lequel s’inscrit cette étude autorise de moindres ambitions, tandis qu’il déplace l’accent pour le porter sur la production d’histoire locale dont ces sociétés sont le cadre. Plus étroite, la perspective admet cependant plus d’une approche. Il est ainsi possible de se situer, à l’instar de Benoît de L’Estoile, à l’échelle des individus pour cerner “ le rôle que peut jouer l’histoire locale dans la construction des identités ”7, c’est dire pour mettre en

lumière, outre le potentiel de distinction et de promotion par le savoir inhérent à la pratique de l’histoire locale, la revendication d’un enracinement local dont l’activité historienne, patiente et laborieuse, entend faire la preuve. En retournant le problème, on peut également s’intéresser à ce qui fait l’autorité de l’historien et la légitimité du passé qu’il ressuscite.

Si l’on change de focale, on se donne à ce moment-là l’opportunité d’observer les évolutions de ces sociétés savantes sur le terrain multiforme de l’histoire locale, dans les musées, les confréries, les coulisses des spectacles historiques ou encore aux portes des monuments historiques. Reste alors à saisir ce qui se joue là de l’identité de la localité, de sa fabrication à la faveur des relations que noue le petit monde de l’érudition avec les professionnels du tourisme, les élus et les représentants de l’Etat8.

Entre autres prises sur ces sociétés productrices d’histoire, celle de l’histoire de l’histoire locale est par ailleurs envisageable. Il s’agirait alors de faire sien le regret exprimé par Daniel Fabre dans l’introduction d’Une histoire à soi : “ Trop peu de recherches se sont attachées, en France, à l’éclosion des historiographes citadins qui accompagne tout le cours de l’Ancien Régime. Il n’est pas une ville qui n’ait produit en l’espace de deux siècles plusieurs ouvrages -

6 CHALINE, op. cit. 7 L’Estoile, op. cit., 125.

(11)

imprimés mais aussi manuscrits - qui en déroulent la chronique en s’efforçant de lui donner forme de récit ”9. En l’espèce l’Académie de Bordeaux forme un observatoire privilégié pour

le XVIIIème siècle. Plus d’un projet d’histoire régionale ont été élaborés dans ce cadre10,

relancés en 1758 par un certain Baudeau, auteur d’une dissertation sur l’Utilité des histoires

particulières des provinces11. Aucun de ces projets n’a été suivi d’effets. Toutefois les

mémoires manuscrits de la Compagnie conservés à la bibliothèque municipale de Bordeaux12

contiennent bien des pages consacrées au passé de Bordeaux et de la Guyenne. Les différents érudits13 qui se sont chargés de dresser l’inventaire de ces manuscrits ne précisent pas

toujours, sans doute faute de le pouvoir, l’identité des auteurs de la plupart de ces textes14.

Néanmoins quelques uns d’entre eux se rapportent à des noms derrière lesquels se dessinent des silhouettes d’antiquaires, collectionneurs et historiens passionnés, tels l’abbé Bellet15, le

Révérend Père Lambert16 ou encore l’abbé Baurein17. Auteur de Variétés bordeloises ou Essai historique et critique sur la topographie ancienne et moderne du diocèse de Bordeaux, publié

en six volumes de 1784 à 1786, ce dernier aspirait, en vain si l’on en croit ses biographes, à étendre son audience au delà du cercle fermé des Académiciens bordelais. On ne saurait par ailleurs omettre les travaux de Charles Jean-Baptiste d’Agneaux Devienne qui n’a laissé dans les manuscrits de l’Académie à laquelle il ne fut jamais admis qu’un Eloge de Montaigne18

présenté au concours de 1771. C’est “ contre l’Académie ” que cette “ créature ”19 de

Tourny, alors en délicatesses avec les Académiciens, perçut une pension des Jurats de

9 FABRE Daniel, “ L’histoire a changé de lieux ”, Une histoire à soi. Figurations du passé et localités, (sous la direction de FABRE Daniel et BENSA Alban), MSH, Paris, 2001, p 16.

10 Les premiers, le président Bardot et Bel ont mis en place en 1737 le programme d’une histoire locale collective, relancé en 1739 par une dissertation de Bardot sur l’Utilité d’une histoire civile et naturelle de la

Guienne (Ms 828, CV) ; d’autres projets ont été conçus, par dom Saint-Julien en 1765, dom Carrière en 1872 (Cf

BARRIERE P., L’Académie de Bordeaux, centre de culture internationale, au XVIIIème siècle, 1712-1792, Bordeaux-Paris, 195, pp 311-312) et l’abbé Jaubert en 1777 (Ms 828 CV (54,55)).

11 Ms 828 XXVII (5).

12 Service des fonds patrimoniaux : Ms 828 I à CVII.

13 GERES Jules de, “ Mémoires - Manuscrits de l’ancienne Académie de Bordeaux (1712-1793) ”, Table

historique et méthodique des travaux et publication de l’Académie de Bordeaux, depuis 1712 jusqu’en 1875),

Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Bordeaux, Gounouilhou, Bordeaux, 1877, pp 233-360 ; COUDERC Camille, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de Bordeaux, Paris, 1894.

14 Parmi ces textes restés anonymes, on peut citer : Comment la ville de Bordeaux tomba au pouvoir des

Romains et quels furent sus leur domination l’état des lois et des mœurs de ses habitants, Ms 828 XII (8) ; Mémoire sur l’emplacement du port de Bordeaux, Ms 828 XL (1) ; Dissertation sur les Piliers de Tutelle, XLII

(1).

15 BELLET Jules Abbé, Notes et Mémoires historiques sur Bordeaux et la Guienne, Ms 828 V, 393 pages. 16 LAMBERT RP, Mémoire sur un squelette trouvé dans le couvent de l’Observance de Bordeaux, le 17 mai1741, Ms 828 XII (8) ; Extrait de la dissertation sur le peuple de l’ancienne Aquitaine, connu sous le nom

de Boïens, Boïi, et sur la cité qui lui appartenait, Ms 828 XIII (11).

17 BAUREIN Jacques Abbé, Dissertations historiques sur la ville de Bordeaux, Ms 828 XIX (23 dossiers). 18 Ms 828 CIV.

(12)

Bordeaux pour rédiger une Histoire de la ville de Bordeaux20.

