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La séparation-individuation dans le développement de la femme adulte

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Academic year: 2021

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MEMOIRE PRESENTE

A L’ECOLE DES GRADUES DE L’UNIVERSITE LAVAL

POUR L’OBTENTION

DU GRADE DE MAITRE ES ARTS (M.A.) PAR

SUZANNE AUBE

BACHELIERE EN ENSEIGNEMENT AU PRIMAIRE DE L’UNIVERSITE LAVAL

LA SEPARATION-INDIVIDUATION DANS LE DEVELOPPEMENT DE LA FEMME ADULTE

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Je veux exprimer ici toute ma gratitude au docteur Armelle Spain qui m ’a guidée dans la réalisation de ce mémoire par son attention et son encouragement soutenus. Son contact, formel ou informel, m ’a aidée à apprivoiser l’exercice difficile de l’écriture, avec ses doutes autant que ses satisfactions, pour finalement en faire une expérience enrichissante. Le docteur Spain, ainsi que le docteur Gilles Deshaies et le docteur Bruno Richard, m ’ont éveillée à une perspective de la recherche axée sur des préoccupations autant personnelles que sociales. Je leur en suis très

reconnaissante.

Je remercie profondément Jacques Légère auprès de qui j’ai trouvé le support chaleureux nécessaire pour entreprendre une importante démarche de croissance personnelle. Cette relation me permet de devenir davantage qui je suis vraiment.

Je veux souligner enfin la présence significative dans ma vie de Claude S. et de mes amis qui, au-delà du temps qui passe, demeurent les témoins de mon évolution personnelle. Ma relation à eux, ainsi que leur apport, tant intellectuel qu’affectif, ont constitué pour moi une stimulation importante dans l’élaboration de cette recherche. Je leur réitère ici mon amitié et mon amour.

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PLAN DE L’E T U D E ... 2 CHAPITRE 1: PROBLEMATIQUE ... 3 1. Position du p r o b l è m e ... -... 3 2. Justification de la recherche ... 6 3. Cadre théorique ... 6 4. Hypothèse... 8

5. Description des variables ... 9

6. Méthodologie... 10

CHAPITRE 2: REGARD SUR LE DEVELOPPEMENT DE LA F E M M E ... 12

1. Enfance... 12

2. Adolescence... 17

3. Age a d u l t e ... 22

3.1 Apport des théoriciens... 22

3.1.1 E r i k s o n ... 23

3.1.2 Levinson... ...23

3.1.3 S t e w a r t ... 24

3.1.4 G o u l d ... 24

3.2 Développement de la femme adulte...25

3.3 La trentaine: un point t o u r n a n t ...28

3.4 Cheminement vers la séparation... 33

3.4.1 Manifestations... 33

3.4.1.1 Femmes mariées ... 35

3.4.1.2 Femmes célibataires ... 36

3.4.2 Tâches à réaliser... 38

CHAPITRE 3: SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS ... 42

1. S y n t h è s e ... 42 1.1 Résumé et conclusions...42 1.2 Vérification de l’hypothèse ... 45 1.2.1 Appuis théoriques ... 45 1.2.2 Appuis empiriques ... 46 2. Recommandations...65 2.1 Education et changement s o c i a l ... 66

2.2 Thérapie et santé mentale ... 67

2.3 Recherche... 58

E P I L O G U E ...70

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retenait pas mon attention de façon bien particulière. L’enfance était déjà loin et les remous de l’adolescence avaient cédé la place aux défis que comportait alors mon entrée dans la vie adulte: carrière, mariage.

Puis c’est avec grand étonnement que j’ai réalisé progressivement que je répétais certaines façons de faire propres à ma mère, celles-là même que je m ’étais juré de ne jamais reproduire. Pourtant, comme beaucoup de femmes, j’aimais beaucoup ma mère mais il me rebutait de lui ressembler. Le choc était plus grand encore lorsque ces similitudes m ’étaient signalées par mes proches. Mon échec à être différente d’elle a suscité en moi une foule de sentiments allant de la déception à la révolte, en passant par l’impuissance.

Parallèlement, je remarquais bien que, malgré mon entrée dans la vie adulte, certains obstacles intérieurs m ’empêchaient d’avancer. Une partie de moi refusait de grandir. J’ai voulu comprendre ce que je vivais. La lecture

du livre "Ma mère, mon miroir”, de Nancy Friday, a alors constitué un point tournant à cette époque de ma vie.

J’ai réalisé à quel point la relation à ma mère, et surtout la repré­ sentation que j’en ai gardée, m ’avait atteinte au plias profond de moi et continuait toujours de m ’influencer. J’ai pris conscience que cette relation renfermait des éléments de croissance importants que je ne pouvais ignorer si je voulais avancer, grandir. C ’est le désir de continuer à approfondir ce que renferme cette relation qui m ’a motivée à réaliser ce mémoire.

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Différentes étapes demandent à être franchies en vue de cerner les tâches développementales de la femme adulte dans l’établissement de son identité.

Le premier chapitre exposera la problématique à l’étude. La position du problème, la justification de la recherche, le cadre théorique, l’hypothèse, la description des variables ainsi que la méthodologie seront présentés.

Le deuxième chapitre sera consacré au développement de la femme dans le contexte de la séparation-individuation. Les périodes de l’enfance et de l’adolescence seront abordées sommairement en vue de mieux situer le développement de la femme adulte, auquel une attention plus particulière sera accordée puisqu’il constitue l’objet de cette étude.

Le troisième chapitre tiendra lieu de synthèse des données théoriques recueillies sur le développement de la femme. L’hypothèse sera confrontée à ces écrits ainsi qu’à deux recherches empiriques en vue de répondre à la question initiale: quelles sont les tâches qui attendent la femme adulte pour lui permettre la continuation de son processus de séparation-individuation?

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Le présent chapitre a pour but de situer la problématique faisant l’objet de cette recherche. Pour ce faire, la position du problème sera tout d’abord décrite puis certains éléments de justification viendront éclairer son choix. Le cadre théorique sur lequel repose ce mémoire sera ensuite présenté, suivi de l’énoncé d’une hypothèse puis de la description de certains termes propres à l’orientation de la recherche. Enfin, la méthodologie utilisée sera précisée, ainsi que les limites de cette étude.

1. POSITION DU PROBLEME

L’évolution des femmes, ces dernières années, s’est fait sentir à plusieurs niveaux: familial, social, politique, économique et sexuel. Nous avons assisté à un changement marqué de leur rôle traditionnel au profit d’une insertion plus significative dans la société, ce qui n ’exclut pas cependant que d’autres étapes restent à franchir.

Ainsi, extérieurement, un progrès est remarqué au niveau de la participation des femmes aux différentes sphères de la vie adulte. Mais il semble bien qu’une autre partie, plus profonde celle-là, de l’expérience intérieure de ces femmes semble freiner leur développement et ne pas emboîter

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identité qui n ’est pas encore véritablement définie (Bardwick, 1971; Chodorow, 1978). Bien souvent, elles se sentent psychologiquement des petites filles (Dowling, 1982; Friday, 1979), empruntant ainsi une identité

que les autres ont établie pour elles (Léonard, 1982; Miller, 1976).

Que se passe-t-il chez ces femmes? Qu’est-ce qui les empêche de prendre leur vie en mains et ainsi devenir des adultes psychologiquement? Un regard vers la façon dont les femmes sont socialisées nous introduit à des éléments de réponse importants (Katz, 1979).

Il est largement répandu dans la littérature (Bardwick, 1971; Chodorow, 1978; Katz, 1979; Miller, 1976; Williams, 1983) que les messages de

socialisation, dans une société donnée, sont différents selon qu’ils s’adressent à un garçon ou à une fille et que le processus de socialisation est mis en branle très tôt dans la vie, pour ne pas dire au berceau. Ainsi, certains types de comportements et traits de personnalité sont attendus et encouragés à la fois de façon formelle et informelle pour chacun des sexes.

