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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue

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Academic year: 2022

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Cahiers de praxématique 

52 | 2009

La reformulation

Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue

Understanding and Redrafting Texts in an Unfamiliar Language Sonia Gerolimich

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/praxematique/1405 DOI : 10.4000/praxematique.1405

ISSN : 2111-5044 Éditeur

Presses universitaires de la Méditerranée Édition imprimée

Date de publication : 1 janvier 2009 Pagination : 109-132

ISSN : 0765-4944 Référence électronique

Sonia Gerolimich, « Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue », Cahiers de

praxématique [En ligne], 52 | 2009, mis en ligne le 09 novembre 2013, consulté le 08 septembre 2020.

URL : http://journals.openedition.org/praxematique/1405 ; DOI : https://doi.org/10.4000/

praxematique.1405

Tous droits réservés

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Cahiers de praxématique,,-

Sonia Gerolimich

Università degli Studi di Udine

Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue

. Aspects théoriques et méthodologiques

.. Objectifs du travail

L’objectif de notre travail est de nous pencher sur les stratégies mises en œuvre par les locuteurs-lecteurs qui se trouvent dans la situation de devoir comprendre des discours produits dans une langue étran- gère inconnue et de les reformuler dans leur propre langue. Dans cette optique, nous nous plaçons dans le cadre des études sur l’intercompré- hension en langues apparentées qui existent depuis plus d’une dizaine d’années. Plusieurs stratégies mises en œuvre pour la compréhension ont déjà été mises en évidence dans différents travaux (Castagne,; Blanche Benveniste,,, entre autres). Les inférences élaborées par les locuteurs pour favoriser la compréhension s’appuient nécessai- rement sur leurs connaissances antérieures, et en particulier sur leur bagage linguistique ; mais aussi d’autres savoirs implicites sont mobi- lisés, ainsi que Berrendonner l’évoque en indiquant les éléments qui constituent, ce qu’il appelle, la mémoire discursive, et qui correspond en quelque sorte au savoir partagé :

Figurent tout d’abord les divers prérequis culturels (normes communi- catives, lieux argumentatifs, savoirs encyclopédiques communs, etc.) qui servent d’axiomes aux interlocuteurs pour mener une activité

déductive. (Berrendonner,,)

La reformulation de ces locuteurs dans leur propre langue apparaît alors comme une trace de leur activité déductive à l’œuvre dans leur opération de compréhension.

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 Cahiers de praxématique,

.. Méthode de recueil des données

Pour ce faire, nous avons soumis cinq types de textes à deux caté- gories distinctes d’italophones, n’ayant jamais étudié le français : des étudiants universitaires et des lycéens. Toutefois, s’agissant de deux populations distinctes, nous avons proposé des textes différents correspondant mieux à leurs centres d’intérêts respectifs.

Le premier texte, l’unique qui soit identique pour tous les sujets, est un formulaire d’inscription pour un séjour linguistique en France.

Deux autres textes ont été donnés seulement aux universitaires : il s’agit d’un article de journal portant sur le tremblement de terre de L’Aquila en Italie, intitulé Séisme / Italie — Polémiques autour des normes antisismiques et d’un article critique présentant le film Gomorra, inspiré dubest-sellerhomonyme de Roberto Saviano. Pour les lycéens, nous avons proposé des textes davantage à leur portée, à savoir les comptes-rendus des filmsLa vie est bellede Benigni, et Da Vinci Codede Ron Howard. La consigne a été la même pour chaque groupe d’étudiants : ils devaient « traduire les textes comme ils le pou- vaient, en fonction de ce qu’ils comprenaient, et signaler s’ils avaient déjà vu ou lu les œuvres en question».

.. Préambule

Selon Jakobson (), une distinction doit être faite entre la traduc- tion interlinguale (entre deux codes distincts) et la traduction intralin- guale (à l’intérieur du même code), à laquelle certains préfèrent réser- ver le terme de reformulation. Mais on peut considérer que toute tra- duction est unereformulationsi on entend par ce terme « tout proces- sus de reprise d’un énoncé antérieur qui maintient, dans l’énoncé refor- mulé, une partie invariante à laquelle s’articule le reste de l’énoncé, partie variante par rapport à l’énoncé source » (Martinot,,).

. Par un questionnaire préliminaire, nous nous sommes assurée qu’ils n’ont jamais eu de contacts prolongés avec le français, si ce n’est de façon occasionnelle, comme lors d’un voyage touristique.

. L’effet qu’a pu avoir la connaissance préalable de l’œuvre s’est révélé assez peu significatif. Au niveau local, la compréhension n’en a pas été favorisée. En outre, si cela a permis à nos sujets de rétablir une certaine cohérence discursive, elle s’est sou- vent faite au détriment de la fidélité au texte source. En effet, la réminiscence des faits a généralement pris le pas sur les indices textuels.

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

Le simple fait de transposer dans un autre code comporte une varia- tion, car au-delà des différences formelles, le passage à un autre code implique nécessairement le passage à une autre façon de voir le monde, la référence à d’autres repères socioculturels, ainsi que nous aurons l’occasion de le voir.

