CE QUE JÉSUS DOIT À SA MÈRE
SELON LA THÉOLOGIE BIBLIQUE ET
D’APRÈS LES THÉOLOGIENS MÉDIÉVAUX
Conférence AJhert-1e-Grand, 1959
CE QUE J ÉSUS DOIT À SA M È R E _
SELON LA THÉOLOGIE BIBLIOUE ET
D’APBÈS LES THÉOLOGIENS MÉDIÉVAUX
par C. SPICQ, O. P.
1
1
In s t, d’é t u d e s m é d ié v a l e s 831, av. R ockland M ontréal Libr a ir ie J. Vr in 6, P lace de la Sorbonne P aris1959
M .-Ceslas FOREST, O. P. M aître e n théologie
Louis LACHANCE, O P. M aître e n théologie
IM PRIM I POTEST:
Thom as-M . RONDEAU, O. P. P rovincial
M arianopoli, die 15a octobris 1959 IM PRIM ATUR:
P a u l TO UC H ETTE, p .a., v.g. M arianopoli, die 19a octobris 1959
C opyright, 1959
Par l’I n s titu t d ’études m éd iéva les Albert-le-G rand de l’U niversité de M ontréal
LES CONFEKEXCES ALBERT LE GEAXD
L’Institut d’études médiévales Albert-le-Grand de
l’Université de Montréal (connu avant 1942 sous le
nom d’institut d’études médiévales d’Ottawa) célèbre
chaque année la fête de son Patron par une séance
académique où un maître de la pensée médiévale
expose l’un ou l’autre des thèmes qui peuvent inté
resser les théologiens, les philosophes et les historiens
du moyen âge. Cette conférence publique a lieu,
chaque année, à l’Université de Montréal, vers le 15
novembre, date de la fête de saint Albert.
Textes publiés :
Conférence 1947 : Etienne GILSON, Philosophie et
Incarnation selon saint Angustin. 55 pages
Conférence 1948; Paul VIGNAUX, Nominalisme an
XJVe siècle. 9G pages
Conférence 1949: Louis-]\[. REGIS, O. P., L'Odyssée
de la métaphysique. 9G pages
Conférence 1950: Ilenri-Irénée MARROU, L'amhi-
valence du temps de l’histoire chez saint Augustin.
80 pages
Conférence 1951; Thomas DEMAN, O. P., Aux
origines de la théologie morale. 110 pages
136 pages
Conférence 1954: D. H, SALMAN, La place de la
philosophie dans l’université idéale. 74 pages
Conférence 1955: Maurice de GANDILLxiC, Valeur
du temps dans la pédagogie spirituelle de Jean
Tauler. 100 pages
Conférence 1959: C. SPICQ, O. P., Ce que Jésus
doit à sa mère selon la théologie hihlique et d’après
les théologiens médiévaux. 56 pages
Textes en préparation:
Conférence 1953: I. Th. ESCHMANN, O. P., Théo
logiens et juristes au X lIIe siècle.
Conférence 1956: D. CALLUS, O. P., Albert le Grand
et Roger Bacon.
Conférence 1957 : Raymond KLIBANSKY, Nicolas
de Cuse. Le philosophe aux conjins du moyen âge
et de la renaissance.
Conférence 1958: Camille BÉRUBÉ, O.F.M.Cap.,
Philosophie et perfection chrétienne selon saint
Bonaventure.
Ce que Jésus doit à sa Mère
selon la théologie biblique et
d’après les théologiens médiévaux
« DicAi envoya f<on Fil
h, venu d’une femme»^^^
C’est selon son humanité — et non point seulement
selon sa divinité — que le Fils de Dieu fait homme
joue le rôle, tous les rôles que la foi lui reconnaît à
notre égard. C’est selon son humanité, que Notre-
Seigneur est roi de l’univers (Hé'br., I, 1-4), qu’il est
notre rédempteur, qu’il est prêtre et demeure à
jamais médiateur entre Dieu et les hommes (I Tim.,
II, 5). C’est selon son humanité enfin — pour
employer le terme peut-être le plus compréhensif,
le plus complet — qu’il est notre Tête, source de
toutes grâces dans son corps qu’est l’Église.
J. Cal., IV, 4. On tra d u it o rd in a ire m e n t et lé g itim em e n t « n é d ’u n e fem m e », com m e s’il y av ait le verbe
~,(vvwfjitvoz (de ’ytvvaiS), m a is le p articip e yevotxfvo^ ( h
du verbe y'votxai, e x p rim a n t le dev en ir
(R om ., I, 3; P hilip., II, 7), a ici u n e n u a n c e théo
logique, et doit être relié à la pro p o sitio n p rin c ip a le q u i précède; « D ieu envoya son Fils ». Il ne s’ag it pas se u lem en t de la n a issa n c e de Jé su s, m a is de sa co n ception, de la fo rm a tio n de sa n a tu re h u m a in e au sein d ’u n e vierge et q u i relève d ’u n e o rd in a tio n
D’où l’extrême intérêt, aussi bien pour éclairer et
vivifier l’amour que nous lui portons que pour la
conduite de notre vie surnaturelle, de nous faire une
idée aussi précise que possible de cette humanité du
Christ. Et puisqu’il n’y a de connaissance parfaite,
de véritable science d’un être que dans la mesure
où l’on atteint ses causes, où on l’explique par ses
principes — Félix qui potuit rerum cognoscere
causas —, nous allons tenter d’étudier l’humanité de
providentielle. L’a c ce n t est su r le m ode de cette in c a rn a tio n , e t l’on p o u rra it tra d u ire : « f a it p a r u n e fem m e, f a it su je t de la loi ». (Cf. R. b r in g.
Christologie u n d Gottes M onarchie. E inige G esichts- p u n k te zu r n e u te sta m e n tlic h e n D enkart, d an s F est s c h r ift A. Kôberle, H am b u rg , 1958, pp. 205-206).
D éjà T ertuU ien o b servait: « Ce m o t fa it (fa c tu m de
m u liere. Gal., IV, 4; cf. R o m ., I, 3) est plu s ca ra c té
ristiq u e que le m o t n é (in ea n a tu m est, M t., I, 20; cf. Le., I, 35) » (De carne C hristi, 20; P.L., II, 831). De m êm e Ale x a n d r e de h a l e s. S u m m a theo
logica, III P., tra c t. II, q. 1, m em b. 1, cap. 3. On p o u rra it co m p arer G a l, IV, 19: « J u s q u ’à ce que le C h rist ait été p le in em en t fo rm é en vous » ; le verbe
nop<pôu] (h ap ax biblique) est in te n s if et sig n a le le plein
développem ent de l ’em bryon p re n a n t form e, m û ris sa n t, se f a ç o n n a n t d a n s le sein m a te rn e l. Cf. r.
HERMANN, (Über den S in n des Mop<pova0ai Xpiarlv tf
Ipuv in Gai., IV , 19, d a n s T heologische L iteratur- zeitu n g , 1955, col. 713-726), m ais qui a m a lh e u re u s e
m e n t oublié s a in t A u g u stin : « Q ui corde c re d it ad ju s titia m , concepit C h ristu m ; q ui ore co n fitetu r ad sa lu te m p a rit C h ristu m » (Serm . CXCI, 4; P.L., XXXVIII, 1011).
DOIT À SA MÈRE
11
Jésus dans ses causes, dans ses facteurs propres,
déterminants, préciser ce que chacun lui a apporté.
Le premier facteur de cette humanité, c’est le
mystère de la génération de l’être humain auquel ont
participé le Saint-Esprit et la Bienheureuse Vierge
Marie. Au lieu d’un père humain et de son épouse
— ce qui est la condition commune de tout engendre
ment humain —, ce sont deux personnages tout à
fait extraordinaires (l’un et l’autre à sa manière)
qui interviennent. D’où l’on peut s’attendre à ce que
l’être humain qui en résulte soit quelqu’un d’ex
ceptionnel, d’une complexion originale, d’un carac
tère très particulier.
Le premier de ces personnages est le Saint-Esprit.
