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NATIONS UNIESINSTITUT AFRICAIN IE DEVELOPPERENT ECONOMIQUE
ET DE PLANIFICATION DAKAR
idep/et/cs/2379-24 WSY£3
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SE1iINAIRE - COURS SUR LE DUALISME RURAL AU MAGHREB : PROBLEMES ET
POLITIQUES
Alger 13 Novembre - 8 Décembre 1972
les aspects JURIDIQUES DE LA IIODERNISATION RURALE EN AFRIQUE DU NORD RURALE
par
Albert GUILLAUME *
Novembre 1972
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Voici bien longtemps déjà que les techniciens mettent sur pied
des programmes de modernisation agricole au
Maghreb,
sans prendregarde,
parfois, au régime juridique de la propriété et aux modes traditionnelsd1exploitation.
Il a paru utile de rappeler ici quelques données du droit musulman, qui s'applique presque partout dans les trois pays considérés, bien que ce
ne soit pas là oeuvre originale et qu'il s'agisse surtout de résumer des règles qui paraîtront élémentaires aux juristes.
Le droit, dit-on, est le reflet des moeurs. Ce n'est pas le cas dans les pays musulmans, où le droit est issu de la révélation
divine,
maisles savants auteurs qui ont rédigé des ouvrages de droit se réfèrent assez souvent aux usages locaux, qui sont bien, eux, le reflet des moeurs, elles- mêmes constituées d'après les conditions de vie dans la région considérée.
C'est cependant au droit musulman traditionnel et à la législation
moderne que je me
référerai,
car ce sont là les sources essentielles du droit,.Nous aborderons en premier lieu l'étude des principes tradition¬
nels en matière do propriété foncière, puis d'exploitation des terres à l'usage des agriculteurs ou des éleveurs ; après quoi nous rechercherons les possibilités d'adaptation du droit aux exigences des méthodes modernes de
mise, en valeur, ■
PREMIERE PARTIE ; LE SOL
Il faut rappeler sommairement la distinction entre les terres do Kharaj et celles dites autrefois de naiba.
Définition du Kharaj - droits des conquérants ; cas des conversions volontaires, et des tributaires couverts par force - controverses sur la nature des terres cultivées au Maghreb,:
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Los -terres mortes - Définition du Cheikh Sidi KHALIL
(dans
son Mokhtaçar,titre XXI do la traduction
SELGNETTE)
"
la terre morte est celle qui n'appartient à personne".
Cette définition très nette ne tient pa.s compte des droits de l'Etat
... ... S
(Communauté musulmane)
et, du fait de la coutume sans doute, des groupements ethniques, tribus et douars. Elle est complétée par une autre règle fonda¬mentale ci-après
(versets
1204 et 1205 c1-e Sidi Khalil"La,terre morte est acquise au premier occupant, par sa mise en valeur"
Néanmoins,
"si les traces de la première occupation sont effacées depuis longtemps, elle est acquise à celui qui la fait revivre".Importance de cette règle de constitution de la propriété.
Absence de prescription acquisitive, mais possibilité d'écarter tout
preuve contraire en cas de possession utile pendant dix
années,
eu quaranteentre parents ou alliés
(versets
1698 et 1700 de SidiKhalil).
La propriétécréée par la
vivification,
puis lalongue possession, peut disparaître par lacessation des labours et la disparition de toute trace de culture.
Les actes établis à la diligence de toute personne revendiquant une terre étaient et sont encore délivrés sans contrôle efficace de la Justice
eu de 1 'iidministration
(sauf
au Faroe, la procédure de la "bitaqa", et peut-être aussi
ailleurs).
.. _.Faible valeur des vieux actes
(possession interrompu)
Situation .juridique actuelle des terres §
Faits déjà anciens.
- rareté dos actes de propriété sérieuse.
- rareté des partages ; en ca„s de décès, partages de fait souvent injustes
(exclusion
des filles,inégalités)
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- extrême morcellement, surtout, dans les terres irriguées ou riche
ou clans les
héritages
comportant des sols de nature différente- droits dos tiers s créanciers antichrêsistes
(détention précaire,
mais
prolongée)
Associés agricoles s attachés au sol.