Dans le travail que nous présentons ici, les traductions sont obtenues à partir de textes en langue inconnue et ne peuvent donc pas être mises sur le même plan qu’une « traduction » au sens classique du terme. Car, si on admet l’assertion de Lederer que :

Seule une excellente connaissance de la langue originale donne directe- ment accès au sens ; seule une excellente maîtrise de la langue d’arrivée permet la réexpression adéquate de ce sens. (Lederer,,)

Il apparaît tout de suite que, dans notre cas, la première condition n’est pas remplie. En partant de ce constat, il est clair que ce qui va nous occuper ici principalement ce n’est pas tant la transposi- tion d’une structure linguistique dans une autre mais plutôt la façon dont le sens provenant du code source est perçu, comment il est re- construit ; toutefois il est indéniable que le transfert dans l’idiome du lecteur est l’unique moyen d’accéder à l’interprétation qui est faite du texte source.

Par ailleurs, il est désormais acquis par les théoriciens de traductolo- gie que l’activité de traduction est soumise à deux pôles : « la fidélité à l’auteur du texte source » et la « fidélité au destinataire du texte » (Nida,,). Or, dans le cas qui nous occupe, ce n’est que vers le premier pôle que nos lecteurs-scripteurs sont orientés. En outre, contrairement à un véritable traducteur, ce pôle est plus difficilement atteint par nos sujets. En réalité, c’est avant tout la fonction référen- tielle du texte qui peut être captée et retransmise alors que les autres fonctions du texte, comme les fonctions expressive et conative, souvent plus implicites et soumises à des connivences de type culturel, sont moins facilement interceptées.

Nos étudiants se sont donc consacrés entièrement à la tâche d’inférer le sens du texte qu’ils avaient sous les yeux, sens qu’ils ont retransmis dans leur propre langue, sans se préoccuper de la forme du

. Il est question ici de la traduction de situations discursives authentiques et non d’exercices de traduction où seule la traduction formelle compte.

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 Cahiers de praxématique,

texte produit. La finalité de cette mise en mot est par là différente de celle du traducteur qui se soucie surtout « de restituer ce vouloir dire sous une forme qui le rend compréhensible à une personne d’une autre culture » (Lederer,,).

Ainsi, il faut s’attendre à trouver dans le texte d’arrivée des parties manquantes, des altérations du sens, voire même des incohérences. On peut cependant faire l’hypothèse que ces informations déviantes seront toutefois limitées, vu que tout locuteur s’attend à retrouver des infor- mations cohérentes dans les discours auxquels il est confronté, à ce que les lois du discours soient respectées (Ducrot,; Grice,).

Tout au plus, s’il se trouve dans l’impossibilité de rétablir la cohérence du discours, il laissera de préférence une partie du texte incomplète.

À travers les reformulations obtenues, il nous est alors possible de cer- ner en partie les opérations mentales sous-jacentes à l’interprétation des textes.

On va donc dans un premier temps observer les cas où nos sujets se sont montrés à même de reformuler correctement le sens du texte source (désormais T.S.), même quand celui-ci était peu transparent.

Nous montrerons qu’au-delà des capacités logico-déductives des locu- teurs, c’est la familiarité de ces derniers avec des situations discursives similaires ou la reconnaissance de certains mots ou expressions déjà rencontrés auparavant qui vont leur permettre la reconstruction du sens. D’autre part, nous mettrons en évidence que certaines reformu- lations déviantes, ne reprenant pas correctement le sens du T.S., sont des indices significatifs de l’existence de zones de résistance dans les opérations de découverte du sens. Enfin, nous évoquerons la capacité de certains de nos sujets à reformuler fidèlement le noyau sémantique de quelques énoncés sources (désormais E.S.), malgré l’opacité des élé- ments morphosyntaxiques des énoncés en question, tout en utilisant des structures linguistiques alternatives à celles du T.S.

. Recours aux connaissances antérieures

Pour avoir accès au sens du texte, en plus des formes qu’il va pouvoir reconnaître, le lecteur néophyte va devoir réactiver d’autres formes de connaissances enfouies dans sa mémoire ou prendre appui sur d’autres modèles textuels équivalents. Il y a alors synergie entre les indices textuels et le savoir extra-linguistique (Klein, ). On peut parler

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

d’un va-et-vient entre ces deux niveaux opératoires, l’un local et l’autre plus global.

.. Reconnaissance des formes linguistiques

... Niveau local (micro-linguistique)

Capucho (, ), en reprenant Castagne (), affirme que

« du moment que % des éléments lexicaux peuvent être identi- fiés sans peine, la “compréhensibilité” de la langue-cible devient possible ».

Cela est le cas surtout des langues apparentées, dont la ressemblance phonique ou graphique des lexèmes permet d’établir une réelle cor- respondance (on parle dans ce cas de mots transparents, que Mas- peri (, ) appelle les « vrais amis » par opposition aux « faux- amis »). Mais à ces mots facilitateurs, il faut ajouter d’autres éléments faisant partie du bagage linguistique de tout locuteur : les motsinter- nationaux(tels queE-mail), ceux qu’ils connaissent à travers d’autres langues étrangères (tels que strict (anglais),travail (espagnol)), mais aussi des mots français appartenant à une sphère d’expérience spéci- fique, rencontrés au hasard des circonstances ou d’autres encore qu’il est possible d’inférer grâce à leur association avec d’autres mots.

Mots tirés d’une sphère d’expérience spécifique

Le sens de certains mots peut être reconnu par un groupe spécifique d’informateurs : ainsi dans notre étude, le motdébutant, présent en ita- lien avec un sens quelque peu différent, est correctement interprété par un plus grand nombre d’universitaires. Il s’avère que c’est surtout au moment où ils entreprennent des études supérieures que les étudiants sont confrontés à la notion de niveaux de langue.