Mais ce n’est là qu’une manière de parler, reposant
d’ailleurs sur un juste fondement. Celui qui a con
couru à produire l’humanité de Jésus, ce n’est pas
l’Esprit-Saint en tant que personne, distincte des
autres personnes de la sainte Trinité^^) ; ear dans
2. Le., I, 35 doit être tra d u it: « Un e sp rit s a in t v ie n d ra s u r toi, e t u n e p u iss a n c e du T rè s-H a u t te c o u v rira de son om bre ». N on se u lem en t les deux p ropositions so n t rig o u re u se m e n t p ara llèles et synonym es: Vesprit e st u n e p u issa n c e divine; m a is il n ’y a a u c u n article , e t son absence d e v a n t « e sp rit sa in t » in te rd it de perso n n ifier celui-ci. L’ange an n o n c e à la Vierge la
toutes les opérations divines ad extra, les trois
Personnes divines collaborent, non en tant que
personnes distinctes au sein de la Trinité, mais en
tant que constituant un seul principe d’action.
Quand Dieu agit en dehors de lui-même, ce sont les
trois Personnes divines qui agissent simultanément
ou, pour parler plus exactement, c’est Dieu, c’est cet
être divin considéré antérieurement à la distinction
des personnes. Chacune de ces Personnes n’inter
vient, avec sa valeur véritable de jiersoiine, qu’au
sein de la vie trinitaire. Encore une fois, quand il
co m m u n ic a tio n d’u n e énergie divine (rouah, en h éb re u , est fé m in in ), e t l ’hom m e cultivé e t d élica t q u ’é ta it sa in t Luc, av e rti des u n io n s ré p u g n a n te s des dieu x avec les m ortelles, rac o n tée s d an s la m y th o logie grecque, n ’a u r a it ja m a is p u écrire quoi que ce soit qui p û t p rê te r à équivoque. S ain t J u s tin s’en re n d a it p a rfa ite m e n t com pte: « P o u r que n u l d ’e n tre vous, c o m p re n a n t m a l la p ro p h étie (de la V ierge q ui concevra) ne n o u s rep ro ch e ce que n o u s rep ro ch o n s a u x poètes q ui ra c o n te n t que Zeus v in t a u p rè s de ce rta in e s fem m es e n vue de sa tisfa ire sa p assio n , essayons d ’exp liq u er nos p aroles . . . Cet e sp rit, v e n a n t su r la Vierge et la c o u v ra n t de son om bre, la re n d it m ère, n o n p a r u n e u n io n ch a rn e lle , m ais p a r sa p u iss a n c e » (ApoL, I, 33). P o u r b iz a rre que soit l’a rg u m e n t de L ac tan c e, adm is d ’ailleu rs p a r ses c o n tem p o rain s, sa fo rm u la tio n est plu s a u th e n tiq u e m e n t b iblique que celle de n o m b reu x m o d ern es: « C ertain s a n im a u x conçoivent du v e n t e t du souffle. Q u’y a-t-ü donc d’é to n n a n t à p ré te n d re que la Vierge a conçu du souffle (spiritus) de D ieu » (Div. In st., IV, 12; P.L., VI, 478),
DOIT A SA MERE
13
;igit au dehors, Dieu agit comme un principe formel
unique; mais nous lui attribuons, ou mieux: nous
a])proprions certaines opérations de Dieu à telle ou
telle j)ersonne selon que, dans ces aniv'res, nous
voyons paraître à l'état de reflet, d’une manière
plus spéciale, la ou les perfections dont telle Per
sonne s'approprie en quelque sorte le bénéfice et la
gloire. On approprie au Père les œuvres où brille
plus particulièrement la puissance (la création), au
Verbe celles où reluisent plus spécialement la sagesse
et la lumière (la connaissance), à l’Esprit-Saint les
œuvres de charité et de sanctification^®).
Toutes les fois que Dieu, agissant au dehors,
produit une œuvre où reluit particulièrement cette
perfection divine que nous appelons l’amour — per
fection rigoureusement commune aux trois Per
sonnes, mais que nous approprions au Saint-Esprit
—, nous approprions de même cette œuvre à la
Personne de l’Esprit-Saint. Par conséquent, lorsque
le langage courant attribue au Saint-Esprit la con
ception de Xotre-Seigneur Jésus-Christ, ce n’est
qu’une appropriation. Cet être humain, formé en
Marie, avant de faire intervenir d’autres considéra
tions, n'est pas, au sens propre, fils de Dieu. 11
manque, eu effet, ce qui fait la paternité: la
commu-3. Cf. e n d ern ie r lieu, f r. b o u r a s s a, A ppropriation ou propriété, d an s S ciences ecclésiastiques, 1955, pp.
nication de la nature paternelle. L'opération des
trois Personnes divines n’est pas une génération,
puisque Dieu ne transmet pas sa propre nature.
L’intervention de l’« esprit » aboutit seulement à une
nature humaine, et Dieu, de ce chef, n'est nullement
« le Père » de J é s u s E n vérité, il s’agit d’une oeuvre
4. A lexandre de H alès, é ta b lissa n t que le C h rist ne p eu t être d it fils du S ain t-E sp rit, e n appelle au p rin cip e fo rm u lé p a r sa in t J e a n D am a sc èn e: « G enerare est sim ilem de su a s u b s ta n tia p roducere » (De fide orth., I, 8; P.G., XCIV, 811; S u m m a theologica. I l l a P., tra c t. II, q. 1, m em b. 3, cap. 4). — Il y a, à ce su je t, chez no m b re de ch ré tie n s, des ig n o ra n c e s in o u ïes, e t chez no m b re d ’in c ro y a n ts, d ’in c o n scien ts b la s p h èm es: D ieu ne co m m u n iq u e p as sa n a tu re à l ’e n f a n t q u ’il co n trib u e à fo rm e r au sein de la B ien h eu re u se Vierge. Au c o n tra ire , q u a n d D ieu d onne la grâce sa n c tifia n te à n o tre âm e, il d ev ien t réelle m e n t n o tre P ère, c a r ü y a u n e véritab le g én é ratio n ; la grâce sa n c tifia n te é ta n t p a rtic ip a tio n de la n a tu re de D ieu (II Pet., I, 4). Jé su s, lu i, n ’est p a s Fils de D ieu parce que le S ain t-E sp rit est in te rv e n u d a n s sa conception; acte où il n ’y a rie n de p ro p re m e n t p ate rn e l. A ne co n sid érer que cela, Jé su s — e n f a n t au se in de sa M ère — ne se ra it a u c u n e m e n t fils de D ieu, m a is se u lem en t u n être h u m a in en g e n d ré de fa ç o n exceptionnelle. Au lieu d ’u n e ca u se seconde, c’est la ca u se p rem ière qui in te rv ie n t. Voilà co m m en t il f a u t e n te n d re les p aroles du Credo: « Je crois en Jésu s-C h rist, conçu d an s le sein de la Bse Vierge M arie, p a r l’o p éra tio n du S ain t-E sp rit »; a in si que s a in t A u g u stin le fa is a it observer (E nchirid., 40), et com m e s a in t T h o m as l ’explique I lla P., q. 32, a. 3.
DOIT A SA MERE
15
de Dieu, agissant selon la nature divine, et non point
selon la distinction des personnes. C'est une œuvre
de la nature divine attribuée au Saint-Esprit, parce
qu’elle est particulièrement une œuvre d’amour, et
que l’amour fait songer à un apparentement à
l’Esprit-Saint. Mais il ne faut exclure de cette
œuvre, ni le Père, ni le Verbe^®).
