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L'énigme de Maldoror : essai d'interprétation des Chants de Maldoror de Lautréamont.

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Academic year: 2021

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(1)

L'ENIGME DE MALDOROR

(2)
(3)

des Chants de Maldoror de Lautréamont by Haym.ond Lefra.nçois A thesis submitted to

the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University

in partial fulfilment of the requirements for the degree of Master of Arts

Department of French Language and Lit erature

(4)

Ifous tenons à témoigner notre gratitude au professeur Henri Jones, qui a bien voulu nous aider de ses précieux coDSeils dans l•élaboration de cette th.se, et dont nous avons pu apprécier l'originalité en tant qu'homme et auteur.

(5)

à la lecture des "Chants", c'est le dépa.,"sement. L'oeuvre nous désoriente, et, après une première lecture, nous a-vons l'impression de nous retrouver dans un fouillis

ine•-tricable. ll nous semble être dans un autre monde: celui de quelque planète inconnue o~ les choses ne portent plus les mêmes noms. lMaurice Blanchot, au début de son étude sur Lautréamont, a largement insisté sur ce dépaysement, et les difficultés que l'oeuvre pose au critique qui veut l'aborder). (1)

Bous sommes désorientés, mais surtout intrigués. Les "Chants" se présentent comme une énigme, ou plut6t, comme plusieurs énigmes l la fois; ce qui est encore plus intrigant. .Mous allons les aborder ainsi, nous efforçant

(1) Jla.urice Blanchot, J,autréaaont et Sade, Bditions de &inuit, Paris 1949.

Etude sans rigueur et menée très librement, qui n•est bien souvent que le prétexte A de brillantes digressions, et trahit les hésitations de son auteur de-vant une oeuvre qui le déroute.

(6)

de conna!tre tout ce qui est susceptible de les inter-préter.

"On ne peut pas ••• embrasser {les "Chants") d'un coup d'oeil." (2)

De mime que pour contempler l'océan,

"••• i l faut que la vue tourne son télescope, par un mouvement continu vers les quatre points de l'horizon, de mime qu'un mathématicien, afin de résoudre une équation algébrique, est obligé d'exa-miner séparément les divers cas possibles, avant de trancher la difficulté." (3)

Ainsi ferons-nous pour les "Chanta". Bous nous efforceroBS de reconnaitre les différents aspects de l'oeuYre,

{2)

Chant I strophe 9 page

56

Bdition des Oeuvres complètes d'Isidore Ducasse, Le Livre de Poche no: 1117•1118, Paris 196). ()) Ch. I str. 9 P•

56-57

(7)

et nous essayerons d'en donner une interprétation person-nelle, nous paraiâsant également juste. Les "Chanta" :nous proposent des énigmes, et c'est A les résoudre que nous allons :nous employer.

Le Larousse nous donne du mot •énigme", la défi-nition suivante:

"Définition ambigul, description métaphori-que d • une chose et de ses qualités pour la rendre plus difficile l deviner. • (4)

Cette définition nous semble bien être aussi celle qui convient aux "Chants•. Les "Chants" se présen-tent, en effet, comme une oeuvre extrfmement ambigul, et dont le sens exact est souvent t~a difficile A saisir. Il faut dire que l'humour de Lautréamontcoompte pour beau-coup dans cette ambigu!té. L'emploi de la métaphore y est monnaie courante. Il y a dans les "Chants• tout un symbo-lisme, que nous nous efforcerons de faire ressortir, et auquel nous tenterons de fournir une explication.

(8)

Nous essa;yerons donc de trouver une interpré-tation, ou, simplement, des éléments d'interprétation aux "explicables hyperboles• (5), que nous propose l'auteur. ce que nous avancerons sera souvent hypothétique, mais n'est-ce pas là un des moyens que la connaissance a de progresser?

Botre prétention n'est donc pas de donner ici une ezplication compl~te et définitive de l'oeuvre, mais bien plut8t d'en analyser quelques aspects, qui, à l'étu-de, apparaissent avec plus d'évidence. Soit dit aussi que, si nous suggérons parfois au lecteur une certaine ligne de pensée, 110us n'avons nullement l'intention de lui im•

poser notre manière de voir.

Les "Chants de Maldoror" forment une oeuvre complexe, et, pour bien les comprendre, il faut prendre chaque •Chant" dana sa coapleXité. Oeuvre étrange d'une singulière beauté, chants de désespoir et de révolte, révélation des iésira refoulés, les "Chante" sont tout cela et davantage encore. Ils ont quelque chose de féroce et d 1 exalté, une soif d'infini à travers des raffine-ments de cruauté sadique.

(9)

Loin d'épuiser toutes les significations pos-sibles de cette oeuvre notre travail se propose de four-nir quelques "clefs" pouvant aider l'interprétation.

(10)

SOURCES ET INFLUENCES

"La tin du dix-neuviè.e siècle verra son poète (cependant au début, il ne doit pas commencer par un chef-d'oeuvre, mais suivre la loi de la nature;)" (1)

nou dit Lautréamont à la fin du premier Chant.

Cette "loi de la nature" dont parle Lautré-amont est évidemment celle de l'imitation. C'est peut-être aussi dana ce premier "Chant" que l'auteur est en-core le plus près de ses modèles, bien que leur influ-ence se fasse sentir l travers toute l'oeuvre. (2)

Bous allons, dans ce chapitre, voir brièvement quelques unes des principales influences qu'a pu subir Lautriamont.

Pre DOns d'abord la strophe du fossoyeur, ott

(1) Ch. I str. 14 p.90-91.

(2) C'est également l'opinion de Maurice Blanchot

(11)

1'on retrouve Maldoror en "Norwège" (3), "absorDé dans

des méditations• (4), et contemplant "les ruines des hu-mains" (5). Cette strophe semble bien &tre une transposi-tion de la sc~ne cél~bre d'•Bamlet•, où l'on voit ce dernier plongé dans des réflexions métapbysiques devant les ossements du cimeti,re. "L'énoncé du prob1ème effrqant que l'humanité n'a pas encore résolu; la mortalité ou l'im• mortalité de l'âme• (6) fait ici écho au •to be"t:,t to be"

du drame de Shakespeare. Et de mûe que 1 'auteur anglais Lautréamont si tue l'action en Scandinavie; au Danemark dans "BUllet•; en "Norw~ge•, c'est-à-dire en Norv~ge dans les •chants•.

La strophe du "ver luisant• (7) présente égale-ment certaines analogies avec le début de "La Divine Comé•

die•. Le guide elu po~te dans "La Divine Comédie11 est ici

deveuu le ver luisant (ver gile: Virgi1e). Bous ne sommes pas sans remarquer d'ailleurs une certaine ressemblance

(3) Ch. I str. 12 P• 76. (4) Ch. I str. 12 P• 81. (5) Ch. I str. 12 p. 85. (6) Ch. I str. 12 p. 79. (7) Ch. I str. 7

P• 45.

Cf. Castex J:'ierre-Georges, Le Conte fantastigue eq

(12)

stylistique entre les deux textes. On 7 retrouve aussi quelque chose de l'atmosphère 1 la fois mystique et terrifiante de l'oeuvre de Dante.

"J'entendis un ver luisant, grand comme uae aaison, qui me dit:" Je vais t'éclairer. Lis l'inscription• Ce n'est pas de moi que vient cet ordre supr&me." Une vaste lumi~re couleur de sang, à l'aspect de laquelle mes machoires claqu~rent et mes bras tom-bèrent inertes, se r'pandit dans les aira jusqu•l 1 'horizon. Je m'appuyai contre une wraille en ruine, car j'allais tomber, et je lus ••• • {8)

On remarque une certaine ressemblance stylis• ti~e, également, entre la huitiè.e strophe du premier "Chant" et l•Iliade"• {9) Bous en donnerons quelques lignes, le lecteur pouvant ainsi se rendre compte par lui-même. Nous y retrouvons les répétitions et les lon-gues énumérations que présente l'oeuvre d'Homère.

"fout l coup, ils (les chiens) s•arr&tent, regar-dent de tous les c6tés avec une inquiétude

fa-rouche, l'oeil en feu; et de même

ta•

les éléphants,

{8) Ch. l str.

7

p. 45-46.