Les deux décennies qui suivent 1789 n’en sont pas moins intéressantes sous le rapport de la production d’histoire au sein de l’Académie et des sociétés qui ont alors vu le jour. Supprimée en 1793, reformée de 1796 à 1814 en Société d’Histoire naturelle et d’Agriculture puis en Société des Sciences, Belles Lettres et Arts, l’Académie accueillit dans ses rangs le Baron Pierre-Martin de Caila21 dont les archives, conservées à la bibliothèque municipale22

témoigne d’un grand engouement pour l’archéologie. Quant à Pierre Bernadau, s’il ne s’associa que de très manière très éphémère aux travaux de l’Académie, cela lors du concours de 178723, il fut en revanche très actif au sein des différentes sociétés, le Lycée Littéraire

(1797-1798) et la Société philomathique du Muséum d’Instruction Publique, issues de la Société du Musée après la suppression de celle-ci en 179324. On doit à cet avocat, aussi

prolixe que contesté, une somme importante de publications consacrées à l’histoire de Bordeaux et de sa région, parmi lesquelles nous retiendrons les Antiquités bordelaises ou

recherche historiques sur Bordeaux et sur les lieux les plus remarquables du département de la Gironde, les Annales politiques, littéraires et statistiques de Bordeaux, et son Histoire de Bordeaux contenant la continuation des dernières histoires parues respectivement en 1797,

1803 et 183725.

Les noms de François Vatar de Jouannet26, François-Joseph Rabanis27, Léo Drouyn28,

20 Celle-ci parut en deux parties : Première partie contenant les événements civils et la vie de plusieurs hommes

célèbres et L’histoire de l’église de Bordeaux et les mœurs et coutumes des Bordelais, publiées respectivement

en 1771 chez Simon de la Court et en 1862 chez Lacaze.

21 Le nom de de Caila est connu des ethnologues pour ses contributions aux Mémoires de l’Académie celtique. 22 Le fonds en question n’est inscrit dans aucun catalogue ; il est étiqueté au nom de M. de Galard, propriétaire du château de Caila à la fin du XIXème siècle.

23 Eloge de Montesquieu, Ms 828 XLVI.

24 CELESTE Raymond, “ La Société philomathique de Bordeaux de 1783 à 1808 ”, Revue

philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, 1898, pp 65-83.

25 Pour une bibliographie complète, ainsi que pour l’inventaire des archives de cet historien, on se rapportera à VIVIE Aurélien, “ L’historien Bernadau. Notes biographiques et bibliographiques ”, Actes de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Bordeaux, 1900, pp 153-216.

26 Auteur de la Statistique du département de la Gironde, P. Dupont, Paris, 1837-1843 et d’une bonne vingtaine d’articles, consacrés à diverses découvertes archéologiques, publiés dans les Actes de l’Académie des Sciences,

Belles Lettres et Arts de Bordeaux entre1820 et 1850.

27 Histoire de Bordeaux, 1837, Les Mérovingiens d’Aquitaine, Durand, Paris, 1856 et Clément V et Philippe le

Bel, lettre à M. Charles d’Aremberg sur l’entrevue de Philippe le Bel et de Bertrand de Got à Saint Jean d’Angely, suivie d’un journal de la visite pastorale de Bertrand de Got dans la province ecclésiastique de Bordeaux en 1304 et 1305, Didier, Paris, 1858, figurent, entres autres, parmi les productions d’histoire locale de

Rabanis.

28 Depuis 1999, les Editions CLEM (Comité de Liaison de l’Entre-Deux Mers) et l’AHB (Association Historique des Pays de Branne) rééditent, sous la direction de Bernard LARRIEU, les albums de dessins de Léo Drouyn. Neuf volumes sont d’ores et déjà parus et onze autres sont à paraître d’ici 2007.

(13)

Jean-Pierre-Albert Cirot de la Ville29, Charles Bon François Boscheron des Portes30, Camille

Jullian31 dont sont signées bon nombre des communications présentées à l’Académie au

XIXème élargissent encore la perspective, invitant à étendre jusqu’au seuil du XXème siècle cette possible histoire de l’érudition historienne bordelaise. Plus accessible, cette histoire de l’histoire locale, foisonnante, n’en reste pas moins, à Bordeaux comme ailleurs, mal cernée, notamment sous le rapport de la progressive spécialisation des auteurs. De ce point de vue, le chef-lieu de la Gironde ajoute à l’avantage d’un échantillon d’érudits particulièrement fourni, celui d’une partition institutionnellement organisée et relativement précoce de ces curiosités en voie de spécialisation, partition que consacre, dans la seconde moitié du siècle, la création de sociétés telles la Société des Archives historiques du département de la Gironde et la Société des Bibliophiles de Guyenne que les Bordelais doivent à Jules Delpit32, ou encore la

Société archéologique de Bordeaux dans laquelle ont évolué François Daleau et Camille de Mensignac33.

Déjà posées ou à poser, les différentes questions que soulève la production d’histoire, passée et présente, au sein des sociétés savantes aiguiseront l’approche qui est ici la mienne et qui, d’une certaine manière, les mêlera. Cependant, mon questionnement empruntera d’autres voies, pour se nourrir avant tout d’un étonnement, lié à mes premières évolutions sur ce magnifique terrain bordelais. Je voudrais ici revenir à cette étape de l’enquête où, pour tenter d’y voir plus clair, il s’est agi d’identifier les sociétés savantes et, pour mieux les cerner, de rechercher l’histoire de chacune d’entre elles. Les fichiers de la Bibliothèque Mériadeck, autant que ceux des Archives départementales et municipales, ne me renvoyaient alors qu’à quelque mémoire de maîtrise isolé34 et à des études très spécialisées35, ou, au mieux, à

29 On retiendra de cet abbé son Histoire de l’abbaye et congrégation de Notre Dame de la Grande-Sauve, ordre

de Saint-Benoît, en Guienne, 2 volumes, 1844-1845 et ses Origines chrétiennes de Bordeaux ou histoire et description de l’église de Saint Seurin, Impr. Vve J. Dupuy, Bordeaux, 1864.

30 On doit à ce président honoraire à la Cour d’appel une Histoire du Parlement de Bordeaux depuis sa création

jusqu’à sa suppression : 1451-1790, 2 volumes, Ch Lefebvre, 1877.

