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L'imperialisme dans l'ouest romain (202-70 av. J.-C.)

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Texte intégral

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L’impérialisme dans l’ouest romain (202-70 av. J.-C.)

Catherine Cournoyer

Department of History and Classical Studies McGill University, Montreal

August, 2015

A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment of the requirements of the degree of Master of Arts

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ii

Table des matières

Table des matières ... ii

Résumé ... iv Abstract ... iv Acknowledgements ... v Introduction ... 1 Chapitre 1 ... 10 Espagnes : 201-179 ... 11 Espagnes : 178-126 ... 16 Ligurie : 201-172 ... 22 Ligurie : 171-126 ... 34 Chapitre 2 ... 37 La conquête ... 38 Narbo Martius ... 44 Caius Marius ... 50 Chapitre 3 ... 55

Pompée et les publicains ... 56

Cicéron et Fonteius ... 59

Chapitre 4 ... 66

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iii Aspect politico-idéologique ... 71 Aspect opérationnel ... 78 Aspect ethnique ... 85 Conclusion ... 91 Bibliographie ... 95

Annexe A : Limite de la domination romaine dans le nord de la péninsule Ibérique et le sud de la Gaule à la fin du IIe s. a.C. ... 100

Annexe B : Carte de Gaule cisalpine ... 101

Annexe C : Établissements grecs dans le sud de la Gaule ... 102

Annexe D : Cités majeures de Gaule et de Germanie ... 103

Annexe E : Peuples, cités et oppida dans le sud-est de la Gaule ... 104

Annexe F : Les principales voies de communication en Gaule à l’époque de l’indépendance ... 105

Annexe G : La migration des Cimbres et des Teutons ... 106

Annexe H : Fondations et colonies de la République romaine en Hispanie du Sud ... 107

Annexe I : Schéma théorique des relations entre l’oppidum et sa campagne environnante108 Annexe J : Carte des principales enceintes du IIe Âge du Fer de la Gaule méridionale . 109 Annexe K : Aires d’influence commerciale dans la Méditerranée de l’ouest, en se basant sur la diffusion des amphores ... 110

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iv

Résumé

Le présent ouvrage examine l’établissement du pouvoir romain dans la Méditerranée occidentale, particulièrement en Gaule transalpine, durant les 2 derniers siècles av. J.-C. Une comparaison des actions militaires romaines en Gaule, en Ligurie et dans les Espagnes permet de définir ici les caractéristiques du processus de provincialisation dans l’ouest romain tout en revoyant certaines théories quant à la conquête gauloise. Il ressort de cette étude que l’intégration d’une province de l’ouest à l’empire peut être qualifiée de processus, en contraste avec les événements ponctuels de l’intégration des provinces de l’est. Trois moments cruciaux - la Conquête, les campagnes de Marius contre les Cimbres ainsi que les réformes de Pompée - contribuèrent à ce processus par la fondation de colonies, la distribution des terres, la réforme des institutions et la municipalisation de la Gaule transalpine.

Abstract

The present work examines the establishment of Roman power during the last 2 centuries BC in the Western Mediterranean, especially in Transalpine Gaul. A comparison of Roman military actions in Gaul, in Liguria, and in the Spains allows us to identify the characteristics of provincialisation in the Roman West, and to review theories about the conquest of Gaul. It appears that Western provincialisation may be better characterized as a process rather than a punctual event that characterized Eastern provincialisation. Three crucial moments – the Conquest, Marius’ Cimbric campaigns, and Pompeius’ reforms – contributed to the process of provincialisation in through the founding of colonies, the distribution of lands, the reform of institutions, and the municipalisation of Transalpine Gaul.

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v

Acknowledgements

I would like to specially thank my supervisor, Professor Hans Beck, as well as Professors Lynn Kozak and Bill Gladhill, whose teachings in Ancient Greek and Latin was most enjoyed and appreciated.

I give all my love to my parents, Sylvie and Jacques, my brother, Alexis, as well as all my family, who have always loved and supported me. I want to acknowledge here a few of the other graduate students with whom I shared many hours in the grad lounge: Erin, Geoff, Katrina, Kathleen, Michal, Adam, and Dylan. Finally, I wish to thank from the bottom of my heart my dearest friends, who stayed by my side during these endeavours: Florence, Héloïse, Alex, Walter, Zoe, Lewis, Odysseas, and Sarah, to name but a few.

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1

Introduction

L’histoire romaine, en particulier la question de son impérialisme, a suscité l’intérêt de nombreux historiens modernes en raison de ses parallèles avec l’actualité. Les historiens modernes ont souvent tenté de lier avec l’histoire romaine les événements contemporains - que ce soit la création d’États-nations au XIXe siècle, les systèmes d’alliances internationales poussés par la Guerre froide au XXe ou les empires européens colonisateurs durant toute l’ère moderne. Ces analogies ne sont pas exactes, mais elles ont permis le développement de plusieurs théories historiques que de nouveaux étudiants, en se reposant sur de nouvelles idées ou de nouvelles découvertes, ont pu appuyer ou réfuter. Le premier à avoir laissé sa marque dans les études de l’Antiquité a été Theodor Mommsen, historien et auteur à la fin des années 1800 d’une Histoire de Rome massive et éditeur du Corpus Inscriptionum Latinarum, qui se voulait une collection complète de l’épigraphie latine. Mommsen a présenté l’idée que Rome, durant la majorité du IIe

siècle avant notre ère, souscrivait à un principe de non-annexion, bien que selon lui les politiques adoptées par l’État romain n’étaient pas, du moins durant cette période de la République, planifiées à long terme.1 Il a remarqué que les réformes de Sulla durant la première moitié du Ier siècle augmentèrent le nombre de magistrats pour répondre aux besoins du nombre exact de provinces existantes, mais sans provision pour de futures acquisitions territoriales, prouvant de ce fait le manque de substance de travaux historiques expliquant l’expansion romaine par un caractère romain particulièrement belliqueux.2 Selon lui, les interventions romaines dans l’est au début du IIe siècle étaient une réponse ponctuelle au changement dans la balance de pouvoirs dans l’est

1 Mommsen 1898, 2.520-521.

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2 méditerranéen causé par la crise politique en Égypte, plutôt qu’une démonstration de l’agressivité romaine.3 En fait, Mommsen a reconnu que l’exceptionnalisme romain reposait sur sa capacité à

unifier ses citoyens peu importe leur provenance, ce que lui-même a interprété comme le plus proche que vint un état antique méditerranéen de créer un État-nation unifié.4 Les travaux de Mommsen, qui ont d’ailleurs été à l’origine de l’idée moderne d’ « impérialisme défensif » romain, ont été écrits dans un contexte européen au XIXe siècle, lorsque les frontières à l’intérieur de l’Europe elle-même changeaient au gré de nouvelles idées nationalistes, qui cependant ne pourraient pas être attribuées à la Rome républicaine sans adaptation.

Les décennies suivant les travaux de Mommsen ont été prodigues d’écrits n’ayant pas passé le test du temps et traitant de l’importance de l’économie dans les motifs de l’impérialisme romain. Ernest Badian, dans son livre Roman Imperialism in the Late Republic paru en 1968, a réfuté cette hypothèse en argumentant pour sa part que l’État romain maintenait, surtout après la Seconde Guerre punique mais également durant les années suivant les tribunats des Gracques, une politique de non-expansion.5 Afin d’expliquer les nombreuses campagnes de Rome dans l’est, Badian nuance sa défense d’un impérialisme défensif, précisant l’objectif romain comme non-annexion plutôt que non-intervention, ce qui permit à Rome de dominer les autres états à travers des traités plutôt qu’en les annexant.6 Pour soutenir cet argument, il a tenté de démontrer l’absence de motif

économique comme raison d’une agressivité militaire romaine.7 Badian a reconnu que la recherche de butin était effectivement une préoccupation majeure des soldats et des généraux, surtout lors de

3 Mommsen 1898, 2.395, 409-415. 4 Mommsen 1898, 1.7-8, 327; 2.203-204, 409-415; 3.25. 5 Badian 1968, 25. 6 Badian 1968, 3-7, 7 Badian 1968, 17.

