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Le sentiment religieux de Casanova.

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Texte intégral

(1)

et accommodant, par attachement à la tradition et désir d'ordre. Ce sentiment apparart alors comme un humanisme oa la Religion reste subordonnée au bonheur.

(2)

Department. of French Language and Literature McGill University

M. A.

Abstract

A partial study of Casanova's religion suggests several contradictions. This thesis will attempt to resolve some of the apparent conflicts which become evident in his Mémoires and will outline the ideas and beliefs of the author in the domain of religion.

The first chapter treats superstition and "tradi-tional religion". Casanova attachs them though he himself is part of that culture. His affiliation with the Free Mason Movement is to be noticed in particular for it underlines his belief in a Creator and in a Brotherhood of Man which transcends different reli-gious. The analysis of his pragmatic conservatism and of his belief in God brings out a dichotomy of re-ligious sentiment. The fourth chapter explores the

1

fundamental points of spirituality - a sentiment which is limited. Casanova is much more interested in hap-piness and the fascination before Death than in an Afterlife.

(3)

tached to tradition and a love of order. This senti-ment is, in effect, a kind of humanism where religion as such remains subordinate to happiness.

(4)

by

Lydie Coitoux

A thesis submitted to the

Faculty of Graduate Studies and Research McGill University

in partial fulfilment of the requirement for the degree of

Master of Arts

Department of French Language and Literature

McGill University Montreal

l'

®

Lydie Ooitoux

~973

\

(5)

thousiaste et bienveillante tout au long de ce travail.

Je prie Monsieur J. Rives Childs, biographe de Casanova, et Monsieur Alec Mellor, historien de la Fran-maçonnerie, qui ont eu l'amabilité de répondre à mes demandes d'infor-· mation, de trouver ici l'expression de ma gratitude.

(6)

INTRODUCTION CHAPITRE 1

CHAPITRE II

...

1

LES FORMES INFERIEURES D'EXPRESSION

DU SENTIMENT RELIGIEUX ... . 6

A) Superstition... .•...•. 6 B) Religion traditionnelle... 15

A LA RECHERCHE D'UNE VERITE: L'ADHE-SION A LA FRANC-MACONNERIE •...•.... 34 CHAPITRE III DICHOTOMIE DU SENTIMENT RELIGIEUX

CHAPITRE IV CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE

CHE Z CASANOVA ...•...•...•. 54

A) L~attachement à l'Eglise, expres-sion d'un conservatisme politique

e.t social . . . S4

B) La croyance en Dieu: sensibilité au mystère et terreur "des origi-nes" . . . 66

C) La crise des Plombs: providence ou confiance en soi •...•..•. 76

LIMITES DU SENTIMENT RELIGIEUX 83

••••• l,',',' ',',.,',',.,'" ••.•.•.•.• , •.•.•.•.•.•••••••• 106

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • i • • • • • • • • • • • • 110

(7)

INTRODUCTION

A soixante-cinq ans, Casanova~crit pour se divertir et revivre les plaisir~ qui ont ~t~ "la prin-cipale affaire de sa vie". La Religion, le plus sou-vent sujet de co~versation, ne tient pas une grande place dans ses M~moires, en d~pit de nombreuses

r~f~-rences à Dieu. Cependant la Préface de l'oeuvre com-mence, comme a fini sa vie, par une préoccupation re-ligieuse: l'affirmation de son appartenance à la reli-gion chrétienne.

Cette profession de foi a laissé de nombreux critiques très sceptiques: ainsi, pour Robert

Abirached, Casanova, superstitieux, influence par ses pratiques de'magie, ne verrait dans la marche du monde

... . 1 f i l

que ceremon1a et ormu es • Cependant J

.R:.

,Childs nous propose un autre personnage avec cette opinion:

"Nous avons trop de preuves de sa profonde foi reli-gieuse pour attacher de l'importance au témoignage de Boswell selon qui Casanova aurait été agnostique ....

(1) ~. Abirached Casanova ou la dissipation - Paris, B. 'Grasset, ,1961, pp. 103 ~ 139.

(8)

Cet attachement a sa foi catholique est un trait fon-damental de son caractère2." Selon les passages, les Mémoires peuvent illustrer des attitudes différentes devant la religion; certaines sont contradictoires, non exemptes de sophismes et de compromis. Par là l'oeuvre reflète un aspect important du problème re1i-gieux au Siècle des Lumières, siècle dont Casanova est un représentant typique sous de nombreux rapports.

La religion qu'il connaît dans son enfance consiste essentiellement en un cérémonial entaché de craintes superstitieuses et s'accommodant de pratiques de sorcellerie. Sous la pression familiale, il étudie la théologie et passe un doctorat en droit canon en 1742, car on a décidé, en dépit de son gont pour la mé-decine, d'en faire un avocat ecclésiastique. Cepen-dant le destin, comme il aimait à le dire, s'y opposa. Ses curiosités vont maintenant vers tout ce que le siècle désigne comme art de vivre: il étudie la philo-sophie de Gassendi 3 et se forme autant aux maximes

(2) J.R. Childs Casanova Paris, Pauvert, 1962

-p. '27'3 et p. 407.

(3) Pour Jean Marnier, il y aurait eu chez cet épicu-rien imprégné des idées d'Horace, la juxtaposi-tion "sans duplicité perverse", d'une "représen-tation du monde issue de "De Natura rerum" et

(d') une croyance sincère à la Révélation"

Horace en France au XVIII e s ièc le - Paris, P. U . F,' "

(9)

d' Horace qu'aux préceptes sto!i!ciens qu'il agrée, lors-qu'il en trouve une interprétation conforme à son ca-racter!3; ainsi le "Sequere deum" devient un abandon à

ce que le sort présente.

Outre ses connaissances en matière religieuse, il est d'une aisance surprenante dans le domaine nébu-leux des kabbalistes, sorciers, alchimistes et guéris-seurs. Il réagit très jeune aux "m6meries", surtout aux pratiques d'exorcismes courantes dans son milieu: "Ils me semblaient tous fous ou imbéciles. Je ne pou-vais me figurer des diables dans le corps de Bettine sans rire. 4". Il ne met pas la religion en question, mais le problème de l'explication des choses par la raison ou par la foi se pose très vite. Toujours très à l'aise dans des conversations sur la religion, il lui arrive à vingt-deux ans de tant citer Saint-Augus-tin et de parler si bien de la grâce qU'on le. prend pour "zélé janséniste, ce qui était bien contraire à

5

toute l'apparence ." Cette scène révèle une des dif-ficultés de l'étude du sentiment religieux chez

'(4) 'ïff;to'ire de ma vie - Paris, Plon, 1963, t. 1, ch.

I~, p •. 3l. Pour les citations extraites de cette édition nous convenons de ne rappeler dans la suite du mémoire que les nombres référant au tome, au volume, au chapitre et à la page.

(10)

Casanova: il peut disserter savamment et avec convic-tion sur des points de doctrine étrangers à ses croyan-ces. Dans son commentaire des trois premiers

chapi-6

tres de la Génese , un air de désinvolture ressort de certaines explications et du style de quelques passa-ges, suggérant que l'oeuvre pourrait être un bon tour joué aux théologiens, ou un échantillon à l'itaiienne de la virtuosité de l'auteur, sans attaches précises avec son propre sentiment. Une partie importante de la Préface des Mémoires est consacrée à ses croyances et à ses incertitudes en matiere de religion: il s'y déclare "chrétien fortifié par la philosophie7" Son dernier mot, que rapporte le Prince de Ligne, aurait été: "J'ai vécu en philosophe et je meurs en chré .. tien8." Y-a-t-il contradiction? Casanova a-t-il donné deux ,sens à la philosophie, marquant par là une conversion tardive, ou bien, nourri de théologie et de culture antique, a-t-il été éclectique à la façon de Gassendi? "Humaniste par tempérament et libertin de profession9", s'est-il contenté d'un catholicisme

l6')"'c'cinirne'ntaire donné en Introduction à l' Icosameron ou Histoire d'Edouard et Elisabeth; Spoleto, Ed Claudio Argentieri, 1928, t. 1.

(7) Hist. de ma vie, préf., VII.

