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Rouge ; : suivi de L'aurore de la parole

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Academic year: 2021

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ROUGE

SUIVI DE

L'AURORE DE LA PAROLE

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en création littéraire

pour l'obtention du grade de Maître es arts (M.A.)

DEPARTEMENT DES LITTERATURES FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2011

(2)

ROUGE libère de l'hermétisme la poésie d'un homme se découvrant une nouvelle identité au sein de sa propre douleur amoureuse. Originaire du traumatisme de la rupture, une voix poétique s'y déploie peu à peu, cherchant d'un lyrisme ténu à accepter l'inéluctable et embrasser la vie devant la mort. Transcendé par la déchéance et la folie, le poète revient vivre sur les terres du drame pour ériger le mémorial du reflet de la femme aimée dépouillant à jamais son existence du regret. Or, pour que la poésie puisse tracer un chemin vers la réalité du monde, l'être doit accepter de se révéler dans l'essence même de sa vérité. L'AURORE DE LA PAROLE vient donc réfléchir les instances fatidiques que sont devenues l'hermétisme du symbole et l'objectivité littéraire afin que la poéticité de l'image et la puissance de l'analogie puissent surgir au cœur de l'être comme une aurore affirmant l'irrémédiable nécessité d'aimer.

(3)

Pour sa présence indéfectible sur les territoires de la rigueur et de la nécessité, je réitère en ces pages ma reconnaissance inébranlable à l'endroit de mon directeur de maîtrise, M. Jean-Noël Pontbriand. Vos éclats me manqueront, en particulier ceux de vos rires francs dévoilant encore au monde toute l'étendue de votre humanité.

Pour le droit à l'audace dans ce qu'il possède de plus indispensable, mes pensées se rendent également en toute sincérité vers Mme Irène Roy. Vous avez fait une différence dans cette adversité me liant à ce mémoire.

Pour leur authenticité respective, ma gratitude se dirige à l'attention des littérateurs que sont M. Stefan Psenak, M. Jean Pierre Girard, M. Jack Kéguenne, M. Guillaume Vigneault, Mme Louise Dupré, M. Patrick Lafontaine, M. Paul Bélanger, M. Yvon Rivard, Mme Kateri Lemmens, M. Jacques Paquin, M. Hervé Guay ainsi que feu Bruno Roy.

Pour leur indéfectible amitié à mon endroit et leur appartenance résolue à la vérité, mes amis : David Marion, Bruno Egan, Pascal Simard, Raphaël Martin, Félix Pinel, Frédéric Lévesque, Pascal Chevrette, Pierre-Philippe Gouin, Simon Charrier et Geneviève Varin.

Pour ce qui nous lie et nous soulève, mes frères : Louis-Philippe et Alexandre Leblanc.

Pour cet immense amour qui balaie aujourd'hui ma vie à chaque seconde où le monde surgit en mon cœur d'homme libéré de ses peurs, Émilie-Pier Gagné.

Pour cet indiscutable sacrifice de leur vie et cet amour inconditionnel en toute instance. Jean-Claude et Liette Leblanc, mes parents chez qui l'amour et la culture sont à l'épicentre même de l'existence. Ils m'ont tout donné, à l'exception de mon impulsivité. Cette dernière me vient de la poésie. J'y suis né comme un enfant, j ' y mourrai comme un homme.

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Résumé ii Avant-propos iii Table des matières v ROUGE / Poésie 6

I 8 II 33 III 41 L'AURORE DE LA PAROLE / Essai 61

Préambule 62 De l'hermétisme du symbole à la poéticité de l'image :

révélation de l'être par l'analogie 65

Épilogue 91 Bibliographie 94

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(7)

Patrick Lafontaine Au lieu de l'abandon

(8)
(9)

cerné par ton silence je demeure sourd à ma parole

moi l'homme vacillant marcheur nu au corps gercé je découvre l'exil en un cri réel déchirant ma vie sans toi

(10)

mon déni devient une résistance sur le piège du drame

les réponses sans question aux réminiscences impraticables le jour comme la nuit se profilent tout autour dans les parcs les lacs les rivières

la réalité s'incarne en ton absence

(11)

mon désir liquéfie ta disparition

tu existes toujours dans le mémorial du reflet

je laisse se redire cette haine éperdue encabanée dans mon cœur battant comme des cisailles sanguines et rouillées

(12)

je cherche la première évidence rivée par nos yeux éteints depuis l'un dans l'autre tel des élans magnifiés

je porte en mon corps défait la clameur d'un premier été les chaleurs de juillet la fraîcheur salée bordant la mer et tes rires rouges contre ma vie

(13)

l'impudeur de ta peau contre ma bouche les chiens au cœur blanc mes premières arrivées à ton sexe m'aveuglant en plein jour je les célèbre sans abdiquer aujourd'hui je parviens à entendre ta voix s'élever jusqu'à moi

(14)

sanglé par les saules lorgneurs en l'automne j'erre dans l'effroyable redéfinition de mon existence

le silence éclipse tes yeux sous la beauté brûlante des cieux erotiques je rentre seul en résidence

la douleur strie mon corps à 1'epicentre d'une nuit sans moi que tu aimes nue à présent je suis un homme éclaté d'une peine nucléaire vaine de paix.

(15)

Notre rupture devient assiégée ville emmurée pai- la pierre de nos espérances déchu je

me couche à la manière ancestrale défigurant le ciel lacéré du vide je veux m'atteindre pour tomber

auprès des arbres brûlés

ne plus retenir la terre qui agonise dans mes mains rêches comme les restes mémoriels dépouillant tout ce qui commence

(16)

mon corps rubescent se retire avec force de notre monde enseveli je n'ai plus de références ni d'appartenance au cœur

les campagnes anciennes disséminent nos familles alors que je me rembuche pour parler aux bêtes jamais approchées

(17)

ton corps autour de moi sans bruit laisse la composition a capella du mensonge se jouer

la révélation des songes orageux amène tout ce qui devient invérifiable

l'homme resté amoureux en cette vie impossible que je couche seul dans la rosée de ta nécropole n'est plus qu'une religion éteinte sans pardon

(18)

pour fuir je détourne déjà mon visage je cours sans perdre mon impatience qui me traque je cours au nom de ce que j'ai échoué auprès de toi

agenouillé je libère un ancien partage

innocent dans la défiance des désirs à sens unique

je dépèce comme j'avorte les rumeurs des vieux érables je médite ta nudité auprès d'un homme que je ne suis plus

(19)

la vie s'harnache pourtant à moi offerte sans résistance conquise de rires portuaires intenables pour les autorités

lueur vermeille d'une clémence amoureuse hardie

(20)

Notre rupture incarne la caresse apprise dans les bois carmin d'érotisme sans lendemain

cherchant des pierres millénaires je suis tout près de toi comme l'homme présent pour indiquer le cadastre des vieux territoires découverts

l'échec creuse les terres étranges d'une brutalité impossible à défricher

des pruniers poussent dans le jardin sans que je ne puisse les revoir jamais et je ressens ton dos impérial qui se tourne au-delà du monde

(21)

pour un instant immortel avec toi je me précipite dans les parages de ta voix je comprends à peine ton regard saillant qui marque la dépossession du mensonge il n'y a plus de beauté en ce jour

(22)

je saute pour atteindre des merles qui dansent au son des violons chantant des grands conservatoires

je ris dérisoire auprès de Dieu

(23)

m ne me vois pas et je me réinvente pour attendre

je caresse la mort herbe haute revenante imprenable du fleuve baignant tes origines je réduis en cendre les anciens décors afin que tu comprennes que je ne peux pas me

(24)

je rêve de tout magnifier pour toi

mes gestes incarnent des idées insensées

libre je t'embrasse devant les planètes rubicondes de l'univers et te couche contre des étoiles sauvages.

