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Des modèles ethnographiques aux questions archéologiques

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Les rotations culturales et l’appropriation du sol dans l’Europe médiévale et moderne Roland Viader et Christine Rendu (dir.)

DOI : 10.4000/books.pumi.9694 Éditeur : Presses universitaires du Midi Année d'édition : 2014

Date de mise en ligne : 27 février 2020 Collection : Flaran ISBN électronique : 9782810709069 http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782810703401 Nombre de pages : 284 Référence électronique

VIADER, Roland (dir.) ; RENDU, Christine (dir.). Cultures temporaires et féodalité : Les rotations culturales

et l’appropriation du sol dans l’Europe médiévale et moderne. Nouvelle édition [en ligne]. Toulouse :

Presses universitaires du Midi, 2014 (généré le 02 mars 2020). Disponible sur Internet : <http:// books.openedition.org/pumi/9694>. ISBN : 9782810709069. DOI : 10.4000/books.pumi.9694.

© Presses universitaires du Midi, 2014 Conditions d’utilisation :

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Cultures temporaires

et féodalité

PRESSES UNIVERSITAIRES DU MIRAIL

Ouvrage publié avec le soutien du programme HAR2010-20763, Ministerio de Economía y Competitividad (Espagne)

Roland Viader, Christine Rendu (dir.)

Les rotations culturales et l’appropriation du sol

dans l’Europe médiévale et moderne

Actes des XXXIVesJournées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran, 12 et 13 octobre 2012

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a3274

Auguste Bonheur Collection privée

Photographie fournie à titre gracieux par : Rehs Galleries, Inc., New York City

Mise en pages : Micro-édition 31, Hélène Mas 5 impasse G. Apollinaire, 31240 Saint-Jean

ISSN : 0290-2915

ISBN : 978-2-8107-0340-1

© Presses Universitaires du Mirail, 2014 Université Toulouse - Jean-Jaurès 5, allées Antonio Machado 31058 Toulouse cedex 9

Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contre-façon (art. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle). Les copies ou reproduc-tions destinées à une utilisation collective sont interdites.

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auX questions arChéologiques

Christine Rendu

«

Aujourd’hui encore, le village s’éveille à la musique du “circuit des gongs plats”. […] Vers neuf heures et demie, tous les chefs de foyers se réunis-sent chez Bbanng-le-Cerf, homme sacré de Phii Ko’, qui a sorti une yang dâm de bière et l’a placée au milieu de sa salle des hôtes : c’est chez lui que doit se dérouler la première phase du Rwaang Brii “l’Inspection de la Forêt”, car, on doit manger cette année la forêt du Phii Ko’. […] Baap Can tire de la toiture deux tiges d’herbe à paillote, les casse en bâtonnets d’égale longueur et les dispose parallèlement sur le sol pour représenter la configuration générale des lots. […] Il place trois lignes de bâtonnets parallèles décrivant ainsi la disposi-tion des lopins de terre affectés à chaque chef de foyer lors du partage opéré deux ans auparavant quand Sar Luk [le village] avait déjà décidé de “manger” cette portion de la forêt de Phii Ko’ ; projet qui fut abandonné un mois à peine après le rwaang brii. La ligne la plus proche du vieillard ne sert, en fait, qu’à indiquer pour mémoire la zone marécageuse dont personne n’avait voulu ; Baap Can y puisera les bâtonnets qui lui manquent pour prolonger la ligne la plus importante, celle des champs découpés au flanc de la colline, la ligne intermédiaire désignant ceux du pied de cette hauteur en bordure de la zone fangeuse. […] Après avoir repris plusieurs fois sur ce plan improvisé la dispo-sition de chaque lopin de terre, en discutant avec les divers intéressés, Baap Can donne le signal du départ. Il est dix heures et demie environ. Chacun emporte son coupe-coupe et une petite hotte contenant une igname (buum lô’), des herbes rituelles, une petite houe 1. »

Christine Rendu est chargée de recherches au cnrs, um5136 framespa.

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Pour qui se met en quête de ce que l’archéologie perçoit ou pour-rait percevoir des cultures temporaires, ce récit, précis et poétique, des opérations qui préludent à l’ouverture de l’essart annuel d’un village des hauts plateaux du Vietnam central dans les années 1940, résonne comme un rêve et une réminiscence. Le rêve tient à la description précise des objets et des gestes, des lieux et de leur disposition, des espaces et de leur vocabulaire, de l’action et de son intentionnalité, toutes choses qui ressortissent pour l’essentiel à l’invisible de l’archéologie, pour reprendre l’expression d’Alain Testart 2, mais bien souvent aussi à l’invisible de

l’ethnographie européenne. La réminiscence tient au caractère presque mythique de la scène, qui paraît rejouer une origine de l’agriculture en même temps qu’elle renvoie, dans un raisonnement circulaire auquel des données nouvelles permettent aujourd’hui d’échapper, aux modèles auxquels l’archéologie a longtemps puisé ses inférences 3.

Dépouillé de ces projections, ce récit, pourtant, esquisse aussi des pistes de recherche. Même dans des contextes de faible pression démo-graphique, dit-il en substance, l’espace des cultures temporaires est un espace socialement organisé. La brièveté de la mise en culture et le dépla-cement annuel de l’essart villageois n’empêchent ici ni l’existence d’un projet concerté de découpage de l’espace, d’une planification du partage des terres, ni une mémoire des lieux suffisamment précise pour que l’on s’accorde sur l’attribution des lots au plus loin du terrain, au cœur du village, à l’intérieur d’une maison. Shifting cultivation, cultures itinérantes, ambulantes ou encore nomades, Jacques Barrau avait souligné, en 1972, le décalage entre ces appellations et les systèmes culturaux et les modes de vie qu’elles étaient censées désigner 4 : le « vagabondage cultural » dont

elles suggèrent immédiatement l’image, en même temps que celle d’un « gaspillage de sol et de végétation », s’accommode mal de la résidence fixe et, peut-on ajouter, de la mémoire et de la connaissance des lieux qui caractérisent ces cycles de culture à longue révolution.

Revenant au terrain européen et dans la perspective d’une appro-che archéologique, c’est aux corrélats matériels de cette mémoire des

2. A. Testart, Avant l’histoire. L’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac, Paris, 2012, p. 157-163.

3. L’archéologie discute aujourd’hui le caractère originel de l’agriculture sur brûlis dans les régions et les périodes dont elle était le plus emblématique – le Néolithique ancien d’Europe centrale, les systèmes agraires précolombiens d’Amazonie. Voir notamment A. Bogaard, « Questioning the relevance of shifting cultivation to Neolithic farming in the loess belt of Europe : Evidence from the Hambach Forest experiment », Vegetation

History and Archaeobotany 11, n° 1-2 p. 155-168 ; S. Rostain, « Le littoral des guyanes,

héritage de l’agriculture précolombienne », Études rurales, 2008, 1, p. 9-38.

4. J. Barrau, « Culture itinérante, culture sur brûlis, culture nomade, écobuage ou essar-tage ? Un problème de terminologie agraire », Études rurales, n° 45, p. 99-103, p. 100.

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lieux que je souhaiterais m’attacher : aux signes et traces susceptibles de traduire, mais aussi de transmettre, une organisation sociale, une organi-sation spatiale, des pratiques d’aménagement. Que cette mémoire existe ne fait guère de doute ; l’emploi, en Corse, de l’expression terre vechje pour désigner les terres soumises à culture temporaire pendant leur période de friche suffirait à l’attester 5. L’archéologie ayant souvent inféré les cultures

temporaires à partir d’observations indirectes et de la fouille des centres de peuplement, rechercher dans l’ethnographie ce qui, archéologique-ment, pourrait fonder cette mémoire des lieux vise simplement à mettre à distances certains a priori, et à permettre de s’interroger sur ce que la discipline archéologique serait susceptible de percevoir directement de ces pratiques : non plus par déduction à partir des systèmes englobants, mais bien à partir de leurs traces et de leurs lieux propres.