(8) Mémoires - Paris, Gallimard, Bibl. de la Ple!ade, 1960

t. III, appendices, p. 1128.

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à l'italienne, rassurant et accommodant, et son senti-ment religieux n'a-t-il pas été, dans la ligne de cet-te recherche de la vericet-te qui caraccet-terise le XVIIIe siècle philosophique et par opposition aux formes infe-rieures d'expression du sentiment religieux: supersti-tion et religion tradisupersti-tionnellelO, un sentiment orien-te vers un déisme pur?

(9) ••• coll. Le liv~e de poche, 1968, t. III, In-trod. de J. ,Branchu, p. 14.

(10) Nous convenons d'appeler religion traditionnelle

une religion faite de gestes, de coutumes, s'at-tachant à la lettre plus qu'à l'esprit et que Casanova n'a pas'manque d'observer en Italie et en Espagne surtout: "En, examinant dans la sui te ;de ma vie m~n genre humain, j'ai vu que la plus

grande partie des hommes croit. que le plus essen-tiel dans la religion est le céremonial". His-toire de ma fuite des Prisons de la Républiëj'lie de Venise qu'on appelle les Plombs. Intr. et notes de Ch. Samaran. Paris, Ed. Brossard, 1922, pp. 117-118.

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CHAPITRE 1

LES FORMES INFERIEURES D'EXPRESSION DU SENTIMENT RELIGIEUX

A) Superstition

Casanova partage avec de nombreux contempo-rains le goat de la magie et des doctrines ésotéri-quesl . L'occultisme au XVIIIe siècle n'est pas seu-lement une mode, mais une voie que les personnes en qu€te de surnaturel empruntent sans prudence, dépour-vues qU'elles semblent pour beaucoup de cet instinct de défense spirituelle que donne une vision réaliste de l'€tre humain. On trouve faèilement chez les li-braires dans la premi~re moitié du si~cle des livres traitant de sorcellerie, d'alchimie, et des traités kabbalistiques. Si Casanova ne dit pas où et comment il acquit ses connaissances en sciences occultes, il relate dans les Mémoires des tours de magie qui per-mettent de noter la précision et l'étendue de son

(1) R. Le Forestier, historien du courant occulte de' la 'Franc-maçonnerie au XVIIIe si~cle rapporte "Des ventes ap~~s décès ... ont au cours du siè-cle dernier etjusqu'~ nos jours fait sortir des archives familiales une masse de vieux papiers parmi lesquels figurent des manuscrits datant du XVIIIe si~cle et qui, presque sans exception, ont trait aux sciences occultes". L'occultisme

(13)

)

savoir, ainsi que la valeur très, relative qulil accor-dait l ces pratiques. Il ,est plus difficile de

,d~ter-miner c'e qu'il savait, le cas,~ch~ant, de la partie mystique des doctrines en cause"et ce qulil en pensait.

Les rapprochements possibles restent hasardeu~; ainsi, il reprend plusieurs fois cette id~e fondamentale de la kabbale exprim~e dans le Zohar, qu'il est l jamais impossible de comprendre ou de connartre Dieu, la quali-fiant d' "heureuse, ignorance,,2. J .R. Childs mention-ne de plus sa "parfaite familiarité ... avec les

~cri-... 3 'II

tures secretes. L'aisance de Casanova dans son rôle de magicien, qu'il dit aimer

"l

la folie", reste cependant au niveau d'un talent ~toffé d'une culture certaine et martrisé par un solide sens pratique. Ainsi, il subjugue trois patriciens de Venise, dont

(1) ... et la Franc-maçonnerie écossaise - Paris, Ed. Arthème Fayard, 1956, p. 135.

(2) Hist. de ma vie pr~face, VII. La kabbale par opposition h la tradition directe, la thora r~v~­ l~e par Jehovah à Mo!se, est une rév~lation faite aux Elus et transmise oralement. Le Zohar livr~

de la clart~ codifie la kabbale qui d~signe à par-tir du XIIIe siècle la doctrine ésot~rique juive condens~e en ~ystème. C'est 'à la fois un' re-cueil de sciences magiques et un trait~ de la nature divine et de la cr~atiori. CR. Le Fores-tier op. cit., pp. 92 à 98) etJ. Maiquès-Rivière, Histoire des doctrines ~sotériquei - Paris,

Payot, 1971, pp. 121 ~ 142.

(3) J.R. Childs. op. cit., p. 139. Une note du tra-du'ete'ur Francis-L. Mars pr~c,ise: "W-'F. Friedman

... autorit~ mondiile en la matière juge les connaissances cryptographiques de Casanova rien moins que stup~fiantes'."

(14)

, .. ')

, '

M. ~e Bragadin, ~on fu~u~ pro~ec~eur" par son habile~~

à fa,ire, parler. la kabbal~;'il Uemporte" ,le son sens de Mme d'Urf~ en p,r~parant une 'hyp,ostase, soit la renais-sance de la dame dans le corps d'un enfant, mais il ne se laissera pas duper. Au cours d'une visite au comte de Saint-Germain, commerçant de haut vol de la marchan-dise occulte et concurrent plus c~l~bre, et malgr~ une

op~ration impressionnante du martre, il n'accepte pas

de croire à la transmutation d'une piêce d'argent en or et refuse les pilules du "savant imposteur4." Pour

lui, il Y a là une agr~able façon de gagner sa vie, qui demande de l'audace, de multiples habilet~s, le goat du jeu et de la com~die, qui lui donne l'illusion de saisir ou de provoquer ces conjonctures impr~vues

d'où sort l'inexplicable du destin,'des hommes. Dans cette activit~, il t~moigne aussi du goat m~ridional

de tromper les "fessi", c'est-à-dire "les pauvres en esprit, les cr~dules, les na~fs .... Leur triste destin

(~tant) consid~r~ non seulement comme in~vitable, mais comme juste et convenableS."

IIlt~r8t'd'ordre

pratique,

(4) V, 10, II pp. 36-37.

(S) Luigi Barzini Les Italiens - Paris, Gallimard, 1966, p. 220. Casanova n'a pas ~té aussi dur que les lignes cit~es le suggêrent: "Tromper un sot ..• est un exploit digne d'un homme d'es-prit .... Il faut cependant les distinguer de ces hommes qu'on appelle bêtes ..•. J'en ai trouv~ de fort honnêtes et qui, dans le caractêre de leur bêtise ont une sorte d'esprit. Ils ressemblent

(15)

()

curiosi,té, ,hesoin .de dominer, ,attrait .de l'inconnu, plaisir dut,héâtre:' la' diversité .re.cèle une garantie

, , ,

contre les ri~ques psychiques d'unetelle activité dont pâtit Cagliostro par exemple; qui mourut dément. Ca-sanova se tient à distance de 'ces sciences "chiméri-ques", esclavage des esprits faibles, des ignorants, et des superstitieux.

Comment comprendre alors sa propre supersti-tion? Tant6t il dit en avoir une "bonne dose", tant6t il nous prie de ne pas le "dépêcher pour plus supers-titieux qu'un autre." Le plus souvent, il ne voit rien de très important, et l'avoue d'autant plus vo-lontiers qU'il sait la dépasser en la reconnaissant, l'Espagnol par exemple est "incorrigible parce qu'il ne sait pas de ltêtre6", lui lâchant la bride pour des choses inconséquentes, sar en fait quand tout va bien qU'elle n'a pas de prise sur sa volonté: "Mon grand ~résor est que je suis mon martre, que je ne dé-pends de personne, et que je ne crains pas les mal-heurs7." Un aspect du style des Memoires peut inciter

(5)

( 6)

( 7)

... à des yeux qui sans la cataracte seraient fort beaux." (Hist. de ma vie. Préf.

JO.

