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Réinsérer pour extraire : la conciliation entre la fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté et l'éloignement subséquent du territoire étatique des délinquants étrangers en France et au Canada

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Texte intégral

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Réinsérer pour extraire: la conciliation entre la fonction

de réinsertion sociale de la peine privative de liberté et

l'éloignement subséquent du territoire étatique des

délinquants étrangers en France et au Canada

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Benjamin Chartrand

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université Toulouse 1 Capitole

Toulouse,France

(2)

Résumé

La France et le Canada, à l’instar de divers autres États occidentaux, ont observé au cours des dernières décennies l’amplification parallèle de deux phénomènes antinomiques. D’un côté, malgré leur inhérence invariablement plurifonctionnelle et punitive, on consacre politiquement et juridiquement la réinsertion sociale comme fonction prééminente des politiques pénales contemporaines. Plus particulièrement, tant en France qu’au Canada, l’exécution de la peine privative de liberté a dorénavant comme objectif prioritaire cette resocialisation du délinquant. Celle-ci se réalise essentiellement par son aménagement favorisant un retour anticipé, progressif et conditionné à la liberté dans la société. D’un tout autre côté, tant en France qu’au Canada, on renforce les mesures de sécurisation permettant d’extraire socialement des délinquants étrangers par l’entremise de leur éloignement du territoire étatique après l’exécution de leur peine privative de liberté. Ce travail de recherche porte sur l’analyse et la comparaison des règles juridiques relatives à l’exécution des peines privatives de liberté concernant particulièrement les détenus étrangers visés par une mesure d’éloignement du territoire étatique dans les ordres juridiques français et canadien. Ses aspirations sont d’évaluer lequel de ces deux ordres juridiques concilie le plus efficacement, à ce niveau précis, la fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté avec l’éloignement subséquent du territoire étatique des délinquants étrangers.

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Abstract

In the recent decades, France and Canada, as several other Western states, have observed the parallel amplification of two contradictory trends. On one side, despite their still multifunctional and punitive reality, we politically and juridically consecrate social reintegration as the preeminent function of contemporary penal policies. More specifically, as much in France as in Canada, the execution of custodial sentences now has the offender’s resocialization as a main target. This purpose is essentially materialized by correctional measures which promote an anticipated, progressive and conditioned return to freedom in society. On the other side, as much in France as in Canada, we reinforce safety measures allowing the state to socially extract foreign offenders after the execution of their custodial sentence through their removal of the state territory. In this research paper, we analyse and compare the legal rules regarding the execution of custodial sentences concerning foreign inmates targeted by a removal measure in the French and Canadian legal system, in order to assess which of these two legal systems conciliates the most effectively, at this level, the social reintegration function of custodial sentences with the potential foreign offender’s removal.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... II ABSTRACT ... III TABLE DES MATIÈRES ...IV LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS ...VII REMERCIEMENTS ...VIII AVANT-PROPOS ...IX

INTRODUCTION ... 1

1. QUESTION DE RECHERCHE ET HYPOTHÈSE DE TRAVAIL ... 5

2. MODE DE DÉMONSTRATION : L’ÉTUDE ÉTENDUE DES NORMES ... 5

3. CADRE THÉORIQUE : L’EFFICACITÉ COMME VECTEUR DE LÉGITIMITÉ ... 7

4. PERTINENCE SOCIALE ET SCIENTIFIQUE DU TRAVAIL DE RECHERCHE ... 13

5. MÉTHODOLOGIE : LE DROIT COMPARÉ ... 13

6. LIMITES ET DÉFINITIONS ... 14

6.1. « La fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté » ... 14

6.1.1. « Peine » ... 14

6.1.2. « Peine privative de liberté » ... 16

6.1.3. « La fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté » ... 17

6.2. « L’éloignement du territoire étatique d’un délinquant étranger »... 18

6.2.1. « Étranger » ... 18

6.2.2. « L’éloignement du territoire étatique d’un étranger » ... 23

6.2.3. « L’éloignement du territoire étatique d’un délinquant étranger »... 23

PARTIE 1 : L’ÉVOLUTIVE INTERACTION ENTRE LA FONCTION DE RÉINSERTION SOCIALE DE LA PEINE PRIVATIVE DE LIBERTÉ ET L’ÉLOIGNEMENT DU TERRITOIRE ÉTATIQUE DES DÉLINQUANTS ÉTRANGERS EN FRANCE ET AU CANADA... 26

1. LA FONCTION DE RÉINSERTION SOCIALE DE LA PEINE PRIVATIVE DE LIBERTÉ ... 26

1.1. Les origines de la fonction de réinsertion sociale de la sanction pénale ... 26

1.2. La prééminence contemporaine de la fonction de réinsertion sociale dans le contexte particulier de l’exécution de la peine privative de liberté... 31

2. L’ÉLOIGNEMENT DU TERRITOIRE ÉTATIQUE DES DÉLINQUANTS ÉTRANGERS... 36

2.1. Les origines de l’éloignement du territoire étatique des délinquants étrangers... 36

2.2. L’état actuel du droit international public à l’égard de l’éloignement du territoire étatique des délinquants étrangers ... 39

2.3. La mise en œuvre contemporaine de la prérogative des États d’éloigner de leur territoire les délinquants étrangers dans les ordres juridiques français et canadiens ... 43

2.3.1. La mise en œuvre dans l’ordre juridique français ... 43

(a) La mesure de nature pénale : La peine d'interdiction du territoire français ... 44

(b) Les mesures de nature administrative... 48

(i) L’obligation de quitter le territoire français ... 49

(ii) L’expulsion... 50

2.3.2. La mise en œuvre dans l’ordre juridique canadien ... 53

3. L’ANTINOMIE CONTEMPORAINE ENTRE LA FONCTION DE RÉINSERTION SOCIALE DE LA PEINE PRIVATIVE DE LIBERTÉ ET L’ÉLOIGNEMENT SUBSÉQUENT DU TERRITOIRE ÉTATIQUE DES DÉLINQUANTS ÉTRANGERS ... 58

(5)

PARTIE 2 : LA CONCILIATION CONTEMPORAINE ET DIRECTE ENTRE LA FONCTION DE RÉINSERTION SOCIALE DE LA PEINE PRIVATIVE DE LIBERTÉ ET L’ÉLOIGNEMENT SUBSÉQUENT DU TERRITOIRE ÉTATIQUE DES DÉLINQUANTS ÉTRANGERS EN FRANCE ET

AU CANADA ... 66

1. L’ORDRE JURIDIQUE FRANÇAIS : UN LIBRE, VÉRITABLE, MAIS RESTREINT, ACCÈS AUX MESURES D’AMÉNAGEMENT DE L’EXÉCUTION DE LA PEINE PRIVATIVE DE LIBERTÉ FAVORISANT UN RETOUR ANTICIPÉ, PROGRESSIF ET CONDITIONNÉ À LA LIBERTÉ DANS LA SOCIÉTÉ ... 66

1.1. Le droit commun français relatif aux mesures d’aménagement de l’exécution de la peine privative de liberté favorisant un retour anticipé, progressif et conditionné à la liberté dans la société 66 1.1.1. Les principales autorités impliquées dans l’exécution des peines privatives de libertés en France 68 1.1.2. Les différentes mesures d’aménagement de l’exécution de la peine privative de liberté favorisant un retour anticipé, progressif et conditionné à la liberté dans la société en France ... 71

(a) La permission de sortir d’un établissement pénitentiaire... 72

(b) La détention à domicile sous surveillance électronique, le placement à l’extérieur et la semi-liberté 73 (i) La détention à domicile sous surveillance électronique ... 74

