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Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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EMMANUELLE D'ASTOUS-MASSE

Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire

pour l'obtention du grade de maître es arts (MA.)

DEPARTEMENT D'HISTOIRE FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2010

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Remerciements

Tout d'abord, je tiens à remercier le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et le Fonds Québécois de recherche sur la société et la culture pour leurs généreuses bourses sans lesquelles la réalisation de ce mémoire aurait été très difficile.

Merci à mon directeur de recherche, Donald Fyson, non seulement pour avoir instillé en moi cet intérêt pour l'histoire de la criminalité et de la justice criminelle, mais aussi pour ses conseils, son soutien et sa disponibilité.

Merci à mes collègues et amis, Marie-Eve, Jérôme et Emilie, pour votre patience face à mes nombreuses questions ainsi que votre appui et vos rires dans les moments d'angoisse et de doutes.

Merci à Evelyne, Geneviève et Nathaniel, mes confidents, pour votre amitié qui m'est si précieuse.

Merci à ma famille : à mes parents, Danielle et Robert, pour leur amour inconditionnel, leur générosité sans borne et pour m'avoir donné le goût du dépassement de soi. À mes frères, Frédéric et Marc-Antoine, et ma sœur, Marie-Soleil, pour vos encouragements et votre présence dans ma vie, tout simplement. À mon parrain et ma marraine, et ma grand-mère, que j'aime tant.

Merci à la famille Aso-Barrena, pour son accueil chaleureux.

Finalement, merci à Sergio, pour avoir toujours cru en moi, pour m'avoir insufflé la force de continuer malgré la maladie et l'éloignement, pour m'avoir donné confiance, et surtout, pour son amour qui me comble tellement au quotidien.

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Résumé

Si on a assisté, au cours des dernières années, à un regain d'intérêt envers les auxiliaires de justice, peu d'études se sont intéressées aux médecins qui remplissent ce rôle et parmi celles-ci, la plupart ont été consacrées aux coroners. Ce mémoire a pour objectif de pallier cette lacune par l'étude de la participation des médecins au système de justice criminelle de Québec et de leur influnce au sein de celui-ci, de 1880 à 1920. Il s'agit d'une période charnière durant laquelle la médecine légale est en ascension partout en Occident, mais occupe une place bien distincte dans l'appareil judiciaire en France et dans les pays anglo-américains. Puisque le Québec possède un système judiciaire hybride, qui allie le système judiciaire anglais au criminel et le système judiciaire français au civil, l'étude de l'expertise médicale nous y est apparue particulièrement féconde. Ce mémoire ceme donc la préparation donnée aux médecins ainsi que les tâches qui leur incombent, tantôt sur le terrain, tantôt au palais de justice. Il s'arrête également au statut que les gens de justice et les journalistes leur accordent à l'époque, en comparaison de celui des autres catégories de témoins. Enfin, cette étude met en lumière l'impact des médecins et de leurs preuves sur les jugements et les verdicts.

Abstract

Though there has been, in recent years, a notable increase in interest in the study of the history judicial auxiliaries of justice, few studies have focussed on the role of doctors in this regard. Most existing studies focus on coroners. This thesis seeks to fill this gap by examining the participation and influence of doctors in the Quebec criminal justice system, between 1880 and 1920. This was a pivotal in the history of legal medicine : while it was gaining in importance throughout the West, it played a very different role in France and in Anglo-American countries. Since the Quebec legal system was a hybrid, inspired by the British system for criminal justice and by French law for civil justice, the study of medical expertise is particularly interesting. This thesis therefore examines the training and preparation of doctors and the tasks they had to perform, both in the field and in the courtroom. This thesis also examines the particular role attributed to doctors by justice system professionals and by reporters, compared to that of other categories of witnesses. Finally, this study seeks to evaluate the impact of doctors and the proof they provided in their testimony on the outcome of trials.

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TABLE DES MATIERES

Remerciements II Résumé/Abstract III Table des matières IV

Introduction 1

Chapitre premier : Les contextes de formation et de travail 27

1. Le contexte médical 27 2. Le contexte médico-légal 31

2.1 Des « experts » aux yeux de la loi ? 31 2.2 La formation en médecine légale et toxicologie 37

2.3 Le Dr Albert Marois 44

3. Le contexte juridique 51 3.1 La formation en droit 51

3.2 Le contexte de travail des gens de justice 56

Conclusion 58

Chapitre deux : Les tâches des médecins dans le processus judiciaire 60

1. Les rôles et les tâches des médecins 61 1.1 Des tâches judiciaires 64 1.2 Des tâches médicales et d'enquête 65

1.3 Des tâches scientifiques 73 1.4 Des tâches psychiatriques 77 2. Les fonctions de leurs témoignages 81

Conclusion 88 Chapitre trois : Le statut des médecins 90

1. Tous des « experts » ? 90 1.1 Des « experts » selon les avocats ? 91

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1.2 Des « experts » selon la presse ? 101

Conclusion 111

Chapitre quatre : L'impact mitigé des médecins 113 1. L'influence des médecins et de leurs preuves sur les jugements 113

1.1 Des preuves qui n'ont pas automatiquement un impact majeur 114

1.2 De l'importance du bon sens 123 2. Les facteurs qui relativisent l'influence des médecins et de leurs preuves 127

2.1 Les préjugés envers la « race » et les femmes 127

2.2 La réputation 134 2.3 La sous-utilisation d'arguments et de preuves scientifiques 138

2.4 Des témoignages moins convaincants vu leur forme ? 144

2.5 Le système contradictoire 148

Conclusion 151

Conclusion générale 154

Annexe 1 : Tableaux présentant les matières et cliniques au programme de la Faculté de médecine de l'Université Laval, incluant leur importance dans le cursus

1. Tableau 1 : 1881-1882 160 2. Tableau 2 : 1899-1900 161 3. Tableau 3 : 1919-1920 162 Annexe 2 : The Ballad of John Glaister (chanson) 164

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Introduction

En 1875, lorsque le Dr Alfred Gauvreau Belleau est nommé coroner de la ville de Québec par son oncle Narcisse Belleau, alors lieutenant-gouverneur , les médecins québécois traversent une période qui leur est particulièrement favorable tant au niveau politique que scientifique. Ainsi, sur le plan politique, les médecins voient leur autorité augmenter par l'instauration, en 1847, du Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec qui a pour mandat initial de contrôler la pratique des médecins et chirurgiens, puis finalement, d'encadrer toute la pratique médicale en 1920. Le pouvoir des médecins s'affirme également grâce à l'apparition des facultés universitaires de médecine chargées de délivrer les diplômes, l'École de médecine de Québec étant affiliée à l'Université Laval en 1854. Cette innovation permet notamment au Collège de surveiller le recrutement et l'enseignement dispensé, mais surtout, les médecins peuvent affirmer la supériorité de leur savoir par rapport à celui des autres praticiens de la santé, dont les sages-femmes, en s'appuyant sur la nature scientifique des études qu'ils ont suivies2. L'autorité et l'influence des médecins québécois augmentent

également du fait qu'ils profitent des nombreuses avancées scientifiques qui apparaissent à partir des années 1850. Durant la même période, les pays occidentaux assistent à l'ascension fulgurante de la médecine légale3 et ce, que ce soit en France, en Angleterre, aux États-Unis

ou au Canada. Cette ascension est stimulée, entre autres, par l'apparition d'une série de techniques et d'innovations qui seront utilisées en cour par les médecins. En France, cette montée de la médecine légale se répercute dans les tribunaux où les médecins usent abondamment des dernières nouveautés en matière médico-légale et voient leur crédibilité et leur autorité augmenter. En effet, à partir du tournant du XXe siècle, les médecins légistes

deviennent un rouage essentiel du processus judiciaire français, surtout grâce à de grandes affaires criminelles, largement médiatisées, qui mettent en lumière le travail varié et essentiel qu'ils sont appelés à accomplir sur le terrain. Frédéric Chauvaud souligne l'importance de leur rôle et de leurs expertises :

Jacques Bernier, La médecine au Québec : naissance et évolution d'une profession, Québec, Presses de l'Université Laval, 1989, p. 101-102.

5 lbid., p. 57; 65-75.

3 Par médecine légale, j'entends, comme Mathieu Orfila, médecin légiste français, « l'ensemble des connaissances médicales

propres à éclairer les diverses questions de droit et à diriger les législateurs dans la composition des lois ». Cette définition, qui date du XIXe siècle, a été choisie parce qu'elle met bien en lumière la façon dont on conçoit cette science à l'époque. Tirée de

Georges Avila Marsan, Code des médecins el chirurgiens : droits et obligations professionnelles des médecins, pharmaciens, vétérinaires, opticiens, étudiants et loi des coroners, Montréal, Wilson et Lafleur, 1920, p. 538.