En réalité, tout locuteur est confronté tôt ou tard à un mot ou à un autre d’une langue qu’il ne connaît pas pour l’avoir rencontré lors d’un voyage ou parce qu’il s’agit d’un de ces mots qui circulent d’un pays à l’autre. Certains mots sont plus facilement véhiculés à l’inté- rieur d’une communauté spécifique que dans une autre. En effet, de fins gourmets ayant voyagé en France reconnaîtront le motpoissonen le rattachant à la « soupe de poisson ». Mais ce mot sera aussi reconnu

. Nos sujets devaient également traduire oralement un horoscope et un grand nombre d’entre eux ont eu des difficultés à comprendre le motpoisson.

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 Cahiers de praxématique,

à travers le souvenir d’une chanson de Walt Disney entendue dans leur enfance (en l’occurrence dans le film La petite sirène). D’autres, en revanche, rattacheront la prépositionavecà ce refrain si célèbre en Italie « voulez-vous coucher avec moi ce soir ».

Collocations

Signalons également les cas d’associations de mots, ayant un haut degré de corrélation, sûrement déjà entendus dans des contextes anté- rieurs, proches du point de vue thématique. On peut parler ici à l’instar de Moirand () de discours réitérés, au fil du temps, de formula- tions médiatiques récurrentes qui fixent larencontre des mots. C’est le cas en particulier du syntagmedéchets toxiques, dont le sens a été correctement reformulé par la plupart des universitaires (rifuiti tossici ouscorie) alors que les signifiants dans les deux langues sont très éloi- gnés l’un de l’autre ; il s’agit en fait d’une expression récurrente dans les nouvelles italiennes. Le lecteur italophone a pu, à partir du mot toxique, transparent pour lui, inférer le mot déchets et d’ailleurs, ce mot, associé quelques lignes plus loin à l’adjectifdangereux, n’a pas été reconnu et n’a donc pas été traduit. Ainsi que Uzcanga-Vivar (,

) l’explique, en reprenant Mel’cuk,

[...] maîtriser une langue, c’est maîtriser sa combinatoire lexicale res- treinte. En effet, si le lecteur décode par transparence la base de la collocation, il parvient à inférer par transférence le collocatif, même si celui-ci est formellement opaque.

... Niveau global (macro-linguistique)

Devant un texte à déchiffrer, même opaque, tout locuteur a généra- lement des attentes liées à la situation communicative, à la provenance du texte. Desanticipations thématiques(Lopez Alonso & Séré,,

) sont envisageables. Dans le cadre de notre expérience, nos sujets ont pu prendre appui sur le champ sémantique lié au thème général du texte proposé : en effet, le titre et/ou l’en-tête était toujours volontaire- ment suffisamment clair, pour leur permettre de s’appuyer également sur des connaissances convergentes de type socioculturel. Dans ce cas, le lecteur met en œuvre tout ce qui relève du savoir partagé.

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

Connaissances encyclopédiques partagées

En ce qui concerne les connaissances encyclopédiques (qui peuvent être tirées de l’expérience du monde mais aussi de discours antérieurs sur les mêmes thèmes), on constate qu’elles sont activées surtout dans la construction sémantique globale du texte, pour donner une cer- taine cohérence interprétative du texte. Ainsi, dans le compte-rendu de La vie est belle, la date, , devient significative, même pour celui qui n’a pas vu le film. C’est de cette façon que le sens de mots opaques commelois(danslois raciales) oujuif s’éclaire, permettant la construction du sens. De même, le mottracasseriesdans l’énoncé :

Malgré les tracasseries de l’administration fasciste

(T.S. :La vie est belle) sera reformulé par différents mots, non nécessairement synonymes, mais recouvrant malgré tout une des significations du mot origi- nel :ostacoli(obstacles)ingiustizie(injustices),restrizioni(restrictions), pressioni (pressions), imposizioni (impositions), impedimenti (empê- chements). Dans un cheminement sémasiologique, il est possible de reconstruire le sens du texte, car la signification n’est pas simplement véhiculéemaisreconstruiteet chaque mot est pris dans l’enchaînement discursif du texte. C’est ainsi que le mot chef signifiant cuisinier en italien, retrouvera son sens originel dans le texte surGomorraoù il est question de Mafia. Mais cette activité métacognitive de rationalisation permet également de dégager le sens de mots totalement opaques ainsi qu’on a pu le constater dans le texte portant sur le séisme de L’Aquila, où les mots décombres, bilan, blessés, sans abris, tentes, sauveteurs, écroulés, totalement opaques pris isolément, sont devenus significatifs dans leur contexte :

« Les opérations de secours ne prendront fin que dans  heures quand nous aurons la certitude qu’il n’y a plus personne sous les décombres », a déclaré ce soir Silvio Berlusconi. Le dernier bilan est donc demorts, blessés dont une centaine dans un état grave.

(T.S. :Séisme Italie) Il y a dévoilement progressif du sens : la simple évocation du nombre de morts permet d’activer le sens du motblesséqui à son tour va acti- ver celui desans-abri et enfin celui de bilan. Nos lecteurs procèdent probablement par associations argumentatives(expression empruntée

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 Cahiers de praxématique,

à Galatanu, ), rendues possibles grâce à leur connaissance du monde, mais aussi aux nombreux discours médiatiques qui ont porté sur ces thèmes. On pourrait même avancer, comme c’est le cas pour le tremblement de terre, que même les expériences non vécues deviennent à travers le discours médiatique des situations familières facilement reconstructibles.