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3 leurs campagnes du IIe siècle avant notre ère dans l’est méditerranéen, mais que ni ce butin ni la rentabilité des richesses naturelles - telles que les mines d’argent en Macédoine, dont l’exploitation aurait été interdite par un édit du Sénat peu après les victoires romaines - n’aurait été le motivateur principal du Sénat, ce dernier ayant été le véritable corps politique derrière ces campagnes.8 Rome, en effet, ne mettait pas automatiquement en place de véritables mesures organisationnelles pour assurer l’extraction efficace de ressources naturelles ou fiscales dans ses nouveaux territoires. Les gouverneurs de ces territoires étaient détenteurs de pro-magistratures qui, nouvellement inventées, assuraient la continuation d’une gouvernance de type militaire plutôt qu’une intégration réelle du territoire à l’entité politique et économique romaine.9 Afin de supporter que son hypothèse s’appliqua jusqu’aux années 70 avant notre ère, Badian a rappelé, tout comme Mommsen, que Sulla, dans ses réformes constitutionnelles, avait seulement augmenté suffisamment le nombre de praetores et de quaestores pour remplir les magistratures des 10 provinces existantes, une preuve que le dictateur n’envisageait pas d’autres additions à l’empire dans un avenir proche.10 Sulla, dans ses réformes, étendit également la citoyenneté à l’ensemble de l’Italie. De riches provinciaux avec de nombreux intérêts communs avec la classe équestre, dont les membres les plus riches et donc les plus puissants étaient les publicani, devinrent sénateurs, pointant le Sénat dans la même direction que leurs propres intérêts financiers dans les provinces.11 Donc, selon Badian,

l’impérialisme romain avait été défensif lorsque les politiques avaient été décidées par des Sénateurs n’ayant que peu d’intérêts commerciaux,12 mais sa nature changea drastiquement avec les réformes de Sulla.

8 Badian 1968, 19-21.

9 Badian 1968, 23. 10 Badian 1968, 33. 11 Badian 1968, 62.

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4 William Harris s’est opposé à cette idée d’impérialisme défensif dans son livre War and imperialism in Republican Rome paru en 1979, dans lequel il a soutenu au contraire que la politique impérialiste de Rome, de par sa nature même, était fondamentalement agressive. Harris a rappelé que dans le contexte de l’ethos aristocratique romain, l’expérience et les exploits militaires étaient essentiels pour se faire élire à des magistratures, qui à leur tour permettaient d'obtenir prestige et gloire - laus et gloria - dans la société romaine.13 Les campagnes militaires étaient donc recherchées par les officiers, membres de l’aristocratie. À ses débuts, notamment au Ve et IVe

siècles, les visées de Rome ne concernaient que ses voisins et étaient principalement motivées par le besoin de nouvelles terres à cultiver.14 La motivation romaine aurait donc été l’expansion territoriale : les richesses accumulées comme butin et les centaines de milliers d’esclaves capturés au cours des conflits constants avec leurs voisins étaient bien sûrs les bienvenus, mais n’étaient pas été l’objectif premier de ces conquêtes.15 De plus, Harris a affirmé que la question d’une

planification de l’expansion à long ou à court terme par le Sénat est peu pertinente; lui-même était cependant de l’avis que le Sénat était capable d’adopter des politiques à long terme mais que l’expansion n’en était pas une et que ce n’aurait été qu’entre le début de la Première Guerre punique et la fin de la Deuxième Guerre punique que Rome aurait formé une idée de ‘domination universelle’.16 Pour soutenir cette affirmation, Harris a présenté comme preuve les écrits de

Polybe, un historien grec du IIe siècle qui mentionne à de nombreuses reprises cette interprétation des interactions de Rome avec le reste de la Méditerranée - selon sa propre opinion ou encore celle d’un des acteurs principaux de la politique romaine, tel Scipio Africanus.17 Les sources d’origine

13 Harris 1979, 12-17. 14 Harris 1979, 60. 15 Harris 1979, 63. 16 Harris 1979, 105-107. 17 Harris 1979, 108; cf Plb. 1.3.6; 3.2.6; 5.104.3; 9.10.11; 15.9.2; 10.2.

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5 romaine, bien qu’existantes, datent presqu’exclusivement d’une période ultérieure, à laquelle Rome avait tant conquis que l’expansion n’était plus un besoin primordial et dont les auteurs, notamment Cicéron (M. Tullius Cicero) et Tite-Live (Titius Livius), étaient entourés d’une nouvelle sorte de moralité les poussant à justifier le passé militaire romain.18 Cette moralité reposait entre autres sur des rites religieux anciens pouvant être interprétés comme un besoin d’une bénédiction des dieux pour repousser les frontières de l’empire.19 Cependant, même si une telle politique de non-annexion avait existé, ce que Harris dément au moins jusqu’en 101, elle ne serait pas entrée en contradiction avec ce désir d’expansion car, comme il l’a rappelé, l’annexion n’était pas nécessaire pour que Rome exerce un pouvoir sur un territoire donné, ce qui correspond à la conception romaine d’un empire d’avant le Ier siècle.20 Bref, Harris rejette l’idée d’un impérialisme défensif issue de la propagande sénatoriale romaine de la fin de la République, argumentant plutôt que Rome jusqu’au Ier siècle avant notre ère avait un fort désir d’expansion, lui-même soutenu par

l’ethos aristocratique romain et la promesse de gains.

Depuis Mommsen, les vues opposées de Badian et Harris ont alimenté le débat concernant l’agressivité et les motivations de la République romaine. En 2006, cependant, Arthur Eckstein a avancé, dans son livre Mediterranean anarchy, interstate war, and the rise of Rome, qu’il était possible de réévaluer le sujet de l’impérialisme romain - qui dans ce cas-ci peut être vu comme les interactions de Rome avec les autres États - sous un nouvel angle, celui de la théorie politique du réalisme. En se basant partiellement sur la théorie systémique de Polybe, il affirme qu’à cette époque, la Méditerranée de l’est dominée par les Royaumes hellénistiques formait un système

18 Harris 1979, 118.

19 Harris 1979, 118-125. 20 Harris, 1979, 105.

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6 anarchique multipolaire, c’est-à-dire « […] a world containing a plurality of powerful states, contending with each other for hegemony, within a situation where international law was minimal and in any case unenforceable. »21 À l’intérieur de ce système se balançant par lui-même, Rome s’éleva dans la première moitié du IIe siècle au rang d’acteur hégémonique, sans cependant conquérir et directement gouverner d’excessivement larges territoires.22 Eckstein a directement répondu à l’hypothèse de Harris, selon laquelle les succès de Rome pouvaient être attribués à une série de facteurs internes, notamment une agressivité et un désir d’expansion remarquables. Selon Eckstein, dans le contexte de l’époque, Rome n’était ni plus agressive, ni n'avait un besoin plus pressant d’expansion que ses voisins hellénistiques, dont les monarques devaient prouver leur légitimité selon une idéologie militariste souscrivant à la légitimité de conquêtes territoriales par l’usage de la force, aussi appelées « spear-won lands ».23 La faille permettant à Rome de s’immiscer dans ce système balancé fut, dans les années suivant 207, la crise de transition de pouvoir en Égype ptolémaïque causée par une rébellion des indigènes égyptiens contre leurs maîtres grecs, ce qui affaiblit l’État au point que les deux autres Royaumes y virent une chance en 202-201 de conquérir ses ressources, sinon de l’éliminer complètement.24 Rome, appelée au secours par les Grecs d’Égypte et reconnaissant que ce conflit ne se confinerait pas à l’est de la Méditerrannée, intervint en 200.25 Les guerres qui suivirent, causées par ces facteurs systémiques

et non par l’agressivité romaine, confirmèrent le nouveau rôle hégémonique de Rome par sa domination sur la Macédoine antigonide et l’Asie séleucide. Eckstein, reliant sa propre idée à celle de Mommsen, reconnaît que le succès militaire romain reposait sur sa capacité impressionnante à

21 Eckstein 2006, 1, 114; cf Plb. (1.4.11) utilise le terme ‘interconnection’ pour décrire ce système international. 22 Eckstein 2006, 4; il contredit Mommsen (1898, 2.522), qui écrit qu’il n’y a pas de balance de pouvoir 23 Eckstein 2006, 83-85.

24 Eckstein 2006, 104-105. 25 Eckstein 2006, 5-6.

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7 intégrer les peuples conquis en créant « […] an idea of citizenship divorced from ethnicity and/or geographical location went beyond the nation-state […] », ce qui donna à Rome un avantage décisif en terme de ressources matérielles et humaines, surtout sur des ennemis grecs qui gardaient jalousement leur citoyenneté.26 C’est cet avantage qui permit à Rome de prévaloir lorsque le système anarchique dont elle était voisine fut débalancé, causant les deux Royaumes restants à tenter d’augmenter leur pouvoir.