(ii) Le placement à l’extérieur ... 74

(iii) La semi-liberté ... 74

(c) La libération conditionnelle ... 75

(d) La libération sous contrainte... 76

1.2. Les dérogations au droit commun français concernant particulièrement les délinquants étrangers visés par une mesure d’éloignement du territoire français ... 77

1.2.1. Le régime juridique dérogatoire lié aux permissions de sortir d’un établissement pénitentiaire, à la détention à domicile sous surveillance électronique, au placement à l’extérieur et à la semi-liberté 77 1.2.2. Les régimes dérogatoires liés à la libération conditionnelle ... 81

1.3. Conclusion partielle : l’efficacité de la fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté dans l’ordre juridique français, eu égard à sa conciliation directe avec l’éloignement subséquent du territoire étatique des délinquants étrangers ... 83

1.3.1. L’efficacité des mécanismes liés à la peine complémentaire d’interdiction du territoire français 83 1.3.2. L’efficacité globale de l’ordre juridique français ... 85

2. L’ORDRE JURIDIQUE CANADIEN : UN ACCÈS TARDIF ET DÉNATURÉ AUX MESURES D’AMÉNAGEMENT DE L’EXÉCUTION DE LA PEINE PRIVATIVE DE LIBERTÉ FAVORISANT UN RETOUR ANTICIPÉ, PROGRESSIF ET CONDITIONNÉ À LA LIBERTÉ DANS LA SOCIÉTÉ ... 88

2.1. Le droit commun canadien relatif aux mesures d’aménagement de l’exécution de la peine privative de liberté favorisant un retour anticipé, progressif et conditionné à la liberté dans la société... 88

2.1.1. Les principales autorités impliquées dans l’exécution des peines privatives de libertés au Canada 90 2.1.2. Les différentes mesures d’aménagement de l’exécution de la peine privative de liberté favorisant un retour anticipé, progressif et conditionné à la liberté dans la société au Canada ... 91

(a) La permission de sortir sans escorte ... 92

(b) La libération conditionnelle ... 93

(i) La semi-liberté ... 93

(ii) La libération conditionnelle totale ... 94

(c) La libération d’office ... 94

2.2. Les dérogations au droit commun canadien concernant particulièrement les délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi du territoire canadien ... 94

2.2.1. Quelques précisions préliminaires sur l’adoption de mesures de renvoi fondées sur un interdiction de territoire pour « criminalité » ou « grande criminalité » ... 95

2.2.2. Les dérogations au droit commun canadien découlant de l’article 128 de la L.S.C.M.L.C. .. 99

2.2.3. Les exceptions aux dérogations : Les limites de la portée du régime juridique de l’article 128 de la L.S.C.M.L.C. ... 101

2.2.3.1. Les limites endogènes de l’article 128 de la L.S.C.M.L.C... 102

(a) L’alinéa 50 (a) de la L.I.P.R. ... 102

(6)

(c) Conclusion sur les limites endogènes de l’article 128 de la L.S.C.M.L.C. ... 106

2.2.3.2. Les limites exogènes de l’article 128 de la L.S.C.M.L.C. ... 107

(a) La cassation de la mesure d’expulsion par la Section d’appel de l’immigration de la C.I.S.R. 107 (b) L’octroi discrétionnaire du statut de résident permanent par le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté ... 107

(c) L’octroi discrétionnaire d’un permis de séjour temporaire par un agent d’immigration ... 109

(d) La suspension du casier judiciaire ... 111

2.2.3.3. Conclusion sur les limites à la portée de l’article 128 de la L.S.C.M.L.C. ... 111

2.3. Conclusion partielle : l’efficacité de la fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté dans l’ordre juridique canadien, eu égard à sa conciliation directe avec l’éloignement subséquent du territoire étatique des délinquants étrangers ... 111

2.3.1. Quelques pistes de solution pour l’ordre juridique canadien ... 115

2.3.2. Quelques questionnements relatifs à la constitutionnalité de ce régime juridique et à la démarche judiciaire de détermination de la peine... 118

CONCLUSION ... 124

1. L’EXISTENCE D’UN IMPÉRATIF DE PROPORTIONNALITÉ DANS L’ORDRE JURIDIQUE FRANÇAIS ... 125

2. L’ABSENCE D’UN IMPÉRATIF DE PROPORTIONNALITÉ DANS L’ORDRE JURIDIQUE CANADIEN ... 128

(7)

Liste des principales abréviations

A.S.F.C. : Agence des services frontaliers du Canada

Cass. crim. : Chambre criminelle de la Cour de cassation C.E. : Conseil d’État

C.E.D.H. : Cour européenne des droits de l’homme

C.E.S.E.D.A. : Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile C.I.S.R. : Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada

Charte canadienne : Charte canadienne des droits et libertés C.I.J. : Cour internationale de justice

C.J.C.E. : Cour de justice des Communautés européennes C.J.U.E. : Cour de justice de l'Union européenne

C.L.C.C. : Commission des libérations conditionnelles du Canada Cons. const. : Conseil constitutionnel

Convention européenne : Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales Cour suprême : Cour suprême du Canada

C.P.J.I. : Cour permanente de justice internationale

L.I.P.R. : Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

L.S.C.M.L.C. : Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

R.I.P.R. : Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés

R.S.C.M.L.C. : Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition S.C.C. : Service correctionnel du Canada

(8)

Remerciements

J’aimerais remercier le Consulat général de France à Québec, les Fonds de recherche du Québec, l’Université Laval et la fondation LOJIQ pour le soutien financier indispensable à la réalisation de ce travail de recherche.

(9)

Avant-propos

Ça ne tombe pas particulièrement sous le sens de s’intéresser à la réinsertion sociale des délinquants dans une conjoncture mondiale où la distanciation sociale est encensée. Ni d’envisager l’éloignement du territoire étatique d’étrangers alors que les frontières internationales sont complètement hermétiques. Pourtant, la pandémie de Covid-19 – une crise sanitaire mondiale nettement délétère – aura entraîné positivement un électrochoc dans le milieu juridique : on modernise l’administration de la justice, on suspend momentanément des pratiques jugées inefficaces et inefficientes depuis des lustres, comme les peines d’emprisonnement purgées de façon discontinue, et on désengorge les prisons, les établissements pénitentiaires et les centres de rétention des étrangers. On réalise donc concrètement que l’appareil étatique a la capacité de réformer des vestiges du passé à une vitesse ahurissante. Il reste maintenant à espérer que cette virtuosité sera durable et que les acteurs au pouvoir continueront à rendre le droit de plus en plus efficient et efficace. De surcroît, cette soudaine et difficile phase de l’évolution de nos sociétés aura également provoqué d’importants débats politiques et juridiques sur la nécessité de certaines mesures étatiques qui portent préjudice à certains de nos droits les plus fondamentaux. Ces confrontations idéologiques, sous-tendues par la proportionnalité et l’efficacité, intéressent en grande partie le cadre théorique de ce travail de recherche. Dans ces circonstances, ce dernier nous apparaît, malgré tout, pertinent.

(10)

While many look to the criminal law to protect us from the enemy within. I urge us to attend to the law’s role in

producing the alien within. (Audrey Macklin, 2001)1

Introduction

L’emploi de la privation de liberté pour sanctionner la commission d’une infraction pénale est une méthode humainement et socialement attentatoire pour en arriver à sa finalité prééminente, soit, en France et au Canada, d’empêcher le coupable de récidiver et de détourner les autres membres de la société de la voie de la délinquance afin de prévenir la commission future d’autres infractions. Dès lors, le fardeau de performance dans la réalité sociologique des sanctions pénales de cette nature est généralement rarement satisfait par l’État, tant français que canadien. C’est donc dire que si l’exécution de la peine privative de liberté est inefficace en ce que la qualité de la réalisation pratique de ses ambitions est jugée insatisfaisante, on remettra fondamentalement en question sa raison d’être et sa légitimité de porter drastiquement atteinte aux droits d’un délinquant. C’est d’ailleurs généralement la conclusion à laquelle arrivent tant les partisans du « populisme pénal » que de l’« angélisme pénal » lorsqu’ils apprécient en vase clos la peine privative de liberté, et ce, depuis des lustres : elle ne permet pas, en pratique et pour diverses raisons concordantes et discordantes, de prévenir efficacement et durablement la récidive d’un délinquant particulier et de détourner les autres membres de la société de la voie de la délinquance2.