La principale difficulté réside dans la constitution d’un corpus ethno-graphique. Au regard de quelques sondages effectués dans la bibliogra-phie, les témoignages directs sont rares, et la sensibilité des descriptions dont on dispose aux phénomènes spatiaux paraît, sauf exceptions, assez faible. C’est aux grandes thèses de géographie rurale de la première moitié du xxe siècle, dont Jean-Paul Métailié a souligné la valeur

ethnographi-que 6, que j’avais initialement pensé puiser. Malgré leur richesse, elles

présentent néanmoins certains écueils, dont l’un des principaux réside dans la très forte reconstruction des systèmes agraires à laquelle se sont livrés leurs auteurs : il n’est pas toujours aisé de faire la part des différen-tes sources qui étayent leurs restitutions. Maurice Le Lannou exposant, pour la Sardaigne, le partage à la corde de la terra de fune (terre commune faisant l’objet de redistributions périodiques lors des mises en cultures), se fonde-t-il exclusivement sur les deux références citées en note (des textes des xe-xie siècles), ou aussi sur les observations de Gemelli, ardent

partisan, au xviiie siècle, d’une réformation de l’agriculture de l’île par

l’enclosure, ou encore, et sans exclusive, sur certains témoignages qu’il aurait lui-même recueillis 7 ?

C’est donc en me fondant surtout sur certains travaux ethnohis-toriques ou ethnogéographiques plus précis, ceux de Georges Ravis-Giordani sur la Corse et d’Abel Bouhier sur la Galice, que je tenterai de progresser. Où ces emblavures se tiennent-elles ? Quelles sont les règles qui, à l’échelle des terroirs ou à l’intérieur des défrichements, président

5. G. Ravis-Giordani, Bergers corses. Les communautés villageoises du Niolu, Aix-en Provence, 1983, p. 62.

6. J.-P.Métailié, « Du village au territoire : l’habitat pyrénéen au regard des géogra-phes », M. Berthe et B. Cursente (éd.), Villages pyrénéens. Morphogenèse d’un habitat de

Montagne, Toulouse, 2001, p. 15-26.

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à la prise de terre, à son attribution, à son allotissement ? Existe-t-il des gestes concrets de prise de possession, de mesure, de délimitation, de clôture, ou au contraire d’effacement des signes d’appropriation ? L’exemple corse permettra d’aborder, en premier lieu, la distribution des cultures temporaires dans l’espace à l’échelle des terroirs. Les données sont datées, elles reflètent une situation moderne et contemporaine qui conduit à distinguer, mais sans véritable césure, l’organisation des terroirs « pleins », soumis à des assolements réguliers, et celle des cultures temporaires prises sur « l’inculte ». C’est essentiellement à partir de ce deuxième cas de figure, et donc d’exemples relatifs aux montes, aux esti-ves ou aux alpages, que j’évoquerai ensuite quelques-uns des dispositifs d’allotissement et d’appropriation et les formes et les modelés qu’ils ont pu générer, à l’échelle parcellaire. Il faut bien comprendre néanmoins que l’intérêt de ces exemples réside dans ce qu’ils peuvent dire de logi-ques plus largement répandues, la montagne tenant simplement lieu, ici, de poste d’observation privilégié (en raison d’un maintien des formes d’exploitation extensive, et de certaines similitudes, dans le partage des ressources collectives, avec l’organisation du parcours pastoral). Je présenterai enfin deux exemples, issus du terrain pyrénéen, de traces ou de contextes archéologiques à propos desquels s’est posée la question de l’éventualité de cultures temporaires, ou de redistributions périodiques de terre commune.

L’organisationspatiaLedescuLturestemporaires :

exempLescorsesetpyrénéens

Selon la définition que l’on en retient, les cultures temporaires peuvent englober un ensemble plus ou moins large de systèmes. En suivant Harold Conklin 8, on y inclura par exemple les systèmes que

François Sigaut a rangés sous l’appellation « systèmes de culture perma-nente avec herbage », dans lesquels l’herbage, objet principal ou secon-daire de la culture, alterne selon des cycles divers avec les grains 9. De

façon générale mais plus encore dans ce dernier cas, il est important de préciser, à la suite aussi de François Sigaut 10, que les cultures temporaires

ne sont pas cantonnées aux seules terres collectives. Les teppe que recense Dominique Baud à partir du cadastre sarde en Savoie, qui sont des terres

8. « Any continuing agricultural system in which impermanent clearings are cropped for shorter periods in years than they are fallowed » (H.C. Conklin, « The Study of Shifting Cultivation », Current Anthropology, vol. 2, 1961, p. 27-61 ; ici p. 27).

9. F. Sigaut, L’agriculture et le feu. Rôle et place du feu dans les techniques de préparation du

champ de l’ancienne agriculture européenne, Paris, 1975, p. 126-131.

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de culture temporaire, concernent ainsi indifféremment des parcelles privées ou communales 11. Il en va de même à l’intérieur des prese corses

ou des vidazzone sardes.

Cultures temporaires dans les assolements réglés : le système de la presa en Corse

C’est donc à partir des travaux de Georges Ravis-Giordani et d’An-toine Casanova 12, que l’on donnera brièvement une image de ces prese

qui paraissent représentatives d’un mode d’organisation des terroirs plus largement répandu en domaine méditerranéen. Outre la vidazzone sarde, à laquelle Georges Ravis-Giordani le compare, il fait aussi écho au système que sous-tend en Latium le ius serendi, tel que le décrit dans ce volume Sandro Carrocci. La presa prend place dans un espace divisé juri-diquement en trois modes d’appropriation, selon une gradation continue et mouvante selon les saisons et les cycles de l’exploitation, de l’enclos à l’ouvert et, schématiquement, du centre à la périphérie. Le circulu, au plus près des maisons, comprend les terres durablement encloses et appropriées (lochi mansi) – jardins, vignes, et vergers – soumises à de fortes restrictions du pacage ; à l’autre extrémité, le domaine du furestu, ou rughione, désigne l’espace totalement ouvert qui inclut de la sylve au maquis et aux landes et jusqu’aux champs en friche ; considéré sous l’an-gle pastoral, il constitue, avec ses différentes composantes, le territoire de parcours, u pasculu. Entre les deux, la presa, ou les prese, qui retournent au

furestu dès l’arrêt des emblavements, correspondent aux champs semés,

sur terre communale ou privée, au sein de soles régies par un strict assole-ment collectif. « Zone[s] collectiveassole-ment définie[s], “prise[s] sur le territoire pour être mise[s] en culture suivant un cycle localement possible” 13 », les

prese, par le jeu de successions d’emblavures et de remblavures variées 14,

composent un espace cultural aux cycles très divers. À côté de très rares

11. D. Baud, « Dynamiques paysagères d’un finage savoyard : l’apport des archives cadastrales (début xviiie-fin xixe siècle) », Géocarrefour [en ligne], vol. 85/1, 2010,

http://geocarrefour.revues.org/index7650.html, p. 84.

12. G. Ravis-Giordani, Bergers corses…, en particulier p. 68-71 pour ce paragraphe ; A. Casanova, Identité corse, outillages et Révolution française. Essai d’approche

ethno-histori-que, 1770-1830, Paris, 1996.

13. G. Ravis-Giordani, Bergers corses…, p. 69, reprenant F. Pomponi, « Un siècle d’histoire des biens communaux, en Corse, dans le Delà des Monts (1770-1870) », Études corses, n° 3, 1974, p. 5-41.

14. Avec un lexique précis, dans lequel se succèdent maghjera (année du défrichement et de la première culture), nuvale, pour la première remblavure, puis arcinuvale

terza-nivale, quartanivale…, pour les emblavements suivants (G. Ravis-Giordani, Bergers corses…, p. 64).