{9) Relevée également par Marcel Jean dans son étude sur Lautréamont. Marcel Jean et Arpad Jlezei,

(13)

dernier regard au ciel, élevant désespérément leur trompe, laissant leurs oreilles inertes, de m3me que les chiens laissent leurs oreilles inertes, élèvent la t3te, gonflent le cou ter-rible, et se mettent ' aboyer, tour à tour, soit comme un enfant qui crie de faia, soit coliDle un chat blessé au ventre au-dessus d'un toit, soit colllDe une feJDlle qui Ya enfanter, soit comme un moribond atteint de la peste l l'h8-pital, soit comme une jeune fille qui ch&Dte un air sublime, contre les étoiles au nord, contre les étoiles ' l'est, contre les étoi-les à l'ouest; contre la lune, contre les mon-tagnes, semblables au loin à des roches géantes, gisantes dans l'obscurité; contre l'air froid qu'Us aspirent ' pleilll poumons, qui rend 1 'in• térieur de leur narine, rouge, brdtant; contre le silence de la nuit; contre les chouettes, dont le vol oblique leur rase le museau, em-portant un rat ou une grenouille dans le bec, nourriture YiYante, douce pour les petits; contre les lifl-res qui disparaissent en un

elia d'oeil; contre le Yoleur, qui a•entuit ••• "(lO)

(14)

Et la phrase se poursuit pendant encore vingt et une lignes, en reprenant to~ours les •contre".

On retrouve chas Maldoror quelque chose de

byronien, (11) de la révolte fière et hautaine de "Manfred•. Le rapport entre les deux oeuvres est particulièrement

frappant entre la dixième strophe du premier "Chant" et le dernier acte de "Manfred". Maldoror, comme Manfred, refusant tout secours, préfère mourir seul, sana espoir, assumant jusqu'au bout son destin maudit. Les démons Tiennent pour enlever ~red• qui les repousse. Mal-doror aperçoit lui aussi quelqu'un qui pénètre dans sa ch8JII.bre.

"On ne me verra pas l mon heure dernière (d'écria ceci sur mon lit de mort), entou-ré des pritres. Je veux mourir, bercé par la vague de la mer tempétueuse, ou debout sur la montagne ••• les yeux en haut, non: je sais que mon anéantissement sera complet. D'ail-leurs, je n'aurais pas de grlce à espérer.

Qui ouvre la porte de ma chambre funéraire? J'avais dit que personne n'entrlt. Qui que vous soyas, éloignez-vous;" {12)

{11) Voir Maràel Jean et Arpad Mezei, Maldoror, Bd. du 'avois, Paris 1947, chap. sur "La vie prénatale", str. 10.

(15)

Ducasse reconnait lui-mime l'inf'luence de Byron. Dana une lettre A son banquier Daraase, il dit l propos des "Chants•:

•c•était quelque chose dans le genre du Mantrad de B7ron et du Konrad de Jlisçkiéwickz, mais, cependant, bien plus terrible.• (13)

L'une des influences les plus marquantes, sur Dtlcassa, a sans doute été celle d'Bug~ne SU.e, 1 •auteur cél\bre des "Jystères de Paria•. Ducasse a d'ailleurs ••· prunté l un héros de Sue son paeudonJae de "Lautréamont•, qui est aussi le titre du roman. (14)

La héros du Ducasse, "Maldoror•, n'est pas sana présenter nombre de points communs avec ceux de Sue, at Dtlcasse lui-m3me le présente comme un noUTeau "Roc811l• bole" (titre et héros d •un autre roaan de Sue).

(13) Edition des Oeuvres Compl~tes d'Isidore Ducasse. (Le livre de Poche, no 1117-1118, Paris 1963) P• 443 (14) .Bug,ne SUe, Lautréamont, (Librairie de Charlas

(16)

" Mais affirmer exactement l'endroit actuel que rem-plissent de terreur les exploits de ce poétique Rocambole est un travail au dessus dea forces possibles de mon épaisse ratiocination. Ce

ban-dit est, peut-ltre, à sept cents lieuE de ce

P&7S; peut-être il est à quelques pas de vous." (15)

L'infiuence cle SUe et du roaan noir se fait sentir tout au cours des "Chanta". Ducasse utilise large-ment les procédés de ce genre littéraire, ce qa•il avoue,

d'ailleurs, explicitement dans les réflexions dont il par-abe son récit:

(15) l16)

•{ce serait bien peu connattre sa profession d•écrivain à sensations, que de ne pas, au moins, mettre en avant les restri.ètbes in-terrogations après lesquelles arrive immédia-tement la phrase que je suis sur le point de terminer.)• (16)

Ch. VI Ch. VI

str. 2 P• 318. str. 1 p. 322-323.

(17)

"Or, dans cet endroit que ma plume ••• vient de rendre mystérieux ••• " (17)

Comme Sue, Ducasse sait utiliser la "passion connue (du lecteur) pour les énigmes" (18) en mettant l l'épreuve sa "perspicacité" (18) et son goût du mystère:

"Ce Mystère ne te sera révélé ••• que plus tard ••• à la tin de cette~rophe." (19)

Il peut &tre intéressant, dès lors, de remar-quer que les "Chants" eux-mêmes ont souvent l'aspect d'une énigme, et c'est d'ailleurs sous cet aspect que nous avons décidé de les aborder, ce qui pourra expliquer le carac-tère morcelé et discontinu de notre étude. En effet, pour "découvrir l'énigme" (20) ou les énigmes que nous propose

(17) (18) (19) (20) Ch. VI str. I p. 321. Ch.

v

str. 2 p. 268. Ch. v str. 2 p. 269. Ch. VI str. 1 P• 323.

L'attitude de Maurice Blanchot qui prétend"qu•aucune analyse (des Chants de Maldoror) n'est possible" équi-vaut pour nous lune démission devant l'oeuvre: ce qua nous ne pouvons accepter.

Maurice Blanchot, Lautréamont et Sade. Ed. de Minuit, Paris 1949. p.35.

(18)

l'auteur, nous sommes obligés souvent d'inverser l'ordre des "Chants", en aous efforçant de reconnaitre tout ce qui est susceptible de nous fournir quelque éclaircissement, ce qui nous amène à envisager diverses hypothèses.

De Paul Lespès, qui avait connu Dllcasse au lqcée

de Pau, nous savons également qu'il admirait les contes

d'Edgar Poe qu'il avait lus avant même d'entrer au lycée.(21) Il existe d'ailleurs entre Lautréamont et Poe une parenté assez étroite, ne serait-ce que dans le goüt de l'horreur et du macabre.

Bien qu'il ne soit pas question d'influence littéraire proprement dite, on peut mentionner également

les emprunts de Ducasse à P~cyclopédie d'Histoire

Natu-relle" du Dr. Chenu (22), et dont certains reproduisent presque mot pour mot le texfgmse t'Encyclopédie", tels par e•emple le passage sur le vol des étourneaux (23) ou encore la description du pélican (24) • Maurice Viraux

(21) "Notes pour une vie d'Isidore Ducasse et de ses écrits par Maurice Saillet dans l'édition des Oeuvres complètes d'Isidore Ducasse ( Le livre de Poche, no 1117-11181 Paris 1963) p. 21.

(22) Dr. Chenu, "Encyclopédie d'Histoire Naturelle" (Paris, Marescq et Cie Edit-eur, 1850-1861)

(19)

a déjà relevé ces emprun~s dans son ~icle "Lautréamont et le Dr. Chenu" (25). llous ne Cl'OJ'ODB pas utile de repro-duire ~ ces emprunts. Le lecteur désireux d'J' voir de plus près pourra se r•porter lui-mtme 1 l'article de Maurice Viroux. (26)

Bous trouvons également au début d'une lettre de Ducasse

A

l'éditeur Verboeckhoven une petite indication

sur quelques uns des auteurs dont 11 a pu sulrir 1 'influence. Il dit, alors, expliquant son ouvrage:

•J • ai chanté le mal comme ont f'ai t tis,$kiéWickz, Bpon, Milton, Southe71 A. de Kuaaet, Baudelaire, etc." (27)

(24) Ch. Y str. 2 P• 270

(25) lla.urice Viroux, Lautréamont et le Dr, Chenu (Mercure de France, ler déce.bre 1952)

(26) Bous attirons l'attention du lecteur sur le f'ait que ces emprunta révélés par Maurice Viroux ont également été reproduits dans l'édition des Oeuvres Complètes d'Isidore Ducasse, (Le Livre de Poche,

DO 1117•1118) P• 26)-269-270-297•))9.

l27) Edition des Oeuvres Complètes d'Isidore Ducasse

(20)

Si mince que puisse &tre ce renseignement, il n'en est pu moiu une indication de plus sur le genre de littérature dont poUT ait se nourrir 1 'esprit du ~ eune Ducasse.

