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Conjuguer rigueur, équité, créativité et amour : L’exigence de la criticité en éducation relative à l’environnement [Éditorial]

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Academic year: 2021

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Le développement d’une compétence critique est certes l’un des objectifs majeurs de l’éducation relative à l’environnement. Une telle compé-tence correspond à l’intégration de trois types de savoirs1. D’abord, un ensemble de connaissances générales et spécialisées permettant d’aborder les réalités complexes sous une diversité d’angles d’analyse et de reconnaître la pluralité des regards et des arguments possibles à propos d’un phénomène ou d’une situation. Ensuite, un savoir-faire lié à des habiletés cognitives, dont l’analyse, la synthèse et l’évaluation, associées à des habiletés stratégiques, comme celles de rechercher et de traiter l’information, de construire un argument, de discuter, etc. Enfin, un savoir-être fondé sur des attitudes, en particulier, le scepticisme, la curiosité et la capacité de se remettre en question, et s’appuyant sur un système de valeurs favorisant l’approche critique des réalités, dont la rigueur, le souci de pertinence et la justesse. C’est par l’intégration de ces différents types de savoirs entre eux que se construit progressivement un savoir-agir2 : savoir exercer une pensée critique de façon pertinente et efficace, en fonction du contexte.

Ici, « critique » fait référence à l’idée d’examen, de jugement évaluatif ; le mot se rattache à la racine grec kritikos : juger comme décisif. Débusquer l’argument fallacieux dans une publicité « verte », cerner les avantages et les limites d’une politique publique en matière d’environnement, repérer les

Lucie Sauvé et Isabel Orellana Université du Québec à Montréal

ÉDIT

ÉDIT

ORIAL

ORIAL

Conjuguer rigueur, équité,

créativité et amour :

L’exigence de la criticité en

éducation relative à l’environnement

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biais et les failles d’un documentaire sur les changements climatiques, identifier des éléments pour l’amélioration d’un plan de développement urbain, voilà des lieux d’exercice de la pensée critique. Faire des choix de consommation écoresponsables, participer efficacement aux débats publics en matière d’environnement, s’assurer de la pertinence et de la cohérence interne d’un projet d’écodéveloppement, voilà des exemples de mise en œuvre d’une compétence critique.

Mais au-delà de l’attention soutenue que suppose un « esprit critique » et de l’exercice de « la pensée critique », une compétence critique intégrale s’ouvre sur une préoccupation de critique sociale. Les questions du « quoi » et du « comment » ne suffisent pas. La question critique par excellence est celle du « pourquoi ». Ici, « critique » fait référence aux fondements et pratiques de la Théorie critique ou plutôt, du champ diversifié des propositions qui se réfèrent à celle-ci : la posture critique consiste à mettre au jour les relations de pouvoir au cœur des questions sociales, afin de contrer l’aliénation et l’oppression. La visée est celle de l’émancipation, de l’équité et de la justice sociale3. Plus récemment, les acteurs du champ de la théorie critique, dont les pédagogues critiques, ont pris conscience des liens étroits entre culture et nature, société et environnement. Reconnaissant qu’il n’est plus possible de les traiter séparément, ils abordent désormais les questions sociales dans une perspective écologique ; l’idée de justice s’est élargie à celle d’écojustice (Bowers, 2001 ; Guenewald, 2005).

Qui décide quoi ? Pourquoi ? Au nom de qui ? Dans quel but ? C’est dans une telle perspective de critique sociale que sont abordées les questions environnementales, comme celles liées à l’énergie ou à l’usage de l’eau ou de la terre, par exemple. Cette perspective est également auto-réflexive : Qui sommes-nous ? Que voulons-nous faire ? Que pouvons-nous faire ensemble ? Quelle est notre espace de liberté ? Quelles sont nos entraves ? Quels sont nos lieux et nos outils de pouvoir ? Au-delà de la déconstruction des réalités sociales, de la recherche des causes des diverses formes d’aliénation, ce type de questions propre à la pédagogie critique ouvre sur l’idée de transformation, de reconstruction. Le savoir-agir ne suffit pas, il importe de développer et de s’approprier un pouvoir-agir face aux situations d’entrave et d’aliénation, en vue d’effectuer les changements qui s’imposent, vers l’éman-cipation. C’est ici que le mot « critique » est aussi étymologiquement associé à krisis, qui signifie en grec « point critique », « seuil de discontinuité ». L’idée de « critique » évoque celle d’un changement important.

