OBSTACLES À LA COMPRÉHENSION DES MÉCANISMES
D’ADAPTATION DES ÊTRES VIVANTS AUX MILIEUX ARIDES
CHEZ DES ÉLÈVES TUNISIENS DE L’ENSEIGNEMENT
SECONDAIRE
Fatma SAID*, Brigitte PETERFALVI**
*ISEFC de Tunis, Université de Bordeaux 2, **UMR STEF, ENS Cachan/INRP
MOTS-CLÉS : OBSTACLES – ADAPTATION – DÉBAT – OBJECTIF-OBSTACLE
RÉSUMÉ : Dans cette recherche menée auprès d’élèves tunisiens de l’enseignement secondaire, nous avons essayé de mettre en évidence certaines conceptions liées à la compréhension des mécanismes d’adaptation des êtres vivants aux milieux arides. Nous avons tenté d’élucider leurs degrés de résistance aux tentatives de déstabilisation et, donc, de les interpréter en termes d’obstacles, tout en analysant leurs origines et leurs modes de fonctionnement.
ABSTRACT : In this research undertaken with Tunisian pupils of secondary education, we tried to highlight some conceptions related to the comprehension of the adaptative mechanisms to the arid mediums and thus to interpret them in terms of obstacles, while analyzing their origins and their operating modes.
1. INTRODUCTION
Nous proposons dans cette étude une perspective de repérage et d’interprétation de conceptions-obstacles d’élèves, liées à un thème scientifique particulier et identifiées comme « erreurs ». Quelles sont les conceptions des élèves tunisiens du Secondaire qui font obstacle à la compréhension des mécanismes d’adaptation des êtres vivants aux milieux arides ? Telle est la question qui fait l’objet central de ce travail. Selon Bachelard, dans une perspective épistémologique reprise plus récemment par Fabre, et par Astolfi et Peterfalvi en didactique, les obstacles se caractérisent par leur résistance. L’accès au raisonnement scientifique proprement dit nécessite leur dépassement. Pour cette raison, cette étude cherche à élucider le processus d’enchaînement des idées et leurs degrés de résistance aux tentatives de déstabilisation, pour pouvoir les interpréter en termes d’obstacles.
Des études menées par J.-P. Astolfi et B. Peterfalvi, dans le cadre d’une recherche à l’INRP, se sont intéressées au mode de fonctionnement des « conceptions-obstacles », et ont montré que ces dernières sont l’expression d’un ensemble d’idées associées, cohérentes au point de préserver à l’individu un certain « confort intellectuel », ce qui explique leur résistance. Aussi, à notre question principale, vient se joindre une question complémentaire qui est la suivante : quelles sont les idées associées qui expliquent la résistance de ces obstacles ?
2. MÉTHODOLOGIE
Notre présent travail est une recherche à la fois interprétative, et de régularité. Une stratégie de mise en évidence des obstacles doit, selon nous, satisfaire deux conditions que nous jugeons nécessaires et suffisantes pour identifier les obstacles : d’une part, elle doit nous permettre de suivre l’enchaînement des conceptions (leur évolution ou leur absence d’évolution, la façon dont les différentes idées sont articulées) ce qui permet de saisir leurs degrés de cohérence ; d’autre part, elle doit favoriser des situations de déstabilisation de ces conceptions pour vérifier leurs degrés de résistance.
Nous avons commencé cette démarche par un entretien semi-directif avec un groupe de cinq élèves. Cet entretien a été effectué avant apprentissage, dans le but de vérifier l’hypothèse de la présence de préconceptions « erronées » concernant l’adaptation des êtres vivants aux milieux arides chez les
dû répondre à un questionnaire semi-ouvert. Ce questionnaire nous a permis de repérer les conceptions de ce groupe d’élèves qui ont résisté à l’apprentissage classique scolaire, et celles qui ont évolué dans un sens ou dans l’autre. Après ce questionnaire, nous avons regroupé ces élèves pour un débat collectif hors du cadre scolaire. L’objectif principal de ce débat est d’essayer de dépasser certaines conceptions qui ont pu résister à l’apprentissage.