Il n’est pas toujours aisé de distinguer ce qui relève d’une interpré- tation basée sur les savoirs empiriques, ou sur les discours antérieurs.

Mais nous pouvons malgré tout avancer que la reconnaissance de cer- tains termes commebilansont liés à une certaine habitude du discours journalistique. De même, les mots sans-abri ou tente appartiennent aux nombreux discours faits antérieurement sur ce thème. C’est le cas également de l’interprétation correcte de l’expressiondéchet toxique, citée plus haut, qui pouvait recevoir d’autres acceptions telles quesub- stance toxique mais qui a été rendue possible là encore par les dis- cours médiatiques qui circulent depuis quelque temps sur le thème de la Camorra.

Mais pour reconstruire le sens du texte qu’il a sous les yeux, le locu- teur ne s’appuie pas uniquement sur les éléments linguistiques pré- sents dans le texte. Il a recours également à d’autres indices tels que la structure textuelle.

.. Appui sur la structure textuelle

Selon le texte à déchiffrer, les lecteurs vont nécessairement mobiliser leurs connaissances relatives à différents genres textuels, déjà rencon- trés auparavant dans leur propre langue et qui font partie de leur expé- rience de lecteur. En effet, chaque genre a ses caractéristiques propres qui en permettent la reconnaissance immédiate ainsi qu’Alberts (,

) l’évoque :

Le genre est défini comme un modèle d’architecture information- nelle caractérisée par une récurrence d’attributs structurels (forme), une dominante thématique (contenu) et une fonction normée (fonction) [...].

Il ajoute que :

Le genre facilite l’accès au texte et le repérage des indices de surface.

(Ibid.,)

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

C’est donc déjà au niveau de la macrostructure que se situe la construc- tion du sens du texte : le lecteur est en mesure d’élaborer des schémas textuels et d’établir de cette manière les premières inférences.

... Le formulaire

Précisons d’emblée que le formulaire doit être considéré comme un texteà part entière, même si toutes les phrases ne sont pas actualisées et que les liens entre les différents items ne sont pas explicites. Il forme en fait un tout qui se tient, avec un même propos et une même fonction discursive ; il est en fait construit à partir d’une syntaxe iconique, dont les liens sont implicites.

Le formulaire d’inscription correspond à un genre textuel nécessaire- ment déjà rencontré, à une situation linguistique à laquelle il est facile que nos lecteurs aient déjà été confrontés ; il correspond à un « schéma d’action standardisé » (Moeschler et Reboul,,).

En effet, sur une dizaine d’informateurs interrogés d’abord sur les mots isolés, puis en contexte, un seul a été capable de donner la signification denaissance, alors qu’au moment de déchiffrer le formu- laire aucun n’a hésité devant le syntagme : date de naissance. Nous avons obtenu un résultat identique avec le mot chambre ou le mot niveau, dont le sens n’a été déchiffré que grâce aux options requises à la ligne suivante entredébutants, faux débutant, intermédiaire, avancé.

Ou encore, l’interprétation erronée en contexte isolé dedébutant(géné- ralement traduit par debuttante (novice) a été, dans le formulaire, généralement modifiée et remplacée par principiante, plus adéquate.

Ce dernier aspect montre que l’obstacle des faux amis est très vite évincé en contexte, et qu’il ne pose donc de problèmes qu’au niveau de la production.

Nos lecteurs, connaissant la fonction et la structure des formulaires, n’ont pas eu de difficultés à rétablir les liens sous-entendus entre les différents items du texte.

... Les comptes-rendus de films

En ce qui concerne les autres textes, l’appui sur l’organisation tex- tuelle est moins immédiat puisque le niveau de français de nos sujets

. Enquête supplémentaire menée pour confirmer les observations de notre étude.

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 Cahiers de praxématique,

ne leur permet pas de reconnaître certains indices essentiels caractéri- sant les différents genres textuels, tels que la morphologie verbale ou les connecteurs.

Mais à ce niveau, en choisissant de leur présenter des comptes-rendus de films nous avons limité l’apport de ces indices, difficiles à recon- naître si ce n’est après quelques heures d’apprentissage ; en effet, les comptes-rendus de film, qui pourtant ont le but de reproduire la struc- ture événementielle du récit, se distinguent du discours narratif à pro- prement parler par une structure plus linéaire et un emploi des temps plus simple (généralement le présent).

D’ailleurs, selon Noyau (), lecompte-renduest un :

[...] récit purement factuel, non interprété ni mis en relief, simple structure chronologique éventuellement accompagnée d’éléments descriptifs [...]

ou, pourrait-on ajouter, causatifs. Ce qui est à retenir, c’est donc l’absence quasi-totale de hiérarchisation. Cela explique probablement la plus grande facilité que nos apprentis lecteurs éprouvent devant ce type de texte, puisqu’ils se montrent capables, pour la plupart, de res- tituer quasi-parfaitement les deux comptes-rendus des filmsLa vie est belleetDa Vinci Code, qu’ils aient vu le film auparavant ou non. Dans ces deux comptes-rendus, les événements sont présentés de façon chro- nologique, avec quelques indications d’ordre causal, d’ailleurs souvent implicites, sans connecteur.

