Antike Kunst
61
. Jahrgang
2018
HERAUSGEGEBEN VON DER VEREINIGUNG DER FREUNDE ANTIKER KUNST · BASEL
ZEITSCHRIFT FÜR KLASSISCHE ARCHÄOLOGIE
61. JAHRGANG 2018REVUE D’ARCHÉOLOGIE CLASSIQUE
RIVISTA DI ARCHEOLOGIA CLASSICA
Christoph Reusser
Ein frührotfiguriger attischer Becher des Malers von
Berlin 2268 (Taf. 15, 4; 16) 108
Elena Mango, unter Mitarbeit von Marcella Boglione
Sechster Vorbericht zu den Forschungen in Himera
(2017) (Taf. 18–19) 111
Karl Reber, Guy Ackermann, Rocco Tettamanti,
Laureline Pop, Denis Knoepfler, Amalia Kara
paschalidou, Thierry Theurillat, Tobias Krapf
Les activités de l’École suisse d’archéologie en Grèce
en 2017
Le Gymnase d’Érétrie et l’Artémision d’Amarynthos
(pl. 20) . . . 123
Julien Beck, Despina Koutsoumba
Baie de Kiladha 2017 138
Tafeln 1–20
Chronik 2017 143
Geführte Studienreisen 145
Abkürzungen 148
Hinweise und Richtlinien 148
Beihefte zu Antike Kunst 150
OnlineBerichte
Kalliopi Papangeli, Sylvian Fachard, Alex R. Knodell
The Mazi Archaeological Project 2017:
Test Excavations and Site Investigations 153
<www.antikekunst.org/wp/publikationen/diegrabungs
berichte/>
61 Jahrgang 2018
Herausgegeben von der Vereinigung
der Freunde antiker Kunst · Basel
A N T I K E K U N S T
ZEITSCHRIFT FÜR KLASSISCHE ARCHÄOLOGIE REVUE D’ARCHÉOLOGIE CLASSIQUE RIVISTA DI ARCHEOLOGIA CLASSICAInhalt
Xenia Charalambidou
On the Style and Cultural Biography of Euboean
and Euboeanrelated Amphorae.
(Re)visiting Material Evidence from the Hygeiono
meion Cemetery at the Spanou Plot in Eretria (pls. 1–2) 3
Christoph Reusser
Ein attischer FalaieffKrater aus einem etruskischen
Wohnhaus. Ein Neufund aus den Zürcher
Ausgrabungen in Spina (Taf. 3–6) . . . 16
Antoine Hermary
Une figurine d’âne citharède à Mégara Hyblaea (pls. 7–8) 32
Norbert Franken
Bädersklaven. Ein neuer Benennungsvorschlag für
zwei hellenistische Bronzestatuetten (Taf. 9–10) . . 44
Mireille M. Lee
The Gréau Caryatid Mirrors: Constructions of
Antiquity and Modernity (pl. 11) . . . 54
Rolf A. Stucky
Fouilles suisses du santuaire de Baalshamîn à Palmyre.
Le passé confronté au présent et à l’avenir
(pls. 12–13) 63
Grabungen:
Martin A. Guggisberg, Marta Imbach, Norbert
Spichtig
Basler Ausgrabungen in Francavilla Marittima (Ka
labrien). Bericht über die Kampagne 2017
(Taf. 14) 73
Martin Mohr, Christoph Reusser, mit Beiträgen
von Anne Kolb und Andreas Elsener
La figurine en terre cuite de Mégara Hyblaea (pl. 7, 1)
La statuette, moulée sur la face antérieure (à l’arrière,
surface lisse avec un petit trou d’évent circulaire), est
fa-briquée dans une argile orangée, grise dans les parties
centrales les plus épaisses, avec des restes d’engobe blanc
en surface. Trouvée à une date indéterminée (entre 1949
et 1971) dans les fouilles françaises de Mégara Hyblaea
dirigées par G. Vallet et F. Villard
6, elle est conservée dans
les réserves de la maison de fouilles locale, inv. MH TC 9.
La hauteur conservée est de 15 cm.
Le corps de l’âne, couvert sur les côtés par un vêtement
ou une peau d’animal, qui remonte sur le crâne et dont
une extrémité échancrée pointe à l’avant, à la base du cou,
est présenté de trois quarts face, debout sur ses pattes
arrière, très grêles, dont la partie inférieure manque. Sur
l’espace intermédiaire entre les cuisses, plein et
légère-ment bombé, se détachent en relief les testicules en forme
de boules, au-dessus desquels se dresse le pénis en
érec-tion de l’animal, de grande taille. Il est appliqué sur le
ventre arrondi, et surmonté de la patte avant droite de
l’âne, pliée et posée sur le poitrail; le sabot est
discrète-ment fendu. L’animal tient de la patte avant gauche, qui
n’est presque pas visible, une cithare dont le centre et une
partie du contour sont cassés. La tête de l’âne est figurée
presque de profil à droite (pour le spectateur). La
mâ-choire est légèrement ouverte, comme pour chanter, la
narine est recreusée, l’œil est figuré par une pastille dans
une dépression; les oreilles sont cassées. Une bandelette
est posée en haut du crâne
7.
En raison de l’absence de contexte et du manque de
points de comparaison, il est difficile de proposer une
date précise pour cette figurine, mais la nature de l’argile
et la présence d’un engobe sont caractéristiques de
figu-rines en terre cuite produites sur le site de Mégara, ou à
proximité, qui datent certainement de l’époque
hellénis-tique. L’œuvre est donc soit à peu près contemporaine,
6 On trouvera un bilan général sur ces fouilles anciennes dans Vallet –
Villard – Auberson 1983; pour les recherches plus récentes, voir Gras – Tréziny – Broise 2004 et Tréziny 2018.
7 J’avais d’abord pensé qu’il pouvait s’agir d’une lanière destinée à
te-nir le vêtement ou à supporter l’instrument, mais l’hypothèse d’une bandelette paraît préférable.
Dans un article publié dans le volume 59 (2016) de
cette revue, Katalin Vandlik a étudié, à partir d’une
in-taille en cornaline conservée à Bâle, le motif de l’âne
jouant de la lyre
1. Elle a reproduit à cette occasion une
figurine en terre cuite du Louvre montrant un
person-nage à tête d’âne tenant une cithare, doté d’un sexe de
grande taille
2. L’intérêt et l’originalité de ce document
avaient été soulignés quelques années plus tôt par
Chris-tophe Vendries pour qui il s’agissait de la seule
illustra-tion connue du proverbe
ὄνος λύρας, «l’âne de la lyre»
3.
Ces deux études
4m’ont incité à publier une figurine en
terre cuite hellénistique mise au jour dans les anciennes
fouilles françaises de Mégara Hyblaea, qui constitue un
important témoignage sur ce thème de l’âne ithyphallique
musicien
5.
Antike Kunst 61, 2018, p. 32–43 pls. 7–8 1 Vandlik 2016.