Quant à l'autre personnage, la Bse Vierge Marie,
c’est un personnage également très particulier,
puisqu’elle a eu la prérogative unique d’avoir été
immaculée dans sa conception même. Elle qui
appar-5. A la su ite d ’H ugues de S aint-V ictor e t de sa in t A lbert le G rand (III Sent., dist. 4, c. art. 12), sa in t B o n av en tu re e x p liq u era le rôle p erso n n e l du S aint- E sp rit d a n s la m a te rn ité v irg in ale, en ce sens: « Ce qui p ré p a ra au p rem ier ch e f la Vierge à la c o n cep tio n du Fils de D ieu, ce f u t l ’am o u r divin . . . La Bse V ierge p a r u n privilège d ’am o u r co n ç u t d ’u n e m a n iè re privilégiée D ieu de D ieu . . . Elle a conçu d u S ain t-E sp rit . . . p arc e que, to u t e n tiè re sous l’am o u r et l ’o p éra tio n du S ain t-E sp rit, la V ierge a f o u rn i de sa c h a ir la su b stan ce (h u m ain e) du divin e n fa n t. E n effet, l ’am o u r du S ain t-E sp rit b rû la it son c œ u r avec ta n t d ’ard e u r, q u ’il fit m erveille e n sa c h a ir. U n tel am o u r, on n ’en trouve p as d ’a u tre sem blable, c’est pou rq u o i il n ’y a p as d ’a u tre exem ple d ’u n tel ouvrage d a n s la c h a ir » (III Sent.,
tient à une race déchue, eu inimitié avec Dieu, elle
a eu ce privilège d’être exempte de toute participa
tion au péché originel et à ses suites. Mais ce n'est
là que l’envers de son Immaculée Conception. Ce
privilège comportait comme bien positif : la grâce
sanctifiante, wne plénitude de grâce sanctifiante; et
ceci est d’une extrême conséquence.
Il y a une autre considération à rappeler pour
bien comprendre ce qu’est la Sainte Vierge et dans
quel état elle s’est trouvée pour participer au mystère
de l’enfantement de Xotre Seigneur. Xon seulement
elle a été préservée de toute participation au péché
originel — ce qui ne pouvait se concevoir qu’avec
et par la collation de la grâce sanctifiante et sa
collation en plénitude —, mais elle jouit d'une autre
prérogative relative à sa propre conception (non
plus au plan du péché originel et de l'octroi de la
grâce, mais) au sein de sa Mère, sainte Anne. Dès
cette époque la Vierge Marie a été entourée par Dieu
d’une providence tout à fait spéciale. Son père et sa
mère, en effet, étaient nés sous le régime du péché
originel et ils connaissaient comme nous la con
cupiscence, ils demeuraient sujets à l’ignorance, à
la maladie... La grâce de Dieu qui les sanctifiait,
comme elle nous sanctifie, ne les sanctifiait qu’en
remédiant d’une manière limitée aux suites du péché:
In iniquitatibus conceptus sum! En eux, comme en
nous, les conséquences du x)éché ne sont pas
corn-DOIT À SA MÈRE
17
plètement réparées par la grâce^^È Venant à la suite
d'ancêtres, justes et pécheurs, ils eu ont re(;u une
hérédité qui a pesé sur leur corps, et par conséquent
en partie, sur leur âme.
Or il était d’une souveraine importance que leur
enfant, IMarie, fut non seulement soustraite au péché
originel et établie dans un état de justice, mais que
son corps fut un corps parfait. Étant née selon la
condition commune, pour qu’elle échappât aux suites
du péché — aussi bien dans son âme que dans son
corps —, il fallait que son corps fût conçu sous le
gouvernement spécial de la Providence de Dieu. Le
corps de la Vierge Marie a été parfait, il a eu toute
l’intégrité connaturelle à un corps humain. « Voici
rétablies en Marie cette intégrité de la nature
humaine, cette parfaite rectitude et liberté de la
raison morale et de la volonté, soumises à Dieu, dans
la poursuite du bien rationnel, cet empire incontesté
des facultés supérieures sur la sensibilité et, jusqu’à
un certain point, sur le corps lui même, cet ordre et
cet
équilibre psychologiques,
cette
magnifique
eurythmie spirituelle qui faisaient d’elle, sur le
])lau humain comme sur celui de la grâce, le chef-
d'œuvre de Dieu
6
.
7.
Cf. J. H. NICOLAS, L ’in n o c en c e originelle de la
n o uvelle È ve, d a n s B u lle tin de la Société française d ’É tu d es m a riales, 1957, pp. 15-35.
A. LEMONNYER, N otre D am e. C on tem p la tio n s, P aris,
Cette perfection, non seulement la sainte Vierge
n’y a jamais porté atteinte, mais elle a si bien
conduit, gouverné sa vie corporelle qu’elle est arrivée
dans une intégrité complète à ce jour, à cette heure
de la conception de son propre enfant, Jésus. Ceci
encore est d’une importance extrême; ce n’est jjas
seulement pont' que son âme fût sainte que Dieu a
accordé à Marie le privilège de l’immaculée Con
ception, mais pour lui donner un corps très parfait,
précisément parce qu’elle devait être la mère de son
Fils^^\
On se rend davantage compte aujourd’hui que le
rôle de la mère est le plus important dans le mystère
des générations humaines. La science met de plus en
plus en lumière l’influence de l'organisme maternel
dans la formation de l'embryoïi^®^ ; et dans le cas
8. « A ceux que D ieu destin e à u n rôle, il accorde la p ré p a ra tio n et les dispositions q ui les a d a p te n t à le u r ch a rg e » (s a in t t h o m a s, I lla P., q. 27, a. 4).
9. Si les p a re n ts d o n n e n t c o n jo in te m e n t la su b stan ce n u c lé a ire de la cellule qui en g e n d re toutes les cellules du nouvel o rg an ism e, la m ère seule f o u rn it le pro to p lasm e q ui e n to u re le n o y au (cf. g.
siEWERTH, L ’H o m m e et son corps, P aris, 1957).
S ain t A lbert le G ran d éc riv ait: « N a tu ra lite r corpus m a tris e t F ilii a n te p a rtu m fu it q u asi u n u m corpus »
(M ariale, q. 213; édit. B orgnet, p. 302; cf. q. 210,
p. 299). Il est vraisem b lab le que le M ariale est in a u th e n tiq u e ; cf. a. f r ie s. Die u n te r dem N a m e n des A lb e rtu s M ag n u s ü b erlieferten m ariologischen
DOIT A SA MERE
19
qui nous occupe, cette influence a été plus grande
que dans l’ordre commun, puisque tout ce qui a été
fourni d’éléments matériels pour former le corps de
Jésus, l’a été exclusivement par sa mère^^°). La
tradition le répète ; « C’est du sang le plus pur qu’a
S c h r ifte n (B eitrâge zu r Gesch. d er Philos, u n d Theol.
des M ittelalters, XXXVII, 4), M ü n ster, 1954; id e m,
M esserklàrung u n d K o m m u n io n tr a k ta t ke in e W erk e A lberts des G rossen?, d an s Freiburger Z e its c h r ift fü r P hilosophie u n d Théologie, 1955, pp. 28-67; b.
KOROSAK, M ariologia S. A lb erti M a g n i eju sq u e
co æ q u a liu m , Rom e, 1954.
10. « Q ui n a s c itu r de m a tre et n o n de p a tre , e t ta li o p era n te qui n o n p o test im p e d iri vel e rra re , ibi necesse est filium sim ilem esse m a tri » (M ariale, q. XV, § 1, 8; édit. B orgnet, XXXVII, p. 27). — « In te r C h ristu m et V irginem d ec u it esse com p lexionem sim illim am » (d e n y s le c h a r t r e u x.
De dig n ita te et laudibus B. V. M ariæ , I, 35; t. XXXVI,
p. 63). — « C’est de sa su b sta n c e corporelle que le S ain t-E sp rit a fo rm é le corps du F ils de Dieu. C’est p a r des e m p ru n ts à sa su b sta n c e corporelle que le corps du Fils de D ieu, q u ’elle p o rta it d a n s son sein, s’est développé et a grandi. C’est de son la it que s’est n o u rri l ’E n fa n t-Jé su s ap rès sa n aissan c e. Sa c h a ir et son sa n g , Jé su s les a reç u s o rig in a ire m e n t de M arie. La c h a ir e t le sa n g de M arie so n t la c h a ir et le sa n g de Jé su s et réc ip ro q u e m e n t. Il y a e n tre eu x deux, à ce p o in t de vue, u n e lia iso n originelle, u n e so lid arité p e rm a n e n te , u n e c e rta in e u n ité corporelle d ’où résu lte, p o u r le corps de M arie, u n e co n séc ra tio n d ’u n ordre à p a rt » (a. l e m o n n y e r, op. cit., p. 177).
été formé le corps de - J é s u s » D ’autre part, à la
place du rôle paternel, nous avons Dieu, dont l'opéra
tion ne supporte ni déficience ni mécomj)te, dont
l'office fécondateur et organisateur a été rempli à la.
perfection.
