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LA place des Victoires et la place Vendôme avaient été édifiées

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Academic year: 2022

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1753-1953

L

A place des Victoires et la place V e n d ô m e avaient é t é édifiées à la gloire de Louis le G r a n d . Une nouvelle place royale, notre place de l a Concorde, devait c o m m é m o r e r le règne de Louis le B i e n A i m é . E n 1744, puis en 1748, un élan de foi monarchique souleva l a France entière. Ces deux dates é t a i e n t celles de l a gué- rison du roi et de l a paix d'Aix-la-Chapelle. O n a peine à imaginer l'allégresse populaire, quand a p r è s une maladie c o n t r a c t é e à Metz et que l'on avait cru mortelle, l a nouvelle se r é p a n d i t d'une mira- culeuse r é s u r r e c t i o n . L'architecte Patte, historiographe des monu- ments royaux, nous décrit l'attendrissement général, le désespoir de l a France, un peuple en larmes p r o s t e r n é au pied des autels.

« Lorsqu'on apprit que Sa Majesté é t a i t hors de danger, l'ivresse de l a joie s u c c é d a à cette douloureuse consternation. Jamais on ne v i t l'image d u bonheur si bien peinte sur tous les visages.

L e courrier qui apporta l a nouvelle de l a convalescence fut presque étouffé par l a foule. O n baisait son cheval, on le menait en triomphe ; toutes les rues retentissaient d'un cri : le R o i est guéri ».

Peu a p r è s surviennent les victoires d u m a r é c h a l de Saxe per- mettant de conclure, en 1748, l a paix d'Aix-la-Chapelle, qui parais- sait comme tant d'autres devoir ê t r e une paix p e r p é t u e l l e , consa- crant l a fin des guerres et l ' a m i t i é entre les peuples. Patte célèbre le retour de l'âge d'or et n ' h é s i t e pas à é v o q u e r le siècle de Périclès.

Pour l u i , Paris est devenu l ' A t h è n e s de l'Europe. Sans doute pour l a p o s t é r i t é le grand siècle demeurera celui de Louis X I V , mais pour les contemporains c ' é t a i t celui de Louis X V . Des sta- tues, des places royales d é t e r m i n e n t l a naissance de quartiers

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nouveaux, l a renaissance de villes entières : Bordeaux, Valen- ciennes, Reims, Rouen, N a n c y . L ' i d é e d u plan urbain est n é e . A l a ville close d u M o y e n âge se substitue l a ville ouverte, à l a construction en hauteur à l ' i n t é r i e u r d'une enceinte l'extension horizontale en surface. A des poussées d é s o r d o n n é e s succède une conception d'ensemble à réaliser par é t a p e s . Voltaire se fait l ' a p ô t r e de ces t h é o r i e s nouvelles. A v e c les E n c y c l o p é d i s t e s i l voit dans les t r a v a u x publics un moyen de r e m é d i e r à l a plaie sociale d u chô- mage. « I l faut, écrit-il, trouver le secret d'obliger les riches à faire travailler tous les pauvres. Les d é p e n s e s de trois bosquets de Ver- sailles auraient suffi aux embellissements nécessaires de Paris ».

L a capitale se devait de ne pas rester é t r a n g è r e à cet hymne qu'entonnaient les villes françaises à l a gloire d u monarque et au culte de l a patrie. L e p r é v ô t des marchands, les échevins déci- d è r e n t d ' é r i g e r une statue d u R o i dans tel quartier q u ' i l l u i plairait d'ordonner. De Tournehem, directeur des B â t i m e n t s , i n v i t a les architectes à p r é s e n t e r des projets. Nous en connaissons une ving- taine q u i figurent dans l ' a l b u m de Patte sur les Monuments élevés à la gloire de Louis XV. Ils r é p o n d a i e n t aux idées alors r é g n a n t e s sur l ' e s t h é t i q u e urbaine. Des conceptions t h é â t r a l e s et quelque peu c h i m é r i q u e s se m ê l e n t à des plans édilitaires que l'avenir réalisera. L'architecture, o ù dominent des loggias, des colonnades à l'italienne, s'inspire de celle de Versailles et d u L o u v r e de Per- rault. Soufflot envisageait le d é g a g e m e n t de l'île de l a Cité et sa jonction avec l'île Saint-Louis. P i t r o u c r é a i t une place circulaire entre le Palais et Notre-Dame. Bofîrand avait envisagé d'une part l a r é n o v a t i o n d u quartier des Halles, d'autre part le d é b l a i e m e n t d u quadrangle entre le v i e u x L o u v r e et les Tuileries. C ' é t a i t re- prendre le grand dessein de H e n r i I V et créer entre deux galeries

« l a cour admirable » dont parlent les contemporains, dont le plan figure sur les murs de l a galerie des Cerfs au Palais de Fontaine- bleau et qu'au x i xe siècle r é a l i s e r o n t deux empereurs. D'autres projets concernaient notamment l a place de G r è v e , les quartiers Saint-Jacques et Saint-Germain l'Auxerrois, le quai Malaquais, le carrefour B u c i .

Devant une telle floraison d ' é b a u c h e s et de d é b a u c h e s d'inven- t i o n et de talent, on se prend à imaginer l a capitale de r ê v e que Paris e û t p u devenir. Toutefois, i l y avait loin d u crayon à l a truelle.

L a p é n u r i e financière suffisait à interdire les expropriations qui, dans les quartiers h a b i t é s , eussent été trop onéreuses. C'est alors

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que le roi décida d'offrir le terrain qui s ' é t e n d a i t devant la ter- rasse des Tuileries et qui, pour une grande part affecté au d é p ô t des Marbres, é t a i t sa p r o p r i é t é .

Ce don, s'il levait des obstacles, devait en susciter d'autres.

L a place telle que nous l a montre, en 1739, le plan de Turgot constituait une esplanade irrégulière, b o r d é e à l ' E s t par un fossé d ' é g o u t devant l a terrasse des Tuileries, au Sud par l a Seine, à l'Ouest par l a grille d ' e n t r é e d u Cours-la-Reine, puis par une douve creusée à l ' e n t r é e des C h a m p s - E l y s é e s , au N o r d par des jardins vers le faubourg S a i n t - H o n o r é . C ' é t a i t en somme un terrain vague, à l ' e x t r é m i t é de l a ville, mais son a m é n a g e m e n t devait jouer un rôle capital dans le site urbain. I l importait, en c r é a n t une nouvelle place, de ne pas rompre l'ensemble c o n s t i t u é par l a Seine et par les espaces p l a n t é s des Tuileries et des C h a m p s - E l y s é e s . I l ne s'agissait plus d'un décor b â t i , d'une architecture de façades, i l fallait réaliser une composition monumentale tout en conservant les vues.

Depuis le x v ie siècle le j a r d i n des Tuileries avait bien c h a n g é . A l'origine i l constituait une sorte d'enclos de type m é d i é v a l orné de tous les caprices de l a Renaissance italienne : fontaines, jeux d'eau, grottes, tonnelles. Chaque composition formait un compartiment d'un vaste damier t e r m i n é à l'Ouest par un fer à cheval qui m é n a - geait au promeneur l a surprise d'un écho. Les parterres é t a i e n t d o m i n é s au N o r d par une terrasse q u i , plus tard, s'appellera ter- rasse des Feuillants, face aux maisons qui ont fait place à l a rue de R i v o l i .