Si l’enseignement et l’apprentissage de la « pensée critique », axée sur la logique, la clarté, la cohérence et la quête de ce qui est « vrai » à travers la gangue du « faux », visent avant tout l’autonomie des gens pour une sorte d’« auto-défense intellectuelle », vers une plus grande liberté de pensée et une

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émancipation individuelle, la pédagogie critique est orientée pour sa part vers des valeurs sociales : justice, équité, démocratie, émancipation collective. On s’intéresse ici « aux systèmes de croyances et d’action qui renforcent certains pouvoirs, de même qu’aux structures de pouvoirs dans une société qui déterminent les voies d’aliénation et d’émancipation » (Burbules et Berk, 1999). La façon dont s’exerce la pensée critique est elle-même déterminée par des jeux de pouvoir, dont portent l’empreinte les cadres de référence qui déterminent l’analyse et le jugement critique. Il faut dire également que pour les pédagogues critiques, la critique n’est pas une activité exclusivement intellectuelle, distancée de l’action : théorie et pratique sont imbriquées l’une dans l’autre, se générant et s’éclairant mutuellement (c’est la praxis) pour la construction de significations et de savoirs transformateurs. La question n’est pas d’abord celle du « comment faire ? » – comme dans la démarche prag-matique de l’éducation pour le développement durable –, mais plutôt celle du « pourquoi faire ? ». Et aussi, « pourrions-nous faire autre chose et autrement » ? En pédagogie critique, la signification des réalités est primordiale et celle-ci ne peut pas s’enfermer dans une rationalité pure. La posture critique fait appel à l’engagement de l’être dans l’action, en toute cohérence. Dans son ouvrage Critical Pedagogy, Joe L. Kincheloe (2004) offre une synthèse éclairante de ce courant pédagogique. Au fond des choses, il y trouve l’amour.

L’amour est à la base d’une éducation préoccupée de justice, d’égalité et de génie créatif. Si la pédagogie critique n’est pas traversée d’une bonne dose de ce que Freire appelle « l’amour radical », alors elle ne sera que l’ombre d’elle-même. […] La pédagogie critique vise à accroître notre capacité d’aimer ; elle veut amener le pouvoir de l’amour au centre de nos vies quotidiennes et de nos institutions sociales, et repenser la raison en fonction de notre humanité et dans une perspective d’interconnexions […]. Un savoir critique cherche à se connecter à la sphère de notre corporéité et de nos émotions, de telle sorte qu’il permette d’appréhender différents niveaux de l’être et de comprendre la souffrance humaine, pour mieux la soulager. (Traduction libre, Kincheloe, 2004, p. 3)

Nicholas C. Burbules et Rupert Berk (1999) utilisent le mot criticality pour désigner cette dimension de l’éducation préoccupée de l’approche critique des réalités et ils suggèrent une forme de criticité (« criticalité »)4qui permette de dépasser la dichotomie entre « pensée critique » (qui fait généralement référence à une démarche individuelle distancée de l’objet de critique) et « pédagogie critique » (démarche intersubjective et engagée vers l’équité sociale). Ces auteurs suggèrent une criticité alternative qui implique de penser différemment, et en particulier, de situer les réalités dans le contexte idéologique qui les génère ou les supporte. Cela signifie avant tout de prendre une distance critique à l’égard de nos propres cadres de référence – trop