De tout ce que nous venons de voir D.OUI

r•ar-quons que les gotte de Ducasse le portent plut6t vers la littérature romantique. Ses affinités personnelles le rat-tachent d'ailleurs 1 l'esthétique romantique. Il dit encore dana cette aême lettre l Verboeckhoven:

"lfaturellement j 'ai un peu exagéré le diapason pour faire du nouveau dans le sens de cette littérature sublime qui ne chante le désespoir que pour opprimer le lecteur, et lui taire dési• rer le bien comme remède." (27)

L'exagération est une attitude romantique. L' exaspératioD des sentiments est le propre du romantis• me, et s'oppose l cet art tait de retenu, de pudeur et de modestie qu'est le classicisme (28). Ce aont ll deux

esthétiques différentes.

(28) Cf. André Gide, Incidences

P. 37-41, Billets l Ang,les (sur le classicisœe). B .R.J'. , Paria 1924.

(21)

Cette question dea sources et dea influences n'éta:nt, en solllle, que d'Wl intérlt limité pour la com• préhension de l'oeuvre, nous croyons devoir ar.rlter 1~ nos remarques.

(22)

LA STRUC!URE DE L'OEUVRE

Ious avons déjl remarqué le dépaysaaent que provoque les "Chants" chez le lecteur, et l'impression d'incohérence que laisse une premi~re lecture. Nous allons maintenant regarder l'oeuvre d'un peu plus près, et voir

si l'on peut malgré tout y reconnattre une structure. Dans les premières strophes de chaque •Chant", l'auteur nous donne nombre d'indications sur son ouvrage. Ces strophes forment une sorte d'1œt Poétique• par lequel Lautréamont définit, ou, plut8t • esquisse une définition de ce qu'il veut faire. Iov.s appuyant sur ces indications

Je

nous allons maintenant ess&Jer ~écouvrir la structure des "Chants" et voir si l'on peut expliquer le mouvement qui anime 1 'ouvrage.

On constate que 1 'auteur lui-mime nous donne

<!-une expl14Mation du mouvement des "Chants• par l'éton-nante comparaison avec le vol des étourneaux: (1)

(1) Contrairement à ce que pense Paul Lesp~s lEdi tion des OettYres Complètes d'Isidore Ducasse, Le Livre de Poche no 1117-1118, p.2J) ce passage n'est pas

d à l'esprit d'observation de Ducasse, mais a bel

Il

et bien été reproduit l partir de l'Encyclopédie

,,

d'Histoire Maturelle du Dr. Chenu. (Voir note 19 du chapitre précédent).

(23)

"Les bandes d'étourneaux ont une mani,re de Yoler qui leur est propre, et semble soumi-se à une tactique uniforme et régu1i~re, {2) telle que serait celle d'une troupe disci• plinée, obéissant avec précision l la voix d'un seul chef. C'est à la voix de l'instinct (2) que les étourneaux obéissent, et leur instinct les porte l se rapprocher toujours

du. centre du peloton, tandis que la rapidité de leur Yol les emporte sans cesse au-dell; en sorte que cette multitude d'oiseaux, ainsi réunis par une tendance commune wers le mime

poüt aimanté, allant et venant sans cesse, circulant et se croisant en tous sena, forme une espitce de tourbillon fort agi té, dont la masse enti.re, sans suivre de direction bien certaine, parait avoir un aouvement géné-ral d'évolution sur elle-ma.e, résultant des mouvements particuliers de circulation pro-pres l chacune de ses parties, et dans lequel le centre, tendant perpétuellement ~ se dé-Yelopper, mais sans cesse pressé, repoussé

(24)

par l'effort contraire des lignes environ• nantes ~ui p~sent sur lui, est constamment plus serré qu'aucune de ses lignes, les-quelles le sont elles~Omes d'autant plus, qu'elles sont plus voisines du centre.• (3)

Ce mouvement convergea:t....,. divergeadt, est celui m3me des "Chants•. Bous remarquol'18 en effet une tendance

A 1 • éparpillement, ~ la diversion, qui nous donne 1 'im-pression d'une oeuvre sans unité et ae contribue pas peu

l désorienter le lecteur. Nous remarquons également un mou-vement converge'ld~i;, un retour Yers le centre qui se

mani-feste dane 1 •oeuvre par un retour aux m&mes thèmes, aux mimes complexes ps7chologiaues, aux m&mes obsessions, lesquelles sont reprises alternativement sous des formes différentes. Et toute l'oeuvre réside dans cette perpé-tuelle teDSion des forces centrifugea et centripètes.

"Toi, de mime, ne fais pas attention l la manière bizarre dont je chante chacune de ces strophes." {4)

(3) Ch. V str. 1 p. 262-26) (4) Ch. V str. 1 P• 264

(25)

nous dit Lautré8lllont · l. la sui te de sa comparaison avec le vol des étourneaux.

Le mouvement des "Chants" n'est pas li:a.éai• re coJIDie dans l •oeuvre classique, ol prnaut une unité rigoureuse dans une progression continue. La r'ltgle clas-sique des trois unités est une création éminemment ra-tionnelle, et peut très bien s'expliquer dans une épo-que qui a le culte de la raison, tel épo-que le dix-aepti,me siècle, que l'on peut considérer comme l'lge d'or du classicisme français. Mais les "Chants" se situent abso-lument aux antipodes d'une telle conception de la litté• rature. Ce que l'on trouve dans les "Chants", ce n'est pas une unité, mais une pluralité de temps, de lieux et d'actions. (Inutile de dire que les "Chanta" sont égale-ment tort éloignés des règles classiques de bienséance et

de vraiseablance). C'est que le monde des "Chants" n'est pas celui de la raison, mais bien au contraire celui de l'irrationnel. l5) Les •chants" nous présentent une

(5) Certains critiques coBIIIle .ltémy de Gourmont en ont conclu que Lautréamont était fou. lous le croyons au contraire d'une très arande lucidité. C'est consciemment qu'il se lance (selon l'expression de Salvador Dali) l "la conqu&te de l'irrationnel". Rémy de Gourmont, Le Livre des :Ma•ques, Mercure de France, Paris 1911, p.l40.

(26)

investigation ps~chologique, une exploration de l~in­

conscient, et leur mouvement neffüt que s'accorder l

leur objet qui est par sa nature irrationnel.

ce mouvement est en quelque sorte c~clique,

comme le montre la comparaison avec le vol des étour-neaux. Chaque "Chant" peut se comparer

A

une révolution

de la roue, et les ré.olutions ram~nent inlassablement les mimes th~mes, les mêmes obsessions par ce retour

c~clique •••

Le monde de l'oeuvre se meut dans un espace multidiaensionnel. Cet espace est celui de l'inconscient:

celui des r'ves et de l'homme intérieur. l6f

L'aventure est celle de l'exploration. C'est

l une plongée dans le monde de l'inconscient que Lautré-amont convie son lecteur. Mais le monde de l'inconscient

(6) L'analyse des rtres est, pour Freud, la "Via regia", la voie royale vers l'inconscient.

Cf. Freud, La Science des R&ves, Les Presses Univerai taires de France, Paris 1950 ,

Introduction l la psychanal~se, p. 69 1 224 ~ Petite Bliblioth~que P~ot, Paris 1962

également JUD& / C. G., Ps:rcholosie de l'inconscient p. 56-57 , Librairie de 1 'Université, Gen\ve 1952

(27)

c'est aussi celui de l'irrationnel. C'est un monde oà les lois sont inversées et oà les rapporta entre les choses ne sont plus le•·: mfm.es. N'ayant plus la réalité extérieure pour s'accrocher, il n'est paa 'tonnant, d~s lora, que le lecteur souvent perde pied.

Lautréamont semble conscient du dépaysement qu'il provoque chez son lecteur.

