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Enseigner la physique dans le monde moderne Ce que nous apprend la thŽorie du rŽcit

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Academic year: 2022

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Enseigner la physique dans le monde moderne Ce que nous apprend la thŽorie du rŽcit

FRITZ KUBLI

BaŸlistrasse 26, CH-8049, ZŸrich

ABSTRACT. Teachers make use of stories in their teaching, even if they are not aware of it. Narrative theory has developed conceptual instru- ments which are helpful in analysing the teaching process, such as the con- cepts of authoring, of addressivity and answerability, of intertextuality or of the voices noticeable in a text, etc. These notions, mainly developed by the Russian linguist Mikhail Bakhtin (1895-1975) with regard to literature, can be used to improve science teaching as well, if they are connected to the epistemology of his compatriot L. S. Vygotsky (1896-1934), who was an excellent psychologist with long-lasting influence on the development of this discipline.

1 LÕhomme cultivŽ du 21e si•cle Ð ˆ quel point sera-t-il dŽfini par ses connaissances en sciences naturelles?

Apr•s plus de trente ans de service dans lÕenseignement de la physique au niveau du lycŽe, on est inclinŽ ˆ prendre une position rŽaliste vis-ˆ-vis de cette question. LÕŽcole a changŽ pendant ce temps, est il est clair quÕelle changera encore dans les annŽes ˆ venir. LÕancien canon va •tre remplacŽ par une variŽtŽ de sujets ˆ choisir, la diversification du savoir laissant une libertŽ ˆ chaque Žl•ve de crŽer son curriculum individuel Ð libertŽ qui Žtait presque inimaginable dans lÕŽducation de notre gŽnŽration. Les sciences naturelles, si elles veulent encore jouer un r™le dans lÕunivers intellectuel de lÕhomme cultivŽ (et de la femme cultivŽe, bien sžr!) sont appelŽes ˆ sonder le marchŽ (idŽe horrible ˆ tous ceux qui croient encore en la valeur bien dŽfinie des connaissances scientifiques) et ˆ prŽsenter leur produit dans des cadres ac- ceptables par les consommateurs. Car ce seront les consommateurs qui dŽci- deront, et qui dŽcideront selon des crit•res pragmatiques et souvent utilita- ristes. Les reprŽsentants des disciplines scientifiques dans le syst•me scolaire seront exposŽs ˆ la concurrence dÕun savoir qui semble garantir dÕ•tre convertible en revenus monŽtaires rŽels et calculables.

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Quelles sont donc les attitudes de nos clients vis-ˆ-vis des sciences natu- relles? Ils nÕy sont pas hostiles de prime abord, mais montrent plut™t une indiffŽrence qui est souvent la suite dÕun manque de connaissances de ce en quoi cette pensŽe consiste. Les enseignants sont donc invitŽs ˆ attiser une flamme qui menace de sÕŽteindre si lÕoxyg•ne nÕest pas amenŽ en quantitŽ suffisante. Reste ˆ savoir sous quelle forme cette nourriture peut •tre dŽlivrŽe dÕune mani•re efficace et professionnelle, et quelles connaissances sont utiles ou m•me indispensables pour tous ceux qui sont dŽsignŽs ˆ se vouer ˆ la t‰che difficile de montrer le charme de cette mani•re de penser, et de faire na”tre la satisfaction profonde quÕelle peut donner aux Žtudiants qui ont vain- cu leur rŽticence initiale. Car sans •tre professionnels, les enseignants ris- quent de perdre leur client•le, au dŽtriment dÕune Žducation qui mŽriterait encore dÕ•tre appelŽe gŽnŽrale. Ceci implique que lÕinstituteur de lÕavenir devra non seulement disposer de connaissances dans la discipline quÕil ensei- gne, mais aussi dans les techniques de communication efficace (ce quÕon appelait dans le temps les art libres).