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En effet, tandis que la Première Guerre mondiale se profile, la « société » judiciaire s'interroge sur la place de l'expertise et le rôle des experts. Le recours au savoir de ces derniers devient systématique. Tantôt il leur est demandé d'apporter un éclairage, tantôt la confirmation d'une hypothèse, tantôt même de démêler la confusion des opinions, de départager l'accusation et la défense, comme l'ont illustré quelques procès célèbres qui, par rebond, ont donné aux experts une reconnaissance scientifique ainsi qu'une renommée durable auprès du grand public4.

Au contraire, à la même époque, dans les pays où le système judiciaire anglo-américain (droit commun ou common law) est en place, comme en Angleterre et aux États-Unis, les médecins tentent sans succès d'augmenter leur influence dans les procès pénaux et ce, à cause de différents facteurs. Parmi ceux-ci, on note l'impact négatif de procès célèbres durant lesquels l'accusé est soupçonné de meurtre, comme celui de John Hendrickson Jr pour les États-Unis. Ces procès, s'ils ont permis de souligner l'importance et l'ampleur des tâches des médecins comme auxiliaires de justice, ont aussi révélé des erreurs judiciaires et des dissenssions qui entachent la médecine légale aux yeux du public5. Au Canada anglais, les

travaux de Kimberley White portant sur l'expertise psychiatrique lors des procès pénaux ont non seulement montré que les médecins pratiquants, au même titre que les aliénistes, sont appelés à jouer un rôle d'« expert » pour évaluer la responsabilité des criminels, mais surtout que ces « experts » ne semblent pas avoir un impact déterminant sur l'issue des causes. De fait, les jurys accordent peu de crédit aux témoignages des médecins lorsque ceux-ci entrent de plein fouet en contradiction avec leurs propres valeurs et préjugés, notamment concernant les femmes et les immigrants. Dans ces cas, ils ont tendance à se fier davantage à leur propre jugement qu'aux médecins appelés à témoigner6.

Face à cette situation, nous pouvons nous demander quels sont les rôles dévolus aux médecins avant et pendant les procès pour crimes violents7 à Québec entre 1880 et 1920 et

quels statut et influence sont accordés à leurs témoignages et preuves par rapport à ceux des

4 Frédéric Chauvaud, Les experts du crime : La médecine légale en France aux XIXe siècle, Paris, Aubier, Collection historique,

p. 13-14 et 28.

5 James C. Mohr, « The trial of John Hendrickson Jr. : Medical Jurisprudence at Mid-Century », New York History, 70, 1 ( 1989),

p. 23-53.

6 Kimberley White, « Making Sense and Doing Justice : Exploring Criminal Justice Interpretation of Psychiatric Evidence in

Early-20111 Century Canadian Murder Trials », Claire Dolan, dir. Entre justice et justiciables : Les auxiliaires de la jutsice du

Moyen Âge au XXe siècle, Québec, Presses de l'Université Laval, 2005, p. 789-804.

7 Par crimes violents, j'entends les homicides, les crimes mettant en péril la protection de la vie et les crimes à caractère sexuel,

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autres témoins ? En étudiant ces procès, notre objectif est de découvrir en quoi consiste les différentes tâches qu'ils doivent accomplir sur le terrain en tant qu'auxiliaires de justice et si celles-ci s'avèrent variées et essentielles à la résolution des crimes. Nous voulons savoir, notamment par l'analyse de leurs témoignages lors des enquêtes préliminaires et des procès, si l'importance des médecins sur le terrain se reflète en cour. Ce questionnement nous amène à nous interroger quant au statut qui leur est accordé par les avocats et les juges - sont-ils considérés comme des « experts » ? - , mais également par les reporters qui couvrent les procès. Enfin, nous voulons savoir dans quelle mesure leurs témoignages et leurs preuves ont une influence sur les jugements et les verdicts, et quels sont les facteurs qui ont un impact sur ladite influence. Pour répondre à ces questions, nous avons ciblé la période s'étalant de 1880 à 1920 et ce, pour différentes raisons. D'abord, la décennie 1880 représente une période très féconde quant à la médecine légale, alors qu'on assiste, dans les pays occidentaux, à de nombreuses avancées dans ce domaine et que la production scientifique qui y est liée explose, plusieurs manuels et précis produits pendant cette décennie étant utilisés jusqu'au tournant du XXe siècle et au-delà. C'est également en 1878 que le premier congrès de médecine légale est

organisé à Paris8. Par ailleurs, la fin des années 1870 et le début des années 1880 représentent

une période charnière pour la médecine légale au Québec. En effet, le premier médecin coroner de Québec, Alfred Gauvreau Belleau, est nommé en 1875 tandis que la chaire de médecine légale et de toxicologie de l'Université Laval est dévolue au Dr Arthur Vallée en 1882 et ce, pour trois ans. Celui-ci demeure, durant toute la période étudiée, l'« expert » de Québec en ce qui a trait aux analyses toxicologiques et un des principaux « experts » quant aux maladies mentales, ce qui l'amène à se prêter à plusieurs évaluations psychiatriques à la demande de la Couronne ou de la défense. Nous avons choisi de commencer notre corpus spécifiquement en 1880, et non 1882 par exemple, tout simplement pour avoir une période historique s'étalant sur 40 ans. Le choix de l'année 1920 s'imposait parce que ladite année voit apparaître le Précis de médecine légale de l'expert montréalais Wilfrid Derome, premier outil de référence du genre mis à la disposition des médecins québécois, mais aussi du fait

* Pour avoir davantage de détails quant à ces découvertes, à la production scientifique et au premier congrès de médecine légale, consulter la section 1 du premier chapitre intitulée « Le contexte médical », p. 1 -4.

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qu'à partir de 1920 le nombre d'homicides recensés à Québec chute drastiquement, aucun n'étant enregistré entre 1922 et 19289.

Ce questionnement apparaît particulièrement important et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, il semble essentiel de se pencher sur la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle,

alors que les médecins tentent d'imposer leur expertise dans les procès, pour mieux comprendre pourquoi ils occupent aujourd'hui une place prépondérante sur la scène judiciaire et ont un impact souvent déterminant sur les jugements. Ensuite, l'étude de l'expertise médicale dans les procès au Québec semble féconde dans la mesure où celui-ci possède des caractéristiques uniques qui en font un terrain particulièrement intéressant pour l'étude des « experts » médicaux. En effet, le Québec possède un système judiciaire hybride, qui allie à la fois le système judiciaire anglais pour le criminel et le système judiciaire français au civil. De plus, si les médecins québécois ont des contacts réguliers avec les médecins français, plusieurs des médecins légistes les plus connus ayant fait leurs études à Paris, certains d'entre eux entretiennent également avec leurs confrères du Canada et des Etats-Unis des relations fréquentes et étroites10, subissant ces deux influences. Enfin, on a vu précédemment qu'à

partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, les médecins québécois, qui profitent de

nombreuses avancées sur le plan scientifique, voient augmenter leur autorité par rapport à leurs compétiteurs, parmi lesquels on retrouve notamment les sage-femmes et les pharmaciens, notamment grâce à la création du Collège des médecins et chirurgiens (1847) et à la mise en place de facultés universitaires de médecine à partir des années 1850. Du coup, l'étude des médecins dans les procès pour crimes violents à Québec entre 1880 et 1920, période charnière pour ceux-ci sur les plans politique et scientifique, apparaît importante afin de vérifier si les médecins québécois ont accru davantage leur autorité et leur influence en participant au processus judiciaire. Enfin, parmi les historiens qui s'intéressent à l'histoire de

9 Voir David Vachon, « "Don't do that Jos !" : Les homicides à Québec entre 1880 et 1930 », Mémoire de maîtrise, Université

Laval, 2008, p. 37.

10 C'est notamment le cas du Dr Georges Villeneuve, comme l'explique Guy Grenier dans « La médecine légale des aliénés selon

Georges Villeneuve (1895-1917)», Bulletin d'histoire politique, 10, 3 (2002), p. 24. Important «expert» médical durant la première moitié du XXe siècle, le Dr Villeneuve a occupé de nombreux postes comme administrateur, professeur et clinicien, a

fait plusieurs voyages en France pour se spécialiser dans les maladies mentales et nerveuses et la médecine légale et ce, après l'obtention de son doctorat en médecine à l'Université Laval à Montréal, en 1889. Ainsi, il a notamment étudié la médecine légale avec l'aliéniste Garnier à la préfecture de police et avec Brouardel à la morgue de Paris. Le docteur Villeneuve a également tissé des relations avec ses confrères américains ayant, entre autres, participé régulièrement aux congrès de V American Medico-Psychological Association et ayant été membre de la Société de médecine légale de New York10.