Cependant, Chodorow (1978) considère que la théorie de la socialisation selon les rôles ne justifie pas à elle seule les différences développementales observées selon les sexes, lesquelles débouchent sur des aspects relativement durables de la structure psychique et de la personnalité. Ce qu’elle souligne comme important à considérer dans la socialisation, au-delà de la simple proposition de rôles attribués à chacun

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la perpétuation d’un conditionnement où des attitudes et sentiments profonds sont transmis et s’inscrivent dans le développement de leur identité (Chodorow, 1978; Friday, 1979; Menaker, 1982). Les rôles qu’elles ont intériorisés - marqués entre autres par un statut d’infériorité, de dépendance et de nonassertion (Fahmy, 1982; Menaker, 1982; Miller, 1976) -viennent retarder de façon puissante le cours de leur développement

(Bardwick, 1971; Chodorow, 1978; Miller, 1976).

C’est ainsi que la majorité des femmes n ’ont reçu une identité positive que par altruisme, c’est-à-dire une identité marquée par la dépendance, par le don de soi et par le fait de prodiguer des soins aux autres (Morgan, 1983). Considérant le fait que l’identité suppose entre autres séparation, autonomie et affirmation (Tap, 1980), il s’ensuit que beaucoup de femmes atteignent l’âge adulte en n ’ayant pas établi un sens d’identité adéquat pour continuer de progresser. Leur développement s’en trouve ainsi freiné.

A cette étape de leur vie, que doivent faire les femmes pour arriver enfin à établir leur identité, à prendre leur vie en mains, à se vivre en personne autonome? Quelles sont les tâches qui l’attendent? C ’est la question à laquelle nous allons tenter de répondre.

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Il existe relativement peu d’écrits sur le développement de l’adulte, encore moins lorsqu’il s’agit du développement de la femme adulte (Boilen, 1981). Cette recherche pourrait permettre d’aller un peu plus loin dans la connaissance et la compréhension du caractère particulier que ce développement comporte.

Les éléments ainsi dégagés de cette étude pourront permettre aux femmes d’alimenter les prises de conscience sur leur condition et, plus particulièrement, de jeter un regard à la fois plus éclairé et plus critique sur leur développement et, peut-être, sur la nécessité de briser les schèmes culturels et psychologiques qui portent atteinte à leur autonomie affective dans leur vie présente. Ces éléments de compréhension s’inscrivent donc dans une perspective d’éducation. D ’un point de vue pratique, l’identification des étapes à franchir ou des tâches à assumer pourra contribuer à enrichir toute forme d’intervention auprès des femmes en les mettant en présence de facteurs qui, souvent, leur échappent mais qui pourtant déterminent les choix qu’elles font, le type de relations qu’elles développent et entretiennent avec les autres.

2. JUSTIFICATION DE LA RECHERCHE

3. CADRE THEORIQUE

La question de recherche sera traitée selon deux approches: psychanalytique et développementale.

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Le cadre psychanalytique est ici retenu en raison de la nature intrapsychique de la réalité décrite et en ce qu’il recouvre cette dimension de l’intégration de la culture et de l’effet de la socialisation. Ce cadre psychanalytique sera considéré plus précisément sous l’angle des relations

objectales, où le concept de séparation— individuation sera privilégié.

Chodorow (1974) explique qu’en contraste avec le concept Freudien du développement psycho-sexuel incluant les bases du déterminisme psychologique, la théorie des relations objectales s’attarde sur l’intériorisation des expériences interactionnelles comme déterminant le développement subséquent de la structure de la personnalité individuelle. L’enfant s’approprie, intériorise et organise en lui la nature et la qualité de ses premières expériences relationnelles. Ce qui est intériorisé est généralisé et intégré dans ce qui constitue la structure permanente de sa personnalité.

Le concept de séparation—individuation réfère à la tâche développementale de l’enfant et consiste à se séparer d’avec le premier objet d’identification qu’est la mère en vue de s’individualiser, d’établir sa propre identité. Si Mahler (1953) a été l’une des premières personnes à développer ce concept en l’appliquant à la période de l’enfance, elle envisageait déjà qu’il puisse se poursuivre pendant toute la vie. Elle a été suivie par Bios (1967) qui a étendu ce concept à la période de l’adolescence.

Cet aspect développemental constitue la seconde perspective retenue. Il sera question ici de considérer, à l’instar d’Erikson (1980) et de Gould

(1978), que le développement de l’être humain se poursuit tout au long de la vie, que l’adulte ne se trouve pas dans un état statique parvenu à cette

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Si le développement s’étend sur toute la vie et considérant, dans le contexte de ce travail, que la séparation-individuation est un processus majeur dans la progression de ce développement, nous pouvons considérer la séparation—individuation comme un processus rencontré tout au long de la vie.

4. HYPOTHESE

La problématique à l’étude suggère que plusieurs éléments concourent au développement de l’identité. Tel que mentionné précédemment, l’élément central retenu dans l’établissement de cette identité est que celle-ci suppose séparation, autonomie et affirmation (Tap, 1980).

Du point de vue de la théorie des relations objectales, le développement de l’identité se fait d’abord par une séparation physique puis psychologique pour ensuite en venir à 1’individuation. Cette séparation psychologique est la distanciation par rapport à l’objet d’identification intériorisé qu’est la mère puis aussi, subséquemment, le père. Dans le cas de l’identité féminine, si la femme arrive à l’âge adulte encore en quête de son identité, c’est que pendant l’enfance et l’adolescence, périodes particulièrement propices à cet égard, elle a laisssé en plan certaines tâches la menant à l’établissement de cette identité.

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compléter la tâche de la séparation psychologique par rapport aux premiers objets d’identification, en particulier la mère.

5. DESCRIPTION DES VARIABLES

Il convient maintenant d’examiner de plus près quelle réalité recouvre chacune des deux variables en présence dans cette étude.

Processus de séparation-individuation: processus développemental pendant lequel une personne se sépare, d’abord d’un objet physique et plus tard d’une représentation d’objet intériorisé, en vue d’acquérir l’autonomie du moi à l’intérieur d’une structure de personnalité stable. Par objet, nous référons ici aux personnes significatives dans les phases du développement. Le premier objet est la mère. Les objets sont intériorisés comme des représentations d’expérience relationnelle et ces représentations deviennent incorporées dans la structure de la personnalité.

Séparation: distanciation par rapport aux représentations d’objets, spécialement la mère, dans la structure psychique.

Individuation: acquisition de l’identité; du point de vue interne, elle suggère des frontières stables, bien que flexibles, entre soi et les autres.

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se dégage à l’effet que la séparation-individuation est un processus au cours duquel la personne se développe de façon distincte, avec une identité séparée; ce processus comporte un sens d’être en relation au monde en même temps que le sens de posséder les ressources suffisantes pour ne compter que sur soi quand c’est nécessaire.

Développement de la femme adulte: réfère aux mouvements et à l’évolution sur le plan psychique de la femme au cours de cette période de vie. Des crises développementales peuvent être présentes dans son évolution vers la maturité psychologique.

6. METHODOLOGIE

La méthodologie proposée pour répondre à la question de recherche consiste en une étude de la littérature psychanalytique interprétée selon la théorie des relations objectales. La revue théorique et empirique de la littérature sera concentrée principalement sur les publications faites depuis 1970. Les écrits seront recensés en fonction de la vérification de l’hypothèse retenue dans cette étude, soit le processus de séparation- individuation par rapport à la mère et la manière dont ce processus s’articule dans le développement de la femme adulte.

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Comme il a été souligné plus haut, le processus de socialisation modifie les bases développementales de la fille et du garçon. La perspective adoptée consistera à concentrer notre attention sur le développement des femmes, considérant qu’il est assez significatif pour être étudié en soi. La référence au développement de l’homme perpétuerait un aspect normatif qui est déjà très présent dans la littérature sur le sujet et qui, de toute façon, ne rejoindrait pas le but de cette recherche.

Le prochain chapitre s’attardera au développement de la femme tandis qu’au troisième chapitre, les données théoriques et empiriques seront analysées en fonction de l’hypothèse pour enfin répondre à la question de recherche: quelles sont les tâches menant la femme adulte à l’établissement de son identité?