Bien qu’Eckstein se concentre sur les interventions de Rome dans l’est méditerranéen, il mentionne à quelques reprises la situation systémique dans l’ouest, qu’il établit dès le premier chapitre comme un autre système anarchique multipolaire.27 Le système de l’ouest fut débalancé en 202 avant notre ère par la victoire de Rome sur Carthage à la fin de la Deuxième Guerre punique, suite à laquelle la capitale africaine demeura trop faible pour s’opposer à la domination romaine dans l’ouest. C’est cette absence de rival qui aurait donné l’opportunité à Rome de projeter son pouvoir dans l’est, qualifié de « larger option » que l’ouest par Eckstein.28 Cependant, bien que la défaite de Carthage ait effectivement confirmé le pouvoir romain dans les Espagnes et en Sicile – les territoires en contention entre les deux puissances – l’existence préalable de Carthage n’explique pas l’absence d’actions militaires en territoire gaulois transalpin avant le IIe siècle, malgré l’absence totale de Carthaginois dans ces régions. Même la Gaule cisalpine et la Ligurie, pourtant du côté italien des Alpes et dont la conquête aurait pu être considérée une priorité en raison de leur proximité, ne furent complètement conquises qu’au IIe siècle et même là, étaient reléguées au deuxième rang des priorités militaires lorsque des guerres éclataient dans l’est, une stratégie raisonnable si l’on considère les unités respectives des deux systèmes anarchiques à la

26 Eckstein 2006, 256-251; cf Mommsen 1989, 1.7-8, 327; 2.203-204, 409-415; 3.25. 27 Eckstein 2006, 4.

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8 frontière desquels Rome se tenait. Dans l’est, comme vu plus haut, les plus puissantes des unités - des Royaumes – étaient en compétition pour la souveraineté sur l’ensemble du système, ce qui maintenait l’équilibre dans l’anarchie. Dans l’ouest, cependant, les unités autres que Rome et Carthage étaient plus petites, les Espagnes et les Gaules étaient organisées plutôt par tribus qui ne cherchaient pas, en temps normal, à étendre leur influence au-delà de leurs frontières - ce dont elles auraient de toute façon été incapables à grande échelle. C’est la taille et la quantité des unités qui rendit la conquête d’une région pourtant globalement moins puissante qu’un Royaume hellénistique beaucoup plus longue et compliquée. En effet, l’absence d’autorité dominante rendait impossible une victoire après une bataille : chaque tribu devait être conquise individuellement et cette conquête n’affectait pas vraiment les prochains ennemis en terme de ressources. La conquête de l’ouest par Rome au IIe siècle soulève donc des questions d’impérialisme différentes que celle de l’est. Ce travail aborde en particulier la conquête de trois régions, la Ligurie, l’Espagne et la Gaule transalpine pré-césarienne, dont l’analyse historique aura pour but de décrire le nouveau type d’impérialisme que les Romains durent développer dans l’ouest.

De plus, alors que les sources mentionnées plus haut semblent se concentrer sur les motifs de l’impérialisme romain, ce travail porte également sur sa manière. À ce sujet, trois hypothèses, chacune représentée dans ce travail par l’historien moderne l’ayant définie, ressortent concernant la Gaule narbonnaise. Ernest Badian, en 1968, a soutenu que la Gaule était officiellement devenue une province de l’empire après le séjour de Caius Marius dans la région pendant les Guerres Cimbres, de 103 à 101 avant notre ère. Charles Ebel, en 1976, a défendu dans son ouvrage Transalpine Gaul : the emergence of a Roman province la thèse que Pompée (Cnaeus Pompeius Magnus), à la fin de la Guerre Sertorienne des années 70, est celui qui organisa la région et par conséquent lui accorda son statut de province. Enfin, Ella Hermon, en 1993 dans son livre Rome

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9 et la Gaule transalpine avant César (125-59 av. J.-C.), a remis de l’avant la thèse, brièvement présentée par Mommsen, que le processus de provincialisation de la Gaule transalpine avait commencé dès les campagnes de conquête de la région de 125 à 121.

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10

Chapitre 1

Après leur victoire sur les Carthaginois lors de la Deuxième Guerre punique, victoire confirmée par la signature d’un traité peu après la Bataille de Zama en 202, l’attention des Romains se tourna entre autres vers deux régions alors problématiques, les Espagne citérieure et ultérieure (Hispaniae) et la Ligurie (Liguria) en Gaule cisalpine. Bien que les Romains aient confirmé leur influence sur les Espagnes lors de la Deuxième Guerre punique, la région ne fut pas pacifiée avant plusieurs décennies. De la même façon, la Ligurie, malgré plusieurs campagnes militaires victorieuses en Gaule cisalpine, n’était pas à cette époque intégrée à l’empire romain. Ce chapitre traitera de l’évolution de l’implication militaire romaine sur sa frontière ouest, dans le but de déterminer un modèle d’expansion à la suite de la Deuxième Guerre punique. Les Espagnes et la Ligurie ont été traitées en profondeur par respectivement J.S. Richardson et S.L. Dyson. Bien que les travaux de ces deux historiens soient d’une grande aide pour la compréhension du sujet, ce chapitre se concentrera davantage sur les thèmes ayant eu un impact sur le développement de la Gaule transalpine. Les décennies suivant la fin de la Guerre hannibalique - jusqu’en 126, tout juste avant le début de la conquête formelle de la région de Gaule transalpine - seront donc examinées, avec une attention particulière pour les assignations de provinciae, les différentes révoltes dans ces régions et les moyens employés afin d’y faire face, ainsi que les peuples affrontés et l’évolution des méthodes d’affrontement. La réduction des effectifs dans les Espagnes après 179 et la cessation des campagnes militaires actives régulières en Ligurie après 172 justifient une digression et un examen des raisons de la réorientation de la politique extérieure romaine.

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11 Espagnes : 201-179

Malgré la fin des affrontements contre les Carthaginois dans les Espagnes depuis 206, les régions hispaniques alors sous contrôle romain furent attribuées comme provinces à L. Cornelius Lentulus et L. Manlius Acidinus, des citoyens privés dotés d’imperium proconsulaire, un poste auquel ils furent reconduits en 204 par une assemblée populaire.29 Lentulus, remplacé à son poste par C. Cornelius Cethegus, célébra une ovatio en 201.30 Lorsque les commandants furent remplacés en 199, l’ovatio que le Sénat avait attribuée à Acidinus fut bloquée par un tribun de la plèbe, P. Porcius Laeca.31

Ce n’est toutefois qu’en 197 que la côte méditerranéenne de la péninsule fut changée en deux provinces prétoriennes. Ce changement eut pour conséquence constitutionnelle l’ajout de deux postes de préteurs, pour un total de six. Tite-Live avance, comme raison pour cette réforme constitutionnelle, la demande accrue de magistrats titulaires d’imperium comme un résultat de l’élargissement de l’empire.32 Richardson voit dans cet envoi de magistrats dans les Espagnes

l’établissement d’une base pour une présence romaine indéfinie, alors que Curchin l’explique par la peur d’un retour des Carthaginois dans les Espagnes en cas d’absence romaine.33 Ces deux premiers préteurs élus eurent entre autres pour tâche de déterminer la frontière entre leurs deux provinces, ce qui démontrerait le manque de précision de l’idée hispanique pour les sénateurs romains. De plus, en analysant les engagements militaires des différents préteurs dans les deux

29 Liv. 28.38.1; 29.13.7; cf Broughton 1952, I.299-300; Richardson 1986, 68. 30 Liv. 30.41.4-5; cf Broughton 1952, I.320; Richardson 1986, 68-69. 31 Liv. 32.7.4.

32 Liv. 32.27.6 ; cf Beck (2011, 85) appuie cette interprétation et discute de l’effet de cette réforme sur la ‘valeur’ de

l’imperium ainsi que sur la perception qu’en avait le Peuple romain.