2 Vandlik 2016, 38 pl. 4, 2. Première publication dans Besques 1992,
125–126 no. D/E 4536 pl. 79, c; Vendries 2010, 218–219 fig. 12–13. La figurine est haute de 17,2 cm, soit une taille équivalente à celle de Mé-gara, dont manque la partie inférieure. Le musicien n’est pas vraiment ithyphallique, puisque le sexe n’est pas dressé, mais supporte en partie la cithare; comme sur d’autres figurines de l’Égypte ptolémaïque et ro-maine, c’est surtout le gland qui est démesuré.
3 Ou ὄνος λύρας ἀκούων, «un âne écoutant une lyre». Toutes les
formes de ce proverbe sont déjà données dans Leutsch – Schneidewin 1839, 291–292. Photius et la Souda, s.v. ὄνος λύρας, en attribuent
l’ori-gine à une comédie perdue de Ménandre, sous la forme plus
dévelop-pée ὄνος λύρας ἤκουε καὶ σάλπιγγος ὗς, «un âne écoutait une lyre et
un porc une trompette», qui se disait de gens en désaccord et ne décer-nant pas d’éloges. C’est donc dans sa version abrégée que le proverbe pouvait s’appliquer à un âne musicien. Sur ces questions, voir aussi Griffith 2006, 227–228; Vendries 2010; Vendries 2014, 236–237.
4 Celle de Vendries 2010 constitue sur le sujet une référence
fonda-mentale, complétée dans Vendries 2014.
5 Je laisse de côté ici les autres éléments caractéristiques de la
percep-tion de l’âne dans la mentalité antique, en particulier dans son opposi-tion au cheval: voir Griffith 2006, Gregory 2007 et Calder 2008, ainsi que Wiesner 1969 qui élargit la perspective en étudiant l’image de l’âne dans le Proche-Orient ancien, en particulier dans la Bible où il est la monture des prophètes et des rois: ainsi, dans le livre de Zacharie (9, 9) est annoncée l’arrivée du Messie chevauchant un âne, et la vision du prophète se réalise quand le Christ entre dans Jérusalem sur une ânesse accompagnée de son petit (Matthieu 21, 2–7).
ANTOINE HERMARY
puissance de l’érection est soulignée de façon plaisante,
sur plusieurs vases à figures noires, par la présence d’un
vase accroché à son phallus
14. Déjà évoquée au VIIe siècle
dans un ou deux fragments d’Archiloque
15, la vigueur
sexuelle de l’animal est soulignée dans un vers de
Pin-dare
16: invité chez les Hyperboréens, Apollon rit au
spec-tacle de «l’ardeur dressée» des ânes qui lui sont sacrifiés
17.
Dans l’iconographie archaïque, cet appétit sexuel
s’ex-prime parfois sous la forme de la poursuite d’une femelle
(ânesse ou jument)
18et, plus souvent, sous celle d’une
femme (probablement une ménade
19) effrayée par la
me-nace d’un viol qui n’est en fait jamais perpétré: ainsi, dans
la première moitié du VIe siècle, sur un aryballe du
Co-rinthien Moyen
20et sur un lécythe du ‹type de
Déja-1–2; Moore 2010, 46–47 n. 51), mais la sexualité débridée de l’âne et son lien avec celle des satyres indiquent que la monture ithyphallique de Dionysos et d’Héphaïstos est le plus souvent conçue comme un âne, ce que confirme le mot ONOΣ peint au-dessus de l’animal sur un
cra-tère à colonnettes à figures noires attribué à Lydos: LIMC Supplemen-tum 2009 (Düsseldorf 2009) 242 add. 2 pl. 124 (A. Hermary), et sur-tout Moore 2010, 30 fig. 2 et 12, qui, malgré l’inscription, parle d’«He-phaistos on the mule». Pour Schefold (1981, 127), «Die Künstler machen dies Reittier nur deshalb einem Maultier ähnlich, weil er statt-licher als ein Esel ist, so wie oft Stiere anstelle von Kühen dargestellt werden».
14 Liste détaillée dans Lissarrague 2013, 279–280 (avec mention
d’autres objets parfois accrochés au sexe de l’animal); voir aussi Her-mary – Jacquemin 1988, 640 n° 142a pl. 395 (noter aussi l’enfant qui saisit le pénis comme pour s’y suspendre); 642 no. 156b et no. 157d pl. 397.
15 Les deux passages où il est question d’un «âne lubrique» ont été
ré-unis en un seul fragment par M. L. West, Iambi et elegi Graeci ante Alexandrum cantati 1 (1971) 19 fr. 43 et F. Lasserre, Archiloque. Frag-ments (Paris 1958) 55 fr. 184), qui traduit: «Son membre éjaculait, aussi volumineux que celui d’un âne de Priène, l’âne étalon gorgé de grain». Toutefois, pour W. Luppe (1995) il s’agit de deux fragments distincts.
16 Pind. P. 10, 36.
17 Sur ce passage, voir le commentaire de Hoffmann 1983, 64.
18 Comme sur une coupe de Siana conservée à Birmingham (Brijder
1983, 264 no. 291 pl. 58d) et un askos à figures rouges du British Mu-seum (Hoffmann 1977, 11 no. 36 pl. V, 1–2).
19 Villanueva Puig 2009a, 137–138.
20 La scène a été interprétée de façon convaincante par Green (1966):
un satyre tente de retenir un âne qui se précipite vers une femme nue qui tombe à terre.
soit – plus probablement – antérieure à la terre cuite du
Louvre, située par Simone Besques à la «basse époque
hellénistique»
8, ainsi qu’à l’intaille de Bâle qui «date
cer-tainement du Ier siècle av. J.-C.»
9.
Ânes et satyres ithyphalliques, silènes et satyres musiciens
La présentation de l’animal, de face et debout sur ses
pattes arrière, met en évidence son impressionnante
érec-tion. Sur ce point, la figurine se situe dans une tradition
remontant à l’époque archaïque, qui, au sein du cercle
dionysiaque, caractérise l’âne par son ardeur sexuelle
10,
comparable à celle des satyres ou des silènes
11,
eux-mêmes mi-hommes, mi-équidés
12. Ainsi, lors de son
re-tour dans l’Olympe, le dieu boiteux Héphaïstos,
accom-pagné par les satyres/silènes, monte un âne
13dont la
8 Besques 1992, 126.9 Vandlik 2016, 41.
10 Parfois directement figurée sous la forme de la saillie d’une ânesse
(chous de Munich: ARV2 971; Hoffmann 1983, 61 fig. 3) ou d’une
ju-ment (coupe de Heidelberg attribuée au Peintre d’Euergidès, vers 510: Moore 2004, 56 fig. 58; Griffith 2006, 238 fig. 14). La saillie est sur le point d’avoir lieu sur une coupe de Bologne, attribuée au Peintre de la Dokimasie (ARV2 412, 9; CVA Bologna 1 [1929] pl. 7, 1).