2 La psychologie moderne Ð aidera-t-elle les enseignants en sciences naturelles ˆ accomplir leur devoir?

Le monde est en train de changer dans toutes les domaines, y compris les sciences de lÕhomme. La psychologie moderne a acquis une base empiri- que pour soutenir ses thŽories, et elle a non seulement pris contact avec des disciplines voisines, mais a tirŽ des consŽquences fructueuses de ces ren- contres. Les enseignants des sciences naturelles peuvent profiter de ces rŽsultats ˆ plusieurs Žgards Ð et espŽrons que ceci sera le cas aussi pour les Žtudiants!

La psychologie a subi un changement de paradigme qui influence la conception moderne de lÕenseignement. Il sÕagit de la mise en Žvidence du fait que les Žtudiants sont forcŽs de construire leur savoir, bien quÕils soient guidŽs dans leur construction par les exposŽs de leurs ma”tres. Le constructi- visme sÕest installŽ non seulement en philosophie Ð o• il a ŽtŽ enracinŽ par les idŽes de Kant Ð mais aussi dans la psychologie de la connaissance, o• un des grands mentors de ces idŽes a enrichi la culture fran•aise, le psychologue du dŽveloppement Jean Piaget qui a basŽ ses idŽes sur des observations du dŽveloppement de la pensŽe enfantine.

Piaget a intŽgrŽ lÕŽtude des processus dÕapprentissage dans une thŽorie gŽnŽrale du dŽveloppement. Il a montrŽ, dÕune part, que lÕenseignement fructueux nŽcessite du c™tŽ des enseignŽs lÕacquisition de moyens de com- prŽhension qui sont Žtroitement liŽs a une certaine Žtape du dŽveloppement

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intellectuel. On ne peut pas enseigner un sujet sans vŽrifier si les conditions nŽcessaires ˆ sa comprŽhension sont dŽjˆ disponibles. Et il a montrŽ, dÕautre part, que lÕapprentissage, m•me si ces facultŽs sont acquises, nŽcessite un processus de construction qui est dŽterminŽ par lÕactivitŽ de lÕenseignŽ.

LÕenseignement est fructueux si lÕenseignant arrive ˆ inciter une action rŽci- proque avec la pensŽe de lÕŽl•ve.

La psychologie moderne a Žgalement ŽtudiŽ ces processus de construc- tion dans le domaine des sciences naturelles. Les idŽes spontanŽes des Žl•ves ou Žtudiants ont ŽtŽ explorŽes et enregistrŽes (voir la bibliographie de Pfundt

& Duit 1994), et lÕon conna”t aujourdÕhui les erreurs qui sont engendrŽes quand les enseignŽs suivent leurs idŽes spontanŽes. Si les concepts enseignŽs sont en contradiction avec les idŽes spontanŽes, et si ces divergences ne sont pas discutŽes et ŽliminŽes, les Žl•ves Žprouvent une certaine frustration qui peut inciter m•me un dŽsintŽressement total. Il est donc nŽcessaire que les enseignants connaissent les cheminements de la pensŽe spontanŽe des Žtu- diants. Assez souvent, lÕhistoire des sciences nous indique que les grands penseurs ont suivi des voies pareilles qui ont menŽ dans les m•mes impasses (GalilŽe est dÕune sincŽritŽ rafra”chissante ˆ ce point de vue). La connais- sance des dŽviations et des dŽtours des enseignŽs et de lÕhistoire des sciences aide donc ˆ donner des cours vivants qui trouvent la rŽsonance nŽcessaire.

Mais cette connaissance est-elle aussi une condition suffisante pour un enseignement fructueux? Le doute est permis, comme la rŽalitŽ le montre bien.

3 La contribution russe ˆ lÕentendement des processus dÕenseignement Le mouvement du constructivisme ŽpistŽmologique qui a ŽtŽ discutŽ jusquÕici a trouvŽ une correction et un complŽment important de la part de deux auteurs russes, surtout par le philosophe du langage Mikhail Bakhtin et son compatriote L. S. Vygotsky. Les Ïuvres des deux savants ont subi le m•me destinÊ: interdites au temps du stalinisme, elles nÕont ŽtŽ dŽcouvertes que vers les annŽes soixante et ont alors provoquŽ un immense intŽr•t, pour ne pas dire dŽclenchŽ un boum extraordinaire. Les pionniers de cette redŽ- couverte et les disciples les plus Žminents appartiennent, ˆ part des savants russes, ˆ la culture anglo-amŽricaine, ce qui explique que la bibliographie se rapporte surtout ˆ des traductions anglaises.