Dans ce contexte, on peut conclure d’une ingénue perspective que l’éloignement du territoire étatique des délinquants étrangers – c’est-à-dire la contrainte à quitter le territoire combinée à l’interdiction, temporaire ou définitive, d’y revenir3 – à la suite de l’exécution de leur peine privative de liberté permet d’accentuer l’efficacité

de cette dernière : on assure une défense de la société durable par (1) la neutralisation de la dangerosité du délinquant étranger au moyen de son isolement carcéral et de son éloignement subséquent du territoire étatique, ainsi que par (2) la dénonciation et la dissuasion des comportements que la société désapprouve par l’entremise de l’atteinte afflictive et infamante cumulative à son droit à la liberté et à son droit, temporaire ou permanent, de séjourner sur un territoire étatique. La conclusion de cette efficacité renforcée entre les fonctions de la peine privative de liberté et l’éloignement subséquent des délinquants étrangers ne tient toutefois pas compte d’une évidence politique et juridique de premier plan : la mission contemporaine maîtresse de l’exécution d’une peine

1 Audrey MACKLIN, « Borderline Security », dans Ronald DANIELS, Patrick MACKLEM et Kent ROACH (dir.), The Security of Freedom: Essays

on Canada’s Anti-Terrorism Bill, Toronto, University of Toronto Press, 2001, 383, p. 399.

2 Au sujet de cette distinction entre l’« angélisme » et le « populisme » pénal, voir notamment : Alain LAURENT,En finir avec l’angélisme

pénale, Paris, Belles Lettres, 2013. Dans l’ensemble, voir : Pierre LALANDE, « Punir ou réhabiliter les contrevenant ? Du « Nothing Works »

au « What Works » (Montée, déclin et retour de l’idéal de réhabilitation) », dans Québec, MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, La sévérité

pénale à l’heure du populisme, Québec, Ministère de la Sécurité publique, 2006, 30.

3 Bien que l’utilisation du terme « expulsion », qui se définit essentiellement par l’action de chasser une personne du lieu où elle était

établie, nous semblerait plus adéquate, la réalité selon laquelle ce terme renvoie strictement à des actions étatiques précises dans les ordres juridiques français et canadien, nous pousse à utiliser généralement le terme « éloignement » dans ce travail de recherche afin d’en faciliter la lecture. Or, surtout en droit international public, le terme « expulsion » peut être alternativement utilisé pour envisager l’« éloignement » au sens selon lequel nous l’entendons.

(11)

privative de liberté est, tant en France qu’au Canada, de réinsérer socialement le délinquant. Cette fonction particulière de la peine privative de liberté se concrétise essentiellement par des mesures d’aménagement de son exécution et par des programmes axés sur le traitement, l’aide, les soins, le travail et l’éducation favorisant un retour anticipé, progressif et conditionné à la liberté dans la société. Depuis les années 1970, cette fonction est devenue l’une des principales priorités des politiques pénales française et canadienne, et ce, vraisemblablement face au constat que les autres principales affectations des peines de cette nature, soit de dénoncer, de neutraliser et de dissuader, ne permettent pas, à elles seules, de prévenir à la fois humainement, efficacement et durablement la récidive d’un délinquant particulier et de détourner les autres membres de la société de la voie de la délinquance4. Par conséquent, nous nous inscrivons plutôt dans un contexte d’opposition

où les moyens pour en arriver à la finalité commune sont contradictoires : réinsérer et extraire de la société les délinquants pour prévenir la commission d’infractions afin de protéger la société. Dans ces circonstances, l’éloignement du territoire étatique des délinquants étrangers à la suite de l’exécution de la peine privative de liberté qu’ils purgent ne permet pas concrètement d’accentuer l’efficacité de cette dernière, mais plutôt, au contraire, d’annihiler la fonction qui assure aujourd’hui le mieux, selon les discours dominants, son efficacité et, corollairement, sa légitimité.

Dans cet ordre d’idée, l’efficacité, appréciée isolément, de l’exécution d’une peine privative de liberté n’est donc pas l’unique facteur permettant d’assurer sa légitimité. L’efficacité globale de cette mesure combinée à l’éloignement du territoire étatique d’un délinquant étranger, lorsqu’ils se succèdent, doit également être évaluée. Ainsi, quand bien même l’on réussirait, par exemple, momentanément à démontrer empiriquement que la fonction de réinsertion sociale de l’exécution de la peine privative de liberté est actuellement véritablement un moyen efficace et durable d’arriver à sa fin, toujours en est-il que, lorsqu’elle est combinée à un éloignement du territoire étatique, celle-ci devient dans les faits complètement futile : le délinquant ne réintégrera jamais la société dans laquelle la peine privative de liberté doit soutenir la réinsertion5. Dans ces circonstances, on

déracine l’unique fonction positive des sanctions pénales de cette nature, qui devient uniquement axée négativement sur la dénonciation, la dissuasion et la neutralisation. Cette réalité entraîne ainsi une question fondamentale : l’inutilité d’exécuter une peine privative de liberté visant principalement à réinsérer socialement un délinquant étranger alors qu’il sera subséquemment extrait – parfois quasi-automatiquement – de la société par l’entremise d’un éloignement du territoire étatique la rend-elle inefficace et, corollairement, illégitime ? La réponse aisée à ce questionnement est de statuer qu’il s’agit d’une conjoncture partiellement inefficace et donc

4Voir : infra, note 150.

5 Dans ce projet de recherche, nous tenons pour acquise l’adéquation entre le discours de principe, autant de nature politique que

juridique, selon lequel la réinsertion sociale est la fonction prioritaire de l’exécution de la peine privative de liberté et la réalité pratique. Nous concevons toutefois que cette fonction est aujourd’hui limitée, sans être annihilée, par des impératifs répressifs et sécuritaires liés à la dissuasion, la dénonciation et la neutralisation. Cette réalité nous pousse à poser deux questions fondamentales, auxquelles nous ne répondrons toutefois pas directement dans ce projet de recherche : est-ce que les décideurs présument que la fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté ne fonctionne pas ? Est-ce que les décideurs présument que certains délinquants étrangers ne sont pas membres de la société et que leur réinsertion sociale est conséquemment impossible ?

(12)

uniquement d’un agencement partiellement illégitime. La réponse plus complexe est d’expliquer comment réduire cette partielle inefficacité et donc cette partielle illégitimité.