11. SAINT THOMAS, I lla P., q. 31, a. 5, ad lu m ;
M ariale, q. 206 e t 213. Que la ré a lité con crète de
l ’in c a rn a tio n dépende de la fo n ctio n physiologique m a te rn e lle de la Vierge M arie, a été excellem m en t souligné p a r h. m. m a n t e a u b o n n a m y. M ater n ité et In ca rn a tio n , P aris, 1949. T oute la trad itio n
m édiévale d épend ici de sa in t j e a n d a m a s c e n e:
« Le S ain t-E sp rit su rv in t, la p u rifia n t — KattaTpoi'
a?Tv'i' » (De fide orth.. I ll, 2; P.G., XCIV, 985), e t
e n te n d que la venue de l ’E sp rit purifie la Vierge d a n s son corps e t d an s son âm e (h u g u e s de s a in t-
c h e r, Post, in L e., I, 35; cf. Gu il l a u m e guar ra,
Q uæ stiones disputâtes, Q u aracch i, 1904, p. 1); de
telle sorte que le sa n g de M arie n ’a p u tra n sm e ttre à son Fils a u c u n h é rita g e du péché (sa in t a l b e r t.
In Jo., I, 13; VI, 64; t. XXIV, 47, 288. Cf. a f r ie s,
Vom D en k en A lberts des G rossen über die Gottes-
m u tte r, d an s Freiburger Z e its c h rift fü r Philosophie u n d T héologie, 1958, pp. 131 sv.); « M u n d a ta fu it
c a ro eju s u t est p rin c ip iu m ad c a rn e m aliam , e t hoc u t de ip sa c a rn e V irginis su m e re tu r ca ro sine p eccato, qu æ Verbo u n ir e tu r » (Al e x a n d r e de
HALES, S u m . T h ., I l l a P., tra c t. II, q. 2, m em b. 2,
cap. 2). D éjà Hip p o l y t e e x p liq u ait que si Jé su s a tiré son h u m a n ité d ’u n e Vierge p u re, c’est afin que son h u m a n ité f û t sa n s ta ch e , in c o rru p tib le (De
DOIT A SA MERE
21
De sorte que le corps de Notre Seigneur a été
conçu dans des conditions merveilleuses, même cor
porellement. C’est le corps humain dans toute son
intégrité, absolument parfait^^^h La formation de
l’Enfant-Jésus au sein de sa Mère n’a pas connu le
lent progrès des organisations habituelles, elle s’est
faite plus vite et plus harmonieusement*^^^), mais
exactement selon les mêmes lois'^^^h On ne s’attache
guère à ce point de vue, aujourd’hui, mais il est
capital: Il fallait que la sainte Vierge fût par/aite
en S071 coi'ps^ qui devait fournir toute la matière
dont fut formé le corps de son enfant.
12. « A corpore beatissim ae V irginis f o rm a tu r corpus p erfec tissim u m se cu n d u m n a tu ra m : q u ia ex ta li tale, et ex m agis ta li m agis tale » (M ariale, q. XIV, § 2, 5; édit. B orgnet, XXXVII, p. 34; cf. q. XVI, § 1; p. 40). 13. I lla P., q. VI, a. 4, ad 2um ; a l be r t le g r a n d.
In Jo., II, 22; édit. B orgnet, XXIV, p. 109; sa in t b o n a v e n t u r e: « G en erativ a p o te n tia in V irgine . . . su p ra n a tu ra m fu it su p ra posse su u m elev a ta . . . d u m d a ta est ei p o te n tia praep aran d i m a te ria m , se cu n d u m quod ta m nobili e t ta m perfectae co n ce p tio n i co m p eteb at » (III Sent., dist. IV, art. 3, q. 2;
cf. dist. III, P. II, a. 3, q. 1 et 2).
14. La litu rg ie c h a n te : A n im a tu m corpus su m e n s , de
V irgine na sci d ig n a tu s est; cf. I lla P., q. 2, a. 5, et
les Oracles Sibyllins: « Le Verbe dev in t c h a ir d an s le tem ps, p rit u n corps v iv a n t d an s les flancs de sa m ère, re ç u t u n e fo rm e h u m a in e et a p p a ru t p e tit e n f a n t p a r u n e n fa n te m e n t v irg in a l » (VIII, 456-479).
Mais au fait, pourquoi fallait-il de toute nécessité
que le corps du Christ, comme corps humain, fût
parfait? Parce que ce corps humain -— ou mieux:
qui est humain en perspective, parce qu’il va être uni
à une âme pour former le « composé humain » —,
allait être uni à une âme dont il conditionnerait et
mesurerait, avant tout autre facteur, l’activité et le
rendement, même intellectuel.
Dieu crée l’âme au moment où il va l’unir au corps
que la génération humaine a préparé^^^h Or, toutes
les âmes humaines, y comirrise celle de Notre-
Seigneur, sont identiques, non seulement en nature,
en structure spécifique, mais en valeur. Ce sont des
âmes qui, d’une part, par certaines de leurs opéra
tions n’empruntent rien au corps; spirituelles, elles
sont aussi immortelles; mais qui, d’autre part, ont
aussi en elles le principe de la vie sensible et végéta
tive, « âme » de la vie du corps qu’elles vont
informer. De ce chef, toutes les âmes se valent. Il
ne pourrait y avoir de différence entre les âmes —
considérées comme telles — qui ne soit une différence
d’espèce^®).
15.
16.
C’est D ieu, seul, qui crée l ’âm e, pour l ’u n ir au corps,
I lla P., q. VI, a. 3.
Au c o n tra ire p o u r les anges, qui so n t tous d ’espèce différente. Il n ’y en a p a s d eux q ui se ressem b len t. « Les diverses c a p ac ité s des hom m es ne v ie n n e n t p as d ’u n e différence de l’âm e, m êm e renouvelée p a r le b ap têm e (puisque tous les hom m es qui a p p a rtie n n e n t à u n e seule espèce o n t tous la m êm e form e), m ais de la d iversité du corps. Il e n va a u tre m e n t p o u r les
DOIT À SA MÈRE
23
Si râme du Christ n'était pas en tout identique à
la nôtre, ce ne serait plus une âme humaine. L’âme
du Christ vaut ce que vaut la nôtre. Mais cette âme
anges qui diffèren t en espèce. A insi les dons g ra tu its sont-ils don n és au x anges selon la diversité de le u rs c a p ac ité s n a tu re lle s; m a is ce n ’e st p as le cas p o u r les hom m es » (Illa P., q. 69, a. 8, ad 3um ). C est d an s II S en t., dist. 32, q. 2, a. 3, que sa in t T h o m as s’e st posé fo rm e lle m e n t la questio n : U tru m a n im æ
s u n t æ quales in sua creatione? Il rép o n d : « O portet
quod d iv e rsitas et d istin ctio grad u s in a n im ab u s c a u se tu r ex d iv ersitate corporis; u t q u a n to corpus m eliu s co m p lex io n atu m fu e rit, nobiliorem a n im a m s o rtia tu r . . . U num q u o d q u e in v e n itu r ta n to n o b ü iu s genus a n im æ p a rtic ip a re , q u a n to corpus eju s ad n obilius genus com plexionis p e rtin g it, u t in h o m i n ib u s, b ru tis e t p la n tis ». — A d Iu m : « E st q u æ d a m div ersitas fo rm a lis . . . n o n p er se sed p e r accidens; ex d iv e rsitate m a te riæ re su lta n s, se cu n d u m quod in m a te ria m elius d isposita d ig n iu s fo rm a p a rtic ip a tu r» . — A d 4 u m : « A nim a n o n e d u c itu r de p o te n tia m a te riæ , ta m e n c re a tu r in m a te ria u t ac tu s ip siu s, et ideo opo rtet quod in ea re c ip ia tu r p e r m odum m a te r iæ » . — A d 6um : « E s t d iv ersitas p a rtiu m speciei, id est p a rtiu m specie d iffe ren tiu m , sive fo rm a lite r m a n u s, pes e t h u ju sm o d i, e t talis d iv ersitas c a u s a tu r ex p a rte fo rm æ , q u ia ex hoc quod fo rm a est talis, oportet quod corpus sit sibi sic dispositum . — E st au tem q u æ d a m div ersitas m a te ria lis ta n tu m , q uæ ad speciem n o n p e rtin e t, sed ad in d iv id u u m ta n tu m ; et is ta re d u n d a t ex m a te ria in fo rm a m , et n o n e converso ». Cf. Ia P., q. 85, a. 7, ad 3um : « D iffe re n tia fo rm æ , qu æ n o n p ro v en it ex d iv ersa dispositione m a te riæ , n o n fa c it d iv e rsitatem se cu n d u m speciem ». Le D octeur an gélique n e c ra in t
va être unie à ce corps, et c’est ce qui l’individualise
et la différencie foncièrement^^'^^.
