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Un modèle de solidarité du monde agricole d'après-guerre : le mouvement des CUMA (Coopératives d'Utilisation du Matériel Agricole)

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https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00008091

Preprint submitted on 22 Jan 2006

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Un modèle de solidarité du monde agricole

d’après-guerre : le mouvement des CUMA (Coopératives

d’Utilisation du Matériel Agricole)

Martine Cocaud

To cite this version:

Martine Cocaud. Un modèle de solidarité du monde agricole d’après-guerre : le mouvement des CUMA (Coopératives d’Utilisation du Matériel Agricole). 2006. �halshs-00008091�

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Un modèle de solidarité du monde agricole

d’après-guerre : le mouvement des CUMA

Martine COCAUD

Maître de conférences en histoire contemporaine, CERHIO-université Rennes 2

En 1984, le CEDAG (Centre d’Etude et de diffusion de l’Agriculture de Groupe) a déclaré que 95 % des agriculteurs des régions Bretagne-Pays de Loire avaient pratiqué une entraide régulière par le biais de CUMA (Coopératives d'Utilisation de Matériel Agricole) et de GAEC (Groupements Agricoles d'Exploitation en Commun), de mutuelles « coups durs », etc. Un regard attentif montre que le milieu agricole, souvent taxé d’individualisme, semble paradoxalement avoir beaucoup réfléchi aux configurations modernes de la solidarité et avoir été très loin dans la mise en application de leur démarche. Ces formes d’adaptation du monde rural aux contraintes d’après-guerre ont été déjà décrites 1 ; aussi nous nous proposons, dans cette communication, de tester la validité actuelle d’un modèle de solidarité mis en place dans les années 1945, celui des CUMA, en prenant comme terrain d’étude l’Ille-et-Vilaine.

La coopération : une solution indispensable pour l’après-guerre

En 1945, la CGA (Confédération Générale de l'Agriculture), cherchant une troisième voie entre capitalisme et communisme, met en place le réseau coopératif agricole. À la fin de la même année, sont créées l'Union Nationale des CUMA chargée d'assurer l'approvisionnement et la Fédération Nationale des CUMA chargée de la défense des intérêts juridiques et moraux des CUMA et de leur représentation. Les statuts des CUMA sont diffusés dans les campagnes par les Comités départementaux d'action agricole et par la Confédération Générale de l'Agriculture. Les CUMA se développent alors très rapidement dans le pays (8000 CUMA et coopératives de battage et services en 1949). Toutefois ce mouvement semble très fragile, sans doute parce qu’il a été bâti dans l’urgence volontariste de la reconstruction d’après-guerre, sans reposer sur l’engagement de la base agricole. Aussi un grand nombre de CUMA est-il dissout dès les années cinquante. De même, la CGA éclate et l'Union Nationale des Cuma est dissoute. Est-ce la fin d’un programme solidaire ?

À partir de 1954, les CUMA vont se réorganiser sur de nouvelles bases, avec l’aide des pouvoirs publics. Une organisation fédérale se met en place : La FNCUMA (Fédération Nationale des Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole) est la tête du groupe. Peu après, les FRCUMA (Fédérations Régionales des CUMA) sont créées et 84 fédérations départementales se partagent l’espace national en 1964. Ces dernières s’organisent, se structurent et embauchent progressivement des conseillers en machinisme, des animateurs, des comptables. À la fin de l’année 1965, 12 000 coopératives sont en place avec une augmentation particulièrement forte dans l’Ouest où, si en 1966, il ne reste plus que 79 CUMA de la première

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vague, 900 nouvelles ont été crées entre 1957 à 19662. Leurs 12 000 adhérents représentaient environ 7 à 8 % des agriculteurs bretons.