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rarement décodés –, fussent-ils d’inspiration néolibérale ou marxiste ou autre. Il faut s’assurer du plus grand espace de liberté possible, hors des conventions, pour y déployer notre démarche critique. Burbules et Berk (1999) invitent à saisir les distorsions et représentations biaisées des idéologies, à commencer par celles qui nous « infiltrent ». Citant Kellner (1978), ils proposent d’examiner le « cycle de vie » des idéologies : pourquoi cette idéologie (celle du développement durable, dirons-nous, par exemple) exerce-t-elle cet attrait et persiste-t-elle ou prend-elle de l’ampleur ? À quel besoin, quelle inquiétude, quelle expérience sociale répond-elle ? On ne peut éluder ces questions et par ailleurs, aucun changement ne peut s’opérer, sans prendre en compte ces réalités. Les auteurs observent que dans l’inévitable mouvance du contexte social ou macro-social qui menace leur pérennité, les idéologies ont tendance à se réifier et à devenir hégémonique. Un tel déclin dans la réification observent-ils, est justement dû au manque d’intra-réflexivité, de recul critique de la part des tenants d’une idéologie pour en saisir les origines, les raisons d’être, les limites et les occasions de penser autrement. « La criticité est à l’opposé de l’hégémonie », affirment Burbules et Berk (1999, traduction libre). Et pour l’exercer, pour remettre en question nos propres cadres de référence, il importe de valoriser le dialogue et le débat avec des gens qui ne pensent pas comme nous : la différence est un ferment de créativité. Or, il faut bien reconnaître que l’exercice d’une telle criticité peut être entravée par un système social (scolaire, politique, économique) ou au contraire, favorisée et valorisée. Cela nous ramène à l’idée de pouvoir … La dimension critique de l’éducation relative à l’environnement – ou criticité – qu’elle se manifeste sous forme de « pensée critique » ou de « critique sociale » ou d’une intégration ou du dépassement des deux, se retrouve donc étroitement liée à la dimension politique de celle-ci. Les rapports de pouvoir en ce qui concerne les « choses publiques » – dont l’éducation et l’environnement – se jouent dans un espace politique où l’adoption d’une posture critique est de nature à débusquer et prévenir l’enlisement partisan. Par ailleurs, la pratique de la criticité est essentielle à la construction de ce que Mitchell Thomashow (1995) appelle l’identité politique, comme composante de l’identité écologique : Quelle est ma représentation du pouvoir et de ceux qui le portent ? Comment est-ce que je réagis en situation de conflit ? Quelle est ma perception de mon propre pouvoir ? Comment est-ce que je m’insère dans la gestion des choses publiques (dont est-celles qui ont trait à l’environnement), à l’échelle de ma vie privée, de ma communauté, de ma sphère professionnelle ? Etc. Une identité politique bien clarifiée et affirmée rend plus apte à participer aux débats, à contribuer aux changements et aux transformations souhaitées.

Enfin, le développement d’une compétence critique est indissociable du développement d’une compétence éthique. D’une part, en ce qui concerne

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les questions socio-écologiques, éthique et politique sont étroitement liées (Sauvé, 2008 ; Hortolan et Bruxelle, dans ce volume). Dans une perspective de transformation sociale, les valeurs d’équité, de justice et d’écojustice ne peuvent être envisagées en dehors de la sphère politique. D’autre part, en matière d’environnement comme pour toute autre question sociale, les arguments, discours, propositions et projets soumis à l’analyse critique ne peuvent être abordés sans examiner le creuset des valeurs dont ils ont émergé et qu’ils contribuent à renforcer. Enfin, la posture critique elle-même répond à une exigence de responsabilité intellectuelle et sociale. À travers l’analyse de diverses situations, elle nous confronte aussi à notre propre système de valeurs et à la cohérence entre l’être et l’agir. Et puis, au bout du compte, la posture critique devient une valeur instrumentale salvatrice : en situation d’oppression, quand tout espace de liberté apparaît étouffé, l’ultime dignité qui nous reste, l’ultime refuge inviolable de notre être authentique, est celui de porter un regard critique sur la situation et sur ses acteurs. Criticité et authenticité vont de pair.

Dans les paragraphes précédents, nous avons abordé la dimension critique de l’éducation relative à l’environnement dans une perspective pédagogique, au regard des apprentissages essentiels. Mais qu’en est-il de la recherche liée à cette dimension : recherche sur le développement de la compétence critique, recherche au cœur de dynamiques de critique sociale, recherche comme pratique de la criticité, l’exercice de la criticité comme posture de recherche, etc. ? Il est bien entendu que toute forme de recherche (dont la recherche positiviste classique) implique l’exercice d’une pensée critique. Mais celle-ci reste le plus souvent cantonnée dans l’espace du paradigme épistémologique adopté consciemment ou non par le chercheur. Ce qui nous intéresse ici ce sont les avenues de recherche qui laissent place à la critique sociale, et qui demeurent réflexives à propos d’elles-mêmes.