Il faut rappeler ici « l’unité du composé humain ».
L’âme n’est pas dans le corps comme dans un récep
tacle, comme une épée dans le fourreau destinée à
la recevoir. C’était l’opinion de Socrate et de Platon
considérant l’âme dans le corps à la manière d’un
pilote sur le navire, du voyageur dans un hôtel, du
prisonnier dans sa geôle. Pour Platon, l’âme est
simplement logée dans le corps, comme dans un
tombeau {sôma — sèma) ou une habitation quel
conque. Les fenêtres de ces habitations sont les sens
extérieurs; ce qui faisait dire à Socrate, lorsqu’il se
trouvait devant quelque inconnu : « Parlez, Voya
geur ! afin qu’on vous voie », comme si l’homme, caché
derrière son corps, ne pouvait se montrer que par
les sens et la parole. De là, l’erreur pythagoricienne :
Les âmes créées dès le commencement du monde
peuvent passer d’un corps à un autre par la généra
tion : « Les vivants se font des morts, et les morts
se font des vivants ». Ce qui faisait dire au philo
sophe Hermias: «Nous avons les dauphins comme
17.
p a s d ’a v a n ce r; « L a p erfe c tio n du corps e st requise, p o u r que ce corps n e s’oppose pas à l’ascen sio n de l ’âm e » (la-IIæ , qu. 4, a. 6, ad 2um ).
Cf. L. LEMAY, Principles for a M oral T heology o f
th e H u m a n Body according to S a in t T h o m a s,
DOIT A SA MERE
25
frères. Grâce à ces chercheurs de sagesse, je me
trouve changé en toutes sortes de bêtes: Je nage, je
vole, je rampe, je cours . . . et je m’asseois
Non,
l’homme n’est formé ni du corps seul ni de l’âme
seule, mais constitue un être spécifique résultant de
leur union substantielle'^^^h Le corps, de ce chef^^°\
18. Cf. F. BUFFiÈRE, Les M yth e s d ’H om ère, P aris, 1956, pp. 500 SV. On sa it co m m en t L ucien se m o q u e ra des ré in c a rn a tio n s et des àra/xi’Tfaeis de P yth ag o re, to u r à to u r E u p h o rb e le T royen, P yth ag o re, A spasie, C ratès le C ynique, « roi, p uis p ro létaire e t p eu après sa tra p e ; ap rès cela cheval, geai, g renouüle e t ce n t au tre s choses; m ais il s e ra it trop lo n g d ’e n fa ire le d én o m b re m en t; j ’ai fini p a r être coq e t p lu sieu rs fois » (LUCIEN, Gall., 20; cf. 4, 12, 15 sv., 24-27; V. h ist., II, 21).
19. Cf. la P., q. 76. P a r sa n a tu re , l’âm e est fa ite pour être u n ie à u n corps: « A n im a ex n a tu r a su æ essen tiæ h a b e t quod sit corpori u n ib ilis » (Ia P., q. 75, a. 7, ad 3u m ; cf. q. 118, a. 2-3). C’e st A ristote qui a m is au p o in t la co n cep tio n « in s tru m e n tis te », selon laquelle l ’âm e e n tre tie n t avec le corps des re la tio n s an alo g u es à celles de l ’ou v rier e t de son outil. Au lieu d ’être u n en n e m i, u n obstacle à son activ ité propre, le" corps facU ite la tâ c h e de l ’âm e, q ui ne p o u rra it ag ir sa n s lu i, tel la scie in d isp en sa b le au tra v a il d u c h a rp e n tie r (Cf. P. m o r a u x, A la recherche de l’A ristote perdu. Le dialogue « S u r la ju stice », P aris-L ouvain, 1957, pp. 153-156). P our
sa in t T h o m as, la n a tu re h u m a in e n ’e st p o in t l ’u n io n accidentelle de deux su b stan ce s com plètes. L’âm e et le corps so n t d eux su b sta n c e s p artielle s e t in com plètes, m é ta p h y siq u e m e n t o rdonnées l ’u n e à l’au tre. « L’âm e n ’est pas u n élém e n t adven tice créé
est aussi nôtre que notre âme: je suis mon corps, au
même titre que je suis mon esprit et mon cœur^'-^^^.
p o u r u n corps d éjà e x ista n t: elle est p a rtie c o n s titu tive et essentielle, m a is form elle et p erfective, d ’u n e m a tiè re d o n t le corps e st l’élém e n t m a té rie l et perfectible. Loin que l ’âm e s’ajoute au corps, c’est le corps q ui existe p a r l’âm e, et la g én é ratio n du corps exige la prése n ce fo rm a tric e de l’âm e. Cet ordre tra n s c e n d e n ta l du corps à l ’âm e et de l ’âm e au corps explique l’influ en ce réciproque du physique su r le m e n ta l, du psychique su r le physiologique » (a.
MICHEL, d an s L ’A m i du Clergé, 1958, pp. 125-126).
20. La c h a ir et les os, dit sa in t T hom as, la P., q. 75, a. 4. 21. P o u r sa in t T h o m as, l’âm e séparée du corps, — après
la m o rt et a v a n t la ré su rre c tio n — est d an s u n é ta t a n o rm a l, co n tre -n a tu re , e t donc m é tap h y siq u e m e n t im p a rfa it: « esse s e p a ra tu m a corpore e st p ræ te r ra tio n e m n a tu ræ suæ » (la P., q. 89, a. 1). Les E ssé n ien s p ro fe ssa ie n t u n e d o ctrin e ra d ic a le m e n t opposée: « Ils so n t fe rm e m e n t assu rés que si les corps so n t périssables et le u r m a tiè re in sta b le , les âm es, é ta n t im m o rtelles, d e m eu ren t to u jo u rs h a b i ta n te s de l ’éth er le plu s léger, et attiré e s p a r u n e sorte de sé d u ctio n n a tu re lle , elles se so n t enlacées au x corps com m e d an s des p riso n s; m a is lo rsq u ’elles so n t d étach ées des liens de la c h a ir, com m e délivrées d ’u n e longue servitude, joyeuses elles s ’élèvent en h a u t » ( F L A V I U S j o s E P H E , Guerre, 154-155). Cf. le
discours d ’A P O L L O N i u s de t y a n e à u n je u n e ho m m e: « L’âm e est im m ortelle, et elle n ’est p as ta chose m a is celle de la Providence. Après que le corps s’est dissous, p areille à u n co u rsier rap id e délivré de ses lien s, sa n s peine elle s’élan ce et se m é lan g e à
DOIT À SA MÈRE
27
Finalement, ponr la race linmaine, le principe d’indi
viduation n’est pas l’âme (forme du corps), mais la
matière : le corps. C’est seulement parce que les corps
sont différents que les âmes le sont aussff^^\
Il en résulte que celui-là sera plus intelligent
qu'un autre, parce que son intelligence sera servie
par une complexion plus fine, mieux adaptée: « Ceux
(pii ont les cliairs tendres, observait Aristote, ont
22.
l ’a ir léger, r e je ta n t avec dégoût le d u r e t d ouloureux service q u ’elle e n d u ra it u n ie au corps » (d an s
P hilostrate, V III, 31 = 11, 104, Conybeare). — Selon
la co n cep tio n d u aliste o rp h iq u e-p la to n ic ien n e , nous d istin g u o n s âm e (psyché) et corps, alors que p o u r les S ém ites, il s’agit de l ’âm e (nép h ésh ) d u corps; celle-là in sé p a ra b le de celui-ci q u ’elle anim e. C’e st cette d ern iè re anthropologie q ui co m m an d e la th é o logie ch ré tie n n e . L’H ébreu ig n o re la dichotom ie d é s in c a rn a n t l ’âm e, et il ne d ira it p o in t: « L’hom m e
a u n e âm e », m ais b ie n p lu tô t: Il est u n e âm e,
com m e il est u n corps; c a r ces deux com posantes de l ’être v iv a n t so n t indissociables (cf. d. l y s, N é p h ésh . H istoire de l’âm e dans la révélation d ’Israël, P aris,
1959, pp. 49-50, 104 sv.). Les S ém ites n ’o n t n u lle m e n t p a rta g é la co n cep tio n p essim iste du corps, professée p a r les Grecs. Ils v o n t ju s q u ’à a ttrib u e r à tel ou tel organe, à telle ou telle p a rtie du corps (foie, c œ u r, e n tra ille s), les pensées e t les se n tim e n ts q ui relè v en t de l ’âm e.