Nos sujets se montrent, en effet, à même de combler leurs lacunes de compréhension en insérant malgré tout l’événement attendu, cor- respondant à un moment précis du récit ; par exemple dans le compte-rendu deLa vie est belle, la phrase :

Comme dans les contes de fée, Guido l’enlève le jour de ses fian- çailles, [...]

qui a posé des problèmes de compréhension à tous nos informateurs, a pourtant été reprise par des énoncés du type :

(LG) Guido chiese alla giovane di sposarlo (Guido demanda à la jeune fille de l’épouser),

(LM) per Guido, arriva il giorno del fidanzamento (pour Guido, arrive le jour des fiançailles) [...]

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

qui relatent bien une situation équivalente à celle du T.S. De même, le syntagmechercher le bonheurdans la phrase : « il quitte la campagne toscane pour chercher le bonheur en ville » a été à plusieurs reprises traduit par cercare lavoro (chercher du travail), ce qui correspond à une situation très proche de l’E.S. Citons encore la reformulation du segmentle train qui les emmèneparil treno pieno di deportati(le train plein de déportés), qui en est très éloignée linguistiquement, mais cor- respond bien à la réalité des faits et surtout au contenu informationnel du segment originel.

... Compte-rendu critique et article journalistique

À l’opposé, les deux autres textes, le compte-rendu du filmGomorra, ainsi que l’article de journal relatant le séisme de L’Aquila, ont posé davantage de problèmes de compréhension. Dans ces deux cas, en effet, il n’y a pas de linéarité chronologique et le récit des événements est entrecoupé de commentaires de l’auteur. Très probablement, le pas- sage d’un plan à l’autre empêche nos sujets de suivre un fil conducteur.

Leur expérience préalable de lecteurs en langue maternelle les pousse à rechercher la cohérence du texte, mais celle-ci est masquée par des éléments interruptifs que nos lecteurs novices ont du mal à repérer comme tels. C’est alors la connaissance du monde, transmise en parti- culier par les médias, qui supplée à leurs difficultés de compréhension, ainsi que Moirand l’exprime :

Le discours des médias jouerait un rôle dans la remontée en mémoire des savoirs antérieurs et dans la construction des savoirs partagés.

(Moirand,,)

En effet, dans le texte sur le séisme, la dernière phrase pose des problèmes d’interprétation : « Ce qui veut dire que les construc- teurs ont pu se passer de contrôles plus stricts », dus surtout à la non-reconnaissance de la morphologie verbale. Toutefois, grâce à la connaissance de la situation véhiculée par les médias, diverses refor- mulations de cet énoncé reprennent le concept exprimé, à savoir que les contrôles techniques ne sont pas très fiables, sans être à même de comprendre que le verbe est au passé et que le sens de la forme réflé- chie est différent de celui de la forme simple (se passer de#passer des contrôles) :

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 Cahiers de praxématique,

(U)Questo vuol dire che i costruttori non passano controlli più stretti (Cela veut dire que les constructeurs ne passent pas de contrôles plus stricts),

(U)Il che vuol dire che bisognerebbe fare controlli più stretti (Ce qui veut dire qu’il faudrait faire des contrôles plus stricts).

. Mise au jour de zones de résistance à la compréhension Ce type d’activité de reformulation, qui est ici de type scolaire mais qui correspond aussi à la situation de nombreux touristes, permet de mettre au jour ce qui constitue des zones de résistance dans l’activité de compréhension de la part d’un lecteur étranger. Notre analyse de cette mise en mots nous a porté à distinguer principalement deux types de comportements, constituant chacun une entrave à une interpréta- tion correcte du T.S. Dans un cas, il s’agit de la propension des lec- teurs à être influencés par l’aspect strictement formel du mot, perdant de vue le contenu de base du message. Le deuxième cas est en revanche lié à leurs habitudes socioculturelles.

.. Influence linguistique

Un des aspects les plus évidents du corpus est le nombre élevé de mots incorrectement compris à cause de leur analogie avec un mot de leur langue. Dans le formulaire, ils abondent. Ainsi nous trouvons paysąpaese (village), villeąvia (rue), êtreąentrare (entrer) ; dans ce dernier cas cependant, pour la question du formu- laire « Accepteriez-vous d’être dans une famille [...] ? », à côté des nombreuses reformulations assez peu acceptables telles que :

Accettereste d’entrare in / presso / da una famiglia[...]?

(Accepteriez-vous d’entrer dans / auprès / chez une famille [...] ?), on trouve des solutions alternatives comme l’emploi des verbesallog- giare / soggiornare / risiedere / abitare presso(séjourner / résider / habi- ter auprès de), essere accolti da (être accueilli par), correspondant à des reformulations plus adéquates, inférées grâce au contexte, et qui rétablissent mieux le sens premier, sans constituer une véritable traduction.

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

Nos analyses confirment les observations des études sur l’incompré- hension, à savoir que le recours à un savoir antérieur de type linguis- tique est dans un premier temps très limité :

L’approche des congénères était inhibée par le manque quasi-total de conscience des possibilités d’exploitation et de traitement « philolo- gique » qu’offre une langue voisine. (Masperi,,-) Cette lacune, comme on l’a vu précédemment, est largement compen- sée par d’autres stratégies de reconnaissance du sens, s’appuyant sur différentes connaissances antérieures. Toutefois, dans le cas où aucun moyen ne leur permet d’élucider le sens d’un mot, l’établissement d’un lien analogique entre le mot opaque du T.S. et un autre mot de leur langue prend le dessus, allant jusqu’à violer les règles de cohérence dis- cursive. C’est ainsi que la plupart de nos informateurs ont reconstruit dans le compte-renduLa vie est belle, la phrase « Guido rêve d’ouvrir une librairie » par :

Guido riesce ad aprire una libreria(Guido réussit à ouvrir une librairie) décrivant ainsi une situation totalement différente du T.S. Nos sujets se sont probablement basés sur la similitude phonétique entre les formes verbales rêve en français et riesce en italien, toutes deux syntaxiquement possibles dans la structure en question.