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12 Hispaniae, il apparaît que plus les Romains s’éloignaient de la côte, plus cette frontière devenait floue.34 Cependant, afin de déterminer l’emplacement approximatif de la frontière nord de

l’Espagne citérieure, qui dès 125 allait former la frontière Sud de la Gaule transalpine, il est nécessaire de porter un intérêt particulier aux activités du préteur en charge de l’Hispania citerior. Dyson a avancé que les Romains se basèrent sur l'histoire des peuples hispaniques et la géographie de la péninsule pour déterminer la division des provinces citérieure et ultérieure.35

Alors que l’envoi du consul M. Porcius Cato dans les Espagnes pour l’année 195-194 ne semble que la réaction à un événement ponctuel - une rébellion marquée des indigènes ibériques ayant coûté la vie d’un des préteurs de 197, suivie par un succès mitigé des préteurs de 196 qui avaient pourtant à leur disposition des troupes supplémentaires.36 Cependant, Appien, dans son Iberica, prétend que la rébellion des indigènes ibériques en 197 était motivée par la conviction que Rome, occupée cette année-là en Gaule cisalpine et en Macédoine, était «trop occupée ailleurs pour s’occuper d’eux».37 Caton, étant arrivé dans sa province durant le temps des récoltes, pilla les alentours du port grec d’Emporion où il avait établi sa base afin de récolter les réserves nécessaires pour nourrir ses soldats sans dépendre des commerçants.38 Le récit des affrontements, tiré de l’œuvre de Tite-Live se basant probablement sur les écrits de Caton lui-même, présente un commandant romain aux vertus discutables.39 Tite-Live rapporte qu’il aurait imposé un impôt sur

34 Culchin 1991, 31; Dyson (1985, 174) traite les Hispaniae comme une seule province, ce qui selon-lui correspond

davantage à la réalité sur le terrain; Richardson (1986, 78) soutient que même si la division des provinces était un ordre du Sénat, les praetors, occupés à combattre les locaux, n’auraient pas eu le temps de s’en charger.

35 Dyson 1986, 187. Voir Chapitre 4, Aspect ethnique. 36 Liv. 33.25.9, 26.3-4, 43.5; 34.21.7; cf Richardson 1986, 79. 37 App. Hisp. 39. Voir Introduction, sur Eckstein.

38 Liv. 34.9; cf Richardson 1986, 82. Emporion avait également été la base des opérations romaines sur la péninsule

hispanique durant la Deuxième Guerre punique (Dyson 1986, 183 ; Culchin 1991, 25. Voir Annexe A, « Limite de la domination romaine dans le nord de la péninsule Ibérique et le sud de la Gaule à la fin du IIe s. a.C. ».

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13 les mines de fer et d’argent de la région, procurant à Rome un revenu important. À ce sujet Richardson, qui mitige l’importance de ces impôts en tant que tels en rappelant que les mines du nord des Espagnes étant bien moins productives que celles du sud, affirme qu’ils étaient plutôt le premier signe d’un intérêt romain envers les métaux espagnols.40 Cependant, considérant que les mines d’argent contrôlées par les Carthaginois auraient servi à financer le lourd tribut imposé par Rome sur les vaincus après la Première Guerre punique, les Romains auraient dû avoir identifié cette source de revenu depuis plusieurs décennies.41

L’année 195 donne également un aperçu intéressant sur la fluidité des frontières des provinces espagnoles. En effet, alors que Caton avait reçu comme province de pacifier l’Espagne de façon générale, deux préteurs, Ap. Claudius Nero et P. Manlius, avaient respectivement reçu en 195 l’Espagne ultérieure et l’Espagne citérieure.42 Aucune mention n’est faite du sort de Nero; il semble cependant improbable qu’il soit mort au combat, étant donné l’absence d’action punitive de la part du Sénat. Le camp de Caton, que Manlius avait la tâche spécifique d’assister en Espagne citérieure, avait été établi à environ 5 km d’Emporion, séparant la colonie phocéenne et une cité hispanique.43 Tite-Live affirme que, sur la base de rumeurs que Caton allait envahir la Turdetania - dans la vallée du Guadalquivir en Espagne ultérieure - les Bergistani, au nord de l’Espagne citérieure, se révoltèrent.44 Le caractère inusité de cette révolte suggère que la région était

relativement stable avant les pillages menés par Caton et ses troupes.45 Pendant que le consul

40 Liv. 34.21.7.; cf Richardson 1986, 91; Culchin 1991, 31; contra (Dyson 1986, 187), qui réfère à une délégation de

la cité de Gades qui a demandé en 199 de rester libre de magistrat romain, et présume les abus préalables.

41 Culchin 1991, 24; Dupré 1973, 140. 42 Liv. 33.43.5; cf Richardson 1986, 86. 43 Liv. 34.13.1; cf Richardson 1986, 81-82. 44 Liv. 34.16.8-9; cf Richardson 1986, 83. 45 Richardson 1986, 84.

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14 affrontait les Bergistani, Manlius se rendit en Turdetania pour joindre ses soldats aux troupes de Nero; cependant, trouvant ses forces insuffisantes pour faire face aux Turdetani et à leurs mercenaires Celtibères, Manlius demanda assistance à Caton.46 Ce dernier, devant le refus des Turdetani de combattre, les laissa se barricader et partit conquérir d’autres peuples - les Sedetani, les Ausetani, les Suessetani, les Lacetani et la cité de Vergium (possiblement au sud de l’Espagne ultérieure) sont mentionnés par Tite-Live.47 Ces peuples s’étaient probablement soulevés en réaction à un édit récent de Caton désarmant toutes les tribus espagnoles au nord de l’Èbre, tel que rapporté par Tite-Live.48 Bien que seul Caton ait reçu les deux provinces pour une tâche précise de pacification, le récit de Tite-Live donne plutôt l’impression que les deux autres commandants présents dans les Espagnes travaillèrent davantage que lui dans ce but, alors que Caton lui-même menait ses troupes provoquer et vaincre des tribus de part et d’autres des Espagnes, sans pourtant obtenir de résultat global concret.

À la suite des victoires de Caton, pour lesquelles il se fit d’ailleurs accorder un triomphe, le statut des armées présentes dans les Espagnes fut de nouveau réduit de consulaire à prétorien, sans toutefois suivre une pacification réelle de la région. Les combats perdurèrent durant plusieurs années, menés par des magistrats romains obtenant plus ou moins de succès contre les tribus indigènes. À la suite de révoltes sous la préture de L. Manlius Acidinus et C. Atinius en 188 et la prorogation de leur charge en 187,49 les deux propréteurs C. Calpurnius Piso (cos 180) et L.

46 Liv. 34.17.1; cf Richardson (1986, 86) précise, au sujet de l’utilisation des troupes de Nero par Manlius, que “It

has generally been assumed that Ap. Claudius co-operated with Manlius in the war against the Turditani, but this is not what Livy says.”

47 Liv. 34.19.10-21.6; Richardson (1986, 85) les mentionne tous sauf Vergium. Voir Annexe A, « Limite de la

domination romaine dans le nord de la péninsule Ibérique et le sud de la Gaule à la fin du IIe s. a.C. ». 48 Liv. 34.17.5.

49 Liv. 38.35.10; cf Broughton (1952, I.376), qui les qualifie de ‘gouverneurs’ en 184, année de leurs triomphes;

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15 Quinctius Crispinus durent combiner leurs légions en 186 afin de vaincre, là même seulement à leur deuxième tentative, des Celtibériens et des Lusitaniens. Cet arrangement militaire, peu fréquent, est expliqué par Richardson par la distance séparant le Sénat des généraux et permettant à ces derniers d’ignorer le Sénat et de prendre leurs propres décisions.50 Le manque évident de politique sénatoriale concernant la région laissait de toute évidence le champ libre aux commandants sur le terrain.

Il est cependant possible de voir le développement d’une stratégie à long-terme dans les décisions des préteurs d’Espagne citérieure pour 182 et 181, Q. Fulvius Flaccus et Ti. Sempronius Gracchus. Flaccus assura le contrôle romain des voies de communication entre les deux Hispaniae en capturant entre autres la cité de Contrebia.51 Gracchus contribua à la pacification de la région en régularisant les relations romaines avec les oppida de la région de l’Èbre et en s’assurant la loyauté d’un roi indigène de la région centrale des Hispaniae. Il fonda de nombreux réseaux de clientelae loyaux à Rome dans l’Espagne citérieure, ce qui lui permit d’établir des traités et de recruter des troupes locales.52 Suivant l’exemple de Scipion l’Africain, qui avait fondé en 206 dans la vallée de l’Èbre une colonie de vétérans, Italica, Gracchus fonda la ville de Gracchuris, également située sur l’Èbre mais peuplée d’indigènes pouvant lier commercialement et culturellement les indigènes à Rome.53

50 Richardson 1986, 97, 100, cf Dyson (1985, 108), qui remarque que les traités arrangés par Gracchus en 179 n’ont

été approuvés ni signés par le Sénat romain.