O n n e sa u ra it trop in siste r: c’e st le corps q ui à l’origine différencie les in d iv id u s h u m a in s; c ’e st du corps que v ie n n e n t les différences, p u isq u e c’est lu i q ui in d iv id u alise l’ê tre h u m a in total.
l'esprit délié
Celui-ci sera plus énergique, parce
23. C ité très fré q u e m m e n t p a r sa in t T h o m as: M olles
carne bene aptos m e n te l « Q ui en im h a b e n t d u ra m
c a rn e m et p e r consequens m a lu m ta c tu m su n t in e p ti se cu n d u m m e n tem ; qui vero s u n t m olles carne et per
co nsequens boni ta ctu s s u n t bene apti m e n te . . . quia
b o n ita s ta c tu s c o n se q u itu r b o n ita te m com plexionis sive tem perantiae . . . Ad b o n am au tem com plexionem corporis se q u itu r n o b ilitas anim ae, q u ia om nis fo rm a est p ro p o rtio n a ta suae m ateriae. U nde se q u itu r quod qui s u n t b o n i ta c tu s , s u n t nobilioris animae et p e rsp ic a c ita tis m e n tis » (In II De A n im a , lect. 19, n. 483-485); « B onitas dispositionis corporis h u m a n i f a c it ap tu m ad bene in te llig e n d u m , in q u a n tu m ex hoc praedictae vires fo rtio res e x istu n t: u n d e d ic itu r in
II De A n im a (cap. IX, 2; 421a) quod m olles carne bene aptos m e n te vid e m u s » (III C. G ent., 84);
« M a n ife stu m est en im quod q u a n to corpus est m eliu s dispositione, ta n to m eliorem so rtitu r a n i m a m . . . U nde cu m e tia m in h o m in ib u s qu id am h a b e a n t corpus m e liu s disp o situ m , so rtiu n tu r a n i m a m m a jo ris v irtu tis in intellig en d o : u n d e d ic itu r in II De A n im a (cap. IX) quod m olles carne bene
aptos m e n te vid e m u s . . . Alio m odo co n tin g it hoc ex
p a rte v irtu tu m in fe rio ru m , quibus in te lle ctu s in d ig e t ad sui o p eratio n em ; illi en im in quibus v irtu s im agi- n a tiv a et co g itativ a et m e m o ra tiv a e st m eliu s dis p o sita, s u n t m eliu s d ispositi ad in te llig en d u m »
(Ia P., q. 85, a. 7; cf. 101, a. 2). Après avoir tra d u it:
« L’ho m m e est celui de tous les a n im a u x qui a le to u c h er le p lu s fin; et p a rm i les hom m es, ceux qui o n t le to u c h er le plu s fin so n t d ’in tellig en ce plus p é n é tra n te , A ristote e n d onne cet in d ic e: ceux qui o n t les c h a irs te n d re s o n t l ’e sp rit délié » (la P., q. 76, a. 5), J. WEBERT re je tte com m e périm ée cette
con-DOIT A SA MERE
29
que sa volonté spirituelle sera servie par uu orga
nisme plus favorable. Tel autre aura une plus grande
délicatesse de cœur, parce que sa sensibilité sera
plus nuancée et vibrante^“^b Toutes nos facultés
spirituelles sont conditionnées dans une large mesure
24.
ception de la vie de l ’e sp rit d é p e n d a n t de la q u alité des p erc ep tio n s ta ctiles; m a is il dem eure v ra i m é ta p h y siq u e m e n t « q u ’il doit y avoir u n e co rresp o n d a n ce rig o u reu se e n tre la fo rm e et la m a tiè re , donc e n tre la n a tu re de l’âm e et la s tru c tu re du corps » {L’âm e
h u m a in e, P aris, 1928, p. 351). On ne p eu t, en effet,
que so u scrire à des a ssertio n s com m e celles-ci: « In tellec tu s . . . c o n ju n c tio n e m h a b e t ad corpus d u p lic ite r: scilicet ex p a rte essentiae, q uæ fo rm a corporis est, et ex p a rte in fe rio ru m p o te n tia ru m ex quibus in te lle ctu s rec ip it; e t p e r istu m m odum d iv ersitas corporis in d iv e rsitatem in te lle ctu s re d u n d a t» (II S en t., d. 32, q. 2, a. 3, ad 3um ); « U n u s hom o ex dispositione o rg an o ru m est m ag is a p tu s ad bene in te llig en d u m q u am alius » (la-IIse, q. 51, a. 1; cf. Ia P., q. 84, a. 8; 117, a. 3, ad 3 um ; 118, a. 3). « II y a des h a b itu d e s affectives à l ’é ta t d ’éb au ch es qui so n t n a tu re lle s. Il y a, e n effet, des hom m es qui p a r le u r pro p re com plexion corporelle so n t p ré disposés à la c h a ste té , à la dou ceu r ou à quelque chose de ce genre » (la-IIæ , q. 51, a. 1, fin). P lus p ro fo n d é m en t, l ’o rie n ta tio n m orale de ch a q u e in d i vidu corresp o n d au x a p titu d e s n atu re lle s de son être : « Q ualis u n u sq u isq u e e st se cu n d u m corpoream q u a lita te m , ta lis finis v id e tu r ei; q u ia ex h u ju sm o d i dispositione hom o in c lin a tu r ad elig en d u m aliquid vel re p u d ia n d u m » (Ia P., q. 83, a. 7, ad 5um ). Cf.
j. GUiTTON, E ssai sur l’am o u r h u m a in , P aris, 1948,
par l’état de notre vie végétative et seiisible^^'^^
Assurément l’âme n’est pas absolument et définitive
ment prisonnière de ces conditions ; mais ce sera
l’œuvre de l’éducation et de la vertu de la faire
accéder à la « liberté » de cette emprise corporelle ;
et chacun sait combien est laborieuse — et limitée
— cette entreprise de correction, de redressement du
donné primitif défectueux<^^®h
25. Q u’il suffise d’évoquer la différence de stru c tu re m e n ta le et affective e n tre u n ho m m e et u n e fem m e. L eur âm e est stric te m e n t id e n tiq u e , sortie des m a in s de D ieu, m a is de la sim ple différence des sexes ré s u lte n t p resq u e d eux espèces h u m a in e s différentes. C’est la q u alité des corps q ui co n d itio n n e celle des âm es.
26. Il f a u d r a it sou lig n er ici les co nséquences que ces p rin cip es et ces fa its e n tra în e n t d an s la co nception et l ’é d u c atio n des e n fa n ts. Les p a ren ts e n g e n d re n t
u n corps h u m a in qui sera l’in s tr u m e n t d ’u n e âm e et d éterm in e ra la valeur pratique initia le de cette âm e.
D ieu p o u rra in te rv e n ir d a n s la su ite, e t il le fa it; m a is les a n c être s d é te rm in e n t l’allu re in itia le , l ’o rie n ta tio n fo n d a m e n ta le d ’u n e vie h u m a in e . . . et spirituelle! « Les Pères o n t m a n g é des raiso n s verts et les d en ts des fils e n se ro n t agacées ju s q u ’à la septièm e g é n é ratio n » (Jér., XXXI, 29; Es., XVIII, 2). La m a tiè re est u n e p u issa n c e d ’être, c ’est-à-dire le co m m en c em en t, le p rem ier degré p a r lequel l ’être sort du n é a n t; e t si le fo n d e m e n t est b oiteux, défi cien t, co m m en t ré ta b lir l ’équilibre des stru c tu re s su p é rie u res? C’e st la q u alité des corps qui f a it la différence des âm es . . .