Une priorité des années 50 : « mécaniser »

Les achats réalisés par les CUMA d’Ille et Vilaine sont la preuve de cette priorité : 52 coopératives sur 56 ont acheté des tracteurs, 11 ont acheté des ramasseuses-presses, 2 des presses à cidre, 4 des pulvérisateurs ; une a acquis un pick-up, une autre une moissonneuse-batteuse, une une étuveuse, 12 ont acheté plusieurs matériels. Pour structurer tous ces projets qui répondaient, rappelons le, aux premiers besoins de l’agriculture bretonne entrant dans la compétition productiviste, le mouvement s’organise avec la création, en 1959, de la Coopérative Départementale d’Équipement Agricole. Les cibles d’action des CUMA s’étendent : assainissement le sol, aménagement des bâtiments, approvisionnements, aide aux nouvelles techniques. Ce dynamisme paye puisque les adhésions augmentent régulièrement.

Tableau 1- Nombre de CUMA en 1964 en Ille-et-Vilaine Date de

création

1946-48 1950-55 1956-60 1961-64 Inconnue

9 5 28 36 11

Le mouvement semble cependant très hétérogène à la fois par la taille des CUMA – qui regroupent de 5 à plus de 100 adhérents – et par le capital social dont dispose chaque groupe. On remarque alors que les CUMA les plus riches ne sont pas toujours celles qui ont le plus grand nombre d’adhérents. On peut en conclure que l’investissement des cumistes est extrêmement variable d’un lieu à l’autre, d’autant plus que les critères de différenciation ne manquent pas, entre autre du fait de la nature du matériel proposé : 1/3 des CUMA ne possèdent qu’un seul matériel, il s’agit le plus souvent d’une moissonneuse-batteuse ou d’une ensileuse. Les autres cumulent plusieurs machines.

Tableau 2- Classement des CUMA selon le nombre de leurs adhérents en 19643 <5 membres 5 à 10 10 à 20 20 à 50 Plus de 50 inconnu 7 17 25 17 7 7

2 AD-I-V, 128J 6. Liasse FD CUMA 35. 3

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L’essoufflement des années 70

Le nombre de CUMA se stabilise à la fin des années 70 4. Les années qui suivent vont être défavorables aux CUMA pour de multiples raisons, dont la plupart concernent tous les mouvements coopératifs5. L’augmentation de la production qui implique une relance de la mécanisation (besoin de gros tracteurs pour l’ensilage) devient l’objectif premier de tous les producteurs et certains craignent alors que les CUMA ne puissent pas faire face aux besoins. Nombre de cumistes suppriment leur adhésion pour se tourner d’autres solutions : la co-propriété, le recours à des entreprises de matériels agricoles, etc. Les CUMA se sentent fragilisées et craignent d’être placées dans un rôle « d’aide sociale » qui n’était pas le leur dans les décennies précédentes. Cette évolution est nationale et, en 1982, la FNCUMA (Fédération Nationale des Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole) exprime clairement le risque : « est-ce que la CUMA ne va pas réunir dans quelques années les laissés pour compte de la modernisation ? ». Le mouvement se sent d’autant plus menacé que les nouvelles contraintes administratives leur rendent la vie difficile. Toutefois, en Ille-et-Vilaine, le mouvement perdure mieux qu’ailleurs puisque l’on compte 209 CUMA en 1978, 237 en 2000 (6 000 cumistes). Cette résistance au temps, aux évolutions techniques et économiques est une originalité et de l’Ouest et c’est elle qui mérite que l’on s’interroge plus précisément sur la particularité des CUMA de Bretagne.

Une CUMA : pourquoi ? pour qui ?

L’examen de la carte d’implantation des CUMA en 1979 montre que les coopératives sont nombreuses à l’est et dans le centre-ouest du département, alors qu’elles sont rares voire inexistantes au nord, dans la région de Saint-Malo, ainsi que dans le sud-ouest, dans la région de Redon. On peut tenter de relier cette implantation sélective à ce que nous avons des associations rurales créées depuis la fin du XIXe siècle. Nous savons que ces organisations ont été particulièrement nombreuses en Ille-et-Vilaine, et qu’elles sont apparues précocement. Dès 1850, 43 cantons possèdent un comice qui est souvent un des principaux vecteurs de l’innovation agricole 6 ; un certain nombre des comices restent actifs au milieu du XIXe siècle, d’autres évoluent en coopératives ou en syndicats mais demeurent des lieux de rencontres professionnelles. Rappelons également l’énorme succès qu’a connu la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) en Bretagne.