V, 10, XII, p. 317.,

(16)

.le .lect.eur à :voir Casanov.a. plus. superstitieux .qul.il ne

ll~st: C'est lleffet d'une 'con~r~tisation .de

llinex-plicable autoris~ par llexemple illti~tre de Sucrate parlant de son d~mo~; le "g~nie" de, Casanova' c1est sa

chance au jeu, son intuition, le hasard, et surtout l'attrait irr~sistible de son bon plaisir. Sa façon de pr~senter son comportement comme dict~ par la su-perstition a pu être aussi une technique pour d~guiser

certains faits ou des buts particuliers. Ainsi en 1745, il part à Constantinople où il se sent oblig~, par "caprice superstitieux", à "aller immanquablement". Or R. Childs pr~cise que le choix de Casanova s'expli-que, "si l'on admet qU'il avait d~jà visit~ cette ville en 1741 et y avait

rencontr~

Bonneva18." Cer-tes, il choisit la date de son d~part d'Espagne avec "un peu de superstition", il relève à chaque anniver-saire de naissance, le 2 avril, un incident particu-lier, mais p~ur l'action d'importance et pour les

pra-~iques religie~ses, son comportement est d'une autre

libert~. Attentif à ce qui lui arrive, par un sens aigu de ses int~rêts, il saisit toute co~ncidence

susceptible de l'aider à comprendre, pour le dominer, l'inexplicable de sa vie. La routé de l'aventure

(17)

.se.mée defa.i ts troublants prop.res à .g.Quver.ner .un .espri t s.upe.rstiti'eux .ne l"a pourtant pas .asservi, .dit-il/. à de fausses' croya.nces:

C'est un fait. Cent choses de ce goBt.me sont arrivées dans ma vie, bonnes pour faire tourner la cervelle à d'autres. Elles mtont étonné, mais, Dieu soit loué, .elles ne m"ont pas forcé à déraisonner.

On allègue un fait qu'on a deviné, mais on ne parle pas de cent autres qu'on a prédits et qui"ne parurent pas. J'ai eu

la folie de parier, il ti'y a pas six mois, qu'une chienne accouchera· le lendemain de cinq chiens tous femelles, et j'ai gagné. Tout le monde fut"étonné, moi excepté. 9. Cette sagesse se retrouve dans l'action oa il applique le principe qu'il ne faut pas méditer et conjecturer sur les grandes entreprises, mais les exécuter.

La superstition avouée ne contient aucune crainte et semble réduite à de la complaisanc~; en fait, elle recouvre le goBt de l'aventure, l'indulgen-ce à son propre mouvement, la confianl'indulgen-ce en soi, et préserve à l'occasion, de façon apparemment

paradoxa-le, son autonomie. Cependant, un cas plus sérieux se présente sous les Plombs, dans les prisons de Venise:

il utilise le calcul kabbalistique pour connattre la date de sa fuite, applique les nombres indiqués dans

l'Arioste, et trouve un vers d'une remarquable oppor-tunité d'après. lequel il décide son évasidn. Son état

(18)

psychologique exceptionnel expliqua cette attitude: .stlr. d'être. emprisonné à v.ie ,: .car on 1 ta. enfer.mésans

procès. et sans mention dedu.rée, ébran.1é par des con-ditions matérielles sordides, la solitude, et la lec-ture d'ouvrages .ystiques délirants,il a recours, par un comportement le ramenant au climat de son enfance et par une régression du sentiment religieux, aux croyances magiques. La p~édiction s'est révélée le meilleur recours de l'instinct de conservation, elle a été un moteur d'action, elle lui a donné confiance. La superstition, reparaissant dans un moment de détres-se est aussitôt refoulée, niée, dans les moments de calme et de réflexion. C'est que, contre la supersti-tion, il a une défense naturelle issue de la peur du ridicule, de sa méfi~nce envers l'illusion, de son gOtlt et de ses connaissances dans les sciences

positi-ve~; celles-ci lui permettent de discerner dans le

com-portement populaire en quoi la vision des phénomènes naturels peut être altérée, transposée du plan physi-que au plan religieux par l'ignorance.et la crainte.

Les Mémoires en offrent quelques beaux exemples. Ainsi, dans l'Italie méridionale, on prend les feux follets pour des diables, et à l'occasion d'un Voyage dans les Ardennes, il constate les "monstrueuses

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i,dé,es" qui circulent sur la nature et le p.ouvoi.r .de l'homme:. "Il ·suf.f,i.t d'être. physicien pour' y. être

ré-10'·'

puté astrol~gue et surtout magici~n

.t,

En

~éfiniti-ve, le besoin dl in,dépendance et l'instinct de conser-vation ne laissent de place ~ la superstitiori que si

cette derni~re cofncide avec le bon plaisir ou si elle devient, le cas échéant, un outil ~ leur service

-Dans les faits essentiels de sa vie, il suit le prover-be qu'il exprimera en diverses formes sous les Plombs: "Aide-toi, et le ciel t'aidera.."

Ces données sont valables dans le domaine re-ligieux d'autant plus que Casanova, par sa familiarité avec la mentalité magique, saisit bien la part de su-perstition de divers comportements en mati~re de reli-gion: exorcismes pratiqués par les prêtres, dévotions redoublées des dames qui succombent, mysticisme des gredins alertés par la peur d'un châtiment. Il hait la dévotion superstitieuse "maladie beaucoup plus mau-vaise que la vérolell", "alliance de Dieu avec le Diable12", et il conseille au lecteur qui aimerait ces dévots de ne pas lire les Mémoir&s. Mieux vaut un athée que ces êtres malfaisants au niveau social,

hy-(1'0), '. IV, 8, III. p. 65.

( il) II, .. 3, V. p. 181.

(20)

(

pocrites et lâches sur le plan moral dira-t-il,

rejoi-gnant alors les philosophes, jusqu'à mettre dans la bouche d'Edouard, personnage de l'Icosameron, une par-tie de l'article "Superstition" de l'Encyclopédie:

"l'homme superstitieux ... je ne le dé-montrais au-dessous de l'athée puisque

celui-ci n'offense la divinité que par défaut d'entendement, pendant que le premier vraie impie le couvre d'oppro-bre .... La superstition accable la raison, et change la bonne discipline et les coutumes les plus respectables en m6meries, elle éteint les lumières des têtes les plus saines: l'ignorance est sa mère, l'hypocrisie, l'entretient,

le faux zèle la répand, et l'intérêt la perpétue." 13.

Cependant, pas plus que pour de Jancourt, il ne s'agit pour Casanova d'une défense de l'athéisme. Aux

anti-14

podes des extrémistes Helvétius et d'Holbach' , par exemple, qui saisissent dans la superstition un

argu-(13) Icosameron, IV, pp. 324-325. L'article de de Jaucourt finit ainsi: "l'athéisme même (c'est tout dire) ne détruit point cependant les senti-ments naturels ..•. L'ignorance et la barbarie

introduisent la superstition, l'hypocrisie

l'entretient de vaines cérémonies, le faux zèle la répand, et l'intérêt la perpétue". Encyclo-pédie ou Dict. raisonné des Sc. des Arts et des Métiers. St-Amand, France, Collecte "J'ai lu",

1963, Article "Superstition", p. 534.

(14) Pour qui la religion est une erreur nocive et le déisme même, un système fondé sur une "chimère": "on le verra tôt ou tard dégénérer en une super-stition absurde et dangereuse". D'Holbach. Le Système de la Nature 2e partie, chap. XI, danS-R. Desné, Les mat6rialistes français de 1750 à 1860. Paris, Buchet/Chastel, 1965, p. 103.

(21)

ment pour prouver que la religion est une erreur et le mystère une fabulation, il ne montre aucune viru-lence et rien ne lui est plus étranger dans le domaine religieux que la sécheresse, la rigidité et la néga-tion. De son désaccord avec les articles de foi fon-damentaux du catholicisme il ne fera ni une Vertu ni des Vérités.

B) La religion traditionnelle

La religion traditionnelle, telle qu'elle est alors pratiquée, en Italie surtout, s'apparente à la dévotion superstitieuse,et Casanova, tout en restant conservateur sur un plan social, général, les attaque au niveau individuel, personnel, au nom de la vérité, du bonheur, et de la nature. Au XVIIIe siècle, selon R • .tenoble, l'idée de nature "éclate en morceaux.lS.", et R. Mauzi remarque la confusion et la diversité des sens donnés à ce terme. Dans les Mémoires le mot "na-ture" réfère, selon le cas, au monde physique ou à la nature humaine avant la censure des lois morales et

sociale~; quand il s'agit de la nature plus élevée de l'homme, concours de son instinct et de sa raison,

(15) R. Lenoble Histoire de l'idée de nature -Paiis, Albin Michel, 1969, p. 343.