Cela va dans le sens de Dabène (,) qui a constaté que lesrepré- sentations métalinguistiquesrelatives à leur langue maternelle prennent le dessus par rapport aux données objectives.

.. Influence des représentations métalinguistiques

Pour définir ce que nous entendons parreprésentations métalinguis- tiques, nous reprenons ce que Houdebine dit à propos de ce qu’elle appellel’imaginaire linguistique:

Elle [la causalité subjective] témoigne d’un rapport du sujet à la langue, plus ou moins conscient, déterminé en partie par des causa- lités externes, telles la hiérarchisation et la légitimation sociales de tel

. D(,) circonscrit la signification de cette expression aux « outils heuristiques à caractère métalinguistiques » que tout individu élabore pendant son parcours de découverte du sens.

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 Cahiers de praxématique,

ou tel usage, variété ou langue ; ou internes, c’est-à-dire déterminées par les représentations, fictions ou rationalisations que le sujet élabore eu égard aux usages ou à la langue, ceci sans transparence à lui-même ou aux autres. (Houdebine-Gravaud,,)

En effet, dans nos données, un certainimaginaire linguistiquel’emporte parfois, dans certaines conditions sur les indices d’ordre textuel ou sur la fonction interactive du discours en question.

Les cas les plus éclatants sont apparus dans le formulaire, où la quasi- totalité des sujets ont interprété erronément plusieurs items, dont deux de façon massive :

NOM-Prénom: ces deux termes ont été pris l’un pour l’autre, – emploi du vouvoiement : levousde politesse a généralement été

interprété comme unvouspluriel.

Dans les tableaux suivants nous avons reporté les taux, plutôt bas, d’interprétation correcte de certains termes du formulaire, qui ont posé des difficultés :

Tableau: Taux (occurrences) d’interprétation correcte de termes du Formulaire Université () Lycée technique

()

Lycée scientifique ()

Moyenne

NOM/Prénom % () % () % () %

Petit déjeuner % () % () % () %

Débutant %()

% ()

% ()

% ()

% ()

% ()

%

%

Tableau: Reformulation (taux (occurrence)) du vouvoiement dans le Formulaire Université () Lycée technique

()

Lycée scientifique ()

Lei* % () % ()

Lei*/voi** % () % ()

tu/voi** % ()

Total Lei*/tu % () % ()

voi** % () % () %

Lei*vousde politesse, voi**“vouspluriel

Lei/voi — tu/voi“emploi alterné des deux types de pronoms (avec prédominance devoi).

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

a NOM-Prénom

Dans le cas de l’interprétation inversée de ces deux termes, on observe qu’il n’y a de la part du lecteur néophyte ni ana- lyse du préfixe (prédeprénomąsens d’antérioritéąqui précède le nom), ni attention aux indices textuels comme la présence de lettres capitales dans le texte pour l’indication du patro- nyme : « NOM ». Et dans la majorité des cas, nos sujets n’ont pas eu une seconde d’hésitation, montrant ainsi que la pos- sibilité d’un sens différent ne les effleurait pas. Il s’agirait là d’un cas defigementconcernant la représentation attribuée à ce binôme : l’un est simple (nome“prénom) et l’autre est composé (cognome“patronyme), de même qu’en anglais (name — sur- name). La construction du sens s’arrête là, ne va pas au-delà. Par ailleurs, nous avons observé l’habitude assez répandue chez les Italiens d’antéposer le prénom par rapport au patronyme dans les documents officiels ; nous n’excluons pas cette explication, ou même les deux conjointement.

b Vouvoiement

On est également étonné d’observer que le vouvoiement n’est pas interprété comme tel, mis à part chez un nombre très réduit surtout d’universitaires. La nature interactive de ce document a donc été mal interprétée. Malgré l’existence deVoicomme forme de politesse sous le régime fasciste en Italie, le rapprochement avec le vous français n’a pas été fait. Il a été tout simplement transféré auvoi italien,epersonne du pluriel, qui correspond difficilement à une forme de politesse et qui n’a pas lieu d’être dans ce formulaire, puisqu’il est adressé de toute évidence à un seul individu.

Une rapide enquête sur les habitudes italiennes en ce qui concerne ce type de formulaire nous a amenée à constater que ce rituel social est moins figé qu’il ne l’est en France. De même qu’en Italie le placement du prénom avant le nom est loin d’être rare dans les formulaires, une différence a également été relevée quant au pronom employé dans les questionnaires. On trouve indifféremment l’emploi duvous pluriel, duLei de poli- tesse ou du pronom tude deuxième personne du singulier. On peut avancer l’hypothèse qu’en italien, la deuxième personne du pluriel (voi) étant nécessairement utilisée dans les formulaires

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 Cahiers de praxématique,

adressés à des sociétés, à des entités plurielles (comme en fran- çais d’ailleurs), son emploi ne heurte pas, et passe sans pro- blèmes même quand il est adressé à un particulier. Cela montre que certains actes sociaux sont à ce point intériorisés, ritualisés, qu’ils ne sont soumis à aucune analyse consciente.

c Petit déjeuner

Le lexèmepetit déjeuner a difficilement été compris par la plu- part de nos sujets, malgré son co-texte (présence des mots demi-pension et dîner) ; une partie d’entre eux l’ont interprété comme unpetit petit déjeuner, à savoir comme undéjeuner fru- gal. Comme on le sait, un mot composé perd sa caractéristique compositionnelle, ce qui fait qu’un lecteur natif l’analyse comme une seule unité de sens. Si au contraire l’expression en question n’est pas connue, comme c’est le cas ici, elle reste composition- nelle et correspond ainsi à la somme des mots qui la compose.