DOIT À SA MERE
31
En conséquence : puisque toutes les âmes sont
égales et que la qualité des corps fait la différence
des âmes, on comprend l’extrême importance que le
corps de Notre-Seigneur fût parfait, comme corps
organisé, comme corps destiné à être uni à une
âme^^'^l.
11 s’ensuit en outre que le corps de sa Mère devait
lui aussi être parfait. Non seulement la Bse Vierge
devait être sainte, mais d’elle-même rien ne devait
advenir à son fils qui ne fût matériellement in-
tègre^^®!. Si une providence spéciale de Dieu n’avait
veillé à la propre formation corporelle de la Mère,
il aurait fallu qu'au jour de l'incarnation du Fils,
le Saint-Esprit multipliât les miracles, pour pré
server l’organisme de l’Enfant désus des tares
héréditaires que sa Mère lui aurait — involontaire
ment, mais nécessairement — transmises. Mais
puisque le corps de iMarie fut parfait, celui du Christ
27. Cf. SAINT THOMAS, la P., q. 85, a. 7: « M a n ife stu m e st quod q u a n to corpus e st m elius disp o situ m , ta n to m eliorem so rtitu r an im a m ».
28. Ce n ’est pas u n e ra iso n p o u r a ttrib u e r à la M ère du C h rist u n corps céleste, im p assib le e t im m ortel, com m e le f a is a ie n t les V ale n tin ien s, ou de n a tu re angéliq u e com m e l ’e n s e ig n a ie n t les A ntidicom atia- n ites (s a in t e p ip h a n e, H æ r., 36).
le fut aussi : « Mater est secundum omnes proprie
tates maternitatis
29. M ariale, q. 145; édit B orgnet, XXXVII, p. 206. « Si corpus D om ini in sum m o h a b u it q u a n tita te m viro co n g ru e n te m , ergo et m a te r su a h a b u it in sum m o q u a n tita te m fœ m in æ c o n g ru e n tem » (ibid., q. 16, § 1; p. 40). DENYS LE CHARTREUX, r e lia n t
rimma-
culée C onception à la m a te rn ité de la Vierge (De
præ conio et dig n ita te M ariæ libri quatuor; édit.
T o u rn a i, 1908; lib. I, art. 13 et 38; t. XXXV, pp. 486, 508), c o n c lu ra que M arie ne co n ç u t son e n f a n t que lorsque son corps f u t arriv é au p a r f a it degré de son d éploiem ent, « in ea concepit æ ta te q u a p e rfe c ta fu it corporis sta tu et q u a n tita te » (De dig n ita te et
laudibus B. V. M ariæ , l, 37; t. XXXVI, p. 64); et
ANDRÉ DE Novo CASTRO: « La Vierge M arie a tr a n s
m is ses q u alité s au corps de son fils, m ieu x que toute a u tre fem m e ne l ’a f a it à son e n f a n t » (T ractatus
de conceptione V irginis M ariæ , 6; Q u arac ch i, 1954,
p. 175). Cf. SAINT BONAVENTURE; « Cum caro C h risti deb eat c a rn i V irginis assim ilari post V irginis sa n ctific atio n em , sic u t caro alio ru m a s sim ila tu r c a rn i alio ru m p a re n tu m » (In III S en t., dist. I ll, P. 1, art. 2, q. 2). — 11 n ’est que d ’ap p liq u er ici la loi d ’h é ré d ité, rec o n n u e p a r sa in t t h o m a s: « E a quæ p e rtin e n t ad n a tu ra m speciei, tr a d u c u n tu r a p a re n tibus in filios, n isi sit defectus n a tu ræ ; sicu t o cu latu s g e n e ra t o cu latu m , n isi n a tu r a deficiat. E t si n a tu ra
sit fo rtis, etia m aliqua a ccidentia in d iv id u a lia pro p a g a n tu r in filios, p e rtin e n tia ad disp o sitio n em n a tu ræ , sicu t velocitas corporis, bonitas in g e n ii, et alia h u ju sm o d i, n u llo au tem m odo ea quae s u n t p u re
DOIT A SA MERE
33
Puisque, dès le premier momeut de sou existence,
Notre-Seigneur a eu un corps parfaitement organisé,
dans un état de plénière intégrité, il faut dire que,
depuis Adam, ce fut le seul corps humain dans toute
sa splendeur. Jésus fut beau, physiquement, magni
fiquement beau; et cette beauté, il la devait à sa
Mère*^®°b Sans doute, aucun document explicite ne
nous renseigne sur sou aspect extérieur<^®P, mais on
p erso n a lia » {la-Ilæ , q. 81, a. 2). M ais c’e st l ’âm e, p lus que le corps, q ui tra n s m e t sa « v ertu »: « V irtus q uæ e st in sem ine, ag it in v irtu te an tm æ g en e ran tis, se cu n d u m quod a n im a g e n e ra n tis e st ac tu s corporis, u te n s ipso corpore in su a operatio n e » (Ia P., q. 118, a. 2); « to ta n a tu r a corporalis ag it u t in s tru m e n tu m sp iritu a lis v irtu tis » (ibid., ad 3um ); « V irtus ac tiv a qu æ e st in sem ine est q u æ d a m im pressio d e riv a ta ab a n im a g en e ran tis » (q. 119, a. 1). Cf. F. w .
BEDNARSKi, A n im a d ve rsio n e s S. T h o m æ A q u in a tis
de ju v e n ib u s eoru m q u e ed u c a tio n e , d a n s A n g elicu m ,
1958, pp. 377 sv.
30. Ceci doit s’e n te n d re d ’abord de la com plexion la plu s p rofonde (Ilia P., q. 46, a. 6), m a is on p e u t e n croire sa in t T h o m as: « L a taille du C h rist à l ’âge p a rfa it, a été h arm o n ieu se , n i trop g ran d e, n i trop p etite »
(Illa P., q. 33, a. 2); et su rto u t: « la b ea u té corporelle
et la p ro m p titu d e de l ’e sp rit a p p a rtie n n e n t à la p e r fec tio n de l’hom m e » (la-IIæ , q. 4, a. 5).
31. T outefois, la sé d u ctio n du C h rist su r les cœ u rs se révèle à c h a q u e page de l ’É vangile. A u-delà de la grâce, on voit le prestig e, l ’a u to rité, la p résen ce p hysique de Jé su s en im p o ser à tous. Ses e n n e m is
ne voit pas pourquoi son effigie, son apparence
humaine aurait été troublée, viciée de quelque
manièref®^). D’autant plus qu’il n’avait pas le péché
originel. Celui-ci est contracté du seul fait de l’union
de l’âme à un corps infecté, mais ce péché de nature
32.
« n ’osen t » p as m e ttre la m a in su r lui. Les A pôtres, les sa in te s F em m es so n t conquis p a r le ra y o n n e m e n t q u i é m a n a it de son physique. S ain t P ierre adm ire que les disciples p u iss e n t l ’aim er à le u r to u r sa n s avoir eu le privilège de le voir (I Pet., I, 8). L’h isto rie n F lav iu s Josèphe é ta it in fo rm é que « sa n a tu re e t son e x té rie u r é ta ie n t d’u n hom m e, m a is son ap p a ren ce plu s q u ’h u m a in e » (Guerre, II, 188, v ersio n slave). A ussi, ap rès s a in t A u g u stin , sa in t B e rn a rd e t sa in t A nselm e, sa in t T h o m as éc rira : « Le C h rist e u t cette b e a u té su p é rie u re q ui lu i v e n a it du ra y o n n e m e n t de la div in ité su r son visage » (In Ps., XLIV, 2). D ans
I lia P., q. 44, a. 3, ad lu m , il cite sa in t Jérô m e:
« L’é c la t m êm e e t la m a je s té de sa div in ité, qui re sp le n d issa ie n t ju sq u e su r le visage h u m a in du C h rist, p o u v a ie n t a ttire r à lu i, dès le p rem ier reg a rd , ceux q u i le v o y aien t » (In M t., IX, 9).