(22)

( " ' ,

'-

)

l'auteur le précise. Dans le premier cas, le senti-ment de l'écrivain a pu donner l'impression d'être un vague panthéisme, par des références, rares cependant, à un Dieu-Nature. Ainsi, au sujet d'une mourante en léthargie: point de remèdes et point de prêtres, "il faut se remettre aux lois de la providence .... Il faut l'abandonner à la nature16". Lois physiques et lois biologiques constituent la vie octroyée par Dieu à la matière; l'action de la Nature ainsi créée est propre-ment la Providence et n'implique pas une intervention de Dieu après coup. Dans le deuxième cas, la distinc-tion que fait Casanova explique en partie sa résistance

à un certain optimisme du siècle, selon lequel nature "pure" et nature raisonnable n'entrent pas en contra-diction, l'homme heureux à la fois "selon'la Nature et selon la Vertu" voit dans la religion "une spon,\:anéité euphorique orientée par miracle vers l'idéal moral17."

Etre heureux d'après les Mémoires revient à obéir aux lois de la Nature en demandant à la raison et à l'imagination un contr6le et un raffinement. Par une séparation nette avec la morale religieuse,

(16) III, 6, X, p. 267.

(17) R. Mauzi rapporte ces appréciations de Lemattre de 'Claville dans son Traité du vrai mérite: la religion est "une sensualit6

i

faire le bien";

(23)

Casanova oppose au don de soi de la conception chré-tienne. une conception naturaliste du bonheur. recon-naissant avoir pris "le parti le plus beau. le plus noble. le seul nature 1. Celui de me mettre en état de ne plus manquer de mon nécessaire et ce nécessaire personne ne pouvait être meilleur juge que mOî 18 ." Il conseille au duc de Wallendstein de suivre les préceptes d'Epicure et luimême préfère encore Lucrèce -Les préoccupations sociales subsistent dans la règle qu'il veut suivre de ne pas empiéter sur ses devoirs. mais au thème à la mode: "Faire des heureux pour être heureux.". qui pour beaucoup n'est qu'un masque de re-ligion. il oppose un principe de stricte justice,

con-19 vaincu qu'il ne faut pas "nourrir les serpents .", et entend limiter les devoirs par la suppression des préjugés. c'est-à-dire "tout soi-disant devoir dont on ne trouve pas la raison en nature20." Il y inclut les servitudes de la religion. non issues des commande-ments universels de la conscience. mais de points de doctrine multipliés par les hommes. et rattachés à des

(i7) L'idée du bonheur dans la littérature et la pensée françaises au XVIIIe si~cle. 2e éd •• Paris. A. COllin, 1965. pp. 189-190.

(18) 1. 2. VII. p. 197.

(19) Hist. de ma vie - Préf. XIII. (20) II. 3. X, p. 194.

(24)

faits historiques, à l'endroit desquels il avoue être devenir très t6t "grand pyrrhonien." Alors qu'on essaie de concilier jouissance et vertu, Casanova, plus lucide que beaucoup de ses contemporains, remar-que remar-que le vice prend souvent l'apparence de la vertu, et constate.plus tard pour son propre compte: "J'en étais moi-même la dupe, et je ne me souciais pas de me désabuser. Je fus dans toute ma vie absorbé dans le

21

vice en même temps qu'idolâtre de la vertu . I t Il.me semble pas qu'on puisse voir là l'expression d'une in-conséquence, car toute la difficulté en morale tien~

drait dans la connaissance du bien et du mal. Contre les optimistes, il ne pense pas que l'intensité de la jouissance soit un critère moral, donnant comme justifi-cation que l'excès de plaisir, s'il nuit, ne nuit qu'à soi, et refuse cette idée que la'vertu procure imman-quablement le bonheur et qu'elle est facile. Le méri-te ré~ide dans un effort contre sa nature:

En nature simple et pure l'homme n'est pas porté à faire avec plaisir ce

qu'on lui a prescrit en qualité de de-voir •..

Je trouve dans le Saint-Evangile la doctrine de Jésus-Christ, et'je crois qu'on ne me cherchera pas chicane sur les mérites du créateur. Il dit net et clair: "Pater si fieri potest,

(25)

transeat a me calix ist." Ces paroles démontrent-elles qU'il

soit allé sur la croix avec plaisir? 22.

Pour appuyer sa théorie du bonheur il se ré-fère au texte biblique, jamais à la doctrine qu'en ont tirée les théologiens. Dans la Génèse, dit-il, Dieu après avoir béni l'homme lui a donné ordre de procréer, cet instinct n'est donc autre chose qu'un effet de la b ' 'd· ene 1ctlon lVlne . d · · 23 , e une t f emme trop sage d · evralt suivre "la loi à laquelle Dieu l'avait fait nartre su-jette24 " Les sophismes et les compromis commencent du moment qU'il tente de concilier les exigences de la Nature et celles de la religion. Il dira à propos de sa fuite: "la nature m'ordonnait de me sauver, la re-ligion ne me le défendait pas; je n'avais pas de

temps à perdre2S .", avouant plus loin qu'il se serait sauvé même au prix de la vie de tous les archers de la République. Sophismes et compromis, parce que Casano-va, convaincu de l'utilité de la religion et attaché à l'institution religieuse, tente par prudence et par désir d'être en accord avec une société qu'il accepte, de montrer une certaine orthodoxie.

(22) Mémoires Paris, Ed. de la Sirène, 1924, Var. de la pr~face, t. l, p. 271.

(23) Icosameron, l, p. 135.

(24) VI, Il, III., p. 79.

(26)

Sa conception de la nature diffère de la con-ception chrétienne par la priorité donnée à l'être tem-porel au nom duquel il dénonce l'ascétisme et souvent

la simple privation, comme des aberrations à l'encon-tre des décisions de Dieu; l'instinct de conservation est en morale une justification irréfutable. En méta-physique, d'accord avec les Grecs, il rejette l'inter-prétation des théologiens selon laquelle Dieu aurait tiré l'univers de rien26. De plus l'homme est

!!!!..!.

la nature et ne jouit pas par rapport au reste de la ~ . d' t . 1 . 27 Il d' 1 . creat10n un sort par 1CU 1 e r . ne 1t pas exp 1-citement que l'homme n'a pas de destinée autonome, mais il présente sa subordination aux lois naturelles

à la façon d'Epicure: "nous ne sommes que des atomes

28

pensants qui vont où le vent les pousse ." Son grand principe de soumission à la nature l'amène à voir

(26) Il tente de démontrer par la traduction des ter-mes hébra~ques que Dieu a donné vie à la matière qui lui est coéternelle. (Icosameron l, Introd.). Le point de vue grec amenait naturellement au janthéisme mais on verra Casanova insatisfait du Système .de Spinoza, le plus connu des interprê-tes de ce point de vue.

(27) Dans l'Icosameron (l, 3) Casanova déclare que sa doctrine est contenue dans le chap. 3 de l'Ecc1é-slaste, qui exprime l'idée d'une identité de sort entre l'homme et la bête. Eccl. 3, 19, 20.

(27)

dans l'''abstine'' et le "sustine,,29 les caractéristi-ques du bon philosophe~ A partir de la distinction: ce qui dépend de l'homme et ce qui ne dépend pas de l'homme, le sto~cien donne comme règle l'acceptation de l'inévitable et le refus d'anticiper sur lui, atti-tude qui permet, en évitant de subir la nature, de transcender le destin. Casanova, partisan de l'accep-tation, reste toutefois au niveau d'un sto~cisme très pragmatique et très partiel, retréci aux besoins de tranquilité, premier fondement des jouissances. La maxime "Sequere deum" revient au "naturam sequere" qu'il applique avec complaisance et justifie de deux façons: soit que la nature "plus forte à la longue que

. 30

les'préjugés l'emporte ", soit qu'elle se venge en transformant des saintes en folles et en faisant des "Messalines3l". Le désaccord noté entre la voix de la Nature et celle de la Religion indique une vision dé-sacralisée des choses que lé XVIIIe siècle "philoso-phique" achève de consommer. En accord, sur un plan théorique, avec la plupart des Commandements, il reste imperméable au caractère absolu de la Loi, ce qui lui

(29) Eplctète résumait sa sagesse dans ces mots "abstiens-toi et supporte". Pensées et Entre-tiens dans Les sto~ciens, T~xtes choisis par

J. Brun, Par.i~" PUF, 1968, pp. 114 à 147.

( 3 0) l, 2, V. ,p. 16 0 •

(28)

permet un compromis, qui dans son esprit se présente comme une conciliation à la mesure de l'être humain, consistant en la subordination de la Religion à la Nature.