Le psychologue Vygotsky a ŽtŽ inspirŽ par les deux premi•res Ïuvres de Jean Piaget. Sa contribution ˆ la discussion gŽnŽrale est, entre autres, celle dÕavoir montrŽ lÕimportance de lÕappui du langage interne dans la rŽsolution de probl•mes qui nŽcessite de lÕintelligence. Plus dŽtaillŽ que Piaget, et plus prŽcis que lui, il a montrŽ la filiation de lÕintelligence individuelle avec

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lÕintelligence de lÕentourage social. La pŽdagogie moderne a empruntŽ de lui la conception de lÕŽchafaudage (scaffold), cÕest-ˆ-dire de lÕappui des dŽmar- ches spontanŽes de lÕenseignŽ par les commentaires de lÕenseignant qui peu- vent •tre utilisŽes par lui. Scaffolding est devenue la mŽthode qui inspire les experts de la didactique Ð une inspiration lŽgitime et fructueuse si elle est prŽcisŽe.

Cette prŽcision a ŽtŽ donnŽe par les instruments conceptuels dŽveloppŽs par Mikhail Bakhtin. Contrairement ˆ Vygotsky, qui est mort de tuberculose en 1934, Bakhtin a survŽcu ˆ la terreur stalinienne, m•me sÕil a ŽtŽ condamnŽ et exilŽ, et a pu reprendre son activitŽ universitaire jusquÕˆ sa mort en 1975.

Il a enrichi notre conception ŽpistŽmologique par une analyse dŽtaillŽe du processus narratif, surtout par une analyse du roman et des techniques artisti- ques des grands romanciers du 19e si•cle. Quelques-unes de ces idŽes et no- tions, qui sont devenues classiques, seront discutŽes plus tard en relation avec lÕanalyse de lÕenseignement des sciences naturelles.

4 Les procŽdŽs narratifs dans les sciences naturelles et dans lÕenseignement

Avant de passer ˆ lÕenseignement, il est nŽcessaire de souligner le fait que les narrations ont une place incontestable dans la communication scienti- fique. Les grandes acadŽmies ont ŽtŽ fondŽes, on le sait, pour systŽmatiser lÕexpŽrience scientifique qui est, avant dÕ•tre codifiŽe, une expŽrience indivi- duelle. La narration de cette expŽrience est une Žtape indispensable pour •tre reconnue. Le beau livre de Shapin & Shaffer, par exemple, appelle lÕattention sur la finesse que Robert Boyle consacrait ˆ la description de ses expŽriences.

Il entrait dans ses livres en discussion avec ses lecteurs quÕil considŽrait comme ses ÇtŽmoins virtuelsÈ. Il tenait ˆ dŽcrire ses expŽriences avec une prŽcision qui ne permettait pas le moindre doute sur ce qui sÕŽtait passŽ, pre- nant ainsi son lecteur tr•s au sŽrieux.

La science nÕest pas possible sans la volontŽ de communiquer ses pro- pres expŽriences aux autres et sans la volontŽ de comprendre et dÕassimiler les expŽriences dÕautrui. LÕexamen dÕun manuel de physique ou de chimie nous montre ˆ quel point la science est accumulation dÕexpŽriences Ð qui sont nŽcessairement les expŽriences dÕautrui Ð racontŽes sous une forme qui nous permet dÕen profiter. La thŽorie du rŽcit est donc applicable aux procŽdŽs ŽlŽmentaires de communications scientifiques.

Si lÕon examine maintenant lÕenseignement des sciences naturelles, on remarque vite quÕil englobe deux tendances importantes. DÕune part, il fait

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rena”tre les expŽriences des grands savants, souvent dans une forme quasi originale. DÕautre part il introduit et justifie le langage officiel, engendrŽ par la communautŽ scientifique. Il dŽveloppe ainsi le syst•me conceptuel qui est ˆ la base de tout conception valable. Ces deux tendances peuvent •tre Žclair- Žes par lÕanalyse des procŽdŽs narratifs.