D’une part, les pédagogues critiques considèrent leur travail comme une démarche de recherche permanente pour la construction, la discussion et la diffusion de savoirs qui ont une pertinence et une utilité sociale, vers l’émancipation et l’écojustice. Et ce travail est essentiellement collaboratif – avec les collègues, les élèves, les gens de la communauté, etc. – puisqu’il traite de questions vives qui concernent une collectivité. Lorsqu’une telle démarche est systématisée, formalisée, elle prend le plus souvent la forme d’une recherche-action. On trouve encore trop peu d’écrits qui témoignent de recherches de ce type en éducation relative à l’environnement.

Mais d’autre part, et bien souvent en lien avec les acteurs sur les terrains de pratique, s’est développé un ample courant de la recherche dite critique en éducation, puis en éducation relative à l’environnement5. Au-delà de la description des réalités par les approches empiriques positivistes et

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interprétatives, la recherche critique se préoccupe – comme le fait la « pédagogie critique », mais avec une exigence accrue de rigueur méthodologique – de déconstruire ces réalités (les positions, les discours, les propositions, les productions, etc.) afin de mettre au jour les idéologies et les valeurs sous-jacentes. Elle se fonde sur le postulat suivant : la construction du savoir – ce qui est le propre de la recherche – est un processus social qui s’inscrit dans une trame contextuelle, soit historique, socio-culturelle, politique, etc. ; elle est imprégnée d’un champ de valeurs et est essentiel-lement liée à des relations de pouvoir, menant à l’aliénation ou au contraire, à l’émancipation. Comme la « pédagogie critique » et souvent en lien avec elle, la recherche critique vise la transformation des réalités sociales, vers la libération des diverses formes d’entraves au déploiement des personnes et des groupes sociaux. Parmi les questions types de la recherche critique : Qui produit le savoir ? Dans quel contexte et conditions ? Quelles sont les intentions et les valeurs sous-jacentes ? Quels sont les manques, les ambiguïtés, les ruptures, etc. ? À quoi sert ce savoir, à qui sert-il ? Quelle relation de pouvoir est liée à ce savoir ?

La recherche de type critique porte sur des objets sociaux. Elle adopte une épistémologie particulière : intersubjectivité, interobjectivité, posture dialogique et dialectique. Elle vise la production d’un savoir de type particulier : un savoir utile, contextuellement signifiant et qui est de nature à catalyser le changement social. Elle saisit que la subjectivité ne précède pas l’expérience, mais se construit dans celle-ci ; en retour, le sujet transforme la réalité qui est objet d’expérience. La subjectivité est reconnue de même que l’interobjectivité, soit l’interaction sujet-objet ; l’intersubjectivité est valorisée. La recherche de type critique accueille et croise divers types de savoirs : les savoirs disciplinaires comme les savoirs dit « fugitifs », ceux qui échappent à la codification des disciplines (Robert Hill, 2004). Elle saisit les contradictions et s’en sert comme des leviers féconds. Les possibilités méthodologiques de la recherche critique sont vastes : recherche ethnographique à travers des études de cas, études de représentations et pratiques, analyse conceptuelle, analyse de discours, démarche spéculative, recherche-action, etc. Le plus souvent, l’approche est participative ou collaborative : le savoir se construit dans l’interaction sociale. Les critères de rigueur incluent des critères éthiques : entre autres, la recherche doit contribuer à l’émancipation des participants et à l’amélioration de leurs conditions de vie ou de travail.

Ainsi, la recherche critique est nécessairement une recherche engagée, à caractère politique, dont la composante éthique est explicite. À ce titre, elle est souvent considérée suspecte ; l’exigence de rigueur est d’autant plus forte. En particulier, il importe d’établir clairement la distinction entre une recherche engagée, dont les intentions sont clairement explicitées, et une recherche

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partisane. Il ne faut pas tomber dans le piège de tant de recherches positivistes qui affirment au départ que « la recherche devrait démontrer que … ». Certes, dans une perspective de criticité (criticality) alternative, selon la proposition de Burbules et Berk (1999), la recherche critique, tout comme la pédagogie critique, doit rester aux aguets des ornières idéologiques.