Selon nous, la conciliation juridique globale entre les fonctions antinomiques des peines privatives de liberté et des éloignements subséquents du territoire étatique des délinquants étrangers joue un rôle important dans la poursuite de cette efficacité d’ensemble. Cette conciliation peut être tout d’abord directe. Un ordre juridique qui constitue un ensemble logique, cohérent et structuré de normes qui concordent les unes avec les autres permettra de mieux concilier des fonctions opposées, surtout dans le contexte particulier de l’articulation de plus en plus répandue entre le droit pénal classique et les mesures de sécurisation. Par exemple, en dehors du cadre de notre comparaison, l’article 89 du Código Penal espagnol prévoit que les peines privatives de liberté de plus d’un an prononcées à l’encontre d’un délinquant étranger sont, sauf exception, remplacées par leur expulsion du territoire espagnol6. Une autre illustration évidente d’une conciliation intentionnelle et directe entre ces

mesures aux fonctions antinomiques se trouve au paragraphe 3 (1) du Protocole additionnel à la Convention

sur le transfèrement des personnes condamnées, à laquelle la France est partie, qui prévoit que : Sur demande de l'État de condamnation, l'État d'exécution peut, sous réserve de l'application des dispositions de cet article, donner son accord au transfèrement d'une personne condamnée sans le consentement de cette dernière lorsque la condamnation prononcée à l'encontre de celle-ci, ou une décision administrative prise à la suite de cette condamnation, comportent une mesure d'expulsion ou de reconduite à la frontière ou toute autre mesure en vertu de laquelle cette personne, une fois mise en liberté, ne sera plus admise à séjourner sur le territoire de l'État de condamnation.7

Cette conciliation peut également être indirecte en découlant de normes qui ne visent pas spécifiquement à rendre le droit plus efficace dans ce contexte précis, mais qui ont tout de même cet effet en limitant drastiquement les cas dans lesquels l’éloignement du territoire étatique d’un délinquant étranger peut être prononcé et exécuté, de manière à contrecarrer la fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté. Ces normes peuvent être notamment d’origine constitutionnelle, conventionnelle, coutumière, légale ou jurisprudentielle. Au regard de notre objet d’étude, nous pensons principalement aux principes de la détermination de la peine, reliés à la proportionnalité et à l’individualisation, et à certains statuts, droits et considérations qui limitent l’arbitraire de la prérogative des États d’éloigner des étrangers de leur territoire étatique pour des raisons de sûreté et d’ordre public. Ces derniers, reconnus particulièrement à certaines

6 Código Penal, art. 89 (Espagne).

7 Conseil de l’Europe, Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, 18 décembre 1997, STE

nº 167 (entrée en vigueur le 1 juin 2000), art. 3. À ce sujet, en France, voir également : Conseil de l’Europe, Convention sur le

transfèrement des personnes condamnées, 21 mars 1983, STE nº 112 (entrée en vigueur le 1 juillet 1985); Conseil de l’Europe, Protocole

portant amendement au Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, 22 novembre 2017, STE nº 222 (non en vigueur), art. 2 : cet article modifie la disposition citée dans le corps du texte, mais n’est toujours pas en vigueur; Union européenne, Décision-cadre du Conseil concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière

pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne, 27 novembre 2008, 2008/909/JAI. Pour un aperçu, voir : Martine HERZOG-EVANS, « Transfèrement international des condamnés », dans Répertoire de

(13)

catégories d’étrangers ou issus généralement de la nature humaine, sont relativement nombreux et ne cessent de se juxtaposer et de se superposer, ce qui entraîne une indéniable complexité quant à leur l’agencement8. Or,

on peut dire que l’effet légitimiste de certains de ces statuts, de ces droits et de ces considérations, qui ont parfois une valeur supra-législative, est de deux ordres : il l’est directement par le respect des droits de la personne et il l’est indirectement, par l’entremise de son effet conciliateur, au sens de l’efficacité légitimiste du droit dans le contexte qui nous intéresse. Par exemple, l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales [ci-après « Convention européenne »], intégré directement dans l’ordre juridique français par le truchement du bloc de conventionalité, prévoit que :

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale […] [et qu’il] ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.9

Cette disposition pose conséquemment un imposant rempart aux pouvoirs étatiques de la France en matière d’éloignement d’un délinquant étranger, surtout si celui-ci a passé la majorité ou l’intégralité de sa vie en France, qu’il y est arrivé très jeune, qu’il y a fait sa scolarité, que la très grande majorité de ses attaches familiales, sociales et culturelles s’y trouvent et qu’il n’a plus de lien avec son pays de nationalité10. Dans de telles

circonstances, des raisons très impérieuses devront fonder son éloignement et dès lors, indirectement, les probabilités sont plutôt minces qu’une telle mesure d’éloignement du territoire étatique soit adoptée et exécutée à la suite de l’exécution d’une peine privative de liberté, entravant corollairement la fonction de réinsertion sociale de cette dernière.

Ainsi, une conciliation juridique adéquate – directe et indirecte – assure, bien qu’en partie, l’efficacité des peines privatives de liberté face à cette problématique contemporaine selon laquelle sa fonction maîtresse peut être neutralisée par l’effet antinomique de l’éloignement subséquent du territoire étatique des délinquants étrangers. La pertinence sociale de ce travail de recherche s’insère donc dans cette continuelle évaluation des normes qui sous-tendent la peine privative de liberté. Nous envisagerons alors son efficacité globale – et non isolée, qui est déjà amplement discutée – dans ce contexte particulier et contemporain. Plus précisément, nous

8 Voir notamment : Cesla AMARELLE, « Les instruments du renvoi face au droits international et européen », dans Cesla AMARELLE et Minh

Son NGUYEN (dir.), Les renvois et leur exécution : Perspectives international, européenne et suisse, Berne, Stämpfli Verlag, 2011, 25, p.

40; Julia WOJNOWSKA-RADZINSKA, The Right of an Alien to be Protected against Arbitrary Expulsion in International Law, Boston, Brill

Nijhoff, 2015, dans son ensemble. Nous pensons notamment au droit à l’égalité (et corollairement à la protection contre la discrimination), au droit à la vie, au droit à la liberté, au droit à la sécurité de sa personne, au droit au respect à la vie familiale et privée, aux droits de séjour des résidents permanents ou des citoyens de l’Union européenne, à la protection des réfugiés, à la protection de l’intérêt des enfants, à la protection des diplomates et à la protection contre les disparitions forcées, pour ne nommer que ceux-là.

9 Conseil de l’Europe, Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, STE nº 5

(entrée en vigueur le 3 septembre 1953), art. 8 [ci-après « Convention européenne »].

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analyserons et comparerons comment les ordres juridiques français et canadien concilient directement la fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté avec l’éloignement subséquent du territoire étatique des délinquants étrangers, et ce, particulièrement eu égard à l’accès véritable qu’on ces derniers aux mesures d’aménagement de l’exécution de la peine privative de liberté favorisant un retour anticipé, progressif et conditionné à la liberté dans la société, qui concrétisent en grande partie cette fonction particulière de la peine privative de liberté. Nous évaluerons ainsi seulement qu’un volet précis et limité de l’efficacité de la peine privative de liberté dans cette conjoncture particulière.

1. Question de recherche et hypothèse de travail

La question spécifique à laquelle nous voulons répondre dans ce travail de recherche est donc :

Quel ordre juridique, entre celui de la France et du Canada, assure le plus efficacement la conciliation directe entre la fonction de réinsertion sociale de l’exécution de la peine privative de liberté et l’éloignement subséquent du territoire étatique des délinquants étrangers, et ce, particulièrement par l’entremise d’un accès véritable aux mesures d’aménagement de l’exécution de la peine privative de liberté favorisant un retour anticipé, progressif et conditionné à la liberté dans la société ?

Nous estimons, à première vue, que l’ordre juridique français constitue un ensemble plus logique, cohérent et structuré de normes qui concordent les unes avec les autres, autant en théorie qu’en pratique, et qui permettent de mieux concilier les fonctions opposées qui sous-tendent les exécutions d’une peine privative de liberté et d’une mesure d’éloignement du territoire étatique d’un délinquant étranger. Les différentes branches de droit français impliquées semblent plus perméables à des tempéraments transversaux aux fonctions opposées des mécanismes qu’elles établissent. Le fait que plus de 20% de la population carcérale française soit constituée d’étrangers, comparativement à environ 6% de celle des pénitenciers canadiens, est probablement lié à cette conjecture11.