Ceci devrait •tre suffisant pour reconna”tre lÕimportance dÕune thŽorie des procŽdŽs narratifs dans lÕenseignement des sciences naturelles. Il vaut la peine dÕŽtudier les circonstances dans laquelle elle devient fructueuse. La narration nous permet dÕobjectiver notre expŽrience, de lÕorganiser et de la comprendre dans un syst•me communicable. Elle est lÕinstrument pour en prendre conscience. Si lÕŽtudiant est capable de donner un rŽsumŽ correct de ces expŽriences, il a vraiment compris de quoi il sÕagit.

Un dernier argument pour Žtudier le processus narratif est la simple ob- servation que lÕattention des Žl•ves augmente quand ils se rendent compte que lÕenseignant va raconter une histoire. Les coll•gues qui rencontrent le plus de succ•s sont ceux qui sont des narrateurs douŽs. LÕinformation qui est organisŽe dans une histoire est plus accessible ˆ lÕentendement et ˆ la conser- vation dans la mŽmoire. En racontant des anecdotes bien choisies, nous diffu- sons une certaine familiaritŽ avec lÕesprit scientifique. Celui-ci nÕest pas seulement un procŽdŽ pour arriver ˆ des conclusions correctes, bien au plus, cÕest une mani•re de voir le monde.

5 La contribution de la thŽorie du rŽcit ˆ lÕenseignement scientifique La thŽorie du processus narratif a ŽvoluŽ surtout dans la deuxi•me moi- tiŽ du 20e si•cle. Jean-Michel Adam, Wayne Booth, Seymour Chatman, Frank Kermode, Robert Alter et Meir Sternberg sont quelques savants Žmi- nents qui ont travaillŽ dans ce domaine. Mikhail Bakhtin fut le prŽcurseur de cette Žvolution qui resta longtemps dans lÕombre de lÕhistoire. Et il pr•tait gŽnŽreusement ses idŽes ˆ dÕautres, par exemple ˆ V. Voloshinov, ˆ tel point quÕon peut se demander si les livres de celui-ci nÕŽtaient pas rŽdigŽs par Bakhtin lui-m•me. Ceci permet de discuter quelques idŽes de sa thŽorie du rŽcit sans distinguer soigneusement leur origine exacte. On les trouvera plus ou moins prŽcisŽes dans les Žcrits de Bakhtin, bien quÕelles aient ŽtŽ formul- Žes ensuite par dÕautres, indŽpendamment de lui. LÕessentiel est le service que ces idŽes peuvent rendre ˆ lÕenseignement des sciences.

Certes, on peut se demander si la thŽorie du rŽcit est le meilleur instru- ment pour discuter de cet enseignement. La parall•le entre la communication par un texte Žcrit et lÕenseignement est nŽanmoins Žvidente. Dans les deux cas, existe dÕune part lÕauteur de la communication, les mots et les circons-

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tances qui forment lÕensemble du texte, et dÕautre part le lecteur ou le public ˆ qui il doit •tre adressŽ. Dans le cas du texte Žcrit, les moyens dÕanalyse ont ŽtŽ dŽveloppŽs par la thŽorie du rŽcitÊ: analyses qui peuvent •tre transposŽes ˆ la communication orale, mais aussi et surtout ˆ lÕenseignement des sciences naturelles.

6 Auteur impliquŽ et lecteur impliquŽ dans lÕenseignement

La thŽorie du rŽcit analyse le texte sans considŽrer lÕauteur actuel. Elle trouve cependant un auteur impliquŽ dans le texte qui peut •tre reconstruit par une analyse intellectuelle. LÕauteur impliquŽ est un ŽlŽment qui doit •tre discernŽ pour comprendre le texte. Ceci est vrai aussi pour lÕautre ŽlŽment dissimulŽ dans le texte, qui est le lecteur impliquŽ. Ces deux ŽlŽments doi- vent •tre distinguŽs pour la comprŽhension du texte.