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Selon la perspective adoptée dans cette étude, le développement adulte est en relation étroite avec les étapes antérieures de développement, soit l’enfance et l’adolescence- L’objectif visé dans ce chapitre est donc d’aborder chacune de ces deux périodes de vie mais de façon succinte et continue, permettant ainsi de mieux situer le développement de la femme adulte, qui sera traité de façon plus élaborée et systématique.

1. ENFANCE

Leraer (1980) soutient que plusieurs facteurs culturels et intrapsychiques sont présents et conditionnent de façon importante le développement de la fille au cours de l’enfance et de

l’adolescence-Concernant les facteurs culturels, Boilen (1981) rapporte plusieurs études témoignant que non seulement des stéréotypes reliés au sexe sont transmis par l’éducation de génération en génération, mais que la différence de socialisation au niveau des sexes a un impact important sinon déterminant sur la structuration de la

personnalité-Cependant, bien que ces réalités culturelles soient les plus évidentes, Lerner (1980) soutient avec Chodorow (1978) qu’elles ne

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cons-tituent pas le facteur prédominant affectant le développement de la personnalité. En effet, plus qu’une question de socialisation, qui prédispose les femmes à la dépendance plutôt qu’à l’autonomie (Lerner, 1980),

la similitude de sexe avec la mère constitue la pierre angulaire du développement de la fille (Bardwick, 1971; Boilen, 1981; Chodorow, 1978; Friday, 1979; Lerner, 1980). Ainsi, la fille doit se différencier - en vue de s’individualiser - de la figure maternelle avec laquelle elle s’est d’abord identifiée. Cette lutte développementaie avec un parent du même sexe détermine l’évolution de la fille.

Mais quels sont donc les éléments impliqués dans cette similarité pour que la tâche de séparation-individuation soit ainsi rendue plus complexe?

Tout d’abord, dès l’enfance, la forte identification qui existe entre mères et filles pousse à accroître la tendance pour la mère à réagir à sa fille comme si cette dernière était un prolongement d’elle-même (Lerner, 1980). D’une part, la similitude physique implique un partage implicite de connaissances à propos de la conscience du corps (fonctions, problèmes et besoins) (Boilen, 1981). D’autre part, la fille peut devenir le véhicule à

travers lequel la mère espère atteindre les plaisirs et gratifications qui, en fantaisie ou en réalité, lui ont été refusés (Lerner, 1980). Ou encore, voyant la petite fille comme un projection d’elle—même, la mère voit en elle un miroir de ses propres appréhensions, peurs ou angoisses dont elle va chercher à protéger sa fille (Friday, 1979). Menaker (1982) souligne que cet investissement narcissique de la mère envers sa fille est influencé non seulement par sa propre dynamique mais aussi par les valeurs sociales qui

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prédominent.

Le lien mère-fille devient ainsi le lieu d’expériences relationnelles subtiles et profondes en ce qu’il n ’existe pas entre elles, depuis le début, de frontières définies en termes d’existence individuelle (Boilen, 1981).

Ce manque de frontières distinctes a pour effet de conditionner la fille à devenir un être de relation (Bardwick, 1971). Elle en vient à développer une habileté à sentir et à appréhender les besoins des autres. De plus, souvent, la fille apprend à s’attribuer une valeur en fonction de l’appréciation d’autrui ou, si l’on préfère, à ne s’estimer que dans la mesure où elle est estimée (Bardwick, 1971; Boilen, 1980). Elle s’oriente

ainsi vers la passivité et la dépendance et développe ce que Bardwick (1971), Hoffmann (1980) et Miller (1976) nomment des besoins d’affiliation. L’absence d’impulsion intérieure pour mettre un terme à ces relations de dépendance de la petite enfance et la conviction évidente, de la part de l’entourage, que la fillette ne réagira pas de la sorte ont pour conséquence que la petite fille, et plus tard la femme, placeront au premier rang de leurs priorités le fait de plaire, d’être séduisantes, souhaiteront s’occuper des autres et qu’on s’occupe d’elles (Bardwick, 1971).

Les filles en viennent ainsi à se définir et à se vivre comme plus en continuité avec les autres, avec un sens de soi connecté au monde (Chodorow, 1978). L’expérience d’être reliées aux autres semble toucher un aspect de leur réalité psychologique que beaucoup de femmes reconnaissent immédiatement (Chodorow, 1978; Hammer, 1975) et que Friday (1979) explique par un maintien de l’état symbiotique.

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Au coeur de la persistance de cet état symbiotique, il est un facteur de développement s’infiltrant particulièrement dans la vie psychique des femmes: la peur de la perte d’amour de l’objet que représente la mère (Boilen 1981; Friday, 1979). Nombre de facteurs prédisposent cette dernière à répondre à la démonstration des différences manifestées par la fille comme du rejet ou de la déloyauté (Lerner, 1980). Or la fille sent qu’elle ne peut pas perdre sa mère: celle-ci est sa première alliée (Friday, 1979). La peur d’être abandonnée alors qu’elle a encore besoin de sa mère rend la fille incapable d’affronter le rejet possible auquel elle s’expose par l’expression ouverte de son agressivité (Bardwick,1971; Friday, 1979; Lerner, 1980) et l’amène à privilégier des formes d’agression plutôt indirectes, subtiles, évitant ainsi de se mettre en état d’opposition. L’alliance pré-oedipienne est ainsi construite autour de la menace de la perte que ni l’une ni l’autre ne peut se permettre. N’exprimant pas un besoin intense de briser les liens familiaux, la fille utilise l’autorité (spécialement parentale) comme moyen de contrôler ses impulsions et comme source d’identité de soi (Bardwick, 1971). Cet état de fait est renforcé par la socialisation qui joue encore ici un rôle prépondérant. En effet, Lerner (1980) rapporte que les filles sont éduquées de façon à restreindre leur liberté à exprimer de la colère et de l’agressivité et aussi de façon à inhiber leur capacité à compétitionner et à s’affirmer. Cette restriction dans l’expression de l’agressivité s’accompagne également de l’absence d’encouragement de la part des parents dans les premiers efforts d’indépendance de la fille. Selon Bardwick (1971) et Hoffmann (1980), un sens de soi indépendant - d’où découle l’estime de soi - se développe à partir de l’accomplissement de tâches permettant à la fille de développer la compétence et l’habileté à se débrouiller seule face à

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l’environnement. Or il semble bien que la fille soit protégée face à cet environnement et, pour cette raison, n’est pas à même d ’établir un sens de soi indépendant têt dans la vie. L’expression d’agressivité ou toute opposition joue ainsi un rôle dans le développement d’un sens de soi indépendant, mettant également en lumière un mouvement vers la séparation.

Pendant la période oedipienne, la fille fait face à la tâche développementale difficile de négocier un changement d’objet, c’est-à-dire de substituer le père à la mère en tant qu’objet d’attachement (Boilen, 1981; Friday, 1979; Lerner, 1980). Lebe (1982) explique qu’une phase développementale importante survenant dans ce changement d’objet consiste pour la fille à idéaliser le père: le bon objet (le père) doit être vu comme étant capable de pallier aux défauts du premier objet (la mère). Le changement qui s’effectue consiste donc en la projection de tous les bons aspects de la mère sur le père, pendant qu’en même temps les mauvais aspects du père sont projetés star la mère. Cette séparation est une condition indispensable menant au changement d’objet. Cependant, bien souvent, l’envie ou la fragilité de la mère à supporter ce changement est ressentie par la fille puis intériorisée dans son expérience (Lerner, 1980). La fille ne peut ainsi "renier” sa mère, ce qui mettrait en péril l’alliance pré-oedipienne qui prévaut toujours entre elles.