(25)

Notre rupture est une histoire mythique entendue pour la première fois sur une route de l'Antiquité une détresse enchanteresse minuscule sur la page du monde

elle draine les doutes les vieilles chaleurs fermentées aussi insolentes que les enfants sages gavés par les peurs dans les bas quartiers

(26)

notre histoire d'amour me manque devant tout

elle se meurt

à partir des neiges macabres tombées sur mes épaules qui couvrent en d'autres circonstances les cadavres méritants

des princes assassins et impénitents

pour raviver la réalité je pense à toi je redécouvre l'importance des sciences éteintes répétant les calomnies qu'il me reste à détruire afin que notre vie revienne

(27)

tu es mon impératrice aimée sculpteuse du présent

tes déceptions sont pour moi des feuilles tragiques et belles je me dénonce à toi comme je m'emporte pour un rien et pour tout ce qui me touche

je suis seul à aimer ce qui peut survenir encore debout et transit de douleurs capucine sans fléchir je préserve ta beauté

(28)

le pays par ses saisons érode ma poitrine

autour de ce passé je marche sans ton pardon où nous avons vécu refusant d'abandonner les lieux de cette vie qui déchire ma vie

(29)

le dos appuyé contre ce que nous avons tué je prends soin du murmure des souvenirs aux contraires inexistants

ignorant pourquoi je t'aime toujours plus qu'avant mon errance ma parole se meurt du silence impossible à imaginer sans tristesse

les calques amarrant de nos corps baiseurs ravissent en moi des solitudes étrangères comme les criques neuves de ta pudeur nouvelle

(30)

ma peine demeure imprenable pour une autre femme

je la détermine par le poids du coton dans ma main avant la libération de mille bûches coralines plantées sur une plage je campe devant le feu me couvre d'un linceul me rappelle des victimes dénombrées bien avant nous

devant l'éternité je verse le thé comme je quitte ma passion en ce jour je ne célèbre plus les commémorations vertigineuses

(31)

dans une tranchée hivernale je me remémore tout ce que j'ai vécu

ce grand soleil au goût d'orange gloire révérencieuse par nos regards échangés rappelle une dernière fois ta nudité tremblante mais caressante dans ma connaissance le roulement des pierres rouges nous laisse tomber de la table aux plaisirs sexués défiant la venue du meurtre au cœur de ma volonté

(32)

je cherche à dire ma propre liberté rescapée d'une île incontournable et reconnue de laquelle tout est toujours vivace

je scande de nouveaux commandements

je récite les poèmes qu'il me faut écrire une seule fois afin qu'en mon âme la métamorphose me mène à ne plus revenir

je reprends le courage de ma colère

détaché des exigences mémorielles et semé de rêves embryonnaires je ne crains plus la vie qui me cherche

je suis moderne

dans les poèmes éternels aux vers indestructibles je laisse la paix avancer dans la rumeur de l'existence

unifié j'arrive à moi

(33)
(34)

Ta libre sensualité désapprouve mon corps inerte sur le sol

je saigne la peur

véritable devoir vivant d'amour au risque du jour qui ouvre ma main de l'intérieur

creuse le temps

une dernière existence ensemble attend-nous je t'en prie

comme la venue du bonheur au lieu de l'abandon

le risque reste ton prénom comme un cri

(35)

Le premier pas au cœur de l'histoire marquant une guerre

réelle chaleur ou veille du remous toujours égorgée

l'avidité règne en moi

tuer pour être un triomphe

descendre comme une source dans la gorge de Dieu

je n'exige plus ton existence perfide et à retrait

ivre à moi

(36)

L'ombre de ton amour

est une imposture à affranchir une édification

dirigée vers ma perte une lourde tendresse égale que ton humeur impossible me trafique encore aujourd'hui emporte-moi que je t'aime aveugle je suis devenu

dans les lueurs bordeuses du vin noir

agenouillé tout au centre d'un cercle de sang je respire ce qu'il faut admettre

mes jours

ne brise pas ton murmure

(37)

Derrière la réalité ma vérité force l'exil vers une morgue à louer où je verse ma salive rouge rien n'est deviné dans l'évidence je tremble toujours

d'écrire ton prénom danse avec moi reste

dis ce qu'il me faut traverser la haine l'arrogance la mort les doigts de ma peur de vivre je ressens l'horreur

seul comme un enfant

perdu dans la nuit de ton départ devenue capitale à ma purge.

(38)

Injecté de sang mon regard reste un désert de sable j'habite un silence

indispensable au courage qui déchire ma vie à coup de tonnerre les pieds pendus soudain au tilleul de ma mort une rumeur lascive remonte ma nuque je m'évade

au loin des dunes

ouvert du dos au bout des doigts

(39)

Mon corps d'homme se désarticule d'alcools se défait se démonte je coule aux gestes choisis

noyant les otages

mémoriels dans le sabbat d'un monde immortalisé par ton absence

je retourne des pierres

en bordure de tous les chemins la paix m'entrevoit

se gorge de ma mort à venir je deviens absent

en un geste

je peux tout détruire tel un lent regard au cœur.

(40)

Je pleure seul de ne

pas avoir été homme pour te retenir je pleure seul de ne pas avoir ouvert le ciel de ma vie avec toi je pleure seul de ne pas avoir érigé l'espoir d'être aimé plus fort de toi

je roule au sol et titube de toi je rampe déterminé

malgré le doute je me cramponne à celui que je deviens

Abstèmeje cris mon enfance mon sourire

(41)
(42)

Je suis littéral dans mon existence de toi ivre de réalité battante j'avance comme un volontaire m'enrôlant dans cette humanité qui reste à faire.

(43)

Originels nos mots existent enfin dans l'espoir tenace qu'ils apposent sans retenir la vie de battre.

Je suis un homme à rebours et à retraits soulignant et défendant ce nécessaire rapport au monde qui me vient de toi.

Je suis debout fier et vivant.

Souverain et impulsif retiré de l'oubli de ma vieille existence. Je vis de toi mon amoureuse.

(44)

J'ai appris la beauté des matinées immobiles la grande vue d'ensemble sur le monde que tu prophétises en y ajoutant les battements du cœur.

Tu es ma rescousse.

Revenir à ce qui commence me rend immédiat mes pas ne portent plus de vieux hasards indifférents je suis entier et tourné vers toi.

(45)

Mes mains insuffisantes sur ton corps et ma bouche en cavale au creux de tes jambes je souffle sur la nuit en roulant dans ta voix.

(46)

J'entends la rumeur de notre avenir soulevée par le vent se composer telle une partition dépourvue de violence.

Le rire du monde renaît.

(47)

Les jours loin de toi ne parviennent pas à détruire ta présence devenue l'espoir à vivre.

J'ai des illuminations en devenir qui doivent être dépouillées du silence qui les retient.

(48)

La poésie est un cœur qui existe enfin.

(49)

Je marche dans la ville pour découvrir ma patience. J'entends vivre un désir à l'endroit même où tu arrives.

J'expose le rythme foncé de notre passion dans une galerie encore à la mode je détermine le décor imaginant ta préférence pour les fleurs que l'on découvre loin du vent.

Je te donnerai tout sans attendre identique à ce qui a été fait bien avant nous et qui a duré au-delà des guerres.

(50)

Je souffle sur le vide qui nous sépare pour que tu parviennes à entrer dans ma vie. La suave idée de nos regards d'émeraude nos lèvres devenues incontournables l'un pour l'autre l'immensité sauvage de nos cris sans peine ni violence le baiser tacite de nos doigts à l'abri des jougs qui guettent toujours la peau du monde.

J'achève d'ensevelir la première vie que tu ne veux plus lire ni entendre. Je tremble.

(51)

Je suis cet homme que tu as appelé pour vivre une heure à saveur de corps je marche vers toi sans la peur de donner la vie sans dénaturer le risque d'aimer.

Le jour ne meurt pas du silence.

Personne ne réagit et toi et moi nous dansons personne ne vient pour médire l'harmonie et toi et moi nous reconnaissons l'irrémédiable appel attendu depuis l'enfance.

(52)

Il y a tant de mots à dire que j'aime attendre qu'ils viennent de toi désormais rien ne peut empêcher que je te touche et ton corps se grave sur ma peau.

Réelle et chantante tu reviens à moi telle une habitude cent fois inventée. Si tu veux de moi je t'offre ma vie.

(53)

Je ne peux présumer de la tranquillité ancien que je reste dans ma peur mais je marche dans mon inquiétude je ne suis pas vaincu.

(54)

La douleur des vieilles amours harcèle ceux qui le veulent comme une sentence des anciennes dépouilles qui se grave parfois aux creux du corps.

Tout près de l'aube tu me chantes dans ta vie.

Je cherche notre droit de passage sorte d'offrande indiscutable je fuis les secrets consignés dans nos livres respectifs et les photographies décolorées.

Je suis enfin de retour, vivant une musique imaginaire. Mon amour pour toi refait ma vie.