"Cette préface hybride a été exposée d'une mani~re qui ne paraftra peut-être pas assez naturelle, en ce qu'elle surprend pour ainsi dire le lecteur, qui ne voit pas tr~s bien où l'on veut d'aborél le conduire; mais ce sentiment de reaarquable stupéfaction, au-quel on doit généralement chercher 1 sous-traire ceux qui passent leur temps 1 lire des livres ou des brochures, 3'ai fait tous mes efforts pour le produire". (7)

André Breton avait d.é3à signalé ce sentiment de pluralité que ressent le lecteur en face des "Chants":

(28)

"Lautréamont nous àoD:ne la seuation de plusieurs mondes l la fois, au point que nous ne saurons bientSt plus nous condui-re dans celui-ci. n {8)

Dana ce labyrinthe du psychi•e huaain, c • est

l la rencontre du "minotaure de lnos) instincts pervers" { 9) que nous partons. uar le minotaure c'est Jlaldoror, mais c'est aussi le lecteur, c•est-l-dire nous~lmes.

Et toute l•oeUYre ne consistera qu'l révéler le lecteur

l lui-même:

{8) (9)

"••• j'arrache le masque l sa figure trai-tresse et pleine de boue, et je fais tom-ber un l un, comme des boules d 1 ivoire sur un bassin d 1 argent, les mensonges sublimes

avec lesquels il se trompe lui-même:• {10)

"0 être humain! te voUA, Jl&intenant, nu coDille un ver, en présence de mon glaive

de di81D&Jlt 1 " (10)

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Ch. VI str. 2 p.)l7 llO) Ch. II str. 1 p.9J

(29)

Il existe une différence tr\s nette entre les cinq premiers "Chants" et le sixi\me. Les cinq premiers constituent une sorte de préface l l'oeuvre future.

"Les cinq premiers récits n'ont pas été inu-tiles; ils étaient le frontispice de mon ou-vrage, le fondement de la construction, l•ez-plication préalable de ma poétique future." (11)

Ces cinq "Chanta" forment la partie

fQ'Ilthé-tique de l'oeuYre. t. aixiè.e, pour sa part, constitue le premier développement de la partie analJtique. Ce

"Chant", l'auteur le compose sous forme de roman, et c•est sous même forme qu'il se proposait d'écrire les dévelop-peaeats ultérieurs.

Tout ce"Chant"raconte la tentative de séduc-tion de ller'f'7D par ll.aldoror, et, finalement, le meurtre de l'adolescent. Des éléments étrangers vieuneàt se greffer sur cette histoire, souvent introdui ta en tin de strophe et de manière l piquer la curiosité du lec-teur. Mais nous y reviendrons plus loin.

Aussi le

aixi-.e

"Chant" est-il d'un tout autre ton:

(30)

"••• ne croyez pas qu'il s'agisse encore de pousser, dans des strophes de quatorze ou quinze lignes • ainsi qu • un él"e de quatrUse, des exclamations qui passeront pour inopportunes, et des gloussements sonores de poule cochfchinoise, aussi crotesques qu•on serait capable de l'i-JDa&iner, pour peu qu • on s • en donnlt la peine;" (12)

On comatate ici, l mesure que l'oeuvre pro-cresse, que l'agressivité rencontrte d~s le d'but, et qui s'exprimait souvent l travers le syabolisme animal, va en diminuant. (13) L'oeuvre a servi t'exutoire: par elle s•est effectué un cenre de catharsis. Au début du

(12)

ll))

Oh. VI str. 1 P• )13

~

Selon Ré_, de Goumont, c'est "la conscience qui s'eu va à mesure que l•oeuvre progresse. Nous ne partageons pas cette opinion. Les dernières paces des "Chants" nous semblent procéder du m3me état d' esprit que les premit.res.

Ré1111 de Goliaont, Le Livre des Masques, Mercure de France, Paris 1911. p.l40.

(31)

cinqui~e "Chant", l'auteur parle de la guérison du lecteur. C'est que la catharsis est valable aussi pour le lecteur:

"••• il faut espérer, quoique ta tête soit encore malade, que ta guérison na tardera certainement pas 1 rentrer dans sa derni~­ re période. Pour moi, il est indubitable que tu vogues déj1 en pleine convalescen-ce;" (14)

"et je ne désespère pas de ta compl~te dé-livrance, pourvu que tu absorbes quelques su&stances médicamenteuses; qui ne feront que hlter la disparition des symt6mes du mal." (15)

Et derrière les deux remèdes que propose iro-niquement l'auteur: l'anthropophagie et l'absorption d'une certaine potion lénitive composée de "pus blennorrhagique 1 noyaux, dans lequel on aura préalablement dissous un kyste pileux de l'ovaire, un chancre folliculaire, un prépuce enflammé, renversé en arrière du gland par une paraphimosis,

(14) Ch. V str. I p. 266

(32)

et trois limaces rouges." (16) Ne peut-on voir tout simplement le conseil d1assimiler sa sexualité. ll7)

(Nous verrons plus loin, à propos du Créateur anthropo-phage, ce caractère sexuel de l'anthropophagie). Au fond nous ne sommes peut-&tre pas aussi éloignés de la psy-chanalyse que nous ne pourrions le croire.

(16) Ch. V str. l p. 267

-(17) Compazer avec les conseils de Mme de Saint-Ange

A

~ugénie dans "La Philosophie dans le Boudoir" de Sade. Il faut dire que l'ironie n•est pas ab-sente non plus de l•oeuvre de Sade.

Sade, Morceaux Choisis, Ed. Pierre Seghers Paris, pp 67 sq.

(33)

L1INCOBSCIER! ET LA NATURE HUMAINE

!lous avons déjl abordé, dana le chapitre sur la structure de l'oeuvre, le rôle de l'inconscient dans les "Chants•. Bous avons TU alors que l'oeuvre nous convie

1 une exploration du "labyrinthe intérieur". (1) Aussi est-ce à cette investigation psychologique que nous allons consacrer ce chapitre.

L'une des plus belles strophes, l'hymne l

l'océan, nous semble bien &tre en mime temps un hymne l

l'inconscient. Cette interprétation nous est d'ailleurs suggérée par Lautréamont, lorsqu'il compare la profondeur de 1 'océan l la profondeur du coeur humain:

•souvent, je me suis demandé quelle chose était ~e p~us facile à reconna!tre: la pro-fondeur de l'océan cu la propro-fondeur du coeur

(1) Le monde de l'inconscient sera aussi pour les SUrréalistes le domaine priTil,gié.

Voir Michel Carrouges, .André Breton et les données fondamentales du S11rréalisrae. ( Gall:bnard, Paris 1950), Le 6hamp d'exploration pp. 281 sq.

(34)

humain!" (2)

•oui,

quel est le plus profond, le plus

iapénétrable des deux: l'océan ou le coeur humain? Si tre~te aDS d'expérieD.• ce de la vie peuvent jusqu'l un certain point pencher la balance vers 1 'une ou l'autre de ces solutions, il me sera pel'llis de dire que, malgré la profon-deur de l'océan, il ne peut se mettre en ligne, qumt à la comparaison sur cette propriété, avec la profondeur du coeur humain. • ( 3)

lt l l'appui de notre interprétation, on pourrait citer encore cette référence au progr~s de la

{2) Ch. I str. 9 P• 57

Cf. Baudelaire:"Homme, nul n•a sondé le fond de tes abtmes 0 mer, nul ne conna!t tes richesses intiaes, Tant voua 3tes jaloux de garder vos secrets!• (L'Hom.m.e et la mer, poue

nV

daD8 J.es J'leurs du Jlal).,

(35)

psychologie que nous trouvons quelques lignes plus loin, toujours dans la même strophe:

"Il reste 1 la psychologie bee,ucoup de progr~s l faire. Je te salue, rleil océan." (4)

Le monde de l'inconscient, c•est celui de l'inconnu. Qu'allons-nous rencontrer dans cette exploration? Minotaure ou nousmêmt\1. l'lme hwaaine est aussi · . ,. -une énigme. Qui peut savoir tout ce que recèle le coeur humain? (5)

"La gueule est formidable. Ille doit ltre grande vers le bas, dans la

di-rection de l'inconnu!" (6)

(4) Ch. I str. 9 P• 59

l5) Voir la légende antique du ainotaure caché dans

le labyrinthe. L • explora ti on du labyrinthe, c 1 est celle de notre monde intérieur. La rencontre de Jl:f.notaure, c • est l'ho•• en face de lui-aime;

Minotaure n•étant que la partie obscure de nous-aimes. l6) Ch. I str. 9 P• 60

(36)

l'homme à lui-m3me, à montrer au grand jour les "recoins obscurs" (7) et les "fibres secr~tes des consciences".(7)

" ••• chacun s,ty reconnaftra, non pas tel qu'il devrait 3tre, mais tel qu'il est." (8)

La nature humaine est un tissu de contradic-tions. C'est un mélange inextricable de tendances opposées et de sentiments contraires. Les "Chants" seront la révé-lation des désirs profonds que nourrit le coeur de l'homme, l'aveu de l'inavouable.