C ’est ainsi qu’une ambivalence envers la mère (besoin de se séparer d’elle tout en continuant de garder son amour) continue pour la fille tandis qu’elle cherche à transférer sa libido vers son père. Chodorow (1978) ajoute que dans notre culture, le père ne constitue pas un objet assez important pour briser l’attachement maternel, étant donné sa distance à la

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fois physique et émotionnelle. Conséquemment, la plupart des femmes se séparent seulement partiellement de la mère en idéalisant le père puis les hommes et tendent à demeurer dépendantes de leur force, de leur support, de leur pouvoir ou réussite dans un sens qui inhibe leurs propres ressources d’affirmation et d’expression créatrice (Lebe, 1982). La fille sauvegarde plutôt un lien inconscient avec la mère et ce maintien a pour effet de contrecarrer son mouvement vers un fonctionnement autonome ainsi que vers son accomplissement sexuel (Leraer, 1980). Ne repoussant ni n ’abandonnant de façon absolue son attachement pré-oedipien à la mère pas plus que son attachement oedipien au père, la fille ne résout pas son complexe d’Oedipe (Chodorow, 1978; Lebe, 1982; Lerner, 1980). Hammer (1975) soutient également que pour la vaste majorité de mères et de filles, l’émergence du stade de symbiose complète demeure partielle. A un certain niveau, mères et filles tendent à demeurer émotionnellement liées les unes aux autres dans ce qu’on pourrait appeler une relation semi-symbiotique, dans laquelle ni l’une ni l’autre ne se voit entièrement comme une personne séparée.

Même si la fille sort de l’enfance sans avoir résolu les tâches développementaies dont la principale est d’amorcer une séparation émotionnelle d’avec sa mère, l'adolescence lui offre une seconde chance d’effectuer cette séparation (Bios, 1967).

2. ADOLESCENCE

La période de l’adolescence présente cependant certains obstacles que la fille aura à surmonter (Boilen, 1981). Trois de ces obstacles ont été

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identifiés. D ’abord, les tâches non résolues du processus de séparation- individuation durant l’enfance, dont il vient tout juste d’être fait mention. Ensuite, la société: il est attendu de la fille qu’elle prenne les caracté­ ristiques de sa mère, d’où le besoin moins grand ressenti par elle de se différencier de sa mère. Puis enfin intervient l’attitude de la mère. Ce dernier obstacle mérite qu’on s’y attarde brièvement.

L’identification entre la fille et la mère prédispose cette dernière à envier sa fille (au moins inconsciemment), particulièrement pendant cette période de l’adolescence. En effet, l’activité, l’exubérance et l’accroissement de la sexualité chez la fille peuvent coïncider avec l’expérience de sa mère qui s’estime comme moins attirante et aussi qui sent avec une plus grande conscience que ses enfants ont moins besoin d’elle, sinon plus du tout. Ainsi, elle peut encourager sa fille à être autonome mais peut subtilement saper les tentatives de celle-ci à atteindre ce qu’elle-même n’a pas car elle réexpérimente ses propres anxiétés de séparation-individuation non résolues (Lerner, 1980). Roeske (1982) s’est attardée sur ce message de double contrainte: la fille, étant vue comme une extension de sa mère, se voit donner le message qu’elle va avoir l’opportunité de réaliser ce qui a été refusé ou rendu inaccessible à sa mère, mais en même temps, cette dernière ne donne ni moyens ni stratégies pour y arriver. C ’est qu’à un autre niveau, le message laisse sentir une menace de perte à la fille. L’idée de dépasser sa mère ou de se mettre en colère contre elle culpabilise la fille et inhibe du même coup la séparation- individuation (Friday, 1979).

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pouvant rendre insurmontables les difficultés inhérentes au processus de séparation-individuation de l’adolescente- Friday (1979) considère d’ailleurs que le développement des adolescentes est sans doute le plus compliqué de la croissance humaine. En effet, elles doivent affronter le réveil du conflit oedipien qui les pousse vers leur père, la rivalité avec leur mère qui en résulte et l’hostilité qu’elle engendre chez elles comme chez leur mère. En même temps, elles doivent apprendre à s’accepter en tant que femmes et, selon Bardwick (1971), à affronter l’ambivalence inhérente à ce cheminement.

A propos de cette ambivalence, Boilen (1981) décrit ainsi ce qui se passe: la fille, tout au long des années, a perçu chez sa mère les attributs

d’infériorité qu’elle a intériorisés (passivité, dépendance, répression sexuelle et faible estime de soi). Pendant les années rebelles de l’adolescence, la fille tend à les rejeter, bien que ces caractéristiques soient assimilées dans le caractère de son développement. Ce rejet- assimilation est à la base des sentiments d’ambivalence. Chodorow (1978) précise que la fille essaie de résoudre cette ambivalence en séparant les bons et mauvais aspects de la mère. La fille associe ainsi sa mère au mauvais tandis que l’extérieur ou le milieu extrafamilial représente le bon. Généralement, la fille essaiera d’être aussi différente que possible de sa mère et, dans ses efforts pour le devenir, se fusionnera avec toute autre personne extérieure à elle. La fille oscille ainsi entre le rejet total de la mère - car celle-ci représente la dépendance infantile - et son attachement pour elle.

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besoin d’intérioriser la mère en tant qu’objet pour être capable de fonctionner en son absence, l’adolescente est face à la tâche d’abandonner cet objet intériorisé. Brandt (1977) souligne que cette tâche s’accompagne d’un changement fondamental dans la relation à la mère et dans la perception qu’en a la fille. Il s’agit plus précisément de l’unification de la ’’bonne” et de la ’’mauvaise” mère de manière à ce qu’elle puisse être perçue d’une façon plus réaliste, ce qui implique l’abandon de l’attente d’un amour maternel idéalisé comme le développe Friday (1979). Cette unification est importante parce qu’elle permet à la fille de s’identifier positivement à sa mère, condition nécessaire pour s’accepter en tant que femme (Lebe, 1982).

Le processus de détachement face aux objets intériorisés implique donc l’habileté à voir les parents comme des gens réels, à maintenir la rela­ tion, s’il y a lieu, mais d’une autre façon. De la formation d’une nouvelle forme de relation avec les parents dépend ainsi l’atteinte de l’individualité et de l’identité (Bios, 1967; Brandt, 1977). Cependant, une anxiété est ressentie dans cette séparation d’avec la mère intériorisée (Lerner, 1980; Menaker, 1982). En effet, la fille a tendance à vivre le fait de se sentir séparée et complète sans sa mère comme une trahison. Roeske (1982) et Hoffmann (1980) précisent que cette anxiété conflictuelle chez la fille est constituée de la peur de la solitude engendrée par ce détachement, ce qui entretient chez elle son désir de demeurer sous la protection maternelle. Pourtant, cette séparation d’avec le premier objet qu’est la mère, accompagné du sentiment de solitude qu’elle comporte, constitue un processus sans lequel aucun sens d’identité réel ne peut être atteint

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Un autre domaine influence le développement de l’adolescente: la répression de sa sexualité (Boilen, 1981; Brandt, 1977; Friday, 1979).

Friday (1979) explique que les pulsions sexuelles de l’adolescence sont une explosion d’énergie cherchant à briser une fois pour toutes les liens infantiles qui relient la fille à sa mère. Ces forces servent à achever le processus de séparation-individuation en ce qu’elles portent la fille à se tourner vers des objets extérieurs à la famille. Or la mère n ’étant souvent pas elle-même une femme sexuelle, la fille n ’ose la dépasser en raison de l’alliance pré-oedipienne qui persiste, où la fille et la mère forment équipe. La compétition est alors domptée car il ne peut y avoir entre elles la moindre rivalité en raison de la menace de perte qui est toujours présente. Cette répression de la sexualité est également encouragée par des facteurs culturels où l’on s’attend à ce que l’adolescente nie ses désirs sexuels (Boilen, 1981).

L’adolescente arrive ainsi au seuil de l’âge adulte partiellement séparée. Le processus de séparation— individuation s ’est ralenti et s’interrompt; la fille se confond avec sa mère et devient une fille ’’latente”. Le sentiment de rivalité et cette peur d’être abandonnée qu’il engendre, constituent de nouveau et de façon anachronique les appréhensions adolescentes (Friday, 1979).