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mentions de terroirs en cultures continues avec apport de fumier, et de systèmes fondés sur deux prese en alternance biennale, Georges Ravis-Giordani et Antoine Casanova donnent, à partir de sources écrites ou orales s’échelonnant sur cinq siècles, une série d’exemples aux ryth-mes beaucoup plus « syncopés », pour reprendre l’expression d’Aline Durand 15 : deux prese cultivées, l’une deux ans consécutifs, l’autre un an

sur trois à Belgudè à la fin du xvie siècle ; deux prese aussi, mais cultivées

chacune deux ans sur quatre à Belgodere à la fin du xviie siècle, où

l’exa-men des délibérations municipales sur vingt ans en fait apparaître une troisième, cultivée un an sur six 16 ; trois prese cultivées chacune un an

sur trois à Muratu ; à Ajaccio au xviiie siècle, trois prese aussi, mais

ense-mencées chacune trois années consécutives sur neuf – avec une partition interne de la presa cultivée en trois blocs permettant une rotation maïs-blé-blé – les six années de friche étant réservées trois ans au gros bétail, puis trois ans au petit bétail 17 ; à Calenzana, une dizaine de prese, qui

connaissent, entre le xixe et le xxe siècle un ré-ordonnancement

topogra-phique assez complet 18. Le système, qui paraît se mettre en place entre les

xve et xviiie siècles, est souple et adaptable, observe Antoine Casanova 19,

et il n’est pas rare qu’on change les contours des prese, qu’on en crée de supplémentaires, ou, comme à Calenzana, qu’on les refonde. En leur sein, la part des terres privées est variable, de quasi exclusive à nulle : en l’an X encore, les prese de Muratu sont divisées entre les familles au moment de leur mise en culture 20. L’envers de la presa est évidemment l’organisation

réglée de la vaine pâture 21, et les soles, si elles sont ouvertes au pacage

dès l’enlèvement de la moisson, sont en revanche souvent fermées par des clôtures collectives pendant le temps de mise en culture. Ces clôtu-res, qui forment en Corse de longs murs de pierre (les pedale 22), sont, en

Sardaigne, ouvertes par une porte munie d’une herse (aydattone), que l’on déplace selon l’assolement 23 ; elles s’apparentent aux clôtures d’agras de

15. A. Durand, Les paysages médiévaux du Languedoc (xie-xiie siècles). Toulouse, 1998, en

particulier p. 320-323, pour une analyse toujours très éclairante. 16. A. Casanova, Identité corse…, p. 248-252.

17. Ibid.

18. G. Ravis-Giordani, Bergers corses…, p. 74, n. 9.

19. A. Casanova, Identité corse…, p. 250-251 évoque une possible existence du système dès le xie siècle, et son attestation certaine aux xive et xve siècles. Voir sur cette souplesse

des soles aussi dans l’openfield, les observations de M. Bloch, Les caractères originaux

de l’histoire rurale française, Paris, 1988 [1952], p. 86-87.

20. A. Casanova, Identité corse…, p. 251. 21. G. Ravis-Giordani, Bergers corses…, p. 70. 22. Ibid.

23. M. Le Lannou, Pâtres et paysans…, p. 136, qui définit ces systèmes comme des « bloc[s] fermé[s] de champs ouverts ».

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Galice, dans lesquels on rentre par des portelas 24, fermées, le temps de la

culture, de barres de bois bourrées d’amas de ronces (silvas) ou de pieux tressés de branches de châtaignier et de bruyère 25.

La presa apparaît donc comme un système d’assolement collectif assez classique, à la nuance près qu’il semble capable de combiner dans une même sole, et dans des proportions très variables, des terres privées avec des terres communes faisant l’objet de redistributions périodiques, et dans un assolement réglé entre quartiers, des cycles très divers allant de la culture biennale à des remblavures entrecoupées de longues périodes de friche : dans les lieux où la vidazzone peut être divisée « en dix, quinze, même vingt portions », Maurice Le Lannou n’hésite pas à la définir comme « une véritable forme organisée de la culture temporaire à longs intervalles 26 ». Plus qu’une hypothétique propriété collective originelle

du sol, n’est-ce pas cette aptitude fondamentale à articuler des statuts fonciers et des rythmes de cultures hétérogènes qui fait l’originalité de ces systèmes ?

hors de la presa : analogies pastorales, liens aux lieux et accès à l’inculte

Au-delà des prese qui forment des zones continues ensemencées de manière régulière, les cultures temporaires investissent aussi les bois et les pâturages – cette fois des terres entièrement collectives – de deux façons : par des allotissements organisés par les communautés d’habi-tants, ou bien par prise de possession individuelle, chaque particulier pouvant, en vertu du principe de libre accès aux terres non encloses, « signer » une portion du terroir communal, c’est-à-dire l’enclore pour la défricher, « avec comme seule obligation celle de détruire la clôture au terme de l’occupation 27 ». L’exemple de Calaccucia, dans le Niolu,

permet de saisir la géographie de ces droits autour de 1882. Le territoire de la commune dessine un grand rectangle d’orientation sud-est/nord-ouest, de 1 830 ha, dont les deux tiers nord-occidentaux, les plus bas en altitude, sont occupés par le village et trois hameaux, leurs circuli et les deux prese. Au sud-est, entre 1 100 et 1 500 m d’altitude, sous la première

24. A. Bouhier. La Galice. Essai géographique d’analyse et d’interprétation d’un vieux complexe

agraire, La Roche-sur-Yon, 1979, p. 348.

25. Ibid., p. 361.

26. M. Le Lannou, Pâtres et paysans…, p. 121.

27. J’emprunte encore à G. Ravis-Giordani, Bergers corses…, p. 68-71. Ces dispositions sont par ailleurs communes à nombre de coutumes.

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crête, « s’étend une sorte de zone tampon 28 », qui, hors prese a priori,

totalise en quatre lieux dits, 130 des 292 ha de communaux affectés aux terres labourables. Le territoire communal redescend ensuite de l’autre côté de la crête, entre 1 600 et 1 500 m d’altitude, vers le sud et la vallée du Tavignano, sur un vaste pâturage, le Pasciu, qu’un grand sentier divise en deux. Il forme une limite à l’amont de laquelle la prise de terre est libre pour quiconque de la commune veut enclore, tandis qu’à l’aval, le sol, plus fertile 29 est, jusqu’aux années 1910 encore, alloti tous les quatre

ans, par feu, par tirage au sort entre tous les habitants de Calacuccia et de tous ses hameaux…, tous, à l’exception d’un seul, celui de Sidossi 30.

La taxation des communaux est exprimée à la fois en décalitres de grains ensemencés et en nombre de têtes de bétail.

Les récits légendaires qui expliquent l’exclusion de Sidossi renvoient à une autre vision du Pasciu, non plus petit bout du monde du territoire de Calacuccia, mais vaste espace pastoral intercommunautaire et central, longtemps et parfois violemment disputé, et tardivement divisé, entre plusieurs ensembles de communautés rurales : celles du Niolu, avec leurs hameaux respectifs, et celle de Corte, plus bas sur le Tavignanu. C’est pour ne pas avoir combattu jusqu’au bout avec leurs voisins, lors de l’une de ces guerres pastorales, que les habitants de Sidossi furent bannis du

Pasciu…, tous, à l’exception de l’un d’entre eux et de ses descendants 31.

De fait, la répartition des droits pastoraux sur cet espace cultive comme à plaisir l’entrecroisement, la plupart des bergeries se trouvant en position d’extra-territorialité par rapport aux contours des communes auxquelles elles ressortissent 32.

Des espaces de ce type, les Pyrénées en comptent un grand nombre. On commence seulement à percevoir, en y cartographiant les parcours pastoraux, la subtilité des solutions apportées aux questions d’appro-priation des ressources que pose, dans le détail des lieux, le partage par différents usagers des mêmes surfaces de dépaissance. Des recherches

28. Ibid., p. 175.

29. La fertilité des terres du Pasciu, supérieure à celle des terres de la vallée, d’après les habitants, est due à « l’engraissement » combiné du parcours et de la neige (ibid., p. 151-154).

30. Ibid., p. 71 et 175, p. 154 pour le tirage au sort par feu. On retrouve en maints endroits, dans les Pyrénées, cette alternative entre prise de terre libre et allotissement, généra-lement expliquée par les mêmes facteurs.