31 Cf en particulier Archives municipales de Bordeaux. Inscription romaines de Bordeaux, Gounouilhou, Bordeaux, 2 vol., 1887-1890 ; Ausone et Bordeaux : études sur les derniers temps de la Gaule romaine, Gounouilhou, Bordeaux, 1893 ; Histoire de Bordeaux depuis les origines jusqu’en 1895, Féret et Fils, 1895. 32 Auteur d’un Catalogue des manuscrits de la bibliothèque municipale (Impr. J. Delmas, Bordeaux, 1880), Jules Delpit a par ailleurs constitué un fonds d’archives considérable, riche de plus de 40 000 pièces, conservées aux Archives et à Bibliothèque municipales de Bordeaux.

33 François Daleau et Camille de Mensignac ont signé une multitude d’articles, publiés pour leur majorité dans les actes de la Société archéologique et de la Société d’anthropologie de Bordeaux. François Daleau est en outre l’auteur de la première carte préhistorique du département de la Gironde.

34 FOURNIER Isabelle, La société des Bibliophiles de Guyenne, Mémoire, Université de Bordeaux III, 1973.

35 C’est le cas par exemple des travaux de Johel COUTURA portant sur la franc-maçonnerie ; voir notamment : “ Le Musée de Bordeaux ”, Dix-huitième siècle, n° 19, 1987,

(14)

différentes notices plus ou moins volumineuses, extraites en règle générale des Actes,

Bulletins et autres Mémoires publiés par les sociétés savantes elles-mêmes. Riches en renvois,

les notes de bas de page des notices en question, de même que les tables de ces revues, ont confirmé, en contrepoint du maigre intérêt des historiens de l’Université bordelaise pour ces sociétés savantes bordelaises, l’importance que ces dernières accordent à leur histoire. L’ancienneté de la fondation n’a de ce point de vue rien de déterminant, puisque les plus jeunes comme les plus vieilles de ces associations se targuent d’un passé et en écrivent l’histoire. De même, l’on aurait tort de croire que cette curiosité est plus particulièrement le fait des sociétés qui font de l’histoire leur domaine d’études. Car toutes les sociétés, la Société d’archéologie comme la Société linnéenne, la Société des Archives historiques tout autant que la Société de géographie commerciale, partagent - ou ont partagé - la propension “ rétrospectiviste ” dont témoignent ces différents textes. On notera au passage que cette préoccupation commune justifie la prise en compte dans cette enquête de sociétés que “ la production d’histoire locale ” ne concerne pas a priori, telles celles occupées de sciences naturelles, de géographie, d’astronomie ou encore de spéléologie.

De références en références, s’est ainsi constitué, non pas tant une bibliographie, qu’un corpus de textes36 mettant en scène le passé plus ou moins court de ces sociétés. Que raconte

donc cette micro-histoire locale ? Qui se charge de la sorte de la perpétuation du souvenir sociétaire ? Au-delà du texte, quels sont les vecteurs de la commémoration et de la transmission du passé ? Néanmoins ces questions n’ont, me semble-t-il, de raison d’être posées qu’à condition de se demander par ailleurs quel sens revêt une telle mise en histoire : en d’autres termes, à quoi rime cette auto-patrimonialisation ? Est-elle réductible à une quête de légitimité, compte tenu de la position subalterne que ces sociétés occupent dans l’espace scientifique, notamment vis-à-vis des professionnels de la connaissance et de la recherche que sont les universitaires ? Autrement dit, sert-elle à fonder la validité de savoirs sur lesquels l’amateurisme de leurs auteurs fait peser un doute ? L’orientation biographique (discours sur les tombes, éloges, nécrologies, “ réponses ”, jubilés), voire autobiographique (“ remerciements ”, autobiographies) de cette “ histoire à soi ” incite à ne pas s’en tenir au seul cadre explicatif de cette confrontation et à rechercher ailleurs - dans la tradition académique, les parcours individuels des érudits,… - les ressorts d’une histoire où “ je ” et “ nous ” s’expriment volontiers de concert.

pp 149-164.

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L’enquête

Outre les différentes productions d’auto-histoire contenues dans les publications des sociétés savantes, les fonds d’érudits et de sociétés déposées aux Archives départementales de la Gironde, aux Archives municipales de Bordeaux ou encore dans le service des Fonds patrimoniaux de la Bibliothèque municipale Mériadeck, non seulement ont enrichi le matériau déjà fort riche constitué par les sources imprimées, mais aussi et surtout ont permis d’élargir le cadre chronologique de cette enquête. Les manuscrits de l’Académie en particulier, témoins précieux de l’activité érudite bordelaise au XVIIIème, m’ont offert la possibilité d’ancrer mes observations et analyses jusqu’aux premières décennies du Siècle des Lumières, et, partant, de situer dans le temps long de l’histoire de l’Académie et plus largement de la tradition érudite bordelaise les manifestations cette histoire de soi et par soi.

Pleinement inscrite dans une anthropologie de l’écriture, cette enquête n’a cependant pas limité son champ d’action aux seuls dépôts d’archives et bibliothèque de la ville de Bordeaux. Elle s’est également attardée dans les étages de l’Hôtel des Sociétés savantes, à la rencontre des érudits qui font la vie de ces sociétés. Les permanences hebdomadaires, celles du jeudi au siège de la Société archéologique, ou celles du mardi dans les locaux de la Société linnéenne ont fourni l’occasion de ces rencontres. De même des manifestations telles les Journées du Patrimoine37 ou les séances publiques de l’Académie (réceptions de nouveaux

académiciens, remise des prix) ont conduit mes pas jusqu’à l’Hôtel Calvet, autant dans le dessein d’approcher les adhérents de ces sociétés qu’avec le souci de les observer en ces circonstances exceptionnelles où ces sociétés s’ouvrent aux non-adhérents, se donnent à voir, et avec elles mettent en scène leur histoire.

Signalons au passage combien ce travail d’observation aurait gagné à être mené sur une période beaucoup plus longue. En particulier, il aurait été opportun d’assister, dans le cadre des séances de travail de l’une ou l’autre de ces sociétés, à une communication relevant de l’auto-histoire qui va nous occuper dans les pages qui suivent, et d’être témoin de l’accueil qu’on lui réserve et des réactions qu’elles suscitent. On peut également regretter que l’analyse n’ait pu s’appuyer sur l’observation des jubilés que la Société archéologique et la Société linnéenne ont récemment remis au goût du jour. Pour le moins perfectibles, la collecte des données et la lecture que j’en propose ici ne peuvent s’accommoder au final que d’une impression d’inachevé, doublée d’un sentiment d’insatisfaction, et ce d’autant plus si l’on

37 En l’occurrence, j’évoque ici les Journées du Patrimoine des 16 et 17 septembre 2000, les journées des 15 et 16 septembre 2001 ayant été annulées, à Bordeaux comme partout en France, en raison des attentats dont les Etats-Unis venaient d’être victimes, quelques jours auparavant.