Les crises que vivent les adolescentes se rapportent essentiellement à des dimensions interpersonnelles (Bardwick, 1971). La présence constante des motivations d’affiliation fait de la capacité d’établir et de maintenir des relations significatives - et, ultimement, le mariage - la tâche la plus critique pour les filles à la fin de l’adolescence et au début de la

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vingtaine.

Ainsi les conflits demeurent non résolus pour la fille au terme de l’adolescence (Boilen, 1981; Chodorow, 1978; Friday, 1979; Lerner, 1980). Toutes ces difficultés et ces conflits reliés au processus de séparation- individuation sont incorporés chez la fille durant la phase pré-oedipienne, la phase oedipienne, pendant l’adolescence et sont traînés dans l’âge adulte, encore non résolus. La quête de son identité est alors reportée de nouveau pour la femme.

3. AGE ADULTE

Tout d’abord, un bref survol de la littérature portant sur le développement de l’adulte permettra de mieux situer par la suite le développement de la femme en regard de la poursuite de son individuation à l’âge adulte.

3.1 Apport des théoriciens

Les écrits existant sur le développement de l’adulte sont assez restreints, encore plus lorsqu’il s’agit du développement de la femme adulte. Les théoriciens suivants: Erikson (1980), Levinson (1978), Stewart (1977) et Gould (1978) ont été retenus en raison de la perspective propre à cette étude, soit la poursuite du processus de séparation-individuation chez la femme adulte.

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3.1.1 Brikson

Erikson (1980) a été le premier psychanalyste à postuler que le développement de la personnalité se poursuit tout au long de la vie. Sa contribution majeure à la conceptualisation psychanalytique réside en sa théorie de la mutualité, c’est-à-dire que le développement de la personnalité est intimement lié à son environnement. Une de ses observations importantes est la notion de tâche reliée au développement de l’identité: la résolution d’une tâche à un stade donné est nécessaire pour que la personne progresse au stade suivant. Cependant, bien qu’Erikson ait contribué grandement à la notion du développement adulte, il a perpétué le biais psychanalytique en voyant le développement de la femme subordonné à celui de l’homme plutôt que de considérer la femme comme une entité séparée, possédant son propre cheminement.

3.1.2 Levinson

Levinson (1978) a, pour sa part, axé ses efforts sur le développement de l’homme et son point de vue diffère de la perspective psychanalytique en ce qu’il ne relie pas le développement adulte à celui de l’enfance. Il a contribué largement à vulgariser le développement adulte. Malheureusement, jusqu’à maintenant, ses écrits concernent uniquement le développement de l’homme. Il rejoint cependant Erikson (1980) en considérant le développement de la femme dépendant de celui de l’homme. Enfin, il ne perçoit pas le déve­ loppement de l’adulte lié à l’âge mais plutôt à des périodes développementales se vivant de façon intrapsychique. Bien que Levinson ne soit pas très utile au propos de cette étude, il est mentionné ici afin de

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faciliter l’introduction de Wendy Ann Stewart (1977), qui a tenté d’appliquer la théorie de Levinson au développement de la femme adulte.

3.1.3 Stewart

Stewart (1977) a pu explorer l’approche de Levinson au moyen d’entrevues très élaborées effectuées auprès de 11 femmes de 30 à 40 ans de différentes sphères de la vie adulte. Ses découvertes suggèrent que les femmes éprouvent une difficulté marquée à former une structure de vie satisfaisante dans la trentaine. De plus, cette période coïncide avec la venue de changements comme la perception plus aiguë de la pression du temps et la modification dans la nature des priorités. Une des découvertes importantes de Stewart est l’omniprésence de l’influence de la mère comme un modèle de rôle: dans la vingtaine, la femme poursuivrait un modèle

traditionnel de rôle et la mère, comme modèle, exercerait une grande influence. L’individuation réprimée n ’apparaîtrait que vers la trentaine, période de changement caractérisée par des manifestations d’insatisfaction, d’anxiété et de colère. Ces découvertes sont consistantes avec celles de Chodorow (1978), qui considère que la relation précoce mère-fille encourage un lien de dépendance prolongé, rendant ainsi plus complexe le processus de différenciation. Cependant, Stewart n ’indique pas d’où vient cette individuation retardée ni pourquoi elle semble inévitablement se produire aux environs de 30 ans. Son étude est plutôt descriptive qu’analytique.

3.1.4 Gould

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adulte. Pour lui, la séparation-individuation n ’est pas restreinte au jeune âge et ainsi ne se limite pas aux périodes de l’enfance et de l’adolescence. Suite à une étude menée auprès d’adultes des deux sexes de 16 à 50 ans, il voit 1’individuation comme un processus important dans la vie adulte et il considère le temps comme un facteur crucial dans la poursuite de ce processus. L ’originalité de son apport réside dans sa distinction selon le genre à l’âge adulte et dans la perception de la difficulté particulière du processus d’individuation chez la femme dans la trentaine. Il reconnaît ce processus comme intimement lié au développement de l’enfance, où certaines expériences très précoces de situations de séparation peuvent être, à l’âge adulte, inhibitrices de 1’individuation. Enfin, il a trouvé que les changements d’objet sont de la plus haute importance pendant l’âge adulte et que la nécessité de ces changements est aussi impérative qu’elle ne l’était dans les étapes antérieures de développement.

La pertinence des propos de Gould à la question de recherche justifie l’utilisation importante de sa théorie dans l’explication du développement de la femme adulte dont il est maintenant question.

3.2 Développement de la femme adulte

Il semble utile de rappeler que le contexte développemental de la fille est caractérisé par l’attachement aux autres et son sens de soi devient organisé autour de la capacité d’établir et de maintenir des liens (Miller, 1976). Ayant constaté, lors des périodes de l’enfance et de l’adolescence, que les conflits de séparation-individuation demeurent non résolus,

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qu’arrive-t-il à la femme lors de son entrée dans la vie adulte si son besoin d’affiliation vient au premier plan? La prochaine étape consiste donc à regarder comment la femme évolue, comment ses conflits non résolus affectent la poursuite de son développement et quelles sont les tâches qui l’attendent dans l’établissement de son identité.

L’incomplétude des deux premières phases de séparation—individuation - soit l’enfance et l’adolescence - introduit la venue de ce que Boilen

(1981) appelle la troisième phase de séparation-individuation- Selon le point de vue de cette auteure, la troisième phase de séparation-individuation cons­ titue pour les femmes la suite d’un cycle qui se répète: après la première phase (enfance) et le complexe d’Oedipe suit une période de latence pendant laquelle la socialisation poursuit son cours. Après la deuxième phase (ado­ lescence), avec les conflits non—résolus, suit une autre période pendant laquelle la socialisation se poursuit et est généralement complétée. Durant ce temps, la jeune femme est très occupée dans son rôle d’adulte, d’épouse, de mère ou de professionnelle. Les conflits sont enfouis, enterrés par des préoccupations d’adaptation inhérentes à l’entrée dans la vie adulte et par les nouvelles responsabilités qui l’accompagnent. Une grande quantité d’énergie est alors dirigée vers l’extérieur et une dizaine d’années peut s’écouler avant l’accalmie qui précède la troisième phase de séparation- individuation (Boilen, 1981).

Selon Gould (1978), le début de la trentaine, période qu’il délimite autour de 28 à 34 ans, est caractérisée par un premier essai de découvrir son moi authentique. La personne est davantage prête à se regarder. Elle veut aller au-delà des limites étroites d’indépendance et de compétence qu’elle

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s’était fixée auparavant. De plus, pendant la trentaine, la personne est plus vulnérable aux peines et aux souffrances. La vie lui semble plus difficile et compliquée qu’elle ne 1’apparaissait à prime abord.