31. Ibid., p. 155.

32. Ibid., p. 153-156. En 1970, 10 % des communaux appartiennent encore à des communes différentes de celle sur laquelle ils sont encadastrés (G. Ravis-Giordani (dir.), Atlas

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conduites par Mélanie Le Couédic sur les vallées d’Aspe et d’Ossau 33, et

de quelques observations menées en Cerdagne ou en Cize, émerge une grammaire élémentaire des figures de la compascuité qui fait apparaître, autour des terres hermes, des communautés aux « profils changeants 34 »

dont les droits sont régulés par différents types de limitations, spatiales, temporelles, ou sociales. Des déplacements en apparence infimes peuvent y produire des phénomènes de marginalisation parfois radicaux 35. Si

certaines de ces formes de limitation sont propres au pastoralisme (comme celle fondée sur la durée du parcours), d’autres – droits tournants, tirage au sort des quartiers de montagne, règle du premier occupant, échan-ges de ressources, droit de tierce bièle 36 – ont pu s’appliquer aussi aux

cultures temporaires. De cet ordonnancement spatial des droits d’em-blavement existent différents indices qu’il est impossible de détailler ici. Pour se borner à deux exemples, citons la correspondance entre quartiers du bourg et quartiers des hermes qui organise la localisation des essar-tages au sein de la vallée du Barétous en fonction de la disposition des maisons dans le village d’Arette 37, ou encore l’interpénétration des aires

de pacage, de boisage et de cultures entre les vallées limitrophes d’Enveig et du Carol en Cerdagne 38. De tels dispositifs, auxquels il est difficile

d’ac-céder d’un point de vue documentaire, doivent rester présents en toile de fond des lignes qui suivent.

33. M. Le Couédic Les pratiques pastorales d’altitude dans une perspective ethnoarchéologique.

Cabanes, troupeaux et territoires pastoraux pyrénéens de la préhistoire à nos jours, Thèse,

Université de Tours, 2010, http://www.theses.fr/2010TOUR2011.

34. Pour reprendre une expression et une analyse de R. Viader, L’Andorre du ixe au xive

siècle. Montagne, féodalité et communautés, Toulouse, 2003, p. 361.

35. C. Rendu, « Pour faire le portrait d’une montagne. Ombres et lumières autour d’En-veig (Cerdagne, Pyrénées-Orientales) », Enquêtes rurales, n° 9, 2003, p. 11-30.

36. Voir M. Le Couédic, Les pratiques pastorales…, notamment p. 326-341 ; sur le droit du premier occupant, un exemple de « course à la cabane » pour l’appropriation pasto-rale dans C. Rendu, La montagne d’Enveig. Une estive pyrénéenne dans la longue durée, Canet, 2003, p. 507.

37. J. Arrègle, Joseph. Le terroir d’Arette de 1186 à 1789. Une terre, des maisons et des hommes, Arette, Terre de Barétous, 2010, p. 97, ouvrage dont je dois la connaissance à Benoît Cursente.

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formesetcontoursmatérieLsdescuLturestemporaires dansL’incuLte

Lenze en Corse, stricche en Sardaigne, courrèges des artigues

luchon-naises 39, Jirebia en Valachie 40, le vocabulaire des cultures temporaires

paraît renvoyer avec une grande constance à la lanière. À cette image lexicale s’en ajoutent d’autres, graphiques, comme cette photo d’un essartage divisé par des troncs en bandes égales, que publie Jacqueline Matras-Troubetzkoy 41, ou comme ces schémas réalisés lors des

opéra-tions d’allotissement : figuration des lots par l’alignement de bâtonnets sur le sol de la maison dans le récit de Georges Condominas, dessins dans la terre de sillons parallèles représentant les lanières tirées au sort dans la procédure que retrace Liviu Marcu pour la Moldavie 42. Symbole

quasi universel du partage égalitaire qui préside à l’appropriation tempo-raire des terres communes, le découpage en lanières, ou en bandes, est-il toujours matériel, ou parfois seulement idéel ? Il est quelquefois difficile de trancher, notamment lorsque le vocabulaire renvoie autant à l’idée de bande qu’à celle de lot 43. Comment comprendre par exemple, qu’à Fozà,

en 1770, l’attribution des communaux selon sept terziere, correspondant aux sept familles se représentant comme « aborigènes, fondatrices du village », aboutisse au terme des subdivisions successives au sein de ces sept groupes, à une lenza par feu 44 ?

À l’échelle de la parcelle ou du groupe de parcelles, la question des formes géométriques des cultures temporaires est a priori liée à trois types de facteurs, environnementaux (en particulier topographiques et pédolo-giques), techniques (outils et gestes de défrichement, systèmes culturaux), et sociaux, les modalités de la prise de terre jouant un rôle déterminant. Les recherches d’Abel Bouhier sur la Galice constituent ici une source exceptionnelle et précieuse, puisqu’il a relevé précisément « la physiono-mie » des parcelles d’inculte, avant de tenter sa mise en relation avec les régimes juridiques et les modes d’exploitation du monte, qu’il avait docu-mentés par des enquêtes directes. Son étude servira de fil rouge.

39. Ch. Higounet, « Les artigues des vallées luchonnaises », France méridionale et Pays

ibéri-ques. Mélanges géographiques offerts en hommage à D. Faucher, Toulouse, 1949, p. 555-582,

repris dans Paysages et villages neufs du Moyen Âge, Bordeaux, 1975, p. 85.

40. L.-P. Marcu, « Formes de redistribution traditionnelles des terres dans les communau-tés rurales roumaines », Ethnologie française, n° 2/3, 1987, p. 258-267 ; ici p. 263. 41. J. Matras-Troubetzkoy, « L’essartage chez les Brou du Cambodge. Organisation

collective et autonomie familiale », Études rurales, n° 53-54-55-56, p. 421-437, pl. 62. 42. L.-P. Marcu, « Formes de redistribution… ».

43. Ibid., p. 263.

44. G. Ravis-Giordani, Bergers corses…, p. 72, reprenant F. Pomponi, « Un siècle d’histoire des biens communaux… », p. 21-22.

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des parts théoriques à leur matérialisation : allotissement, mesure, partage

La première alternative, on l’a vu, oppose la prise de terre indivi-duelle et libre au sein de l’herm et l’allotissement organisé par la commu-nauté, qui suppose a priori division et matérialisation de parts dans un espace contraint. En schématisant, l’allotissement comprend deux types de partages, égalitaire ou inégalitaire, selon la répartition des droits au sein des communautés d’ayants droit. Comme l’explique, dans ce volume même, Pegerto Saavedra, cette distinction recouvre principalement, en Galice, l’opposition entre montes concejiles (ou de vecinos), où l’accès aux ressources des terres communes, égal pour chaque voisin, est fondé sur la résidence, et montes de vara, ou de voces, détenus en indivision, et dont les consorts ont des droits fractionnaires inégaux 45. De ces deux grands cas

de figure, que l’on retrouve de manière très large, résultent des procédu-res de tirage au sort et de délimitation des lots différentes.

Dans les montes de vecinos, explique Abel Bouhier 46, une fois fait le

choix des morceaux de monte à écobuer, chaque morceau était soit divisé d’emblée en nombre de parts correspondant au nombre de voisins, soit divisé d’abord en lots de différentes qualités, dont chacun était ensuite subdivisé par le nombre de voisins. Les bandes ou lanières étaient ensuite tirées au sort par tirage simple – chaque voisin venant, dans un ordre préétabli, tirer un numéro ou un signe attribué à chaque parcelle – ou double, entre deux listes de numéros, correspondant l’une aux voisins, l’autre aux parcelles, ce dernier procédé insistant encore un peu plus sur l’égalitarisme de la distribution 47. Des tirages au sort de ce type,

égalitai-res, se retrouvent en maints contextes, soit pour des terres de labour 48,

soit pour des allotissements de récoltes d’herbe sur prés communs 49,

soit encore pour des attributions de parcelles de coupe d’ajonc ou de fougère 50.

45. Voir Pegerto Saavedra dans ce volume et A. Bouhier, La Galice…, p. 842 et suiv. 46. A. Bouhier, La Galice…,p. 893.

47. Lors de certains partages définitifs toutefois, des divisions dans les montes ont pu prendre des bases inégalitaires, à proportion des propriétés foncières (a fondo) ou du statut des maisons (A. Bouhier, La Galice…, p. 870-871).