L'inconscient c'est le domaine par excellence des instincts, des passions et de tous les sentiments plus ou moins troubles. C'est là que se retrouvent les désirs refoulés et les schèmes d'une pensée lubrique. (9) De tou-tes les passions, il en est une particuli~rement vivace, c'est "la passion connue qui cause presque tous nos maux"(lO)

( 7) (8) Ch. Ch. IV str. str. 2 P• p. 223 C'est nous

•ùi

soulignons

(9) Cf. Les théories freudiennes sur l'inconscient. Le

prin-cipe de plaisir remplace dans l'inconscient le prinprin-cipe de réalité qui prévaut dans la réalité-objective.

Cf. André Breton, Le Surréalisme et la Peinture, (Brentano's) p. 94.

(37)

c•est-~-dire la sexualité. Passion d'autant plus violen-te que la plupart des hommes, dont la faculté de sublimer les instincts est souvent fort riduite, se trouvent alors dans l'impossibilité de répondre adéquatement aux exigen-ces d'une libido r'priale e~ tou~ours insatisfaite.

L'empire du pou, cette "idole i~orme et san• guinaire• (11) sur l'humanité, ne représente-t-il paa, en réalité, dans les "Chants•, l'empire de la sexualité sur l'homme'/

"••• l ce nom sacré, baisant universelle-ment les chdnes de leur es claT age, tous les peuples s'agenouillent ensemble sur le parvis auguste, •••" (12)

Le pendu du quatrième "Chant" nous semble bien être également une image de l'homme pendu l sa sexualité.(l))

(11) Ch. Il str. 9 P• 128

{12) Ch. li str. 9 p. 128

{13) Ch. IV str. J

ct.

Baudelaire, "Un Voyage l c;yth,re", pobe CXLI dans Jees l'leurs du Jlal.

L'allusion l Vénus se retrouve également dans les "Chants": "Le temple antique de Denderah ••• " (p.215) •

(38)

L'image de la potence qui serait peut-ltre un symbole sexuel est d'ailleurs habilement préparée à la strophe précédeate par de nombreuses allusions; par exemple, ces symboles dédoublés: "Deux piliers" (14), "deux épingles" (14), "deux tours" (14), "deux

bao-bads" (14), sur lesquels 11auteur insiste étrangeœent.(l5)

Le sadisme se présente coJ:De intimement lié à la sexualité, en tant que fonction substitutive du

plaisir t ou élément catal,-seur v a t pour fonction d•accro1tre l'attrait érotique.

oa

peut s'en faire une idée en lisant le passage du premier "Chant" oh 1• auteur nous aontre les tortures infligées . à un adolescent , ~16), et oh se m&Difeste son "génie 1 peindre les délices de la cruautt§." (17)

(14) Ch. IV etr. 2 P• 217

ll5) C'est aussi l'interprétation qu'en donne Marcel Jean. Marcel Jeu et Jlezei Arpad, ltlaldoror, Ed. du favois, Paris 1947. {Voir Chapitre sur "La vie génitale•). ll6) Ch. I atr. 6 P• 42 l 45

ll7) Cf. ~audelaire, Art Homantigue, p. 222 : "les délices du crime", (Louis Conard Kd., Paris 1945).

également Georges Blin, Le Sadisme de BaRdelaire, José Oorti, Paris 1948, p.l3 l 72 •

(39)

"Ohl comme il est doux d'arracher de son lit un enfant qui n•a rien encore sur la lèvre supérieure, et, avec les yeux très-ouverts, de faire semblant de passer sua-vement la main sur son front, en incli• nant en arri,re ses beaux cheveux! Puis, tout l eoup, au moment où il s'y attend le moins, d'enfoncer les ongles longs dans sa poitrine molle, de façon qu'il ne aeure pas; car, s'il mourait, on n'au-rait pas plus tard l•aspect de ses mis~­ res. Ensuite, on boit le sang en léchant les blessures; et, pendant ce temps, qui

devrait durer autant que l'éteraité dure, 1' enfant pleure. Rien n• est si bon que son sang, extrait comme ~· Tiens de le dire, et tout chamd encore, si ce ne sont ses larmes, amères comme le sel." (18)

Bous avons encore un exemple assez frappant de sadisae, mais cette fois h4térosexuel, dans le passa-ge o~ Kaldoror viole une petite fille et se livre

A

des

(40)

actes d'une cruauté inou!e sur le corps de la malheureu-se enfant. (Voir Chaat lii, strophe 2).

L'une des grandes contradictioas de l'homae, c'est qu'il est un ltre raisonnable doué d'instincts &Di-maux. L'homme est un ttre déch1r4', en perpétuelle tension entre ses instincts et sa raison. Au Diveau de l'animal, il n•existe pas de conflit. Celui-ci est conduit par ses instincts. La strophe oà Maldoror r&va qu•il est métamor• phosé en pourceau \19) représente 11 abandon A la vie iDa•

tinctive, en dehors de toutes contraintes sociales ou aa-tres.Il peut alors se laisser aller l ses "besoins inti• mes• (20) et l ses "joies pestilentielles". (20)

L'un des th,mes centraux des "Chanta", est la suprématie du mal.

"••• je découvris, dans les ténébres de ses en• traill~ ce vice néfaste, le mal! supérieur

(19) aichel Carrouges interprète cette métamorphose comme une tentative pour échapper 1 la présence d.u Créateur.

Michel Carrouges, La Jlystique du Burhomme, N .R.P. 1 Paris 19481 p.49 •

(41)

ea lui au bien." { 21)

Les "Chants• affirment l'égo!ame fondamental de la nature humaine. Il n'Y a pu d'homme bon:

"• •• la bonté. •• je ne l'ai trouvMnulle part." (22)

De nombreux passages nous donnent des exem• ples de la méchanceté humaine, telle, entre autres, la strophe de l'omnibus. (23) Parfois encore l•auteur n'y fait qu •une discrète allusion, mais caractéristique, l

1 'égo!sme hullain. Ainsi, au sin•• "Chant", une femme s'évanouit sur le paYé, et personne ne daigne la rele• ver. Au contraire, chacua est pressé de s'éloigner. (24)

A la notion du Jl8l se rattache celle de la fatalité. Le mal est dans l'homae, incrusté en lui, qu'il le Teuille ou non, et ceci par la faute du Créa• teur qui l'a fait tel• D1o~ le déter.minisme des "Chants".

(21) (22) (23) (24) Ch. II Ch. Il Ch. Il str. 10 p.

137

str.

12

p.

147

str.

4

Ch. VI . atr. 1 p. 320

(42)

Ainsi noua voyons Jla.ldoror e:ntra!trf malgré lui par une "cruauté extr3me et i:nstin.ctiTe, dont il a hoDte lui• mime (25), "cruauté innée, cruauté qu'il n'a pas dépendu de ( lui ) d'effacer" (26).

"Le 118.1 que Tous m1&Tez fait est trop grand., trop grand le 118.1 que ~e Tous ai fait, pour qu'il soit volontaire".(27)

Ce dont témoigne aussi cette oeuvre, c'est une "soif insatiable de l'infini". (28)

"••• j'éprouve le besoin de l'infini ••• Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin!" (29)

"Les Chants", c'est une &me qui se cherche et se révèle à la fois, l travers les "débordements orageux" ( 30) d'un •uour affamé, qui se dévorerait lui-a&me • ( 30)

eaJ>

Ch. I str. 11 p. 69

(26) Ch. I str. 10 p. 64 (27) Ch. I str. 10 p. 65 (28) Ch. I str. 8 p. 50 (29) Ch. I str. 8 P•

51

(43)

et ne parvient jamais l "apaiser sa soif". (30)

Qu'y a-t-il donc dans le coeur de l'hoœme,que rien ne puisse le satisfaire? Et d'oÙ lui Tient cet amour immense et insensé, en qulte perpétuelle d'un objet qu'il ne parvient jamais l atteindre? Quelle énigme que l'hom-me, aspirant l l'infini, et obligé de TiTre sur cette

"plan~te cocasse, mais superbe" (31), dans une réalité sordide, au milieu d'un monde absurde! Quel eat cet ange déchu A qui l'on a ooupé.les ailes?