On comprend que le désaccord entre Nature et Religion sur les moyens d'obtenir le bonheur ait pro-voqué les ~êactions les plus violentes chez ce liber-tin décidé qui a l'art de fonder sa critique sur des éléments concrets, fondamentaux, dont l'évidence lui parart.telle, que -'sophisme ou certitude? - il en fait une évidence aux yeux mêmes de Dieu. Ainsi, il reproche à la religion, telle qu'elle est pratiquée,

d~ prendre par trop soin de l'âme en oubliant que le bonheur de l'homme tient d'abord à sa santé et à son

équilibr~; il s'irrite de ce qu'elle entend soigner par

des pri~res ce que la médecine, ou les préceptes natu-rels, sont seuls à pouvoir guérir. Elle brime l'homme par ses interdits et d'ailleurs, aime bien souligner

l'écrivain, Dieu ne peut être heure?x de voir souffrir ses créatures. A la limite, la religion, en empêchant l'épanouissement de l'homme inscrit dans les lois de la Nature, va à l'encontre de la Providence, ce qui ressort par exemple du fait que ses observations l'a-m~nent à voir,dans les doctrines religieuses,la source de deux "poisons" qu'illustre le péché originel: la

(29)

-',

32

culpabilltS et le ,remords . Casanova n'utilis~ pas li Nature pou~ tenter ~ISbranler, ~inon ,de renverser, l'ordre Stabli, ce 'que feront les "phîlosophes'''. Il a horreur de la rebellio~; mais, parlant au nom du

bonheur personne 1, ses idSe s mO,nt rent une rSvol te con-sommSe au plan individuel, ou plus exactement une modi-fication progressive, une adaptation à la vie en fonc-tion de ce que l'observafonc-tion, le raisonnement, et les goats ont montrS de faiblesses, d'erreurs, ou de dif-ficultSs dans la religion traditionnelle. Si dans l'adolescence son sentiment religieux s'accordait avec la doctrine Stablie, il s'agit maintenant d'un accord de surface, pratique au niveau socia~; il va toujours aux belles messes, il maintient tant bien que mal les traditions, comme si l'examen de la religion tradition-nelle l'avait amenS à une forme encore plus superfi-cielle de la religion.

Il relève les torts des Eglises, soit, en premier lieu, leur ingSrence en physique, en

politi-que, en art. Il connart bien, par exemple, la

nou-(~2) Dans l'Icosameron, Edouard allège ainsi la vie de ses enfants: "Je ne leur ai jamais rien dit du pSchS originel, et par consSquent,je ne

leur ai jamais pa~IS de la rSdemption .... Je leur ai facilitS le chemin du salut en ne les instruisant' que ce que j'ai cru nScessaire"'. , Cette attitude est gSnSrale dans le siècle, sauf chez les chrStiens tenants de la stricte ortho-doxie. (icosameron III, p. 95). ,

(30)

C)

velle physiqu~; dans une conversation avec Voltaire il compare, au bénéfice de Fontenelle, les références au Système de Newton dans La pluralité des mondes et dans Il Newtonianismo per le dame du Comte Algarotti. Dans la même ligne de pensée que d'Alembert, il pense que la religion ne doit pas se mêler de physique, et qU'il n'est pas du ressort des Eglises d'en construire le système. Après une hésitation prudente dans

l'Icosameron: le système de physique de l~Ecriture peut "ne pas être de Dieu mais de l'écrivain33.", il opère une rupture nette dans les Mémoires: "Il commença par me faire rire, me disant à propos qu'un chrétien ne pouvait admettre le système de Copernic que comme une savante hypothèse. Je lui ai répondu que ce ne pou-vait être que le système de Dieu puisque c'était celui de la Nature, et que l'Ecriture Sainte n'était pas le

livre sur lequel les chrétiens pouvaient apprendre la physique34 " En politique, la religion, mauvaise con-seillère au niveau du roi, "~'6ppose directement au bien de l'état35,,: le souverain ne devrait entendre

(53) Icosameron Introd. l, 28.

(34) II, 3, III. p. 47 Diderot disait vers 1755: "La nature e'st le seul livre du philosophe, les Saintes Ecritures sont le seul livre du théolo-gien". (Article Mosa5!que de l'Encyclopédie

-p. 438).

(31)

de son confesseur que l'absolution. Et l'art pâtit de censures aberrantes lorsque les prêtres, êtres failli-bles qui ajoutent aux erreurs des sévérités empreintes de méchanceté, gâchent des tableaux de madones insuf-fisamment voilées. L'attaque de la Religion devient un réquisitoire contre les hommes composé d'idées cou-rantes au XVIIIe siècle: les théologiens manquent de bon sens, les fidèles réduisent la religion à des ges-tes et à des superstitions, les prêtres ne savent pas rester à leur place, et surtout, ils ne montrent pas cette bonté qui devrait être le signe de leur état. Par opposition aux "philosophes", qui demandent essen-tiellement de la raison et de la tolérance dans une perspective de justice sociale, Casanova a une concep-tion orthodoxe, pratique au niveau individuel, du corps ecclésiastique souhaitable, 'qui devrait compren-dre des prêtres "pour bénir, et non pour ~audire,

leçon superbe que notre très Saint-père néglige36 " Le mal n'est pas un principe comme Dieu l'est, mais "l'esprit de manichéisme (est) naturel à tous les mor-tels37", et les Saints-Pères "croyant de ne pouvoir pas nier la divinité des oracles (ont été) assez

mé-(36) II, 3, VII. p. 116. '(37) Icosameron II. 37.

(32)

chants pour les attribuer au diable38." Il refuse toute valeur à la bénédiction des hommes, à moins qu'ils ne la donnent avec la formule biblique qui "ne

39

promet aux bénis que des biens temporels " Et p~is-que, en définitive, il n'accepte d'intégrer à la vie que ce qui dans la religion peut aider l'homme, son sentiment religieux apparatt à ce niveau comme un hu-manisme. Il met par exemple en relief ce fait que

les hommes vont jusqu'à utiliser la religion pour s'isoler de leurs pareils, et refuse de voyager avec un juif parce que celui-ci est, par devoir de reli-gion, son ennemi: "-.Vous ne nous regardez pas comme vos frères .... Il fut alors surpris de m'entendre lui citer en langue hébra!que l'Ancien Testament où il leur était ordonné ... de faire tout le mal possible à tous les non-juifs qu'ils maudissaient toujours dans leurs prières40 "

Il accuse implicitement la doctrine instituée de transposer les valeurs par des étonnements ou des aveux d'incompréhension: en quoi le voeu de chasteté

(38)

(39)

l, 2, VI I. p. 195.

Casanova se réfère (Icos. l, 29) sans la citer à la formule que Mo!se~te au grand prêtre

Aaron. Celle-ci, Deutéronome 27, 28 et Nombres 6, 27 n'est pas limitée aux biens temporels.

(33)

peut-il plaire à Dieu? Que vient faire la circonci-sion précepte convenant "à la propreté humaine" dans les articles de religion? Avec son siècle, notre phi-losophe remarque la diversité des croyances entre les sectes et "la grande quantité de mensonges que l'on t rouve t an t c ez eux que c ez nous h h .41 " . Dans ses obser-vations, modérées en comparaison des critiques systé-matisées des "philosophes" qui, en plus de malmener protestants, boudhistes et musulmans, organisent l'at-taque du christianisme

"conç~

.. pour un homme mythique42",

il ne fait que relever des traits communs aux reli-gions, mettant paradoxalement en relief le dis_iarate des croyances qui se rejoignent seulement sur des er-reurs ou des vanités. Son, sentiment religieux recèle une exigence d'universalité, et le discrédit qU'il

jette sur ce que les hommes font de la Religion met souvent en lumière l'esprit de la Bible. Cela ne si-gnifie pas qu'il ait été conduit à l'examen de la reli-gion traditionnelle par la foi; il s'agit de la

réac-(41) V, 10, VI, p. 132.