C e rtain s pseudo-m ystiques, à la su ite de T ertu llien e t d ’O rigène, o n t p ré te n d u que le C h rist é ta it laid. Libre à eux. M ais c’e st u n contre-sens biblique e t de la m a u v aise théologie que d ’ap p liq u er à la sta tu re d u F ils de D ieu in c a rn é les p ro p h éties de la passio n , rela tiv e s à l ’ho m m e de dou leu r: « Il n ’a v a it n i form e, n i b e a u té p o u r a ttire r nos re g a rd s » (Is., LUI, 2). Cf. Les ju ste s o bservations de f. p r a t. Les portraits d u C hrist, d an s Jésus-C hrist. Sa vie, sa doctrine, son œ u v re, P aris, 1933, pp. 526-532.
DOIT À SA MÈRE
35
alïectant la personne, est transmis par le père^^^l ;
et comme Jésns n’avait pas de père linmain, il n’avait
même pas à être exempté, comme sa Mère le fut. La
question ne se pose pas pour lui.
Précisons que l’Enfant Jésus n’est pas un enfant
abstrait. C’est le fils de sa Mère, laquelle est d’une
race bien définie, appartient à un groupe humain
déterminé {Hé'br., II, 16). Il est tout à fait raison
nable d’imaginer que ce corps humain représente le
type, les caractéristiques de la race juive, dégagé
de toute tare, de toute imperfection, de tout ce qui
serait déficient et viendrait « de l’imperfection et des
hasards de la vertu des générateurs ». Notre-Seigneur
Jésus-Christ avait donc un type humain spécial et
très individualisé: Il ne pouvait pas ne pas « ressem
bler à sa Maman », qui fut la plus belle de toutes
33. L a tra n sm issio n du péché orignal e st liée, d an s la g én é ratio n h u m a in e , au rôle du p ère; c a r celui-ci en g e n d re selon cette p a rtie in fé rie u re q ui est e n lu i n a tiv e m e n t d ésordonnée (De M alo, q. 4, a. 6, ad 4um . Cf. R. GiBELLiNi, La G encrazione n a tu ra le com e
M ezzo di tra n sm issio n e del Peccato originale secondo S. T o m m a so , d an s D ivus T h o m a s, 1958, pp. 445-464).
C’est p ourquoi, m êm e le b ap tisé , renouvelé selon l’e sp rit, tra n s m e t encore la v étu sté d ’A dam . — A u g u stin e t C hrysostom e o n t c o m b a ttu la thèse de P élage selon q ui les e n fa n ts , nés de p a re n ts c h ré tie n s, é ta ie n t exem pts du péché originel et n ’a v a ie n t p a s à être baptisés.
les Femmes<^°^\ Celle-ci était de descendance
davi-34. Le Ps. A lbert le G rand, q ui e n tra ite ex p licitem en t:
U tru m b ea tissim a Virgo p u lc h ritu d in e m corporalem habuerit? (M ariale, q. XV), m u ltip lie les su p erla tifs;
« B eatissim a Virgo o m nibus p u ris c re a tu ris o p tim a et p u lc h e rrim a fu it: ergo h a b u it p u lc h ritu d in e m exterio rem et in te rio re m » (ibid., § 1, 4); « B eatis sim a Virgo h a b u it su m m u m e t p erfec tissim u m g rad u m in p u lc h ritu d in e q ui esse p o tu it in m o rta li corpore se cu n d u m sta tu m viæ , o p era n te n a tu r a » (§ 3). C ette b e a u té de la M ère d ev ait se tra n sm e ttre à son Fils: «Ad corporis D o m inici co m m en d a tio n e m : n o n en im p o test arb o r b o n a et nobilis f ru c tu m m a lu m e t ignobilem fac ere » (§ 4); « I n fin ita b o n ita s in f ru c tu ad h u c o ste n d it in fin ita m in arbore b o n ita te m » (q. 197). M arie « m iro ir de toute b ea u té e t in n o c en c e reflète sa sp le n d eu r su r la p rem ière b e a u té » (q. II, p ar. 9, 2). Cf. m.-m. d e s m a r a is.
S a in t A lb ert le G rand, docteur de la m éd ia tio n m ariale, Paris-Ottaw^a, 1935, pp. 29 sv. De m êm e
DENYS LE CHARTREUX: « E v id e n ter elu cescit
corporeae u tiq u e ex c ellen tiam p u lc h ritu d in is ei n u lla te n u s defuisse » (De præ conio e t d ig n ita te M ariæ , I, 39; t. XXXV, p. 509). S ans doute, tous les a u te u rs ap p liq u e n t le p rin cip e: B onum ex in teg ra causa, m a is D enys observe que la p u re té su ré m in e n te de M arie ne p o u v a it p a s ne p as irra d ie r son visage de lu m ière, de noblesse et de b e a u té (art. 40; p. 510). — C’e st l’É vangile du Ps. M a th ie u (Ve-VIe s.) qui, selon le goût des apocryphes, esquisse le p re m ie r p o rtra it de la Vierge, encore adolescente: « Son visage re s p le n d issa it com m e la neige au p o in t que l’on p o u v ait à pein e y a tta c h e r les reg a rd s . . . N ulle, p a rm i ses com pagnes, n e c h a n ta it p lu s jo lim e n t les c a n tiq u e s de M oïse, n ’é ta it p lu s g racieuse d a n s sa c h a rité ,
DOIT A SA MERE
37
(liqiie {Rom., I, 3), donc royale^^®^ D’où la noblesse
35.
plu s p u re d an s sa c h a ste té , plu s p a rfa ite e n toute v ertu » (VI, 1-2). Le m oine e t p rê tre b y z a n tin E p ip h a n e , à la fin du V ille siècle, n ’h é s ite ra p as à p réciser: « De taille m oyenne, . . . le te in t com m e du fro m e n t m û r, les cheveux blonds, les yeux vifs et beaux, les sourcils no irs, le nez b ie n p ro p o rtio n n é, les m a in s et les doigts longs, le visage ovale . . . p leine de c h a rm e » (De vita B. Virg., 6; P.G., CXX, 193; cf. E. VON DOBSCHÜTZ, C hristiisbüder,
Leipzig, 1899, p. 302). L’a n n a lis te b y z a n tin N icé p hore C alliste X anthopoulos d o n n e ra , au XlVe siècle, u n e d escrip tio n au ssi m in u tie u se de Jé su s, e n p ré c isa n t que le fils re sse m b la it e x a c te m e n t à sa m ère (H ist, e c c l, I, 40; P.G., CXLV, 748-749). — Ce genre de « p o rtra it » relève d’u n genre litté ra ire tra d itio n n e l. Il n ’e st que de voir co m m en t la sim ple m e n tio n de la b ea u té de S ara d a n s G en., XII, 14 a été détaillée et illu stré e p a r les m oines de Q u m râ n d an s la Genèse apocryphe, col. XX, 2-7; ou encore la m erveilleuse sp le n d eu r de la c h a ir et des yeux de Noé d an s le L ivre d’H énoch, 106.
D avid « a v a it de b eau x yeux e t u n e belle p re sta n c e »
(l S a m ., XVI, 12). Le Ps. A lbert se d em an d e égale
m e n t: U trum m a tre m Dei con g ru a t n o b ile m esse
se cu n d u m carnem ? (ibid., q. XXV), e t il rép o n d :
« B eata Virgo se cu n d u m om n em d ig n ita tis et p erfec tio n is et n o b ilitatis m o d u m esse d eb u it e t fu it n o b ilissim a et d ig n issim a in sum m o » (§ 3, p. 55). S em blablem ent d e n y s le c h a r t r e u x: « In n a tu ra lib u s quoque p ræ ceteris m u lierib u s elegan- tissim a fu it » (De dig n ita te e t laudibus B. V. Mariae, I, 7; t. XXXVI, p. 26); « G loriosissim a Virgo specio sissim a atq u e p u lc h e rrim a fu it in te r filias h o m in u m » (I, 34; p. 62).