Mais ce qu’il faut retenir, c’est que la plupart de nos informa- teurs ont été déroutés par la présence de petit et ont orienté leur interprétation en fonction de l’image véhiculée par cet adjec- tif plutôt que de s’en remettre à la situation contextuelle, pour- tant très éclairante. Par ailleurs, parmi le petit nombre de sujets qui ont su l’inférer, il est intéressant de remarquer que c’est le mot composé italien qui a été privilégié :prima colazioneau lieu decolazione.

Ici encore, comme pour le cas du binômeNOM-Prénom, il appa- raît que, pour accéder au sens de l’énoncé, l’indice linguistique semble avoir été privilégié par rapport aux indices co-textuels et situationnels.

Il s’agit là d’exemples qui montrent bien que la connaissance préalable de certains items peut empêcher la correcte compré- hension plutôt que de l’y aider. Ceci est assez compréhensible dans le cas d’expressions lexicalisées comme le sont les mots petit déjeuner oufaux débutant, où le mot faux perd en partie son sens premier, entraînant une certaine perplexité même chez des étudiants qui comprennent l’adjectiffaux. Dans ces cas de coalescence le lecteur se trouve encore plus confronté à l’opacité de la langue.

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

À la difficulté de la langue, s’ajoute en fait le problème du déca- lage culturel. Même dans notre cas, où l’italien et le français sont très proches culturellement, on trouve des rituels sociaux dif- férents, qui apparaissent comme un obstacle à l’interprétation d’un texte, même si le contexte s’avère très clair. Les exemples sont nombreux et confirment l’assertion de Eco (, -) qui rappelle que l’on vit « à l’intérieur d’un système sémiotique que la société, l’histoire, l’éducation ont organisé pour nous».

Il s’agit là d’habitudes interprétatives préalables, liées à l’usage social, dont il est nécessaire de se libérer au moment où on aborde un texte d’une certaine difficulté.

. Reformulations à partir d’une compréhension globale (non analytique)

Ainsi que l’explique Eco (), dans l’activité de traduire, il est sou- vent nécessaire denégocier le sens, de l’adapter au nouveau code, de faire des choix. Il faut toujourslimare via(raboter) quelques-unes des conséquences que le terme originel impliquait. C’est au moment de l’interprétation que le traducteur décide quels sont les éléments du T.S.

qu’il peut écarter et ceux qu’il doit au contraire nécessairement garder.

En traduisant on ne dit jamais la même chose, mais l’important c’est de maintenir à travers la reformulation le même effet global que dans le T.S. Dans le cas de nos sujets, la situation est différente puisque leur méconnaissance du système employé dans le texte les empêche de pouvoir faire des choix réfléchis et judicieux ; toutefois, sans néces- sairement comprendre tous les mots qui composent l’énoncé, ils se montrent à même de le reformuler en reprenant les éléments essentiels, qui en constituent le sens principal.

Dans notre corpus, ceci apparaît principalement pour les deux comptes-rendus de films, où la quasi-totalité du texte est presque tou- jours restituée. Pour compenser leurs lacunes, nos lecteurs-scripteurs n’hésitent pas à employer des termes génériques leur permettant de transmettre le sens global de l’énoncé même si certains mots restent opaques ; c’est le cas du motparvenudans l’énoncé

. Traduit par nous.

. « Tradurre significa sempre “limare via” alcune delle conseguenze che il termine originale implicava »(E,,).

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 Cahiers de praxématique,

Dora est promise à un parvenu, un bureaucrate du régime

(T.S. :La vie est belle) qui a été remplacé par un potente (un homme puissant) ou par un altro (un autre), certainement plus neutres mais ne nuisant pas à la signification globale de l’énoncé.

De la même façon, le segment « pour chercher le bonheur » est refor- mulé plusieurs fois par cercare fortuna (tenter sa chance), de sens équivalent, ou encore dans la phrase :

Dora monte de son plein gré dans le train qui les emmène

(T.S. :La vie est belle) qui contient beaucoup de mots opaques mais a été le plus souvent bien interprétée, nous obtenons pour « qui les emmène », les reformulations suivantes :che stava per partire / partendo(qui était sur le point / en train de partir),che li trasporta(qui les transporte),che li ha rapiti(qui les a enlevés), pieno di deportati (plein de déportés). Ici encore, par une reformulation quelque peu distante du mot originel, nos sujets rendent l’idée du T.S., à savoir que Dora part avec sa famille, dans le même train.

Au contraire, dans les deux autres textes, il est difficile de trouver des énoncés reformulés dans leur totalité ; il s’agit le plus souvent de parties d’énoncés, souvent non reliées entre elles, quand elles ne sont pas carrément déviantes. Les parties les mieux reformulées sont celles qui présentent les faits bruts, sans commentaires particuliers, comme pour des phrases du type : « On en est à morts et toujours des milliers de sans abris. » Signalons tout de même les reformulations de quelques-uns de nos sujets qui ont su reprendre correctement une opposition cruciale présente dans l’E.S. suivant :

La preuve, les vieux palaces et les édifices du passé restaient debout à côté des décombres des dizaines et dizaines d’immeubles et maisons modernes qui se sont écroulées comme des feuilles.