11 Satyres et silènes ne sont pas clairement distingués en grec ancien:
voir Brommer 1937, 2–5. Selon l’usage qui s’est imposé, je réserverai le nom de silènes aux personnages qui, à partir du Ve s. av. J.-C., sont ca-ractérisés par leur âge mûr et une moindre activité sexuelle et ludique.
12 Sur la sexualité débordante de l’un et des autres (et les scènes
mon-trant un satyre sodomisant un âne en érection), voir l’étude fondamen-tale de Lissarrague 1987, reprise et complétée, en dernier lieu, dans Lis-sarrague 2013, 73–96 fig. 59–60; 109–112 fig. 83–84, avec la liste de la p. 282 («satyre accouplé à un âne»); le vase plastique reproduit fig. 83 a été publié en détail dans Fiorentini 2003. Parmi ces images de vases attiques, qui datent de la fin du VIe ou du début du Ve s. av. J.-C., no-ter entre autres, pour sa valeur comique accentuée, un skyphos à fi-gures noires du Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale (ABV 206 no. 1; Lissarrague 1987, 74 fig. 19, et Lissarague 2013, 85 fig. 59): sur une face, un satyre/silène à la barbe et aux cheveux blancs pé-nètre un âne en mouvement (!), sur l’autre un de ses congénères se sus-pend sous le ventre de l’animal et enserre son phallus. Sur les diffé-rentes formes de relation entre les satyres et les ânes, voir également Padgett 2000, 49–59.
13 Je ne reviens pas ici sur l’identification de l’animal comme un âne ou
comme un mulet. Il est probable que certains peintres de vases ont voulu marquer cette différence, comme Klitias pour les deux représen-tations d’Héphaïstos sur le vase François (Wiesner 1969, 532–534 fig.
en fait attendre l’époque impériale pour que
l’accouple-ment d’un âne avec une femme devienne un thème
litté-raire – au IIe siècle apr. J.-C. dans les deux versions de
l’histoire de Lucius transformé en âne, celle des
Méta-morphoses d’Apulée et celle de Lucius ou l’âne de
Lu-cien –, ainsi qu’un motif iconographique, sur toute une
série de lampes en terre cuite
26, une gourde de pèlerin
découverte à Bacchias en Égypte
27ou encore des
médail-lons d’applique trouvés en Gaule
28. Notons cependant
que, dans le roman, c’est le héros transformé en âne qui
est victime de la lubricité d’une femme prise de passion
pour cet animal hors du commun, ou plutôt pour son
sexe de taille impressionnante: malgré les craintes de
Lu-cius, elle réussit à s’accoupler avec lui sans difficulté et
reçoit entièrement en elle l’énorme phallus
29.
Contraire-doté d’un long sexe en érection, s’avance entre ses jambes. Le sujet fi-guré sur l’autre face, un satyre saisissant le flanc d’une ménade ou d’une hétaïre nue (tous deux avançant à quatre pattes), près de laquelle est posé un skyphos, souligne la portée érotique du décor du vase: on conviendra, avec F. Lissarrague (1987, 76 fig. 23, suivi par Moraw 1998, 162 fig. 27b), que «l’échange des rôles entre âne et satyre est évident», mais, dans ce cas, l’âne n’apparaît pas comme un agresseur sexuel com-parable au satyre, car l’initiative reviendrait à la femme allongée, comme le dit clairement E. C. Keuls (1993, 165 fig. 139): la femme offre au mulet (en fait certainement un âne) «not only a sip of wine but her sexual favors as well»; pour M.-C. Villanueva Puig (2009a, 73 fig. 12– 13), il s’agit de la «dernière étape de la subversion». Mais, par ailleurs, une série de lécythes à figures noires tardifs montrent une ménade as-sise sur un âne ithyphallique sans qu’elle manifeste la moindre crainte d’une agression sexuelle: Villanueva-Puig 1983, 252–256, et Villanue-va-Puig 2009b, 219–220 fig. 4.
26 Bruneau 1965, 350–357 fig. 2–4; ajouter les nombreux exemples mis
au jour au Céramique: Böttger 2002, 42–43 et nos. 1275–1308.
27 Seif El-Din 2006, 46–47 pl. 34, 6; Vendries 2009, 72 fig. 10: l’âne,
de-bout sur ses pattes arrière, prend par derrière la femme qui est plus grande que lui, en présence d’un spectateur; sur l’autre face, c’est un homme de très petite taille qui pénètre une femme, devant un banque-teur. L’œuvre est datée du IIe ou du IIIe s. apr. J.–C.
28 Wuilleumier – Audin 1952, 137–138 nos. 249–250; Jacobelli 2011,
140 fig. 57; Rivet – Saulnier 2016, 193 nos. 143–144.
29 Apulée, Métamorphoses 10, 19–22; Lucien, Lucius ou l’âne 50–52.
Le maître de Lucius décide ensuite de tirer profit de ces capacités éton-nantes de l’âne et il organise un spectacle dans l’amphithéâtre destiné à montrer l’âne Lucius s’accoupler avec une femme condamnée à mort; mais celui-ci parvient finalement à s’échapper, avant de retrouver son apparence humaine: il retourne alors voir la femme, mais celle-ci re-pousse Lucius qui a retrouvé le pénis d’un homme ordinaire.
nire›
21, et un peu plus tard sur plusieurs coupes à figures
noires, l’une conservée au British Museum
22et deux
autres à Munich – dont l’une est illustrée ici (pl. 7,
2–3)
23–, tandis que sur un exemplaire conservé au Japon
la femme est poursuivie et encadrée par deux ânes et deux
satyres
24. À la fin du siècle, une coupe-skyphos à figures
rouges présente cette potentielle relation sexuelle entre
un âne et une femme de façon tout à fait apaisée
25. Il faut
21 ABV 12, 22 (Peintre de la Gorgone); Green 1966, 9 pl. 3, 3; Moraw1998, 31 pl. 1, 1; Isler-Kerényi 2001, 82 fig. 35–36. Dans ce cas, la me-nace est double, puisqu’un satyre est monté sur l’âne.
22 Green 1966, 9 pl. 3, 4.
23 De chaque côté, un âne en érection poursuit une femme nue qui, sur
la face A, tente de se défendre avec un bâton, en présence d’un jeune homme nu accroupi en train d’éjaculer; sur la face B, deux satyres courent en sens inverse vers les protagonistes: CVA München 11 (1989) 27–28 pl. 19, 6–7 et pl. 20 («Art des Elbows Out»); Kunst der Schale 1990, 150 fig. 23, 6. L’autre coupe est fragmentaire: CVA München 11 (1989) pl. 27, 7–8; Kunst der Schale 1990 fig. 23, 5.
24 Simon 1982, 56–57 no. 25; la femme est encadrée par deux ânes sur
chaque face d’une coupe conservée au château d’Adolphseck (CVA Adolphseck, Schloss Fasanerie 1 [1956] pl. 18, 1. 3).