(42) R. Mauzi. op. cit., p. 204. Diderot est l'un

des plus virulents: "un des plus mauvais effet des devoirs religieux est l'avilissement des devoirs naturels, c'est une échelle de devoirs chimériques élevée au-dessus des devoirs réels." Commentaire inédit de La Lettre sur l'Homme. Edit. May. dans R.Desn~, op. cit., p. 105.

(34)

tion d'un esprit curieux, point du tout décidé à tout repenser, mais enclin à une analyse intermittente, parce que la question lui était familière et restait

l'une des plus discutées dans son siècle. Dans ses critiques il ne reproche généralement pas l'absence de foi, mais l'absence de raison et de fraternité, autres exigences de son sentiment religieux qui, en-· core là, se trouve orienté uniqueme~t 'vers l'être tem-pore 1.

Il trouve inacceptable l'idée de tout expli-quer par la foi, mais, par ~illeurs, les Mémoires res-tent discrets sur le problème de la foi et de la rai-son qui reçoit dans lilcosameron une solution apparem-ment orthodoxe, par une référence à la "foi raisonna-ble43" de Saint-Paul, position intermédiaire entre le fideisme et le rationalisme absolu. Le compromis ré-side dans le fait que Casanova garde ces deux moyens de connaissance, mais en inversant l'ordre de priorité donné par la conception religieuse, montrant ainsi une conception philosophique, rationnelle, du problème. Dans le thomisme, il faut croire avant de pouvoir

rai-sonn~r:44",

alors qu'ici la seule philosophie permet à

(.43) Icosameron l, 1.

(.44) 8. Russel philosophe contemporain, prix Nobel

195"0, conclut ainsi son analyse du thomisme "11

(35)

la théologie de faire des découvertes que la religion

d ..- . ..- 45

peut a opter comme ver1tes . Les Mémoires ne sem-blent même plus accepter le compromis puisque, par des affirmations du type: "Le bon sens est étranger

.. 1 h"- 1 .!-1-6 " l ' ..- . . ~t d

a toute a t eo og1e J ecr1va1n ne para~ accor er

de crédit qu'à la philosophie. Il répartit alors les domaines: celui de la raison d'abord, dans tout ce qu'elle peut appréhender, au-delà, c'est le domaine de la fo.~ ; puis il restreint ce dernier

...

a "ce que dit

l'Eglise" et déduit: "tout ce que dit l'Ecriture Sainte regarde la f .47

"

Ce qui lui permet

ne pas 01

.

par

exem-pIe de réfuter Saint-Augustin sur le "rien" originel. Et s'il s'interdit, dans ses écrits, d'examiner la doc-trine limitée aux enseignements de l'Eglise, ce compor-tement n'est pas dicté par un sentiment de nature reli-gieuse. De l'acceptation de l'autorité à l'acceptation des dogmes, il semble qu'il s'agisse d'un parti-pris d'obéissance à l'institution. Ainsi, lorsqu'un point de doctrine le choque, il élude visiblement la ques-tion avec une formule du type: "l'Eglise dispense de

( .44) .•• sem b 1 e que 1 a foi soi tex i g é e a van t 1 a con

-naissance rationnelle car bien que les vérités de la raison soient autonomes c'est l'affaire de

la Révél~tion qU'eiles puissent être

recher-chées" (Aventure de la pensée occidentale - Paris, Hachette, 1961, p. 157").

(45) Icosameron l, 102.

( .46 ) VI, 12, ex t r. 1 V et V, p. 104.

(36)

f alre cet examen . ~8 " Le principe d'obéissance sup-p1éerait-i1 au manque de foi, qui n'est pas présentée comme essentielle, et qui parfois même est évoquée comme un pis-aller remediant à l'insuffisance de la raison: "Je rends à Dieu, mon tout-puissant auteur et mon seul principe l'hommage le plus pu~; et ne me sentant pas en danger de tomber, je ne lui demande pas d'empêcher ma chute en me soutenant avec les 1i-sières de la foi. Je n'en aurai besoin que lorsque ma raison n'aura plus de force49." ,Casanova par art se satisfaire d'un seul moyen de connaissance, parce que ses besoins religieux, restreints, se situent au ni-veau d'un Etre suprême indépendant des doctrines, et que cet être, "cause de toutes les causes", peut être admis rationnellement. Il n'y a pas dans son sentiment religieux l'aspect de la "vanité" humaine au sens de derision de l'être temporel raison comprise. Disciple de l'Ecclésiaste, il tire une seconde conséquence de

la vision du pelerin: le "tout est vanité" conduit ce dernier à l'idee qu'il ne reste à l'homme qu'à se re-jouir des biens temp~re1~; Casanova, en plus, valorise

(48)' Icosameron l, 36.

(37)

l'homme, seul €tre sur terre à posséder la raison, source de tant de biens. Méfiant envers la foi, per-suadé qu'elle peut exercer un "empire despotique", il relègue les ouvrages mystiques, tels que celui de Soeur Thérèse d'Agrada, parmi "ce qu'il faut pour faire devenir fou un hommeSO."

De vingt à vingt-six ans, le libertinage, l'aisance, le succès, semblent réduire le sentiment religieux à une notion intellectuelle de Dieu. Ainsi, sous les Plombs il monte une comédie à grands renforts d'eau bénite, de conjuration, d'apparitions de la Vierge, afin de réduire au silence son compagnon

Soradaci, espion et dévot. Il prie ensuite le lecteur de ne pas juger "sinistrement" de sa religion: c'était son seul moyen, et il refuse de feindre un repentir qu'il ne ressent pas. Ce n'est pas la seule fois où il s'inquiète de l'opinion des lecteurs sur son chris-tianisme. Par ailleurs, il passe rapidement sur les accusations d'€tre franc-maçon, de faire gras, et de mener·des enfants à l'athéisme: "Toutes ces

accusa-tions avaient quelque fondement qui les rendaient vrai-semblables, mais elles étaient ·toutes controuvées. Je n'étais pas assez soucieux de religion pour penser à

(38)

en bâtir une nouvelle5l ." Des rapports de l'espion Manuzzi contiennent des accusations plus sérieuses:

VI(II) déclare qU'il ne croit à rien de notre reli-gion .. :.(Il) considêre comme três faibles d'esprit ceux qui croient en Jésus-Christ .... Il démontre qU'il est nécessaire de coucher avec des femmes, car c'est de l'adultêre de David que naquit Salomon, de celui-ci les autres et, finalement Jésus-Christ52." Ces faits, da'ns leur objectivité relative, sont révéla-teurs, mais ils représentent en partie une attitude, une mode peut-être: Casanova aime en imposer. Mais

les Mémoires restent respectueux de la Religion éta-blie et, s'il sera permis de parler d'incrédulité ou de scepticisme au niveau du sentiment religieux,

l'idée d'une propagande destructrice ou d'un désir de transformer l'institution est à écarter. Le' comporte-ment rapporté dans les Mémoires illustre souvent cette dissociation du sentiment religieux et du sentiment de

la tradition. Casa~ova prend beaucoup de libertés, mais il avoue sa surprise de voir qu'à Rome on mange gras, et que l'on n'est point du tout gêné sur les ar-ticles de religion. Liberte, mais terreur des

(51) II, 4,' XIII. p. 251.

(52) Mémoires (Poche) Rapports secrets de G.B.

Manuzzi. Du

17

au 24 juil. 55. t. IV, pp. 395 à 396.