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considère tout le profit que l’on aurait été en droit d’espérer de la participation à ces grands moments de la vie des sociétés que sont les anniversaires (cinquantenaire, centenaire, etc). Qu’elles commémorent la création des sociétés ou qu’elles célèbrent la naissance, la mort ou la parution d’un monument de l’érudition bordelaise, ces manifestations méritent d’être appréhendées autrement qu’à travers les comptes-rendus qu’en publient les actes des sociétés, ce qui ne saurait être envisagé avant 2005, date du deux-cent-cinquantenaire de la disparition de Montesquieu que prépare d’ores et déjà l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts.

A poursuivre et à compléter, l’enquête le serait également sur le plan de la collecte des témoignages individuels. Une douzaine d’érudits, échantillon qui peut paraître fort dérisoire au regard de la densité du milieu érudit bordelais, a pour l’heure fait l’objet d’entretiens semi-directifs, réalisés au siège des sociétés ou au domicile des intéressés. Désignés par leurs pairs, ces interlocuteurs ont été soit d’anciens responsables ou des membres en exercice des Conseils d’administration ou des Bureaux (président, secrétaire,…) des sociétés, soit des personnalités connues pour leur long passé érudit. Et bien que leur recension inspire à mes informateurs un commentaire rassurant - “ Ah oui, là, vous avez fait le tour des principaux ” - il n’en reste pas moins que la collecte de ces récits d’érudits, et avec elle celle des autres données qui alimentent ce rapport, ne constituent jamais qu’une étape d’un questionnement qui au-delà des érudits bordelais et des sociétés savantes, débouche sur de multiples perspectives, notamment celle de l’ “ identité savante ”.

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1. Les sociétés savantes : toute une histoire

L’histoire des sociétés savantes bordelaises ne s’apprend bien que dans les pages des Actes,

Bulletins et Mémoires des dites sociétés. Il serait aisé de passer rapidement sur ce constat en

ramenant le phénomène au fait que l’histoire particulière de chaque société savante relève d’une histoire mineure, et de ce point de vue correspond bien au type d’objets dont s’occupent en règle générale les érudits au sein des sociétés. Or il apparaît qu’il ne s’agit pas là simplement d’un objet à la mesure des curiosités et des compétences des érudits locaux puisque, comme il en a déjà été fait état dans l’introduction, toutes les sociétés, celles occupées d’histoire comme de préhistoire, de géographie comme de mycologie, s’adonnent à cette auto-histoire. C’est à préciser les contours de celle-ci que l’analyse va dans un premier temps s’employer.

Histoire à écrire, histoire à faire

L’histoire de la société : un objet d’érudition

Dans l’horizon des préoccupations des érudits bordelais, l’histoire des sociétés savantes occupe une place de choix : il n’est, pour s’en convaincre, qu’à se reporter à la bibliographie donnée ici dans la rubrique “ sources ”. Outre leur relative abondance, on remarquera la diversité, tant du point de vue du volume que de la forme, des textes consacrés au passé des sociétés. La plupart sont des articles, longs de quelques pages, parus dans les publications des sociétés. Certains, de taille suffisante, ont donné lieu à des notices publiées indépendamment, mais jamais très loin de la zone d’influence de la société38. On peut rencontrer dans cette

catégorie des travaux présentés dans le cadre du concours annuel de l’Académie, mais la plupart de ces écrits n’ont jamais vu l’ombre d’une presse et demeurent sous leur forme

38 LAMBERCY Henri, Histoire de la Fondation et des Travaux de la Société des Bibliophiles de Guyenne de

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manuscrites ou tapuscrites39 dans les archives de la Compagnie, conservées par les services

des Archives municipales.

Sous le rapport de leur contenu, ces textes présentent plus d’un air de parenté. Ils racontent par le menu les préludes, les signes avant-coureurs d’une curiosité que l’on repère au sein de sociétés préexistantes, y compris pour la première d’entre elles, l’Académie, dont on fait remonter la gestation à 1644 et au salon que tenait en son hôtel un certain de Salomon de Virelade. Une fois les filiations établies, les historiens détaillent par le menu les rencontres, la formation progressive d’une poignée érudits animés de la même passion, de la même “ soif de savoir ”40 aboutissant à la création de la nouvelle société. Rien n’est laissé dans l’ombre de

l’épopée de la fondation, de l’enthousiasme et de l’obstination des fondateurs car, pour exister, nous expliquent en substance les historiographes des sociétés, celles-ci ont dû composer avec les soubresauts de la grande Histoire, la Révolution et autres changements de régime qui émaillent le XIXème siècle et les deux guerres mondiales du siècle dernier. Rarement les auteurs s’appesantissent sur les engagements politiques des pères fondateurs, engagements pourtant bien réels - Sansas, le président fondateur de la Société archéologique fut exilé par deux fois en raison de son opposition à l’Empire - et susceptibles d’expliquer bien des vicissitudes, préférant insister sur leur “ dévouement ” à la cause de la société et du projet intellectuel qui la fonde. Ces préalables posés, les histoires des sociétés parfois commentent l’évolution des statuts, s’attardent quand il y a lieu sur quelques grandes figures d’érudits, mais s’attachent surtout à dresser un bilan des activités, faisant le compte des volumes publiés, des conférences et des cours donnés, des prix accordés, ou, dans le cas précis de la Société philomathique et de la Société Linnéenne, des expositions organisées. La conclusion de ces articles et notices souligne le plus souvent, et ce avec plus ou moins de modestie, le mérite des sociétés à être, davantage qu’elles ne le sont, subventionnées.

Coulée dans un scénario qui ne varie guère d’un auteur à l’autre, cette mise en histoire concerne toutes les sociétés, et ce quelle que soit leur domaine spécialisé d’études, ce que l’on a déjà fait remarquer, mais aussi quel que soit l’âge des sociétés. A l’instar des plus anciennes, les plus récemment créées parmi les compagnies se prêtent en effet à ce type d’exercice :

39 Par exemple : CELESTE Raymond, Travaux sur l’ancienne Académie de Bordeaux, Travail soumis à l’Académie, Concours, Bordeaux, 1879, p 404 ; FERRAND Eugène, Le

Musée, Travail soumis à l’Académie, Concours, Bordeaux, 1959, p 187 ; MINIER Hippolyte, L’Académie et la bibliothèque, Travail soumis à l’Académie, Concours, Bordeaux, 1888 p

210.