25 Il s’agit d’une coupe-skyphos à figures rouges conservée à Naples
(ARV2 77, 85 [Épiktétos]), qui montre sur une face une femme nue, à
demi-allongée, le dos appuyé sur une amphore, tenant une coupe dans la main gauche et un thyrse dans la droite; un âne de petite taille, mais Fig. 1 Oenochoé étrusque d’Aléria
d’une sexualité néfaste
36. C’est dans cette tradition d’un
pouvoir sexuel maléfique qu’il est parfois figuré, à
l’époque impériale, comme l’adversaire de l’héroïne
Om-phale, détentrice «d’une double compétence, érotique et
maternelle»
37. Ainsi, sur deux intailles, la scène qui figure
Omphale nue, coiffée de la léonté d’Héraclès et
brandis-sant une massue, accroupie et les jambes écartées
au-des-sus d’un âne couché sur le dos, le sexe dressé
38, n’a pas de
signification érotique, mais exprime la domination
exer-cée par Omphale sur l’âne séthien, qui menace l’utérus
des femmes lors de leur grossesse.
Sur la figurine de Mégara Hyblaea, la mâchoire
ou-verte indique que l’animal cherche à chanter pour
ac-compagner le son de la cithare, mais il ne peut que braire
de façon déplaisante
39. Ce braiment semble bien être une
autre indication de l’excitation sexuelle de l’âne, comme
c’est très probablement le cas sur des œuvres plus
an-ciennes
40, parmi lesquelles je citerai deux rhytons
attri-bués au Peintre de Brygos
41, un autre attribué à Douris
42 36 Sur la conception de l’âne dans la civilisation égyptienne, voirVer-nus – Yoyotte 2005, 459–470: P. VerVer-nus cite une formule d’imprécation attestée à partir du Nouvel Empire, dans laquelle il est dit à l’ennemi visé, «Un âne le violera, un âne violera sa femme, sa femme violera ses enfants», tandis qu’à l’époque tardive on considère qu’une femme ayant des relations sexuelles avec un âne expie une faute grave.
37 Dasen 2015, 97, et l’ensemble du commentaire sur «L’âne
d’Om-phale», ibid. 97–102.
38 Dasen 2015, 101–102 fig. 3, 10. 11.
39 Voir, sur ce point, les références littéraires données dans Vendries
2014, 235–236. Sur un fragment d’amphore à figures noires conservé à Berkeley, un âne et un satyre semblent «chanter» en cœur: Lissarrague 2013, 113 fig. 87.
40 Hoffmann 1983, 61; Calder 2008, 157.
41 Boston, Museum of Fine Arts 03.787 (ARV2 382, 189; Hoffmann
1983, 61 fig. 2; Ebbinghaus 2008, 153 fig. 5): le braiment de l’âne, très bien indiqué sur la tête en ronde bosse, est associé à une scène figurant une ménade s’enfuyant devant un satyre et guettée par un autre. L’autre, conservé au musée de l’Ermitage, montre un homme barbu qui s’approche sans être vu (à la manière des satyres) d’un éphèbe nu en train de danser en portant un skyphos sur la plante de son pied levé, au son de l’aulos joué par un autre éphèbe (avec double inscription ho païs
kalos): ARV2 382, 191; Peredols’kaya 1967, 71 no. 71 pl. 49, 1–4.
42 Chicago, Art Institute 1905.345 (ARV2 445, 259; Buitron-Oliver
1995, 87 no. E 18 pl. 129): la mâchoire de l’animal est largement ouver te, sur le col est figuré un satyre poursuivant une ménade.
ment à Philippe Bruneau, Donald Bailey a considéré que
l’animal figuré sur les lampes était plus souvent un cheval
qu’un âne
30. De fait, il semble que les deux animaux
soient représentés dans ces curieuses scènes
d’accouple-ment
31, mais, si l’on excepte l’anecdote transmise par
Pline
32selon laquelle la reine assyrienne Sémiramis aurait
été amoureuse d’un cheval, la documentation littéraire et
iconographique grecque et romaine met en évidence la
sexualité débordante de l’âne plutôt que celle du cheval
33.
Il est probable que, dans leur recherche de sujets
éro-tiques originaux, les fabricants de lampes ou de vases se
sont inspirés d’une histoire bien connue au IIe siècle apr.
J.-C., mais dont l’origine reste incertaine
34.
Ce thème des relations sexuelles entre un âne et une
femme est traité, dans les deux romans et sur les lampes,
comme une fantaisie érotique dont le caractère misogyne
est plus plaisant qu’inquiétant, même s’il suggère que la
sexualité de la femme échappe à tout contrôle et peut
tomber dans les plus graves excès
35. Il en va autrement
dans la tradition égyptienne où, à côté des parodies
mon-trant, comme ici, un âne musicien, l’animal est affecté
30 Bailey 1988, 65 no. III (g) iii: l’exemple le plus clair lui paraît être la
lampe attique Q 3271, fig. 80 et pl. 119 (et 410 pour une date dans la deuxième moitié du IIIe s. apr. J.-C.), qui montre le ‹couple› en action sur une magnifique kliné, près de vases à boire. Noter aussi (Bailey 1980, 71 no. Q 758 fig. 14), la lampe qui figure un âne sodomisant un lion, un thème étudié par C. Vendries (2009) à propos d’une peinture de Pompéi sur laquelle l’âne vainqueur de cet étrange combat est cou-ronné par une Victoire.
31 Voir la discussion dans Chrzanovski – Zhuralev 1998, 123–125, à
propos du no. 67 (mais curieusement, l’animal est décrit dans la notice comme un cheval, alors que le commentaire se conclut ainsi: «it ap-pears almost certainly not to be a horse, but most probably an ass»). Dans le cas où une bride est figurée, il est plus naturel de penser à un cheval.
32 Plin. nat. 8, 64.
33 C’est toutefois un cheval et non un âne qui est figuré avec un
phal-lus à la place de la tête, devant un loutérion et un cheval normal, sur un ‹mug› du tout début du Ve siècle conservé à Berlin (F 2320): ARV2 157,
84 (Peintre de Berlin 2268); CVA Berlin Antiquarium 3 (1962) pl. 144, 4–6. 8–9.
34 Je n’entre pas dans le détail des débats qui ont eu lieu sur ce sujet:
voir la présentation résumée dans Bruneau 1965, 355–357.