48. P. L. Marcu, « Formes de redistribution… », p. 264, décrit en détail une procédure similaire.

49. R.-H. Gretton, « Lot-Meadow Customs at Yarnton, Oxon », The Economic Journal, n° 77, 1910, p. 38-45.

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Dans les montes de voces, les droits fractionnaires rendaient les allotissements d’écobuages plus complexes 51. Une fois choisis les blocs

d’inculte (vedro) à écobuer dans l’année, tous les membres du consortage se réunissaient au printemps dans le monte. On commençait par établir l’ordre des ayants droit, souvent en actualisant une liste précédente. Celle-ci, en général, mentionnait en tête les maisons détentrices des frac-tions de base en détaillant, à l’intérieur, les noms des titulaires des sous-fractions 52. Pour chaque bloc successivement, on procédait ensuite, sous

la direction d’un membre expert de la voz ou d’un arpenteur, à la délimi-tation matérielle des parts au sein du bloc, de deux manières possibles : soit en traçant directement des parcelles proportionnelles aux fractions terminales, soit en traçant d’abord les parcelles des maisons souches, dont on extrayait ensuite les parcelles terminales. Les repères laissés lors du précédent écobuage, souligne Abel Bouhier, « aidaient considérablement au nouvel arpentage ». Cette notion de proportionnalité des fractions, nous dit Pegerto Saavedra, explique, plus que la référence à la mesure elle-même, le nom de montes de vara pour ces montagnes tenues en indi-vision. Les consortages alpins, pour l’attribution des droits d’alpage, mais aussi d’eau et probablement des coupes de foin sauvage en altitude, donnent un autre exemple de la complexité de ces parts, que des petites pièces de bois sculptées, les tesseln, servaient en différentes circonstances à matérialiser 53.

Les prises de terre libres sur le commun existaient en contexte de moindre pression, soit en raison du recul définitif de l’écobuage, soit lorsque les communautés disposaient de grandes étendues d’inculte. La pratique permettait en ces cas à chacun, individuellement, de prendre et enclore dans le monte « ce que bon lui semblait 54 ». Ces appropriations

non limitées s’observent aussi bien pour l’écobuage, que pour des

essar-51. L’ensemble de ce qui suit est largement extrait d’A. Bouhier, La Galice…, p. 891 et suiv. et détaillé dans ce volume par Pegerto Saavedra.

52. Voir l’exemple donné dans ce volume par Pegerto Saavedra et celui donné par A. Bouhier, La Galice…, p. 843.

53. J. Friedl, Kippel : A Changing Village in the Alps, Holt, 1974, p. 33-35. Trois jeux de tesseln permettaient d’enregistrer les titres, nombres de parts et nombres de bêtes estivées l’année en cours. Les pièces en étaient découpées à la manière d’un chirographe, dont le témoin était conservé dans le coffre du consortage, avec les registres de l’Alpe. L’enchaînement de toutes les pièces des consorts par une cordelette suffisait à dire la succession des tours de corvée. Concernant les foins sauvages, E. de Laveleye, « L’économie rurale de la Suisse. La vie pastorale et agricole des cantons » Revue des

deux mondes, avril 1863, p. 823-856, p. 837 ; E. Langjahr, Das Erbe der Bergler,

documen-taire, Langhjar film production, 2006, 97 min. 54. A. Bouhier, La Galice…, p. 892.

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tages en clairières avec cultures biennales de seigle (pendant quatre à dix ans) suivies de longues périodes de friche 55, ou pour la fauche de litière. parcellaires, modelés, clôtures

C’est d’abord indépendamment de ces analyses et donc en aveugle, qu’Abel Bouhier a relevé les différents parcellaires de monte (PM) obser-vables à l’époque de ses enquêtes. Il les a classés en quatre grands types morphologiques. Le premier (PM1) correspond à des enclos pastoraux et ne nous concerne pas ici. Les parcellaires laniérés (PM4) sont les plus courants. Ils sont inscrits dans des blocs quadrangulaires et trapus lors-que la pente est faible, ou dans des longues bandes perpendiculaires à la pente et subdivisées dans le sens de la pente lorsque le relief est plus prononcé 56. À l’époque où ils ont été observés, ils étaient déjà tous des

parcellaires de propriété privée, issus de partages du monte assez récents (entre la fin du xixe siècle et les années 1960). Le laniérage extrême (indice

L/l de 16 à 100) et des stades de maturité de végétation différents entre les parcelles montrent qu’ils n’étaient pas dévolus à l’écobuage mais à la fauche de litière. Si certains ont été créés ex novo, d’autres ont repris d’anciennes unités d’écobuage ; ils paraissent donc, abstraction faite de leur subdivision très poussée, assez représentatifs des anciens allotisse-ments temporaires d’écobuage par tirage au sort, de principe égalitaire 57.

Le fait que le laniérage ne soit pas toujours complet – des blocs plus massifs peuvent subsister entre des groupes de lanières – s’explique soit par des équilibrages entre lots en fonction de la qualité des terrains, soit par l’introduction d’une dose de proportionnalité avec la propriété foncière (partage a fondo). Ce sont ces mêmes découpages en bandes que l’on retrouve dans les tirages au sort de parts d’herbages sur prés communs 58.

Les deux autres types de parcellaires sont plus étonnants. Les uns, PM2 dans la classification d’Abel Bouhier, se présentent sous la forme de grands blocs polygonaux accolés, de 7 à 12 ha de superficie, aux côtés rectilignes, et à parcellisation interne irrégulière (blocs quadrangulaires, parcelles allongées ou laniérées). Présents au sein des montes de voces, ils ont été cadastrés au cours des partages définitifs des xixe et xxe siècles. Ils

reprennent les anciens blocs d’écobuage des consortages, les vedros, dont

55. Ibid., p. 828 et 906-907.

56. Ibid., p. 824-828 et p. 870-874. L’ordre de grandeur est de 300 à 600 m pour les grands côtés des blocs ou des bandes, et de 100 à 300 m de long pour les lanières.

57. Ibid., p. 893.

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ils ont transmis pour partie au moins les formes, les parcelles massives correspondant aux plus grandes fractions, les lanières aux plus petites 59.

Les parcellaires PM3 sont ceux qu’Abel Bouhier appelle parcellaires réticulés. Non cadastrés, ils se présentent sous la forme de succession de petits enclos polygonaux irréguliers, de moins d’1/3 d’ha à 1,5 ha, agen-cés en grappes se déroulant parfois sur des kilomètres. Ils résultent des prises de terre libres sur les montes de vecinos, telles qu’elles s’effectuaient dans les zones de faible pression et de vastes incultes 60. Une rotation sur

d’assez longues périodes amenait à reprendre, de loin en loin, les mêmes pièces de terre, pour y refaire un écobuage.

Variés dans leurs formes, ces parcellaires le sont aussi dans leurs modelés et la matérialisation de leurs limites. On sait qu’autour des parcelles ouvertes dans l’inculte, les clôtures étaient non seulement admi-ses, mais indispensables, à la condition d’être abattues sitôt la moisson achevée. Ces préceptes généraux laissent l’image de limites provisoires et donc évanescentes, que tempèrent néanmoins quelques mentions, comme celle de ces fossés que l’on relevait avant la moisson pour les combler après 61.

Quatre à cinq types de clôtures différents peuvent entourer les blocs d’écobuage pris sur les montes galiciens : des sebes, clayonnages végétaux sur pieux de bois, des talus, accompagnés ou non de fossés (vallados), des murets de pierre parfois doublés d’un glacis de terre, et des « murets-dentelle 62 », formés d’une succession de piliers enserrant

un remplissage hétéroclite de blocs et de dalles. Ces différents types de clôture entretenaient une mémoire variable des délimitations. Si l’on préférait dresser des sebes autour des blocs ou bandes laniérés issus des allotissements égalitaires, précisément parce qu’elles ne laissaient pas de trace 63, les grands blocs polygonaux des vedros des montes de voces étaient

généralement entourés d’épais talus de terre noire à section triangulaire, avec ou sans fossés intérieurs, dont la hauteur pouvait atteindre 0,8 à 1,2 m 64. Les murets-dentelle, quant à eux, associés de préférence aux

parcellaires réticulés des prises de terre libres, formaient des « résilles de clôtures » auxquelles Abel Bouhier a consacré quelques pages magnifi-ques (p. 819-823). Leur étrangeté tient à la fois à l’allure ajourée que leur donne leur structure et au caractère hétéroclite que leur confère la

juxta-59. A. Bouhier, La Galice…, p. 868. 60. Ibid., p. 892.

61. M. Bloch, Les caractères originaux…, p. 83.

62. A. Bouhier, La Galice…, p. 820, empruntant l’expression à P. Flatrès, Géographie rurale

de quatre contrées celtiques. Irlande, Galles, Cornwall et Man, Rennes 1957.