40 COURTEAULT Paul, “ L’œuvre de l’Académie de Bordeaux au XVIIIème siècle ”, Revue historique de

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l’Académie Montesquieu, créée seulement depuis trente-six ans en 1981 faisait déjà l’objet d’un Aperçu historique41. Il est d’autre part intéressant de noter que le phénomène n’a rien de

nouveau dans la mesure où toutes les sociétés, qu’elles soient nées au XVIIIème ou au XXème siècles, ont très vite après leur fondation constitué un objet d’histoire pour leurs érudits. Ainsi l’abbé Bellet, qui a grandement participé à la fondation de l’Académie, rédige, à une date qu’il est difficile de déterminer, une “ Histoire de l’Académie royale des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux ”42. De même son contemporain, Isaac Sarrau de

Boynet établit-il le “ Projet d’une histoire de l’Académie de Bordeaux ”43, nous confrontant de

la sorte à une double précocité de cette histoire de soi, précocité au double regard de l’histoire particulière de l’Académie et de l’histoire générale de l’érudition. Pareille conscience historique donne beaucoup à penser. Elle pose avec d’autant plus d’acuité la question du présent que l’histoire produite sert à fonder. De quels enjeux relève-elle ? Sont-ils les mêmes d’une époque à l’autre ? d’un âge de la société à l’autre ?

A ces questions soulevées par la précocité de la mise en histoire, on ne peut que tenter de répondre, à l’appui de ce que l’on sait des deux académies citées précédemment en exemple. En ce qui concerne la “ grande ” Académie, on peut comprendre que son historicisation quasi-immédiate au XVIIIème siècle vise à placer l’institution nouvellement créée à la hauteur des autres académies provinciales, pour certaines déjà anciennes, et à en remontrer à un pouvoir local avec lequel, en vertu de sa composition sociologique, elle ne cesse de s’opposer. Deux siècles et demi plus tard, la “ petite ” Académie semble de son côté trouver un intérêt à se poser là comme objet d’histoire compte tenu de ses difficultés à s’imposer dans le paysage érudit bordelais, notamment face à l’autre Académie qui ne cesse de contester sa légitimité. Mais ce n’est là qu’une ébauche de solutions à un problème qui en appellent à des compétences historiennes, et plus précisément de dix-neuvièmisme. Contentons-nous de retenir que la précocité de la mise en histoire peut tirer sa raison d’être d’un contexte immédiat, plus ou moins réductible au milieu de l’érudition.

Si l’on s’en tient à l’historicisation qui accompagne plus “ naturellement ” la maturité 41 BECAMPS Pierre, Académie Montesquieu. Aperçu historique, Académie Montesquieu, Bordeaux, 1981.

42 BELLET Jules, “ Documents inédits pour servir à l’histoire de l’Académie de Bordeaux. I – Histoire de l’Académie royale des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux ”, (retranscrit par CARAMAN Paul), Actes

de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, Fêtes du deuxième centenaire de l’Académie, 11

et 13 novembre 1912, 1913, pp 251-288.

43 SARRAU de BOYNET Isaac, “ Documents inédits pour servir à l’histoire de l’Académie de Bordeaux. II – Projet d’une histoire de l’Académie de Bordeaux ”, (retranscrit par CARAMAN Paul), Actes de l’Académie des

Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, Fêtes du deuxième centenaire de l’Académie, 11 et 13 novembre

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des sociétés, on peut constater que certains érudits s’en font une spécialité. C’est en particulier le cas de Raymond Céleste. Ce bibliothécaire adjoint de la bibliothèque de Bordeaux qui collectionne les adhésions aux sociétés savantes de la ville, s’est fait l’historien, de la Société des Bibliophiles de Guyenne, de la Société archéologique, de la Société des archives historiques, du Musée et enfin de la Société philomathique dans la revue de laquelle il publie toute une série d’articles44. Il ne saurait être question ici d’expliquer pourquoi Céleste, plutôt

qu’un autre érudit, s’est ainsi “ spécialisé ” dans l’histoire des sociétés. Il importe bien davantage d’observer l’émergence d’un objet, d’une thématique transversale et unique, celle, pour reprendre la première partie des titres que Céleste donne à ses articles, des “ sociétés de Bordeaux ”. L’histoire que Céleste écrit ne confond pas en une chronologie unique le passé des différentes sociétés, celles-ci faisant, tour à tour, l’objet d’une développement particulier. Néanmoins, ces articles paraissent dans une seule revue et pour trois d’entre eux dans le même volume. On a là, au tournant du siècle, l’esquisse d’une histoire commune dont le non moindre intérêt est de n’avoir jamais été reprise et parachevée. Il n’existe pas en effet, du moins à ma connaissance, d’Histoire des sociétés savantes de Bordeaux.

Qu’est-ce à dire ? Il semblerait bien que l’on touche là du doigt une vision du passé des sociétés savantes oscillant entre le particularisme et son contraire, qui n’est pas ici à proprement parler l’universalisme érudit mais bien plutôt, si l’on veut bien nous autoriser ce barbarisme, le “ bordelaisisme ”. En d’autres termes, moins bricolés ceux-là, il s’agit bien d’afficher la conscience que l’on a de participer d’une tradition érudite locale, mais en même temps, il importe de ne pas renoncer à son individualité de société que la confusion dans un même passé pourrait compromettre. Nous verrons plus loin que cette inscription dans une histoire commune recourt à la médiation d’autres supports que celui de l’écriture historienne.

Les célébrations du passé

En règle générale, l’écriture de l’histoire des sociétés savantes n’est guère motivée que par

44 CELESTE Raymond, “ La Société philomathique de Bordeaux de 1783 à 1808 ”, Revue

philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, 1898, pp 65-83 ; “ Les sociétés de Bordeaux.