35 C’est un point qui apparaît clairement dans une Satire de Juvénal (6,
330–334): saisies d’un délire libidineux, les femmes qui ne trouvent pas de mâles humains pour les satisfaire ont recours à un âne.
mique ou grotesque, sauf peut-être sur une olpé étrusque
à figures noires conservée à Heidelberg où est figuré,
ac-compagné d’un chien, un satyre/silène à sabots d’équidé,
vêtu d’une léonté, la tête tournée vers le spectateur, qui
tient du bras gauche une grande lyre (pl. 8, 1)
50. Ce motif
du silène citharède ou lyricine
51, assez fréquemment
at-testé dans la céramique attique autour de 500 et ensuite
associé au monde du théâtre, où le drame satyrique joue
un rôle de premier plan
52, constitue cependant une
pa-renthèse dans le cadre plus général du thème du satyre/
silène musicien, qui est avant tout un joueur d’aulos
53: à
la suite des nombreuses attestations dans la céramique
attique des VIe – Ve siècles, le motif du silène aulète
s’impose à partir du IVe siècle
54, et il est alors
principa-lement illustré par le concours entre Apollon et Marsyas
des crotales (CVA British Museum 4 [1929] pl. 70, 2b); de même, c’est dans une ambiance débridée que deux silènes jouent de la lyre sur une coupe attribuée au Peintre de Brygos (ARV2 371, 14; Simon 1997, 117et 119 nos. 70 et 104 pl. 758 et 762).
50 Simon 1997, 1113 no. 28 c) pl. 751. Je remercie N. Zenzen pour
l’en-voi de la photo reproduite ici.
51 Le personnage paraît jouer plus fréquemment de la cithare sur les
vases à figures noires, alors qu’il tient une grande lyre (barbiton) sur quelques vases à figures rouges de grande qualité, comme sur deux am-phores attribuées au Peintre de Berlin, l’une à Berlin (Antiken-sammlung F 2160), montrant de chaque côté un satyre/silène portant une lyre: il est seul sur la face B (il s’appelle Orocharès et tient aussi un canthare), et en compagnie d’Hermès et accompagné d’un cervidé sur la face A, où il est nommé Oreimachos (ARV2 196, 1; Moore 2006, 17–
27 pl. 2 et pl. 3, 1); l’autre, du type panathénaïque, est à Munich (Staat-liche Antikensammlungen 2311), elle montre sur chaque face un joueur de barbiton isolé (ARV2 197, 9; Moore 2006 pl. 4, 1. 3–4). Voir aussi
une hydrie attribuée au Peintre de Kléophradès avec un satyre/silène portant une outre, une amphore, un étui à aulos et une grande lyre: ARV2 193; CVA München 5 (1961) pl. 227, 1; 228, 1; 234, 1;
Lissar-rague 2013, 142 fig. 116.
52 Lissarrague 2013, 21–37 et 49 fig. 24 pour un fragment de cratère à
figures rouges du milieu du Ve siècle qui montre un satyre/silène lyri-cine, surmonté de l’inscription «Dithyrambos». Sur l’utilisation paro-dique de l’image des satyres dans la céramique attique, voir aussi Mit-chell 2004, 19–32.
53 Toutefois, le thème du vieux silène citharède ou lyricine est encore
attesté dans l’art romain: ainsi sur la célèbre peinture murale de la Villa des Mystères à Pompéi: Sauron 1998 pl. XVI.
54 Dans le Banquet de Platon (215a–c) Alcibiade compare Socrate aux
figures de silènes tenant une syrinx ou un aulos, qui contiennent à l’in-térieur des images de dieux, puis, plus précisément, au «satyre»
Mar-et un quatrième attribué au Peintre de Sotadès
43, de
même qu’un canthare plastique datant de la fin de
l’époque archaïque
44et l’askos du British Museum
men-tionné plus haut
45. L’excitation sexuelle de l’âne de
Mé-gara contraste avec le jeu d’un instrument «noble»
comme la cithare
46, même si, dans la suite de ce qui a été
dit plus haut sur les liens de l’animal avec le monde des
compagnons de Dionysos, on note que le thème du
si-lène lyricine ou citharède – on peut même parler parfois
de papposilène, vu l’âge mûr du personnage – est bien
attesté dans l’iconographie à partir de la fin du VIe siècle,
dans le cadre du retour d’Héphaïstos sur l’Olympe, dans
des scènes en l’honneur de Dionysos, en général
accom-pagné d’Ariane ou d’une ménade
47, voire même dans un
contexte cultuel
48. Mais on est alors loin de l’excitation
sexuelle évoquée précédemment
49et de tout effet
co-43 Vienne, Kunsthistorisches Museum 4401 (ARV2 767, 14; CVA Wien,Kunsthistorisches Museum 2 [1959] pl. 100, 3–6): sur le col un satyre/ silène saisit une ménade, entre deux autres satyres.
44 British Museum B 378: True 2006, 262–263 no. 76. 45 Voir note 18.
46 Il faut noter que, d’après plusieurs textes antiques, dont le plus
an-cien remonterait à Anacréon, les Mysiens jouaient un air particulier d’aulos (appelé mode hippothoros) pour accentuer, au moment de leur accouplement, l’excitation sexuelle de l’âne et de la jument: voir La-barbe 1988.
47 Lissarrague 2013, 154–162 fig. 127, 130–133 et 135; voir aussi
He-dreen 2007, 164–169. La plus ancienne de ces représentations (vers 530–520) est probablement figurée sur une célèbre amphore ‹bilingue› conservée au Louvre, montrant sur la face à figures rouges (attribuée au Peintre d’Andokidès) Héraclès et Cerbère, sur l’autre Dionysos et Ariane (ou une ménade) entourés de trois silènes, dont un citharède: ABV 254, 1 (Peintre de Lysippidès). Sur une hydrie à figures noires du Musée des Beaux-Arts de Lyon attribuée au Peintre d’Antiménès, à peine plus récente, le silène citharède esquisse un pas de danse (ABV 268, 29; belle reproduction en couleurs dans Brun – Poux – Tchernia 2004, 54 fig. 52), comme sur un cratère à colonnettes de Bonn (Lissar-rague 2013, 155 fig. 127). Noter que ce thème du satyre/silène ci-tharède est maintenant attesté sur une oenochoé à figures noires mise au jour dans la tombe celtique princière de Lavau (Troyes): Dubuis – Garcia 2015, 1198 fig. 9 (photo du vase in situ).
48 Ainsi sur un lécythe à figures noires conservé à Tarente, qui montre
trois satyres/silènes citharèdes devant un hermès-pilier, se dirigeant vers un autel: Lissarrague 2013, 158 fig. 131.
49 Il arrive cependant que le silène soit figuré en érection et on note
que, sur une amphore à figures noires du British Museum (B 278), un satyre/silène portant une grande lyre poursuit une ménade qui tient
La relation entre ces documents et la figurine de
Mé-gara est toutefois très ténue, et c’est le décor figuré sur un
important groupe statuaire réalisé à Lykosoura (Arcadie)
par Damophon de Messène, à la fin du IIIe ou au tout
début du IIe siècle
61, qui constitue la comparaison la plus
significative. Il s’agit de la frise sculptée en léger relief
dans la partie inférieure du voile porté par la déesse
Des-poina, qui montre dix ‹personnages› dansant ou jouant de
la musique: ils ont tous l’apparence d’animaux, parmi
lesquels deux équidés ont été identifiés, dont l’un est
certainement un âne (pl. 8, 4). L’état de conservation peu
satisfaisant de certains d’entre eux explique les
hésita-tions sur la nature de ces musiciens et danseurs
62: alors
que, pour Guy Dickins, il s’agit de «beasts in human
clothes, not human beings with animal’s heads»
63,
Ed-mond Lévy et Jean Marcadé les ont interprétés comme
«des personnages hybrides, à demi humains à demi
ani-maux»
64, tandis que pour Madeleine Jost ce sont des
danseurs et des musiciens portant des masques
d’ani-maux
65. Cette lecture conditionne l’interprétation de la
frise: s’il s’agit de personnages masqués, ou même
‹hy-brides›, il est normal d’aller dans le sens de cérémonies
liées au culte local
66, mais cette interprétation ne s’impose
pas dans le cas d’animaux réels affublés de vêtements
61 D’après la chronologie proposée par Themelis 1993 (entre 223 et
190), qui a cependant été discutée et abaissée jusque vers le milieu du IIe s. par Melfi 2016.