A v r a i dire le j a r d i n c o m m e n ç a i t à dater. I l é t a i t passé de mode depuis q u ' é t a i t survenue l a c r é a t i o n d u L u x e m b o u r g , v é r i t a b l e composition à l a française reliant l'architecture de l a pierre et l'architecture v é g é t a l e . De là est issue l ' œ u v r e réalisée par L e N ô t r e et qui constitue l a préface de Versailles. C'est d'abord l a r é u n i o n du j a r d i n au palais par l a c r é a t i o n d'une terrasse décorée de pièces de broderies, groupées autour de trois bassins circulaires, puis une large allée centrale p l a n t é e de marronniers avec deux contre allées d'ifs ; sur les côtés des couverts : bosquets, pièces de gazon, quinconces. A u m i d i une terrasse parallèle à celle des Feuillants. Assise sur des murs à bossages elle m é n a g e vers l a Seine cette vue incomparable dont on jouit encore aujourd'hui. A l'Ouest enfin, par delà un grand bassin octogonal, une terrasse en fer à cheval, devenue le rendez-vous de la jeunesse élégante pour les

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collations et les concerts nautiques. C'est l à qu'en 1719 le R é g e n t , qui envisage l a démolition d u c h â t e a u de M a r l y trop c o û t e u x à entretenir, fait transporter les deux groupes de Coysevox q u i encadraient l'abreuvoir : Mercure et l a R e n o m m é e .

Quelle liaison p r é v o i r à l'Ouest ? L e 7 octobre 1675, au cours d'une conversation entre Colbert et le B e r n i n , on envoie chercher chez L e N ô t r e le projet dressé pour l a sortie de Paris. I l comportait la c r é a t i o n d'une patte d'oie analogue à celle des trois avenues de Versailles : dans l'axe les C h a m p s - E l y s é e s , au M i d i le Cours l a Reine, au N o r d l'avenue d u Roule. I l y avait là une ordonnance largement c o n ç u e . O n se rappelle le jugement des contemporains sur L e N ô t r e : « I l ne pouvait souffrir les vues b o r n é e s », et celui de L o u i s X I V : « I l avait d u grand dans l'esprit ».

L e Cours-la-Reine é t a i t devenu l a promenade publique de Paris. « N o u v e a u mot, nouvelle chose, écrit Sauvai. J u s q u ' à l a r é g e n c e de Marie de Médicis on ne connaissait en France que l a promenade à pied. C'est elle qui fit passer de Florence à Paris l a mode de se promener en carrosse aux heures les plus fraîches de l ' a p r è s d î n e r . » L a physionomie de l a ville en fut t r a n s f o r m é e . Ce défilé d'attelages anima d'une vie nouvelle le cours p l a n t é par l a Reine Mère selon la mode italienne. P e u t - ê t r e aussi l a seconde femme de H e n r i I V avait-elle v o u l u imiter l a p r e m i è r e , cette reine Marguerite qui avait, sur les terrains d u P r é - a u x - C l e r c s , t r a c é le long de l a Seine une vaste allée en terrasse et l ' a v a i t ouverte a u public. Q u o i q u ' i l en soit le nouveau cours é t a i t devenu le centre de l a vie et de la conversation mondaines. C ' é t a i t l a nature disposée en salon à l'usage de l a société de l ' h ô t e l de Rambouillet.

P l u s r é c e n t s et plus agrestes é t a i e n t les C h a m p s - E l y s é e s ouverts en 1709 à l a circulation publique. L e terrain rude et inégal, l a pous- sière et l a boue disloquant les plus forts carrosses, l'absence d'éclai- rage nocturne en éloignaient les promeneurs. Toutefois la valeur de leur prospect n ' é c h a p p e pas aux contemporains. D è s 1672 les Comptes des B â t i m e n t s mentionnent l a grande Etoile de Chaillot.

Une pyramide figure sur une gravure de Pérelle à l'emplacement de l ' A r c de Triomphe et, en 1713, Germain Brice décrit l a loin- taine esplanade : « V u e merveilleuse d u c ô t é de l a ville et de l a campagne vers Neuilly et Saint-Germain, perspective magnifique que l ' o n distingue sans peine d u vestibule et d u grand salon d u Palais ». A i n s i se marquent d é j à les jalons de l a voix axiale, l a voie royale de Paris.

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A u faubourg S a i n t - H o n o r é l a troisième branche de l a patte d'oie est plus malaisée à tracer. Les terrains se couvrent d ' h ô t e l s , le faubourg du Roule se peuple ; un quartier se constitue autour de l'ancienne église que remplacera celle de Chalgrin.

C'est dans ces conditions que l a décision royale d'ériger une statue et d ' a m é n a g e r une place pose le difficile p r o b l è m e de main- tenir une harmonie entre les Tuileries, l'esplanade et les avenues.

E n 1746 M m e de Pompadour avait fait attribuer l a direction des B â t i m e n t s à son jeune frère A b e l Poisson q u i s'intitulait mar- quis de V a n d i è r e s — « d'avant-hier », murmurait l a m a l i g n i t é pu- blique — et q u i , à l a mort de son p è r e , devint marquis de Marigny.

C h a r g é d'édifier l a nouvelle place royale i l pose nettement le p r o b l è m e . O u bien les constructions masqueront les vues qu'il importe de conserver ou bien leur t r a c é sera trop n u et trop grêle pour l ' i m m e n s i t é de l'esplanade. Sur ces d o n n é e s contradictoires un nouveau concours est ouvert : vingt-sept architectes y prennent part. S i nous n'avons pas les projets e u x - m ê m e s nous en possé- dons l'analyse faite par le directeur des B â t i m e n t s .

L a conclusion enregistrait un échec. « Les architectes d u R o i , l a plupart t r è s habiles, ont fait de vains efforts pour réussir. Us y ont s û r e m e n t e m p l o y é tout leur génie. Tous ont échoué cependant contre l a difficulté insurmontable d ' é t a b l i r une place sur le terrain d o n n é et de conserver en m ê m e temps l a magnificence de ce bel ensemble des Tuileries, de l'Esplanade et des C h a m p s - E l y s é e s . L e peu de succès de l ' A c a d é m i e d'architecture ne doit s'attribuer q u ' à l a r é p u g n a n c e qu'ont eue les plus habiles artistes à d é t r u i r e par des d é c o r a t i o n s de b â t i m e n t l a plus belle partie de j a r d i n q u ' i l y avait dans l'univers ».

I l fallait pourtant aboutir. L e R o i prit sa décision. « S a M a j e s t é , écrit Patte dans sa Description de la place Louis XV, quoique t r è s satisfaite de l a plupart des nouveaux projets qui l u i furent p r é s e n t é s , trouvant dans plusieurs ouvrages ce qu'elle aurait désiré rencontrer dans un m ê m e plan ordonna à Monsieur Gabriel, son premier architecte, de faire cette réunion afin d'en former un tout qui servit de m o d è l e pour l ' e x é c u t i o n . » I l l u i faut concilier, amal- gamer les deux tendances de ceux qui, abusant des constructions,

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ont m a s q u é les vues et de ceux q u i ont sacrifié le décor architectural de l a place.

I l prend comme point de d é p a r t l'idée d'une avant-cour de c h â t e a u avec ses douves sèches, g a z o n n é e s , c o u r o n n é e s de balus- trades, t e r m i n é e s par des g u é r i t e s , de chaque côté des grilles d'en- t r é e . Conception logique, traditionnelle, e s t h é t i q u e dont i l ne sub- siste plus rien dans l a place actuelle, nivelée comme une c h a u s s é e ordinaire, sans aucun lien avec les deux jardins voisins.

L e 20 juillet 1753, à C o m p i è g n e , Louis X V approuve le plan de Gabriel. Toutefois i l n'est pas encore définitif. L e q u a d r i l a t è r e des fossés est fixé ainsi que l'axe T u i l e r i e s - C h a m p s - E l y s é e s et les avenues diagonales. P o u r r é p o n d r e aux v œ u x du directeur des B â t i m e n t s l'architecte p r é v o i t un pont à l'alignement de l a rue de Bourgogne, é v i t a n t ainsi de masquer l a façade du Palais B o u r b o n . Mais cet alignement p r é v u entre l a statue et l a terrasse des Tuileries l'oblige, par une nécessité de s y m é t r i e , à tracer un second axe de l'autre c ô t é de l a statue, à avoir ainsi deux avenues au lieu d'une et, par l à m ê m e , à p r é v o i r trois b â t i m e n t s au lieu de deux pour former le fond de l a place. C'est là un plan m é d i o c r e dont l'équi- libre ne le satisfait pas. D e u x ans plus tard i l revient à sa conception p r e m i è r e : une grande voie dans le milieu de l a place s é p a r a n t deux b â t i m e n t s , au d é b o u c h é de l a rue qui doit accéder au portail de l a future église de l a Madeleine et aboutissant à l a t ê t e d u pont qui devra ê t r e oonstruit en face de l ' H ô t e l de B o u r b o n .