2. Mode de démonstration : l’étude étendue des normes

Pour répondre à cette question spécifique et tenter de valider cette hypothèse, nous analyserons les règles juridiques actuellement applicables et pertinentes, leur interprétation et leur application en France et au Canada. En ce qui a trait au corpus légal, il s’agira essentiellement en France du Code pénal, du Code de procédure

pénale, du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des lois connexes. Les blocs de constitutionnalité et de conventionalité seront également indirectement étudiés. Pour ce qui est du Canada, il

11 Voir notamment : Jean-Philippe NADEAU,«Le dilemme que posent les criminels étrangers détenus au Canada », 19 août 2018, en

ligne : Radio-Canada info <ici.radio-canada.ca/nouvelle/1118732/expulsion-deportation-ressortissants-etrangers-peine-mort-immigration-asile> (page consultée le 5 août 2020) : les statistiques officielles canadiennes n’ont pu être obtenues en temps opportun; STATISTA, « Nombre d'individus écroués dans les prisons en France en 2019, par nationalité », 2020, en ligne : Statista

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s’agira essentiellement du Code criminel12, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés13, de la Loi

sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition14, de la Charte canadienne des droits et libertés

[ci-après « Charte canadienne »]15 et des lois connexes. Sans nous y limiter, nous insisterons sur le corpus

jurisprudentiel des plus hautes juridictions de ces ordres juridiques, soit, en France, la Cour de cassation, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel – mais aussi indirectement la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme – et, au Canada, la Cour suprême du Canada. Lorsque ce sera pertinent, sera également analysé le droit international à portée générale et régionale qui, régulièrement, sous-tend, façonne et altère ces ordres juridiques nationaux – et ce, de manière plus ou moins importante selon l’État. Dans cet ordre d’idée, sans en faire la pierre d’assise de notre analyse, la réalité française nous oblige à nous pencher particulièrement sur le droit pertinent de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Nous ne nous hasarderons toutefois pas dans une analyse exhaustive de ces ordres juridiques internationaux en nous limitant à l’analyse des principaux engagements de la France et aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme qui les clarifient et les développent.

En outre, nous concevons le droit comme étant un phénomène forgé par des considérations morales, sociales, politiques et économiques. Ainsi, sans nous prétendre erronément dépositaires d’une connaissance d’office trop étendue, nous accorderons une certaine importance à l’interdisciplinarité16. Bien que l’analyse stricto sensu des

normes juridiques prédominera dans ce travail de recherche, nous ne nous limiterons pas à une étude strictement normative et pousserons la réflexion dans les sphères politique, sociologique, historique et criminologique. Le droit exprime des idéologies et des priorités sociales qui peuvent différer d’un système juridique à l’autre et d’une époque à l’autre. Ainsi, des similitudes et des distinctions dans les mécanismes juridiques comparés peuvent révéler des préceptes fondamentaux différents ou similaires à ces égards17. En

d’autres mots, le droit est, selon nous, « un ensemble complexe, disparate, entremêlé, rapiécé, de commandements conçus aux époques les plus diverses, sous des inspirations les plus variées et le cas échéant parfaitement contradictoire »18. Par conséquent, afin de dûment analyser les règles juridiques pertinentes, leur

interprétation et leur application, il nous semble nécessaire d’expliquer les événements, les enjeux et les idéologies qui les sous-tendent. Le droit pénal et le droit des étrangers, par leur caractère hautement politique,

12 Code criminel, LRC 1985, c. C-46.

13 Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 [ci-après « L.I.P.R. »].

14 Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c. 20 [ci-après « L.S.C.M.L.C. »].

15 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le

Canada, 1982, c. 1 (R.-U.) [ci-après « Charte canadienne »].

16 Voir notamment : Georges AZZARIA, « Les méthodologies du droit », dans Stéphane BERNATCHEZ et Louise LALONDE (dir.), Approches

et fondements du droit, t. 1 « Épistémologie et méthodologie juridiques », Montréal, Yvon Blais, 2019, 185, p. 209; Essin ÖRÜCÜ,

« Developing Comparative Law », dans Essin ÖRÜCÜ et David NELKEN (dir.), Comparative Law : A Handbook, Londres, Hart, 2007, 43;

Pierre LEGRAND, « How to Compare Now », (1996) 16:1 LS 232.

17 Voir notamment : Pier Giuseppe MONATERI, « Methods in Comparative Law: An Intellectual Overview », dans Pier Giuseppe MONATERI

(dir.), Methods in Comparative Law, Cheltenham (R.-U.), Edward Elgar, 2012, 7; Horatia Muir WATT, « La fonction subversive du droit

comparé », (2000) 3:1 RIDC 503, p. 512.

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sont tous deux des domaines particulièrement réceptifs à l’actualité nationale et internationale et, dans cette perspective, ils sont propices aux répliques exécutives, législatives et jurisprudentielles émotives, idéologiques et parfois même irrationnelles19. Il convient alors d’appréhender ces évènements, ces enjeux et ces idéologies

puisqu’en comprenant les phénomènes en étant responsables, on saisit mieux les réels sens, valeurs et portées des règles juridiques, de leur interprétation et de leur application.

Selon ces tenants et aboutissants, dans la première partie de ce travail de recherche (Partie 1), nous exposerons tout d’abord globalement les longs développements, les réalités autonomes et les transpositions contemporaines de (1) la fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté et de (2) l’éloignement du territoire étatique des délinquants étrangers jusqu’à (3) l’avènement de cette problématique contemporaine. Cette dernière découle principalement, en France et au Canada, de l'accession de la fonction de réinsertion sociale de la peine privative de liberté au sommet des priorités politiques et juridiques et de son effectivité successive, et non substitutive, à un éloignement du territoire étatique. Dans la seconde partie (Partie 2), nous aborderons précisément l’analyse et la comparaison de la conciliation contemporaine et directe entre ces deux mesures étatiques aux effets antinomiques dans les ordres juridiques (1) français et (2) canadien, eu égard particulièrement à l’accès véritable, conforme à leur raison d’être, qu’ont les délinquants étrangers visés par une mesure d’éloignement du territoire étatique aux mesures d’aménagement de l’exécution de la peine privative de liberté favorisant un retour anticipé, progressif et conditionné à la liberté dans la société.

3. Cadre théorique : l’efficacité comme vecteur de légitimité

Comme il en ressort des paragraphes introductifs précédents, notre cadre théorique est essentiellement sous-tendu par le précepte que l’efficacité du droit est un des vecteurs prédominants de sa légitimité. Sommairement, il est maintenant reconnu qu’une combinaison de divers critères permet de déterminer le degré de validité d’une norme formelle de laquelle peuvent découler des actions étatiques, comme le sont par exemple les peines privatives de liberté et les éloignements du territoire étatique de délinquants étrangers20. Nous pensons alors

d’emblée à sa légalité, à son effectivité et à sa légitimité. Dans le cadre de ce travail de recherche, nous envisagerons exclusivement cette dernière : la légitimité.

Dans le contexte politique et juridique contemporain, et ce tant en France qu’au Canada, le droit est de plus en plus communément conçu sous un jour instrumental, en faisant office de moyen d’atteindre des fins voulues par les différents créateurs de ces normes21. Dès lors, la performance d’une norme dans la réalité sociologique

19 Fabienne JAULT-SESEKE, Sabine CORNELOUP et Ségolène BARBOU DES PLACES, Droit de la nationalité et des étrangers, Paris, Presses

universitaires de France, 2015, p. 1 : « [e]n somme, l’analyse de la législation sur [le phénomène pénal,] la nationalité et les étrangers permet de saisir l’état social et politique d’une collectivité » (p. 1). Voir également : Danièle LOCHAK, « L’entrée et le séjour en France :

une législation sous influence », (1989) AJDA 587.