Société des archives historiques du département de la Gironde ”, Revue philomathique de

Bordeaux et du Sud-Ouest, 1899, pp 323-334 ; “ Les sociétés de Bordeaux. Société des

bibliophiles de Guyenne ”, Revue philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, 1899, pp 354-364 ; “ Les sociétés de Bordeaux. Société archéologique ”, Revue philomathique de Bordeaux

et du Sud-Ouest, 1899, pp 432-431 ; “ Les sociétés de Bordeaux. Les anciennes sociétés

musicales – Musée (Société philomathique) 1783-1793 ”, Revue philomathique de Bordeaux

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l’intérêt appuyé que peuvent y porter certains érudits tel Raymond Céleste. Il est néanmoins des moments de la vie de la société qui déclenchent véritablement cette production d’histoire, celui de l’établissement des Tables des publications45, et plus encore systématiquement les

anniversaires de la fondation (cinquantenaires, centenaires, bicentenaires, etc). Ces dates offrent aux sociétés l’occasion de se tourner vers leur passé, ce qu’elles ne manquent pas de faire. Une fois de plus, force est de constater que la jeunesse n’est en rien un obstacle, comme le prouvent le Cercle généalogique du Sud-Ouest et la récente fête de son trentenaire. La production d’histoire emprunte alors des formes diverses, celles, non exclusives les unes des autres, du discours46, de la chronologie47, de la pièce de théâtre48, de la publication de

documents d’archives49, et plus couramment celle de l’article50.

Ce faisant les anniversaires ne sauraient être ramenés à leur seule vocation commémorative dans laquelle la production d’auto-histoire puise sa justification tout autant qu’elle y trouve une impulsion. La réalité de ces célébrations est aussi celle d’événements pleinement inscrits dans le présent dont les Actes, Bulletins et Mémoires des sociétés rendent

45 Voir par exemple : GERES Jules, Tables historiques et méthodiques des travaux et

publication de l’Académie de Bordeaux (depuis 1712 jusqu’en 1875), Académie nationale des

Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, Gounouilhou, Bordeaux, 1879, pp 148-172 ;

Actes de l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, “ Historique

de l’Académie (1712-1975) ”, Tables centennales historiques et méthodiques (1876-1975), 1976, pp 84-95.

46 BARDIE Armand, “ Réunion commémorative du Centenaire de la Société linnéenne de Bordeaux à Arlac le 30 juin 1918 - Discours ”, Bulletin de la Société linnéenne de Bordeaux, T LXX, 1920, pp 140-154 ; HUBRECHT G, “ Célébration du Centenaire de la Société des Bibliophiles de Guyenne 14 octobre 1966 - Discours d’ouverture ”, Bulletin de la Société des

Bibliophiles de Guyenne, n° 85, 1967, pp 1-12.

47 CHEVET Bernard, DELANGHE Damien, MANO Michel, RAULIN Yves, “ Mémoire de la Société 1948-1998. Quelques coups de flash sur un demi-siècle d’histoires obscures ”,

Bulletin de la Société spéléologique et préhistorique de Bordeaux, 1948-1998 : 50 ans

d’explorations, TXXIX, 1998, pp 5-16.

48 GAUTIER Paul, “ Sur la Terrasse. A propos en un acte, en vers ”, Actes de l’Académie des Sciences,

Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, Fêtes du deuxième centenaire de l’Académie, 11 et 13 novembre 1912, 1913, pp

137 -200.

49 BELLET Jules, op. cit. ; SARRAU DE BOYNET Isaac, op. cit. ; HARLE Pierre, (retranscrit par), “ Documents inédits pour servir à l’histoire de l’Académie de Bordeaux. IV – Précis historique de la formation de la Société d’Histoire naturelle de Bordeaux ”, Actes de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de

Bordeaux, Fêtes du deuxième centenaire de l’Académie, 11 et 13 novembre 1912, 1913, pp 251-288 ;

CARAMAN Paul, (retranscrit par), “ Documents inédits pour servir à l’histoire de l’Académie de Bordeaux. III – Lettres inédites de l’abbé Bellet et du président Barbot ”, Actes de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres

et Arts de Bordeaux, Fêtes du deuxième centenaire de l’Académie, 11 et 13 novembre 1912, 1913, pp 294-319.

50 Voir par exemple : Anonyme, “ La Société philomathique de Bordeaux. Ses origines, son histoire, son œuvre ”, Revue philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, 1909, pp 1-79 ; ESPAGNET Henriette, “ La vie de la Société de 1924 à 1973 ”, Bulletins et Mémoires de la

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abondamment compte51. Les programmes s’avèrent d’une particulière densité. De réceptions

en séances solennelles, de vernissages en inaugurations, de visites de musées en excursions, de messes en concerts, de toasts en discours, de remises de médailles en remises de diplômes, en passant par les incontournables banquets arrosés de Bordeaux, ces journées se vivent au pas de charge (voir coupure de presse). Ces instants-là de la vie des sociétés comptent d’autant plus dans le présent qu’ils offrent l’opportunité de se situer par rapport à l’ensemble du milieu érudit, local, régional, national voire international. S’éprouve alors la solidité des liens avec les sociétés savantes, d’ici et d’ailleurs, ainsi qu’avec d’autres instances du savoir comme l’Université : les pages des comptes-rendus s’alourdissent en conséquence d’interminables listes des noms et titres des personnalités, présentes comme absentes lors de ces manifestations, ou encore d’ “ adresses ”, à savoir de messages plus ou moins longs de félicitations ou d’encouragement envoyées par les sociétés analogues52.

De fait les anniversaires fournissent le prétexte d’une mise en scène de soi, de son passé et peut-être plus encore de son actualité. Faire date, faire histoire, c’est à dire susciter et vivre ce qui, digne de mémoire, sera raconté demain, tel est le programme implicite de ces journées d’apparat. Il ne s’agit que d’“ être par le présent, assuré que l’avenir sera digne d’un glorieux passé ”, comme l’exprime si justement l’Académie des Sciences morales et 51 Voir par exemple : Anonyme, “ Les deux-cent cinquante ans de l’Académie nationale de Bordeaux ”, Actes de l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, Tome XVIII, 1962, pp 135-141 ;; Bulletin de la Société linnéenne de Bordeaux, “ Séance commémorative du 100ème anniversaire de la fondation de la Société linnéenne tenue à Arlac,

le dimanche 30 juin 1918, à 3 heures de l’après-midi ”, T LXX, 1920, pp 137-140 ; DARRICAU Raymond, “ Le Centenaire de la Société des Bibliophiles de Guyenne 1866-1966 ”, Bulletin de la Société des Bibliophiles de Guyenne, n° 84, 1866-1966, pp 103-107 ; DUTHIL JB, “ Cinquantenaire de la Société de Géographie commerciale de Bordeaux ”,

Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Bordeaux, 49, 1925-26 pp 1-20.