Les CUMA sont-elles formées sur des réseaux préexistants ? Pas toujours, car vers 1950, l’élan a souvent été donné par une personne appartenant à une nouvelle institution, qui, fréquemment, se trouve exogène au milieu local. Ce pouvait

4 En 1965-66 : 250 CUMA recensées en 1965-66 (25 dans la région de Dol, 38 : Redon ;

Montfort : 26 ; Fougères : 35 ; Rennes : 62 ; Vitré : 64) ; mais seulement 165 adhèrent à la Fédération Départementale. En 1969 : 280. En 1973 : 272 CUMA (Saint-Malo : 26 ; Fougères : 39 ; Rennes : 68 ; Montfort : 39 ; Vitré : 64 ; Redon : 36). Le mouvement des CUMA emploie alors 84 salariés permanents + 65 saisonniers ; il réalise 35 % des grands travaux du département, et se dote, en 1972, d’un service technico-économique ; en 1978 : 209 CUMA. AD-I-V. 128 J6

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être un conseiller agricole (ex : Chevaigné, Saint-Brice) ou un enseignant de l’école d’agriculture de Rennes7. Dans ce cas, ces derniers convoquaient et animaient les premières réunions avant de passer le flambeau à des agriculteurs locaux. Mais l’initiative s’est également bâtie sur les solidarités horizontales et verticales déjà en place dans le milieu local : solidarité verticale lorsqu’un notable (le comte de Ternay 8), un curé (le recteur de Chevaigné) ont transformé une coopérative préexistante en lui donnant une nouvelle dimension : ce fut le cas de la coopérative des Rochers à Chevaigné qui une fois transformée en CUMA a associé 5 agriculteurs en 1957, puis 15 en 1957 et 30 en 19589.Toutefois, cette évolution n’est perceptible que dans quelques cantons et est loin d’être représentative du processus de création des CUMA dans le département. Les CUMA ne sont pas filles du mouvement coopératif ou syndical d’avant guerre, au contraire elles se bâtissent le plus souvent à partir d’autres forces qui se révèlent dans les années cinquante.

D’autres réseaux sont basés sur la solidarité horizontale. Ils prennent appui sur l’amitié de voisinage, sur l’entraide traditionnelle ou sur l’appartenance à un même réseau (JAC), ce qui laisse entendre une proximité d’esprit ou une proximité géographique. C’est ainsi que Pierre Bellé, jeune agriculteur de 30 ans, qui exploitait en fermage une terre de 10 hectares, qui avait fait un peu de vulgarisation agricole dans le cadre de la JAC, est soutenu par 3 ou 4 camarades « qui s’entraident » pour les gros travaux agricoles. Ensemble ils décident de créer une CUMA, et sollicitent par porte à porte une soixantaine d’adhérents domiciliés sur trois cantons 10. Ce type de démarche, bâtie sur la camaraderie est familière des jacistes des années soixante mais n’est pas toujours perçu comme un modèle puisque puisqu’en mars 1965 un compte-rendu d’une réunion des CUMA du pays de Redon rappelle que « lors de la constitution des CUMA, il est bon d’éviter de faire des clans, ce ne sont pas toujours les bons amis qui font les bonnes équipes de travail ». Le rapprochement de la carte d’implantation des CUMA avec celle de l’implantation de la JAC n’est pas sans intérêt : c’est dans l’est du département et autour de Rennes que la JAC et les Cuma sont les mieux implantés ; c’est dans le nord dans la région Dol et Saint-Malo que les deux organisations recrutent le moins. Les CUMA sont-elles les filles de la JAC ? Sans aller jusque là, cette analyse confirme ce que d’autres ont écrit : la JAC a en quelque sorte joué le rôle de « pépinière de cumistes »11.