(55)

Mon envie de ta peau est une sépulture qui orne mes jours. Je ferme les yeux.

Je parviens à embrasser

tout le réel contre le sommeil du jour.

Je suis à genoux humant ce parfum de miel qui émane de l'amour j'enfouis ma vie dans la chaleur rosâtre de tes lèvres je me donne à la férocité de ce désir.

(56)

J'ai maquillé un piano noir rédigé la prière d'un aveugle détruit une gravure saignante de moi.

J'ai conçu un écho scindé une orgie de peaux en quatre parties distinctes célébré le sang et l'eau sous la forme d'arpèges tout près de la nuit.

(57)

J'ai marché en tremblant les bras devant l'avenir les yeux brûlés de cendres le cœur rouge j'ai vécu en espérant le silence comme un aveu subtil presque censé.

Derrière les champs fertiles de juillet en enjambant le temps moi l'homme que je suis je t'ai entendue venir.

(58)

Je m'en suis voulu d'avoir cru aux oiseaux en feu aux tigres éthyliques aux gestes des ombres païennes.

Tu étais là pour la première fois je savais mon rôle par cœur je montais la garde dans une suite imprenable encore ignorée de nous.

Tout autour de moi te révélait telle une mesure unique. J'ai regardé la vie nous embrasser une première fois.

(59)

Vînt le retour de la nudité caressante dans le partage debout les bras massés par ma liberté et l'apprentissage possible de ma vérité.

Le rêve de vivre mon amour détaché du cercle des morsures comme le dernier témoin de ma naissance contemporaine.

(60)

Par ton rire éparpillé auprès de l'homme que je suis devenu je me retrouve enfin jaillissant de force.

(61)
(62)

« [L'jécriture n'est rien. [L]e souvenir lointain de la mort à venir1 », écrit

Patrick Lafontaine dans L'ambition du vide. À la lecture de cette poésie, on ne se voit pas attribuer la nécessité de décrypter un hermétisme inhérent au temps des Epicure

■y

et des Paracelse . Nulle obligation également de devoir trouver un code caché dans l'œuvre, tel qu'il en va du poème les Mots anglais de Mallarmé3. En l'occurrence, le

lecteur reçoit une poésie fidèle au sens premier du langage, fécondatrice d'une activité pour l'esprit. Loin d'être unidimensionnelle, cette activité s'ouvre à une multitude de rapports intimes pouvant mener le poète et le lecteur à découvrir non pas le lieu de l'œuvre uniquement mais bien le propre saisissement de leur existence par la parole, rejoignant ainsi la philosophie de Heidegger4. Il est donc question d'une

conception métaphysique de la poésie, constituée du langage et de l'être transcendés tous deux par l'image dont l'analogie est une voie privilégiée d'expression. Cette approche de la poésie considère essentiel que le poète revienne au lieu de l'origine par une élévation de sa conscience au cœur de l'écriture, et ce, pour rencontrer l'universel à travers la poésie. Il s'agit de réinscrire l'être dans la réalité du monde par le langage afin de reconfirmer ce dernier comme étant partie prenante de l'existence, refusant ainsi l'idée que l'écriture de la poésie ne soit rien d'autre qu'un acte de langage et de communication.

Voici qu'à lire nombre de poètes, essayistes, professeurs et linguistes, la poésie nécessite a contrario une certaine rigidité que la littérature n'exige pourtant pas, au départ, de la prose ; une sorte de condition première à sa conception et à sa légitimité, à savoir un refus de la métaphysique en privilégiât le réel par sa

1 Patrick LAFONTAINE, L'ambition du vide, Montréal, Les Éditions du Noroît, 1997, p. 7. 2 Georges MGTJNIN, Avez-vous lu Char?, Paris, Gallimard, 1946.

! Catherine MAVRIKAK1S, « La traduction de la langue pure : fondation de la littérature », paru dans

777? . traduction, terminologie, rédaction, vol. 2, n.l, 1989.

4 Arion L. KELKEL, La légende de l'être ; langage et poésie chez Heidegger, Paris, Librairie

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matérialité5. Au cœur de cet engagement se trouve une reconnaissance prononcée des

vertus de l'hermétisme à titre de sève bénéfique aux nouvelles voix à venir afin de singulariser ces dernières. Pour ses adeptes, l'hermétisme engendre une parole poétique qui s'exerce avec une certaine réalité en raison du fait de l'élaboration d'une constellation de rapports linguistiques et langagiers inédits6. Élevée tel un principe

sur le socle de l'intellectualisme, cette conception hermétique de la poésie mène une quête conditionnée par la nécessité d'exiger un labeur difficile et porteur d'une dimension interprétative restreinte au nom d'un esthétisme campé dans des corrélations linguistiques7. La motivation du poète de se démarquer à son corps

défendant au nom d'une réinvention du sens se rend au lecteur dans une denaturation de l'effort spirituel si cher à Valéry8, la surabondance de symboles intimes restant

sans clés d'interprétation pour la connaissance de la langue et l'humanité concrète. Quant à l'esthétisme propre à cette conception de la poésie, il n'est pas sans rappeler les réflexions de José Ortega Y Gasset dénonçant une radicale déshumanisation de l'art9.

Conceptualisations placées aux antipodes l'une de l'autre, il demeure trompeur et facile de prétendre - sans vérification au préalable - que les risques du dogmatisme deviennent imputables de façon uniforme en la présente, reléguant de ce fait le potentiel créateur de ces dites tensions inhérentes à cette opposition en une filière abandonnée. En ce sens, la présente réflexion sur les enjeux relatifs à l'hermétisme en poésie apparaît nécessaire et se réclame de l'héritage d'un Georges Mounin qui écrit avec nuance à propos de l'œuvre de Char : « René Char est hermétique à son poème défendant. L'obscurité pour lui n'est pas une loi nécessaire de la poésie, elle est servitude, elle est rançon de la fidélité poétique. Son hermétisme est effet, mais non cause ; conséquence et non principe10 ». Nulle question, ici, de

considérer ces enjeux comme étant de simples écueils à éviter. Au contraire, il s'agit

5 Antonio RODRIGUEZ, Poésie contemporaine de l'identification de 1985 à nos jours, Lausanne.

Archipel, collection « Essais », Volume 14. mai 2008.

6 Ingeborg BACHMANN, Leçons de Francfort : Problèmes de poésie contemporaine, Vendômes,

Actes Sud, 1986.

' Hugo FRIEDRICH, Structure de la poésie moderne, Paris, Éditions Denoël/Gauthier, 1976.

8Paul VALERY, Variété H, Paris, Gallimard. 1930.

9 José ORTEGA Y GASSET, La déshumanisation de l'art, Paris, Éditions Sulliver, 2008. 10 Georges MOUNIN, Op. Cit., p. 15.

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d'en aborder certains pour les problématiques qu'ils soulèvent en l'esprit du poète. En tant que notion, outre la singularisation d'une parole poétique, l'hermétisme porte-t-il des vertus ne mettant pas à risque la puissante même de la poésie? Aussi, peut-on procéder à une décomposition de la proposition figurale émergeant dans le champ visuel du poète afin de parvenir à distinguer l'hermétisme du symbole de la poéticité de l'image?

Afin de réfléchir à ces questions, il importe de rendre compte en ces pages d'une évolution individuelle en tant que poète, et ce, à partir d'une expérience d'écriture dédiée au service de la poésie, expérience traversée par les tensions citées ci-haut. Ainsi, il sera question de réfléchir à l'hermétisme en tant que notion en détaillant, sommairement, certains types, orientations et effets de celle-ci au sein de la poésie. Aussi, une présentation personnelle des conceptions hermétique et métaphysique de la poésie se fera par l'entremise d'œuvres et d'essais répondant de leurs préceptes respectifs. Les effets des deux conceptions seront mis en perspectives à travers l'évolution de notre propre démarche créatrice qui trouvera son aboutissement dans la distinction du symbole et de l'image ainsi que par la puissance créatrice de l'analogie.

Choisir commandant toujours une renonciation à venir, il importe déjà de stipuler qu'au sein de ces tensions littéraires, il n'existe pas de choix radical qui soit méritoire, la poésie ayant la force de toujours se dérober à ce qui pourrait se qualifier de méthode. Si une approche de la vérité doit être découverte, elle ne le sera encore, intimement, que dans l'expérience même de l'écriture de la poésie et non dans l'analyse de ce qu'elle peut ou doit générer, et ce, peu importe les allégeances initiales.