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la justice, on assiste à un regain d'intérêt récent" pour les auxiliaires de justice12 qui

s'explique par la volonté de mieux connaître ces individus qui servent d'intermédiaires entre l'État et les populations. Cependant, il appert qu'on connaît encore bien mal ces acteurs, puisqu'ils ont fait l'objet de peu d'études au cours des dernières années et que les travaux réalisés ont privilégié les sommets de la hiérarchie judiciaire et certaines professions comme celles d'avocat et de notaire au détriment des autres professions13. Dans cette mesure, ce

mémoire permettra non seulement d'enrichir l'histoire de ces auxiliaires de justice, qui occupe une mince place dans l'historiographie, mais surtout de mieux connaître une catégorie d'auxiliaires qui a été très peu étudiée jusqu'à présent.

Bilan historiographique

D'abord, il apparaît important de spécifier qu'au Québec, certains historiens, dont Denis Goulet et André Paradis14, ont étudié l'histoire de la médecine et plus spécifiquement celle de

la pensée médicale, mais nous avons décidé de nous concentrer sur les ouvrages consacrés aux médecins au service de la justice, en lien direct avec notre objet d'étude. Or, au Québec, l'expertise médicale dans les procès n'a fait l'objet d'aucune étude scientifique. En fait, seuls les coroners ont été étudiés, dans des ouvrages qui traitent de l'histoire de la justice ou de

' ' S'il est assez récent, l'intérêt pour les auxiliaires de la justice n'en est pas moins soutenu, comme l'a montré la tenue à Québec, en septembre 2004, d'un colloque international qui leur a été consacré. Des « experts » médicaux aux notaires, des policiers aux procureurs, la gamme complète des auxiliaires de la justice a été étudiée dans le but de mieux définir ce concept, mais aussi de mieux comprendre leurs pratiques, les rapports qu'ils entretiennent avec l'Etat et plus particulièrement avec les justiciables, le rôle d'intermédiaires qu'ils exercent entre ces deux groupes, leurs fonctions et leurs pratiques. Les communications entendues lors de ce colloque ont été rassemblées par Claire Dolan et elles ont donné naissance à l'ouvrage Entre justice et justiciables : Les auxiliaires de la justice du Moyen Age au XXe siècle, Québec, Presses de l'Université Laval, 2005, 828 p.

12 A l'instar de Donald Fyson, par auxiliaires de la justice j'entends, mis à part les juges, tous ceux qui reçoivent une charge

juridique de l'État, comme les avocats et les huissiers. Voir « Judicial Auxiliaries Across Legal Regimes : From New France to Lower Canada », Claire Dolan, op. cit., p. 385. Au Québec, les auxiliaires de la justice ont été relativement bien étudiés pour la période de la Nouvelle-France, surtout grâce aux travaux d'André Lachance et de John Dickinson, mais il appert que les historiens se sont peu intéressés à eux pour la période suivant la Conquête et quand ils l'ont fait, c'est généralement dans le cadre d'études portant sur l'administration de la justice, que l'on pense entre autres à l'étude de Donald Fyson intitulée Magistrates, Police, and People : Everyday Criminal Justice in Quebec and Lower Canada, 1764-1837, Toronto, Osgoode Society for Canadian Legal History/University of Toronto Press, 2006, 467 p. De plus, les auxiliaires ont fait l'objet de très peu d'études spécifiques et de synthèses, ces dernières datent sérieusement et elles concernent uniquement certaines catégories d'auxiliaires, tels que les notaires, comme le montre l'étude d'André Vachon, Histoire du notariat canadien, 1621-1960, Québec, Presses de l'Université Laval, 1962, 288 p. Cependant, on assiste aujourd'hui à un regain d'intérêt pour les auxiliaires qui s'explique notamment par la volonté de mieux comprendre comment s'est opéré le changement de régime après la Conquête et de mieux saisir le rôle de médiateur que les auxiliaires ont joué entre l'Etat et les populations durant cette période.

13 Jean-Claude Farcy, L'histoire de la justice française de la Révolution à nos jours : trois décennies de recherches, Paris, Presses

universitaires de France, 2001, p. 216.

14 Voir notamment Denis Goulet, Histoire du Collège des médecins du Québec, 1847-1997, Montréal, Collège des médecins, 263

p. et Denis Goulet et André Paradis, Trois siècles d'histoire médicale au Québec : chronologie des institutions et des pratiques, 1639-1939, Montréal, VLB, 1992, 527 p.

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l'histoire de la médecine15. Du coup, ont été laissés dans l'ombre tant les médecins de famille

que les médecins légistes ainsi que leurs preuves, alors que, nous le verrons ultérieurement, ces derniers sont régulièrement appelés à participer à l'une ou l'autre des différentes étapes du processus judiciaire, que ce soit l'enquête du coroner, l'enquête préliminaire ou le procès. Ainsi, dans sa thèse sur les gens de justice à Québec entre 1760 et 1867, Christine Veilleux explique l'origine de la fonction de coroner au Canada, elle en indique les principales tâches et elle fournit une liste des coroners du district de Québec de 1776 à la Confédération16. Quant

à Jacques Bernier, il nous informe succinctement, dans son ouvrage consacré à l'évolution de la pratique médicale au XIXe siècle, sur l'avènement des médecins coroners à partir de la fin

des années 187017. La situation est similaire au Canada anglais, puisque si la plupart des

études concernant les experts médicaux portent sur l'internement des aliénés et l'évaluation psychiatrique des accusés18, les coroners ont suscité l'intérêt de certains historiens qui se sont

surtout penchés sur leurs enquêtes. Ils ont cherché à retracer les origines de cette fonction, à en expliquer les tâches et le fonctionnement pour le Haut-Canada, au XIXe siècle19.

Alors qu'au Québec et au Canada anglais les historiens se sont surtout intéressés aux coroners et à leurs enquêtes, aux Etats-Unis les médecins comme auxiliaires de justice ont été étudiés davantage. Cette différence s'explique surtout par les recherches de James C. Mohr, dont l'ouvrage le plus important sur le sujet s'intitule Doctors and the Law: Medical Jurisprudence in Nineteenth-Century America20. L'objectif de ce dernier est de mettre en

lumière le fait qu'au XIXe siècle, malgré des débuts prometteurs, la médecine légale n'a pas

réussi à s'imposer dans les tribunaux comme élément central de la pratique de la justice, mais également comme profession enviable. Parmi les facteurs responsables de cet échec, il souligne l'impact négatif de certains procès célèbres pour meurtre, qui ont mis en évidence

15 Voir Rénald Lessard et Stéphanie Tésio, « Les enquêtes des coroners du district de Québec, 1765-1930 : une source en histoire

médicale et sociale canadienne », Bulletin canadien d'histoire médicale, 25 (2), 2008, p. 433-460, et Michel Sharpe, « La mort violente à Sherbrooke de 1901 à 1930. L'accident mortel, le suicide et l'homicide », M.A., Université de Sherbrooke, 1993, 195 p.

16 Christine Veilleux, « Les gens de justice à Québec, 1760-1867 », Thèse de doctorat, Université Laval, 1990, p. 102-103. 17 Bernier, op. cit.

18 Voir notamment David Wright, « Getting Out of the Asylum : Understanding the Confinement of the Insane in Nineteenth

Century », Social History of Medicine, 10, 1 (1997), p. 137-155 ; Kimberley White, Negociating Responsibility : Law, Murder, and States of Mind. Vancouver, UBC Press, 2008, 177 p. ; Ruth Harris, Murders and Madness : Medicine, Law, and Society in the Fin de Siècle, Toronto, Oxford University Press, 1989, 112 p.

19 Voir notamment Janet L. McShane Galley, « 'I Did It to Hide my Shame' : Community Responses to Suspicious Infant Deaths

in Middlesex County, Ontario, 1850-1900 », Mémoire de maîtrise, University of Western Ontario, 1998, 329 p. et Guy St-Denis, « The London District and Middlesex County, Ontario, Coroner's Inquest, 1831-1900 »,Archivaria,zM (1990-91), p. 142-153.

20 James C. Mohr, Doctors and the Law : Medical Jurisprudence in Nineteenth-Century America, New York, Oxford University

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des erreurs judiciaires, faisant notamment en sorte que le véritable coupable du crime est relâché et/ou qu'un innocent est inculpé. Ces procès ont aussi souligné des désaccords entre les médecins qui ont terni la médecine légale aux yeux du public21. Outre l'incapacité de la

médecine légale à s'imposer dans les procès pénaux, les coroners américains ont également été étudiés pour le XIXe et le XXe siècle, ce qui met en lumière l'importance de l'époque

contemporaine dans l'historiographie portant sur la médecine légale . Parmi ces ouvrages, on note l'étude récente de Jeffrey M. Jentzen qui a, notamment, cherché à mettre en lumière quels moyens les médecins ont mis en place afin de prendre le contrôle de la fonction de coroner qui ne leur était pas dévolue, puis de la remplacer par celle de medical examiner2*.