Dès lors le dessin de l a place est d é f i n i t i v e m e n t a r r ê t é : un p a r a l l é l o g r a m m e de 250 m è t r e s sur 175, u n fossé large de 24 m è t r e s , d'une profondeur de 3 à 4 m è t r e s , des plantations au fond des douves marquant, entre les deux jardins, l a transition de l'archi- tecture v é g é t a l e , des parapets c o u r o n n é s de balustres, des piédes- t a u x s u r m o n t é s de lions et de sphinx en bronze, huit g u é r i t e s ornées de frontons avec guirlandes à feuilles de c h ê n e , s u r m o n t é e s de groupes de marbre symbolisant les vertus d u R o i : Jupiter et l a Clémence, A p o l l o n et l a Poésie, Minerve et l ' E t u d e , Mercure et l a Richesse, Cérès et l'Agriculture, Hercule et la M o d é r a t i o n , Mars et l a Justice, Neptune et l a Fortune.

C ' é t a i t là un premier cadre autour de l a statue d u roi érigée au milieu de l'esplanade. L a place é t a i t elle-même e n t o u r é e par une bordure imposante. A l ' E s t l a terrasse des Tuileries ouverte sur u n pont tournant, en face les C h a m p s - E l y s é e s avec leur avenue centrale flanquée de grands ormes taillés, au N o r d les deux b â t i -

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ments qui suscitent encore aujourd'hui une admiration unanime, au M i d i l'incomparable décor de la Seine dont l'art n'avait aboli aucune des b e a u t é s naturelles.

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A u centre de l a place se dressait l a statue é q u e s t r e q u i avait inspiré l'entreprise tout entière. C'est l a statue qui avait créé la place. Gabriel en avait confié l'exécution à Bouchardon qui venait d'édifier dans l'étroite rue de Grenelle le magnifique décor de la Fontaine des Quatre Saisons. I l c o m m e n ç a ses é t u d e s en 1748.

L a p r e m i è r e esquisse, conservée au Musée de B e s a n ç o n , r e p r é s e n t e le R o i sur u n cheval c a b r é tel que Falconet composera l a statue de Pierre le G r a n d . Quatre a n n é e s de recherches laborieuses, deux- cent-quatre-vingt-douze é t u d e s conservées dans les cartons du L o u v r e t é m o i g n e n t de l a conscience de l'artiste. « I l avait, écrit G r i m m , t r o u v é chez le baron de Thiers u n cheval de race espagnole, non plus de p r e m i è r e jeunesse mais docile et qui avait pris pour l'artiste une affection et une a m i t i é singulières. Bouchardon passait souvent des heures entières couché sous son ventre pour dessiner, l'animal restant immobile et gardant l'attitude q u ' i l l u i avait fait prendre. » L a fonte eut lieu le 6 m a i 1758 devant une brillante assis- tance au premier rang de laquelle figuraient le duc de Chevreuse, gouverneur de Paris, le comte de Saint-Florentin, le B u r e a u de l a V i l l e . Une planche g r a v é e par Mariette nous en garde le souvenir.

L ' o p é r a t i o n é t a i t dirigée par Gor, le plus grand fondeur de l' é p o q u e . I l en a n n o n ç a l a fin en jetant son chapeau en l'air et en criant :

« V i v e le R o i 1 » Bouchardon mourut en 1762 avant l' a c h è v e m e n t de son œ u v r e pour laquelle i l désigna son confrère Pigalle. « Je suis assuré, écrivait-il au B u r e a u de l a V i l l e , de sa grande c a p a c i t é et de l'accord de sa m a n i è r e avec la mienne. Dans l' é t a t auquel j ' a i a m e n é l'ouvrage, i l serait dangereux d'y rien changer. » L a statue fut dévoilée le 20 j u i n 1763.

Bourchardon avait calmé ses p r e m i è r e s esquisses. « C'est un esprit de sagesse, écrivait-il l u i - m ê m e , q u i m ' a d é t e r m i n é à préférer une position simple, noble, tranquille à toutes les attitudes de m a n è g e où l'art du sculpteur ne brillerait qu'aux d é p e n s d u carac- t è r e ou de la m a j e s t é du h é r o s qui doit ê t r e l'objet de son travail. » L e roi c o u r o n n é de lauriers,- v ê t u du costume des triomphateurs romains, tient de l a main droite le b â t o n de commandement, de

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l'autre l a bride d u cheval; sa t ê t e est t o u r n é e vers l a rue Saint-Hono- ré. « Rien n'est plus noble, écrit l'architecte Patte, que l'ensemble de cette figure. L e cheval est aussi un c h e f - d ' œ u v r e par l a légèreté, les proportions agréables et l a correction du dessin. Jusqu'alors on a v a i t i m a g i n é que les chevaux des statues équestres ne pouvaient ê t r e de trop grande taille. Les princes et les héros avaient toujours é t é r e p r é s e n t é s sur des chevaux d'attelage ou sur des limoniers.

Celui-ci seul, par sa noblesse, sa grâce, l'élégance de ses contours, p a r a î t digne d ' ê t r e m o n t é par un roi ». Même t é m o i g n a g e chez G r i m m : « Nous pouvons nous vanter cette fois d'avoir u n cheval de bronze, non pas un de ces ê t r e s fantastiques, se cabrant, g r i n ç a n t des dents, les narines retirées en arrière, les crins dressés, une con-

! traction des muscles qui fait peine à voir, mais un animal d'une noblesse, d'une g r â c e , d'une douceur, en un mot de ce c a r a c t è r e ravissant de b e a u t é exquise et rare ».

Sans doute le costume romain avait-il suscité des critiques.

« I l faut, constatait G r i m m , reprocher à l'habit français d ' ê t r e gin- guet et ridicule et de mettre les artistes dans l a nécessité ou de mentir à l a p o s t é r i t é ou de faire une chose absurde. » Quant au piédestal i l portait deux bas-reliefs : sur l ' u n , vers le N o r d , le R o i assis sur u n t r o p h é e d'armes donne l a paix à l ' E u r o p e ; sur l'autre, vers l a Seine, i l est p o r t é dans un char de triomphe, c o u r o n n é par la Victoire et conduit par l a R e n o m m é e vers des peuples qui se soumettent. A u x angles figurent quatre statues, l a Prudence, l a Justice, l a Force et l a P a i x . G r i m m , tout en louant le p i é d e s t a l , déclare absurde l'idée de faire porter u n homme à cheval par quatre femmes. 11 e û t placé p r è s d u monarque les grands hommes de son r è g n e . U n pamphlet t r è s en faveur t é m o i g n a i t de l ' i m p o p u l a r i t é du roi bien a i m é de 1748, a p r è s les d é s a s t r e s et les hontes de la guerre de Sept ans.

Grotesque monument, infâme piédestal Les vertus sont à pied et le vice à cheval.

Ce qui é t a i t universellement loué c'était, l a proportion d u monu- ment et de son cadre. L a statue é t a i t assez grande pour l a place qu'elle devait occuper sans risquer l a pesanteur d'une masse colos- sale.