Si cette condition est respectée, l’exercice de la criticité peut offrir un extraordinaire espace de créativité. Après la déconstruction, la reconstruction. Il s’agit chercher à voir et à ressentir autrement, à débusquer, à dénoncer et à résister de façon positive en inventant de nouvelles façons d’être et de faire, mises à l’essai et sans cesse remodelées. Ici s’ouvre un autre fascinant chantier de réflexion sur le lien entre criticité et créativité.

Voilà donc de nombreux fils à croiser sur la toile de la criticité en éducation relative à l’environnement : pensée critique, pédagogie critique, recherche critique, dimensions critiques, politique et éthique de l’action pédagogique et de la recherche, et comme trame transversale, la créativité pour la recherche d’alternatives conceptuelles, théoriques et stratégiques.

Sur ce vaste sujet, les chercheurs francophones en éducation relative à l’environnement ou dans les champs connexes ont encore peu publié de regards, recherches ou réflexions. Non pas que le terrain soit encore inexploré – on peut repérer entre autres quelques écrits en ce sens dans les volumes antérieurs de cette revue –, mais il est certain qu’en raison de son importance au regard des transformations socio-écologiques à venir, il doit être davantage investi et connu par les acteurs de notre univers culturel francophone. Ce volume 7 de la revue Éducation relative à l’environnement : Regards –

Recherches – Réflexions a pour but de diffuser des initiatives de recherche

ayant trait à la dimension critique de ce champ. Nous y avons sollicité des auteurs de divers champs d’appartenance académique et de différentes cultures, qui ouvrent une riche diversité de fenêtres sur la dimension critique de l’éducation relative à l’environnement.

À travers les 15 articles de ce volume, on observe une pluralité de contextes d’application d’une démarche critique, de même qu’une diversité de problématiques et d’angles d’analyse de cette démarche. Les synthèses qui suivent mettent en évidence le lieu d’exercice de la posture critique (en caractère gras) auquel s’attarde chacun des auteurs ; elles tentent de faire ressortir – certes trop brièvement ! – les principales préoccupations des auteurs et les pistes de solution, de renforcement ou de développement qu’ils proposent pour le déploiement de la dimension critique de l’éducation relative à l’environnement.

Les groupes de résistance et d’action sociale. Le premier article de ce

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Rolando Labraña, rappelle d’abord la pertinence de la posture critique pour la recherche dans le domaine de l’éducation relative à l’environnement, « appelée à se joindre aux efforts de revitalisation sociale et aussi, de réappropriation politique de la réalité ». Après avoir cerné les principales caractéristiques d’une telle recherche orientée vers la critique sociale et la transformation des réalités, les auteurs montrent comment elle a pris forme dans le cadre d’une démarche de résistance sociale face à l’implantation du projet minier Pascua Lama de la transnationale canadienne Barrick Gold Corporation, à la frontière Chili-Argentine. Il s’agit d’un « cas emblématique du phénomène de globalisation économique et du pouvoir de manipulation politique, sociale et économique exercé par les transnationales ». L’éducation relative à l’environnement, associée à un processus de recherche-action, apparaît comme une valeur ajoutée des mouvements sociaux et comme un levier d’action.

L’« alphabétisation » des adultes. S’inspirant également des travaux de

Paolo Freire, Carine Villemagne soutient que « l’alphabétisation et l’éducation relative à l’environnement des adultes pourraient contribuer, au sein d’un même programme éducatif, au développement de l’engagement social et environnemental des adultes dans leur milieu ». La proposition de l’auteure s’inscrit particulièrement « dans le courant de l’alphabétisation conscientisante, émancipatrice, critique et orientée vers la transformation sociale », en lien avec l’éducation communautaire ou populaire, et l’animation socio-culturelle. L’auteure identifie des principes généraux qui semblent émerger pour la mise en œuvre de pratiques éducatives situées à la croisée des champs de l’alphabétisation conscientisante et de l’éducation relative à l’environnement socialement critique.

La recherche théorique et conceptuelle. Gina Thésée et Paul Carr invitent

à prendre en compte « les dynamiques néocoloniales et racisantes sous-jacentes dans la construction des rapports à l’environnement », et à saisir « l’articulation étroite entre, d’une part, l’injustice environnementale et, d’autre part, la pauvreté, l’hégémonie techniciste, le néolibéralisme, les guerres, la race, le genre, l’identité, la culture, l’aliénation et l’exclusion sociale ». Les auteurs se penchent sur le paradigme critique en éducation relative à l’environnement « pour mieux justifier le renouveau épistémologique nécessaire et proposer, dans une démarche de continuité-rupture, une posture critique ancrée dans les dynamiques identitaires et culturelles alter-natives : la résistance éco-épistémologique ».