Les historiens anglais se sont également intéressés aux coroners et à leurs enquêtes au XIXe

siècle, probablement parce qu'ils se trouvent au cœur même des procès pénaux. En plus d'expliquer les origines et fonctions de cette institution judiciaire et de montrer l'incapacité des médecins coroners à imposer leur influence dans les procès pénaux , ils se sont intéressés à un tout autre aspect de la médecine légale, soit la preuve avancée par les experts et la façon dont elle est articulée et construite par les médecins légistes , mais également par les sages-femmes26. Cet intérêt a donné lieu à des articles portant sur les XVIIe et XVIIIe siècles et sur

une catégorie d'experts quasi-inexplorée, celle des sages-femmes. Lorsqu'on se penche sur l'historiographie anglaise, on remarque l'apport important de Catherine Crawford qui est la seule historienne ayant comparé le système judiciaire anglais (droit commun ou common law) à celui en vogue en Europe continentale (droit civil) pour expliquer pourquoi la médecine légale apparaît tellement en avance en Europe continentale à la fin du XVIIIe siècle

comparativement à l'Angleterre27.

21 James C. Mohr, « The Trial of John Hendrickson Jr. : Medical Jurisprudence at Mid-Century ». New York History, 1989, p.

23-53.

22 Voir Julie Johnson, « Coroners, Corruption and the Politics of Death : Forensic Pathology in the United States », Michael Clark,

and Catherine Crawford, dir., Legal Medicine in History, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, xi-364 p. Dans le même ouvrage, on peut tout de même consulter un article intéressant sur le XVIIe siècle, soit celui de Helen Brock et de Catherine Crawford, « Forensic Medicine in Early Colonial Maryland, 1633-1683 ».

" Voir Jeffrey M Jentzen, « Death Investigation in America : Coroners, Medical Examiners, and the Pursuit of Medical Certainty », Thèse de doctorat, Madison, University of Wisconsin-Madison, 2007,336 p.

24 Voir notamment Elisabeth Cawthon, « Thomas Wakley and the Medical Coronership-Occupational Death and the Judicial

Process », Medical History, 30,2 ( 1986), p. 191 -202.

25 Voir, entre autres, Ian A. Burney, Bodies of Evidence : Medicine and the Politics of the English Inquest 1830-1926, Baltimore,

Johns Hopkins University Press, 2000, x-245 p.

26 Voir à ce sujet, David Harley, «The Scope of Legal Medicine in Lancashire and Cheshire, 1660-1760 », Michael Clark et

Catherine Crawford, op. cit. et Mark Jackson, « Suspicious Infant Deaths : The Statute of 1624 and Medical Evidence at Coroner's inquest », Clark et Crawford, op. cit.

27 Catherine Crawford, « Medicine and the Law », William Bynum and Roy Porter, dir., Companion Encyclopedia of the History

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On l'a vu, aux Etats-Unis et en Angleterre les historiens ont beaucoup étudié les enquêtes des coroners et mis en évidence la difficulté voire même l'incapacité des médecins à s'imposer comme élément central de la pratique de la justice. Au contraire, en France, les historiens ont plutôt tenté de montrer comment les médecins légistes sont devenus un rouage essentiel du processus judiciaire au tournant du XXe siècle. Pour ce faire, ils ont, entre autres,

insisté sur les principales avancées scientifiques et théories de l'époque, en plus d'étudier quelques grandes affaires du XIXe siècle28. À l'instar d'historiens anglais comme Ian A.

Burney, certains historiens français se sont également intéressés à la preuve médicale et/ou scientifique. Ils ont alors cherché à montrer comment le passage de la procédure accusatoire à la procédure inquisitoire a favorisé la preuve des médecins par rapport aux autres types de preuves, et également comment cette preuve était présentée en cour29. Bien que les études de

Frédéric Chauvaud et de Pierre Darmon soient assez complètes, on peut tout de même leur reprocher, tout comme aux historiens américains et anglais, de mettre l'accent presque uniquement sur les médecins spécialisés en médecine légale et même, uniquement sur quelques grandes figures parmi ceux-ci. Du coup, ils laissent dans l'ombre non seulement les sages-femmes et les chirurgiens30, mais également les praticiens « ordinaires » de la médecine

légale et particulièrement ceux qui exercent en campagne31.

Problématique de recherche

Dans un premier temps, nous voulons connaître davantage les médecins qui sont appelés à jouer un rôle d'auxiliaire de justice dans les causes inclues dans notre corpus, qu'ils soient coroners, « simples » médecins pratiquants ou qu'ils soient considérés comme des « experts » en médecine légale et toxicologie. Notre objectif est de comprendre à quels moments les médecins interviennent dans le système de justice criminelle et quel est le statut qui leur

« experts » médicaux et tend à encourager la médecine légale, tandis que la common law privilégie l'opinion des gens « ordinaires », des non-spécialistes et, du coup, est moins favorable à l'expertise médicale.

28 C'est le cas de Pierre Darmon, Médecins et assassins à la Belle Epoque : la médicalisation du crime, Paris, Éditions du Seuil,

1989,329 p.

29 À ce sujet, il faut notamment lire Frédéric Chauvaud, « Le sacre de la preuve incidiale. De la preuve orale à la preuve

scientifique (XIXe-milieu du XXe siècle) », Bruno Lemesle, dir., La preuve en justice de l'Antiquité à nos jours, Rennes, PUR, 2003, p. 221-239.

30 Pour obtenir des informations précieuses sur ces deux catégories d'experts, il faut consulter Michel Porret, « Sage-femme,

chirurgien, médecin : les légistes de l'Ancien Régime, auxiliaires de justice », Dolan, dir., op. cit., p. 719-736.

31 Cette lacune est en partie résolue grâce à Marina Daniel dans « Les médecins et la pratique de l'expertise en Seine-Inférieure au

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accordé, ainsi qu'à leurs preuves, par la loi. Par ailleurs, nous voulons lever le voile sur la formation des médecins et des avocats pour être en mesure d'évaluer dans quelle mesure ils ont été préparés à jouer leur rôle respectif. Dans un deuxième temps, notre but est de déterminer quels sont les rôles qui sont décernés aux médecins et ce, avant et pendant leur passage en cour. Nous voulons mettre en lumière les tâches variées que ces derniers accomplissent sur le terrain, afin de déterminer si leur travail diffère en fonction de leur formation et de leur expérience, et si ledit travail semble essentiel. Si c'est le cas, nous tenterons de comprendre si leur importance sur le tenain se répercute en cour, par l'étude des fonctions de leurs témoignages, tant lors des enquêtes préliminaires que des procès. Par ce mémoire, nous cherchons aussi à déterminer quelles sont la crédibilité et l'autorité qui sont accordées aux médecins par rapport aux autres témoins entendus, tant par les gens de justice que par la presse. Enfin, nous voulons savoir si leurs preuves semblent avoir une grande influence sur l'issue des causes et pour ce faire, nous analyserons les plaidoyers des avocats et les adresses des juges. Nous tenterons alors de cibler les facteurs qui ont un impact sur ladite influence.

Sources

Dans le but de saisir quels sont les rôles et les tâches dévolus aux médecins impliqués dans le processus judiciaire, mais également quels statut et influence leur sont accordés, différentes sources ont été étudiées en complément-arité, à la fois afin de les confronter et de les compléter. Lorsque nous avons entamé notre recherche visant la constitution du corpus, notre premier objectif a été de repérer l'ensemble des causes pour crimes violents dans lesquelles un ou des médecins avaient été impliqués à titre d'auxiliaire de justice. Après avoir survolé le fonds Cour des Sessions générales de la paix du district de Québec (TL31, SI, SS1) et constaté le grand nombre de causes de violence ordinaire survenues entre 1880 et 1920, nous avons, initialement, décidé de consulter uniquement les enquêtes préliminaires et les procès et d'exclure les enquêtes du coroner. En effet, celles-ci, vu leur nature, n'incluent aucun échange entre avocats et médecins, élément essentiel de notre analyse. Cependant, il s'est rapidement avéré impossible de complètement exclure ces enquêtes, puisque pour la période s'étalant de 1880 à 1889, nous avons répertorié un nombre infime d'enquêtes

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préliminaires et de procès. Afin de comprendre la valeur de cette source et d'être en mesure d'être critique face à celle-ci, il me semble essentiel, avant tout, d'expliquer en quoi consiste l'enquête du coroner et quelle est sa place dans le cheminement judiciaire.

En cas de mort inhabituelle ou suspecte, au Québec entre 1880 et 1920, tout comme au Canada anglais et dans les pays de common law, c'est le coroner qui doit déterminer si la mort est d'origine criminelle. La fonction de ce dernier est simple :

le coroner est chargé d'enquêter sur les circonstances entourant la mort violente ou soudaine d'une personne par suite de causes inconnues ou suspectes. Si la mort ne résulte pas de causes naturelles ou si les circonstances entourant cette dernière laisse présager une mort suspecte, le coroner tient alors une enquête et produit un rapport spécifiant les causes du décès ainsi que l'identification des personnes qu'il croit criminellement responsables de ce même décès33.