Toutefois, d’autres critères, moins décisifs, interviennent. La distance est un paramètre qui compte puisque la majorité des CUMA regroupe des fermes de

7 Malassis Louis, La longue marche des paysans, Fayard, 2001, 400 p.

8 La CUMA des Rochers a comme président le comte du Ternay, Son origine est un

comice, transformé en une société coopérative qui, en 1946, s’étend sur les trois communes de Vitré, Étrelles et Argentré et regroupe les fermier(e)s et métayers du comte. En 1958, la coopérative devient une CUMA. Alors M. de Ternay n’a pas le maximum de parts sociales, mais il fait toutefois un versement financier complémentaire important. En 1964, la CUMA des Rochers compte 169 membres, le président en est toujours M. de Ternay. En 1968 elle compte 120 membres. Sur le même schéma on peut citer la coopérative L’Armoricaine de Trans fondée en 1860 qui devient une CUMA prenant comme Président le notable local Guy de Villermois. A-D I-V. 128 J 18.

9 Fonds Cuma- Archives départementales D’Ille-et-Vilaine,128 J18.

10 COCAUD Martine, « Un cadre associatif pour l’innovation technique dans les campagnes

au XXe siècle : l’acquisition de l’étuveuse à patates par la CUMA de Saint-Brice-en-Coglès »,

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2001, 4.

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proximité, toutefois l’argument n’est pas décisif car plusieurs coopératives ont des rayons d’actions qui s’étendent sur plusieurs communes, et elles peuvent par ailleurs être implantées sur plusieurs communes : par exemple, la CUMA de Mouazé, créée en 1957, concerne 14 communes. L’âge des adhérents doit aussi être pris en compte : ils ont le plus souvent entre 25 et 45 ans mais cette caractéristique, qui a sans doute pesé fortement lors de la création du mouvement quand les CUMA rassemblaient les agriculteurs les plus novateurs, est beaucoup moins vérifiée après 1970. Le critère économique (même superficie, même type d’agriculture) ne semble pas non plus décisif, comme nous le montrent quelques exemples de CUMA de l’est du département.

Tableau 3- Répartition des adhérents de six CUMA selon la superficie de leurs exploitations

Superficiee des fermes adhérentes < 5 ha 5 à 10 ha 10 à 15 ha >15 ha Saint Jean-sur-Couesnon 2 5 10 Bais 5 5 Saint-Brice 5 3 8 3 Chevaigné 9 9 10 4 Chavagne 5 Vignoc 29 11 18

Des stratégies d’unions entre petits et gros exploitants étaient donc possibles. En fait, c’est plutôt la période de création et le type d’association créée qui influent : une « CUMA spécialisée » qui prête une ou deux machines à l’utilisation ciblée réunit un grand nombre d’adhérents venus de plusieurs communes ; une « CUMA intégrale » qui a une offre polyvalente, emploie du personnel mais regroupe moins d’adhérents. Selon les régions, un modèle ou l’autre prend le dessus, seul l’est du département présente toutes les variantes. Ce constat qui donne la prépondérance aux critères économiques laisse dans l’ombre la notion de solidarité. Est-ce à dire que celle-ci est absente voire secondaire ?

Les CUMA : pour une agriculture solidaire ?