(65)

L'IMAGE : RÉVÉLATION DE L'ÊTRE PAR L'ANALOGIE

Réfléchir l'hermétisme à titre de notion impose de retourner à l'origine première du mot en lui-même : « 1. Hermétique [Ermetik], adj. Se dit d'une fermeture aussi parfaite que possible. [...] 2. Hermétique, adj. Impénétrable, difficile ou impossible à comprendre. Obscur, fermé, impénétrable, sans expression. 2. Littér. Caractère de ce qui est incompréhensible, obscur. 2. Didact. Doctrines secrètes, hermétisme des alchimistes11 ». On le constate d'emblée grâce au dictionnaire, le sens

du mot relève de l'évidence, ce qui demeure en soit une antithèse puisque l'hermétisme appelle tout le contraire de l'impression de clarté que génère en l'esprit l'instant de la compréhension. Grâce à l'étymologie, l'origine grecque du mot permet de tracer un point de départ mythologique des plus intéressants sur le plan de l'interprétation en raison de la dualité complémentaire qu'il soulève. Le terme hermétisme fait écho au dieu grec Hermès Trismégiste, qui reçoit son nom d'un simple amas de pierres à la signification inconnue et situé en bordure des chemins sur lesquels il règne, tout comme il décide du hasard des rencontres, bénéfiques ou non, au grés des jours et des nuits issus de la marche du temps. Il importe de ne pas le confondre avec Thot, messager des dieux égyptiens, porteur de leur parole et grand gardien de l'interprétation dont s'inspire toute l'herméneutique ; ce dernier se trouve incarné dans les chemins mêmes, devenus le symbole de l'écriture de la parole des hommes qui tentent de marcher sur le bon chemin, celui qui fait sens, saluant ce fait par l'ajout d'une piene sur l'amoncellement laissé en bordure pour ce rival qu'est Hermès Trimégiste, répétant ainsi le monde dans l'acte de l'écriture au service des êtres12.

Pourquoi donc employer le terme parole plutôt que langage? Il en va de la signification première des mots. L'utilisation du terme langage commande d'être

" Alain RAY. Le Robert Micro, Paris, Dictionnaires Le Robert. 1998, p. 648.

(66)

circonscrite puisque ce mot appelle à lui bon nombre de systèmes de communications verbales, qu'ils soient propres aux humains comme aux bêtes ; le terme parole est ce qui permet au poète de se rapporter le mieux, aujourd'hui et en français, au terme

1 ^

logos : à savoir l'être qui se dit .

Or, qu'en est-il de l'hermétisme, d'où surgit-il à titre de notion? Epicure, philosophe et poète de la Grèce Antique, permet de déployer une première justification de l'hermétisme en poésie14. Prescription morale, celle-ci s'attarde à la

nécessité de dire l'être. Or, cette parole se détourne de son objectif parce qu'elle tend à suggérer des mouvances de l'être, soit les émotions. Elle s'attarde ainsi à des échos existentiels de l'être, ce qui mène cette parole, parfois, à un détournement du sens. La recherche d'un effet devient centrale en la démarche d'écriture, dénaturant ainsi la parole qui se voit placée au service d'un esthétisme. Bien des siècles plus tard, c'est en Italie, autour de 1920, que pour désigner l'obscurité poétique, l'apparition du terme hermétisme se produit pour la première fois ; le terme devient un caractère premier de la poésie pure italienne qui, ainsi désignée, se veut la réponse la plus vive à la littérature déclamatoire d'Annunzio et possède pour fer de lance l'œuvre d'Ungaretti ; motivée, cette poésie pure présente presque immanquablement un contenu insondable et sans origine, légitimé par des formules poétiques sonores cherchant à provoquer un envoûtement15.

Si cette première approche de l'hermétisme en poésie repose sur le devoir de révéler la mouvance et les effets des émotions, elle rejoint et justifie le lyrisme de certains poètes du XXe siècle, réputés pour être eux-mêmes, à des degrés différents,

l'Marc FROMENT-MEURICE, Op. Cit.

Epicure soutient dans ses travaux que la sensation est à l'origine de toute connaissance. L'être qui se dit en poésie ne peut donc se reconnaître que dans ce qu'il ressent. Les émotions étant immatérielles, on ne peut les décrire pour ce qu'elles sont. Cependant, il est possible pour l'être de dire et de décrire leurs effets (les larmes sont l'effet de la tristesse), et ce, par l'entremise de la parole, soit le logos. Si cette parole apparaît obscure, c'est que les émotions se créent à l'intérieur de l'être, emmurées dans la pénombre du corps, on ne les reconnaît que par les sensations qu'elles génèrent, devenant de facto connaissance par l'expérience, mais on ne peut pas voir leur visage (la tristesse a tous les visages qu'elle affecte mais personne ne peut la voir sans les êtres qui la ressentent). La parole doit donc se dénaturer en suggérant une description de ces émotions invisibles pour le regard, et ce, en se référant à la sensation de leurs effets. En conséquence, la parole cherche à produire des effets plutôt que de soulever du sens, devenant du coup hermétique.

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obscurs. Rimbaud, Mallarmé, Valéry et Claudel semblent s'arrimer, de manière sporadique, à cette attraction de l'hermétisme tout comme le font, au Québec, les Lapointe, Lalonde, Vanier et Daoust. Que penser sinon que tous les poètes, même les plus illustres, semblent parfois glisser sur le terrain mouvant de l'émotivité? Rien de plus normal, écrire étant un saisissement de l'être, mais l'être peut se voir smsi en se dirigeant à haute voix, en l'instant créateur de l'écriture, dans la clarté d'une parole originaire.

Il revient au poète d'assumer ses choix. En ce sens, lorsque Georges Mounin défend René Char en justifiant son hermétisme comme étant au service de l'émotion tel un sacrifice, il irrite. Il est saisissant de lire de sa part que « l'émotion est l'infrarouge de la connaissance16 », la formule est séduisante, directement reliée à la

présente élaboration d'une conception hermétique de la poésie fondée sur Epicure, mais l'idée de chercher à légitimer l'hermétisme de Char comme si ce dernier était une exception infime visant à confirmer une règle reste harassante et se ramène aisément à une simple tactique admirative. Bien que sa poésie demeure d'une immense limpidité, Char devient hermétique en certains lieux de son œuvre parce qu'il épouse la mouvance de ses émotions et non ce qu'elles incarnent ; qu'il cherche à les décrire ou à les renier, peu importe, sa poésie n'est pas en cela différente des autres qui font de même pour autant. Au contraire, elle devient leur sœur parce que simplement accaparée par une sensation fascinant Char au point de le distraire, perdant au passage une possible rencontre entre l'être et le monde à travers le mot étant donné que celui-ci ne signifie plus de sens mais bien des effets de sens.

Char reste magistral, puissant poète de son époque, mais il a parfois embrassé l'hermétisme comme on avale un instant la sensible passion qui nous lie à ce monde. L'œuvre de Char n'est pas entièrement hermétique, loin de là, mais des parties le sont parce que Char en a décidé ainsi, il a assumé ses choix au-delà du risque, à savoir : la rupture entre le poète et le monde par la denaturation de la parole au nom d'une sensation que l'on ne peut figurer clairement en l'esprit faute d'être écrite comme on donne à voir.

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International et manifeste en toutes les époques, ce type d'hermétisme carbure aux possibilités rythmiques et sonores liées au langage, elles deviennent la matière première du poème qui doit expressément advenir. Ce contexte d'écriture engendre une désincarnation notable. Elle relève de l'ordre des tentatives, souvent effrénées, de conférer au texte que l'on veut poème l'obligation d'un résultat esthétique : pour justifier cet hermétisme, il faut recenser en ce dernier des corrélations se voulant

semblables entre les effets de la langue et les effets des émotions.

Seulement voilà, la poésie peut être musicale, mais elle n'est pas musique, et ce qui est poétique n'est pas poésie17. La poésie nécessite en la parole l'apport de

l'analogie afin de devenir un dire poétique, le poétique seul - tel un caractère - n'est pas suffisant, « on ne peut définir ce «poétique» que négativement par rapport à l'analogique. Car de même qu'on peut définir la vie comme l'ensemble des forces qui résistent à la mort, de même on est tenté de définir le «poétique» comme l'ensemble des forces qui s'organisent pour échapper à l'analogie ». Et bien que la légitimité d'une œuvre réside en sa nécessité cette dite nécessité n'est pas garante de poésie à elle seule19.