Un exemple pour illustrer la situation est donnŽ par le mini-texte sui- vant: ÇLa rŽsistance spŽcifique de fer est 10-7 Ohm-m•treÈ. Cette ŽnoncŽ peut

•tre tirŽ dÕun tableau accessible aux Žtudiants et doit •tre interprŽtŽ par eux pour en trouver la signification. Le lecteur cherchera dÕabord ˆ deviner de quoi il sÕagit, ˆ savoir quel auteur pourrait informer quelle personne par le message indiquŽ. Evidemment, le destinataire ne pourrait pas •tre nÕimporte quelle personne. Le lecteur impliquŽ doit avoir quelques connaissances en physique pour comprendre les mots ÇrŽsistanceÈ, ÇferÈ, ÇOhmÈ et interprŽter le terme ÇspŽcifiqueÈ. De m•me, lÕauteur impliquŽ dispose manifestement de ces connaissances et semble avoir acc•s ˆ des informations particuli•res qui lui permettent dÕassurer la vŽritŽ de lÕŽnoncŽ et de prendre la responsabilitŽ des consŽquences Žventuelles de la publication de cette phrase. Il sÕadresse manifestement ˆ nous avec une certaine autoritŽ qui ne peut gu•re •tre mise en doute.

Si nous transposons cette simple remarque ˆ la situation scolaire, nous trouvons les m•mes ŽlŽments dÕanalyse dans la comprŽhension des Žl•ves. A qui sÕadresse la parole de lÕenseignantÊ? A quelquÕun avec qui les Žl•ves peuvent sÕidentifier ou nonÊ? Et avec quelle autoritŽ sÕadresse-t-on ˆ euxÊ?

Peut-on discerner un auteur qui serait impliquŽ dans les mots de lÕenseignant et quel r™le joue-t-il, quelle position occupe-t-il dans le cosmos intellectuel de la sociŽtŽÊ? Ces questions sont dŽcisives pour lÕattention accordŽe au dis- cours. Mais, bien sžr, lÕautoritŽ de lÕauteur invoquŽ nÕest pas a confondre avec celle de lÕenseignant, bien quÕil existent des liens Žtroits entre les deux.

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7 AdressivitŽ et agressivitŽ dans lÕenseignement

Bakhtin a forgŽ lÕexpression ÇadressivitŽÈ pour caractŽriser la tendance implicite dÕun texte ˆ atteindre son publique. Un discours qui ne sÕadresse ˆ personne ne sera ŽcoutŽ par personne.

La pratique scolaire montre que lÕattention des enseignŽs est Žtroitement liŽe ˆ la facultŽ de lÕenseignant ˆ sÕadresser au public, ce qui suppose une connaissance des capacitŽs intellectuelles et des intŽr•ts des interlocuteurs.

ÇÊAdresserÊÈ quelquÕun dans le sens indiquŽ plus haut est, dÕautre part, un acte dÕintrusion dans la vie des autres. AdressivitŽ et agressivitŽ sont deux mots qui ne se ressemblent pas que phonŽtiquement. SÕadresser ˆ quelquÕun implique la volontŽ de rencontrer son attention et de demander la permission dÕentrer en discussion avec lui. Cette permission peut •tre accordŽe ou re- fusŽe, et il dŽpend du charme et de la politesse de la personne qui sÕadresse, que lÕopŽration soit couronnŽe de succ•s ou non. Toute adresse comporte un ŽlŽment de prŽsentation. Cette reprŽsentation de soi-m•me nÕest pas seule- ment inŽvitable quand il sÕagit dÕune conversation orale face ˆ face, elle est tout aussi dŽcisive dans le cas dÕun texte Žcrit ou diffusŽ par les media Žlec- troniques. LÕauteur nÕest approuvŽ Ð et m•me simplement lu Ð que lorsque lÕimage que le lecteur se fait de lui et de ses capacitŽs est favorable. Sinon, on quitte le programme ou on ferme le livre. LÕŽtude des grands textes peut nous donner des indications sur la mani•re de stimuler lÕintŽr•t du public.