Le fellah et les lois nouvelles î
L'immatriculation en Tunisie et au Maroc ; la "francisation" dos terres en Algérie - Advantages évidents, mais aussi inconvénients ;
- éviction des faibles ;
- successions non inscrites 5
- difficulté clcs partages et des remembrements volontaires ; Autres régimes fonciers s
i/
Les terres domaniales sOrigine : - anciennes s
(confiscationSjConquêtes).
L'Etat, c'est la communauté musulmane • - récentes ; reprise des terres de colonisation.
Droits de domaine eminent sur les terres "guich" au Maroc - le
"bencliir" en Tunisie.
Droits de l'Etat sur les forêts.
Terres collectives - Institution traditionnelle et très répandue dans te 1 le monde musulman, mais existant avant l'Islam.
Définition ; propriété des groupements ethniques.
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Consistance s terres de peage ; ou droit de parcours en
forêt
domaniale ; zones de labour avec partages périodiques,
"horm"
desdouars
-parfois,
dégradation
sous formed1 appropriations;pcrnanehtoo, nais
sans possibilité d'aliéner, tout au moins au profit des étrangers ungroupement
Avantages sociaux : chaque chef de famille résidant en tribu a un lopin à cultiver ou à donner en association de culture pour un ou doux ans
le patrimoine tribal est protégé et conservé.
Inconvénients d'ordre économique s obstacle aux améliorations à long terme
(défrichements,
amendements,plantations,..)
puisque personne n'est sûr de recueillir le finit de ses efforts.Remède relatif s les partages en jouissance perpétuelle,
DEUXIEME PARTIE - Le droit et les usages en matière d'exploitation du sol:
L'on est bien obligé de ne pas se limitei" au droit écrit, caar les
données sociales et économiques ont évalué, des usages
anciens ont subsist
d'autres sont nés.
Ces données sont essentiellement :
1. La surpopulation, rendant difficile, les partages' réguliers
des petites propriétés et occasionnant ainsi une insertitude plus grande
sur les droits de chacun ;
2. La disparition des terres mortes, sauf celles vouées au parcour et aux forêts ; ce qui fait do la propriété un droit hériditaire et non
acquis par vivification et longue possession.
Or, le Chran a les mêmes exigences que le droit français
(voir
Sidi Khali1, n°
1666)
et il est difficile de se défendre contre les reven¬dications dos co-héritiers, puisque le délai exigé est de 40 ans
(
Sidi Khalil n°1700).
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dutre causo do recours aux usages s le droit écrit semble se
limiter à dos règles,
générales,
au rappel de principes d'équité s il est dit, par exemple, dans Sicli Xhalil, que lorsque deux personnes s'associentpour cultiver un terrain, le propriétaire a droit à compensation pour la
v leur locative.
De même peur celui qui fournit la semence.
Une fois ces compensations opérées, il y a lieu do partager par
m itié 1: surplus do la récolte lorsque chacun fournit une part de travail.
Les usages relatifs à l'exploitation des terres qui respectent le
droit écrit et tiennent compte des données sociales et
économiques, varient
néanmoins selon les lieux, mais ils se rapprochent tous des types ci-
1. Le faire valoir direct, lorsqu'il s'agit do petites propriété ,
où l'exploitant se fait parfois aider d'un ouvrier, notamment pour 1- moissen
(institution
du"mqatta")
2. Le
"Khamessat",
où le propriétaire fournit le sol, les animauxde trait, l'outillage et la semence ; un associé prête ses bras, qui cons¬
tituent le cinquième élément de la culture. La tradition explique ainsi que ce modeste associé perçoive le cinquième de la récolte, mais s'il est céli¬
bataire, il est nourri par son co-ccntractant, tout au moins durant los jour cù il travaille.
Cette association entre capitaliste et prolétaire est assez
commune, tcut au moins l'était-elle veioi quelques années. Elle rappelle un pou les baux à colonat partiaire en usage dans certains régimes de la France et tient à la fois de l'association et du louage de services.