L’éducation communautaire au Liban. Comment envisager l’éducation

relative à l’environnement dans le contexte d’un pays caractérisé par une mosaïque communautaire et déchiré par la guerre civile ? Nayla Naoufal examine les liens entre guerre, identité et rapport à l’environnement. Elle

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observe que les conflits environnementaux sont en réalité des types de conflits sociaux. Elle examine la contribution possible de l’éducation relative à l’environnement à la paix socio-écologique. Notamment, s’appuyant sur les propositions du courant de la critique sociale et s’inspirant des initiatives d’écodéveloppement communautaire, l’auteure montre l’importance d’aider à reconstruire le dialogue entre les communautés autour de l’environnement, ce milieu de vie intercommunautaire qui peut devenir lui-même un projet intercommunautaire.

La formation des enseignants et l’éducation scolaire au Sénégal. Après

avoir présenté les grande lignes d’une analyse critique du Programme de formation-information pour l’environnement (PFIE) implanté au Sénégal entre 1990 et 2001, et observé entre autres les difficultés que pose l’introduction d’une pédagogie alternative et d’une dimension critique à l’école, Michèle Berthelot met en évidence le « potentiel de résistance culturelle et politique » d’un tel programme. Selon cette auteure, la valorisation des productions endogènes, la promotion de la solidarité africaine et le souci de réintroduire les valeurs et savoirs traditionnels en complémentarité avec des savoirs modernes sont autant de signes « d’une certaine distance à l’égard de l’occidentalisation du monde et d’une réhabilitation des visions du monde africaines ».

La formation universitaire au Mexique. Pascal Galvani présente le cadre

théorique, l’axiologique et les premiers résultats d’une recherche-action-formation visant à faire évoluer la pratique de la recherche-action-formation et de la recherche d’un centre universitaire (au Mexique) pour mieux intégrer l’épistémologie de la transdisciplinarité et de la complexité. Cette expérience montre « que des domaines du savoir apparemment étrangers à l’éducation relative l’environnement comme le droit, la comptabilité, le commerce international ou la communication, s’écologisent à partir d’une posture transdisciplinaire » qui favorise un « questionnement critique et autocritique des différentes disciplines par rapport aux déséquilibres environnementaux ».

L’auto-formation du chercheur. Avec beaucoup d’authenticité, Milagros

Chávez relate sa trajectoire de recherche doctorale et elle examine sa propre expérience de développement d’un sens critique. Une démarche réflexive exigeante mais féconde a amené l’auteure à prendre conscience de ses paradigmes fondamentaux et à les remettre en question au regard d’alternatives possibles. Ses conceptions de la science, de l’éducation, de l’enseignement des sciences et des technologies, de l’éducation aux sciences, de l’environnement, de l’éducation relative à l’environnement, de l’éthique de l’environnement, de la recherche en éducation et plus spécifiquement en éducation relative à l’environnement, ont été mises à distance critique et ont évolué. « J’ai compris que la « rigueur scientifique » concerne plutôt des

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attitudes d’honnêteté, de transparence, d’humilité et d’authenticité de la part du chercheur que des canons rigides qu’il faut suivre aveuglément », rapporte-t-elle.

L’éducation citoyenne des adolescents en banlieue défavorisée. Yves Girault,

Eva Auzou et Cécile Fortin-Debart rapportent les fondements, la démarche et les premiers résultats d’une recherche-action accompagnant un projet pédagogique permettant à des jeunes collégiens et lycéens de co-construire des « savoirs » à propos de leur territoire, en vue de favoriser leur participation citoyenne. Les élèves ont été invités à mener une enquête dans leur milieu, s’appuyant « sur leur propre vécu dans ce territoire, sur une lecture de leur lieu de vie, sur des rencontres avec des habitants et des acteurs locaux ». Il semble qu’une telle démarche a pu, chez certains élèves, développer un « rapport distancié » et un sentiment d’appartenance à leur milieu, et stimuler un « engagement critique » à l’égard de ce dernier, lié à une forme « d’empowerment ».