Ce qu'il 7 a dans le coeur de l'homme, c'est un désir i.auaense de bonheur, mais qui ne trouve nulle part son assouTisseœent. Dana le bien comme dans le mal ce que l'homme recherche est toujours une réponse l ses aspirations.

"Hélas! qu'est-ce donc que le bien et le

mal r Bat-ce une même chose par laquelle nous témoignons avec rage notre impuis-sance, et la passion d'attein~• 1 l'in-fini par les moyens mames les plus insen-sés?" (32)

()0) Ch. III atr. 1 P• 17)

t31) Ch. atr. p.

(32) Ch. I str.

6

p. 44

(44)

Accablé par les douleurs de toutes sortea, l'homme eat un aveugle qui cherche sa route, et avance en tâtonnant dans les ténébres, en ignorant son destin.

•Le secret de notre destinée en haillons ne nous est pas divult'·" {33)

Mais l'homme est plus que la bite. Il lui faut davantage. Il veut son paradis. (34) Bt si rien dans ce monde ne peut le satisfaire c'est peut-ltre là, apr~a tout, le aigne qu'il a droit 1 autre chose.

(33) Ch. II atr. 3 p. 99

(34) Le surréalisme, aime a'il rejetait tou'b!.idée d'au-dell, n'en coaportait pas moins cette aspiration une vie différente qu'il faisait ré&t4er en un "point suprlme" ou •surréali té".

Ct. André Breton, aanifestea, p.92.

Voir également Perdinand Alquié, La Philosophie du Surréalisme, li'lemmarion, Paris 1956.

(45)

JlALDOROR

Jlaldoror serait d • abord un personnage fabuleux, sorti tout droit de l'imagination de son auteur. C'est le héros ~stérieux, l la fois vampire ll), ange déchu l2), et cavalier fant6me (3), marqué par un destin inexora-ble, évoluant dans un monde de rive, mélange de riel et de fiction, l travers les plus extraordinaires métamor-phoses, et réunissant en lui seul les caractéristiques les plus frappantes d•un monde fantastique. Mous le voyons, transcendant le temps et l'espace, évoluant •dans les

courants sous-marins• (4), ou 0parmi les couches

d•at-mosph~re qui avoisinent le soleil• (5), ou encore

(1) (2) l)) l4) l5) Ch. I str. 14 Ch. YI str. YI Ch. I str. 13 Ch. IV str. 5 Ch.III str. 1 P• 91 p. 351 P• 89 P• 240 p. 175

(46)

pétrifié depuis quatre si~cles en une plante r'pugnaa-te servant d•a'Dri au: aniaau: les plus hideu:. l6) Les "Chanis", c'est le monde recréé l la mesure d•une imagi-nation débordante, et au centre de cette Tision de l'u• Divers, il y a Maldoror.

Mais Maldoror c•est aussi une pro~ection de l•auteur. Il est la personnification de cette partie de l•homme qui s•oppose au ~oi". (7J Il est ltincar-nation imaginée des instincts, des exige~ces de la libido, des impulsions profoades du psychi•e, cher-chant leurs satisfactions dans des manifestations sa• diques.

Lautréamont, d'ailleurs, tantSt s'identifie &Tee son héros, et tant8t s•ea détache. -Les Chants

de Jlaldoror•, ce sont les ttChants" raconta:at Maldorort

mais aussi les 11Chants" écrits par Jlaldoror, l•auteur

souvent ne faisant qu•un avec "l'enfant de \son) ima-gination". (8)

Nous saTons que nos rlves représentent

sou-(6J Ch. IV str. 4

l7) Le "moi" ét&Bt pris selon la teminololie freu-dienne.

(47)

vent la réalisation d'un désir. (9) Ils sont une porte ouverte sur le monde de l'il:Lconacient. Les "Chants• sont coliDle une sui te de rives éveillés.

c •

est une oeuvre qui semble jaillie de l 1incou.cient et dont les illages

se-raient le produit d'une écriture plus ou moiu automa• tique. (10)

C'est aussi une oeuvre de défoulement. Du. con-flit entre les iBstinets et la ceusure personnelle ou sociale Batt le refoulement. Dans l'oeuvre l'auteur se lib~re de ses propres tendances et de sou agressivité, en les rejetant sur son héros. Les métamorphoses D'7 sont souvent que l'impulsion de l'homae imaginée sous

{9)

ct.

:Preud, lntroductioJl 1 la paqchanalzse,chapitre 14, lPetite Blibliothlque P~ot, Paris 1962). (10} Philippe l:>OUpault, prétend que Ducasse aurait écrit

~es cinq deraiers •Chants" tout d'une traite grtce ~la vitesse que permet l'écriture automatique. Cette opinion DOUS semble peu Yraiseablable.

Etude de ~hilippe Soupault dans l'édition des oeuvres Compl,te d'Isidore DUcasse tBd. Charlot, Paris 1946) P• 28

(48)

tant de se réaliser d'une manilre inoffenaive, qui le "défoule".

:8a.ia en m&ae tempa que défoulement, !•oeuvre est aussi sublimation. L'énersie vitale étant alors uti~ lisée à produire une oeuvre d'art.

(11) Ce que Bachelard appelle "le compleze de Lautréa-mont", qui consiste à voir des aniaauz l travers les hommes, ne nous semble pas une e:xplicatio:a tr~s satisfaisante.

(Bachelard, Lautréamout, José Corti, Paris 1939.) Les métamorphoses noua semblent plut6t inspirées par une im:püaion intérieure, telle que l'agressi-vité, qui trouve, alors, par aaalogie aTec la fol'llle e:J-.le, une réalisation pour ainsi dire naturelle l traTers l'animalisation.

Le dégoat, la oraiate, ou tout autre sentiment que l'on ressent eD:Vers une autre personne, peuvent également faire na!tre l•animslisation. La personne en question sera alors représentée soua forme d'a-nimaux bideuz ou redoutables.

(49)

•Les Chants cle Jlal.doror• seraient ezdin 1 'épo• pée d'une be s'ezdonçet de plus en plus dans le mal,

jusqu'à la damnation éternelle.

"Quand la destinée 1 'Y portera (dalla le gouffre béant de 1 'enfer} , le ttmèbre entoD.DOir n18ll1'8 jamais go1lté de proie plus savoureuse, D.i lui conteaplé de de-meure plus convenable.• (12}

C'est le drame d'une conscience, et eom ache-minement prosressif vera la damnation. Draae de la desti-née, ol 1~-..evû* atra!né l sa perte, et où le mal

vainqueur, élimine finalement ce qui restait encore de bie:a.

D'abord, au premier "Chat•, dans la strophe

du ver luisant, c' eat 11 abandon de la vertu:

(12) (13)

"Dès aujourd'hui, j'abandonne la vertu•. (13)

Ch. I I Ch. I

str. 1 p. 94 str. 7 P• 47

(50)

llaldoror tue le Ter luisant, et fait alliance avec la Prostitution. (14)

Au "Chant" suivant, il se débarrasse de sa cons-cience:

•co.me la comscience &Tait été eDYoyée par le Clriateu.r, 3 e crus comenable de ne pas me laisser barrer le passage par elle •••

••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• Je chassai euuite, hors de ma maison, cette femme, ~ coups de fouet, et je ne la revis plus." (15)

(14) Linder Toit cla.na cette strophe une traaaposition de 1 • "ApocaJ.np,tt •

Cette interprétention nous semble peu vraisembla-ble. Ce passage nous semble plut8t inspiré de

Dallte. (Voir le chapitre des lo~ et Influences)

Linder Bans Rudolf, Lautréamont: Sein Werk und sein Weltbilà.. Imprimerie du Dr. J .Weiss, A.ffoltern-su.r-A.lbis,

1947.