52 Les comptes-rendus des deux centième et deux cent cinquantième anniversaires de l’Académie nationale comprennent les textes des adresses reçues à ces occasions (cf Actes de

l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, “ Compte-rendu des

fêtes du Deuxième Centenaire ”, 1913, pp 30-206 et “ Célébration du 250ème anniversaire.

Séances solennelles du mardi 15 mai ”, Tome XVIII, 1962, pp 151-183). A titre d’exemple, je citerai ici celle de l’Académie royale des sciences et lettres de Danemark : “ C’est avec une très vive sympathie que l’Académie royale des sciences et lettres de Danemark a reçu la nouvelle du deux cent cinquantième anniversaire de l’Académie nationale de Bordeaux. Nous regrettons beaucoup de vous faire savoir que notre Académie n’est pas en état de se faire représenter aux fêtes. Mais nous sommes heureux de saisir cette occasion pour vous témoigner notre admiration profonde et vous présenter nos vœux les plus sincères. L’Académie exprime sa joie et sa gratitude pour le grand nombre de travaux importants dus à l’activité des membres de votre illustre Académie. Nous vous prions d’agréer nos meilleures salutations confraternelles et nos félicitations les plus vives. En même temps nous formons des vœux pour que votre Académie nationale puisse continuer ses travaux scientifiques d’une manière digne de son passé et de la civilisation française ”. (p 174).

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politiques dans l’une de ses adresses53. Les comptes-rendus souvent très minutieux faits de ces

manifestations signalent très clairement le caractère mémorable de ces grands moments, tandis qu’ils procèdent à un enregistrement sur lequel pourront prendre appui les remémorations à venir. Ainsi le volume des Actes de l’Académie correspondant à l’année 1912 contient-il outre un “ Compte-rendu des Fêtes du Deuxième centenaire ”, long de cent soixante-dix-sept pages54, des “ Notes et Documents pour servir à l’histoire des fêtes du

Deuxième centenaire ”55, dans lesquels figurent les comptes-rendus des séances consacrées à

l’organisation des festivités. Conjuguant de façon analogue l’événement au futur antérieur, la production d’archives qui accompagne ces événements traduit particulièrement bien cette mise en histoire du présent qui se produit à la faveur d’une instrumentalisation du passé56.

Célébration d’une continuité avec soi-même, ces manières conjuguées d’hériter du passé et de léguer le présent servent plutôt la conception particulariste que les sociétés savantes ont de leur histoire. La convocation, au spectacle de leur gloire, adressée aux autres sociétés et aux décennies d’érudition que celles-ci représentent implique néanmoins une variation d’échelle. La réunion de tous ces regards extérieurs ne présente pas en effet seulement l’avantage d’un faire-valoir supplémentaire. Elle opère telle un tremplin en faisant passer la société dans un au-delà de l’érudition qui déborde des frontières strictement bordelaises de la tradition savante. Ou de l’art de cultiver de concert particularisme et universalisme érudits.

1 Place Bardineau

La question du logement des sociétés est de celles qui n’accrochent pas d’emblée l’intérêt parce qu’a priori d’ordre plus pratique que symbolique. Ce faisant, son évocation récurrente finit par la signaler à l’attention de l’ethnographe. Elle se retrouve en effet partout, dans les discussions des érudits tout autant que sous leur plume, dans des proportions et sous des formes variables. Si Henriette Espagnet ne fait que la signaler au passage, dans l’historique qu’elle dresse de la Société archéologique de Bordeaux à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de sa création57, Jules de Gères, dans les Tables des Actes de l’Académie qu’il

53 Actes de l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, “ Célébration du 250ème

anniversaire. Séances solennelles du mardi 15 mai ”, Tome XVIII, 1962, p 165.

54 Actes de l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, “ Compte-rendu des fêtes du Deuxième Centenaire ”, 1913, pp 30-206.

55 Actes de l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, “ Notes et documents pour servir à l’histoire des fêtes du Deuxième centenaire ”, 1913, pp 13-29.

56 Entre autres fonds, celui de la Société de Géographie commerciale, conservé aux Archives municipales, comprend, sous la côte 1. 23, un dossier contenant les pièces relatives au cinquantenaire, de 1926.

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établit en 1879, consacre toute une note, longue de vingt-cinq pages à “ l’ancien hôtel de l’Académie, à Bordeaux, sur les allées de Tourny ”58. Quant aux auteurs du chapitre XIX des Tables suivantes, composées en 1976, c’est à l’appui d’une série d’images, huit gravures et

photographies, qu’ils énumèrent les sièges qui furent ceux de leur Compagnie59. Ceux-ci sont

par ailleurs signalés aux visiteurs, inscrits en lettres d’or sur le mur du rez-de-chaussée de l’Hôtel des Sociétés savantes (cf illustrations). Comme les présidences, les règnes des secrétaires perpétuels de l’Académie, ou encore les statuts et règlements en vigueur entre deux révisions ou réformes, les différentes occupations décrivent une périodisation de l’histoire des sociétés qui se superposent plus ou moins précisément aux autres, jusqu’à déterminer, dans le cas de l’histoire de l’Académie, un chapitre autonome. Qu’est-ce donc que les sociétés savantes donnent à lire et à entendre à travers cet aspect de leur histoire ? Que racontent ces listes d’adresses assorties de commentaires plus ou moins abondants ?

Entre incertitude et évidence

Cette histoire dans l’histoire est, en germe, une histoire dramatique. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si, pour écrire Sur la Terrasse60,la pièce jouée en 1912 à l’occasion du bicentenaire de

la fondation de l’Académie, l’académicien Paul Gautier a recherché et trouvé dans cette histoire la matière de sa comédie dramatique. En l’occurrence, il met en scène l’Académie à un moment critique de son passé. L’Intendant Tourny, soutenu par la Jurade, menace par ses projets d’aménagement (percement de rues et alignement de façades) de détruire l’hôtel de Jean-Jacques Bel dont a hérité la Compagnie à la double condition d’y tenir ses séances et d’ouvrir sa bibliothèque au public, et dans lequel elle loge depuis 1739, ce qu’explique le Père François à la Comtesse, locataire de l’Académie :

“ C’en est fini ;

Fini de notre hôtel, fini de sa terrasse ; (…) Un arrêt du Conseil,

Oui, du Conseil d’Etat (l’exemple est sans pareil) L’a décidé, Comtesse, en due et bonne forme ”61.