Si la femme est mariée, Boilen (1981) et Gould (1978) remarquent que les difficultés dans le mariage deviennent alors plus prononcées. Les conflits avec les parents, mis de côté pendant la vingtaine, reviennent sous forme de manifestations maintenant transférées sur le mari. La société inculque à la femme l’idée que l’union avec un homme constitue une partie intégrante de son identité (Boilen, 1981; Williams, 1983). Mais il s’avère que c’est précisément dans le mariage que la femme commence à sentir un vide désolant. Elle est devenue désillusionnée, amère et souvent en colère. Cette période d’inquiétude, de dépression, d’insatisfaction est le précurseur d’un changement psychologique important (Gould, 1978) et annonce l’entrée dans la troisième phase de séparation— individuation (Boilen, 1981). La femme commence enfin à chercher son identité. Elle veut davantage savoir qui elle est et ce qu’elle veut plutôt que ce qu’elle est supposée être. ’’Qui suis-je?”, ”Qu’est-ce que je veux?” sont des questions qui émergent ainsi qu’un nouveau besoin: celui de trouver un sens à sa vie (Gould, 1978).

Une autre phase caractérise le développement adulte, celle que Gould (1978) délimite cette fois autour de 35 à 45 ans. Pendant cette période, la pression du temps est ressentie avec une plus grande acuité. Cette pression du temps s’accompagne de la détérioration de certaines illusions, dont principalement les illusions de la sécurité, vestiges de la protection parentale. La personne réalise de plus en plus qu’elle est seule.

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Plusieurs auteurs en arrivent donc à considérer que la trentaine constitue un point tournant pour la femme dans la quête de son identité. Mais pourquoi cette époque de la vie lui offre-t-elle une occasion privilégiée pour y parvenir? Il semble pertinent, à cette étape-ci, de regarder les facteurs concourant à faire de la trentaine une période propice pour la réso­ lution de 1*individuation chez la femme.

3.3 La trentaine: un point tournant

Des éléments généraux de contexte seront d’ abord énoncés afin d’introduire les facteurs plus particuliers menant la femme à une remise en question importante dans la trentaine.

Boilen (1981) expose trois éléments contextuels dans lesquels s’ins­ crit la troisième phase de séparation—individuation pour les femmes:

- l’aspect développemental: la tendance inhérente de l’organisme vers la santé psychique produit différents cycles, comprenant des crises qui cons­ tituent en quelque sorte autant de chances d’effectuer la séparation- individuation si ce n ’est pas fait;

- la perspective historique: la femme a un passé caractérisé par des siècles de dépendance et de position sociale de second ordre. L’indépendance psychique n ’est pas facilement extirpée de ce contexte, ce qui explique que la séparation psychologique soit un processus plus lent à réaliser que les changements sociaux auxquels nous avons pu assister;

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- les influences environnementales et culturelles sur le processus de développement: 1* avancement technologique de notre société, incluant les

changements sociaux et l’explosion de l’information, incitent la femme à une plus grande conscience et à une plus grande réalisation d’elle-même.

Certains facteurs plus particuliers mettent en lumière les raisons pour lesquelles la trentaine a été identifiée comme période cruciale pour la femme. D ’abord, après la période mouvementée de la vingtaine, le temps et la tranquillité nécessaire constituent une condition favorable à l’arrivée d’une troisième phase de séparation-individuation (Boilen, 1981).

Ensuite, la femme a souvent eu le temps d ’acquérir de l’expérience, ce qui lui offre une perception plus large des choses, ainsi qu’une plus grande capacité d ’affronter les problèmes et les crises (Boilen, 1981). Plus précisément, la femme a probablement eu suffisamment de réussites narcissiques, c’est-à-dire qu’elle a eu le temps de réussir à l’école, dans une carrière, dans un mariage et dans la communauté. Elle a souvent des enfants. Ces réussites contribuent à développer son estime de soi (Lebe, 1982). La femme devient alors plus confiante en ses habiletés et, consé- quemment, a souvent le sentiment de gaspiller ses ressources (Boilen, 1981; Gould, 1978). Cependant, elle se retrouve souvent en état de conflit, coincée entre ses besoins (des besoins de réalisation personnelle) et les stéréotypes du rôle féminin conditionnés par notre culture (Morgan, 1983). L’anxiété due aux conflits de rôles peut affecter le développement de la confiance en soi et de la compétence personnelle (Morgan, 1983). Le délai dans l’établissement d’un sens d’identité chez la femme dans notre culture est due au fait que son identité est définie à travers ses rôles inter—

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personnels, notamment ceux de fille, puis d’épouse et de mère (Bardwick, 1971). Tap (1980) précise que, dans bien des cas, la crise d’identité s’opère non seulement par opposition à une définition négative des rôles assumés mais surtout par l’impossibilité d’assumer un quelconque rôle. Il est intéressant de noter ici que la crise d’identité de la femme dans la trentaine a beaucoup à voir avec les rôles qu’elle a endossés et qu’elle remet alors en question.

La trentaine est également considérée comme une période propice à la résolution de 1’individuation car la femme a eu le temps de mieux voir les faiblesses de sa mère, aussi bien que ses forces, de sorte que la représentation d’objet originale de la mère a eu le temps d’être relativisée, modulée. Une certaine distance par rapport à la mère pré-oedipienne est alors établie. Parallèlement, la femme a aussi eu le temps d’observer que les hommes sont humains et vulnérables et non pas tout-puissants comme elle l’avait tout d’abord pensé. Donc elle a aussi une vision plus réaliste des hommes, allant de pair avec une vision plus réaliste de la mère (Lebe, 1982).

Lebe (1982) croit que les réussites narcissiques de la vie, la rééva­ luation de la mère ainsi que la démystification des hommes constituent des expériences nécessaires pour résoudre les conflits menant à la séparation- individuation et que ces expériences sont habituellement réalisées autour de la trentaine.

De tous les facteurs cités précédemment, Boilen (1981) et Gould (1978) s’entendent pour dire que la perception plus aiguë de la pression du temps constitue pour la femme adulte le facteur prédominant dans

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le contact plus grand avec le vieillissement, la mort et les souffrances de la vie concourent à sentir avec une plus grande acuité cette pression du temps- Néanmoins, celle-ci n ’est pas ressentie uniquement par rapport aux constatations des traces du temps qui passe mais également en fonction du temps à venir, du temps qui reste devant soi. Pour une femme de carrière sans enfant, par exemple, s’ajoute l’urgence de l’âge à cause du déclin de sa fertilité; elle sent qu’il ne lui reste pas beaucoup de temps pour devenir mère. Le fait de réaliser qu’une moitié de vie est pratiquement passée avec tous les événements qui ont pu la bousculer, peut forcer une nouvelle appréciation des valeurs et du style de vie. Pour plusieurs, la trentaine et la quarantaine peuvent être un temps où il est devenu impératif de répondre à ses besoins car personne ne le fera à sa place (Bardwick, 1971). La femme s’oriente alors vers une prise de décision importante: celle de ne plus être la petite fille de qui que ce soit (Boilen, 1981).

En somme, il semble bien que l’entrée dans la troisième phase de séparation-individuation autour de la trentaine soit la combinaison de deux types d’événements. D’abord, le temps comme événement naturel: l’accalmie d’après la vingtaine fournit à la femme l’occasion de se regarder et elle peut sentir plus fortement la pression du temps, la poussant davantage à se situer personnellement. Ensuite, bien souvent, des événements précipitants, caractérisés par une crise (divorce ou séparation, perte des parents ou des amis, constatation que ses enfants n’ont plus besoin d’elle), peuvent inciter la femme à une remise en question profonde et contribuer à son entrée dans la troisième phase de séparation—individuation.

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complexe que celle de l’enfance et de l’adolescence (Gould, 1978). Il se peut qu’elle ne se réalise pas chez certaines femmes. Selon Gould (1978) et Bardwick (1971), la femme, dans la trentaine, peut se retrouver prise dans l’éventail extérieur des accumulations de la vie et aussi dans l’éventail intérieur de tout ce qu’elle a intériorisé depuis sa naissance. Sentant qu’elle est le résultat de ses obligations et que les alternatives sont plutôt limitées, elle peut vivre du ressentiment mais ne pas dépasser ce cap. Lebe (1982) ajoute que la séparation-individuation peut ne pas se réaliser si la femme a une mère ou un mari trop contrôlants.