À titre d'exemple, l'extrait qui suit demeure des plus éloquents : « En coup de foudre la lourdeur d'hier/va défoncer le midi de grenat/des cosaques de pièges secs/vomissent du carnage/dans les hippodromes désertés20 ». Le vierge incendié de

Paul-Marie Lapointe demeure une icône de la poésie québécoise. Salué, ce recueil traduit, aux dires des adeptes de ce type d'hermétisme, un formidable lyrisme propre à l'impétuosité d'une jeunesse désireuse de renier les vieux apprentissages au profit de la liberté . On dit y ressentir la rage, la colère et la révolte du poète. Est-ce bien le cas? Il apparaît, avec le recul, que pour celui qui ignore le contexte sociohistorique

17 Octavio PAZ, Œuvres, Paris, Gallimard, 2008.

18 François RIGOLOT, « Le poétique et l'analogique », paru dans Sémantique de la poésie, (dir.

Gérard GENETTE et Tzvetan TODOROV). Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 171.

1 Rainer Maria RILKE, Lettres à un jeune poète, Paris. Gallimard, 2003. 20 Paul-Marie LAPOINTE, Le vierge incendié, Montréal, Typo, 1985. p. 14.

21 Peut-on en vouloir à Lapointe d'avoir été jeune et soutenu par des poètes plus hautement

hermétiques encore qu'il ne l'était à ses 19 ans? Claude Gauvreau. sorte de parrain de Lapointe, marque dans la poésie québécoise la désintégration totale du sens avec son langage exploratoire. C'est par lui que Lapointe publiera cette œuvre.

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propre à ce lyrisme, on n'accède pas à pareilles émotions puisque l'œuvre reste occultée par le désir de créer un effet. L'incohérence sémantique flagrante appelle plutôt la folie à l'esprit du lecteur. Ces vers ne cherchent qu'un impact en la conscience, ne parvenant pas à se maintenir avec ce qu'il faut de durabilité spirituelle pour que l'on puisse recréer le poème et l'expérience même de l'écriture en tant qu'être extérieur à la création première du poème. Il y a rupture entre le poète et le monde, l'œuvre dépend d'une mission singulière, précise et voulue : créer un choc au cœur du monde littéraire québécois afin de briser des carcans, de brûler les tables des vieilles habitudes, elle veut et doit exprimer une colère sensible. En cela, l'écriture s'emporte de cette mouvance émotionnelle qui habite le poète, et devient, à titre d'exemple dans le présent mémoire, une croisée des chemins où se rencontrent tant la psychanalyse que deux conceptions personnelles de la poésie : une conception métaphysique, plaidant pour un saisissement de l'être par la parole, conduisant ce dernier à se fusionner en une seule immanence avec l'universel, et une conception hermétique, dite réaliste, se réclamant d'une matérialité issue d'un esthétisme linguistique mettant à distance l'être et l'universel afin de provoquer un saisissement de l'être par la concentration intellectuelle exigée pour vivre le poème. Qu'en est-il du reste de la psychanalyse?

Il faut aborder cette science pour ce qu'elle entretient de rapports similaires mais profondément différents avec la poésie, et ce, par l'entremise de la parole. Avec le recueil Le vierge incendié, le poète Paul-Marie Lapointe quitte les terres de la poésie pour celles de la psychanalyse dans cet abordage du symbole non pas comme signifiant poétique mais bien comme l'ouverture de l'inconscient en tant que refuge, afin de déconstruire, peut-être, une réalité trop douloureuse, trop vive et blessante dans laquelle le poète ne parvient pas à exulter en tant qu'être. En cela, il importe de concevoir de quelle manière le statut de la parole bascule dès lors de l'analogique propre à la poésie au symbolique de la psychanalyse dans la création d'une réalité psychique, transformant le recueil en un symbole matériel délimitant les frontières de cette dimension intime de l'être : « Symbole, voilà qui ne désigne pas la ressemblance de deux objets, mais, dans le symbole, deux objets se voient conjoints, ils sont la même chose. Parce que nous pensons et sentons symboliquement ; bref,

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que nous sommes, à tous égards, liés au symbole comme à quelque chose d'inhérent à l'être humain, il est possible de regarder symboliquement la vie humaine, quelle qu'elle soit ». La parole, dans Le vierge incendié, œuvre à la création d'un nouveau territoire pour l'existence de l'être qu'est Paul-Marie Lapointe. Elle se profile tel un surgissement émergeant de l'inconscient et composée non pas d'images cherchant à modifier l'être de manière analogique, mais bien d'une multitude de symboles libérés « des restrictions du refoulement et [ejnrichit de contenus dont elle [la parole] ne peut se passer pour ses opérations ». Ce que Freud nomme l'épreuve de la réalité fait que cette parole composée de symboles passe du « jugement d'attribution (ceci est mauvais, donc hors de moi, ceci est bon, donc en moi, donc moi) au jugement d'existence (ceci, quelle qu'en soit la valence bonne ou mauvaise, existe ou n'existe pas dans le monde extérieur)24 ». Ainsi, l'hermétisme demeure mais reste inhérent à

un champ extérieur à la poésie puisque ce recueil nous incite à conclure que Paul-Marie Lapointe cherche à se convaincre qu'il existe encore dans l'innocence connue avant les premières pulsions brûlant la virginité, qu'elle soit physique ou spirituelle. L'hermétisme relève donc ici de l'obscurité de l'inconscient et reste lié au souci d'un esthétisme singulier parce que rédigé de manière inédite et se voulant poétique.

Qu'est-ce donc alors que la poésie? Question périlleuse, voire vertigineuse devant laquelle se présente, pour l'heur, que le reflet d'une réponse factuelle. Cette prudente réponse se compose à partir d'une expérience d'écriture de la poésie qui résonne maintenant en de brefs passages des travaux de littérateurs qui nous précèdent et qui épousent la conception métaphysique de celle-ci : « Si la poéticité [...] apparaît dans une œuvre littéraire, nous parlerons de poésie. Mais comment la poéticité se manifeste-t-elle? En ceci, que le mot est ressenti comme mot et non comme simple substitut de l'objet nommé ni comme explosion d'émotion. En ceci, que les mots et leur syntaxe, leur signification, leur forme externe et interne ne sont pas des indices indifférents de la réalité, mais possèdent leur propre poids et leur

22 Georg GRODDECK, L'être humain comme symbole : sentiments sans prétentions sur la langue et

l'art, Paris. Éditions Gérad Lebovici, 1991.

2' Sigmund FREUD, « La négation », paru dans Œuvres complètes, XVII, PUF, 1992, p. 167-168. 24 François GANTHERET, Moi, Monde. Mots, Paris. Gallimard, 1996, p. 72.

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propre valeur25 ». En poésie, le mot doit être, sans altération provenant de la

spiritualité du poète, afin de pouvoir éventuellement devenir un lieu de rencontre, entre l'être et le monde, susceptible de générer une nouvelle immanence.

Or, « ce qui [est] avant tout est l'Être. La pensée accomplit la relation de l'Être à l'essence de l'hoinme. Elle ne constitue ni ne produit elle-même cette relation. La pensée la présente seulement à l'Être, comme ce qui lui est remis à

elle-A elle-A même par l'Etre. Cette offrande consiste en ceci, que dans la pensée l'Etre vient au

langage. Le langage est la maison de l'Être. Dans son abri habite l'homme26 ». Pour

Heidegger, une veille de cet abri se fait, tant par les penseurs que les poètes. Cette veille incarne « l'accomplissement de la révélabilité de l'Être, en tant que par leur dire ils [les penseurs et les poètes] portent au langage cette révélabilité et la conservent dans le langage ». La poésie révèle donc, par la conscience au sein du langage, l'instant où le mot, l'être et l'universel se transcendent à nouveau de manière analogique, tel le premier saisissement de l'être par le langage, celui de l'enfant quittant le souvenir du néant pour l'aurore de la parole en l'existence :

Entrer en poésie, c'est entrer dans un processus d'accomplissement de l'être et de mise au monde de la personne ; passer de l'individuel au personnel. [...] Une telle démarche rend le langage original et originaire parce que sourd alors de l'origine. L'esprit est à l'origine du monde, de l'être, de l'homme et du langage. [...] Revenir à la parole première, à la connaissance originelle exige donc que soit vécue et acceptée une radicalisation des rapports que nous entretenons avec nous-mêmes, les autres et le monde. Un tel processus peut être vécu par et dans la pratique de l'écriture28

Cependant, pour d'autres poètes et littérateurs, adeptes de la conception hermétique de la poésie, tout provient d'un appel de l'être en la matérialité visant à révéler la réalité par ce qui peut être analysé et ressenti, associant sens et sensible dans la constitution de l'expérience poétique à titre d'acte de langage. Au fondement de celle-ci, nous trouvons la philosophie de Marx, composée « des lois de fer de la nécessité matérielle29 ». autour de laquelle gravitent les réflexions et sciences

entourant la condition existentielle de l'homme, telle que la psychanalyse qui propose

25 Roman JAKOBSON, Huit questions de poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1977, p. 46. 26 Martin HEIDEGGER, Question 111, Paris. Gallimard, 1966, p. 74.