51 Liv. 40.33; cf Dyson (1985, 194) suppose que cette Contrebia est une ville routière importante sous l’Empire, sans

donner plus de détails; Richardson (1986, 100) situe Contrebia "at Botorrita on the southern edge of the Ebro valley, south of Zaragoza".

52 App. Hisp. 44; Plut. TG 5.3; cf Dyson 1986, 196; Richardson (1986, 102) compare les relations de Gracchus avec

les chefs tribaux à celles, basées sur une loyauté personnelle, entretenues par Scipio durant la Deuxième Guerre punique.

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16 Espagnes : 178-126

Alors que certains attribuent aux politiques de Gracchus la réduction des activités militaires dans les provinces espagnoles après 179, d'autres rappellent que "The war was virtually continuous down to 178 [...]".54 Alors que les politiques précédemment mentionnées semblent viser à faciliter la cohabitation et éventuellement l’intégration des Ibères à la culture romaine, Gracchus établit également un nouveau système de taxation systématique pour remplacer l'ancien système de taxes sur le grain, le stipendium, dont nous connaissons l’existence par les plaintes pour extorsion adressées par les Ibères au Sénat romain en 171. Alors que le stipendium servait, de 201 à 180, à payer les troupes présentes dans les Espagnes, il apparaît que la nouvelle taxe monétaire était un tribut payé en pièces d'argent.55 Ce dernier fait, démontré par l'existence de pièces d'argent datant du deuxième siècle, suivant des mesures romaines mais portant des inscriptions ibériques, suggère l’existence d’un codex de lois mis en place par Gracchus, puisque comme le soutient Dyson, «Such abuses of course presuppose the existence of a system to abuse [...]».56 Les mines d’argent

hispaniques, qui avaient été soumises à un impôt par Caton en 195, furent probablement plus sévèrement encadrées par Gracchus. Polybe (Polúbios), voyageur du IIe siècle, rapporte que les 40 000 ouvriers travaillant dans les mines à proximité de la ville de Carthagena produisaient la valeur de 2 500 drachmae en argent par jour. 57 L’administration d’un tel groupe d’ouvriers, produisant une somme d’une telle importance, devait requérir une organisation précise. Notre source la plus complète sur le IIe siècle dans les Espagne est l'Ibérique d'Appien, qui se concentre sur les conflits

54 Dyson 1986, 107; contra Richardson 1986, 123. 55 Liv. 43.2.1-3; cf Dyson 1986, 114 et 122. 56 Richardson 1986, 115, 121.

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17 majeurs entre indigènes et romains. Après avoir discuté des traités conclus par Ti. Sempronius Gracchus avec les tribus celtibères, il passe par-dessus près de 50 ans de guerroyage dans les Espagnes pour ne traiter ensuite que des campagnes désastreuses de Q. Fulvius Nobilior en 153.58 Pour les années manquantes, il est nécessaire de se reposer sur l'information éparse trouvée dans, entre autres, Tite-Live. Cependant, durant les années séparant une implication militaire plus appuyée de Rome dans les Espagnes, cette implication connut plusieurs degrés. Cette section traitera donc de cette implication militaire comme variable dépendante des traités établis par Gracchus ainsi que des autres engagements romains dans la Méditerranée.

Gracchus, prorogué deux fois comme proconsul après son mandat de praetor de 180, resta en Espagne citérieure jusqu’à la fin de l’année 178; il profita de ces trois années pour normaliser les relations entre Romains et Celtibères par l’entremise de traités.59 Bien qu'Appien mentionne les traités, il me précise pas immédiatement les "conditions précises pour être amis du peuple romain", ni la nature des serments échangés.60 Ce n'est que lorsqu'il discute de l'an 153, lorsque les peuples celtibères en brisèrent les termes, qu'Appien laisse entrevoir la nature de ces conditions, notamment l'interdiction de construire de nouvelles villes ainsi que l’exigence de fournir des troupes à l'armée romaine et de verser un tribut précis à Rome.61 Appien rapportant que ces traités furent la cause de la renommée de Gracchus dans les Espagnes et à Rome, il est aisé d’imaginer que cette popularité aida à son élection comme consul en 177.62 Pendant les 5 années suivantes (de 177 à 172), deux praetors furent envoyés chaque année dans les Espagnes.63 Les traités gracquiens

58 App. Hisp. 43-45; cf Broughton (1951, I.452), qui, suivant Degrassi (160f), rapporte, contrairement au préteur

Claudius Nobilior, un consul Quintus Nobilior.

59 Broughton 1952, I.393-395.

60 App. Hisp. 43; cf Richardson 1986, 123.

61 App. Hisp. 44; des conditions semblables étant exigées par L. Licinus Lucullus en 151, il est possible de les

généraliser comme exigences normales de l'armée romaine lors de la négociation de traités (App. Hisp. 52).

62 Broughton 1952, I.397. 63 Broughton 1952, I.398-411.

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18 dans les Espagnes combinés à l’implication militaire redoublée en Ligurie semblent donc avoir eu une influence importante sur le choix des provinces de ces années-là.

Par la suite, les praetors de 172, M. Iunius Pennus en Hispania Citerior et Sp. Lucretius en Hispania Ulterior, demandèrent au Sénat des renforts lors de la répartition des légions entre les magistrats romains, mais se les virent refuser.64 Pour les 4 années suivantes, de 171 à 168, les deux régions espagnoles furent fusionnées en une seule provincia, puis en 167 et 166 chacune des provinces espagnoles reçut son propre praetor.65 La réduction des effectifs romains dans les

Espagnes de 172 à 168 correspond à la Troisième Guerre macédonienne qui dura, du moins officiellement, de 171 à 168.66 Les actions romaines à la suite de cette dernière guerre donnent un exemple d’une procédure habituelle suivie en cas de conquête d’un territoire par Rome, c’est-à-dire l’établissement par un conseil de 10 membres d’une nouvelle constitution acceptable pour une région reconnaissant depuis peu l’imperium romain.67

Les Periochae de Tite-Live seules révèlent les activités romaines dans les Espagnes pour les années 165 à 156. Pas même les provinces des consuls ne peuvent en être tirées, leurs noms seuls étant retrouvés dans les Fasti Capitolini et quelques discours de Cicéron.68 Q. Fulvius Nobilior (cos 153) fut par la suite envoyé en Hispania Citerior pour débuter contre les peuples celtibères ce que Polybe, dans son livre 34, appelle la «guerre ardente». Selon Appien, les Belli habitant la ville de Segeda, après avoir intégré de force leurs voisins Titthi, avaient débuté la construction d'un mur autour de la cité agrandie, ce que le Sénat romain considérait contraire au

64 Liv. 42.10.13.

65 Broughton 1952, I.416-437. 66 Broughton 1952, I.416-427.

67 Liv. 35.28-31. Voir Chapitre 4, Lex provincia. 68 Broughton 1952, I.438-447.

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19 traité de Gracchus stipulant qu'aucun mur ne devait être construit autour de nouvelles villes; face à une armée consulaire, les Belli et les Titthi fuirent se mettre sous la protection des Arévaques, à Numance.69 Nobilior, dont la saison de campagne fut désastreuse, fut succédé par M. Claudius Marcellus (cos 166, 155, 152), qui conclut en 151 une trêve avec les Celtibères. Les fragments connus de l’œuvre de Polybe ne discutent que de la situation suivant cette trêve. Contredisant Appien, qui affirme que les trois tribus celtibères impliquées - les Belli, les Titthi et les Arévaques – avaient pris les armes contre Rome, Polybe nomme les Belli et les Titthi comme des alliés de Rome dont le rapport des événements convainquit d'ailleurs le Sénat de poursuivre la guerre contre les Arévaques.70 Cependant, Marcellus ayant reçu peu après le retour des ambassadeurs la reddition des tribus celtibères, la guerre se termina avant l'arrivée de son successeur, L. Licinius Lucullus. Ce dernier mena par dépit une guerre illégale contre les Vaccaens de Cauca, qu’il massacra, et assiégea les villes d'Intercatia et de Pallantia avant de se retirer dans ses quartiers d'hiver.71 Si les campagnes de Lucullus, illégales et motivées par sa cupidité, ne seraient pas représentatives d'une instabilité particulière en Espagne citérieure durant cette période, il a été avancé qu'elles n’auraient pas été entièrement inutiles à la pacification de la région. En effet, les Vaccaens de Cauca, un peuple celtibère du nord-est de la péninsule qui contrôlait un territoire riche et stratégiquement situé sur les axes de commerce, seraient devenus une menace importante s'ils s'étaient joints à l'alliance arévaque ;72 le risque aurait été trop grand pour ne pas les en dissuader par la force. Cependant, leur massacre, tout comme celui des Lusitaniens par Galba, qui rompit un

69 App. Hisp. 44; cf Dyson (1985, 199-200), qui considère qu'une autre raison de la réaction des Romains était leur

crainte d'une concentration du pouvoir dans un centre leur étant externe en Espagne citérieure.