63. Chaque ayant droit clôturait ici les deux petits côtés de sa lanière et effectuait un morceau de clôture des grands côtés (comme dans les clôtures générales d’agras). 64. Ibid., p. 818.

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position de talus et de murets dans des états de conservation totalement disparates : certains sont « tout frais », d’autres profondément dégradés et comme en voie de fossilisation. Il faut y voir l’expression même de la vie de ces parcellaires : une fois la récolte enlevée, en effet, on éventrait les murets, on ouvrait à la pioche des grosses brèches dans les talus en signe de réintégration à l’espace collectif et au parcours pastoral. Le partage définitif de certains de ces secteurs a abouti à une situation paradoxale où les limites des propriétés privées et cadastrées, jalonnées seulement par quelques bornes, surimposent leurs tracés immatériels aux forts murets-dentelle et aux talus élevés qui signaient antérieurement l’appropriation temporaire (fig. 1) 65.

unterrainarchéoLogique, deuxexpériences

etdesquestions

Les écobuages de la Galice sont des exemples particuliers, dont on ne peut généraliser ni les modèles morphologiques, ni les relations entre formes et règles d’attribution qu’ils proposent. Des référentiels plus larges sont à constituer. Ils permettent néanmoins d’envisager autrement les choses, au moment d’aborder des configurations archéologiques. Nos premières interrogations sur les cultures temporaires, leurs formes et leurs modelés, sont nées de l’étude archéologique des sites pastoraux de l’estive d’Enveig, dans les Pyrénées orientales, en Cerdagne.

sur la montagne d’enveig

Sur le replat de l’Orri d’en Corbill, entre 1 900 et 1 950 m d’altitude, en terre aujourd’hui communale et pastorale, deux cabanes du haut Moyen Âge ont été fouillées, dont l’une avait conservé, grâce à un incen-die, des graines carbonisées. L’assemblage, étudié par Marie-Pierre Ruas, s’avérait dominé par des restes de seigle pouvant renvoyer à une paillasse ou une toiture 66. Avaient-ils été apportés là ou cultivés sur place ? À

quelques mètres de ces cabanes, des microreliefs signalaient d’anciennes

65. Ibid., p. 823, fig. 113.

66. M.-P. Ruas, « Des céréales et des fruits dans le niveau incendié de la cabane 81 », C. Rendu, La montagne d’Enveig…, p. 393-416 ; et M.-P. Ruas, C. Rendu, A. Bergeret, « Glanes et cultures médiévales en haute montagne. Réflexions autour d’une cabane d’estive à Enveig et du château des Angles (Pyrénées-Orientales) », A. Catafau (dir.),

Exploitation, gestion et appropriation des ressources montagnardes du Moyen Âge aux Temps Modernes, Perpignan, 2005, p. 147-184.

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Figure 1 : Recouvrement d’un parcellaire d’écobuage à parcelles fermées de murets ou de talus par un parcellaire de propriété à parcelles

simple-ment bornées. Casal de Arriba (Municipe de Sobrado), extrait de A. Bouhier, La Galice…, figure 113, p. 823.

1. Limites simplement bornées du parcellaire de propriété coïncidant avec des clôtures de parcelles d’écobuage. 2. Murets et talus enfermant les parcelles d’écobuage. 3. Limites simplement bornées du parcellaire de propriété recoupant les murets et talus des parcelles d’écobuage.

N

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terrasses érodées qui interrogeaient aussi sur les formes de culture que ces versants avaient pu accueillir. Parmi d’autres hypothèses possibles, celle consistant à envisager une contemporanéité entre cabanes et terras-ses obligeait à penser l’existence de ces dernières dans un contexte de faible pression démographique, et donc à leur chercher une raison d’être plus systémique qu’une simple faim de terres. Mais il fallait d’abord les dater et tenter de les caractériser. L’approfondissement de ces questions a conduit à ouvrir une série de sondages, à l’Orri d’en Corbill même et sur le versant d’en face qui présentait un système plus étendu de gradins similaires. Les études ont associé différentes lectures des sols, pédologi-que, archéologique et pédoanthracologique. Les observations ont suscité des débats complexes qui ouvrent de nouveaux mondes… sans pour autant répondre à la question initiale, comme souvent. Mais c’est précisé-ment leur richesse. Les résultats ont été publiés 67, et l’on se bornera ici à

quelques réflexions.

Sous les sols des terrasses visibles en surface, les sondages ont révélé, à plusieurs reprises, l’existence d’une première génération de murets de soutènement, associés, le plus souvent, à des paléosols comportant un niveau organique de surface riche en charbons. La succession stratigra-phique, la multiplication des dates radiocarbone sur charbons, ainsi que la présence, à deux reprises, de lentilles charbonneuses en place scellant les paléosols, permettent de placer cette première génération de « terras-ses » à la Protohistoire, dans une fourchette allant du début de l’Âge du Bronze au début de l’Âge du Fer. Non scellée, la deuxième génération demeure pour l’instant indatable : elle est simplement postérieure. Ces plages chronologiques ne permettent évidemment pas de discuter le caractère temporaire ou permanent de l’agriculture, et la nature précise des pratiques agro-pastorales échappe. Ces découvertes ont, en revanche,

67. Voir M.-C. Bal, Constructions et dynamiques des espaces et des terrasses agro-pastoraux en

zone intermédiaire des Pyrénées du Néolithique à nos jours (Cerdagne, Pays basque et pays de Sault). Approche archéoenvironnementale par la pédoanthracologie, Thèse, Université

Toulouse Le Mirail, 2006. http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00132105 ; M.-C. Bal, C. Rendu, M.-P. Ruas, P. Campmajo, « Paleosol charcoal : Reconstructing vegetation history in relation to agro-pastoral activities since the Neolithic. A case study in the Eastern French Pyrenees », Journal of Archaeological Science, 37, 2010, p. 1785-1797 ; R. Harfouche, « Retenir et cultiver le sol sur la longue durée : les terrasses de culture et la place du bétail dans la montagne méditerranéenne », Anthropozoologica, 40-1, 2005, p. 45-80 ; ead., « Agriculture en terrasses à haute altitude au cours de l’Âge du Bronze dans les Pyrénées orientales (Massif du Carlit), A. Beeching, E. Thirault, J. Vital (dir.),

Économie et société à la fin de la Préhistoire. Actualité de la recherche. Actes des Septièmes rencontres méridionales de Préhistoire récente, Lyon (France), novembre 2006, Documents

d’Archéologie en Rhône-Alpes et en Auvergne, 34, 2010, p. 125-145. En excluant la possibilité d’une agriculture temporaire R. Harfouche propose à mon sens une inter-prétation réductrice.

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stimulé la recherche de référentiels dans le champ anthracologique par Marie-Claude Bal, pour tenter d’éclairer la richesse des sols en charbons, et dans celui de l’ethnographie, pour évaluer la compatibilité entre ces terrasses et des cycles de cultures temporaires. L’objectif n’est pas de démontrer la pratique des cultures temporaires à toute force, mais de ne pas l’exclure d’un champ des possibles d’où la tiennent éloignée, pour l’instant, des a priori tenaces – de coût, d’intensivité, de statut du sol. Les efforts déployés pour l’aménagement des blocs d’écobuage de Galice, la mémoire des lieux que leurs modelés induisent, leur compatibilité avec une exploitation à cycles longs et avec une appropriation temporaire constituent un premier élément de réponse. S’y ajoutent d’autres occur-rences de cultures temporaires pratiquées sur terrasses par écobuage ou simple labour 68. Le deuxième élément de discussion réside dans la

grande diversité de ce que l’on réunit sous le terme terrasse. Au-delà des constructions quasi-monumentales, existent aussi des dispositifs tels que les minces « cordons de pierre » des agronomes ou ces faisses qui, dans la documentation du Causse Méjean, désignent des « défriche[s] bordée[s] d’un pierrier 69 ». Les murs des sondages des terrasses d’Enveig

présen-tent, à eux seuls, des faciès d’une grande diversité. Il y a là un espace pour la nuance, à investir par la recherche.

au port de llo

Le deuxième exemple est une découverte beaucoup plus récente, qui se situe à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau d’Enveig, au lieu-dit le Port de Llo. Des enquêtes orales des années 1990 avaient documenté à cet endroit le toponyme empriu – qui désigne souvent des zones de compascuité aux limites de deux territoires –, et la mémoire d’une utili-sation conjointe de cet espace par les communes limitrophes d’Eyne et Llo 70. Il s’agit d’un pâturage communal de 40 ha environ, situé assez bas

en altitude (entre 1 500 et 1 580 m) et qui fait figure d’enclave pastorale au cœur des terroirs, puisqu’il est environné de tous côtés par des prés et

68. R. Dumez, Le feu, savoirs et pratiques en Cévennes, Versailles, 2010, en particulier p. 47-49 (écobuage pour création ou remise en culture de bancel ; petites terrasses en montagne cultivées tous les trois ou quatre ans. Voir aussi dans ce volume, les mentions de bohigues que Marc Conesa relève sur des feixes (des terrasses) à l’Époque moderne.