Si l a statue a disparu, fondue à l a R é v o l u t i o n , i l nous reste d u moins, intactes, les deux grandes tribunes qui, de chaque c ô t é de

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la place, encadraient l a rue Royale, nouvelle voie ouverte vers l a Madeleine et dont les b â t i m e n t s é t a i e n t soumis à une ordonnance architecturale. Les hôtels édifiés par Gabriel p r é s e n t a i e n t un rez- de-chaussée percé d'arcades, deux étages t e r m i n é s par une corniche et formant une galerie de colonnes corinthiennes, deux pavillons en retour portant chacun un fronton e n c a d r é de t r o p h é e s . L e pre- mier, du côté des C h a m p s - E l y s é e s , r e p r é s e n t e l'Agriculture : une femme c o u r o n n é e d'épis de blé tient un jeune arbre fleuri, à ses pieds des enfants p a r m i l a charrue, les gerbes et les outils de labour. L e d e u x i è m e , à l'angle de l a rue Royale, offre l a figure du Commerce c o u r o n n é e de perles, de coraux, de fruits ; dans ses mains le c a d u c é e et le bonnet de Mercure, des enfants p a r m i des ballots, une ancre, un gouvernail, des marchandises. E n face l a Magnificence, c o u r o n n é e d'un d i a d è m e , tient un médaillon o ù figure la place Louis X V et une statue de Minerve. Près d u jardin des Tuileries l a Félicité publique, assise à c ô t é d'un t r ô n e sur une corne d'abondance, est c o u r o n n é e de fleurs parmj les joueurs, l a flûte et les danses enfantines. De chaque c ô t é deux h ô t e l s , celui de Saint- F l o r e n t i n qui existe encore et celui de Grimod de L a R e y n i è r e r e m p l a c é par l'ambassade des E t a t s - U n i s , prolongent, en retrait de l'alignement, l a perspective architecturale. Une place circulaire est p r é v u e devant le portail de l a Madeleine.

T e l se p r é s e n t a i t à l ' é p o q u e cet ensemble grandiose. « Cette place, écrivait Patte, l'une des plus belles de l ' E u r o p e par son éten- due et par sa d é c o r a t i o n , ne laissera rien à désirer lorsqu'on aura é c r ê t é l a montagne de l ' E t o i l e de 18 à 20 pieds et reconstruit le pont de N e u i l l y dans l a direction d u milieu de l a place. Alors elle deviendra l ' e n t r é e de la V i l l e , pour l a province de Normandie et elle sera e x t r ê m e m e n t fréquentée. » E n attendant l ' a c h è v e m e n t du plus grand Paris de l'Ouest le r é s u l t a t obtenu é t a i t d u plus bel effet. « L e magnifique fer à cheval d u j a r d i n des Tuileries semble un cirque d e s t i n é à p r é p a r e r l a venue de l a statue royale. Les colon- nades des grands b â t i m e n t s de l a place que l'on voit au travers des arbres q u i bordent sa terrasse annoncent, par leur perspective, l'objet le plus vaste et le plus pompeux. E n f i n les deux R e n o m m é e s qui couronnent le pont tournant donnent à cet ensemble un air t r i o m p h a l . O n croit voir un champ de gloire qui s'ouvre au bout de cette promenade. »

Les deux hôtels édifiés par Gabriel furent achevés en 1775. Ils avaient été destinés au logement des ambassadeurs é t r a n g e r s .

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E n fait celui de l ' E s t fut affecté au Garde-Meuble de l a Couronne, puis en 1792 au m i n i s t è r e de l a Marine ; celui de l'Ouest fut divisé et forma les h ô t e l s Coislin, Rouillé de l ' E s t a n g et Moreau de Mane- reux, tous deux occupés aujourd'hui par l'Automobile C l u b , enfin l ' h ô t e l d ' A u m o n t devenu l ' h ô t e l Crillon.

E n 1786 c o m m e n ç a l a construction d'un pont. Depuis long- temps sa nécessité s'imposait pour r é p o n d r e au peuplement des deux rives et relier le faubourg Saint-Germain à ceux de Saint- H o n o r é , de l a V i l l e - l ' E v ê q u e et d u Roule. C ' é t a i t une o p é r a t i o n aussi importante pour l'Ouest parisien que l'avait é t é pour l ' E s t la construction d u P o n t Neuf. Dès 1722, bien avant l a c r é a t i o n de la place Louis X V , des lettres patentes avaient p r é v u cette traver- sée de l a Seine. Toutefois elles ne furent pas suivies d ' e x é c u t i o n et l ' o n continua de passer le fleuve sur de légères embarca- tions.

L a construction d u pont ne fut décidée qu'en 1786. E l l e fut confiée à Perronet, premier i n g é n i e u r d u R o i . L a p r e m i è r e pierre fut posée en 1788. L'ouvrage é t a i t a c h e v é en 1791. O n s ' é t a i t servi, disait-on, pour les parties hautes, des pierres provenant de l a d é m o - l i t i o n de l a Bastille afin que le peuple p û t continuellement fouler aux pieds l'antique forteresse. Perronet, comme Soufflot, s ' é t a i t a t t a c h é à l ' é t u d e de l'architecture gothique qui tendait à r é d u i r e l a masse des m a t é r i a u x et à élégir les points d'appui. I l diminuait de m o i t i é l'épaisseur des piles et é v i t a i t l'affouillement en laissant plus de place au courant. Les poussées é t a i e n t r e p o r t é e s sur deux puissantes culées ; chacune des arches i n t e r m é d i a i r e s é t a n t ainsi i n d é p e n d a n t e n'avait plus à supporter que le poids de sa propre m a ç o n n e r i e . I l facilitait aussi l ' é c o u l e m e n t des eaux en é l e v a n t des piles à massifs discontinus se terminant non plus en bec mais par une partie arrondie. L e pont devait ê t r e décoré de seize pyramides quadrangulaires en m é t a l , aux faces a j o u r é e s , faisant office de can- d é l a b r e s et s u r m o n t é e s de lanternes m a n c e u v r é e s à l a poulie.

Sur les faces et sur le globe terminal figuraient des fleurs de lys, des branches de laurier, des couronnes royales. L e projet n'eut pas de suite. U n autre, en 1791, p r é v o y a i t l a pose de seize statues de personnages illustres. Mais ceux choisis par Louis X V I ne pou- vaient plus convenir à l a R é v o l u t i o n . Des r é v e r b è r e s suspendus à des c h a î n e s , courant sur des potences de fer, d e m e u r è r e n t le seul décor.

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E n t r e les Tuileries et les C h a m p s - E l y s é e s l a place continuait d ' ê t r e un terrain vague dont l ' i m m e n s i t é rendait l ' a m é n a g e m e n t difficile. Sur le socle de l a statue de Louis X V , e n v o y é e à l a fonte dès le lendemain du 10 a o û t , l a R é v o l u t i o n dressa l'image de l a L i b e r t é . C'est à cette figure colossale, ouvrage de m a ç o n n e r i e et de p l â t r e coloré en bronze, qu'en montant à l ' é c h a f a u d , M m e R o - land adressa l a fameuse apostrophe : « L i b e r t é , que de crimes on commet en t o n nom ! » Dès lors l a place L o u i s X V , devenue place de l a R é v o l u t i o n , v i t se dresser l a guillotine, une p r e m i è r e fois pour les auteurs d u v o l des bijoux de l a Couronne, une seconde fois pour l ' e x é c u t i o n de Louis X V I . E l l e demeura dressée en permanence pendant treize mois, d u 11 m a i 1793 a u 13 j u i n 1794. E l l e reparut le 27 juillet de l a m ê m e a n n é e pour l ' e x é c u t i o n des robespierristes et une d e r n i è r e fois en m a i 1795 pour celle des é m e u t i e r s de P r a i r i a l . A p r è s ces a n n é e s sanglantes qui avaient v u périr, en ce lieu, plus de onze cents victimes p a r m i lesquelles l a Reine, le duc d ' O r l é a n s , les chefs de l a Gironde et de l a Montagne, l a place, par u n e u p h é - misme, gage d'oubli et d ' e s p é r a n c e , s'appela place de l a Concorde.

E l l e demeurait d é n u d é e . Seuls les rebords des fossés, les p a v i l - lons de Gabriel rompaient l a monotonie et l a sensation de vide.