Après avoir été informé d'une mort suspecte, le coroner doit immédiatement constituer un jury, généralement composé d'une douzaine d'hommes34, et citer les témoins à comparaître.

Une fois assermentés, les jurés doivent accompagner le coroner pour voir le corps à l'endroit où il a été trouvé. Dans le but de découvrir les causes de la mort et d'identifier le ou les individus qui en sont responsables, le coroner et les jurés doivent procéder à un examen minutieux du corps, notant les blessures, les marques et/ou les tâches sur les vêtements de la victime . Une fois le cadavre examiné, il revient au jury de décider si un examen post mortem doit être effectué sur le cadavre. Si la majorité conclue qu'une autopsie est nécessaire, celle-ci

32 Si elle est simple, cette fonction n'en est pas moins remise en question, puisqu'elle suscite de nombreuses critiques à partir de la

seconde moitié du XIXe siècle, au Québec, tout comme en Angleterre et aux États-Unis où on réclame sa réforme, voire même son

abolition. Si au Québec et en Angleterre les critiques ciblent surtout le fait que les coroners n'ont souvent aucune formation légale et encore moins médicale pour occuper ce poste et réclament que cette fonction soit dévolue aux médecins, aux États-Unis, les critiques de cette fonction sont encore plus virulentes et ciblent le manque d'expérience, d'indépendance et de probité des coroners, ainsi que leur manque de connaissances. Dans certains États, est même mise en place la fonction de medical examiner pour remplacer celle de coroner. Voir Bernier, op. cit., p. 101-102 ; Cawthon, loc. cit., p. 191-202 ; W.C.B. Fifield, « The Present System of Appointment of Medical Examiners by the State of Massachusetts », Boston Medical and Surgical Journal, CXIII, 25 (1885), p. 577 et Jentzen, op. cit., p. 2.

33 Stéphanie Tésio et Vincent Hardy, « Enquête des coroners », dans Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, http: Vwww.bana.QC.ca; portai dt généalogie inst recherche ligne instr coroner'coroner source.isp.

34 Ces jurés doivent remplir certains critères : ils doivent être sujets britanniques, leur passé judiciaire doit être sans tâche, ils ne

doivent avoir aucun lien avec l'affaire, être originaires de la localité où le décès est survenu et/ou où on a retrouvé le cadavre, et de préférence ils devraient être capables de signer leur nom. Ces critères sont plutôt larges et semblent donner accès à un grand nombre de jurés potentiels. Par ailleurs, si la loi requière un minimum de 12 hommes, les jurys peuvent compter 18 ou même 23 hommes, ce qui constitue la limite. Edmond Lortie, Le guide des coroners, Québec, Le Soleil, 1902, p. 17-20.

35 II s'agit d'une étape indispensable de l'enquête du coroner, car cette dernière doit être faite en présence du cadavre qui est la

première preuve qui est offerte aux témoins. Par ailleurs, si le cadavre n'a pas été trouvé ou qu'il est dans un état de décomposition trop avancé pour que soit tenu un examen concluant, le coroner ne peut procéder à l'enquête, à moins d'avoir reçu un ordre contraire. Lortie, op. cit., p. 22-23.

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doit être faite par un médecin de la localité où l'enquête est tenue ou de la localité voisine36. Par

la suite, les jurés se retirent des lieux et les témoins sont entendus . Le coroner doit alors déterminer si l'enquête doit être ouverte au public ou non, celle-ci pouvant être privée « for the sake of decency, or out of consideration for the family of the deceased » . Si le coroner juge que l'enquête doit être fermée au public, seuls les jurés, le ou les médecins qui ont procédé à l'autopsie ainsi que l'accusé peuvent être présents lors des interrogatoires. Par contre, à l'aube du XXe siècle, les enquêtes publiques sont la norme et la presse locale résume les affaires en

détails39.

Comme ils l'auraient fait en cour, les témoins doivent prêter serment, puis donner toutes les informations qu'ils possèdent quant à la mort et aux personnes suspectées de l'avoir causée. Quant au médecin qui a procédé à l'autopsie40, il témoigne en dernier afin d'avoir entendu tous

les témoignages qui pourraient avoir un impact sur ses propres conclusions, et de faire en sorte qu'il ne soit pas rappelé pour répondre à des questions additionnelles. Les jurés et l'accusé peuvent interroger le médecin, droit dont ils se prévalent avec une régularité accrue au fil du XIXe siècle. Quand tous les témoignages ont été entendus, le coroner doit, comme un juge,

résumer la preuve aux jurés et leur expliquer différentes notions de droit. Il leur indique également les jugements possibles, puis il leur donne le mandat de déterminer la cause de la mort avant de les laisser seuls décider du verdict. Quand au moins 12 des jurés s'entendent sur le verdict, ils en avertissent le coroner qui doit l'enregistrer, puis déclarer l'enquête officiellement terminée et renvoyer le jury41. Si le verdict conclut à une mort d'origine

criminelle, le coroner doit faire appréhender le ou les suspects et soumettre l'enquête et le

36 En effet, au Québec, les coroners ne peuvent ordonner un examen post mortem sans avoir obtenu, au préalable, le consentement

de la majorité du jury, « à moins qu'il n'ait fait une déclaration par écrit, laquelle doit être rapportée et produite avec le rapport de l'enquête, comportant qu'à son avis, il est nécessaire de faire un examen post mortem de ce cadavre, pour s'assurer que le défunt est mort par violence ou par des moyens injustes. ». Lortie, op. cit., p. 26-27.

37 St-Denis, loc. cit., p. 143-144.

38 William Fuller Alves Boys, A Practical Treatise on the Office and Duties of Coroners in Upper Canada, Toronto, W.C.

Chewett & Co., Law Publishers, 1864, p. 111-112. Tiré de McShane Galley, op. cit., p. 25.

39 lbid. Le fait que ces enquêtes soient ouvertes au public et à la presse n'est pas sans conséquence ; à l'aube des procès, il devient

difficile de trouver des jurés impartiaux pour juger les causes, tandis que les avocats, les juges et le « grand » public ont pu, eux aussi, être influencés par les comptes-rendus qu'on trouve dans les journaux.

40 Même si le coroner est un médecin, il ne lui ait pas permis de procéder à l'autopsie, il n'a le droit que d'assister le médecin ou

les médecins auxquels il a fait appel pour accomplir cette tâche. William Fuller Alves Boys, op.cit., p. 134. Tiré de McShane Galley, op. cit., p. 23.

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verdict au greffier de la paix de son district, ce qui enclenche la seconde étape du processus judiciaire : l'enquête préliminaire .

Les enquêtes du coroner consultées prennent la forme suivante : sont d'abord inclus quelques renseignements concernant le témoin (son nom, la paroisse dont il est issu et sa profession), puis son témoignage, écrit par un greffier. Celui-ci est exempt de toutes questions de la part des avocats de la Couronne et de la défense, puisque lors de cette étape du processus judiciaire les témoins ne sont pas interrogés par l'une ou l'autre des parties. En plus, bien qu'il soit possible aux accusés et aux jurés d'interroger les témoins durant cette étape, aucun médecin faisant partie des causes inclues dans notre échantillon n'a eu à répondre à de telles questions durant la période que nous avons ciblée (1880-1889). À la fin du témoignage, on retrouve la signature du témoin, ainsi que la date à laquelle a eu lieu sa déposition et le nom du coroner qui l'a assermenté. Bien que parfois difficiles à déchiffrer puisqu'elles sont manuscrites, ces enquêtes du coroner se sont avérées essentielles, puisqu'elles nous permettent de savoir dans quel état était la victime ainsi que les soins qui lui ont été apportés, et d'obtenir plus de détails quant à la chronologie des événements, à la scène du crime et aux témoins présents. Enfin, elles font en sorte que nous connaissons les tâches effectuées par les médecins sur le terrain et que nous sommes en mesure de distinguer si celles-ci varient en fonction de la formation et de l'expérience professionnelle de ces derniers.