27 Martin HEIDEGGER, Op. Cit., p. 74.

28 Jean-Noël PONTBRIAND, Les mots à découvert, Québec, Éditions de la Huit, 2009, p. 153-155. 29 Yves BONNEFOY, Breton à l'avant de soi, Tours, Éditions Léo Scheer, 2001, p. 23.

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que « [lj'image du corps joue ainsi comme un foyer de sens dans l'histoire du sujet, comme dans celle de son œuvre [...] . En ce lieu de l'œuvre, la parole du poète « est don du langage et le langage n'est pas immatériel. Il est corps subtil mais il est corps31 », dans la contemplation de l'écriture et de la lecture.

Ainsi la poésie, en tant que mode énonciatif de l'être, peut se fonder sur le sensible et ses effets afin que l'être puisse ressentir l'existence à nouveau ou maintenir en lui le saisissement inhérent à l'existence. Émergeant du corps humain, donc biologiquement issue de la matérialité, la parole se présente à l'être tel un objet réel (le poème), hermétique mais signifiant, qui « se laisse dépasser dans une perspective imaginaire32 ». Elle émane du poète qui présente ce dépassement au

monde tel un appel de la raison par la concentration linguistique, et ce, afin de le dégager de l'angoisse du néant et de la mort. Dès lors, l'existence serait remise à nu dans l'instant présent où l'être redécouvre les composantes matérielles et sensitives de la réalité, appelant en lui le déploiement de la connaissance par laquelle il se reconnaît.

En cette conception de la poésie, le langage devient une matière à l'état brut, car celui qui écrit peut ignorer le sens premier des mots au nom des effets harmoniques et r>thmiques que peuvent produire ces derniers, les amenant en cela à l'état de signes dénaturés. S'ensuit divers assemblages de mots faits au nom des motivations théoriques citées ci-haut, voulant que cela puisse engendrer une hypothétique poéticité en l'écriture. Ce type d'écriture exploratoire risque de demeurer stérile pour l'être puisque les mots ne sont plus la composante d'une parole liée à l'existence, ils ne sont désormais que des reflets de sens. Ce que ses adeptes perçoivent comme étant de la poéticité est, dans les faits, le vertige de l'hermétisme.

Cette production d'écriture débouche sur une contradiction totale : elle cherche à se révéler « commune dans la multiplicité des sujets [lecteurs] qui [y]

30 Nicolas CASTIN. Sens et sensible en poésie moderne, Paris, Presses Universitaires de France, 1998,

p . l l .

Jl Jean LACAN, Le Séminaire, Seuil, XI, 1978, p. 95.

,2 Jean STAROBINSKI, L'œil vivant: Corneille, Racine, La Bruyère, Rousseau, Stendhal, Paris,

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participent3" » afin d'accomplir sa destination qui consiste à rejoindre l'universel

dans un nouvel avènement du monde via la rencontre du lectorat. Seulement, cet accomplissement reste périlleux, voire impossible en raison de l'hermétisme qu'il dégage. Cette production d'écriture poétique vise à engendrer d'abord et avant tout le surgissement d'effets chez ceux qui s'y attardent dans la lecture. Or, pour atteindre cette efficience, elle se referme sur elle-même à ce point que le seul effet qui soit commun est celui d'un ressac. Son hermétisme devient un esthétisme dominant qui vient empêcher toute poéticité.

Il devient approprié, en cet instant de la présente réflexion, d'exposer sommairement un premier extrait pouvant révéler l'évolution de notre démarche littéraire en poésie, démarche étant passée de la conception hermétique à la conception métaphysique de la poésie. Tel que stipulé au préalable, le poète qui soutient la conception hermétique de la poésie tend à croire que l'être puisse retrouver un saisissement de l'existence par l'effort inhérent à une concentration linguistique, légitimant en cela un hermétisme recouvrant la totalité de l'écriture :

Le prêche mutilé de l'accusation

L'instant du serment auprès de la rivière est borgne. Personne n'entend le violon. Les lettres du corps se gravent en l'épiderme. Vient la révélation des serpents de l'orage, près de l'île. Une œuvre reste à peindre. Ultime désert de la dernière demeure. Par un rouge acajou, la lecture se fait afin que le sang ne puisse pas atteindre le chagrin de l'homme. Rien n'est pareil au centre des corps dépecés. Le charnier ne présume pas que le jour portera la clémence ancienne. 11 lui faut se mettre à l'abri. La seule jonction possible est sous le regard, près du sot'4.

Le constat est brutal : rien n'est compréhensible en ce poème. S'agit-il seulement d'un poème? Ou n'est-il pas plutôt question d'un acte de langage? Le renvoi au dictionnaire dicte ceci en rapport au mot acte : « 2. Acte. n.m. Action humaine considérée dans son aspect objectif plutôt que subjectif ; le fait d'agir35 ».

Pour ce qui se rapporte au mot langage, ce dernier demeure tout aussi explicite : « 1. Langage, n.m. Ponction d'expression de la pensée et de communication entre les

" Antonio NEGRI, Art et multitude, Nièvre, Mille et une nuits, 2009, p. 15.

j4 Jean-François LEBLANC, « Le prêche mutilé de l'accusation », paru dans la revue Moebius,

Éditions Tryptique, n. 118, 2008, p. 24.

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hommes, mise en œuvre par la parole ou par l'écriture 6 ». Le fait est le suivant : le

poète reste à retrait de cette écriture, elle émerge, animée d'une objectivité en ce sens que le poète ne se risque absolument pas en son sein, écartant ainsi du revers de la main la pénible intensité d'un possible pathétisme. Les mots s'alignent ainsi tels des briques qui composent un mur isolateur et opaque. Rien n'est dit qui n'ait été vécu, transfiguré dans l'antre qu'est l'intériorité et révélé par la clarté d'une parole fidèle au sens premier de la langue. L'être ne se commet pas, refusant ainsi toute poéticité puisque la poésie exige, dans son mouvement créatif, la présence humaine, elle se fait de l'être, par lui et en lui. Cet acte de langage est en ce sens déshumanisé pour reprendre l'expression de Jose Ortega Y Gasset. Par son hermétisme, cette parole ne peut pas s'accomplir. Le sens est à ce point ignoré au profit d'une certaine autorité du langage sur l'être que l'être lui-même est évacué au nom de l'atteinte d'une poésie pure fondée sur un esthétisme dominant : « [...] il ne fait aucun doute qu'il existe une tendance à la purification de l'art. Cette tendance entraînera une élimination progressive des éléments humains, trop humains [...] Voilà pourquoi l'art nouveau divise le public en deux classes d'individus : ceux qui le comprennent et ceux qui ne le comprennent pas [...] ». Nulle universalité n'est possible ici étant donné le fait que cette conception hermétique de la poésie ne peut envisager l'outrance dont elle fait preuve, véritable crescendo vers l'ineffable. On n'aboutit que trop rarement, sinon jamais, en son sein, à une relation significative avec le monde. Elle semble plutôt se glisser dans l'insaisissable de l'étrangeté, réduisant ceux qui l'abordent à devenir les récipiendaires frustrés d'un complexe d'infériorité. Cette conception s'impose cruellement à un lectorat légitime qui cherche, dans la poésie, de quoi générer du sens en sa propre existence et qui ne trouve en elle que le mépris d'une caste . Dès lors, la matérialité l'emporte puisque l'objet (le poème) issu de l'écriture se révèle pour ce qu'il est : un acte de langage, un simple fait d'agir de manière objective avec le langage. Dépourvue de la subjectivité du poète, la poésie ne se trouve plus incamée par la sensibilité d'un être, devenant plastique au sens adjectival des choses, à savoir relative à l'élaboration de formes. De là apparaît la contradiction

36 lbid, p. 752.