La formation de formateurs à l’université. Rattachant sa réflexion à sa

propre trajectoire de vie, et à la lumière d’une exploration des univers de la psychanalyse, de la philosophie et de la sociopolitique, Françoise Bréant propose « le recours à l’imagination radicale » afin d’inventer « de nouvelles pratiques capables de rompre avec l’habitus […] comme condition à la création de nouvelles significations sociales vivantes et crédibles. Considérer la terre comme notre jardin et assumer le monde commun pourraient-elles devenir des visées assez puissantes pour mobiliser et renouveler nos énergies, individuelles et collectives, dans un projet éducatif fondamentalement alternatif ? » Le travail de l’imaginaire « pourrait devenir une source exploitable pour l’élaboration d’une pensée critique complexe, vivante et évolutive », affirme-t-elle.

L’agir politique en classe, dans la vie des organisations associatives ou dans les entreprises. Michel Hortolan et Yannick Bruxelle se penchent sur le débat

public comme créneau d’agir politique et tentent de saisir le rôle de l’éducation relative à l’environnement pour favoriser la prise en compte « de la complexité et du progrès humain » dans l’espace public. Ils proposent des pistes concrètes susceptibles de contribuer à la formation au débat public en intégrant les apports de chercheurs sur le recours à l’éthique de la discussion. Entre autres, ils mettent en évidence la pertinence de la stratégie du questionnement, qui permet « de rompre avec la recherche circulaire et sans fin du meilleur argument. Questionner, questionner toujours, non pas pour trouver rapidement une réponse, mais pour trouver la question qui fait problème. Questionner le problème jusqu’à ce qu’il soit posé clairement pour chacun ».

L’éducation à la consommation soutenable, en milieu scolaire comme auprès du grand public. Depuis une perspective latino-américaine, Edgar

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soutenable a un potentiel critique de transformation radicale à condition de ne pas se limiter à la promotion de mesures pour le changement individuel, spécifiques et désarticulées par rapport à un programme d’une plus grande portée ». Il met en évidence l’importance d’une stratégie éducative « tenant compte du point de vue politique et culturel des pratiques de consommation » dans divers contextes.

L’éducation relative à l’environnement urbain. Mario Salomone et Marcella

Messina s’intéressent à la ville comme « épicentre des transformations » de nos sociétés contemporaines. La pensée critique et la créativité – en interaction – apparaissent comme des pivots importants pour le développement d’une citoyenneté solidaire et engagée. Une éducation à l’environnement se doit d’être critique et de stimuler dans le « dialogue éducatif », le questionnement sur les réalités urbaines. Mais elle ne doit pas négliger l’importance de la créativité, comme processus intersubjectif, « anticonformiste, antitotalitaire et antiautoritaire, le propre d’une société plurielle et décentralisée », qui permet d’aborder la complexité, « vivre avec l’incertitude et accepter l’imprévisibilité, saisir de nouvelles connexions et interactions, apprécier les propriétés émergentes des choses ».

La formation des enseignants en France. Thierry Pardo entreprend une

déconstruction de l’idée d’éducation et d’école et remet en question la légitimité d’enseigner. Il contribue à la critique d’une éducation « hors sol ». « Aujourd’hui », dit-il, « le débat semble se cristalliser autour des célèbres fondamentaux « lire, écrire, compter… » dans une logique d’intégration au marché du travail. L’éducation relative à l’environnement avec ses diverses dimensions – naturaliste, critique, ethnographique, etc. – pourrait bien être très éloignée des urgences liées aux ratés intégrationnistes de la République ». Afin de contrer une telle exclusion, dans les travaux qu’il poursuit en ce moment, l’auteur développe l’idée d’une éco-éducation, ancrée dans le milieu de vie.

L’institutionnalisation de l’éducation pour le développement durable dans les milieux d’enseignement. Dans la foulée des écrits de Gilbert Rist et de

Serge Latouche, Claude Llena met en évidence les dérives de l’idéologie du développement, à la base de la proposition du développement durable. Mettant à profit le contexte actuel (et apparemment incontournable) de la « généralisation » de l’éducation au développement durable en France, il propose d’intégrer à l’enseignement une préoccupation d’« émancipation vis-à-vis des dogmes » et une « présentation systémique des problèmes écologiques », afin de stimuler les imaginaires vers une société plus respectueuse des valeurs fondamentales de notre humanité.