62 On laissera de côté l’hypothèse de Perdrizet (1899, 636), pour qui il
s’agit de divinités et non de personnages costumés en animaux.
63 Dickins 1906/07, 393–394 pl. XIV (dessin): il reconnaît, de la gauche
vers la droite, un cochon, un bélier et un âne en train de danser, précé-dés d’un renard ou d’un ours jouant de l’aulos et d’un animal indéter-miné tenant peut-être une lyre, puis, sur le pli antérieur du voile, un cheval jouant de la lyre, un chien jouant de l’aulos, enfin deux animaux en train de danser, un renard ou un loup et un bélier; Stewart (1990, 95) reconnaît également des animaux, tous vêtus d’un costume féminin, de même que Moreno (1994, 509 fig. 633 et 511): «una serie di donne camuffate con zampe e teste di quadrupedi (ovvero demoni ani-maleschi con vesti femminili)».
64 Lévy – Marcadé 1972, 983 fig. 18 a–d (avec de nouveaux fragments). 65 Jost 1985, 332–333 pl. 45, 1–2; Jost 2008, 102 fig. 4–5; 106; de même
Voegtle 2017, 15 fig. 10 («15 als Tiere verkleidete Personen»).
66 C’est l’interprétation privilégiée par M. Jost.
qui s’achève par la mise à mort cruelle du silène,
ordon-née par le dieu citharède
55.
L’âne de Mégara, les images parodiques et le décor du
voile de Despoina à Lykosoura
La figurine de Mégara Hyblaea témoigne d’un esprit
différent, celui de la parodie, qui fait écho à d’autres
tra-ditions et, en particulier, aux représentations d’animaux
figurés dans des rôles humains dans l’iconographie
égyp-tienne
56. Le détournement parodique de l’image de l’âne
n’est cependant pas tout à fait inconnu dans la Grèce du
Ve siècle av. J.-C. Ainsi, sur un skyphos à figures noires
du Cabirion de Thèbes, le thème de la procession de
ma-riage est détourné de façon comique, par l’apparence des
personnages et celle des deux animaux qui tirent le char
des mariés: au lieu de deux paisibles mules
57, ce sont deux
ânes ithyphalliques, au galop et en train de braire (avec
un rameau de myrte sur la tête), qui sont attelés au
véhi-cule
58. Une figurine en terre cuite provenant d’Achaïe,
qui montre un personnage nu assis doté d’une grande tête
d’âne et d’un sexe proéminent (mais non dressé), au gros
ventre et aux membres grêles, comme désarticulés, va
clairement dans ce sens grotesque et comique (pl. 8, 2)
59;
le lien avec les chœurs d’animaux attestés dans la comédie
ancienne est possible, sans que l’on dispose cependant
d’aucune comparaison précise
60.
syas, joueur d’aulos par excellence. On note que cet instrument est souvent fabriqué dans un os d’âne (Vendries 2009, 237–241).
55 LIMC VI (1992) 366–378 s.v. Marsyas I (A. Weis).
56 Voir Vendries 2010 et Vandlik 2016, avec d’autres références. 57 Comme sur un célèbre lécythe attique à figures noires attribué au
Peintre d’Amasis: Bothmer 1985, 182–184 no. 47 (également sur un lé-cythe de Giessen, ibid. fig. 100); Griffiths 2006, 219 fig. 12b (et fig. 11 et 12a pour d’autres exemples d’attelages de mules).
58 Wolters – Bruns 1940, 108 no. M 6 pl. 33, 1; Braun – Haevernick
1981, 62 no. 89; Loucas-Durie 1992; Daumas 1998, 65–66 fig. 1 (et il-lustration de couverture). L. Calder (2008, 158 fig. 1) a déjà relevé ce détournement parodique.
59 Belle illustration en couleurs dans Wünsche – Steinhart 2009, 114–
115 (fin du Ve siècle); voir aussi Lissarrague 2013, 113 fig. 88.
60 Signalons aussi le gros oiseau à tête d’âne, qui s’avance vers un
sa-tyre, figué sur un chous à figures rouges de Karlsruhe (Badisches Landesmuseum B 1513): CVA Karlsruhe 1 (1951) pl. 24, 6; Lissarrague 2013, 113 fig. 89.
l’âne qui trouve une lyre, mais ne sait pas s’en servir
71;
plus tard encore Lucien, pour se moquer de la voix d’un
mauvais sophiste, compare le personnage à un âne qui
essaierait de jouer de la cithare
72, tandis qu’Elien
73écrit
que, d’après les Pythagoriciens, l’âne est complètement
sourd aux sons de la lyre
74.
Sur la figurine de Mégara la présence d’un ‹vêtement›
dans le dos de l’animal mérite de retenir l’attention. Il est
difficile de définir sa nature, mais l’extrémité pointue et
échancrée visible sur la poitrine ferait penser à une patte
d’animal, et le fait qu’il remonte à l’arrière du crâne irait
dans le sens d’une léonté, comme celles mentionnées dans
deux fables ésopiques
75et figurée sur l’intaille de Bâle; il
faudrait toutefois admettre que la tête du fauve ne serait
pas figurée. Au-delà d’Héraclès, le modèle parodié
pour-rait être aussi celui d’Apollon citharède, abondamment
attesté depuis l’époque archaïque et particulièrement en
vogue à la fin de l’époque classique, comme l’attestent
divers reliefs votifs et, surtout, la statue d’Apollon
Pa-trôos réalisée à Athènes par Euphranor
76: un élément
caractéristique de son luxueux vêtement est en effet
constitué par le grand manteau posé sur ses épaules
77.
71 Asinus et lyra, Babrius et Phaedra (ed. Perry), 390–391 no. 14;Phèdre (ed. Brenot) no. 117.
72 Pseudologiste 7: ὄνον κιθαρίζειν πειρώμενον. 73 Ail. nat. 10, 28.
74 Griffith (2006, 318 n. 31) cite, à ce propos, une expérience réalisée
par Justina Gregory: en faisant écouter à des chevaux et à des ânes une sélection d’œuvres de Mozart et des Beatles, elle a constaté que «The horses remained completely unaffected by any of the music; the don-keys were unimpressed by the Beatles, but showed signs of enjoying Mozart».