Afin de repérer un maximum d'affaires dans lesquelles un ou des médecins avaient été impliqués, notre objectif a ensuite été de répertorier le plus grand nombre d'enquêtes préliminaires possible. Celles-ci, aussi appelées instructions préliminaires, ont été regroupées dans le fonds Cour des Sessions générales de la paix du district de Québec (TL31, SI, SS1), dans le fonds Cours des sessions de la paix (TPI2, SI, SSI, SSS1), mais aussi dans le Fonds de la Cour du banc du roi (TP9, SI, SSI, SSS1). Les enquêtes préliminaires, qui font généralement suite aux enquêtes du coroner43 et constituent la seconde étape du processus

42 St-Denis, loc. cit., p. 144.

43 Lorsqu'un indvidu soupçonne un homicide ou un meurtre, mais aussi en ce qui a trait aux autres types de crimes, comme par

exemple les viols et suppressions de part, la procédure judiciaire est bien différente. En effet, dans ces cas, l'accusé est amené devant un juge de paix pour subir l'enquête préliminaire à la suite d'une plainte ou d'une dénonciation faite à son égard par une personne. Celle-ci, après avoir prêté serment, jure par le biais d'une déposition écrite qu'elle soupçonne cet individu d'être coupable d'un crime et qu'elle peut fournir une preuve de circonstances permettant de l'inculper. Quand il s'agit d'une offense criminelle poursuivable par acte d'accusation, le plaignant ne doit donc pas obligatoirement avoir été victime du crime ou être

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judiciaire, sont conduites par des juges des tribunaux inférieurs44, plus précisément, durant la

période qui nous intéresse à Québec, par le Juge des sessions. L'objectif des enquêtes préliminaires est le suivant : « Le but de l'enquête n'est pas de faire le procès à l'accusé, mais de constater si la preuve est assez forte pour lui faire subir un procès dans l'intérêt de la société »45. Dans ce contexte, les témoins de la Couronne doivent être examinés « afin de

constater s'il y a une forte présomption de la culpabilité de l'accusé ». Le juge peut également faire entendre un ou deux témoins de la défense, qu'il sera le seul à pouvoir interroger, s'il croit que leurs témoignages pourraient faire tomber les accusations46. Toutefois, cette possibilité

n'est jamais exploitée dans les causes inclues dans ce corpus. Parmi les témoins de la Couronne, on retrouve, dans les cas d'homicide, de meurtre et de suppression de part47, le

coroner ainsi que les médecins qui ont participé à son enquête et pratiqué l'autopsie. Dans les cas de viol et autres crimes à caractère sexuel, sont requis par la justice les médecins qui ont prodigué des soins à la plaignante et/ou ont procédé à un examen gynécologique et enfin, dans les causes où les accusées sont soupçonnées d'avoir mis en danger la vie de leur nouveau-né, ont fait appel aux médecins qui les ont traitées48. Ces témoins sont interrogés par le procureur

afin que celui-ci obtienne un maximum d'informations montrant que le crime a été commis, que l'accusé en est l'auteur et qu'un procès doit avoir lieu. Quant à l'avocat de la défense, il se

personnellement intéressé à ce qu'il soit puni, mais il doit pouvoir le prouver devant un juge de paix du district où le crime a été commis ou de celui où l'accusé réside. Par la suite, le magistrat doit émettre, en fonction de la gravité du crime qui est dénoncé, soit un mandat d'assignation ou d'amener, soit un mandat d'arrestation contre l'accusé. Voir Evelyn Kolish Le guide des Archives judiciaires, Québec, Archives nationales du Québec, 2000, p. 29 ; Raoul Dandurand et Charles Lanctôt, Traité théorique et pratique de droit criminel, Montréal, A. Périard, 1890, p. 382-383 et Magloire Lanctôt et Testard de Montigny, Le livre du magistrat, Montréal, J. M. Valois, 1896, p. 34-35 et 40-41. Ces derniers expliquent qu'il existe deux catégories de causes qui peuvent être entendues par un juge de paix : les offenses poursuivables par acte d'accusation (by indictment) et les offenses punissables sommairement, qui sont moins graves. Les homicides et les viols sont des crimes poursuivables par acte d'accusation, et dans ce cas, tout ce que le juge de paix a à faire, « c'est de recevoir la plainte ou accusation ; d'émettre sur cette plainte un mandat (warrant) d'arrestation, ou un ordre de sommation, pour faire amener l'accusé devant lui ou tout autre juge de paix du district, et ensuite procéder à un examen préliminaire de l'accusation » afin de déterminer s'il y a assez de preuves pour que la cause soit jugée lors d'un procès avec jury lors d'une session de Cour du Banc du Roi/de la Reine. Au contraire, dans les cas où la plainte concerne une offense ou une infraction punissable sommairement, le «juge de paix fait le procès même à l'accusé. Il remplace le jury et, seul juge du fait et du droit, il entend les débats et acquitte ou condamne suivant la valeur qu'il donne à la preuve et aux prétentions des parties. ». Cette procédure a pour objectif d'éviter qu'un trop grand nombre d'affaires soient entendues devant les tribunaux supérieurs et d'« éviter les frais et les lenteurs de la justice dans les affaires d'une importance secondaire ». Par contre, quand il s'agit d'un homicide et qu'un corps existe, on doit nécessairement procéder à une enquête du coroner.

44 Kolish op. cit., p. 29.

45 Lanctôt et de Montigny, op. cit., p. 118.

46 Raoul Dandurand et Charles Lanctôt, Manuel du juge de Paix : comprenant la nature des fonctions du juge de paix, la

procédure régulière et la procédure sommaire, la responsabilité des juges de paix, les recours contre leurs jugements...avec renvois aux auteurs canadiens et anglais, Montréal, C.O. Beauchemin, 1891, p. 122.

47 Voici la définition de ce crime, incluse dans le Code criminel canadien. 55-56 Victoria. C. 29, Ottawa, Samuel Edward

Dawson, 1892 : « Est coupable d'un acte criminel et passible de deux ans d'emprisonnement, celui qui fait disparaître le cadavre d'un enfant de quelque manière que ce soit, dans le but de cacher le fait que sa mère lui a donné naissance, soit que l'enfant soit mort avant, pendant ou après l'accouchement ».

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sert de son droit de contre-interroger les témoins à charge afin de les discréditer, de prouver la fausseté des accusations et/ou de présenter la version des faits de l'accusé de façon plus favorable49.

La recherche dans ces fonds s'est avérée très fructueuse, puisque nous y avons trouvé 85 causes correspondant à nos critères de sélection. Par ailleurs, la majorité des causes répertoriées dans ces fonds comprend la transcription des interrogatoires des témoins lors de l'enquête préliminaire, incluant une brève identification de ces derniers ainsi que les questions qui leur sont posées par la Couronne, et dans de rares occasions, par le Greffier de la paix. Dans certains cas, est aussi incluse une récapitulation du cheminement de la cause, ainsi que le verdict rendu au terme de l'enquête et la date du procès, qu'il soit expéditif ou devant jury. Nous avons dépouillé ces trois fonds, disponibles au Centre d'archives de Québec, pour toute la période nous intéressant. Au Québec, si nous avons accès à certaines enquêtes préliminaires avant 1897, c'est cependant à partir de cette date qu'elles se multiplient et deviennent disponibles de façon systématique, à tel point qu'un instrument de recherche les recensant a été mis au point . C'est également à partir de cette époque qu'elles ont été dactylographiées ce qui les rend très facile à consulter. Surtout, les enquêtes préliminaires constituent une des seules sources qui nous donne accès aux témoignages détaillés des médecins, nous permettant de connaître leurs rôles respectifs et les tâches qu'ils ont effectuées sur le terrain, ainsi que la nature et la forme de leurs témoignages. De plus, elles permettent de vérifier s'il y a des dissemblances entre les témoignages des médecins dits « pratiquants », des médecins qui occupent une tâche de professeur et/ou sont des « experts » en médecine légale et en toxicologie et enfin, des coroners, tant au niveau de la nature que de la forme de leurs témoignages. Elles apparaissent aussi nécessaires pour mettre en lumière les interactions entre médecins et avocats de la poursuite. On aborde ici une limite de ces enquêtes, soit qu'elles ne nous donnent accès qu'à un côté de la médaille, parce que ce sont uniquement les médecins 49 Dandurand et Lanctôt, Traité théorique et pratique de droit criminel, p. 538-539. Notons que si l'objectif premier de la défense

est de faire en sorte que l'accusé soit libéré dès cette étape judiciaire, un procès demeure possible et, dans cette optique, l'enquête préliminaire représente une bonne occasion d'obtenir un aperçu de la preuve qui sera avancée par la Couronne lors du procès et

d'élaborer son argumentation en vue de ce dernier. Voir Constance Backhouse, « Carnal Crimes ; Sexual Assault Law in Canada, 1900-1975 », Toronto, Osgoode Society for Canadian Legal History by Irwin Law, 2008, p. 30-31.

50 II existe effectivement une liste informatisée de l'ensemble des enquêtes préliminaires, soit plus de 600, du district de Québec,

de 1897 à 1927. Karine Vézina, « Les enquêtes préliminaires et le système judiciaire québécois », dans Québec, Bibliothèque et

Archives nationales du Québec,

hup: wwu.banq.qc.ca/portal dt/colleclions'genealogie'insl recherche ligne/instr tribunaux/enquêtes préliminaires/système iud

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appelés par la Couronne qui témoignent et ces médecins, du moins dans notre échantillon, ne sont jamais contre-interrogés p.ar la défense lors de cette étape. Autre limite, ces enquêtes ne donnent souvent pas le verdict final, et, enfin, il serait illusoire de croire que toutes ces enquêtes nous sont parvenues, notamment en raison de la perte de documents ou d'erreurs de classement.