Les pères fondateurs

En 1957, la CUMA est un outil pour faciliter l’adaptation des exploitations à la « deuxième révolution agricole » afin, entre autre, de permettre la survie des petites unités. Dans ce cadre, le statut des CUMA implique une certaine solidarité : face au capital investi, face à l’outil partagé, face à l’expression de chacun qui ne repose pas sur des critères économiques (« un homme, une voix »). Cette volonté de défendre l’ensemble des campagnes n’est pas propre au mouvement des CUMA, il appartient à tout le mouvement coopératif rural et on en retrouve l’expression chez les dirigeants de l’Office central de Landerneau au début des années soixante. Toutefois, ce qui ressort nettement chez les cumistes c’est la force de l’engagement solidaire de chacun des membres fondateurs qui sont souvent d’anciens jacistes, des années cinquante-soixante. À Chevaigné par exemple, où un animateur du réseau rappelle : « nous y sommes arrivés grâce à la volonté de servir et l’esprit

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exploitations » ; la CUMA de St-Brice en Coglès « était une question d’esprit », « il fallait s’unir »12.

Les cumistes ont prôné l’union à la fois pour des raisons matérielles (les tracteurs), mais aussi pour défendre un choix de société rurale (maintenir les exploitations familiales, mettre fin à l’exode rural) et ils se sont engagés sans réserves en prenant des risques : prenons l’exemple de la CUMA d’Eancé qui a été crée en 1963 après dix-neuf réunions. Il s’en est suivi la vente des chevaux, des attelages, des tracteurs de chacun des adhérents qui se sont regroupés dans une CUMA intégrale offrant un matériel collectif. Le travail était alors fait par des chauffeurs et les adhérents organisés en groupe de travail.

Les noms donnés aux CUMA demeurent encore une trace des espérances de ces pionniers : en 1978, 17 CUMA s’appellent « l’Union » ; 14 « l’Entraide » ; 4 « l’Espérance » ; 10 « le Progrès ou l’Avenir », et 6 « l’Entente ou l’amicale ». Très peu de noms font mention d’une spécificité technique si ce ne sont les CUMA de congélation tel « Le froid Bouexiérais », qui sont nées un peu plus tard.

Cette solidarité de la base qui s’est exprimée fortement dans les années cinquante et soixante n’a pas été sans mal et sans apprentissage. Des débats animés se sont ouverts lorsqu’aux débuts des années soixante-dix, un agriculteur prend à partie la fédération départementale et ose remettre en cause le principe « un homme, une voix » en lançant : « il ne paraît pas très normal qu’un adhérent disposant de 350 parts sociales ne dispose que d’une voix lors de l’AG ». Le principe de solidarité qui seul permet d’associer les fonctions économiques et les fonctions sociales (aider l’ensemble des campagnes) est rapidement controversé. Mais ces critiques n’ébrèchent pas les valeurs de solidarité des pères fondateurs qui sont toujours défendues par les organes officiels, entre autre par l’intermédiaire des réunions de la fédération départementale ou régionale, mais aussi par le journal « Entraid’ouest » qui naît en 1972.

Par contre, les valeurs solidaires affirmées par les CUMA vont être soumises au doute dès le milieu des années 60 par les partenaires de l’agriculture de groupe. En effet, l'objectif des CUMA qui est avant tout d'améliorer la productivité des exploitations par la réduction des coûts rend le mouvement suspect :

« Dans les CUMA, ce sont des associés qui dirigent collégialement l’entreprise en employant des salariés, ils se situent dans l’orientation patronale classique, alors que dans les GAEC ce sont des travailleurs associés qui assurent collégialement le fonctionnement de leur entreprise » 13.

Mais alors qu’à partir de 1972, le CEDAG dénonce une agriculture de plus en plus soumise au capitalisme et reconnaît que les CUMA sont un espace prometteur de promotion d’un autre mode de développement et qu’il les encourage à ne pas se limiter au machinisme pour devenir des groupes associant des exploitations désireuses d’assurer leur propre développement, la remise en cause du mouvement se construit en interne et se développe de 1974 à 1985. François Louapre a posé le problème en ce sens :

12 Entretien mené en 1999 avec Paul Havard, responsable départemental CUMA.. 13 Entraid’Ouest, Janvier 1972.

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« Il y a toujours un débat : La CUMA est-elle une simple et efficace structure technique du machinisme, ou bien une organisation avec un projet collectif qui ne concerne pas seulement la machine, mais le travail ?» 14.