69. B. Jaudon, J. Lepart, P. Marty, E. Pélaquier, « Hommes et arbres du Causse Méjan »,

Histoire et sociétés rurales, vol. 32, n° 2, 2010, p. 7-47, p. 15.

70. C. Rendu, inédit. Une enquête seigneuriale de 1595 sur les limites du territoire d’Eyne mentionne le port de Roet (un hameau de Llo) comme empriu comu de Eina a Roet (A.D. Pyrénées-Orientales, 84 EDT1).

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des champs. Aujourd’hui clôturé, il sert au pacage des vaches aux saisons intermédiaires. Il était au début du xixe siècle plus étendu, une partie, à

l’est, qui se présente aujourd’hui comme un parcellaire géométrique de bandes subdivisées en pièces carrées à rectangulaires, ayant été allotie en propriété privée après 1827 (date du plan napoléonien) 71. Sur le

commu-nal actuel, Delphine Bousquet a néanmoins observé une autre trame parcellaire, faite elle aussi de bandes subdivisées, mais non enregistrées sur les plans cadastraux anciens ou récents. Elle semblait correspondre, sur les photos aériennes anciennes, à des parcelles de culture.

Promise à l’installation d’une centrale solaire, cette zone a fait l’objet, l’été 2012, d’un diagnostic archéologique dirigé avec finesse par Josselyne Guerre 72. J’en résume quelques-uns des résultats importants ici. L’examen

des missions aériennes de l’ign a confirmé les observations de Delphine Bousquet : l’existence de nombreuses parcelles encore en culture en 1942, et leur raréfaction puis leur disparition à la fin des années 1960 73 ; la

pros-pection de surface a mis en évidence des tas d’épierrement, des chemins et une occupation de plusieurs secteurs du pâturage par des terrasses de module régulier, de 30 m de large environ par 100 m de long ; elles sont limitées par des talus, hauts de 0,4 à 0,5 m, dont la bordure est soulignée, de façon discontinue, par quelques blocs 74. Les tranchées confirment

l’absence de murs de soutènement, suggérant une formation de type petits rideaux de culture. Hors terrasses, les décapages ont permis d’ob-server dans le substrat des traces de labour. Les structures en creux sont nombreuses, indatables directement en raison de l’absence de mobilier, et ne se recoupent qu’en un seul secteur. Outre des fosses, elles compren-nent des fossés et des drains formant un petit réseau à l’angle sud-est du pâturage. C’est là que s’observe une chronologie relative : le réseau vient se jeter dans un fossé qui sur-creuse un fossé antérieur, lequel recoupe une fosse. Des datations radiocarbone à venir pourraient situer même grossièrement ces aménagements dans le temps.

71. D. Bousquet, Prospection pédestre et étude du parcellaire ancien sur la commune d’Eyne

(Pyrénées-Orientales). Vers la recherche d’indices d’une structuration du paysage protohisto-rique, Master 1, ehess Toulouse, 2007, p. 136-137.

72. J. Guerre, L. Bruxelles et al., Pyrénées-Orientales, Llo, Port de Rouet. Centrale

Thermodynamique Solaire de Llo, Rapport final d’opération. Diagnostic

archéologi-que. Inrap Méditerranée, 2012. Je remercie vivement Josselyne Guerre et Delphine Bousquet de m’avoir autorisée à faire part ici de ces résultats. Les lignes qui suivent puisent au rapport de J. Guerre.

73. Ibid., p. 37 et 40-43. 74. Ibid., p. 38.

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Plusieurs personnes ont encore la mémoire des usages de ce lieu dans les dernières années de son exploitation agraire 75. Le terrain communal

était effectivement cultivé, en « plein de petites parcelles » redistribuées tous les deux ou trois ans entre les propriétaires du village en faisant la demande. Ces parcelles étaient pérennes, on retournait simplement à quelques-uns sur le terrain pour leur attribuer des numéros avant le tirage au sort qui avait lieu à la mairie au printemps. Les labours s’effec-tuaient après la neige, à l’araire, en respectant les limites, ce qui explique la création des talus. Les terres, excellentes, étaient semées chaque année, en cultures de printemps, pommes de terre et orge, puis pacagées par les vaches.

L’allusion à un partage qui aurait permis l’allotissement de la partie est du pâturage a incité à revenir aux archives. En 1825, deux ans avant l’achèvement du cadastre, les deux communes conviennent d’une tran-saction visant au cantonnement de leurs droits sur cet empriu (ou ampriu) commun 76. L’accord prévoit qu’elles apposeront des bornes marquées

de leurs lettres pour délimiter les parties du terrain tenues par chacune « en toute propriété et jouissance », mais qu’elles maintiendront entre ces limites un terroir commun sur lequel, s’abstenant scrupuleusement de parler de propriété, elles exerceront « un égal droit de jouissance ». Ce territoire, envisagé comme un glacis entre les limites communales, sera borné par d’autres lettres que celles des communes, les lettres A, pour

Ampriu, « appliquées en dedans des dites pierres servant de limittes (sic)

aux terroirs des deux Communes ». Les arpenteurs du cadastre, ou avant eux la Préfecture, n’ont pas entériné cette conception particulière de l’es-pace, la surface en question étant, dès 1827, cadastrée au territoire de Llo avec Llo comme seul propriétaire. Mais les bornes qui portent sur une face les lettres des communes et sur l’autre la lettre A figurent sur le plan et furent gravées. Le cadastre, quant à lui, ne laisse rien transparaître de l’exploitation agraire de ce communal intercommunautaire. Rien, en tout cas, qui sans les observations archéologiques et l’enquête orale, aurait pu être lu autrement que comme une erreur de scribe. Une confusion s’est en effet glissée entre le plan cadastral et la matrice, à propos de la parcelle communale n° 11 (14 ha), la plus dense en petits rideaux de culture. Apparaissant sur le plan en nature de terre, elle figure sur la matrice en nature de pâture. Confusion, ou trace d’une transaction sur l’imposition, voire soupçon de connivence ? L’erreur diminue en tout cas notablement la valeur de ces terres, évitant ainsi de les grever d’une trop lourde taxe.

75. Entretiens avec Robert Autonès, maire de Llo, en septembre 2012, et avec Zacharie Rigola, agriculteur et berger en septembre 2013 (M. Cararretto et C. Rendu). 76. A.D. Pyrénées-Orientales, 84 EDT 14.

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* * *

Je retiendrai pour finir trois points. Le premier concerne la matéria-lité des cultures temporaires. Contrairement à ce que l’on attendait, elle est multiforme, profuse, tangible, incarnée, surprenante par la force et la diversité de ses expressions. Mais en première instance ces dernières ne diffèrent pas de celles des cultures « permanentes » ou stables : trous de poteaux, de piquets, murs de clôture, fossés, talus, tas d’épierrement, terrasses, traces de labours et voire même drains, du côté des aménage-ments, formes planifiées ou spontanées, régulières ou non, hétérogènes ou homogènes du côté des parcellaires, constituent des signatures a priori tout aussi acceptables pour les cultures temporaires qu’elles le sont pour les cultures en assolement biennal ou triennal, et pour les parcellaires marquant la possession provisoire des lots pris sur des terres collectives que pour ceux de propriété privée. La conséquence est à double tran-chant : si ces traces agraires ne permettent pas de distinguer les systèmes temporaires des systèmes pérennes, l’inverse est également vrai et devrait conduire à envisager l’éventualité de cultures à cycles longs ou d’appro-priations temporaires de façon beaucoup plus systématique, face à des limites de champs.

