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(1)

IRmtMIJX

EDMOND PICARD LEON HENNEBICQ

1882 - 1899 1900 - 1940

,

Les marchés passés par l'Etat sont-ils des contrats administratifs?

SOMMAIRE

§ l. La théorie française des contrats administratifs.

§ IL La doctrine belge et les arguments avancés pour ranger parmi les contrats administratifs les marchés pour travaux et fournitures.

I. Les lois et arrêtés royaux spécifiques ré- gissant la matière.

IL Les clauses particulières des contrats cc exorbitantes du droit commun » ou

«contraires à l'ordre public».

III. Indépendamment de tout texte, certains principes généraux du droit admi- nistratif.

A Impossibilité d'exécuter l'Etat.

B Droit de résiliation d'office.

C Droit de modification unilatérale.

D Droit d'exécution d'office.

E La théorie de l'imprévision.

IV. Conclusion.

§ III. Les marchés passés par l'Etat et leur appar- tenance aux contrats administratifs envisagés

« de lege ferenda ».

1. - Les marchés passés par l'Etat, qui présentent un intérêt économique et social considérable, ne füt-ce que par leur am- pleur et l'importance de leurs montants, ont un statut juridique assez mal défini. La construction de routes, ponts, ouvrages d'art, canaux, écoles, bâtiments administratifs, la livraison de matériel de bureau ou de toutes les fournitures nécessaires, par exemple, à la vie d'un service public comme l'armée : vivres, essence, textiles, avions, charroi, mu- nitions, armements, matériels électriques, etc... se traduisent juridiquement par la pas- sation de marchés c'est-à-dire des contrats.

Se pose dès lors la question de règles appli- cables à ces contrats : s'agit-il. uniquement du droit civil ? Ou bien le fait qu'un des contractants soit l'Etat n'a-t-il pas pour effet de « teinter » ces contrats de principes pro- pres au droit administratif et de leur don- ner une physionomie particulière, exorbitante du droit commun, de les assujettir à un régime juridique spécial, d'en faire des

« contrats administratifs » ?

2. - Plusieurs auteurs donnent la préfé- rence à cette dernière conception : le f onc- tionnement de tout service public est soumis à certains impératifs qui n'existent pas en cas de rapports juridiques d'ordre privé : il faut assurer l'égalité des citoyens devant le service public, sa continuité est essentielle et rien ne peut entraver son bon fonction- nement. La mission de l'Etat est de défendre l'intérêt général et ses moyens d'action ne peuvent s'accommoder des seules règles du droit civil qui n'ont en vue que la protection d'intérêts particuliers. Ces derniers doivent toujours céder devant le premier. L'Etat

peut, évidemment, s'il l'estime opportun, uti- liser des procédés de droit privé : celui du contrat par exemple qui suppose un accord de volontés, plutôt que des procédés de droit public (expropriations, réquisitions, régies, etc ... ) mais il ne peut être question pour autant de le considérer comme un simple particulier; et son cocontractant ne peut être traité sur un pied d'égalité par rapport à lui. Le droit qui doit être appliqué à ces rapports ne peut donc être le droit civil ou, tout au moins, ne pourrait-on l'admettre que s'il était très fortement amendé pour tenir compte des nécessités du service public. Ces contrats ne sont plus dès lors des contrats privés ce sont des contrats administratifs (1).

D'autres auteurs estiment au contraire qu'il n'existe pas de contrats proprement administratifs et que le droit civil est entiè- rement applicable aux contrats conclus par l'Etat (2).

Il faut remarquer avec M. Wigny que « la controverse a une grande portée pratique : si l'on opte pour l'application du Code civil aux personnes publiques, on doit admettre que des dérogations à ces dispositions sont exceptionnelles et doivent toujours être jus- tifiées par un texte. Dans le cas contraire, la pratique administrative et une jurispru ..

dence prétorienne peuvent admettre des amendements qui se justifient par les néces- sités du service public » (3).

D'autre part, si les contrats passés par l'Etat sont des contrats de droit civil il sera difficile d'attribuer leur connaissance à d'au·

tres juridictions que les tribunaux ordinaires.

Dans l'hypothèse contraire la compétence d'une juridiction administrative chargée d'élaborer un droit prétorien pourra être défendue.