58 GERES Jules, op. cit., pp 148-172.

59 Actes de l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, “ Vue des sièges successifs de l’Académie ”, Tables centennales historiques et méthodiques (1876-1975), 1976, pp 96-104.

60 GAUTIER Paul, op. cit.

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L’académicien en question imagine pour sauver le legs de Jean-Jacques Bel de mettre à profit les charmes et la complicité de la Comtesse afin d’infléchir Tourny, estimant que “ la meilleure façon de convaincre est de plaire ”62. Cependant l’Intendant de Guyenne, attentif à

une conversation qu’il n’aurait pas dû entendre, évite le piège et lors d’une séance de l’Académie annonce son dessein de raser l’hôtel. Et tandis que le Père François martèle “ C’est une catastrophe ”63, un billet, signé de Montesquieu, parvient aux mains du Président

Bardot qui le résume ainsi :

“ On me mande écoutez, ce n’est pas un secret -Que le Conseil d’Etat, par un nouvel arrêt

Réduisant à néant sa première sentence, Maintient l’Académie en tous ses droits… (…) L’y confirme, fait droit à son titre formel… (…) Et défend qu’on touche à son hôtel ”64.

Dans la réalité des faits, cette victoire de l’Académie ne met fin que temporairement à un conflit de près de vingt ans que tait la pièce et sur lequel sont loin de s’attarder tous les historiens de l’Académie65.

On laissera aux dix-huitièmistes le soin d’analyser les rapports de force entre la bourgeoisie et le pouvoir royal qui se font jour dans un tel conflit, pour ne s’intéresser qu’au traitement que réservent à ce type d’épisode les héritiers de cette histoire. Soit qu’ils y reviennent sans cesse, dans leurs articles ou dans la plaquette de présentation de l’Académie66,

soit qu’ils lui donnent, comme Gautier, une traduction théâtrale, ceux-ci privilégient plutôt la version courte, celle que clôt l’intervention providentielle de Montesquieu. Une telle lecture du passé, aussi partielle que partiale, appelle quelques éclaircissements qu’apportent, en ce qui concerne l’Académie, sa situation locative actuelle et l’explication que l’on en donne. Démunie de tout patrimoine immobilier depuis sa nationalisation sous le régime de la Terreur, elle est aujourd’hui logée du fait du bon vouloir de la ville. Déguiser cette précarité est un exercice rhétorique commun : on vous raconte volontiers à Bordeaux que cet hébergement est

62 Ibid., p 159. 63 Ibid., p 197-198. 64 Ibid., p 198.

65 BARRIERE Paul, L’Académie de Bordeaux. Centre de culture internationale au XVIème siècle (1712-1792), Bière, Bordeaux - Paris, 1951. GERES Jules, op. cit.

66 Le texte de ce dépliant, régulièrement réimprimé, accorde une place somme tout considérable à “ l’épisode Tourny ” : “ Lorsque Jean-Jacques Bel eût légué, en 1739, son somptueux hôtel et divers immeubles de l’esplanande du château Trompette (n° 10 et 10 bis des actuelles allées de Tourny, les académiciens bénéficièrent d’une résidence privilégiée. Cependant Montesquieu dut user de tout son crédit pour préserver ces immeubles des risques que l’intendant Tourny, pourtant académicien lui aussi, faisait peser sur eux, avec l’appui des jurats de Bordeaux ”.

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de l’ordre de l’obligation en vertu du legs de Jean-Jacques Bel à la ville, assortie de la condition que celle-ci pourvoirait toujours à son hébergement. La récupération des bâtiments par la municipalité après 1793 rend plausible la reformulation des clauses du testament de Bel en même temps que la désignation d’un autre bénéficiaire que l’Académie. Quoiqu’il en soit de l’écart entre la réalité historique et la façon dont on s’en arrange, rien depuis cette date n’officialise cette soit disant obligation.

Curieusement, la même confusion prévaut dans les rapports entre la ville et la Société linnéenne de Bordeaux et le même doute plane sur les devoirs de l’une à loger l’autre. Monsieur B. explique : “ La société linnéenne avait eu un legs très intéressant qui était l’Athénée municipal de Bordeaux. On n’a pas pu retrouver ni aux archives de la ville de Bordeaux, ni à la Linnéenne de Bordeaux, avec précision, les dates et les conditions de ce legs. Cet Athénée municipal étant tellement vaste, la Société linnéenne en a fait don à la ville de Bordeaux, ce qui explique pourquoi la Société linnéenne est toujours bien logée. (…) On se trouve dans une situation un peu ambiguë parce qu’on n’a pas de texte qui atteste avec précision ce que dit la tradition orale et malgré les recherches faites aussi bien à la mairie que chez nous, nous n’avons pas pu trouver les dates des délibérations. On en parle dans une délibération de la Société linnéenne. C’est tout ! ” A l’absence d’archives, les Linnéens opposent la force de la tradition : “ Lors de manifestations, quand il s’agit de prêter des salles, comme par exemple à l’occasion d’un film qui a été tourné dernièrement, la ville de Bordeaux a dit : “ Adressez-vous à la Société linnéenne pour avoir accès aux salles de l’Hôtel des Sociétés savantes ” ”. Du reste les certitudes de la Société linnéenne d’être plus que les autres en droit d’être hébergée par la ville ne sont que peu entamées par l’existence depuis 1979 d’une Union scientifique d’Aquitaine regroupant toutes les sociétés savantes siégeant à l’Hôtel du même nom, la Société linnéenne y compris et à l’exclusion de l’Académie. Cette dernière et l’USA sont les uniques interlocutrices de la mairie, et les signataires des “ Contrats de prêt à usage par la ville de Bordeaux aux associations occupant l’immeuble de la place Bardineau ”.

Dans le cas de l’Académie comme dans celui de la Société linnéenne, le droit au logement des sociétés savantes se fonde sur la réinvention des termes de la preuve voire sur la fiction de la preuve. D’un temps à l’autre, de 1749 à 2002, c’est finalement, à la faveur d’un récit tronqué et à l’appui de traces revisitées ou imaginées, le même scénario que l’on élabore : celui de sociétés sauvées ou préservées des menaces d’expulsion. Cette assurance diversement affirmée d’avoir été envers et contre tout et d’être à jamais logé met en exergue quelque chose de l’ordre de la nécessité qu’il convient d’interroger. L’organisation des

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