(T.S. :Séisme Italie) (U) La pretura, i vecchi palazzi e gli edifici resistettero a lato delle macerie delle decine e decine di edifici e case moderne che sono crollate come xxx.(Le tribunal, les vieux palais et les édifices résistèrent à côté des décombres des dizaines et dizaines d’édifices et maisons modernes qui se sont écroulés comme xxx.)

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

(U) In breve, i molti palazzi e gli edifici del passato sono rimasti intatti al contrario delle nuove decine e decine di immobili e ville moderne che sono crollati tutti come fogli di carta.(En bref, les nombreux palais et les édifices du passé sont restés intacts au contraire des nouvelles dizaines et dizaines de « biens immobiliers » et de villas modernes qui se sont écroulés comme des feuilles de papier.)

Les mots passé et modernes de l’E.S. les ont probablement orientés dans leur interprétation et permis d’inférer le sens derester deboutetà côté. Leurs difficultés au niveau local, identifiables à travers des erreurs de traductions comme molti (beaucoup) pour vieux ou bien pretura (tribunal),in breve(en bref) pourla preuve, des imprécisions comme biens immobiliersouvillas(U), ou même l’absence de certains mots comme la comparaison avec lesfeuilles(U), ne nuisent aucunement au sens global de l’énoncé.

Signalons encore l’emploi de mots globalisants permettant, non seule- ment de substituer des mots non compris, mais de condenser la signifi- cation de plusieurs mots ; ainsi dans l’article surGomorra, la deuxième partie de l’énoncé :

Roberto Saviano montre l’horreur des pratiques mafieuses et leur poids grandissant au sein de l’économie

est condensée de la manière suivante :

il suo immischiamento nell’economia(son intromission dans l’écono- mie).

La liste pourrait être encore longue ; nous nous limitons à donner un dernier exemple des stratégies employées par nos cryptologues pour reformuler le sens qu’ils ont capté sans bien connaître chacun des mots à déchiffrer ; pour contourner le risque de mal interpréter un mot, en l’occurrence le verbe montrer dans l’E.S. ci-dessus, qui leur semble trop proche de leur langue (montrer“mostrare), certains pré- fèrent employerdescrivere(décrire),raccontare(raconter) oumettere in luce (mettre en lumière) qu’ils peuvent associer au contexte sans aucune hésitation.

Ainsi, ces exemples mettent en évidence que, quand les locuteurs sont capables d’inférer le sens global de l’énoncé, leurs reformulations

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 Cahiers de praxématique,

s’attachent à reproduire avant tout le contenu qu’elles véhiculent, plutôt que la forme linguistique employée au niveau local.

. Conclusion

Nos résultats ont révélé que si, d’un côté, nos apprenants lecteurs pouvaient avoir recours à diverses connaissances antérieures pour interpréter et reformuler au mieux le texte auquel ils étaient confrontés, ils se sont heurtés, de l’autre, à certains aspects à la fois linguistiques et culturels, constituant de véritables obstacles à leur découverte du sens.

Tout en évitant de comparer leur activité de reformulation du sens à celle des traducteurs, qui doivent connaître les deux codes à la per- fection et se préoccuper de la mise en forme dans la langue d’arrivée, un rapprochement essentiel peut être fait. Notre analyse des reformu- lations d’un texte en langue inconnue va dans le sens de Lederer qui considère que « la rémanence des signes sur le papier rend la tâche diffi- cile » ; selon elle, en effet, on ne peut exprimer les idées que si elles sont libérées de leur « gangue verbale originelle », que si on « déverbalise » (Lederer,,).

Cela rejoint en quelque sorte ce principe, rappelé par Eco (,), et désormais évident en traductologie, que la traduction ne se fait pas entre deux codes linguistiques mais entre deux textes, avec tout ce que cela comporte de situation contextuelle. Ceci sans compter que chaque langue a sa propre vision du monde. Notre travail a, en effet, mis au jour l’existence et surtout le poids d’énonciations stéréotypées qui cor- respondent à des représentations collectives gravées dans le discours de la langue.

Comme le dit Dabène (, ), le lecteur est amené à mettre en œuvre, lors de son

[...] activité cognitive de construction du sens, un ensemble complexe de processus parmi lesquels la langue joue un rôle, certes détermi- nant, mais filtré, médiatisé, réinterprété et entrant en collaboration avec d’autres composantes de son univers cognitif.

Le lecteur procède certainement de manière non linéaire, faisant inter- agir les différents indices entre eux, et opérant un va et vient entre son

. « La traduzione, ed è principio ormai ovvio in traduttologia, non avviene tra sistemi, bensì tra testi »(E,,).

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Comprendre et reformuler des textes en langue inconnue 

activité inférentielle et les éléments textuels, évitant donc de s’arrêter à ces derniers quand cela lui est possible. Cette étude a surtout per- mis de renforcer le principe que pour reformuler la substance princi- pale d’un énoncé sans risquer de l’altérer, il est important de se déta- cher de la structure qui la renferme. Il est alors plus facile de la rever- ser dans un autre moule, plus familier aux destinataires, leur rendant ainsi cette substance plus intelligible. Cela montre que, dans le cas du transfert d’une langue à une autre, la compréhension globale du sens du texte, quand elle est détachée de la formulation du T.S., permet une reformulation plus appropriée car plus conforme à l’esprit de la langue cible.

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