Néanmoins, il ressort que la majorité des femmes, dans la trentaine, s’acheminent vers 1’individuation. Un ensemble de facteurs biologiques, psychologiques et socio-culturels conduisent à la ré-émergence des conflits non résolus de séparation-individuation et il se produit une poussée de développement à cet effet pour une grande partie des femmes.

Jusqu’à maintenant, le développement de la femme adulte a été abordé, de même que les raisons faisant de la trentaine un moment privilégié dans l’établissement de son identité. Il sera maintenant question, dans la dernière partie de ce chapitre, du cheminement vers la séparation pour la femme, où seront présentées les manifestations spécifiques à ce processus ainsi que les tâches devant être réalisées afin d’en assurer la poursuite.

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3-4 Cheminement vers la séparation

3.4.1 Manifestations

Cet élan soudain vers une plus grande séparation se manifeste par des mouvements alternatifs de régression et de progression. Ces mouvements s’orientent petit à petit vers une plus grande ouverture sur le monde caractérisée par le besoin d’espace (Bardwick, 1971), pouvant prendre différentes formes: recherche d’une carrière, reprise d’études, mise sur pied ou réalisation d’un projet longtemps caressé.

Certaines manifestations émotionnelles commencent aussi à apparaître chez la femme, comme de l’anxiété ou un sentiment d’insécurité, et se traduisent dans son domaine de prédilection: les relations interpersonnelles (Gould, 1978). En effet, il a été signalé, durant les périodes de l’enfance et de l’adolescence, que le besoin d’affiliation est dominant chez la fille. Conséquemment, le comportement de la femme reste encore influencé par la peur d’être rejetée, de ne plus être aimée (Bardwick, 1971). L’aspect relationnel et la peur de la perte d’amour sont inévitablement accompagnés de dépendance, qui en est le prolongement naturel. Car de toutes les caractéristiques dév e1oppementaies qui maintiennent la dépendance relationnelle chez la femme, aucune n ’est plus puissante que la peur de la perte d’amour de la part de l’objet (Boilen, 1981).

Cette peur de perte de l’amour est nourrie par la structure sociale elle-même. Non seulement la fille a échoué à se séparer émotionnellement de sa mère, mais elle est encouragée par son entourage à demeurer passive, à

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éviter l’expression de son agressivité, à fonctionner selon un mode relationnel et, qui plus est, à dépendre de ce type d’existence, d’où l’inévitable perte devient une peur constante (Boilen, 1981). Il s’ensuit que la femme réussit rarement à éprouver ce sentiment profond d’indépendance. Bardwick (1971) soutient que pour se sentir indépendante au plus profond de soi-même - sentiment d’où découle l’estime de soi - la femme doit, sans l’aide d’autrui, s’employer à atteindre certains objectifs et il est nécessaire qu’elle connaisse une réussite raisonnable dans cette entreprise. Un sens indépendant de soi ne se fait pas sans une séparation, une rupture avec les vieux liens familiaux, sans l’établissement de critères internes et individuels de réalisation, sans un sens de son identité relativement indépendant des autres personnes.

La dépendance accompagne naturellement la croissance humaine, dans la mesure où l’habileté à se séparer se développe parallèlement et de façon proportionnée. Mais lorsque la dépendance demeure importante à l’âge adulte, elle génère une foule d’autres problèmes qui la renforce: estime de soi affaiblie, dépression, ambivalence, frontières du moi non claires, incapacité à être seule ou à s’affirmer, maladies psychosomatiques et souvent aussi sexualité réprimée. Ces difficultés originent du fait que les objets d’amour et les relations remplacent le développement de l’identité (Boilen, 1981). Conséquemment, la perte émotionnelle d’un lien pour la femme est souvent vécue comme une perte de sa propre identité (Scarf, 1980).

Chodorow (1978) souligne que le sens de soi connecté au monde propre aux femmes est l’une des raisons fondamentales pour laquelle elles se sentent coupables et responsables du bien-être des autres. Cette connection au monde

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et ces frontières du moi mal définies ne leur permettent pas d’exprimer de la colère justifiée; en effet, si de la colère se manifeste, les menaces de perte et de solitude apparaissent aussitôt. Lerner (1980) y voit deux déterminants intrapsychiques chez les femmes: les peurs irrationnelles de leur propre pouvoir destructeur et les difficultés de séparation- individuation dans la relation à la mère. Ces difficultés laissent la femme incapable de tolérer le sens d’être séparée et différente, sens inhérent à l’expérience de l’expression de la colère. Le sentiment d’être séparée touche à l’anxiété de la séparation et à la peur inconsciente de la perte de l’objet. Lerner (1980) observe que l’expression de la colère exige qu’une personne se tienne debout, seule, même devant la désapprobation ou la possibilité de la perte de l’amour des autres. L’idée de solitude est ainsi irrévocablement liée à l’idée de perte: perte de l’amour, perte de soins et de protection et même perte d’identité (dans la mesure où l’identité est basée sur celle des autres). La peur de la solitude constitue le noeud du problème pour la femme dans la trentaine (Boilen, 1981; Friday, 1979; Gould,

1978).

3.4.1.1 Femmes mariées

La peur non résolue de la perte d’amour de la part de l’objet révèle ainsi une individuation partiellement résolue par rapport à la mère. Cette peur est transférée, si elle persiste jusqu’à l’âge adulte pour la femme, sur ses relations (Friday, 1979; Lebe, 1982; Lerner, 1980). Le mariage peut être une manifestation de ce transfert d’objet (que représente la mère) à un homme. En effet, les femmes qui se marient au début de la vingtaine et, incidemment, presqu’au même moment où elles amorcent une carrière

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Etant devenues séparées de l’institution de l’école - qui représente encore la sécurité parentale - elles seraient alors susceptibles d’entreprendre des actions autonomes et indépendantes dans leur carrière. Ce phénomène rejoint étroitement ce que décrit Dowling (1982): ces femmes cherchent le même type de protection, de support et d’encouragement que celui que les enfants attendent de leurs parents. Elles découvrent cependant, après quelque temps et non sans déception, frustration et colère, que les hommes sont vulnérables eux aussi, qu’ils ont les mêmes insécurités et angoisses que tout être humain (Dowling, 1982). Le mari désappointe la femme en étant une mère faillible plutôt qu’omnipotente (Lebe, 1982). Bardwick (1971) et Friday (1979) vont dans le même sens en disant que la femme passe de la mère aux hommes sans avoir établi entre temps l’identité de son moi. Le mariage, au lieu de mettre un terme à l’alliance infantile qui l’unissait à sa mère, devient pour la femme la plus grande alliance de sa vie. Le mariage est la résolution partielle d’une crise d’identité et le début d’une autre. Lebe (1982) croit que cette résolution incomplète est à l’origine du bouleversement que les femmes vivent dans la trentaine.

3.4.1.2 Femmes célibataires

Tout ce mouvement, cette lutte pour la séparation apparaissant vers la trentaine n ’est pas réservé qu’aux femmes mariées ou ayant des enfants. C ’est également le cas des femmes célibataires poursuivant une carrière

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de dépendance et de besoin d’être connectées au monde résultant d’une séparation incomplète (Boilen, 1981). Les femmes qui ont misé sur leur carrière souffrent de la même lutte pour développer leur individualité

(Gould, 1978). Ce que les femmes mariées vivent par rapport à leur mari, les professionnelles le vivent par rapport à leur travail (Gould, 1978): elles se questionnent à propos de leur carrière, sentent une diminution d’intérêt, les promotions ne deviennent plus aussi importantes; des inquiétudes naissent à propos de leur féminité: elles ont l’impression d’avoir manqué quelque chose. Soudainement, elles deviennent vivement intéressées dans l’établissement d ’une relation affective stable. L’accalmie dans leur carrière leur a permis de voir que le travail était un moyen de se protéger de l’intimité. Gould

(1978) voit en cela rien de plus que l’autre versant du mythe du protecteur: la femme mariée acquièsce aux rôles prescrits de la féminité tandis que la célibataire les rejette. Dans l’un et l’autre cas, le mythe du protecteur continue de fonctionner - réprimé pour la célibataire, accepté comme une réalité pour la femme mariée.