37 José ORTEGA Y GASSET, Op. Cit.. p. 74.

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fondamentale qui habite cette idéalisation matérielle de la poésie : pour ses adeptes, « la sensation devient le seul moment où la réalité est tangible39 », mais il ne peut y

avoir de sensation dans ce qui n'est pas senti par l'être, dans ce qui ne fait pas de sens pour lui. L'effet n'est pas matière, encore moins poésie. L'effet qui en résulte est un esthétisme poétique, et celui-ci ne dure pas, il est désincarné et ne fait que singulariser l'écriture. Le d-anger de l'aliénation demeure dans l'impossibilité pour le poète de rejoindre l'universel, conduisant ce dernier à cultiver les ruptures au nom d'un hermétisme propre à l'avancement de ce qu'il croit être poésie.

Une autre analyse engendre cependant une perspective pouvant expliciter plus encore l'hermétisme du poème cité ci-haut. Il convient de reprendre pour nous-mêmes, à cet égard, les conclusions appliquées au recueil Le vierge incendié de Paul-Marie Lapointe : l'hermétisme englobant le poème intitulé Le prêche mutilé de l'accusation ne provient-il pas de la psychanalyse? Cette perspective peut fort bien expliquer la multitude de symboles intimes dominant l'écriture. Il ne s'agit plus tant d'un esthétisme dominant impliquant une objectivité de l'être qui doit demeurer à retrait afin que l'obligation d'un résultat puisse être réalisée, mais plutôt de la censure issue de l'inconscient du poète qui refuse un rapport d'ouverture au monde au nom d'une rupture amoureuse traumatisante, irrémédiablement bouleversante et impossible à libérer dans l'atteinte d'une transfiguration de l'expérience vécue. La symbolisation retient tout et protège l'être de la douleur.

En effet, si le symbole devient determinable et significatif, alors l'être se révèle au monde dans la vérité de son traumatisme, ce qui est susceptible de réinitialiser une douleur enfouie dans l'inconscient. Refusant ce risque, l'être se braque, empêchant le monde de le rejoindre directement, il dénature sa parole en désincarnant celle-ci. annihilant ainsi sa révélation et sa rencontre avec le monde. En cela, le mouvement initial issu de l'inconscient ne se dirige pas vers le monde, ce qui est contraire à l'essence même de la conception métaphysique de la poésie. Le poète écrit ainsi de manière à nier sa propre subjectivité, il alimente son déni, refuse de revivre le séisme de l'émotion et ne peut ainsi atteindre une poésie qui puisse être

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universelle, car ce qu'il écrit ne peut pas accéder à l'état de sentiment. Cette pratique fait apparaître pour l'œil du poète une multitude de symboles hermétiques issus de l'inconscient et qui exercent une certaine ascendance sur lui, du coup, il les perçoit comme étant des images marquées de poéticité et ordonne ceux-ci de manières à concevoir une matière qui soit infranchissable pour l'esprit humain extérieur à sa propre spiritualité. Bien que le poète se protège en cherchant à vivre malgré son traumatisme, sa démarche créatrice reste circulaire : le poète tourne sur lui-même, refusant ainsi de traverser le cercle identitaire qu'il trace dans sa propre existence, et ce, malgré que la vérité reste à l'épicentre de ce cercle, enfouie sous les mots devenus des pierres emmurant le poète en sa propre individualité. Si ce dernier veut briser ce mouvement de repli, il lui faut accepter d'accéder à sa propre intimité afin d'incarner à nouveau son existence dans l'instant de l'écriture, dans l'élan que porte la parole qui se transcende de l'être lorsque ce demier passe de l'individuel au personnel. Ce mouvement unique ne peut être perçu que dans l'instant où l'être s'éveille au bruissement de l'acte créateur. Nécessairement, cet instant reste celui de l'expérience de l'écriture en poésie. Il impose à l'être de ressentir sa propre existence et de transfigurer cette dernière dans son intériorité afin d'ouvrir les portes de son inconscient, et ce, malgré la douleur provenant du passage entre l'individuel et le personnel ainsi que la peur du vertige vécu par l'être qui redécouvre la puissance de l'universel :

Rien dans la vie sensorielle n'est accessible hors de l'instant. Mais l'instant ressemble à la mort; il est déjà passé, et quand il viendra, peut-être sera-t-il trop tard. Quelque chose d'insaisissable l'accompagne, comme le chevreuil dans son élan. La présence totale exigée par l'instant oscille aux limites de l'atteinte humaine. Le poète est tenu de gagner le monde en profondeur et dans sa totalité. Ces dimensions, qui semblent contradictoires, doivent trouver place en un seul être. Et l'instant, libérant la totalité du monde par sa spontanéité et sa dispersion, sèmera dans son sillage les images nécessaires à la profondeur. Pour voir, il faudra fermer les yeux et taire son regard. Ce geste, dans le choix qu'il exige, fait surgir la douleur40.

La poésie demeure non pas l'appel ni la réponse de l'existence, mais plutôt l'instant ultime de l'éclat de l'être dans l'existence. Cet éclat, c'est l'aurore de la

10 Claude FOUTNIER, « Le paysage de l'amoureuse dans la poésie d'Alain Grandbois », mémoire de

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parole. Elle vient découvrir l'être en sa conscience et soulève celui-ci dans une rencontre totalisante avec l'universel. La parole, originaire parce que fondatrice de l'humanité, reste inextricablement liée à l'être. Elle le révèle encore dans la modernité de jours réguliers, où il se redit dans le monde, éloigné mais ému de sa provenance du néant, rassuré et brutalisé par la matérialité et ses perceptions, amoureux de la vie dans l'acceptation de la mort. La parole est ce qui tend la conscience à l'épicentre de l'existence. À chaque instant où le poète écrit, il œuvre avec dignité à cette veille permettant de maintenir cette disponibilité des êtres à se révéler dans l'existence. Cette interprétation individuelle et lyrique, arrimée à la philosophie de Heidegger, nécessite donc de redécouvrir le sens des mots, d'extirper ce sens du savoir scientifique et de la quotidienneté de l'usage. Ce nouveau rapport à la poésie du poète lui est imparti dans ce désir d'embrasser toute la réalité autour de lui. Cette conception métaphysique et existentielle de la poésie se révèle et se confirme dans l'expérience de l'écriture du recueil Rouge, volet création du présent mémoire. Elle se fait d'une subjectivité, libre et éclairée, traduite en ces pages. Voici un second extrait permettant de découvrir en quoi l'hermétisme n'est plus dominant ni perçu comme étant une source de poéticité au sein de cette expérience de l'écriture en poésie :

VII

Ma vie devient une ville assiégée qui cherche à s'enfuir, emmurée par des pierres aux espérances écarlates. Je me couche sur le sol des champs de fleurs, sous le ciel impérial du monde, auprès des arbres en feux de l'agonie4'.

La parole se révèle en donnant à voir au sein de la conscience la rencontre entre l'être, les mots et le monde. Elle dépose dans l'esprit du lecteur des images aptes à réunir des réalités qui échappent à l'œil de l'être mais qui deviennent visibles et sensibles dans son imaginaire en raison des corrélations sémantiques pouvant subsister entre elles et l'être. Les « arbres en feux de l'agonie » révèlent une prose qui ouvre de nouvelles perspectives spirituelles parce que l'agonie devient une image chargée de sens pour l'esprit du poète et du lecteur. On ne cherche pas à décrire

41 Jean-François LEBLANC, Résidence sur la douleur, « mémoire de maîtrise », Université Laval,

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l'agonie ni même à en produire les effets, on se consacre plutôt à nommer cette dernière et à tenter de la révéler pour ce qu'elle est. L'arbre porte l'idée de la vie et le feu celui de la mort, réunis en une seule image, on ressent l'agonie : une insupportable souffrance qui ne parvient pas à s'éteindre sans avoir consumé ce par quoi elle se crée.