(39)

ordonnances papale~; une religion "à l'italienne", où l'on essaie de concilier les devoirs que l'on se doit avec ceux dûs aux Saints, à Dieu, et à l'autorité de l'Eglise surtou~; les arrangements avec le Tout-Puis-sant étant, tout compte fait, affaire de confiance en la divine compréhension. Il a vécu dans cette reli-gion traditionnelle, et c'est elle qu'il pratique en-core, plus ou moins, car elle est confortabl~; mais il voit les autres avec plus d'acuité qu'il ne s'examine~

parce que son sentiment religieux, déjà en partie dé-taché d'elle et essentiellement constitué de la

croyance en Dieu, lui donne la conviction de penser et de sentir en "philosophe". Et cette ·dissociation lui assure bonne c~nscience, car il sait de ne pas être aussi virulent que les grands esprits du siècle: il s'agit d'une modération voulue,·non issue seulement de son conformisme, mais de l'égo!sme, d'un~·besoin de stabilité ambiante, et peut-être d'un certain pessi-misme que suppose l'acceptation des choses sur le plan pratique: si le dévot ne contrecarre pas sa fuite, il lui donnera un livre de prières, et, si les paysans ont besoin d'animer les forces de la nature, il ne leur parlera pas d'erreurs préjudiciables au progrès de l'esprit humain.

(40)

CHAPITRE II

A LA RECHERCHE D'UNE VERITE: L'ADHESION A LA FRANC-MACONNERIE

A l'époque où· Casanova, comble par la Fortune et detache de la religion traditionnelle, accepte plus que jamais toutes les voies qui se presentent, les Me-moires mentionnent son adhésion à la franc-maçonnerie. Regroupement d'hommes de bonne volonte, encadrés p~r

des "philosophes" et des intellectuels, et en marche pour "la grande croisade la§!que des temps mOdernesl",

le mouvement a gagne l'Europe au début du XVIIIe siècle, et des loges se seraient constituees dès' 1738 à Venise. Certaines pages des Mémoires "figurent parmi les plus anciens documents que l'on possède sur l'histoire de la franc-maçonnerie à Venise2" En 1750, solidement ins-tallee sur le Continent, l'association fait cependant figure d'héresie en Espagne et en Italie, où les

francs-(1) B. Fay, La Franc-maçonnerie et la revolution in-teilectuelle du XVIIIe siêcle~ Paris, Edit. de Cluny, 1935, p. 93.

(41)

t t ... d'· 1 · · 3

maçons son suspec es 1rre 1910n . A propos de cet-te allusion dans le recit de la fuicet-te: "Plusieurs di-saient que je m}etais fait chef d'une nouvelle re1i-gion4", Charles Samaran note qU'il s'agirait d'une admission dans une loge de Venise, rapprochant de

l'accusation un rapport du 25 juillet 1755 de l'espion Manuzzi: "Casanova me fit voir une peau blanche qu'il avait dans ladite malle et qui avait la forme d'un petit tablier .... 11 me repondit qu'on utilise cette peau quand on va dans un certain lieu où l'on se munit d'outils et d'un habit noir ...• I1 me dit qu'on les garde à la logeS"'. Si Casanova a sfirement frequente des loges venitiennes, rien ne dit que l'affiliation

ait eu lieu avant son admission en 1750, qu'il ne

cache pas d'ai11eurs,dans une loge de Lyon: "'Un respec-table personnage que j'ai connu chez M. de Rochebaron me procura la g.râce d'être admis parmi ceux qui voient

la lumière. Je suis devenu franc-maçon. Deux mois après j'ai reçu à Paris le second grade, et quelques

(3) Du moment que 1~ Pape Clement XII jeta un inter-dit en 1738 et que la condamnation fut confirmee en 1751 par Ben~t XIV. En France Louis XV

n'obligea pas ses sujets à obeir aux ordres de Rome.

( 4 ) His t. de ma fu i te, p. 130.

(42)

(

mois après le troisième, qui est la maîtrise6."

En 1749, à Milan, il avait rencontré le dan-seur-acteur Antonio Balletti, qui avait da fréquenté . le cercle maçonnique, comme la plupart des acteurs.

Sa sympathie pour ce "jeune français" devient vite amitié et, dans la même année, de Mantoue, Balletti le rejoint sur la route de Lyon. Casanova ne nomme aucune loge, et les renseignements sur le nombre et le nom des loges de Lyon à l'époque restent

insuffi-sants pour qu'une hypothèse soit donnée7. Pas plus de certitude quant à la loge de Paris. Il mentionne

8

la Loge du duc de Clermont , or le comte de Clermont

(6) II, 3, VII, ,p. 115.

(7) Une note de l'édition Plon (II, 3, VII - n. 16 de p. 115) mentionne: "La Grande Lqge Ecossaise, Amitié, Amis choisis, noms relevés dans G. Bord La Franc-maçonnerie en France,' t. l, p. 43 t~';

tandis que l'étude du Dr. F.L. Mars et de Y. du Parc Casanova chez les Lyon~a{s (Cas. Gleanings Ed. R., Childs, 1963 V. VI, p. Il) précise:

"Le point a été fait par Mme Joly dans sa bio-graphie de J.B. Willermoz .... Selon une lettre qU'il écrira en 1805: "il n'y avait à cette épo-que dans la ville qu'une seule loge. Ni Casano-va ni Willermoz ne nous ont transmis le nom que portait cette ancienne 10ge .... Bord conscien-cieux fouilleur d'archives signale qu'en 1744 existaient au moins trois loges: l'Amitié, la Parfaite Amitié, les Amis choisis. Mais il ne donne pas les sources de ces renseignements." (8) II, 3, VII. n. 17 de p. 115. Cette note ajoute

"La loge où Cas. fut reçu était probablement la R.L. de St-Jean de Jérusalem", or d'aprèsP. Nau'do'n (La F.M. "Que sais-je" Paris P.U.F. 1967, p. 50). Cette loge a été créée en 1758.

(43)

était Grand Martre des loges régulières de Franc~; Paris en comptait déjà vingt-deux en 1742, et chacune avait un vénérable. Sa discrétion prête à certaines conjectures, car il a tu des faits et des noms par loyauté et par prudence. Des critiques ont vu sous ses déplacements une activité maçonnique secrète9 , et

si l~état actuel des recherches ne permet pas de

l'af-firmer, lthypothè~e semble déjà étayée par le fait qU'il resta en contact avec des francs-maçons de très haute noblesse jusqu'à la fin de sa vie, et qU'il bé-néficia de leur aide. De par son tempérament, ce rôle lui convenait; il en avait sfirement les aptitudes, puis-qu'il fut "agent secret" au compte du gouvernement

français, et "confidente" dans son âge mlIr pour les Inquisiteurs de Venise. En outre, des souverains francs-maçons ou sympathisants: Frédé~ic II, la Grande Catherine, l'ont reç~; et il a été établi que la franc-maçonnerie utilisait des agents de liaison et de

pro-d 10

pagan e .

(9) Sydney Bark, Twelve bad men, New York, Th. Y. Crowell, 1929, p. 248 et G. Bauer Mémoires lPle~ade) Préf. l, XIX.

(10) ,"Une certaine Grande Loge de St -Jean de Jérusa-lem a délivré à un Franc-maçon Stephane Morin une patente de "Grand Inspecteur dans toutes les parties du Nouveau Monde" pour introduire le nouveau Rite écossais". ,J.M. ,Rivière L'organi-sation secrète de la Franc-maçonnerie - Paris, Ed. Baudini~re, 1935, p. 29. Pierre Mariel date cette patente de 17.56. Les Francs-maçons en France, Paris, Bibl. Marabout, 1969, p. 270.

(44)

Il aurait demandé son admission dans une loge par curiosité et pour des motifs mondains: "Tout jeune homme qui voyage, qui veut connaître le Grand monde, qui ne veut pas se trouver inférieur à un autre et exclu de la compagnie de ses égaux dans le temps où nous sommes, doit se faire initier dans ce qu'on ap-pelle la maçonnerie, quand ce ne serait que pour sa-voir au moins

sup~rficiellement

ce que

c'estll~~

On peut voir là une propagande indirecte, visant à éveil-1er la curiosité tout en présentant la franc-maçonnerie, sous un aspect anodin. On peut s'en tenir à la lettre. Mais lorsque la critique réduit le mobile à une unique question d'intérêt, cette opinion semble très discuta-ble. Edouard Maymal cite cette phrase des Mémoires à propos du mystère maçonnique: "quelque persuadé que

l'on soit du reste que le voile ne cache qu'un zéro12", phrase non contenue dans l'édition original~; en outre, les Mémoires contredisent absolument cette idée que la franc-maçonnerie ait été pour Casanova une vanité et le secret une 'illusion. Le caractère aristocratique de la plupart des assemblées a dû lui plair~; il

(11) (12)

II, 3, VII, p. 115.