75 L’âne revêtu de la peau de lion et le renard, et L’âne qui passait pour
être un lion (nos. 267 et 279 de l’édition Chambry).
76 Voir principalement Flashar 1992, 124–142 fig. 42–60; 50–60 fig.
38–41 pour l’Apollon Patrôos d’Euphranor; pour les reliefs, Vikela 2015, 67–68 pl. 4 (Ap 10 et 11); pl. 5 (Ap 16); pl. 6 (Ap 17–20) et sur-tout pl. 56 (Tr 8), le plus proche de l’Apollon Patrôos.
77 Noter que, sur un cratère à colonnettes de Ferrare attribué au
Peintre de Pan (CVA Ferrara 1 [1963] pl. 36, 4–5; Simon 1997, 1119 no. 93 pl. 761; Lissarrague 2013, 157 fig. 130; vers 460), comme sur un frag-ment de cratère en calice conservé à Würzburg (ARV2 1339, 5 [proche
du Peintre de Talos]; LIMC VI [1992] 570 no. 1 pl. 311 s.v. Mimos II [A. Kossatz-Deissmann]; vers 400), le silène citharède porte une su-perbe tenue, digne de celle d’Apollon.
humains
67. Même si les traditions mythologiques locales
et le fait que des figurines en terre cuite à tête de bélier ou
de bovin aient été offertes dans le sanctuaire incitent à
aller dans le sens d’une lecture symbolique de la frise
animalière, on constate qu’au moins deux des danseurs
les mieux conservés ont clairement des pattes d’animal:
c’est le cas, en particulier, d’une ânesse (ou d’un âne
por-tant un vêtement féminin) dont les pattes avant – levées à
la manière de bras – sont, comme les pattes arrière, dotées
de sabots
68. Il est donc raisonnable de penser que c’est
également un véritable équidé qui joue de la cithare
(plu-tôt que de la lyre) sur une partie antérieure de la frise
69,
et la documentation commentée ici irait dans le sens d’un
âne plutôt que d’un cheval, contrairement à ce que
pen-sait Dickins; il s’agit en tout cas d’un point de
comparai-son important pour la figurine de Mégara Hyblaea. En
définitive, le décor du voile de Despoina n’est peut-être
pas étranger aux traditions religieuses locales, mais il est
vraisemblable qu’il s’inspire des plus riches tissus de son
époque, associant à des thèmes plus banals – aigles et
foudres, monstres marins, Nikés portant un
thymiaté-rion – celui d’une procession d’animaux danseurs et
mu-siciens, selon une tradition orientale et égyptienne remise
en valeur dans le monde alexandrin. Quoi qu’il en soit,
l’âne ithyphallique de Mégara, peut-être à peu près
contemporain de l’œuvre de Damophon, constitue un
pendant à l’ânesse danseuse et au probable équidé
ci-tharède figurés sur le voile.
Le décor inférieur du voile de Despoina évoque le
monde de la fable, mais on note que l’abondant corpus
des fables ésopiques ne met pas en scène d’âne musicien
70.
C’est dans une fable de Phèdre qu’apparaît le thème de
67 Stewart (1990, 95) associe cependant cette frise aux sacrifices
pra-tiqués dans le sanctuaire: «The various cavorting beasts in female clo-thes on the robe must somehow relate to clo-these sacrifices, perhaps in-dicating some kind of masked dance during the Mysteries themsel-ves».
68 Jost 1985 pl. 45, 1; Stewart 1990 fig. 792.
69 Cette zone est cependant très mal conservée, on ne peut guère se
fonder que sur le dessin publié par Dickins 1906/07.
70 L’animal est pourtant bien représenté, puisqu’il apparaît dans 26
main qui sort du poitrail de l’animal (fig. 1)
80. Le thème
de l’âne musicien réserve probablement d’autres
sur-prises.
Antoine Hermary
Aix Marseille Univ, CNRS,
Minist Culture & Com, CCJ, Aix-en-Provence, France
ahermary@mmsh.univ-aix.fr
80 Jehasse 1980, 260–266; LIMC III (1986) 534 no. 41 s.v. Dionysos/
Fufluns (M. Cristofani); ThesCRA VIII (2012) 435 no. 31 pl. 61 s.v. Animaux et plantes dans le monde religieux étrusque (I. Ochoa – G. Reimond).
Perspectives d’étude à Mégara Hyblaea et ailleurs
Comme on l’a vu, on ignore le contexte dans lequel a
été découverte la figurine de Mégara Hyblaea, mais elle
provient sans aucun doute de l’espace urbain et non de
la nécropole. Parmi l’important ensemble de terres cuites
d’époque hellénistique mises au jour sur le site, aucune
n’est vraiment comparable, mais un certain nombre se
rapportent au monde du théâtre ou à l’iconographie
si-lénique (sous la forme d’atlantes supports de mobilier).
Je signale simplement ici une figurine de personnage
grotesque assis les jambes écartées, nu et barbu, avec de
grandes oreilles et un gros ventre surmontant un long
sexe posé obliquement (pl. 8, 3)
78; il tenait contre son
épaule gauche cassée un objet difficile à identifier: il n’est
pas exclu qu’il s’agisse d’une lyre
79. En attendant
d’éven-tuelles recherches complémentaires sur ce groupe de
terres cuites, il faut souligner le fait que l’âne musicien
de Mégara n’a pas de rapport direct avec les
représenta-tions comiques ou grotesques bien attestées dans la
pre-mière partie de l’époque hellénistique en Grande Grèce –
on pense en particulier à la comédie phlyaque – et en
Sicile. L’iconographie parodique dont elle témoigne est
clairement en rapport avec la tradition ancienne des
ani-maux musiciens, reprise dans l’Égypte ptolémaïque,
mais, malgré les relations qu’entretenait Syracuse avec le
royaume lagide à l’époque de Hiéron II (jusqu’à la
conquête romaine de 212), la figurine mégarienne ne
paraît pas s’inspirer de modèles égyptiens, elle reste –
pour le moment – un objet unique en son genre, mais
tout de même moins étonnant qu’une oenochoé étrusque
produite à Caeré dans la deuxième moitié du IVe s. av.
J.-C., et mise au jour dans la nécropole d’Aléria en
Corse, qui montre, derrière deux Ménades, Dionysos
tenant un canthare, à demi-couché sur un âne
ithyphal-lique en train de jouer d’un aulos tenu par un bras
hu-78 Mégara Hyblaea D 278. H. 11 cm.
79 L’objet n’est en tout cas pas du même type que sur deux figurines du
Louvre montrant un personnage nu accroupi, au visage grimaçant, qui pose son énorme gland sur un instrument à cordes, comme pour en jouer: Dunand 1990, 271–272 nos. 807–808.