(51)

Au troisilme "Chant", fiD&lement, dans un com• bat symbolique, Kaldoror changé en aigle vainc le Dragoa

Espérance:

"Ainsi donc, Jlaldoror, tu as vaincu 1 'Es-pérance! Désormais, le désespoir se nour• rir.a de ta substance la plus pure l Désor-mais, tu rentres, l pas délibérés, dans la

carrit.re du mali" (16)

(52)

LE DIEU DES CHANTS

Le Dieu dea "Chants", c'est d'abord le grand responsable de la mis~re humaine, celui contre qui re-jaillit l'amertume et qu'on accable d'injures. C'est une divinité malfaisante et injuste qui se compldt dans ses caprices infimes et sa cruauté inutile, en s'amusant des souffrances de l'humanité. Un Dieu hypo-crite et débauché, source du mal; une sorte de divinité satanique.

liais derrière cv premièr sens, manifeste, il semble bien que le Dieu des "Chants• représente au-tre chose: nous avons cru y Toir une image du p~re. La haine dea "Chants" nous para!t bien en effet 'tre diri-gée contre le p~re. (Le père étant considéré ici comme celui qui exerce 1 •autorité et e'oppose aux déeilrs~-·et

l la liberté de l'individu).

Cependant il faudrait dire aussi que sous cette image primordiale ne se range pas seulement le p're effectif, mais aussi ce que l'on pourrait appeler ses substituts. Dana le cas d'Isitore Ducasse on voit

(53)

facilement que les mattres, au l7cée, peuvent tr's biea se ranger soue cette image du p~re.

•oua savons relativement peu de chose sur la vie de l•auteur, mais, malgré tout, les quelques rensei-gnements que nous possédons nous montrent que les rapports de Ducasse avec son professeur de rhétorique, Gustave Hinstia, n•étaient pas toujours des plus agréables. ~e dernier, pur classique, n•appréciait guère le style em-porté du jeune Isidore et punissait fréquemment son él~­ Te pour ce qu•il croyait 'itre des plaisanteries faites au professeur. Isidore Ducasse était profondément blessé par les reproches et l'incompréhension de son professeur, ce dont il se plaignait avec amertume à ses amis veorges Jlinvielle et .t>aul Lespès, de qui nous tenons ces souve-nirs. ll)

Il est d•ailleurs certains passages des Chants qui ne laissent aucun doute sur l•opinion que weasse pouvait avoir de la vie d•internat et qui se rapportent t~s certainement A son expérience personnelle:

ll) Edition des oeuvres complètes d'Isidore ~casse,

(54)

"Qu.a.D.d un él~ve iaterne, dans un lycée, est gouverné, pendant des années, qui sont des siècles, du matin jusqu'au soir et du soir jusqu • au lendemain, par un paria de la civilisation qui a constamment les yeux sur lui, il sent les flots turaul tueu.x d •une hai-ne vivace, monter, comme uhai-ne épaisse fumée,

à

son cerveau, qui lui p&ratt près d•éclater.• (2)

Quelques lignes plus loin il appelle le ly-cée "la prisoa", puis "la demeure de l•abrutissement".(2)

On trouve cette allusion au mattre l la sixilae strophe du mime "Chant", où il est question de la crainte 0de l'élève qui regarde obliquement celui

qui est né pour l'oppresser ... (3)

Il est encore de nombreux passages qui sem-blent ltre des transpositions de !•expérience persoa-nelle de ~casse, de sa vie au lycée ••• Ainsi, !•inter-nement de l'hermaphrodite à .Bicltre nous appardt comme

(2) l.3) Oh. l Oh. J. str. 12 p. 78. str. 6 p. 4.3.

(55)

une transposition de la vie d•internat. \4)

Il • ••• leur parla sur beaucoup de sciences humaine• qu•il avait étudiées et qui montraient une grande instruc-tion dans celui qui n'avait pas encore franchi le seuil de la ~eunesse ••• "(5)

Ces quelques lignes nous semblent bien itre une allusion aux exaaene qu•il faut passer.

Les gardiens, qui maltraitent !•hermaphrodite, ce sont les mattres, à propos desquels nous avons déjà noté quelques allusions.

on

lib~re !•hermaphrodite et le gouvernement lui accorde une pension; Isidore peut enfta quitter le lycée et son père lui fournit de quoi vivre

à Paris.

Certains passages de la strophe de 1 'amphibie nous semblent aussi avoir été inspirés par la vie d'inter-nat de Ducasse. 11 n'est pas invraisemblable qu•à partir de cette expérience se soit téveloppé le profond senti-ment de révolte qui anime toute l'oeuvre. Il est des

(4) C'est aussi l'interprétation qu•en donne marcel Jean, aarcel .1 ean et Jlezei A.rpad, Kaldoror, Bd. du Pavois, Paris 1947.

(56)

phrases qui so:rment collllle des aveux::

"J'ai vécu, pendant quinze ans, dans un cachot avec des larves et de l'eau fangeuses pour toute nourriture. Je ne te raconterai pas en d'tail les tour-aents inou!s que ~ •ai éprouv,s, dans

cette longue séquestration inJuste."(6)

nJ•ai fait beaucoup de réflexions, dans ma prison 'ternelle. Quelle devint ma haine générale contre l'humanité, tu le devines." (7)

BDYoyé en France pour teDR!ner ses études, coBm.e interne daDS un lycée • le jeune DUcasse se sent abandonnl de ses parents. Le "sort fatal qui l•a con-duit A la révolte" (8)1 n'est-ce pas cet abandon dea

siena, ou du moins ce qu•il jugeait co11111e tel •. aous trouvona plusieurs remarques, tout au cours de l'oeuvre,

(6) Ch. IV str. 7 p. 255 (7) Ch. lV str. 7 p. 256 ~8) Ch. IV str. 4 p. 236

(57)

sur les parents qui aba:a.doDnent leur enfant. Ainsi, dans l•~e l l'océan, l'auteur dénonce 1 •inconscience de:

•ces parents no•breux assez ingrats envers le Créateur, pour abandoDD.er le fruit de leur misérable union•. (9J

• ••• mes parents m•ont abandoDD.é ••• • (10)

avoue 1• enfant dans la strophe de l'omnibus. tll) Cette strephe est, l cet égard, des plus caractéristiques. Elle est construite enti~rement sur ce thleme de 1 • enfant abandonné, qui est

(9) Ch. I str. 9 P• 56 (10) Ch. I I str. 4 p. 102

tll) Maurice Blanchot voit dans l'omnibus de cette strophe "une invention de rive pour faire dévier sur les

hommes en général la responsabilité de l'abandon et en mime t•ps pour marquer 1 • éloignement irr'-ductible de l•enrance."

)(aurice Bluchot, Lautréamont et Bade. Ed. de )(inuit, Paris 1949, p.l02.

(58)

ici traité de façon dramatique. Bous 7 voyons un petit enfant qui tente désespérément de rejoindre l'omnibus, mais dont personne ne s'occupe, chacun s'enfermant dans son indifférence et son égo~ame. Un refrain, au rythme obsédant, ponctue la strophe A divers intervalles, ce qui accentue encore l'effet dramatique:

"'l s'enfuit 1 • • • Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ces traces1 au milieu de la poussi~re.1!F (12)

Il semble bien que Ducasse, comme l'amphibie du quatriàe "Chant", ait gardé lui aussi du "ressen-timent contre ceux qw(il) n'avait pas cessé d'aimer."(lJ)

Loin des siens, le jeune Isidore regrettait sa terre natale. Paul Lesp's nous rapporte que Ducasse lui avait parlé quelquefois, "avec une certaine anima-tion des pa7s d'outre~er ob l'on menait une vie libre et heureuse." (14) (12) (13) Ch. II Ch. IV str. 4 P• 102. str. 7 p. 256.

(14} (Botes pour une vie d'Isidore Ducasse et de ses écrits) de Maurice Saillet, dans l'édition des Oeuvres Complètes d'Isidore Ducasse,(Le Livre de Poche,no 1117-1118} p.21

(59)

"Je pensais avec mon ami Minvielle qu'il avait la nostalgie et que ses parents ne pourraient mieux faire que de le rappeler l Montevideo." (14)

L'expérience de Ducasse au lycée semble bien avoir été déterminante sur son caractère. Devant les ré-primandes continuelles de son ma!tre il est assez normal que l'élève ait eu le désir de secouer le joug que l'on faisait peser sur lui. Epris de liberté et d'une indé-pendance farouche l'adolescent supportait mal cette sur-veillance contiDuelle. La strophe du sommeil, oh l'on voit llaldoror refuser de dormir pour ne pas se trouver à la merci du Créateur, souligne ce désir d'autonomie.