Les g u é r i t e s couvertes de p l â t r e n'avaient jamais r e ç u les groupes que leur destinait l'architecte et qui devaient exalter les vertus d u roi b i e n - a i m é . Elles se trouvaient c o n v o i t é e s par u n monde de d é b i t a n t s , de marchands, de petits e m p l o y é s q u i trouvaient l à un logis et, dans le fond des fossés, des terrains de jardinage o ù ils cultivaient des pieds de vigne et des arbres fruitiers ; u n bassin de plomb recevait les eaux de pluie pour l'arrosage des l é g u m e s . L e piédes- t a l de l'actuelle statue de Brest é t a i t h a b i t é bourgeoisement, celui de l a statue de Nantes é t a i t occupé par des d é b i t s de limonade d ' o ù l'on pouvait accéder à des souterrains plus discrets.

L'effort d u premier E m p i r e se borna à de vagues projets : celui d'une statue de Charlemagne, puis des statues de g é n é r a u x , anticipation d u décor que recevra plus t a r d le pont de l a Concorde.

Toutefois N a p o l é o n se p r é o c c u p e de créer au N o r d et au Sud u n cadre monumental. L a construction d u pont, le t r a c é de l a rue Royale d é t e r m i n a i e n t un axe aux e x t r é m i t é s duquel se trouvaient deux b â t i m e n t s d'un aspect t r è s différent : d'une part l'église de l a Madeleine, d'autre part le Palais Bourbon.

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L'église de l a Madeleine, c o m m e n c é e en 1763, é t a i t d e m e u r é e i n a c h e v é e . Les murs s'élevaient à quinze m è t r e s , le chantier é t a i t d é s e r t . A l ' e x t r é m i t é de l a ville c ' é t a i t un lieu m a l f a m é et de dange- reuses rencontres. Dès que le Consulat eut r é t a b l i l'ordre public, les projets d ' a c h è v e m e n t et d'utilisation affluèrent : Salle des fêtes publiques, B i b l i o t h è q u e nationale, Bourse, T r i b u n a l de Commerce, Banque de France. C'est alors q u ' a p r è s la victoire d ' I é n a , le 2 d é - cembre 1806, jour anniversaire du Sacre et de l a victoire d'Auster- l i t z , le d é c r e t i m p é r i a l de Posen d é c i d a de dédier le monument aux soldats de la Grande A r m é e : des tables d'or, d'argent, de marbre consacreraient le souvenir des soldats t u é s à l'ennemi, des bas- reliefs et des statues, celui des colonels, des g é n é r a u x , des m a r é c h a u x de l ' E m p i r e . Cet hommage, rendu aux plus humbles comme aux plus grands, avait secoué d'enthousiasme la nation tout e n t i è r e .

« L e peuple n'a pas oublié, é c r i v a i t Thiers en 1847, que ce temple devait ê t r e celui de l a gloire. » Quatre-vingts projets furent p r é s e n t é s . L ' E m p e r e u r choisit celui de Pierre V i g n o n . « C'est le seul, d é c l a r a i t - i l , qui remplisse mes intentions ; c'est un temple que j'avais deman- dé et non une église. Que pourrait-on faire qui fut dans le cas de lutter avec S a i n t e - G e n e v i è v e , Notre-Dame ou Saint-Pierre de Rome ? L e projet s'accorde avec le palais d u Corps Législatif et n ' é c r a s e pas les Tuileries. P a r temple j ' a i entendu un monument tel q u ' i l y en avait à A t h è n e s et q u ' i l n ' y en a pas à Paris ». Malgré les changements u l t é r i e u r s de l'édifice et sa c o n s é c r a t i o n au culte, l'église a g a r d é tous les traits du temple i m p é r i a l de la Gloire.

Ce fut l a façade de l a Madeleine qui d é t e r m i n a celle du Palais- Bourbon. I l fallait une s y m é t r i e entre le temple de l a L o i et le temple de la F o i . C'est en 1722 que la duchesse de Bourbon, a p r è s une vie agitée et quelque peu scandaleuse à la Cour de Versailles, s ' é t a i t éprise d u vieux marquis de Lassay et, disait-on, de son fils et avait, sur son conseil, fait édifier pour elle sur le terrain de l'ancien P r é - a u x - C l e r c s u n palais d'ordonnance gracieuse d é r o u l a n t son ordonnance le long du fleuve et pour l u i un modeste h ô t e l qui serait

« c o m m e l e strass au diamant », aujourd'hui le Palais Bourbon et l ' H ô - tel du p r é s i d e n t de l'Assemblée Nationale. C ' é t a i t une construction à l'italienne, rappelant, avec le coloris en moins, le G r a n d Trianon de Versailles.

L'échelle et les proportions se t r o u v è r e n t altérées par l'éta- blissement du pont dont la forme b o m b é e et le niveau plus élevé masquaient le soubassement du palais s i t u é en contre bas. D'autre

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part la finesse des lignes se perdait dans un immense espace vide.

L e prince de Condé, devenu p r o p r i é t a i r e , e û t sans doute é t é a m e n é à élever, à l ' e n t r é e d u pont, un frontispice qui devint plus que jamais nécessaire, lorsque le palais affecté au conseil des C i n q Cents eut é t é défiguré. Sa façade fut s u r m o n t é e d'un grand coffre de forme carrée d'une hauteur de d i x m è t r e s , c o u r o n n é d 'u n t o i t effilé et d'un lanterneau à pointe é c l a i r a n t l a salle des séances.

O r i l é t a i t indispensable de créer une e n t r é e d'honneur pour les cortèges i m p é r i a u x . L e 25 j u i n 1806 un d é c r e t stipule l'édification d'une façade correspondant à celle de l a Madeleine et en harmonie avec elle. L ' e x é c u t i o n en fut confiée à Poyet, architecte de L u c i e n Bonaparte, en é t r o i t e s relations avec Fontanes, p r é s i d e n t d u Corps Législatif q u i avait pris l a place d u Conseil des C i n q Cents. U n perron de 32 marches conduisait à un portique de style grec, o r n é de douze colonnes corinthiennes supportant une corniche s u r m o n t é e d'un fronton triangulaire et e n c a d r é de bas-reliefs et de statues sym- boliques et historiques : Pallas et T h é m i s , l ' H ô p i t a l , Sully, Colbert et d'Aguesseau. L ' o b l i q u i t é d u palais par rapport au quai rendit le rac- cord difficile et obligea l'architecte à construire des façades l a t é r a l e s pour masquer la vue de profil d u « d é t e s t a b l e comble en pain de sucre » et d u lanterneau qui le termine. Une vue d'avion montre encore aujourd'hui « l'affreuse difformité » que constituait, selon l'expression de l'architecte Brongniart, l a discordance des toitures.

A u fronton figurait l ' E m p e r e u r remettant au Corps Législatif les drapeaux pris à Austerlitz. Les t r a v a u x furent t e r m i n é s en 1810.

Les idées avaient c h a n g é . O n reprochait au sculpteur Chaudet d'avoir r a b a i s s é la Majesté I m p é r i a l e devant l'assemblée. P e u t - ê t r e aussi N a p o l é o n ne se souciait-il pas de montrer à Marie-Louise les drapeaux pris à l'Autriche. Q u o i q u ' i l en soit i l critiqua toujours cette façade. « L e palais d u Corps Législatif, déclarait-il à Fontanes, d e v r a i t - ê t r e vaste, commode, magnifique, isolée de toutes parts.

L ' H ô t e l des Invalides remplirait ces conditions. » I l e û t s o u h a i t é , ajoutait-il, de pouvoir installer une batterie sur l a place de l a Con- corde afin de le bombarder.