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LISTE DES PLANCHES
Pl. 7, 1 Figurine en terre cuite de Mégara Hyblaea, MH TC 9. H. 15 cm. Photo L. Damelet, Centre Camille Jullian, Aix-en-Provence.
Pl. 7, 2–3 Coupe attique à figures noires, Munich, Staatliche Antikensammlungen 7414. H. 12,8; diam. 21 cm. © Staatliche Antikensammlungen und Glyptothek München. Photos Renate Kühling.
Pl. 8, 1 Olpé étrusque, détail de la face principale, An-tikenmuseum der Universität Heidelberg 64/4. H. 25 cm. Photo H. Vögele.
Pl. 8, 2 Figurine en terre cuite, Munich, Staatliche Antiken-sammlungen SL 122. H. 14,7 cm. D’après Wün-sche – Steinhart 2009, 115.
Pl. 8, 3 Figurine en terre cuite de Mégara Hyblaea, D 278. H. 11 cm. Photo L. de Barbarin.
Pl. 8, 4 L’âne danseur sur le voile de Despoina à Lykosoura. Photo École française d’Athènes, Emile Sérafis.
LISTE DES FIGURES
Fig. 1 Oenochoé étrusque d’Aléria. H. 35,9 cm. D’après Je-hasse 1980.
Vendries 2010 C. Vendries, De l’âne philosophe à «l’âne de la lyre». Images asiniennes sur les figurines en terre cuite de l’Égypte hellénistique et romaine, in: A. Gardeisen – E. Furet – N. Boulbes (dir.), Histoire d’équidés. Des textes, des images et des os. Monographies d’archéologie méditerra-néenne, hors série 4 (Lattes 2010) 215–225 Vendries 2014 C. Vendries, L’âne et la musique dans
l’Anti-quité gréco-romaine: un paradoxe sonore, in: A. Gardeisen – C. Chandezon (ed.), Équidés et bovidés de la Méditerranée antique. Rites et combats. Jeux et savoirs (Lattes 2014) 235–244 Vernus – Yoyotte
2005 P. Vernus – J. Yoyotte, Bestiaire des Pharaons (Paris 2005) Vikela 2015 E. Vikela, Apollo, Artemis, Leto. Eine
Unter-suchung zur Typologie, Ikonographie und Hermeneutik der drei Gottheiten auf grie-chischen Weihreliefs (Munich 2015)
Villanueva-Puig
1983 M.-C. Villanueva-Puig, A propos d’une ménade aux sangliers sur une oenochoé à figures noires du British Museum: notes sur le bestiaire dio-nysiaque, RA 1983, 229–258
Villanueva Puig 2009a
M.-C. Villanueva Puig, Ménades. Recherches sur la genèse iconographique du thiase féminin de Dionysos (Paris 2009)
Villanueva-Puig
2009b M.-C. Villanueva Puig, Un Dionysos pour les morts à Athènes à la fin de l’archaïsme: à pro-pos des lécythes attiques à figures noires trou-vés à Athènes en contexte funéraire, in: A. Tsin-garida (ed.), Shapes and Uses of Greek Vases (7th – 4th centuries B.C.). Proceedings of the Symposium held at the Université libre de Bruxelles, 27–29 April 2006 (Bruxelles 2009) 215–224
Voegtle 2017 S. Voegtle, Mensch – Maske – Tier. Zu den Ent-stehungsbedingungen der Karikatur, HASBon-line 22, 2017, 9–31 oder < https://bop.unibe.ch/ HASBonline/article/view/3806 > (mars 2018) Wiesner 1969 J. Wiesner, Der Gott auf dem Esel, AA 1969,
531–545 Wolters – Bruns
1940 P. Wolters – G. Bruns, Das Kabirenheiligtum bei Theben I (Berlin 1940) Wünsche –
Stein-hart 2009 R. Wünsche – M. Steinhart (ed.), Sammlung James Loeb (Munich 2009) Wuilleumier –
Audin 1952
P. Wuilleumier – A. Audin, Les médaillons d’applique gallo-romains de la vallée du Rhône (Paris 1952)
Summary
A Hellenistic terracotta figurine, discovered during the
French excavations at Megara Hyblaea (Sicily), provides
new evidence for the theme of the musical donkey,
por-trayed here in the form of a cithara player with an erect
penis. The image fits with the Egyptian and oriental
tra-dition which parodies musicians by depicting them in
animal form, but also highlights the sexual ardour of the
donkey, which, like that of the satyrs, was frequently
evoked by Greek Archaic and Classical artists in
depic-tions of the Dionysian world. Apart from a terracotta
figurine of Egyptian origin in the Louvre, which is
cer-tainly of a slightly later date, an interesting point of
com-parison is provided by the frieze along the lower edge of
the veil of the goddess Despoina, one of the group of
statues made at Lycosura (Arcadia) by Damophon of
Messene at the end of the 3rd or the very beginning of the
2nd century bc. The frieze shows animal-headed
musi-cians and dancers, including a donkey in woman’s
cloth-ing playcloth-ing a cithera. This terracotta figurine, certainly
the product of a local workshop, provides a distinctive
enrichment of the corpus of parodic images in the Greek
world.
(Translation Isabel Aitken)
Zusammenfassung
Eine hellenistische Terracotta-Figurine, welche aus
den französischen Ausgrabungen von Megara Hyblaea
(Sizilien) stammt, liefert ein neues Zeugnis zum Thema
des musizierenden Esels, hier in Gestalt eines
Kithara-spielers mit erigiertem Glied. Das Figurenbild fügt sich
in die ägyptische und orientalische Tradition ein, welche
Musiker in tierischer Gestalt parodiert, gleichzeitig aber
auch die sexuelle Inbrunst heraushebt, ein Aspekt, der in
der archaisch- und klassisch-griechischen Kunst oft in
der dionysischen Welt und jener der Satyrn dargestellt
wird. Ausser einer Tonfigur ägyptischer Herkunft im
Louvre, die jedoch sicher jünger ist, bietet der Fries
ent-lang der unteren Schleierborte der Göttin Despoina,
wel-che zur Skulpturengruppe des Damophon von Messene
in Lykosura gehört, einen interessanten Vergleich des
ausgehenden 3. oder beginnenden 2. Jhs. v. Chr.: Der
Fries zeigt Tiere als Musiker und Tänzer, darunter einen
Esel in Frauenkleidung und einen Kithara spielenden
Esel. Die Terrakotta-Figurine, die sicher aus einer lokalen
Werk statt stammt, bereichert auf originelle Weise das
Corpus der parodistischen Bilder in der griechischen
Welt.
7
A. HERMARY
Figurine en terre cuite. Mégara Hyblaea MH TC
9
Coupe attique à figures noires. Munich, Staatliche Antikensammlungen
7414
1
8
A. HERMARY
1 2
1 Détail d’une olpé étrusque. Antikensammlung der Universität Heidelberg 64/4
2 Figurine en terre cuite. Munich, Staatliche Antikensammlungen SL 122
3 Figurine en terre cuite. Mégara Hyblaea D 278