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3c L'association entre deux •possèdents, ou "charika", où le
propriét:ire du sol n'apporte pas tous les moyens de labour, et se contente
souvent de .ottre le sol à la disposition d'un cultivateur. En ce dernier cas, sa part, dite "sahma", ou "Khobsn"
(on
emploie d'autres termesencore)
est ordinairement du quart ou du tiers, selon la qualité du terrain.
Ci le sol est irrigué et si le propriétaire fournit l'eau, sa p~rt est de la moitié de la récolte.
Lorsque le propriétaire fournit aussi une partie des moyens do culture, sa part varie selon son effort, et au gré des parties.
Dans tous les cas, chacun des associés paie l'impôt au prorata de sa part de récolte.
4» L'association arboricole ou "mogharassa." où l'exploitant
subvient à tous les frais de la plantation et d'entretien, puis devient propriétaire de la moitié de la superficie plantée.
5* I''-a s s c cia.tien d ' é1evage s chacune des parties doit en général
mettre un nombre égal de tetes de bétail
(les
avances de l'une à l'autre sent en ce cas permises etfréquentes);
le troupeau commun est alors confié à l'une d'elles et le croît est partagé selon des conditions à déterminer.Parfois, l'éleveur n'apporte rien et se contente d'une part de croît plus faible
(cas
des citadins achetant un troupeau et le confiant au membre d'un collectivité propriétaire de terres de parcours ou de droits d'usage fores¬tiers)
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Les formes d'exploitation qui viennent d'être énumérées et exposées sommairement ne représentent pas une liste et une êoscripticn complète et précise des modes d'exploitation, agricole traditionnels. Les usages relatés
sont probablement en cours dans tout le Maghreb, mais il y en a d'àutrcs.
Il imperte surtout de montrer comment les sociétés rurales ont su allier le capital et le travail de façon à examiner ensuite comment peuvent évoluer ce
procédés pour satisfaire aux exigences de la modernisation rurale, tout en
respectant le droit foncier local dans ses principes essentiels,
TROISIEME PARTIE : L'adaptation du droit et des usages à l'économie moderne
Il s'agit de supprimer ou d'attenuer le dualisme rural ; de cela,
tout le monde est persuadé, sauf peut-être les paysans arriérés, et il y on
a encore, qui demandent qu'on les laisse en paix, pourvu que
l'impêt
ne scitpas trop lourd. Mais comment f-iire ?
Première exigence : l'apurement .juridique de la propriété.
Motifs : labours profonds amendements, engrais représentant un
investissement important ; il faut que celui qui les engage se sache proprié
taire du sol ainsi amélioré.
Solutions s 1, L'immatriculation foncière, ou tout autre procédé analogue en Algérie où ce système n'existe pas. Le Chrâa est respecté,
puisque les juges statuent sur les oppositions selon le droit foncier local,
c'est à dire le Chrâa complété par les usages.
Au. Maroc, programmes d'immatriculation
d'ensemble,(dans
les périmètres d'irrigationnotamment)
- tarifs réduits ou gratuité.IDEP/ET/CS/2379-24
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2. Le remembrement des propriétés, chacune d'elles ne devant plus comporter qu'un seul lot à limites rectilignes.
Sur le plan juridique, il s'agit d'échanges, conformes à la loi.
Encore faut-il avoir l'assentiment des
co-échangistes,
et ce n'est pas facileà obtenir; cependant, les exemples ne manquent pas de mesures décidées par l'autorité pour le bien public.
Deuxième exigence s la constitution de lots constituant une exploi¬
tation rationnelle i
Exemple du Maroc s cinq hectares de superficie minimale dans les périmètres irrigués ; lotissements constitués grâce à la reprise dos terres de colonisation et à l'expropriation des propriétés des étrangers des habous publics et des terres collectives
(cf.notamment
les décrets royaux du 4 Juil¬let
1989>
dahir du 25 Juillet 1969 formant code dos investissements agricoles.Problèmes : 1. Eviction des. co—propriétaires ou propriétaires absents
ou appelés à des activités nen agricoles.
La'logique exige que l'héritier qui fera procéder sur le bien familial à d'importants investissements
(labours
profonds au tracteur, amendement,engrais
etc)
puisse recueillir les fruits de ses dépenses(ou
de sesemprunts).