D é s o r m a i s l a place se trouvait d é f i n i t i v e m e n t e n c a d r é e . A u N o r d et au Sud les deux péristyles de style antique ; à l ' E s t les groupes de Coysevox devant les Tuileries ; à l'Ouest les chevaux de Coustou soustraits en 1794 à l a destruction de M a r l y et installés par D a v i d à l ' e n t r é e des C h a m p s - E l y s é e s . Toutefois l ' a m é n a g e m e n t m ê m e de la place demeurait toujours en suspens. Sous la Restaura-

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tion, le préfet de l a Seine Chabrol essaya vainement de l a diviser par des boulingrins, par des parterres g a z o n n é s . « E l l e é t a i t toujours considérée, déclare le duc de Crillon à l a Chambre des Pairs en 1834, comme u n emplacement disponible, propre à recevoir t a n t ô t des monceaux de neige d é b l a y é s dans les rues pendant l'hiver, t a n t ô t des chantiers de pierre ou des baraques provisoires p r é s e n t a n t l'aspect d'une foire. »

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E n 1828 le gouvernement décide de confier à l a V i l l e de Paris le soin de son a m é n a g e m e n t . U n concours a lieu qui, comme au x v me siècle, donne lieu à de t r è s nombreux projets. O n n'en compte pas moins de vingt-trois. L ' i m m e n s i t é d u terrain offre toujours les m ê m e s difficultés pour u n décor. Toute construction édifiée masque- ra l a b e a u t é des vues. « L a place Louis X V , observe le Journal du Génie Civil, n'est qu'une place d é s e r t e , sans refuge quand l'orage gronde et que des torrents de pluie se p r é c i p i t e n t sur l a terre. L a vue d'ailleurs ne s ' a r r ê t e que sur des objets trop éloignés. D u côté d u pont et des quais elle n ' a en quelque sorte d'autre borne que l'horizon. I l faut des limites pour que l'homme conçoive l'idée de l a grandeur, sans cela l ' i m m e n s i t é n'est pour l u i que le n é a n t ».

P o u r le décor de l'eau on imposait aux concurrents l'érection de quatre fontaines. C ' é t a i t , d'une part, diminuer et disperser les effets, d'autre part d é p a s s e r les ressources hydrauliques dont on pouvait disposer. Quant au décor v é g é t a l , maintenir les fossés intacts, c ' é t a i t se conformer à l a pensée de Gabriel qui c o n s i d é r a i t l a place comme une e n t r é e de c h â t e a u ou, selon l'expression d ' A r t h u r Y o u n g , comme l a noble e n t r é e d'une grande ville, mais c ' é t a i t aussi m é c o n n a î t r e les exigences toujours croissantes de l a circulation publique sur une grande place e n c o m b r é e de p i é t o n s et de v é h i - cules. « S'agit-il de défendre une forteresse, observe le Génie Civil, de p r o t é g e r le j a r d i n contre u n assaut ? » Survivance d'un autre âge le maintien des fossés avait, en 1770, a u cours d'un feu d'arti- fice t i r é en l'honneur d u mariage d u D a u p h i n , p r o v o q u é , à l a suite d ' u n incendie, une panique de l a foule qui avait fait plus de cent victimes.

P o u r trouver une solution les architectes, une fois de plus, d o n n è r e n t libre cours à leur imagination. Les uns proposaient des jardins anglais dont l a sinuosité contrastait avec les t r a c é s de L e N ô t r e aux Tuileries, d'autres r é p a n d a i e n t à profusion, comme

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en u n vaste P a n t h é o n , vases, autels, t r é p i e d s , statues. Portiques, galeries, colonnades, entourent de vastes c h â t e a u x d'eau auxquels peut s'appliquer, suivant la remarque d'un critique, les paroles de l ' E c r i t u r e : Cataractae cœli apertœ sunt. E n fait i l ne s'agit là que d'une collection d'aquarelles impossibles à e x é c u t e r . C'est une exposition de peintres p l u t ô t q u ' u n concours d'architectes.

P o u r le monument central l'embarras é t a i t à l a fois e s t h é t i q u e et politique. L'ordonnance de Louis X V I I I relative au rétablisse- ment des statues royales s'appliquait à celle de L o u i s X V . L a commande avait é t é faite à Cartellier. L a difficulté de trouver u n assez beau marbre retarda l ' e x é c u t i o n des t r a v a u x . O n convint, en 1825, d'adopter le bronze, mais l ' a n n é e suivante Charles X ayant décidé d'ériger u n monument à Louis X V I sur le lieu m ê m e de sa mort, i l fallut prévoir pour Louis X V u n autre emplacement.

Une ordonnance d u 22 a o û t 1828 désigna le rond-point des Champs- Elysées. Gisors, l'architecte du monument, avait p r é v u un vaste bassin, portant au centre l a statue. P e u t - ê t r e est-ce là l'ori- gine des fontaines actuelles. L'opposition d u statuaire à tout entou- rage de son œ u v r e suscita de longs retards. Les t r a v a u x entrepris en 1829 furent suspendus en 1830. L e 9 novembre, le ministre de l ' I n t é r i e u r é c r i v a i t à l'artiste « Les é v é n e m e n t s q u i ont a m e n é notre glorieuse r é g é n é r a t i o n politique ne permettent pas d'achever la statue de Louis X V ». L e cheval de Cartellier, fondu en 1831, fut utilisé par son gendre, le sculpteur Petitot, pour servir de mon- ture à l a statue de Louis X I V érigée dans l a Cour d'honneur d u palais de Versailles.

L e 21 janvier 1815 Louis X V I I I avait décidé d'ériger au roi m a r t y r u n monument expiatoire à l'endroit m ê m e o ù le crime avait é t é c o n s o m m é . Mais la p r e m i è r e pierre posée devait demeurer sans seconde. Lors du d e u x i è m e anniversaire une l o i ordonna l'érec- tion d u monument. L e rapporteur, S o s t h è n e de l a Rochefaucauld, d é c l a r a i t que « sur l a place teinte d'un sang p r é c i e u x s'élèverait la statue d u R o i tenant d'une main son testament où est empreinte son â m e divine, l'autre levée vers le ciel ». Toutefois l'attention de Louis X V I I I se portait vers l a Madeleine dont l' a c h è v e m e n t per- mettrait de donner asile aux monuments expiatoires p r é v u s pour la famille royale. L e 27 a v r i l 1826 une l o i réserve au monument de Louis X V I la place qui d é s o r m a i s portera le nom de l'infortuné souverain. C'est le statuaire Cortot qui en reçoit l a commande. I l

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ne s'agissait plus cette fois d'un monument expiatoire. S u i v a n t l a formule traditionnelle d u x v n ie siècle l'effigie royale s'entourait de figures allégoriques : l a Justice, l a M o d é r a t i o n , l a P i t i é , l a B i e n - faisance. E l l e devait former le centre d ' u n grand ensemble décora- tif. Des statues seraient érigées sur le pont de l a Concorde et sur les g u é r i t e s édifiées par Gabriel. Elles formeraient une sorte de cor- t è g e sculptural des gloires françaises se d é r o u l a n t j u s q u ' à l a Made- leine, sanctuaire des monuments expiatoires dédiés à l a famille royale. L o u i s X V I dominerait l'ensemble de toute l a hauteur de son rang et de son sacrifice. L ' œ u v r e é t a i t t e r m i n é e à l a fin de 1828. Charles X s ' é t a i t rendu aux ateliers d u Roule pour assis- ter à l a fonte. L a statue s'y trouvait encore en juillet 1830. E l l e fut e n t i è r e m e n t d é t r u i t e . L e m o d è l e en p l â t r e est conservé au Musée de Versailles.

Restait le piédestal. Que mettre dessus ? L'architecte G r i l l o n envisagea successivement un c h â t e a u d'eau, un monument à l a Charte, à l a Concorde, dont l a place avait repris le nom. L a m a l i - g n i t é publique soulignait ces h é s i t a t i o n s ; l a caricature dessinait le monument « expiapoire » dont l a forme é t a i t e m p r u n t é e à celle du visage royal. L a d é m o l i t i o n fut o r d o n n é e en juillet 1833 ; les marbres furent utilisés pour l'église de l a Madeleine. L ' é r e c t i o n de l'obélisque v i n t mettre une fin opportune à l'histoire des statues royales sur l a place de la Concorde.

Rambuteau, préfet de l a Seine, t é m o i g n e de l a v o l o n t é person- nelle de Louis-Philippe : « J ' a i un motif de placer l'obélisque au centre, d é c l a r a i t le souverain, c'est q u ' i l ne rappelle aucun é v é n e - ment politique et q u ' i l est sûr d ' y rester, tandis que vous pourriez y voir, quelque jour, un monument expiatoire ou une statue de l a L i b e r t é » A i n s i le R o i citoyen entendait abriter l a p r é c a r i t é des régimes sous l a tutelle millénaire des pharaons de l ' E g y p t e .