La deuxième étape de cette démarche consiste à faire passer un questionnaire à ce même groupe d’élèves. L’objectif de ce questionnaire est de mettre en évidence les conceptions qui ont pu résister à toute tentative de déstabilisation (apprentissage classique, débat), et donc de nous permettre de confirmer l’hypothèse de présence de conceptions-obstacles à la compréhension des mécanismes d’adaptation des êtres vivants aux milieux arides chez ces élèves tunisiens du secondaire, et de bien qualifier ces conceptions d’obstacles.
Pour analyser nos données, nous avons procédé à une étude de cas pour les élèves qui ont suivi tout le protocole que nous venons d’élaborer. Puis nous avons vérifié si les obstacles, repérés chez ce groupe d’élèves, se retrouvent chez d’autres. Nous avons ainsi effectué une étude quantitative qui tente de repérer la fréquence des obstacles, repérée chez le premier groupe d’élèves, dans un groupe plus grand.
3. RÉSULTATS ET INTERPRÉTATION
Cette analyse des données nous a permis de repérer treize conceptions obstacles très répandues chez les élèves interrogés, dont sept conceptions-obstacles qui sont liées à la compréhension des mécanismes d’adaptation des animaux aux milieux arides, cinq liées à la compréhension des mécanismes d’adaptation des végétaux aux milieux arides, et une conception-obstacle liée à la compréhension des mécanismes d’adaptation aux milieux arides aussi bien des animaux que des végétaux. Dans la suite de cet article nous allons nous limiter à la présentation des résultats de la dernière catégorie d’obstacles. La conception obstacle la plus répandue dans cette catégorie concerne « la nécessité d’un réservoir localisé d’eau chez les êtres vivants des milieux arides » : Cette conception constitue un obstacle à la compréhension des constituants de la matière vivante ou de l’organisme vivant qui contient l’eau dans toutes les cellules et à la compréhension que la mise en réserve de l’eau n’est pas une stratégie adaptative commune à toutes les espèces végétales et animales. À partir des idées des élèves eux-mêmes, nous avons formulé le réseau d’idées suivant :
1
Conception-obstacle Concept visé2
Tous les êtres vivants des milieux arides doivent disposer de réservoirs pour mettre l’eau
Le réservoir d’eau n’est pas nécessairement localisé chez les êtres vivants des milieux arides.
3
Réseau d’idées associées qui explique la résistance
de l’obstacle
4
Ce que l’obstacle empêche de comprendre 5 Conditions de possibilité de franchissement de l’obstacle * le lieu de la transpiration correspond au lieu de présence d’eau (bosse du dromadaire, épines des plantes, feuilles). * Le dromadaire possède un réservoir pour mettre l’eau qu’il boit d’un seul coup.
* L’olivier doit disposer d’un grand réservoir pour mettre l’eau pendant 20 ans.
* La diversité des stratégies adaptatives.
* la composition de l’organisme vivant.
* Donner des exemples d’êtres vivants qui économisent la perte d’eau sans en mettre en réserve. * Montrer que l’eau se trouve dans toutes les cellules vivantes.
Les deux schémas suivants nous permettent de mieux interpréter la résistance de cet obstacle :
Attachement à la perception.
L’eau dans les cellules est absente de la conception sur la constitution de la matière
vivante.
On ne voit pas d’eau dans les
cellules.
Autocentration/ Anthropomorphisme.
Projection d’un caractère humain sur l’ensemble du vivant.
Les animaux comme les végétaux et l’Homme ont besoin d’eau / idée de gourde
de l’Homme. Valorisation. Eau comme substance vitale
raréfiée dans les milieux arides.
Pourquoi cet obstacle a-t-il résisté ? :
Caractère économique et facilité. Réseau d’idées associées.
Valorisation et charge affective (de l’eau).
Obstacle :
conceptions, réseau de conceptions qui se caractérise par sa résistance.
4. CONCLUSION
Dans cette recherche nous avons réussi à identifier des conceptions résistantes aux tentatives de déstabilisation, que nous pouvons qualifier d’obstacles. Ainsi, les réseaux que nous avons construits montrent le degré de cohérence des idées des élèves. Dans ce même cadre, nous avons montré le caractère transversal de certains obstacles, le polymorphisme d’autres, et l’ambiguïté et l’intériorité de certains. Nous avons de même rencontré des obstacles liés à la perception, d’autres anthropomorphiques, d’autres utilitaires, et d’autres liés à la valorisation d’une substance.
BIBLIOGRAPHIE
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