Le droit exige que les co—héritiers et les créanciers antichrueistos scient désintéressés.
Ce sont là des problèmes ardus, ne pouvant être réglés qu'avec le
concours de l'Etat. Difficultés s endettement considérable, surpopulation
(beaucoup
deco-héritiers).
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2. Accession à la propriété dos agriculteurs sans terre
(au
I.aroc•décrets des 4 5 Juin
19^9)
.. ..Une simple enumeration traduit mal les difficultés que représente cette forme agraire.
Troisième exigence; l'introduction de la motoculture et des procédés
modernes de culture.
Inconvénients, mais avantages plus grands encore.
Solutions ; 1. création par l'Etat de centres ..de motoculture } premières coopératives agricoles
(travaux
à façcn, engénéral).
2. Adaptation de l'ancien usage de l'association entre agricul¬
teurs pourvus de tracteurs et leurs voisins : part de récolte versée au:
propriétaires s un quart ou un cinquième.
3. Coopératives obligatoires dans les périmètres irrigués
(décret
royal n° 294-66 du 4 juillet1969)
; réalisations analogues e.Algérie et en
Tunisie).
Aspect juridique de ces réformes ;
Dans l'un des dahirs du 25 Juillet
1969»
l'aménagement des structuresfoncières et la création de lotissements dans les périmètres irriguées est déclaré d'utilité publique s c'est dire que le remembrement et la constitu¬
tion des lots de cinq hectares cités plus haut, sont imposés aux habitants
pour satisfaire à l'intérêt général;
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Ailleurs, il est dit que l'action de mise en valeur de l'Etat a
pour but de "satisfaire les besoins en produits végétaux et animaux".»,
(article
1er du dahir de base du 25 Juillet 19^9 sur les investissementsagricoles)
et que la mise en exploitation des terres agricoles ou à vocati agricole est obligatoire en dehors des périmètres irrigués ou des zonesd'assainissement^article
50 ûe ce mêmetexte).
Il s'agit des terres deculture en --sec où le—travail n'est pas strictement organisé, et où les agriculteurs sont pris dans un système laissant assez peu de place à la liberté. Tout ceci au nom de l'intérêt général, qui exige le sacrifice de certaines libertés publiques.
Discussion sommaire s Le Chrâa et les libertés publiques,les pouvo de contrainte des dirigeants.
La réponse est donnée à ces questions, dans la doctrine
malékite,
par la définition de l'intérêt général figurant dans la Tohfa d'Ibn Ace
L'Iman Kalik admet que le chef d'un'Etat puisse contraindre les individus dans l'intérêt
général,
disons comme les législations modernes, "peur caus d'utilité publique". Et c'est donc sans déroger au droit musulman qu'on a pu, au Maghreb comme ailleurs, prononcer l'expropriation de propriétés privées et aujourd'hui lancer la réforme, agraire.-Sans doute aussi la notion de "liberté publique" n'avait—elle pas la même rigueur à l'époque que dans le droit moderne.-Í-—
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Conclusion
C'est donc sans enfreindre le droit musulman traditionnel que des dispositions légales récentes ont pu
bouleverser,
le mot n'est pas trop fors le régime de la propriété dans certains régimes et aussi, obliger les agri¬culteurs à mettre en valeur rationnellement leurs terres, à observer au programme de culture et
d'assolement,
à confier les gros travaux à une coopé¬rative qu'ils devront constituer et faire vivre.
Mais quels tourments de telles réformes occasionnent dans le coeur
de ces paysans habitués, de tout temps, à des
procédés,
à des usages si radicalement opposés aux pratiques modernes. L'individu est quelque pou sacrifié au groupe, au moins provisoirement.Oui certes, mais il faut que cosse peu à peu le dualisme rural : le changement sera facilité par
l'existence
d'usages communautaires, d'embryons de vie communale, encore vivants dans les vieilles structures sociales restes intactes. Mais ce qui facilitera plus encore l'adhésionsincère et profonde des agriculteurs aux réformes proposées, c'est la convic¬
tion que personne ne peut soutenir sérieusement que ces réformes sont contraintes au droit.