Cette conception r é p o n d a i t aux v œ u x de l'opinion publique ; l'égyptologie é t a i t alors à l a mode. Les d é c o u v e r t e s de Champol- lion q u i venait de d i s p a r a î t r e , frappé en pleine jeunesse, passion- naient l a curiosité. L'ouverture, au Musée d u Louvre, d u d é p a r t e - ment é g y p t i e n r a v i v a i t les glorieux souvenirs militaires et scien- tifiques de l ' e x p é d i t i o n de Bonaparte. C'est Louis X V I I I q u i avait négocié avec le K h é d i v e M é h é m e t A l i pour obtenir le transport à Paris d'une de ces aiguilles de granit qui ornaient les places de Rome. L e baron T a y l o r fut c h a r g é de cette mission ; un bateau spécial à fond plat, propre à l a navigation maritime, fut construit

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au port de T o u l o n ; i l prit l a mer le 26 juillet 1830, à l a veille de la R é v o l u t i o n . Louis Philippe s'appropria l'idée de son p r é d é c e s s e u r . L ' o b é l i s q u e fut e m b a r q u é , après bien des péripéties, le 19 d é c e m b r e 1831, et ce n'est que deux ans plus tard q u ' i l arriva à Paris. Des pro- jets t r è s divers avaient é t é envisagés pour son emplacement. O n avait songé au Pont-Neuf. L'installation serait faite sur une proue de navire en pierre devant la statue de Henri I V ; au pied le grand sphinx du Louvre, des deux côtés les statues de Bonaparte et de Kléber.

Ce projet n'eut pas de suite ; c'est place de l a Concorde que, le 25 octobre 1836, l'ingénieur Lebas, au moyen d'un s y s t è m e ingénieux de c h è v r e s et de cabestans, v i n t dresser le monolithe qui mesurait vingt-deux m è t r e s et pesait deux cent cinquante tonnes. Ce fut une grande fête populaire, un glorieux' souvenir de l'épopée n a p o l é o n i e n n e . « C ' é t a i t un beau spectacle, écrit M m e de G i r a r d i n , que cette place immense remplie de monde, cette longue allée des C h a m p s - E l y s é e s p e u p l é e d'une foule immobile et silencieuse : deux cent mille personnes, sans tumulte, sans bruit ; ce n ' é t a i t pas une foule c ' é t a i t u n public ».

Ce d é n o u e m e n t inattendu s u c c é d a n t à tant de drames semblait un fragile épisode, une solution é p h é m è r e . « I l faudra bien, écrivait le Magasin pittoresque en 1845, quel que soit le nom que l u i conserve la p o s t é r i t é , place de l a R é v o l u t i o n ou de l a Concorde, qu'un monu- ment y consacre le souvenir des grands é v é n e m e n t s dont elle a é t é le t h é â t r e . Cette aiguille é g y p t i e n n e au p i é d e s t a l d o r é , ces fontaines mythologiques ne sont l à qu'un i n t e r m è d e ; elles font l'effet d'un joli bavardage qui distrait seulement d'une pensée sérieuse mais seulement a j o u r n é e et i n é v i t a b l e ».

L a p r é d i c t i o n est en défaut, l'Obélisque est toujours debout, mais l a mince aiguille de Louqsor, perdue dans l'immense horizon, ne saurait masquer l'image toujours p r é s e n t e à nos y e u x de l'écha- faud e n s a n g l a n t é dressé par l a R é v o l u t i o n .

Si l'érection de l'Obélisque é l u d a i t les difficultés suscitées par le r é t a b l i s s e m e n t d'une statue royale, l ' a m é n a g e m e n t m ê m e de l a place continuait de poser les plus délicats p r o b l è m e s . A u c u n projet ne donnait satisfaction. L e c r é d i t a c c o r d é par l a V i l l e é t a i t r é d u i t à 1.500.000 francs pour une d u r é e de cinq ans. « Qu'est-ce que cent mille écus ainsi dispersés en cinq ans pourront faire ?

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é c r i v a i t le Jovrnal des Artistes, en 1834, pour ô t e r à cette place malencontreuse son aveuglante r é v e r b é r a t i o n , sa physionomie t r o n q u é e , sa n u d i t é choquante à côté de l a verdure des Champs- E l y s é e s . Nous jouirons longtemps encore des baraques et des clô- tures en planches. »

L ' i n t e r v e n t i o n de l'architecte Hittorfî, à qui l a V i l l e avait confié le projet de d é c o r a t i o n , devait faire entrer la question dans une phase nouvelle et provoquer une solution.

I l revient au premier plan de Gabriel, substituant aux quatre c a r r é s , aux quatre fontaines p r é v u e s , un terrain oblong, central ne comportant que deux vasques. E n ce qui concerne les fossés, i l propose une transaction.' I l les maintient, les anime de jardins et facilite leur passage en les traversant par des ponts.

Reprenant d'autre part l'idée d u x v me siècle i l surmonte les gué- rites de statues q u i , au lieu des vertus royales, figurent les grandes villes de France, telles que les avait envisagées H u y o t au sommet de l ' A r c de Triomphe.

L e principal effort portait sur l'éclairage. I l ne devait pas seule- ment contribuer à l'embellissement de l a place, mais r é p o n d r e tout d'abord à l a grave i n s é c u r i t é de ces parages d é s e r t s . Des colonnes rostrales encadraient chaque groupe de g u é r i t e s , coupées à cinq m è t r e s d u sol par des lanternes semblables à celles qui ornaient jadis les proues des galères. A l a m ê m e hauteur é t a i e n t placés qua- rante c a n d é l a b r e s :. piédestal en pierre o r n é de tables de marbre, baguette de l a base d o r é e , partie inférieure d u fût recouverte de feuilles de c h ê n e ; à l a hauteur des rostres un t r o p h é e d'ancres et de cordages, au dessus d u chapiteau portant l'image de Cérès, de Mercure, d ' A p o l l o n , de Minerve une boule qui, le soir, pourrait ê t r e illuminée. E n f i n deux groupes de bronze r e p r é s e n t a n t les fleuves de France aux e n t r é e s de l a rue Royale et d u pont devaient c o m p l é t e r le décor de Coysevox et de Coustou. Quant aux terrains vagues compris entre les fossés et jusqu'alors g a z o n n é s , ils deve- naient des plateaux d'asphalte dont les tons devaient varier.

Ces projets ne m a n q u è r e n t pas de susciter de vives critiques.

O n reprochait à H i t t o r f î d ' ê t r e p l u t ô t un d é c o r a t e u r q u ' u n véri- table architecte « Que de c a n d é l a b r e s , grands D i e u x ! é c r i v a i t le r é d a c t e u r d u Génie Civil. O n pourrait croire que l'auteur a com- p o s é ce dessin pour quelque édition de Rabelais et q u ' i l avait en vue Panurge dans l'île des lanternes. Une telle composition pour- rait plaire dans le pays de Lanternois. »

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A s s u r é m e n t Louis-Philippe n'avait pas é t é é t r a n g e r à ce pro- jet. I l avait toujours c r i t i q u é , t é m o i g n e Rambuteau dans ses Mémoires, l a division de l a place en quatre squares et quatre fon- taines. « Dans l ' a c h è v e m e n t d'une œ u v r e , déclarait-il, on doit tou- jours se conformer à l'idée m è r e de l'artiste q u i l ' a c o n ç u e . Gabriel a dessiné l a place avec les b â t i m e n t s d u Garde-Meuble, des fossés pour en r é d u i r e l ' é t e n d u e , des guérites, pour indiquer les diago- nales, deux fontaines et un monument central. Comme c'est l a V i l l e qui fait l a d é p e n s e , je ne puis l u i imposer m a v o l o n t é , mais je puis lui refuser mon approbation et laisser les choses en é t a t ».