70 Plb. 35.3; Dyson (1985, 201) explique que les représentants Belli et Titthi présents à Rome faisaient partie de

ceux restés fidèle à l'empire.

71 App. Hisp. 51-55; cf Richardson 1986, 149-150.

72 Dyson 1986, 203; cf Richardson (1986, 150), qui rappelle que les actions de Lucullus se trouvèrent confirmées par

Scipio Aemilianus (App. Ib. LXXXVII-LXXXIX), qui attaqua Cauca et Pallantia sous prétexte que «it was from the Vaccaei that the Numantines drew their supplies».

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20 peu plus tard la même année une promesse d'épargner la vie de ceux se rendant, brisa la confiance que ces peuples avaient placé en l'État romain.

Des troubles dans la région de la Lusitanie en 155 et en 154 avaient convaincu le Sénat d’envoyer un préteur en Hispania Ulterior, suite à quoi le conflit fut engagé à la fois par praetors et consuls jusqu’à la mort du chef lusitanien, Viriathe, en 139.73 Cet affrontement déborda en Hispania citerior lorsqu'en 143 Viriathe poussa les Arévaques et les Vaccaens de Numance à se révolter. Q. Caecilius Metellus Macedonicus (cos 143) fut donc envoyé et soumit les Arévaques, bien que les Vaccaens de Numance résistassent toujours.74 Son successeur, Q. Pompeius Aulus (cos 141), conclut en 140 avec les Numantiens un accord qui fut prononcé invalide par le Sénat en 139.75 M. Popilius Laenas (cos 139), poursuivit donc la guerre sans plus de résultats et se fit succéder par C. Hostilius Mancinus (cos 137), qui fut forcé par les Numantins à conclure un accord aux "termes identiques à ceux qui avaient été précédemment conclus entre les Romains et les Numantins".76 Le Sénat romain, jugeant honteux l'accord conclu, livrèrent à la fin de l'année Mancinus aux Numantins, qui refusèrent cependant de le faire prisonnier.77

En Espagne ultérieure, le proconsul Q. Fabius Maximus Servilianus (cos 142) avait négocié en 140 avec Viriathe un accord qui avait été ratifié par le Sénat.78 La nature exacte de cet accord n’est pas spécifiée par Appien, qui rapporte ensuite que le frère et successeur de Servilianus, Q. Servilius Caepio (cos 140), dont on peut concevoir les raisons politiques pour désirer raviver la

73 Liv. Per. 54.8; cf Richardson 1986, 148. 74 App. Hisp. 76; cf Richardson 1986, 143-144. 75 Liv. Per. 541; cf Richardson 1986, 144-146. 76 App. Hisp. 80; cf Richardson 1986, 146-147. 77 App. Hisp. 83.

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21 guerre dans les Espagnes, obtint du Sénat de rompre le traité.79 La raison avancée par Caepio pour cette rupture était que les termes étaient honteux pour le Peuple romain, dont le représentant avait négocié en position de faiblesse, après une défaite; ces termes, favorisant les Hispaniques, ne correspondaient donc pas à la valeur militaire réelle des Romains.80 La réaction apparemment rébarbative du Sénat à appuyer des accords qui auraient pu conclure les guerres numantines et viriathiques dans les Espagnes a déjà été expliquée par le caractère militariste de l'empire romain, qui ne pourrait supporter longtemps une entité politiquement indépendante sur sa frontière.81 Alors

que la guerre contre Viriathe se termina en 140 par l'assassinat du chef indigène par ses proches corrompus par Caepio, la Guerre de Numance dura jusqu’en 133, année où le proconsul P. Cornelius Scipio Africanus Aemilianus (cos 134) détruisit la cité de Numance.82 Scipion, après avoir défait les puissances restantes en Espagne citérieure, fut chargé d'organiser la province avec l'aide d'une commission sénatoriale de dix membres.83 Cependant, les historiens antiques, dont

Appien est le seul à mentionner cette commission, rapportent surtout les massacres ayant découlé de cette guerre.84

79 App. Hisp. 70; cf Richardson 1986, 148. Appien présente Servilius et Servilianus comme étant frères, mais cela

pourrait être dû à une erreur de transcription ou à une confusion issue de la ressemblance entre leurs noms.

80 Astin 1967, 143.

81 Astin 1967, 143. Voir Introduction.

82 Plb. 35.1; cf Astin (1967, 154-155), qui rejette la destruction de Numance comme une conséquence du

tempérament sévère de Scipio et qui soutient qu'il est insensé que ce dernier ait voulu détruire la ville dès le début de la guerre; Richardson 1986, 153-154.

83 App. Hisp. 99; Richardson (1986, 153) soutient que l’envoie de la commission démontre l’intérêt du Sénat dans

les détails de l’organisation des provinces espagnoles. Voir Chapitre 4, Lex Provinciae.

84 Liv. (Per. 57.7) rapporte que les Vaccaens, assiégés, massacrèrent leurs épouses et enfants avant de se suicider,

alors que Valère Maxime (7. 6.2) soutient que les Numantins furent réduits à se nourrir de leurs cadavres durant ce siège (Appien (Hisp. 99) confirme les suicides et fait allusion au cannibalisme). De plus, Valère Maxime (2, 7.1), Velleius Paterculus (2. 4.2) et Appien (Hisp. 99) écrivent que Scipio brûla Numance et rasa ses murailles. Florus (Epit. 2.18) affirme au contraire que ce sont les Numantins eux-mêmes qui, lorsque la défaite était certaine, ont mis feu à leur ville.

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22 Les guerres espagnoles ne furent pas le résultat d'un impérialisme agressif romain et, davantage considérées par les Romains comme des révoltes que des guerres à proprement parler, semblent des conséquences directes de la présence romaine dans les Espagnes.85 La région ayant été une base du pouvoir carthaginois durant la Deuxième Guerre punique, Rome en avait fait un théâtre d'affrontements; le territoire ne fut convoité que lorsque sa valeur, notamment le potentiel de ses mines d'argent, fut connue. Après quelques années de défaites – et donc d'humiliations – romaines, la continuation des campagnes espagnoles était devenue une réaffirmation du prestige militaire romain et un refus non seulement de la défaite, mais encore d’une victoire autre que totale.86

La conquête des Espagnes, région peu civilisée - selon la définition romano-grecque du terme - et politiquement basée sur un modèle tribal plutôt qu’étatique, peut davantage être comparée à celle de la Gaule transalpine que la conquête de la Grèce, pourtant elle aussi au milieu du IIe siècle. Entre le triomphe de Scipion sur les Numantins en 132 et le début des campagnes en Gaule transalpine en 125, aucun magistrat, à notre connaissance, ne fut envoyé dans les Espagnes, démontrant par le fait même la pacification de la région.87

Ligurie : 201-172

Contrairement à la péninsule ibérique, la région de Gaule cisalpine restât une province consulaire au centre de l’attention du Sénat romain durant les années qui suivirent la Deuxième Guerre punique. La Ligurie était bordée au sud par l’Étrurie, qui avait été conquise par les Romains

85 Astin 1967, 156.

86 Astin 1967, 157.

87 Broughton 1952, I.500-508; Richardson (1986, 154) qualifie ces guerres de points tournants pour les provinces

espagnoles, désormais « [...] not simply the provinciae of two holders of imperium, but provinces of a Roman empire.»