20 Christophe MICKE, « Effet, effectivité, efficience et efficacité du droit : le pôle réaliste de la validité », (1998) 40:1 RIEJ 115, p. 115. 21 Id., p. 149. Par exemple, le prononcé et l’exécution des peines privatives de liberté sont des moyens, par leurs diverses fonctions,

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devient un « puissant instrument de légitimation »22. Celle-ci s’évalue principalement par l’entremise de son

efficacité et de son efficience23. Ces deux paramètres sont donc des vecteurs de la légitimité du droit qui

assurent conséquemment sa validité.

Tout d’abord, comme source de légitimité du droit, l’efficience se préoccupe essentiellement de la rentabilité de l’action étatique menée24. Par son entremise, on évalue, dans le contexte d’un système aux ressources limitées,

les coûts des actions étatiques par rapport aux effets que l’on souhaite obtenir, et ce, afin d’éviter des mesures coûteuses et futiles25. L’efficience intéresse parfois la légitimité du droit – notamment constitutionnelle – surtout

dans le contexte carcéral où les ressources sont très saturées selon les incessantes surpopulations26. Pour

illustrer, la Cour suprême des États-Unis a conclu en 2011 que la surutilisation des ressources carcérales limitées en Californie représentait une peine cruelle et inusitée en violation du 8e amendement de la Constitution

américaine27. Conséquemment, il devient raisonnable de conclure que l’efficience du droit n’assure pas, à elle

seule, sa légitimité. À l’opposé, au Canada, la Cour suprême a conclu récemment, dans l’immanquable arrêt

R c. Jordan, que l’inefficience et le manque de ressources du système de justice criminelle ne pouvaient justifier de porter atteinte au droit constitutionnel d’être jugé dans un délai raisonnable selon l’alinéa 11 (b) de la Charte

canadienne28. Inversement, et plus naturellement cette fois, il devient donc raisonnable d’inférer que

l’inefficience du droit est souvent synonyme d’illégitimité. Cependant, cette notion d’efficience, qui implique une répartition des ressources limitées de l’État, est essentiellement de nature politique29. Dans ce travail de

recherche, nous insisterons donc principalement sur l’efficacité du droit, et non sur son efficience. Il s’agira ici de notre cadre théorique, qui est foncièrement juridique. Or, l’efficacité et l’efficience étant des notions interdépendantes, l’inefficacité laisse souvent présager l’inefficience30.

22 Ibid. 23 Ibid.

24 Id., p. 136 et 137. 25 Ibid.

26 À ce sujet, voir notamment : Conseil de l’Europe, COMITÉ DES MINISTRES, Recommandation du Comité des Ministres aux États

concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcéral, 30 septembre 1999, Rec(99)22.

27 Brown v. Plata (2011), 563 US 493 (É.-U.).

28 R. c. Jordan, 2016 CSC 27, dans l’ensemble. Pour le caractère essentiel, dans ce contexte d’efficience, de la négociation des

plaidoyers de culpabilité dans l’ordre juridique canadien, voir en outre : R. c. AnthonyCook, 2016 CSC 43. De plus, les tribunaux judiciaires canadiens portent une attention particulière à l’utilisation efficiente des ressources judiciaires lorsqu’ils s’interrogent sur la pertinence de se pencher sur une question théorique ou de décerner un bref de prérogative, par exemple, voir : Borowski c. Canada

(Procureur général), [1989] 1 RCS 342. Dans l’ordre juridique français, c’est notamment pourquoi on permet la qualification correctionnelle de faits criminels, une pratique qui déroge (légalement depuis 2004) à la classification tripartite des infractions, mais qui est essentielle à l’efficience du système judiciaire français, voir notamment : Sabrina LAVRIC, « Enjeux et perspectives de la

correctionnalisation judiciaire », (2018) AJ pénal 188.

29 C’est par exemple pour cette raison que le législateur français s’attache mordicus au lien hiérarchique entre le Garde des Sceaux et

les magistrats du parquet, voir principalement : Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de

la magistrature, art. 5 (France). En bref, comme il est impossible pour les magistrats du parquet de tout couvrir, ils doivent prioriser certaines actions publiques. Cette priorité est un choix politique axé sur les valeurs qui doit dès lors être laissé au Gouvernement selon l’article 20 de la Constitution du 4 octobre 1958 (France). Voir notamment : Maud LÉNA, « Circulaire de politique pénale », (2018) AJ

pénal 216.

(18)

L’efficacité, quant à elle, renvoie à l’adéquation entre les fonctions d’une norme et les finalités voulues par celui qui l’instaure31. Une norme efficace et l’action étatique qui peut en découler constituent ainsi un bon moyen de

parvenir aux fins voulues par le législateur32. On apprécie alors la qualité de la réalisation pratique de ses buts.

Il est par exemple reconnu que l’inefficacité des peines privatives de liberté est l’un des meilleurs arguments en leur défaveur : si elles étaient efficaces pour maintenir une société juste, paisible et sûre, il serait axiologiquement légitime pour l’État de porter atteinte au droit à la liberté d’un délinquant33.

Ce raisonnement sous-tend notamment, à un certain niveau, la portée du contrôle de la conformité des normes de natures législatives et de l’action gouvernementale avec les droits à valeur supra-législative en France et au Canada. Comme l’expliquait la Cour suprême du Canada, « [l]a plupart des constitutions modernes reconnaissent que les droits ne sont pas absolus et peuvent être restreints si cela est nécessaire pour atteindre un objectif important et si la restriction apportée est proportionnée ou bien adaptée »34. Cette notion de

proportionnalité, liée au principe de la nécessité d’une atteinte préjudiciable à un droit protégé, assure l’exercice légitime des prérogatives législatives et gouvernementales en établissant un équilibre réaliste entre les besoins de la société, représentée par l’État, et les droits individuels. Le droit pénal et les mesures de sécurisation sont les archétypes de ce syllogisme35.

Pour prendre l’exemple du Canada, l’article premier de la Charte canadienne exige de la sorte que les normes formelles qui restreignent un droit constitutionnel soient « raisonnables [et que leur] justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique »36. La Cour suprême a succinctement expliqué

que pour satisfaire ce critère, « premièrement, la règle de droit doit répondre à un objectif [réel et urgent], et deuxièmement, le moyen qu’elle prend pour atteindre cet objectif doit être proportionné. La proportionnalité suppose à son tour l’existence d’un lien rationnel entre le moyen employé et l’objectif visé, d’une atteinte

31 Id., p. 132.

32 Id., p. 138. Et les autres créateurs de normes. 33 Voir notamment : Id., p. 149.

34 Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, paragr. 36. Voir également : Aharon BARAK, « Proportional Effect:

The Israeli Experience », (2007) 57:1 UTLJ 369.

35 La formulation moderne de cette notion découle principalement de la jurisprudence de la Cour suprême de l’Allemagne et de celle de

la Cour européenne des droits de l’homme. Elle a fait écho autant au Canada qu’en France, voir : Canada (Procureur général) c.

JTI-Macdonald Corp., supra, note 34, paragr. 36; A. BARAK, supra, note 34, p. 370 et 371; Antoine GUILMAIN, « Sur les traces du principe de

proportionnalité : une esquisse généalogique », (2015) 61:1 RD McGill 1 : La proportionnalité s’est étendue au cours du 20e siècle à de

nombreuses branches de droit public et également en droit international public; Valérie GOESEL-LE BIHAN, « Le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel », dans France, CONSEIL CONSTITUTIONNEL (dir.), Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel,

nº 22 « Dossier : Le réalisme en droit constitutionnel », Paris, Lextenso, 2007.