L ' e x é c u t i o n d u décor se ressentit de ces longues h é s i t a t i o n s . Les deux fontaines, consacrées à l a navigation fluviale et maritime

— l a maritime placée près d u fleuve et l a fluviale placée près du m i n i s t è r e de l a Marine, par une singulière inversion — ont des bassins si exigus que l'eau, par le moindre vent, vient éclabousser les passants. Elles sont formées de deux coupes superposées dont la plus haute est r e n v e r s é e . Dans le bassin inférieur nagent tritons et néréides, tenant un poisson qui jette l'eau dans le bassin s u p é - rieur où s'appuient trois enfants debout entre lesquels trois cygnes lancent é g a l e m e n t un jet d'eau. I l y a dans ces fontaines encadrant le monolithe é g y p t i e n le souvenir des places romaines q u i hantaient l'imagination des architectes d'alors et dont les dessins, les lavis remplissaient les portefeuilles. Mais Rome a des places fermées, isolées, closes par des galeries. Ici l'espace est trop grand pour l'exi- g u i t é d u décor.

L e couronnement des guérites r e p r é s e n t a i t les grandes villes de France : Bordeaux, Nantes et Marseille par Cailhouet, L y o n et Rouen par Cortot, Brest par Petitot, L i l l e et Strasbourg par P r a - dier. L a lourdeur de ces statues contraste avec l a s u p r ê m e élé- gance des groupes dessinés par Gabriel. Toutefois les statues d'hommes illustres qui, depuis dix ans, a l t é r a i e n t l a silhouette du pont de l a Concorde et chargeaient dangereusement ses piles, furent transférées en 1837 dans l a cour d'honneur d u palais de Versailles qui n'en fut, à son tour, libérée qu'en 1931.

E n f i n , en ce qui concerne l'éclairage, Hittorfî, en d é c o r a t e u r , a naturellement r e c h e r c h é les effets de l u m i è r e , l'éclat des fêtes de nuit. Mais i l s'agissait surtout d'éclairer et d'assainir par une cir- culation normale ce terrain vague a b a n d o n n é à une population sans aveu. Ces lignes grêles, ces minces colonnes m é c o n n a i s s e n t

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l a pensée primitive de Gabriel, celle d'une vaste plate-forme reliant l a perspective des deux jardins.

L a transaction m é n a g é e en 1835 par Hittorfî se t r o u v a remise en question par Haussmann. I l entendait conserver les fossés d u pourtour mais r é t a b l i r la voie centrale, conçue par Gabriel en 1755 dans son plan définitif, eh r e l é g u a n t ailleurs les deux fontaines et l ' O b é l i s q u e ; i l le confesse dans ses Mémoires : « L a place telle que l ' a v a i t c o n ç u e Gabriel é t a i t d'un effet à l a fois pittoresque et monu- mental. I l avait laissé le milieu libre à l a vue et à l a circulation et décoré les angles d'une m a n i è r e charmante au moyen de quatre parterres bas dont i l ne reste que les huit statues des grandes villes.

Quand M . Hittorfî en eut o b s t r u é malencontreusement le centre en y p l a ç a n t l'obélisque flanqué de deux fontaines monu- mentales, les parterres bas faisaient obstacle à l ' é c o u l e m e n t des foules rentrant des C h a m p s - E l y s é e s a p r è s les feux d'artifice, le soir des fêtes publiques. Lors d u mariage d u duc d ' O r l é a n s , l'un d'eux avait m ê m e é t é le t h é â t r e d'accidents graves ».

Il fallait donc opter entre le maintien des parterres et celui de l ' O b é l i s q u e et des fontaines, entre une circulation au centre ou au pourtour. « J'avoue, déclare Haussmann, que mon avis é t a i t de revenir à l a conception grandiose et simple de Gabriel sauf à utiliser les fontaines et à transporter l ' O b é l i s q u e sur un autre e m p l a c e m e n t . » Cette proposition se heurta à l a r é s i s t a n c e de l ' E m p e r e u r q u i pro- fessait u n grand respect pour l a culture germanique d'Hittorff et son m é m o i r e sur S é l i n o n t e et q u i , surtout, é t a i t sensible à tous les dangers créés pour l a circulation publique. Haussmann n'en per- sista pas moins à regretter une mesure q u i enlevait à l a place le c a r a c t è r e que l u i donnaient ses origines et son histoire. « Obligé d'opter, écrit-il, dans l ' i n t é r ê t de l a circulation entre les parterres et le plateau central, l ' E m p e r e u r préféra, contrairement à mon avis, le maintien de cet obstacle encombrant et monotone et m'ordonna de combler les jardins de Gabriel. Je le fis à regret. » O n ouvrit à travers les emplacements qu'ils d é t e n a i e n t quatre voies diago- nales allant des angles a u centre. L e surplus fut a j o u t é aux aires b i t u m é e s d e s t i n é e s aux p i é t o n s et le tout fut éclairé par d'innom- brables c a n d é l a b r e s . S i l'aspect g é n é r a l n ' a pas g a g n é — bien s'en faut — à ces changements l ' E m p e r e u r atteignit son but. A u c u n encombrement ne s'y produit d é s o r m a i s les jours de fête ou de grande affluence des promeneurs.

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L e comblement des fossés, les lourdes statues é c r a s a n t leurs gracieux supports, les réverbères et- les colonnes rostrales substi- tuant à l'harmonie du plan une profusion de lignes grêles, disper- sées, sans rythme, r e v ê t u e s d'une patine noire, toutes ces a l t é r a t i o n s ont fait perdre à l a place de l a Concorde les t é m o i g n a g e s de son passé et le sens m ê m e de son histoire. Pourtant balustres et guérites laissent encore deviner l a conception initiale et le majestueux décor c o n s t i t u é par l a Madeleine, les hôtels de Gabriel, le pont, le Palais B o u r b o n n'ont cessé de susciter l'attraction et l'admiration des foules.

L a place continue d ' ê t r e le point de jonction des trois villes qui forment l a capitale : l a ville d u Moyen âge et de Louis X I V sur l a rive droite, l ' U n i v e r s i t é et les Faubourgs sur l a rive gauche, l a ville de l'Ouest a m o r c é e au x v me siècle et que les suivants ont pous- sée, selon le t r a c é de Colbert, j u s q u ' à l ' E t o i l e et a u - d e l à vers le c h â - teau de Saint-Germain. Tandis que les autres places royales pour- suivent leur destin local et demeurent toujours encloses, l a place Louis X V est devenue le carrefour d u Paris moderne.

Croisée des chemins dans l'espace, elle l'est aussi dans le temps.

E l l e a é t é associée à nos gloires et à nos revers. A p r è s l a sanglante terreur des a n n é e s r é v o l u t i o n n a i r e s elle a connu, par deux fois, les malheurs de l'invasion. E n 1814, c'est à l'hôtel Saint-Florentin que le prince de Talleyrand négocie avec les souverains alliés l a restauration monarchique et l a conclusion de l a paix rompue b i e n t ô t par les Cent jours, l a défaite de Waterloo, l a d e u x i è m e capitulation de Paris. A u déclin comme à l'aube d u siècle, nouvelle r u é e , nouvelle défaite. Pendant plus de quarante ans l a statue de Strasbourg, symbole de la Patrie m u t i l é e , reçoit l'hommage fervent d'un peuple et de sa tenace espérance. L a victoire lève les voiles de deuil, mais vingt ans a p r è s l'élan qui, en 1914, anime l a France tout e n t i è r e la discorde civile r e n a î t et l ' é m e u t e vient déferler au seuil d u Palais Bourbon. D i x ans plus tard, au lendemain d'une lourde occupation é t r a n g è r e , c'est sur les nobles façades des palais de Gabriel que tombent les derniers obus, a p r è s de violents combats livrés pour la l i b é r a t i o n de l a V i l l e et de l a Patrie. Puisse l a place, en son t r o i - sième siècle, demeurer un symbole d'union plus que jamais néces- saire ! « I l faut l u i laisser son nom, prescrivait N a p o l é o n au ministre de l ' I n t é r i e u r . L a Concorde, voilà ce qui rend la France invincible. »

P A U L L É O N .

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