Citée par E. ~aynial, Casanova et son temps, Paris, Mercure de France, 1910, p. 197,

a

l'appui de ce jugement:"le mystère maçonnique ne fut pour lui qu'un moyen de parvenir"

(45)

)

précise d'ailleurs qu'il faut "bien choisir" sa loge. L'égalité de rigueur en loge, qui le tenait à ce niveau de gentilhomme auquel il prétendait, sinon par sa

naissance, du moins par sa valeur et par ses goûts, tendait à supprimer la vieille idée du mérite inné, mais elle ne s'établit qu'entre nobles, aristocrates de l'esprit et bourgeois ert fonds, l'association" veil-lant à une sélection qui maintenait le peuple à l'é-cart, à quelques exceptions prês13. Il'y

av~it

aussi l'attrait de la fraternité, d'un certain rêve d'une "société des nations", d'une atmosphêre d'entr'aide et de tollrance, tous points qui répondaient aux goûts d'un "citoyen du monde" émotif et éminemment sociable. Les réunions étaient plaisantes dans leur aboutissement. Chaque nouve~ apprenti offrait un ban-quet, au cours duquel on ne rejetait pas les

"inno-t 1 · · d l ' " .. 14" 1 . .

cen s p a1S1rs e a soc1ete ,car on vou a1t y V01r

(13) "La Franc-maçonnerie française, au moins jusqu'en

1788 demeure à peu prês fermée à ce que l'on appelle alors le Gros Tiers. Les cotisations fort élevées pour, l'époque contribuaient à main-tenir un ~ecrutement sélectionné. La F.M. était le lieu de réunion de la meilleure société 'ou-verte aux idées nouvelles .... II était de bon ton d'en être, et n'en était pas qui voulait."

G. Martin La F.M. française et la préparation de la Révolution, Paris, P.~.F,", 1926, p. 30.

(14) Discours de Ramsay, "pêre" de la F.M. écossaise;

dans J. Palou La Franc-maçonnerie. 'Paris, Pay6t,

(46)

"ces vertueux soupers d 'Horace .où l'on s l entretenait

de tout ce qui pouvait ,perfectionner l~ coeur et l'es-OtIS'"

pr1 .

Casanova fait allusion aux rites, mais reste muet sur les implications religieuses ~ventuelles de

son attachement à la franc-maçonnerie·, nous sugg~rant seulement qu'il y a trouv~ un climat correspondant à

ses id~es de l'~poque.

La franc-maçonnerie fut pr~sent~e au monde par le Livre des Constitutions du pasteur Anderson et

de Th~ophile Desaguliers, publi~ en 1723, comme une

confraternite unissant tous les hommes en d~pit des

diff~rences d'ordre politique, religieux, social,

ra-cial. Traduit en français par le frère de La Tierce en 1742, il devint le livre officiel en loge. D'après R. ,Le Forestier, le pasteur Anderson voyait en la re-ligion chr~tienne "la base et le soutien de l'ordre", et aux discours de r~ception on plaçait devant le Grand Maître une bible ouverte à l'Evangile de Saint-Jean. Cependant, relève le ,même historien, le Livre

d~s Constitutions restait discret sur le Christ et "avait remplac~ l'invocation à la Trinit~' ... par une d~clarationqui ouvrait la soci~t~ à tous ceux

(47)

quant "la religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord16", soit une religion "naturelle" très proche d'un pur déisme17. La synthèse des jugements de plu-sieurs historiens ou commentateurs du mouvement ma-çonnique permet de voir dans la fraternité au XVIIIe siècle un climat non opposé a la religion, mais déta-ché d'elle par ces aspects: rationalisme, désir d'uni-versalisme en dehors de la religion, déisme et loi morale18.

(i6) R. Le FOTestier, op. cit., p. 149. 'G. Gusdorf

pr6cise les tendances implicites dans ces trans-formations par ces remarques sur Th. Desagu-liers: "Chrétien si~cère, (il) était çle tendance déiste; il désapprouvait les constructions théo-logiques établies sur le fondement des Ecritu-res, en particulier le dogme de la Trinité et

l'accent mis sur la transcendance radicale du Christ en tant que seconde personne de la Trini-té" (op. cit.,p. 405).

(17) Il s'agit de l'article suivant cité par J. Palou (op. cit., p. 85): "Un maçon est obligé de par sa Tenure d'obéir a la loi Morale et s'il com-prend bien l'Art, il ne sera jamais un Athée

stupide ni un libertin irréligieux .... 11 est main-tenant plus expédient de (1') astreindre a cette religion sur laquelle tous les hommes sont d'ac-cord, laissant a chacun ses propres opinions, c'est-a-dire d'être Hommes de bien et Loyaux ou Hommes d'Honneur et de Probité, quelques soient les Dénominations ou Confessions qui aident à les distinguer."

(18) G. Gusdorf y voit l'image du mouvement "philoso-phique": "La Franc-Maçonnerie se développe dans l'espace mental du déisme philantropique dont elle se propose de réaliser le programme .... Cette conception de la religion naturelle (le soci-nianisme) fournira a la Maçonnerie son idéologie particulière ... exigence d'une socialisation de la morale, d'un passage de l'abstrait au concret'''. op. cit., pp. 402-406.

1

(48)

La loyaut~ de Casanova et son respect envers l'ordre suggèrent qu'il prit son admission au sérieux. Son indignation envers ceux qui divulguent les secrets et le rituel suppose qu'il accordait à ces derniers un crédit certain: "Botarelli publie dans une brochure toutes les pratiques des francs-maçon~j on se contente de dire que c'est un coquin .... Tout aujourd'hui est inconséquent, et il n'y a plus rien qui signifie quel-que chose. On aura raison, on ira en avan~j mais tout ira de mal en pire si on s'arrête à moitié chemin19."

La franc-maçonnerie a eu en effet à cette époque à supporter les indiscrétions d'anciens membres et les railleries du public20. Dans son avertissement, l'é-crivain fait allusion à un progrès possible qui, dans le mouvement maçonnique, sous-entend progrès moral et scientifique, indépendamment des doctrines religieuses. Or c'est la seule fois où, persuadé par ~illeurs de la stagnation e~ morale, il apparalt plus optimiste. On l'a vu sans trop de scrupules vis à vis des Mystères de

(19) II, 3, VII. pp. 116-117. Certains jugements apparaissent alors extrêmement sévères: "Tout ce qui paraIt sacré ou simplement important aux autres hommes ne vaut pas un écu à ses yeux" S. Zweig, Trois poètes et leur vie, Trad.

d'!lzir Hella, Paris, Ed. Stock, 1938, p. 117.'

(20) R. Le Forestier (op. cit., p. 184) rapporte que dei ~crits satiriques, des pantomimes, des pièces de théâtre ridiculisaient le rituel ma-çonnique. Il cite parmi ces ouvrages le livre de Botarelli L'ordre des Francs-maçons trahis.

(49)

la Religion, malgré une profession de foi catholique répétée qui est un serment. Il semble alors que son sentiment religieux ne soit satisfait, donc que sa foi, puis la loyauté qui en. découle, ne soient enga-gées de façon absolue que si les Mystères, sans être concevables par la raison, ne choquent point celle-c~;

par exemple: l'existence de Dieu. Or, dans l'initia-tion maçonnique, rien n'empêchait l'interprétal'initia-tion rationnelle du ·symbolisme: "Le sentiment religieux trouvait satisfaction dans le déploiement des rituels et liturgies soigneusement codifiés afin que les véri-tés intellect~el.les passent par le cheminement obligé de la sensibilité2l." Si la religion traditionnelle convenait au peuple, ici la conception de la religion se haussait au niveau des "philosophes".

Casanova, rapportant qu'Alcibiade "fut con-damné à mort et tout son bien confisqué pour avoir

osé mettre en ridicule chez lui les Grands Mystères22", semble regretter que la loi ne donne pas à la franc-maçonnerie l'importance accordée jadis. aux Mystères d'Eleusis, et que la maçonnerie même ne soit pas plus

(21) G. Gusdorf., op. cit., p. 407. (22) II, 3, VII, p. 116.

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