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23 au cours du IIIe siècle. Les tribus guerrières de cette région montagneuse étaient déjà connues des Romains en raison notamment de leur envoi de mercenaires à Carthage lors de la Première Guerre punique et de leurs pirates.88 L’emporium ligure de Genoa, qui avait eu un contact commercial avec Massilia depuis plusieurs siècles, fut détruit en 206 par le général carthaginois Mago.89 En 203, lorsque les Romains défirent Mago et ses alliés gaulois, ils aidèrent à reconstruire la ville. Cette aide, inattendue puisque portée à des ennemis, était probablement motivée par l’importance de Genoa dans le commerce naval entre l’Étrurie, la Gaule transalpine et les Espagnes. Leur avancée momentanée en territoire ligure ne procura cependant pas aux Romains le contrôle sur la Gaule cisalpine, dont la pacification fut au cœur des préoccupations jusqu’en 188, à la suite de quoi leur attention se tourna presque exclusivement vers la Ligurie.90

De 201 à 181, sur un total de 36 consuls, 16 (44%) reçurent comme province la Ligurie ou les Ligures, 14 (39%) l’Italie, six (17%) la Grèce ou la Macédoine, trois (8%) la Gaule cisalpine en général, un le commandement de la flotte (en 201), un l’Espagne (en 195) et un l’Asie (en 189). Q. Minucius Thermus fut en 193 le premier consul à se faire assigner à la Ligurie, où il resta d’ailleurs deux ans de plus comme proconsul, et de 187 à 181 tous les consuls furent assignés à la Ligurie. Les consuls à se faire assigner l’Italie combattaient surtout, à la frontière nord, les Boii (201, 197-196, 194-192) et les Ligures (200, 197-196, 194-192).91 Les consuls en Gaule cisalpine

avaient à peu de choses près les mêmes tâches (contre les Boii en 194 et contre les Insubres en 188). Pour certaines années, comme en 195, le texte de Tite-Live n’indique que ‘Gaule’ comme

88 Cf Dyson 1986, 94.

89 Liv. 28.46.7-10; cf Strab. 4.6.2.; Dyson (1986, 97) soutient que la destruction de Gênes fut motivée par la volonté

des Carthaginois de s’allier les Ingauni, dont Gênes était la principale rivale pour la domination de la côte.

90 Broughton 1952, I.319-367. 91 Broughton 1952, I.319-350.

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24 assignation, ce qui n’est pas assez clair pour connaître leurs tâches, particulièrement à cause de la tendance des historiens grecs et romains de généraliser les peuples ‘barbares’, qu’ils regroupaient sous l’appellation de ‘Celtes’ ou ‘Gaulois’.92

Les historiens romains, qui attribuaient aux tribus indigènes la tendance à mener des raids sur les territoires au sud du Pô, notamment en Étrurie, qualifiaient les actions romaines de nécessaires à la protection de leur frontière et de leurs alliés. Les Ligures, qui habitaient un territoire peu fertile et surpeuplé, auraient parfois été réduits au pillage pour survivre.93 Par

exemple, dès 201 le consul P. Aelius Paetus, qui avait reçu l’Italie comme provincia, avait chargé le préfet C. Oppius de s’occuper d’une bande de Boii menant des raids sur les territoires avoisinants et d’envahir leur territoire.94 Toutefois, à peine installé le camp romain fut victime d’une attaque surprise et dans la confusion, les troupes retournèrent auprès du consul, qui toutefois réussit à négocier un traité de paix avec les Ingauni avant son retour à Rome. En 200, alors que le préteur L. Furius Purpurio était en charge de la Gaule cisalpine, quelques tribus gauloises sous le commandement de Hamilcar, un général carthaginois, organisèrent un soulèvement dans la région.95 Après avoir reçu de Furius un rapport sur la situation, le Sénat envoya à son aide C. Aurelius Cotta (cos 200) et, à Carthage, des ambassadeurs pour se plaindre de cette violation du traité de paix conclu en 201.96 Cependant, avant que le consul ne soit arrivé sur place, Furius obtint

une importante victoire contre les Gaulois qui, Hamilcar étant mort durant la bataille, mit fin à la rébellion.97 Bref, contrairement aux campagnes romaines dans les Espagnes, les campagnes en

92 Cunliffe 2011, 193-194.

93 Dyson 1986, 89.

94 Liv. 30.40.16; 31.2.5-11; C. Oppius est nommé C. Ampius dans Broughton (1952, I.322).

95 Liv. 31.10.5; cf Briscoe (1973, 82), qui discute des autres apparitions des tribus Insubres, Cenomani, Boii,

Celinibus et Ilvatibus dans Livy.

96 Liv. 31.11.1-6, 19.1. 97 Liv. 31.22.1-3.

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25 Gaule cisalpine, aux portes de l’Italie, sont pour la plupart présentées comme défensives et nécessaires. Cela affectait également les stratégies employées, puisque contrairement aux conflits étrangers dans lesquels les Romains pouvaient choisir de s’impliquer ou non d’une année à l’autre, la défense de l’Italie nécessitait un renouvellement constant de troupes et de ressources.

L’année 197 marqua le début d’efforts concertés par les Gaulois pour repousser l’avancée romaine en Gaule cisalpine. Les deux consuls s’étant fait assigner l’Italie comme province, C. Cornelius Cethegus (cos 197) alla en Gaule pour faire face à une révolte des Cenomani et des Insubres.98 Constatant que les Boii, qui craignaient que les consuls joignent leurs légions et les écrasent, avaient rejoint l’alliance gauloise, Q. Minucius (cos 197) mena ses troupes dans le territoire Boii où lui-même se livra à des opérations de pillage, ce qui convainquit les Boii de quitter l’alliance pour aller défendre leur territoire.99 Cette technique de diversion fut utilisée à maintes reprises contre les guerriers ligures combattant dans les montagnes. Également, en 193, les Ligures se rebellèrent en une coniuratio, ravageant le long de la côte même au sud de Pisa, à la frontière méridionale de leur territoire.100 La ville de Pisa elle-même fut encerclée par les Ligures puis délivrée par Minucius, qui passa le reste de l’année à protéger les alliés de Rome des environs, les « populationibus agrum sociorum » menacées par le pillage des Ligures.101 Le mot coniuratio, rébellion, suggère également l’existence d’un certain degré d’ordre social et politique qui avait déjà été établi dans la région par les Romains et contre lequel se soulever. L’an 187 marqua le début d’une concentration de la force militaire romaine contre les Ligures, présentée

98 Liv. 31.29.6

99 Liv. 32.31.1

100 Liv. 34.56.1-3; cf Dyson 1986, 98; cf Briscoe (1981, 136). Voir Annexe B, « Carte de Gaule cisalpine ». Selon

Briscoe (1981, 136), l’utilisation du mot coniuratio suggère un degré d’organisation élevé.

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26 cette fois-ci par certains historiens antiques comme une réponse aux raids effectués sur les territoires des nouvelles colonies romaines de Bononia et de Pisa.102 Bien que Tite-Live précise

que C. Flaminius (cos 187), après avoir accepté la capitulation des Ligures Freniates, vainquit également les Apuani et pacifia la région,103 la Ligurie durant les années suivantes fut ravagée par les troupes romaines, qui pourtant ne rencontrèrent que de rares poches de résistance.104

Un intérêt de Rome dans la région de la Gaule cisalpine était l’abondance de terres disponibles pour, notamment, la fondation de nouvelles colonies.105 Les colonies de Placentia et

de Cremona, toutes deux fondées en 218 sur les rives du Pô, furent souvent victimes des raids gaulois. Durant la révolte de 200, Placentia fut détruite et Cremona assiégée avant que les troupes romaines n’arrivent pour secourir les colons, qui ne purent retourner chez eux qu’en 198.106 Les colonies subirent des dommages important, d’où la décision de L. Valerius Flaccus (cos 195), pourtant assigné en Italie, de passer le reste de l’été après sa victoire sur les Boii près de Placentia et de Cremona, afin de réparer «les choses ayant été démolies par la guerre».107 Les affrontements, qui firent de nombreuses victimes parmi les colons, furent certainement l’un des facteurs ayant rendu nécessaire l’ambassade à Rome de représentants des deux colonies, qui demandaient l’envoi de nouveaux colons.108 C. Laelius (cos 190) fut alors chargé de recruter 6 000 nouvelles familles de colons, suite à quoi il proposa également de fonder deux nouvelles colonies en territoire Boii.109 La proposition ayant été acceptée par le Sénat, ces colonies furent probablement celles

102 Liv. 39.1-2; cf. Broadhead 2007, 155; Dyson 1986, 40, 100. 103 Liv. 39.2.1, 4-5.

104 Liv. 39.20.

105 Voir Chapitre 4, Aspect politico-idéologique. 106 Liv. 31.10.3; 32.26.3.

107 Liv. 34.22.3; « quae […] bello dirutant » 108 Liv. 37.46.9-10

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27 fondées en 183 à Parma et Mutina, la fonction de ces dernières étant, en plus de la croissance de la population romaine forçant à relocaliser des citoyens en dehors de Rome, de surveiller les territoires nouvellement acquis par Rome.110