De la première écriture à la seconde, le changement qui s'opère en l'intériorité du poète est d'ordre causal : l'émergence de l'analogie vient briser la dominance de la psychanalyse. Cette dernière pose son empreinte dans le poème en ce sens que l'être amorce la constitution de sa parole sur ses terres : soit celles de l'individualité se trouvant à la surface même de l'inconscient. Or, si l'élan de l'analogie n'est pas épousé par le poète, il ne peut pas y avoir de rencontre avec le monde puisque la psychanalyse vient saborder ces tentatives, gommant toute subjectivité. Poussé au comble de l'objectivisme dont elle est capable par la censure, la psychanalyse produit une écriture relevant de l'automatisme. Se réalise alors une dérivation de la parole, dépourvue d'ouverture et prévenante de toute logique textuelle, la symbolisation devient impériale et anarchique à la fois. L'écriture devient dévolue à une quête aux trajectoires multiples qui ne font aucun sens puisque le poète, de par une censure maquillée par les symboles, ferme tous les rapports possibles et devient un lieu clos sans corrélation avec l'être, le monde et le langage. Circulatoire et stérile, la parole devient alors « sans défense contre les pièges de la répétition. Rien ne lui permet plus de faire la part de la tradition et de l'invention. Le jeu libre des différences la laisse sans projet42 ».

Seul l'élan de l'analogie peut générer une poéticité. Celle-ci s'impose donc en la présente démarche reflexive et nécessite d'être abordée en tant que notion d'importance, puisque c'est par elle que le poème peut atteindre son plein achèvement, se découvrant de ce fait de l'obscurité inhérent à un hermétisme factice et défendu dans une récupération de théorèmes esthétiques.

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Pour expliquer la nature même de l'analogie en poésie, il est nécessaire de prendre acte, d'abord, de la signification de ce mot en regard au langage : « 2. Analogie. Langage. Action assimilatrice qui fait que certaines formes changent sous l'influence d'autres formes auxquelles elles sont associées dans l'esprit et qui détermine des créations conformes à des modèles préexistants43 ». Lorsque cette

assimilation se produit en poésie, elle génère le langage poétique, à savoir celui « de la représentation, de l'éloquence de l'image ». Ce langage draine alors des sentiments et des images au cœur de l'être qui se révèle par sa propre parole, libérant une poésie féconde, fidèlement originmre à l'arrivée première de l'être par et dans le langage et génératrice de perspectives neuves.

Ainsi, l'analogie parvient à faire se rejoindre en l'esprit de l'être des éléments se mouvant de manière formelle et s'influant les uns en rapports aux autres en regard de leur essence ; l'analogie « est un moyen de création - c'est une ressemblance de rapports ; or de la nature de ces rapports dépend la force ou la faiblesse de l'image créée45 ». Ce mouvement conduit le poète à la rencontre de l'image qui émerge dans

l'esprit de ce dernier lorsqu'il se laisse entraîner par ses émotions jusqu'à sa propre origine qui correspond, de manière mémorielle, au premier instant où sa conscience fut totalisée avec son esprit par la première manifestation de la parole l'ayant révélé en tant qu'être dans le saisissement de sa subjectivité, dans le présent conscientisé de l'existence.

Cet élan émotif qu'épouse le poète relève de la transcendance et est présenté à ce dernier par l'image. Lorsque la transcendance de l'image soulève l'être en rapprochant sa conscience et sa pensée, ce dernier demeure susceptible de se révéler à nouveau dans la puissance d'une union avec l'universel par une parole dotée d'une charge existentielle comparable à celle de la parole originaire de l'être. Cette union, lorsque réussie par la justesse et la vérité d'une écriture relevant de la poéticité que porte la nature de l'image, engendre un corps immanent : le poème. Ce dernier demeure telle une dimension ouverte sur le présent du monde et susceptible de

43 Alain RAY, Op. Cit., p. 45. 14 Arion L. KEKEL, Op. Cit.. p. 516.

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régénérer une révélation de l'être pour le lecteur qui viendra lire et réfléchir le poème en sa propre intériorité, amorçant le mouvement analogique dans sa pensée.

La pensée reste l'articulation de la conscience, la première figuration de la parole, du logos (l'être qui se dit). Cependant, dans le lieu immanent où se produit la révélation de l'être (le poème), la pensée ne possède plus de distance avec la conscience et la parole, elle est dépourvue des exigences propres à la communication, à l'autorité de la science ou encore à la quotidienneté de l'usage qui commandent l'objectivité. Ainsi, une totalisation parvient à s'opérer. L'être et le monde peuvent se révéler à nouveau. Cette révélation se concrétise dans l'expérience de récriture du poète qui la présente au monde par le poème et du lecteur qui plonge en ce dernier par la lecture.

Qu'en est-il donc de la poéticité de l'image? En quoi diffère-t-elle de l'hermétisme du symbole? De manière logique, cette distinction repose, de prime abord, sur l'appartenance originaire du symbole versus celle de l'image.

En poésie, le symbole ne se dénature pas. Il provient de l'inconscient, il émane d'une expérience vécue relevant du traumatisme et transfigurée en l'être au nom d'une défense de son intégrité ou encore d'un déni de sa condition identitaire réelle en tant qu'individu. Le symbole est la résistance d'un passé qui se prolonge dans le présent de l'individu et ne génère pas de territoire pour un regard extérieur. Il doit être démasqué, défait, délié pour que l'individu puisse revenir au monde dans la clarté de sa vérité, en ce sens, son attraction est unidirectionnelle, le symbole ne créé pas de tango entre son titulaire et le monde, il danse seul, le dos tourné au monde, accaparant le regard de celui par lequel il existe. C'est la vocation de la psychanalyse que de chercher, par la parole, à le faire se révéler puisque la parole permet à l'inconscient de se manifester étant donné son essence. Le symbole nécessite donc d'être soulevé par la parole, mais une parole assurée d'une totale liberté sémantique, circonscrite en un tenitoire réelle délimité et dédié à cet effet, et stimulée s'il le faut par l'entremise d'un tiers, soit le psychanalyste. En ce sens, le symbole incarne une sorte d'écrou scellant l'inconscient afin que la lumière ne puisse pas découvrir ce qui le compose. 11 réside ainsi en l'inconscient de l'être comme l'écho figé d'une

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existence morte mais non ressentie encore et qui demande d'être vécue afin d'expier de manière définitive.

En poésie, l'image provient également de l'inconscient, seulement, elle ne traduit pas un traumatisme, elle crée « en dehors de toute imitation, de toute évocation, de toute comparaison » un saisissement de l'être par le « rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées », en cela elle est naturellement poreuse, pénétrante et ouverte. Elle possède une puissante originaire de l'arrivée de l'être dans le présent du monde par l'unicité première de la conscience et la pensée de celui-ci, en cela son anéantissement ou son surgissement dépendent de l'humanité puisque sans la parole, l'image n'existe pas.

L'image se meut dans le corps des êtres, en leur esprit et y existe d'aussi loin que le langage fut présenté à l'être. Elle surgit à l'épicentre de la rencontre des mots, de l'être et du monde, totalisant cette union tripartie. L'image est latente, elle dépend de la volonté de l'être. Sans lui, elle ne peut être découverte. L'être qui se dépose dans l'instant de l'écriture en poésie s'avance déjà, de par l'élan du saisissement créateur, vers elle. Or, pour l'atteindre, il doit consciemment accéder au lieu de l'inconscient, le silence demeurant une prédisposition en ce sens.

Cependant, l'être ne doit pas y demeurer en tant qu'adorateur de sa propre histoire, le narcissisme ne pouvant le projeter de l'individuel vers le personnel, sorte de lieu commun propre à l'hum-anité. L'être doit de lui-même se tendre vers la clarté de l'origine des émotions, soit vers l'antre du coeur. Dans la traversée de ce passage, il voit nécessairement se dresser sur sa trajectoire une multitude de symboles qui exercent diverses attractions intimes des plus prononcées à son endroit parce que ces derniers incarnent des traumatismes hautement significatifs pour lui. Par sa conscience, l'être doit résister à l'impétuosité douloureuse des symboles et le désir d'objectivité que ceux-ci engendrent en lui pour choisir de croire en l'avènement de l'image à venir, susceptible d'apparaître, entre douleur et resilience, dans le labeur de l'écriture tenace et arrimée à l'authenticité du sens. L'image fait sens en ce que son

46 Pierre REVERDY, Op. Cit., p. 74. 47 lbid, p. 73.

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