La réflexion philosophique. Mohammed Taleb explique que sa « militance

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conviction que la justice sociale et la justice écologique ne peuvent véritablement advenir et se réaliser si nous restons à l’intérieur des limites du cadre politique et économique international actuel ». Selon l’auteur, une éducation relative à l’environnement holistique, écosystémique et axée sur la critique sociale peut contribuer au changement du paradigme dominant de la globalisation ; pensée et pratiquée dans une perspective politique et culturelle d’émancipation, elle peut devenir un vecteur de réenchantement du monde.

C’est donc sur ces pages fort inspirantes de Mohammed Taleb, qui portent un large souffle de transformation, que se termine le tour d’horizon des divers regards, recherches et réflexions sur la dimension critique de l’éducation relative à l’environnement, témoignant de son étendue, de sa complexité, de sa richesse et surtout, de son absolue nécessité.

i

Notes

1 L’un des modules du Programme court d’études supérieures en éducation relative à

l’environnement de l’Université du Québec à Montréal présente une synthèse d’éléments théoriques associés à la pensée critique et explicite le concept de compétence critique (Sauvé et Villemagne, 2003).

2 C’est ainsi que Le Boterf (2006) définit une compétence.

3 Parmi les auteurs les plus connus qui ont explicité les fondements de la pédagogie critique,

mentionnons les suivants : Paolo Freire, Michael Apple, Stanley Aronowiz, Henry Giroux et Peter McLaren. Joe L. Kincheloe (2004) présente une fort belle synthèse de la contribution de chacun et de plusieurs autres.

4 Une recherche lexicologique nous append que le mot criticité (criticality) prend son sens

originel dans le domaine de la science physique, où il désigne l’« état d’un milieu dans lequel s’entretient à niveau constant une réaction nucléaire en chaîne ». Par extension, il signifie l’état d’une chose ou d’un phénomène qui ne peut être altéré sans le compromettre (comme la sécurité alimentaire), ou encore, un état d’urgence critique, de nécessité fondamentale, qui fait appel à une décision, une intervention (comme un tremblement de terre, un feu de forêt, une épidémie). Les idées de crossroads et de juncture sont évoquées

au dictionnaire anglais à propos de criticality : croisée des chemins, conjoncture … vers des tournants, des changements. Le sens que prend le mot criticality à travers son usage en pédagogie dans la littérature anglophone peut être transposé au mot criticité (ou à l’anglicisme « criticalité » chez certains auteurs). Il pourrait s’expliciter ainsi : état de vigile, posture critique, exercice d’une démarche critique.

5 On trouve une synthèse du courant de la critique sociale en recherche – plus

spécifiquement dans le champ de l’éducation relative à l’environnement – dans Sauvé (1998-1999) et Sauvé (2005).

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Notes biographiques

Lucie Sauvé est professeure titulaire au Département d’éducation et pédagogie de l’Université

du Québec à Montréal (UQAM). Elle est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement, membre de l’Institut des sciences de l’environnement et de l’Institut Santé et Société de l’UQAM. Elle est responsable du comité scientifique du Réseau international francophone de recherche en éducation relative à l’environnement (RefERE) et du Programme court d’études supérieures en éducation relative à l’environnement de l’UQAM. Elle est chercheure associée au Réseau québécois d’échange sur les questions autochtones (DIALOG). Ses principaux domaines de spécialisation ont trait à l’éducation relative à la santé environnementale, à l’éducation scientifique, à l’éducation à l’écodéveloppement, aux enjeux de la formation des éducateurs et à ceux de la participation communautaire en matière d’environnement.

Isabel Orellana est professeure au Département d’éducation et pédagogie et chercheure

associée à la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle est également chercheure associée au Réseau québécois d’échange sur les questions autochtones (DIALOG) et membre de la Coalition sur les impacts socio-environnementaux des transnationales en Amérique latine. Elle s’intéresse aux processus sociaux de construction de savoirs en éducation relative à l’environnement et à sa pertinence sociale, en particulier, à son apport aux processus d’émancipation et de changement socio-environnemental. Elle porte un intérêt particulier à la stratégie de la communauté d’apprentissage en éducation relative à l’environnement.

Références

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Références

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