Le deuxième point concerne cette diversité, non plus seulement des formes matérielles mais des types de culture et de possession que recouvre l’ensemble dont on a voulu traiter ici ; une diversité explosive, au point d’en devenir irritante parfois, tant les catégories dont on dispose se trouvent impuissantes à rendre compte de la multiplicité des combinaisons que l’on observe ou que l’on pressent. Comment définir, par exemple, le distinguo qui s’établit, en Corse et dans d’autres régions, entre les cultures temporai-res inscrites dans les terroirs assolés et celles qui se trouvent en dehors ? Ni l’opposition cultivé/inculte, ni celle entre terre privée/commune, ni le couple intensif/extensif, pas plus celui de marge et centre, et même pas semble-t-il celui d’infield/outfield (car les preses n’y trouvent pas leur place), ne parviennent isolément à en dire le sens. La presa que l’on ne cultive plus réintègre le domaine du furestu, soulignait Georges Ravis-Giordani, qu’elle soit ou non ceinte de murs, peut-on sans doute ajouter, voire nommée de façon stable. L’erreur serait de réifier ces catégories et leurs contours, ce que ne font pas les clôtures même les plus pérennes, puisque le simple fait de les ouvrir en un point suffit à les effacer, techniquement et juridiquement. C’est cette pratique du territoire qui redéfinit, en des temps et des lieux distincts, les oppositions pertinentes 77.

77. Je m’inspire sur ce sujet de D. Fabre, « Limites non frontières du Sauvage », L’Homme, n° 175-176, 2005, p. 427-443.

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Quelles perspectives alors pour une archéologie des cultures tempo-raires ? Aucune sans doute pour la discipline seule, la catégorie n’existant pas de ce point de vue, et beaucoup certainement pour une approche dans un concert de disciplines. La reconnaissance d’allotissements temporaires dans l’exemple du Port de Llo ne s’effectue pas sur des bases archéologi-ques, mais par la confrontation des sources : ici celle des traces matérielles avec le cadastre, les archives et l’enquête orale ; dans d’autres cas, à multi-plier, avec des sources archéobotaniques, palynologiques, anthracologi-ques ou sédimentaires, dont chacune n’est susceptible d’éclairer qu’un aspect fragmentaire d’une réalité complexe 78.

L’approche ethnographique de la dimension matérielle des cultures temporaires, en retissant à sa manière la continuité avec les autres formes de culture et avec les autres espaces du finage, contribue à abolir les fron-tières que l’historiographie avait instaurées. Le référentiel de formes et de modelés que l’on a commencé à ébaucher mérite à ce titre d’être pour-suivi, et de l’être dans la double contiguïté qu’il entretient, avec les prati-ques agraires d’un côté, avec les pratiprati-ques pastorales et les autres formes de partage des ressources collectives de l’autre. Car c’est bien à ce double registre que ces cultures puisent leurs modalités d’existence et, ce faisant, leur adaptabilité. Sans doute est-ce pour cela que d’un point de vue anthropologique aussi, elles peuvent être observées comme les nervures d’un ensemble de systèmes agraires dont l’inventaire reste à faire 79.

78. Je renvoie aux démonstrations de cette démarche que propose dans ce volume l’équipe du laboratoire de Gênes, ainsi qu’à l’article d’Aurélie Reinbold.

79. Cet article a bénéficié de nombreuses et riches discussions avec Roland Viader. Les erreurs ou les confusions restent miennes, mais qu’il trouve ici l’expression de mon amicale reconnaissance pour les perspectives offertes, et pour ce bout de chemin en terre commune. Ma curiosité pour les cultures temporaires n’aurait par ailleurs pas existé sans le travail entrepris, il y a des années, avec Marie-Pierre Ruas et les stimulants échanges qui ont suivi. Je dois enfin beaucoup aux réflexions d’Élisabeth Zadora-Rio sur l’organisation des terroirs, et à celles de Benoît Cursente sur le rôle de l’accès aux incultes dans la structuration des communautés rurales.

(27)

Roland Viader

Cultures temporaires et féodalité.

Pour une redéfinition des problématiques ... 7

Jean-Pierre Devroey

Mise en valeur du sol et cycles de culture dans le système domanial (viiie-xe siècle)

entre Seine et Rhin ... 33

Sandro Carocci

Ius serendi et demani : cultures temporaires, communauté

rurale et pouvoir seigneurial dans l’Italie centrale

et méridionale ... 59

Juan José Larrea

Les cultures temporaires au sud du Duero (xie-xve siècle) ... 79

Nicolas Schroeder

Les cultures temporaires en Ardenne belge

du Moyen Âge au xixe siècle ... 101

Nicolas Poirier

Indices archéologiques d’intensification agraire

et dynamiques spatiales des terroirs ... 117

Aurélie Reinbold

Percevoir les cultures temporaires dans les analyses

palynologiques du Massif armoricain ... 133

Annie Antoine

Cycles culturaux, usages et appropriation de l’espace rural (France, fin du Moyen Âge-Époque moderne).

(28)

Pegerto Saavedra

Le pan de monte. La culture des montagnes communales

en Galice (xviie-xxe siècle) ... 169

Marc Conesa

Les cultures temporaires en Cerdagne à l’Époque moderne. Sources, rythmes, dynamiques ... 201

Audrey Beaudouin

Autour de la question des cultures temporaires : les îles Shetland et les systèmes agraires de Norvège

et d’Écosse (xve-xixe siècle) ... 217

Giulia Beltrametti, Roberta Cevasco, Diego Moreno, Anna Maria Stagno

Les cultures temporaires, entre longue durée

et chronologie fine (Montagne ligure, Italie) ... 235

Christine Rendu

Des modèles ethnographiques

(29)

d’histoire du Centre Culturel

de l’abbaye de flaran

Cette manifestation a été fondée en 1979 à l’initiative de Charles Higounet. Elle est organisée avec le concours du Conseil général du Gers, du Conseil régional de Midi-Pyrénées et de la municipalité de Valence-sur-Baïse. Elle se trouve placée sous l’égide des universités de Bordeaux Montaigne, de Toulouse II et de Pau et des Pays de l’Adour.

Rassemblant chaque année au mois d’octobre des spécialistes de l’his toire du Moyen Âge et de l’Époque moderne, elle a donné lieu à autant de volumes d’actes, dont l’ensemble constitue une encyclopédie thématique vivante de l’histoire des anciennes sociétés rurales européennes.

* * *

Jusqu’en 1992, l’édition des actes a été assurée par le cdtl du Gers. Cette première série de publications est en dépôt au Centre culturel dé partemental de Flaran, F- 32310 Valence-sur-Baïse.

Sont à ce jour encore disponibles, à cette adresse, les volumes sui vants : – Les Ordres militaires, la vie rurale et le peuplement en Europe occidentale (xiie

-xviie siècles) (Flaran 6, 1984), 1986.

– Les revenus de la terre : complant, champart, métayage en Europe occidentale

(ixe-xviiie siècles) (Flaran 7, 1985), 1987.

– Toponymie et défrichements médiévaux et modernes en Europe occidentale et

centrale (Flaran 8, 1986), 1988.

– Jardins et vergers en Europe occidentale (viiie-xviiie siècles) (Flaran 9, 1987),

1989.

– La croissance agricole du haut Moyen Âge. Chronologie, modalités, géogra phie (Flaran 10, 1988), 1990.

– Le vigneron, la viticulture et la vinification en Europe occidentale au Moyen

Âge et à l’Époque moderne (Flaran 11, 1989), 1991.

– Plantes et cultures nouvelles en Europe occidentale au Moyen Âge et à l’Époque

moderne (Flaran 12, 1990), 1992.

Depuis 1994, l’organisation des Journées est assurée par l’Association des Journées Internationales d’Histoire de l’Abbaye de Flaran (loi 1901), dont le siège est au Centre culturel de l’abbaye de Flaran (F-32310 Valence-sur-Baïse).

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Figure

Figure 1 : Recouvrement d’un parcellaire d’écobuage à parcelles fermées  de murets ou de talus par un parcellaire de propriété à parcelles

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