36 Charte canadienne, supra, note 15, art. 1. Lorsque l’atteinte d’une norme excède cette limite, celle-ci contrevient à l’article 52 de la Loi

constitutionnelle de 1982, supra, note 15, qui établit la primauté de la Constitution au Canada. Le paragraphe 24 (1) de la Charte

canadienne, supra, note 15, confère quant à lui un recours personnel en cas d’atteinte découlant d’un acte gouvernemental, et non d’une règle de droit, voir notamment : Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), 2003 CSC 62 : « [L]es dispositions réparatrices doivent être interprétées de manière à assurer « une réparation complète, efficace et utile à l’égard des violations de la

Charte [canadienne] » (paragr. 25). Selon la Cour suprême, la Constitution du Canada « est l’expression de la volonté du peuple d’être gouverné conformément à certains principes considérés comme fondamentaux et à certaines prescriptions qui restreignent les pouvoirs du corps législatif et du gouvernement » : Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 RCS 721, p. 745.

(19)

minimale et d’une proportionnalité des effets »37. Les premiers éléments du deuxième volet de ce cadre

d’analyse, relatifs (1) au « lien rationnel » et (2) à l’« atteinte minimale », constituent dès lors les limites constitutionnelles à l’inefficacité d’une norme formelle au Canada38. Il ne s’agit toutefois pas d’un très lourd

fardeau.

En effet, d’une part, pour démontrer que cette règle de droit possède un « lien rationnel » avec l’objectif du législateur, le ministère public doit simplement établir « un lien causal, fondé sur la raison ou la logique [entre le moyen utilisé et l’objectif visé] »39. La Cour suprême n’exige conséquemment pas – notamment lorsqu’on vise

la modification d’un comportement humain40 – quelconque preuve de nature empirique, et ce, afin d’accorder

une grande déférence au législateur41. En bref, le ministère public doit donc prouver « qu’il est raisonnable de

supposer que la restriction [au droit] peut contribuer à la réalisation de l’objectif »42. Cette exigence « vise à

empêcher l’imposition arbitraire de restrictions aux droits »43 et est, de surcroît, un principe de justice

fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte canadienne qui délimite spécifiquement la portée des droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne44.

D’autre part, l’élément relatif à l’« atteinte minimale » implique d’analyser s’il n’existe pas de moyens aussi – ou plus – efficaces d’atteindre l’objectif du législateur en étant moins préjudiciables. Il s’agit ainsi d’une sorte d’examen comparatif de l’efficacité de la norme avec d’autres moyens hypothétiques d’atteindre l’objectif du législateur. L’exigence imposée consiste à démontrer que la norme contestée se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnablement bien adaptées à l’objectif urgent et réel invoqué pour la justifier, et ce, de « façon

37 Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., supra, note 34, paragr. 36. Voir principalement : R. c. Oakes, [1986] 1 RCS 103,

paragr. 70; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295.

38 La pondération subséquente entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciable réfère à une évaluation globale qui dépasse

cependant la simple efficacité, voir notamment : Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, paragr. 100.

39 RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 RCS 199, paragr. 153. Voir également : R. c. K.R.J., 2016 CSC 31,

paragr. 68; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, paragr. 99-101; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 38, paragr. 100.

40 Comme pour l’effet dissuasif d’une sanction pénale.

41 Voir principalement : Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, paragr. 70; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2,

paragr. 85; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), supra, note 39, paragr. 154; R. c. Butler, [1992] 1 RCS 452 : le lien rationnel est même présumé.

42 Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 38, paragr. 100. Voir également : Saskatchewan (Human Rights

Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, paragr. 98; Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), supra, note 41, paragr. 70.

43 Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 38, paragr. 48.

44 Charte canadienne, supra, note 15, art. 7. Voir notamment : Ewert c. Canada, 2018 CSC 30; Canada (Procureur général) c. Bedford,

2013 CSC 72; R. c. SafarzadehMarkhali, 2016 CSC 14. En somme, les principes de justice fondamentale interdisant l’arbitraire et celui interdisant la portée excessive renvoient également au lien rationnel entre l’atteinte au droit et l’objectif du ministère pu blic. Il pourrait être intéressant de se pencher sur l’efficacité qu’a ce léger fardeau, en soi, pour atteindre cet important objectif constitutionnel. La raison et la logique populiste, souvent à l’opposé de l’empirisme et de l’efficacité, résistent à ce contrôle constitutionnel même si on peut parfois douter de leur caractère non arbitraire. Par exemple, le lien rationnel entre une peine minimale et les objectifs de dénonciation et de dissuasion est ténu, voir : R. c. Nur, 2015 CSC 15, paragr. 112. Ce questionnement fondamental déborde toutefois de notre travail de recherche. En outre, il est bien de mentionner que le rôle même de la Constitution canadienne est d’être un rempart contre l’arbitraire de l’État : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217, paragr. 70. Pour les liens entre les articles 1, 7 et 12 de la Charte

canadienne, supra, note 15, voir notamment : R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, paragr. 38 et s.; R. c. SafarzadehMarkhali, supra, note 44, paragr. 18 et s. : « Il est difficile, mais non impossible, de justifier une atteinte à l’art. 7 par application de l’article premier. Les tribunaux ne sont pas enclins à valider une disposition qui porte atteinte au droit à la liberté d’une personne au mépris d’un principe de justice fondamentale » (paragr. 57).

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à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire »45. Encore une fois, la Cour suprême est

donc loin d’exiger la perfection.

En somme, au Canada, l’inefficacité – évidente ou relative – d’une norme peut la rendre constitutionnellement inopérante46. Toutefois, comme l’explique la Cour suprême, les tribunaux font preuve de « prudence dans

l’acceptation d’arguments fondés sur la prétendue inefficacité d’une mesure législative, […] [puisqu’il] demeure important de faire preuve d’une certaine déférence à l’endroit du Parlement dans l’appréciation de l’utilité des mesures qu’il choisit pour remédier à ce qu’il considère comme des maux sociaux »47. Particulièrement dans le

contexte pénal :

Il n’appartient pas au tribunal de se prononcer sur la sagesse du législateur fédéral en ce qui concerne la gravité de diverses infractions et les différentes peines qui peuvent être infligées aux personnes reconnues coupables de les avoir commises. Le législateur jouit d’une large discrétion pour interdire certains comportements considérés comme criminels et pour déterminer quelle doit être la sanction appropriée.48

En d’autres mots :

Il existe souvent plusieurs solutions pour remédier raisonnablement à un problème ou réglementer un secteur d’activité. Les formules retenues sont généralement complexes et reflètent une multitude de considérations législatives et d’intérêts concurrentiels et contradictoires. […] C’est à la législature élue et à ceux qu’elle désigne pour appliquer ses politiques qu’il incombe au premier chef de faire les choix difficiles liés à la gouvernance de l’État.49

En France, le contrôle de la constitutionnalité, par voie d’action, des normes formelles par le Conseil constitutionnel et le contrôle de la conformité, par voie d’exception, de celles-ci par les juges judiciaires et administratifs répondent essentiellement à la même logique en s’inspirant des mêmes fondements : la restriction d’une norme à un droit de nature constitutionnelle ou conventionnelle doit être nécessaire et proportionnée50.

45 Voir notamment : R. c. K.R.J., supra, notre 39, paragr. 67; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, supra, note 42,

paragr. 98; Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., supra, note 34, paragr. 36; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 RCS 927; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 RCS 713.

46 Cette conclusion s’applique également, dans une moindre mesure, au partage des compétences constitutionnelles selon la Loi

constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict, c. 3, art. 92 (6) (R-U), reproduit dans LRC 1985, annexe II, nº5, voir notamment : R. c. Comeau, 2018 CSC 15, paragr. 113; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31.

47 R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, paragr. 177.

48 R. v. Guiller, [1985] OJ Nº 1717 (C. Dist. Ont.), confirmée par R. v. Guiller, [1987] OJ Nº 928 (C.A. Ont.), repris et traduit par la Cour

suprême notamment dans R. c. Lloyd, supra, note 44, paragr. 45.