Ce débat n’a cependant pas paralysé le mouvement puisque, dans les années soixante-dix, les CUMA augmentent leur champ d’action en investissant par exemple le secteur hydraulique avec l’achat de draineuse, tout en appelant, comme Pierre Restif, à la solidarité en tant que défense contre le libéralisme :

« Les CUMA doivent résolument tourner le dos à la conception étriquée de vendeur de services et s’attacher au développement des CUMA sur une base de solidarité » 15.

Le rapport d’orientation de l’assemblée de la FDCUMA de 1975 est sans concession : « Nous n’acceptons pas cette forme de développement de l‘agriculture libérale, basée sur la simple productivité qui repose sur la subordination des hommes au capital dont le seul critère de réussite est la concurrence ». Il rappelle que « la CUMA, structure de base, a un rôle important à jouer dans la réalisation et la construction qui doit permettre à l’homme de se réaliser, de progresser par la participation aux actions qu’il engage et qui lui permette d’assurer ses responsabilités 16 ».Plus tard, au début des années quatre-vingt, face aux crises qu’induisent les quotas laitiers, la solidarité est encore présentée comme le remède :

« Pour les agriculteurs qui continuent de produire, il faut s’organiser pour respecter le quota17 ».

Et lorsque, au milieu des années quatre-vingt, les CUMA doivent s’intégrer encore plus dans les réseaux économiques en tentant de se faire reconnaître par les organismes de crédit et les structures politiques, la démarche s’accompagne encore d’un rappel des valeur de solidarité :

« Plus que jamais, l’agriculture de groupe associative et coopérative s’impose. Il s’agit non d’une étape provisoire dans la croissance individuelle mais bien d’une méthode permanente d’organisation et de gestion d’un développement solidaire » 18. De 1950 à 1980, le mouvement des CUMA refuse toujours de se cantonner à la diffusion du progrès technique et il sollicite ses membres pour participer à un autre mode de développement. Les objectifs ont changé : ceux des années cinquante concernaient la modernisation de l’agriculture afin de baisser les coûts et d’améliorer la productivité mais aussi de permettre l’existence des petites exploitations. En 1980, les CUMA développent leurs activités le plus souvent dans une optique de développement durable et prônent le maintien d’un équilibre entre le développement des hommes, des productions et des territoires.

L’opinion de la base

Toutefois, le discours solidaire semble avoir de moins en moins d’écho dans les groupes de base puisque le nombre de CUMA baisse et le nombre d’animateurs

14 LEFEVRE Denis, À l’ombre des machines, éditions entraid’, 1996, p 64. 15 RESTIF Pierre, Entraid’Ouest, Janvier 1975, p. 3.

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également. L’adhésion à une CUMA semble répondre à une stratégie économique individuelle, aussi des indices de rupture entre la base et la fédération départementale se remarquent : le débat concernant les valeurs des CUMA lancé par Entraid’Ouest ne donne pas lieu à des prises de parole des CUMA locales, seule la FDCUMA s’exprime (alors que lors du débat portant sur l’adhésion des collectivités locales aux CUMA, les groupes de base participent largement). Le journal Entraid’Ouest, qui transmet les valeurs des CUMA finit par être en décalage et en prend conscience en écrivant en 1989 « Il apparaît nettement qu’une part du lectorat n’est que modérément sensible à ces valeurs de solidarité et d’entraide » 19. Par conséquent, la revue augmente le nombre de pages sur le machinisme ! Les « pères fondateurs » témoignent de ce désengagement : « Adhérer à la CUMA, à l’époque c’était une sacrée démarche ! aujourd’hui c’est différent, on y va comme dans un rayon de supermarché » 20. Autre signe d’un changement de mentalité : la difficulté à organiser une fois par an un repas commun ? Peut-être, mais ce manque d’enthousiasme des adhérents n’est-il pas plutôt un signe des changements de formes et de lieux d’expression de la sociabilité en milieu rural ? Cette dernière s’exprimait autrefois dans la CUMA, elle se présente aujourd’hui sous d’autres formes, beaucoup plus proches du modèle urbain (clubs sportifs, chorales, etc.)