Friday (1979) soutient d’ailleurs que les domaines fournissant des indices d’attachement trop grand à la mère sont les relations avec les hommes, avec les autres femmes et avec le travail. Le besoin de s’accrocher, la peur de perdre, l’impossibilité d’aller de l’avant, d’entrer en compétition, représentent des façons d’agir et de réagir apprises pendant les années passées avec la mère. Ce n ’est pas un processus conscient pouvant être désappris telle une mauvaise habitude mais qui a de profondes racines inconscientes. Les premières expériences relationnelles constituent le prototype sur lequel sont basées les relations futures.

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Donc on retrouve chez la femme de carrière les mêmes difficultés d* individuation, soit la présence du mythe du protecteur et le processus de la séparation retardée d ’avec la mère (Gould, 1978).

En somme, le manque de résolution par rapport à la séparation- individuation touche pratiquement toutes les femmes. Ce n ’est pas une question d* intelligence ou de capacités mais cela rejoint plutôt de profondes racines de dépendance qui n ’ont pas été coupées de façon adéquate. Cette dépendance prolongée est alimentée par la peur de perdre ainsi que par la peur de la solitude qui s’ensuit et mène à des difficultés dans l’expression de l’agressivité. L ’individuation non résolue, avec les caractéristiques qui l’accompagnent énumérées précédemment, amène la femme adulte à réaliser certaines tâches afin d ’assurer la poursuite du processus de séparation- individuation et ainsi développer sa propre identité.

3.4.2 Tâches à réaliser

Il ressort clairement de ce qui précède que la séparation psychologique d’avec la mère constitue la tâche principale à réaliser pour la femme adulte. Gould (1978) estime cependant que les femmes doivent tout d’abord traverser avec succès les difficultés que représente le fait de vivre imp véritable remise en question et d’aller au-delà du ressentiment qui peut en résulter. Ensuite, il considère que l’obstacle le plus difficile pour les femmes reste à franchir: la séparation retardée d’avec la mère.

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Il explique ainsi ce en quoi consiste ce processus: au mitan de la vie, lorsque la femme est à la recherche de son identité et que l’urgence du temps est ressentie, elle doit faire face à l’anxiété primitive de ses premières années, alors que son premier protecteur et son premier modèle était sa mère. Son but, lorsqu’elle était petite, était d’être comme sa mère et cela était étroitement lié au fait d’être en sécurité. Mais à l’âge adulte, elle doit surmonter la fausse idée qu’il lui est impossible de vivre sans protecteur. En d’autres mots, elle doit quitter la sécurité (Friday, 1979; Lamarre, 1979) pour affronter seule le monde, sans nécessairement avoir de certitudes pour l’avenir. Elle doit comprendre que derrière sa soi-disant faiblesse ou impuissance se cache, dans bien des cas, la victime d’une mère colérique, jalouse, contrôlante, qui ne veut pas laisser sa fille grandir. Une prise de conscience est nécessaire afin qu’elle puisse enfin distinguer les vraies peurs des peurs infantiles et ainsi avoir une vision plus réaliste d’elle, de sa vie et de ses relations. Prendre en mains sa propre protection l’amène à se réapproprier le pouvoir qu’elle a sur sa vie. Désormais, elle est le seul maître à bord.

Cette vision plus réaliste s’accompagne nécessairement d’un changement ou d’une distance dans la relation à l’objet que constitue la mère et aussi avec la représentation de cette mère-objet, c’est-à-dire avec les interdictions intériorisées de la mère. Cette séparation est indispensable pour la réussite de 1’individuation (Boilen, 1981).

Lebe (1982) soutient que cette complétion de la séparation- individuation atteint son point culminant pour la femme lorsqu’elle peut s’identifier positivement à sa mère et, de là, accepter sa féminité,

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La séparation psychologique d’avec la mère, principale tâche à réaliser en vue de compléter 1’individuation, confronte cependant la femme à certaines dimensions qui en résultent, soit principalement la solitude, l’agressivité et la sexualité.

L’enjeu primordial pour la femme consiste d’abord et avant tout à accepter sa solitude fondamentale et, conséquemment, à apprivoiser la possibilité d’avoir à être ou à vivre seule (Boilen, 1981; Gould, 1978; Lamarre, 1979; Lemer, 1980; Morgan, 1983). Devenir autonome, selon Lamarre

(1979), consiste à ne plus miser sur les mécanismes de dépendance et d’acceptation des autres. Cette auteure considère que ce cheminement commen­ ce par l’acceptation de soi (plutôt que la négation de ses émotions et de ses besoins) et le fait de se préoccuper de ses propres besoins, même si cela entraîne quelques conflits momentanés occasionnés par le besoin encore présent de conformisme et d’acceptation par les autres. Il est essentiel, toujours selon Lamarre (1979), qu’il n’y ait plus de place pour aucun chantage dont le principal est l’abandon. Faire le deuil des liens de dépen­ dance envers sa mère et accepter la solitude qui s’ensuit fait accéder la femme à ce que Lamarre (1979) nomme le système de réciprocité, c’est-à-dire à la possibilité d’entrer en négociation avec les autres sur un pied d’égalité. Or elle mentionne que dans notre société, l’éducation de la femme l’a doublement désavantagée à cet effet: d’abord parce que ses efforts ont toujours été orientés vers la découverte des besoins et des attentes des autres et ensuite parce qu’elle a été dépossédée de sa colère.

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La femme doit aussi apprendre à exprimer son agressivité et à en affronter les risques. En effet, Miller (1976), Roeske (1982), Lamarre

(1979) et Lemer (1980) s’entendent pour dire que la femme doit apprendre à faire face aux conflits et les considérer comme partie intégrante de sa vie si elle veut progresser. Elle doit accepter la possibilité de perdre des liens, de déplaire ou de décevoir les autres, de sortir du rôle de victime et de devenir consciente de sa propre colère et de celle des autres.

Gould (1978) et Friday (1979) vont dans le même sens en considérant que la séparation-individuation comporte pour la femme une résurgence de sa sexualité qu’elle doit apprendre à négocier. Boilen (1981) voit plusieurs explications possibles à cette résurgence de la sexualité chez la femme dans le bouleversement qu’apporte la trentaine: le temps, agissant comme pression, la réaction aux changements culturels, la diminution des interdits parentaux et l’émergence de la sexualité des enfants.

Le relevé de littérature s’adressant au développement de la femme dans le contexte de la séparation— individuation est maintenant complété. Le prochain chapitre servira à conclure cette recherche et comprendra deux volets. Le premier résumera les éléments théoriques énoncés jusqu’ici et l’hypothèse établie sera confrontée à ces informations ainsi qu’à deux recherches empiriques. Le deuxième volet sera consacré à dégager certaines recommandations conséquentes à cette étude.

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Après avoir considéré le développement de la femme au cours des périodes de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge adulte, il importe de compléter ces éléments théoriques par l’apport éventuel de données empiriques afin de vérifier plus adéquatement l’hypothèse au coeur de la problématique à 1’étude.

Ainsi, dans ce dernier chapitre, un résumé de la littérature théorique sera présenté, comportant les conclusions que l’on peut en tirer. Puis l’hypothèse de.départ sera confrontée avec les deux seules études empi­ riques pertinentes. Enfin, certaines recommandations seront formulées.

1. SYNTHESE

1.1 Résumé et conclusions

Au terme de cette revue de littérature traitant de la séparation- individuation, il semble bien que le lien mère-fille soit déterminant dans le développement des filles et l’évolution des femmes, d’autant plus que ce lien est appuyé peu* la société en général (Bardwick, 1971; Chodorow, 1978; Hoffmann, 1980; Menaker, 1982).

Références

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