49 Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 38, paragr. 35. « La latitude accordée au législateur est largement tributaire

du contexte. En effet, une loi pénale qui menace directement la liberté d’une personne sera évaluée différemment d’une mesure réglementaire complexe visant à remédier à un problème social » : R. c. StOnge Lamoureux, 2012 CSC 57, paragr. 39.

50 Voir notamment : Jean-Baptiste DUCLERCQ, « Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil

constitutionnel », dans France, CONSEIL CONSTITUTIONNEL (dir.), Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, nº 49 « Dossier : Le Conseil constitutionnel et l'entreprise », Paris, Lextenso, 2015, 121; Agnès ROBLOT-TROIZIER, « La QPC, le Conseil d'État et la Cour de

cassation », dans France, CONSEIL CONSTITUTIONNEL (dir.), Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, nº 40 « Dossier : Le Conseil

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Sera dès lors prohibée toute « restriction apportée à un droit ou à une liberté qui n’est pas strictement nécessaire par rapport aux buts légitimes poursuivis »51. Néanmoins, contrairement à la jurisprudence de la Cour suprême

du Canada – mais aussi à celle de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne – « [l]e contrôle de l'adéquation, c'est-à-dire de l'appropriation de la mesure prise à l'objectif poursuivi, ne s'accompagne […] pas de la recherche d'une éventuelle autre voie, moins dommageable pour le ou les droits en cause »52. Ce contrôle plus restreint de la nécessité, sans modalité comparative, s’explique

assurément par l’objection sociale et politique un peu plus marquée en France qu’ailleurs quant au détournement du pouvoir législatif. Le Conseil constitutionnel se substitue ainsi moins au législateur pour des choix de nature essentiellement politique, contrairement à d’autres décideurs juridictionnels qui se permettent un peu plus de liberté à cet égard, comme la Cour suprême du Canada.

En somme, l’efficacité des normes juridiques, liée à la nécessité des atteintes étatiques préjudiciables aux droits individuels, permet d’allouer une portion de son brevet de légitimité. Elle en est l’une des pierres d’assise. Tant en France qu’au Canada, ce principe est constitutionnalisé, et ce, bien qu’il le soit, comme nous l’avons démontré, à son strict très minimal. Pour citer la Cour suprême, « [l]es législatures sont assujetties à des exigences constitutionnelles pour que l’exercice de leur pouvoir de légiférer soit valide, mais à l’intérieur des limites que leur impose la constitution, elles peuvent faire ce que bon leur semble. Seuls les électeurs peuvent débattre de la sagesse et de la valeur des décisions législatives »53. Donc, toujours en est-il que d’un point de

vue social, moral et politique, ce minimum n’est parfois pas suffisant pour assurer réellement la légitimité du droit. C’est notamment pourquoi les législateurs persistent à rendre le droit qu’ils établissent de plus en plus efficace à coup de réformes de différentes envergures54. Par exemple, les récents Chantiers de la Justice en

France55 desquels a émergé la Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

visaient notamment à renforcer l’efficacité de la sanction pénale, mais également l’efficience de la justice dans son entièreté56. Dans ce travail de recherche, nous évaluerons ainsi cette efficacité du droit, soit sa véritable

capacité à atteindre les fins qui le sous-tendent.

51 V. GOESEL-LE BIHAN,supra, note 35. Voir notamment : Cons. const., 15 décembre 2005, nº 2005-528 DC (France); France,COUR DE

CASSATION, Étude annuelle 2018 : Le rôle normatif de la Cour de cassation, Paris, Direction de l’information légale et administrative, 2018, p. 303.

52 V. GOESEL-LE BIHAN,supra, note 35.

53 Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 RCS 199, paragr. 59.

54 La création récente du parquet européen vise également à lutter efficacement contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union

européenne, voir notamment : Peter CSONKA « Le parquet européen : le nouvel acteur de l'espace judiciaire européen », (2018) AJ pénal

283.

55 Voir notamment : France, MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Chantiers de la Justice : Les axes de la réformes, Paris, Ministère de la Justice,

2018; Mireille IMBERT-QUARETTA, « Un regard sur le chantier de la Justice : Sens et efficacité des peines », (2018) AJ pénal 79.

56 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, JO, 24 mars 2019, art. 71 et s. (France).

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4. Pertinence sociale et scientifique du travail de recherche

La pertinence sociale et scientifique de ce projet découle entre autres de la rareté des écrits qui s’intéressent, d’un point de vue juridique, aux chevauchements de plus en plus fréquents entre le droit des étrangers et le droit pénal, qui ont « désormais tendance à s’interpénétrer »57. En outre, tant en Europe qu’en Amérique du

Nord, le nombre de détenus étrangers dans les établissements carcéraux ne cesse d’augmenter58. La

contemporanéité de notre problématique particulière assure donc en partie la pertinence de notre travail de recherche59. En outre, le recours au droit comparé permet de tirer des conclusions qu’il serait impossible

d’émettre autrement et de proposer des solutions à des problèmes contemporains en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs. La France et le Canada ont des populations de ressortissants étrangers sur leur territoire étatique d’une ampleur similaire et des valeurs sociales-démocrates qui se rejoignent essentiellement. La transposition des solutions apportées à la problématique qui nous intéresse par les acteurs compétents est donc une entreprise plausible. Dans l’état du droit selon lequel la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, contrairement toutefois à celle du Conseil constitutionnel en France, invite les tribunaux à se pencher sur la comparaison de moyens alternatifs plus efficaces lorsqu’ils évaluent la validité constitutionnelle d’une norme attentatoire à un droit individuel, cette conclusion est d’autant plus justifiée60.

5. Méthodologie : le droit comparé

D’un point de vue méthodologique, nous concevons le droit comparé comme une science flexible et dynamique axée sur l’identification des similitudes et des différences entre des éléments précis de différents systèmes juridiques permettant de tirer des conclusions qu’il serait impossible d’émettre en analysant ces systèmes juridiques en vase clos61. Il s’agit ainsi d’un moyen d’expliquer et de comprendre plus profondément les

problématiques auxquelles fait face ou pourrait faire face un système juridique et de possiblement proposer des solutions insoupçonnées illuminées par cette mise en perspective62. En d’autres mots, « le droit comparé rend

plus attentif aux éléments qui influencent le droit à tous les niveaux; il oblige à nous confronter à nos structures

57 Danièle LOCHAK, « Pénalisation », (2016) AJ Pénal 10. Voir également : Juliet STUMPF, « The Crimmigration Crisis: Immigrants, Crime,

and Sovereign Power », (2006) 56:2 Am U L Rev 367.

58 Voir notamment : Mary BOSWORTH et Mhairi GUILD, « Governing Through Migration Control : Security and Citizenship in Britain »,

(2008) 48:6 Brit J Crim 703.

59 Même si l’on peut trouver des traces historiques de cette problématique contemporaine ici et là, voir notamment : Canada, COMMISSION

CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, Rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine - Réformer la

sentence: une approche canadienne, Ottawa, Sécurité publique Canada, 1987, p. 284 : « [L]a Commission est d'avis que les cas d'expulsion n'ont rien à voir normalement avec la mise en liberté conditionnelle ou les mesures de clémence. Dans le passé, on a utilisé l'artifice de la libération conditionnelle pour procéder à une expulsion. La Commission pense qu'il serait préférable que le pouvoir de décider de l'expulsion hors de nos frontières de certains contrevenants dans des circonstances bien définies soit prévu par la loi sur l'immigration » (p. 284).

60 Voir : supra, note 45.

61 Voir notamment : Pierre LEGRAND, « Comparative Legal Studies and Commitment to Theory », (1995) 58 Mod L Rev 262, p. 264;

Roland DRAGO, « Droit comparé », dans Denis ALLAND et Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses

Universitaires de France, 2003, 45, p. 45.

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