*

N’y a t-il plus de solidarité en milieu rural ? Là, n’est pas la question. Actuellement, l’appartenance à une CUMA est un bien un choix économique individuel, ce qui n’exclut pas d’ailleurs une certaine solidarité, le rôle d’entraide joué par les CUMA lors la tempête de 1987 l’a montré. De plus, d’autres formes de militantisme, situées en dehors du corporatisme, sont apparues dans les campagnes, les actions concernant le développement durable en sont peut-être la meilleure preuve. Toutefois le mouvement des CUMA, né dans une période productiviste, a toujours semblé ambigu aux observateurs qui deviennent parfois détracteurs : l’évolution des CUMA pose question à l’économie solidaire car

« à son corps défendant, en pleine contradiction avec les projets de société de ses fondateurs et militants, l’agriculture de groupe associative et coopérative de voisinage se révèle un bon accélérateur des gains de productivité : éléments de résistance aux crises de domination des projets techniques et économiques, l’association comme toute l’économie sociale est complexe, voire actrice de l’économie marchande » 21. Les rapports qu’entretiennent les CUMA avec les partis politiques n’ont pas été abordés dans cette communication. Le mouvement cumiste voit dans le libéralisme et le capitalisme deux ennemis des campagnes, or nous savons que ce rejet était partagé par quasiment tous les groupes coopératifs agricoles 22 qu’ils aient épousé les conceptions modernes ou traditionnelles de l’économie rurale. Mais conséquence moins évidente, ce point de vue a orienté le mouvement cumiste à gauche, et il a toujours été perçu comme tel par les autres organisations, entre autre par la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles). Toutefois le mouvement n’a jamais lancé d’appel au vote d’une part parce qu’il se veut pluraliste

19 Rapport de l’Assemblée générale d’Entraid’Ouest, 1995 20 AVENARD Bernard, Entraid -Ouest, sept 1999., p. 18-19.

21 SOUCHARD N., « Le territoire agricole breton en panne de représentations », Cahier du

RIR, n° 1, janvier 1996.

22 BERGER Suzanne, Les Paysans contre la politique, L’univers historique, Seuil, 1975, p. 271.

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et d’autre part pour ne pas aggraver des relations difficiles avec d’autres organismes agricoles, la FNSEA essentiellement23. Mais si le rapport de l’institution au politique peut sembler hésitant, le rapport des cumistes au politique, dans le sens classique du terme, l’est peut-être moins. C’est que tend à montrer une ethnologue qui écrit « Par contre, le pouvoir politique (mairie) appartient « aux moyens » qui participent pleinement aux rapports d'entraide dans la commune, mais délaissent les responsabilités professionnelles ou syndicales à l'extérieur de la commune. Les gros soutenant politiquement parfois les moyens, plus rouges qu'eux » 24. Les nouvelles relations d'entraide auraient accéléré l'intégration des agriculteurs dans la société en permettant à ceux qui, jusqu’à l’après-guerre, pour des raisons économiques avaient été tenus à l’écart, d’investir un pan des activités rurales. À partir de ce moment, les agriculteurs accaparent l’ensemble de la vie du village. En cela, les CUMA ont peut-être été pendant les années soixante et soixante-dix, un mode d’accès au politique, entendu au sens large. Mais cet accaparement s’est fait sous des formes plurielles, de façon sélective et à des niveaux différents, permettant du même coup la reproduction d’une hiérarchie propre au groupe paysan dont la cohésion a été peut-être renforcée.

23 Denis Lefevre, op. cit. p. 156-158. 24

Figure

Tableau 1- Nombre de CUMA en 1964 en Ille-et-Vilaine  Date de
Tableau 3- Répartition des adhérents de six CUMA selon la superficie de leurs  exploitations

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