Quelles sont les le•ons quÕun enseignant peut tirer dÕun parall•le entre son activitŽ et celle dÕun auteur littŽraireÊ? DÕabord celle-ciÊ: tout auteur, enseignant ou littŽraire, doit profiter de la libertŽ quÕil poss•de de crŽer une histoire. LÕinattendu est le sel du rŽcit. Si le lecteur dÕun livre est sžr que rien de pour une le•on. Si lÕenseignant nÕint•gre pas un ŽlŽment ludique dans son discours, un ŽlŽment qui prouve que la suite de la le•on nÕest pas encore fixŽe et quÕelle peut sÕadapter au comportement du public, il renonce ˆ son moyen le plus efficace dÕattirer lÕattention. Une agressivitŽ domestiquŽe est bien tolŽrŽe si elle inspire une atmosph•re de jeu et de plaisanterie, si le narrateur est toujours pr•t, en cas de besoin, ˆ changer de ton et sÕil fait preuve de res- pect envers la personnalitŽ de son interlocuteur. Le m•me jeu sous-tend les textes Žcrits qui nous fascinentÊ: ce sont ceux dÕun auteur qui joue avec nos prŽvisions et nos espoirs quÕil prŽvoit parce quÕil les a suscitŽs en nous. CÕest le comportement que Bakhtin qui caractŽrise par la facultŽ de rŽpondre aux rŽactions prŽvues (answerability).

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8 LÕintertextualitŽ et lÕordre implicite dans le texte

La langue appartient ˆ tous. Si nous nous adressons ˆ quelquÕun, nous utilisons un moyen qui nÕest pas rŽservŽ au syst•me fermŽ auteur / interlocu- teur. Nous agissons dans un espace public, car nous nous rŽfŽrons ˆ des signi- fications qui ont ŽtŽ fixŽes par notre entourage social et par nos prŽdŽcesseurs qui ont crŽŽ le langage. Ce nÕest pas seulement valable pour le sens des mots.

Le dŽroulement de lÕaction, dans notre rŽcit, doit suivre des r•gles qui sont immanentes ˆ toute histoire bien racontŽe. Bien raconter implique une ordre, un mot qui se rŽf•re ˆ lÕaction de compter, comme erzŠhlen se rŽf•re ˆ zŠhlen en allemand. Les contes sont traduisibles sans perte dans les langues Žtrang-

•res, et m•me les petits enfants savent distinguer entre une histoire compl•te dÕun texte incomplet. Cela veut dire que lÕespace public mentionnŽ est un espace ordonnŽ par des lois quÕon ne peut pas changer arbitrairement. NŽan- moins, ces lois laissent assez de libertŽ pour dŽvelopper une histoire avec une fin imprŽvue.

Enseigner les sciences naturelles sur un ton narratifÊ: je ne peux plus mÕimaginer de les enseigner sans respecter les lois implicites du rŽcit. Si une le•on dŽborde lÕheure, je suis sžr dÕavoir violŽ une de ces lois et dÕavoir quittŽ la position dÕun enseignant-narrateur dans mon comportement. DŽve- lopper un syst•me de concepts sans y intŽgrer consciemment un ŽlŽment narratif me semble un p•chŽ contre les bonnes mÏurs. Bien sžr, retrouver la voix du narrateur implique parfois de bonnes connaissances en histoire des sciences, une certaine familiaritŽ avec la pensŽe propre des grands scientifi- ques qui ne se trouve que diluŽe, parfois, jusquÕˆ lÕignorance dans les textes destinŽs aux Žtudiants.

La connaissance de la thŽorie du rŽcit peut-elle •tre dÕune aide pour lÕenseignant, et amŽliorer la situation des ŽtudiantsÊ? Bien sžr que oui. Une enqu•te parmi plus de 1000 Žtudiants suisses discutŽ dans mon livre ÇPlŠdoyer fŸr ErzŠhlungen im PhysikunterrichtÈ prouve que les Žtudiants ont le sens de lÕhistoire si elle est ŽvoquŽe dans lÕintention de clarifier le contenu physique de lÕenseignement. La physique intŽgrŽe dans des histoires reste une physique valable. Et elle devient acceptable et comprŽhensible pour une bonne part de nos Žl•ves qui est toujours moins nŽgligeable.

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9 BIBLIOGRAPHIE

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(Manuscrit re•u le 16 octobre 2000)

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