Par la suite, il est apparu essentiel d'étudier les procès qui ont lieu à la Cour du banc du roi ou de la reine, qui constitue un tribunal de juridiction criminelle supérieure51 siégeant deux

fois par année dans les villes de Montréal et de Québec, au printemps et à l'automne. Lorsque le juge, à la lumière de la preuve entendue lors de l'enquête préliminaire, décide que l'accusé doit être jugé lors d'un procès, l'acte d'accusation est entendu par le grand jury52. Celui-ci,

après des délibérations secrètes, indique s'il considère que la preuve est suffisante pour que l'acte d'accusation soit considéré comme justifié (true bill) et doit être soumis aux petits jurés ou si, au contraire, il doit plutôt être rejeté (no bill). L'objectif du grand jury est de réviser les décisions prises par les juges de paix dans le but de protéger la justice contre les accusations non fondées53. Il s'avère cependant rare que les grands jurés rejettent les actes d'accusation

qui leur sont soumis mais, parmi ceux qui le sont, on retrouve de nombreuses affaires de viols54. Lorsque l'acte d'accusation est jugé fondé et que l'accusé plaide non coupable,

commence le procès, dont le déroulement, globalement, est le suivant : une fois que le petit jury, composé de 12 membres, a été sélectionné, les pièces à conviction sont déposées et les témoins sont appelés à la barre pour être entendus oralement. Parmi ceux-ci, on retrouve non seulement les témoins à charge comme c'était le cas lors de l'enquête préliminaire, mais également les témoins à décharge. Comme l'objectif est dorénavant de prouver la culpabilité de l'accusé ou, à l'opposé, de le disculper, des médecins comparaissent pour la Couronne, alors que d'autres témoignent plutôt en faveur de la défense. Ces médecins sont d'abord

51 Kolish, op. cit., p. 64.

52 L'institution du grand jury fait l'objet de nombreuses critiques au Canada, surtout à partir du dernier quart du XIXe siècle, à

propos de son coût, du nombre de ses membres et de ses fonctions, alors que l'on vise à ce que la justice soit de plus en plus efficace et économique. Ces critiques ont des impacts majeurs sur cette institution. Par exemple, en 1892, l'Ontario fait passer les membres de ses grands jurys de 24 à 13. En outre, à partir de la même année, avec la mise en vigueur du Code criminel du Canada, les grands jurys se voient retirer la possibilité d'entamer des poursuites criminelles, tandis qu'il devient très rare qu'ils rejettent des causes préparées et autorisées par des magistrats et des procureurs de la Couronne. Pour un résumé de ces critiques, voir Nancy Kay Parker, Reaching a Verdict: The Changing Structure of Decision-Making in the Canadian Criminal Courts, 1867-1905, Ph.D., York University, 1999, p. 236-254.

* Ibid., p. 243 et 245.

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interrogés lors de l'examen en chef mené par la partie qui les a appelés à témoigner. Ces témoins peuvent ensuite être contre-interrogés par la partie adverse, puis ils peuvent être réexaminés afin que soient expliqués des faits nouveaux ayant été présentés lors du contre-examen55. Enfin, durant le procès, les témoins peuvent être appelés de nouveau à la barre, in

rebuttal, uniquement dans le but de contredire des témoins entendus après eux, sur certains faits56. Lorsque la preuve des deux parties a été présentée, sont successivement entendues les

plaidoiries de la défense et de la Couronne. Le juge formule ensuite son adresse au petit jury dans laquelle il éclaire différentes questions de droit et résume la preuve de façon la plus impartiale possible. Il peut toutefois arriver que le juge indique son opinion quant à la cause, mais c'est au petit jury qu'il revient de déterminer la culpabilité de l'accusé et le juge doit accepter sa décision57. Enfin, les jurés doivent délibérer dans le but de rendre un verdict

unanime, délibérations qui peuvent donner lieu soit à l'acquittement de l'accusé, à sa condamnation ou à un désaccord entre eux. Dans ce cas, le juge peut ordonner immédiatement un nouveau procès ou bien admettre l'accusé à caution et le renvoyer au terme suivant de la cour pour qu'il soit jugé devant un nouveau jury. En cas de verdict de culpabilité, le ou les juges doivent prononcer la sentence telle qu'édictée par la loi58.

Les procès, qui prennent la forme de dossiers, se trouvent au Centre de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. La consultation de ces dossiers est apparue primordiale, afin de nous assurer que nous avions repéré toutes les causes disponibles incluant le témoignage d'un ou de plusieurs médecins et de compléter notre corpus, mais aussi d'avoir une meilleure idée du cheminement des causes que nous avions déjà et, si possible, d'obtenir leur verdict final. Par contre, après avoir dépouillé tous les dossiers du Fonds de la Cour du banc du roi, nous avons réalisé que ces derniers comportaient un nombre infime de causes dans lesquelles on retrouve une liste de tous les témoins entendus, mais surtout la transcription de leurs interrogatoires par la Couronne et par la défense s'il y a lieu. Bien que

55 Dandurand et Lanctôt, Traité théorique et pratique de droit criminel, p. 536-540.

56 Charles Langelier, La procédure criminelle d'après le code et la jurisprudence, Québec, Imprimerie du « Telegraph », 1916, p.

159.

57 Donald Fyson explique que si les grands jurys ont pour tâche d'évaluer les preuves de la Couronne avant le procès, c'est au

petit jury qu'incombe la tâche de déterminer si l'accusé est coupable ou non. Donald Fyson, « Jurys, participation civique et représentation au Québec et au Bas-Canada, les grands jurys du district de Montréal (1764-1832)», Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 55, no 1,2001, p. 86.

58 Consulter Dandurand et Lanctôt, op. cit., p. 544-552. Ces informations ont été complétées grâce à un article dans lequel est

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peu nombreuses, les causes recensées se sont avérées essentielles, parce qu'elles contiennent les témoignages des médecins appelés à la barre par les deux parties. Ces informations sont importantes et uniques dans la mesure où les transcriptions des interrogatoires mettent en lumière le niveau de préparation des médecins et des avocats, mais aussi leurs interactions et les stratégies mises en place par les avocats pour augmenter ou diminuer la crédibilité des médecins. Par ailleurs, ce n'est que lors de cette étape judiciaire que des médecins sont appelés à témoigner quant à l'état mental de l'accusé, tâche qui est liée à l'un des deux grands rôles des médecins en matière criminelle. Surtout, ces transcriptions sont essentielles pour répondre au troisième axe de cette recherche qui porte sur la crédibilité et l'autorité des médecins, parce qu'elles nous informent sur les questions posées par les juges et les avocats des deux parties. De rares dossiers comprennent même l'adresse du juge aux jurés, montrant l'importance de la preuve des médecins par rapport aux autres types de preuves.

Bien qu'utiles, les dossiers des procès ne nous donnent pas toujours accès aux verdicts rendus et aux sentences imposées à l'issue des affaires. Du coup, nous avons dû, pour pallier à cette lacune, consulter les registres du Banc de la Reine/du Roi (TP9 SI SS1 SSS 11). Ces registres se sont avérés précieux pour plusieurs raisons. D'abord, y sont recensées toutes les décisions des grands et petits jurys lors des différents termes de la Cour ainsi que les sentences rendues par les juges, ce qui nous a permis de connaître le résultat de plusieurs des causes que nous avions déjà répertoriées dont nous ne connaissions pas l'issue. Ensuite, ces registres indiquent le cheminement de chaque cause recensée, nous indiquant, par exemple, à quelle date le grand jury a rendu sa décision, quel plaidoyer a été enregistré par l'accusé, à quel jour a été fixé le procès, etc. Enfin, et surtout, ces registres sont essentiels, puisqu'ils comportent une liste exhaustive de tous les témoins entendus, dont les médecins, et nous indiquent si ces derniers ont témoigné pour la Couronne ou pour la défense, le nombre de fois où ils ont été interrogés et s'ils ont été entendus lors d'un contre-examen.

Nous sommes à même de le constater, nous avons trouvé peu de causes pour lesquelles nous avons obtenu la transcription des témoignages des médecins lors des procès. Afin de pallier à cette lacune, mais aussi de s'assurer que nous avions repéré toutes les causes disponibles qui correspondent à nos critères et d'obtenir un maximum d'informations les

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concernant, nous avons aussi consulté deux journaux de l'époque, soit le Quebec Chronicle (1880-1920) et Le Soleil (1896-1920)59. En effet, ceux-ci comprennent les comptes-rendus de

nombreux procès survenus entre 1880 et 1920, que les rédactions veulent le plus complets possibles, comme le montre l'extrait suivant tiré du Soleil, en 1900 :

Aussi, le "Soleil" a-t-il pris toutes ses mesures pour donner des comptes-rendus détaillés et descriptifs de ses [sic] assises criminelles, où la tête de trois de nos semblables sera au péril. Cette tâche, qui n'est pas des plus facile, a été confiée à M. Pierre Lépine, notre rédacteur de ville, qui se consacrera exclusivement, pendant toute la durée du terme, aux comptes-rendus des procès importants qui se dérouleront. M. Lépine sera accompagné d'un artiste qui se mettra à sa disposition. Les lecteurs du "Soleil" peuvent donc compter que, cette fois encore, le directeur-propriétaire de notre journal ne faillira pas à la devise qu'il a adopté : « SATISFAIRE LA LÉGITIME CURIOSITÉ DU PUBLIC »60.