La Gaule cisalpine, en particulier la Ligurie, est très présente au IIe siècle dans les assignations annuelles des provinces aux magistrats. Les guerres d’importance extérieures au territoire romain ne manquaient pourtant pas à cette époque : notamment, la Deuxième Guerre macédonienne de 200 à 197;111 la Guerre séleucide de 191 à 188;112 et la Guerre étolienne de 191

à 189.113 De 200 à 198 le Sénat romain assigna un consul par année à la Deuxième Guerre macédonienne (T. Quinctius Flamininus (cos 198) étant resté sur le terrain en qualité de proconsul en 197), puis de même de 191 à 189 à la Grèce pour la Guerre séleucide (en 188 un légat seul, L. Manlius Vulso, resta en Asie pour obtenir un serment de paix d’Antiochos).114 Alors que le Sénat désirait comme l’année précédente assigner l’Italie aux deux consuls, M. Claudius Marcellus (cos 196) tenta de se faire assigner la Macédoine, mais fut contrecarré par deux tribuns de la plèbe, Q. Marcius Ralla et C. Atinius Labeo, qui menacèrent d’opposer leur veto à un tel changement d’assignation.115 Marcellus échoua donc à les convaincre de maintenir une armée en Grèce et resta en Italie, d’où il envahit le territoire des Boii et remporta un triomphe contre les Ligures et les Comenses.116

110 Dyson 1986, 101; Laurence, Cleary et Sears (2011, 39-40) présentent Cremona et Placentia comme des exemples

de colonies en territoire liminal.

111 Broughton 1952, I.323-334. 112 Broughton 1952, I.352-367. 113 Broughton 1952, I.352-360. 114 Liv. 38.39.1; Plb. 21.43.2.

115 Liv. 33.25.4-6; cf Briscoe (1973, 297), qui fait remarquer la différence de position entre Tite-Live et Polybe

(18.42.3), qui présente Marcellus comme étant opposé à la paix elle-même et non seulement au repli des troupes.

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28 La situation se reproduisit lorsque P. Cornelius Scipio Africanus (cos 194), assigné comme son collègue à l’Italie, témoigna l’avis que la Macédoine devrait être attribuée à un nouveau consul et non pas rester assignée à un proconsul, le tout afin de démontrer, selon Tite-Live, de l’intérêt romain et donc de dissuader Antiochos d’entrer en guerre contre Rome. Le Sénat rejeta encore une fois la proposition et retira les troupes romaines de Macédoine.117 De même, après un désaccord concernant l’assignation des provinces entre le Sénat et M. Aemilius Lepidus (cos 187), qui désirait remplacer soit M. Fulvius soit Cn. Manlius, deux civils commandant des armées consulaires en Europe et en Asie, le Sénat régla la question en rappelant les troupes à l’étranger et en attribuant tout de même la Ligurie aux deux consuls.118 Il a été avancé que cette décision était justifiée davantage par une absence de besoin militaire dans l’est que par une opposition directe à Lepidus.119 Cependant, cet affrontement peut être situé dans le contexte de l’opposition entre les Scipions – dont Lepidus, membre de la famille des Aemilii, était probablement un allié – et leurs rivaux, notamment démontrée lors du célèbre procès.120 Cette volonté récurrente des magistrats de désirer les assignations dans l’est plutôt que dans le nord peut être attribuée aux territoires plus riches ainsi qu’aux victoires plus glorieuses dans l’est. En effet, le mode de vie pastoral des Gaulois et des Ligures produisait peu de richesses à piller, de même que les batailles de petite envergure étaient moins à même que les guerres contre les rois hellénistiques de mériter un triomphe aux

117 Liv. 34.43.4-8; cf Briscoe (1981, 116-117), qui mentionne comme autre motivation de Scipio une rivalité

personnelle, et non seulement politique, entre ce dernier et Flamininus.

118 Liv. 38.42.8-12; cf Briscoe (2008, 151), qui soutient que l’entêtement de Lepidus à ‘voler’ sa province à M.

Fulvius serait issu d’une opposition de nature davantage personnelle que purement politique; cf Briscoe (2008, 152), qui précise que l’usage du terme « citoyens privés » par Tite-Live pour décrire les deux généraux est une «

exagération rhétorique ».

119 Briscoe 2008, 152. 120 Cf Briscoe 2008, 151.

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29 généraux.121 Dans ce contexte, le commentaire de Tite-Live qui, après avoir rapporté qu’en 193 pour la première fois la Ligurie fut attribuée individuellement à un consul, précise que les deux consuls « ne s’attendaient à aucune guerre cette année-là », surprend, même si peu de temps après les élections les Ligures se soulevèrent.122

De plus, contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre d’ennemis au mode de vie et de combat tribal, les Ligures n’étaient pas la source de victoires faciles pour les Romains. Les tribus ligures, vivant sur l’embranchement des Alpes et des Apennins, contrôlaient de fait l’étroite bande côtière entre les montagnes et la mer ligure.123 Leur pauvreté aurait fait d’eux une source de mercenaires aussi tôt que le Ve siècle, lorsqu’ils sont mentionnés comme ayant combattu avec les Carthaginois contre les Siciliens à la Bataille d’Himera.124 Les compétences militaires acquises dans de telles circonstances et rapportées en Italie furent utilisées contre les soldats romains, dont les cohortes combattant en lignes étaient mal préparées à faire face à une guerre de guérilla et à des raids éclairs.125 Les Ligures, qui auraient été désavantagés dans un combat de lignes, utilisaient contre les Romains leur connaissance du terrain à leur avantage. En 193 et en 186, notamment, ils piégèrent les troupes romaines dans des passes étroites, typiques de la topographie montagneuse ligure, et les massacrèrent. Q. Minucius Thermus (cos 193), lorsqu’il fit face à ces tactiques, envoya des soldats mettre feu aux villages ligures, poussant ainsi ses assaillants de retourner défendre leurs maisons dans les vallées, rendant de ce fait l’avantage aux Romains. 126

121 Dyson 1986, 88, 94.

122 Liv. 34.55.6-56.1; “nihil eo anno billi expectantibus consulibus”. 123 Dyson 1986, 87.

124 Diod. 11.1.5; cf Dyson 1986, 92-93. 125 Roth 2009, 75.

126 Liv. 35.4.4-7, 11.4-5; 39.2.8, 20.5-7; cf Briscoe (2008, 292), qui discute la décision de Q. Marcius Philippus (cos

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30 Les différentes méthodes employées pour intégrer la région à l’empire romain constituent un thème essentiel pour comparer la conquête de la Ligurie à celle de la Gaule transalpine. Contrairement aux Espagnes, la Ligurie n’était pas une source importante de ressources naturelles. Cependant, deux facteurs, entre autres, aidèrent à l’intégration des Ligures au système économique et social romain.127 D’abord, en raison des circonstances géographiques qui contribuèrent à plusieurs de leurs défaites, les Romains développèrent des méthodes pour déloger les Ligures de leurs montagnes. Ces derniers, forcés de cultiver la terre, étaient davantage à même d’être intégrés au système économique et social romain. Les Romains de plus construisirent des routes liant les territoires conquis au réseau de l’empire.128 Notamment, C. Flaminius (cos 187), après avoir vaincu les Ligures Apuani ravageant les territoires de Pisa et de Bononia, employa ses troupes à construire une route de Bononia à Arretium, à laquelle Aemilius joignit sa propre route de Placentia à Ariminum.129 La raison de ces travaux telle qu’avancée par Tite-Live était d’occuper les soldats ;

il a cependant été avancé que la présence de troupes romaines servait à contrôler la frontière est des Apuani.130 En effet, la construction de routes par l’armée servait principalement au déplacement de troupes et de ravitaillements. Dans les faits, ces routes aidèrent également à l’intégration des Ligures au réseau commercial romain, en cela qu’elles «encouraged the importation of trade goods».131 La construction par Sp. Albinus Postumius Magnus (cos 148), dont

le nom apparaît sur une borne miliaire, d’une route entre les villes de Cremona et de Genoa,

127 Dyson 1986, 100.

128 Chouquer (2010, 111) qualifie la voie « d’instrument essentiel de pénétration et d’organisation de la conquête » ;

Py (1990, 624) avance, au sujet de la Gaule méridionale mais pouvant être généralisé à tout l’empire, que le réseau des routes construites par les Romains pré-datait probablement ces derniers et avait probablement été un facteur important dans le développement des habitats indigènes et de leur commerce.

129 Dyson 1986, 40 ; Liv. 39.2.4; 10; cf Briscoe (2008, 214). Voir Annexe B, « Carte de Gaule cisalpine ». 130 Briscoe 2008, 214.

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