W<aumiliationl notre porte est ouverte à la curiosité farouche du Céleste Bandit. Je n'ai pas mérité ce supplice infime, toi, le hideux espion de ma causalité! Si j'existe, je ne suis pas un autre. Je n'admets pas en moi cette équivoque pluralité. Je veux résider seul dans mon intime raisonnement. L'autonomie •••

(60)

ou bien qu'on me charge en hippopotame." (15)

Dans la strophe sur la pritJre l'auteur nous dit encore préférer se nourrir de plantes marines que de se savoir observé par le Créateur, fouillant dans sa cons• cience avec son •scalpel qui ricane" (16) Quelques li-gnea auparavant, dana la mime strophe, nous trouvons ce qui noua semble bien 8tre une allusion aux colères du

mattre:

"J'ai vu, trop souvent, tes dents immondes claquer de rage, et ton au• guste face, recouverte de la mousse dea temps, rougir comme un charbon ardent,

à

cause de quelque futilité microscopique que les hommes avaient

commise, •••" (17)

que

On voi~ certains passages prennent une signi-fication différente lorsque, derrière l'image du Créateur,

(15) Ch. V atr. ) p. 279-280. (16) Ch. II atr.l2 p. 149. (17) Ch. II atr.l2 p. 148

(61)

on voit, non pas le Dieu des religions chrétiennes, comme Cbez la plupart des critiques, {18) mais une ima-ge 4• p ~re ou du ma! tre.

Les lignes suivantes nous semblent bien ltre aussi dictées en réaction contre les emportements du professeur:

"Est-ce que tu ne doutes pas, enfin, que tu montres, clans ta persécution odieuse, un empressement

na!f,

dont aucun de tes séraphins n'oserait faire ressortir le complet ridicule? (19)

Si l'"horrible Eternel à la figure de vipère" (19) représente, ici, le professeur, on pourrait bien voir aussi dans ses séraphins le groupe des élèves.

S'il nous faut revenir à la "hantise du p~re", notons une lettre d'Isidore Ducasse à son banquier, Mon-sieur Darasse, qui est de nature à nous laisser deviner

(18) Cf. Philippe Soupault, Lautréamont, Poates d'au-jourd'hui, Paris 1946, p.29.

(62)

que les relations entre le p~re et le fils n'étaient pas chaleureuses:

"Vous avez mis en vigueur le déplo-rable syst~e de méfiance prescrit vaguement par la bisarrerie de moa p\re; mais vous avez deviné que mon mal de tite ne m' emp&che pas de con-8idérer avec attention la difficile situation où vous a placé jusqu'ici une feuille de papier l lettre Yenue de 1 'Amérique du SUd, et dont le prin-cipal défaut était le manque de clar-té; car je ne mets pas en ligne de compte la malsonnance de certaines observations mélancoliques que l'on pardonne aisément à un vieillard, et qui. m'ont paru, l la premi~re

lec-ture, avoir eu l'air de vous imposer, l l'avenir peut-&tre, la nécessité de sortir de votre rile strict de ban-quier, vis-l-vis d'un monsieur qui

vient habiter la capitale ••• • (20)

(20) Oeuvres Compl~tes d'Isidore Ducasse (Livre de Poche, no 1117-1118, Paria 1963) p. 430-431.

(63)

Philippe Soupault, dans une étude sur Lautréa-mont, nous donne de :PrSl'IÇois Ducasse un portrait peu flat-teur en nous le présentant comme un "homme prétentieux, mortellement ennu;yeux, bizarre, ridicule et, aomme tou-te, avare lorsqu'il ne s'agissait pas de satisfaire sa vanité," (21)

Un des passages les plus étounants dea "Chants" est sans doute cette strophe fameuse, véritable tableau surréaliste avant la lettre, où l'on voit le Créateur en train de manger les hommes. (22) S'inspirant de la psychanalyse, Marcel Jean, dans son étude sur Lautréa-mont, (23) voit dans cette strophe une représentation de l'Urscene (24). L'enfant, surprenant ses parents en

(21) Etude de Philippe Soupault dans l'édition des Oeuvres Complètes d'Isidore Ducasse. (Ed. Charlot, Paris 1946). p,l7 •

(22) Ch. II str, 8.

(23) Marcel ~ean, "Kaldoror, essai sur Lautréamont et son Oeuvre", (Edition du Pavois, Paria 1947, p.71.) (24) Cette théorie est expliquée chez Freud, Introduot~

1 la psychanalyse, (Petite B11b11oth~que Payot, Paris 1962).

(64)

train de faire l'amour, ne comprend pas ce qui se passe. Il lui semble que le p~re mange la m~re. L'accouplement parental se présente à lui sous la fone de l' anthropo-phagie. \25)

Cette interprétation, pour ltre fort spécieuse, pour

n'en est pas autant dénuée d1intérlt: elle s•accorde som•

me toute assez bien avec l'ensemble de l•oeuvre.

Le spectacle dont il a été témoin est pour l'en-fant une révélation; il a percé le grand secret:

"

•••

et j'osai pénétrer, moi, si jeune,

les mystlres du ciel.• (26)

Il est dès lors débarrassé de sa surdité, c•est-à-dire de son ignorance. C'est aussi pour lui la révélation de la vie sexuelle:

"Un cinqui~me sens se révélait en moif•(27)

(25) On trouvera d•autres indications sur ces curieux rapports de l'anthropophagie et de la se:xua.lité

dans l'ouvrage de ltoger Caillois • Le m;ythe et , 1 'homme,

particulièrement:!:.t.._l::c:a::.pages 66 à 69.\Gallimard,l'aris 1958). (26) Ch. II str. 8 p. 121 •

(65)

Nous pourrions voir aussi, dana cette sc~ne,

une caricature du professeur, exerçant son autorité sur des élèves "poissons• (le mot est mis en italique dans le texte des "Chants"). Domination qui est, dt ailleurs, tout empreinte de sadisme:

"Je vous fais souffrir, et c'est pour mon plaisir.• (28)

Mais le sadisme est lui-mime UD.e forme de domination, celui qui inflige la souffrance se trouvant dans un état de supériorité par rapport A sa victime.

(66)

L'AMITIE

Un des principaux thà.es des "Chants" est celui de l'amitié complice. ~oua sommes frappés souvent par le caract,re équivoque que revit cette amitié. Nous avons l'impression que les amis sont plus que des amis, ou que leur amitié a une signification toute "particu• lière.•

Les expressions nous laissent parfois entendre la nature des relations existant entre "les amis". Nous To;rou. par exemple, Jhldoror qui dit l liohengrin, après lui avoir avoué qu•il avait voulu le tuer:

amants?

"••• je suis à toi, je t•appartiens, je ne vis plus pour moi." (1)

N'est-ce pas là, en réalité, le langage des

Nous constatons également le caractère ambigu de !•attentat de Maldoror contre Lohengrin. uette attaque

(67)

semble hien &tre de nature sexuelle. Qu'on remarque, par exemple, 1• insistance que met 1 • au te ur dans la pré• sentation de l•arme devant servir à son projet, et qui est Traisemblablement, ici, un symbole sem el masculin:

"Tout était pr8t, et le couteau avait été acheté. Ce stylet était mignon, car j•ai-me la grlce et l'élégance jusque dans les appareils de la mort; mais il était long et p61ntu." ( 2)

Les noms peuvent parfois nous suggérer le sena. Ainsi -Léman", (3) "cet ami dont les fonctions conviendraient également bien l un domestique et l une épouse" (4) et qui semble former avec Maldoror un ména-ge des plus unis, n•est-ce pas "l'amant". N'était-ce la présence d•un participe masculin l"obligé"), nous serions fort tenté de croire qu•il s•agit 1~ d•une femme.

(2J Ch. II str. 3 P• 100-101

(3) Ch. II str. 2 p.

97

l4) Maurice Blanchot Lautréamont et Sade, Ed. de Minuit, Paris 1949, p.94.

Figure

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