Malgré leurs assertions en ce sens, on peut penser que l'importance qui est alors accordée par divers journaux aux procès criminels s'explique autant sinon davantage par leur volonté de vendre un maximum de copies plutôt que de « satisfaire la légitime curiosité du public ». Les affaires scabreuses sont alors très prisées par le public qui se déplace en masse pour assister aux procès les plus populaires, dont celui dans lequel Marie-Anne Houde est accusée du meurtre de sa belle-fille, Aurore Gagnon (10 ans) : « Yesterday afternoon a crowd that numbered the vicinity of three hundred, sought vainly to gain admittance to the Court, but all efforts proved futils, only newspapers men, lawyers, doctors and law and medical students being allowed entrance. »61. Cependant, nombreux sont ceux qui ne peuvent assister à ces

procès et/ou qui se voient refuser l'accès à certains d'entre eux entendus à huis clos et qui doivent suivre les causes par le biais des journaux62.

Ces comptes-rendus se sont rapidement avérés essentiels, puisqu'ils comprennent presque tous un résumé ou une transcription plus ou moins complète des témoignages des médecins, ce qui nous a permis de compléter nos informations sur plusieurs causes. Les articles de ces journaux nous ont également permis d'obtenir le plaidoyer des avocats et

59 Jusqu'à sa fusion avec le Daily Telegraph en 1924, le journal porte plusieurs noms : Morning Chronicle, Quebec Morning

Chronicle et Quebec Chronicle.

60 Le Soleil, 14 avril 1900, p. 12. 61 Quebec Chronicle, 15 avril 1920, p. 3.

62 La popularité des causes et des articles qui leur sont consacrés n'est pas unique au Québec. Par exemple, en Ecosse, les

journaux locaux et nationaux couvrent les procès pénaux qui sont suivis de façon assidue par le public qui peut lire, quotidiennement, l'évolution des causes et les témoignages des médecins, rapportés presque mot à mot. Voir M. Anne Crowther et Brenda White, On Soul and Conscience : the Medical Expert and Crime. ISO years of Forensic Medicine in Glasgow, Aberdeen University Press, 1988, p. 4.

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l'adresse des juges dans plusieurs affaires, plaidoyers et adresses qui, dans la grande majorité des cas, étaient absents des dossiers et registres concernant les procès. Ces articles fournissent aussi une série d'informations auxquelles les transcriptions des enquêtes préliminaires et des procès ne nous donnent pas accès. Ils permettent d'évaluer la façon dont les témoignages des médecins sont accueillis par la presse : Les médecins se voient-ils décerner le statut d'« expert » ? Les journalistes semblent-ils leur accorder beaucoup de crédit par rapport aux autres témoins ? Est-ce que leurs témoignages semblent avoir un impact sur les jugements ? Enfin, les journaux, en plus d'inclure un résumé des drames, s'avèrent particulièrement utiles pour saisir une foule d'informations tues par les transcriptions officielles des enquêtes préliminaires et les procès comme l'ambiance dans la salle, les réactions des avocats et des juges aux témoignages des médecins et les réactions de l'accusé et de la victime, mais aussi

celles de la foule.

Pour obtenir ces informations, nous avons étudié les deux journaux de Québec mentionnés ci-haut. Ceux-ci ont été sélectionnés, puisqu'ils ne sont pas de la même allégeance politique, sont destinés à un public différent et, enfin, sont rédigés dans des langues différentes. L'objectif principal était, dans la mesure du possible, d'avoir des points de vue distincts sur les causes et de pouvoir compléter les informations trouvées dans chacun des journaux. Par exemple, alors que Le Soleil (1896-) est libéral depuis la naissance de son ancêtre, Y Électeur (1880-1896), le Quebec Chronicle est un journal de langue anglaise, fondé en 1847, dont la ligne éditorialiste annonce l'attachement du journal à l'Empire Britannique et à ses institutions63. Par ailleurs, ces journaux ont de larges tirages64 et ils ont d'excellents

reporters qui fournissent les comptes-rendus des causes les plus détaillés de l'époque pour la ville de Québec. Nous avons d'abord jugé important de consulter L'Électeur pour couvrir les années 1880-1895, mais nous avons rapidement réalisé que les articles consacrés aux procès y étaient moins longs et élaborés que ceux du Quebec Chronicle ce qui a fait en sorte que nous avons décidé d'exclure cette source de notre corpus. Cette décision est par ailleurs justifiée dans la mesure où nous possédions déjà plusieurs sources et l'ajout de ce quotidien, non essentiel à notre analyse, aurait encore allongé notre recherche. Malgré leurs nombreuses

63 « The Quebec Chronicle : Presentation », Bibliothèque et Archives nationales. Collection numérique,

http: bibnum2.banq.qc.cabna qc , consulté le 4 février 2009.

64 Voir André Beaulieu et Jean Hamelin, La presse québécoise des origines à nos jours. Tome 3 : 1880-1995, Québec, Presses de

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possibilités, l'utilisation de journaux s'accompagne de limites majeures, soit le sensationnalisme et la volonté de vendre des copies qui peuvent inciter les journalistes attachés aux procès à ne couvrir que les causes les plus scabreuses et, parfois, à déformer la réalité pour la rendre plus attirante aux yeux de certains lecteurs ou pour qu'elle corresponde à leur propre opinion quant à l'honnêteté des victimes et la culpabilité des accusés. De fait, il ne faut pas oublier que ces résumés livrent la perception des journalistes qui couvrent le procès et non la reproduction exacte de ce qui s'est déroulé et de ce qui s'est dit. Par exemple, les témoignages de certains médecins et autres témoins ont pu être simplement résumés, écourtés ou carrément écartés, plutôt qu'entièrement rapportés comme c'est le cas dans les transcriptions des enquêtes préliminaires et des procès que nous avons utilisés. Enfin, notons que si les affaires d'homicides et de meurtres sont rapportées en détail, dans les causes de viol les journalistes font preuve de beaucoup plus de retenue. En effet, certains interrogatoires des témoins ne sont pas rapportés par respect pour la victime et parce qu'on considère que ces informations sont trop scabreuses pour être divulguées au public. Si on résume les témoignages des médecins dans la cause où Joseph Loiselle est accusé du viol d'Alice Ansell, on tait le témoignage de celle-ci concernant l'agression sexuelle qu'elle affirme avoir subi :

When the witness was able to re-enter the Court, she was put through a severe course of cross-examination by Mr. Fit-zpatrick in regard to the actual circumstances of the assault, the various steps connected with which were analysed and discussed by witness and counsel with nauseating minuteness. This feature of the case occupied a considerable part of the afternoon and is of course totally unfit for publication65.

Le fait que certaines affaires soient entendues à huis clos ne peut expliquer seul la volonté des journalistes de ne pas rapporter leurs témoignages, puisque les témoignages des témoins en général et plus particulièrement ceux des médecins sont résumés dans certaines causes de meurtres au cours desquelles seuls sont admis en cour les représentants de la presse, les avocats et les étudiants en médecine et en droit66.

' Quebec Chronicle, 17 octobre 1890, p. 4.

66 C'est le cas, entre autres, dans la cause dans laquelle Marie-Anne est accusée du meurtre de sa belle-fille. Aurore Gagnon. Le

Soleil, 14 avril 1920, p 14. Dans ce cas, il est intéressant de remarquer les raisons qui poussent la défense à réclamer un huis-clos et le juge à l'approuver, soit leur volonté de protéger les jeunes femmes et même les femmes m«iriées de telles informations, jugées non appropriées pour elles : « In making his request to the Judge, Mr. Francoeur said that there was a great deal of evidence that should not be heard by the general public, while some of it was not fit to be heard by young girls. Even some married women would be better off if they did not hear some of evidence, remarked His Lordship Justice Pelletier. ». Voir Quebec Chronicle, 15 avril 1920, p. 3.

Figure

Tableau 1 (1881-1882) : Matières et cliniques au programme de la Faculté de médecine de  l'Université Laval et leur importance dans le cursus
Tableau 2 (1899-1900) : Matières et cliniques au programme de  la Faculté de médecine de l'Université Laval
Tableau 3 (1919-1920) : Matières et cliniques au programme de la Faculté de médecine de  l'Université Laval et leur importance dans le cursus

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