3. - Le problème ne sera envisagé ici qu'à propos des marchés c'est-à-dire des contrats pour travaux et fournitures à l'ex- clusion des autres contrats passés par l'Etat et pour lesquels il est possible de citer déci- sions et références (contrat d'emprunt, de concession, d'abonnement, de vente d'im- meubles domaniaux, etc ... ). D'autre part les considérations développées ne concerneront pas seulement l'Etat mais pourront s'appli- quer aux pouvoirs publics en général.

(1) Dans ce sens : M. Cornil, «Portée de l'ar- rêt de la Cour de cassation du 5 novembre 1920 », B. J., ler_15 oct. 1939; - H. De Page, Traité élé- mentaire de droit civil belge, édit., t. II, 1067 bis; - P. Wigny, Droit administratif, 1953, 8 179 et 334. - Dans le même sens : A. Butt- genbach, Modes de gestion des services publics de Belgique, 1942, 83.

(2) Dans ce sens : L. Wodon, Le contrôle juri- dictionnel de !'Administration, p. 218; - L. Du- guit, Droit constitutionnel, t. III, p. 403.

(3) P. Wigny, op. cit., 179.

HEBDOMADAIRE JUDICIAIRE EDITEURS : Maison FERD. LARCIER, S. A.

26-28, rue des Minimes, Bruxelles

§ 1. - La théorie française des contrats administratifs.

4. - La notion de contrat administratif est issue de la jurisprudence prétorienne du Conseij. d'Etat français. La plupart des mar- chés conclus par les pouvoirs publics · échap- pant, dans ce pays, à la fois aux règles du droit civil et à la compétence des tribunaux judiciaires. Ce sont les juridictions adminis- tratives qui jugent les différends qui s'élè- vent à propos de leur conclusion ou de leur exécution entre les particuliers et les pou- voirs publics. Elles élaborent à cette occasion des solutions prétoriennes, exorbitantes du droit commun et qui, en dehors des règles de droit civil, et même en dehors des termes du contrat tiennent compte des légitimes intérêts en présence ( 4) .

La compétence du Conseil d'Etat français est issue de la tradition et de la jurispru- dence elle-même de cette haute juridiction conjuguée avec celle du tribunal des conflits et de la Cour de cassation. Cette jurispru- dence est toujours dans la ligne du célèbre arrêt Terrier rendu sur les conclusions du commissaire du Gouvernement Romieu. Elle se base principalement sur la notion de ser- vice public : « Tout ce qui concerne l'orga- nisation et le fonctionnement des services publics proprement dits, généraux ou locaux, soit qu'elle procède par voie de contrat soit qu'elle procède par voie d'autorité, constitue une opération administrative au point de vue des litiges de toutes sortes auxquels elle peut donner lieu» (5). Quoique la notion de service public soit, de nos jours, de plus en plus critiquée en doctrine elle inspire tou- jours le Conseil d'Etat dans ses arrêts de compétence (6). La théorie des contrats ad- ministratifs en est issue directement, ainsi que l'indique G. Jèze (7) qui en définit en même temps, très exactement, la portée:

« Le régime juridique du contrat adminis- tratif est dominé par l'idée fondamentale suivante : le contrat administratif n'est · qu'un procédé de technique juridique mis à la disposition des agents publics pour assurer le fonctionnement régulier et continu des services publics par des moyens juridiques plus faciles et plus énergiques que les moyens de droit privé. La justification de ce procédé technique spécial est dans la notion de ser- vice public. C'est donc uniquement pour at- teindre un but d'intérêt public (service pu- blic) que ce procédé technique spécial a été imaginé et peut . être utilisé.

»Dès qu'il y a contrat administratif, !'Ad- ministration n'a pas besoin d'énumérer et

(4) Des exemples des méthodes prétoriennes uti- lisées par le Conseil d'Etat français peuvent être trouvés dans un article de M. Waline, «L'évolution récente des rapports de l'Etat avec ses cocontrac- tants» (Rev. dr. publ., 1951, p. 5).

(5) Cité par Wodon, Le contrôle juridictionnel de /'Administration, p. 37.

(6) A. de Laubadère, «Réflexions sur la crise du droit administratif français», Rec. Dall., 52, p. 5.

(7) G. Jèze, «Le régime juridique des contrats administratifs», Rev. dr. publ., 1945, pp. 251 et 252.

(2)

de préciser, par des clauses spéciales, chacun des moyens qu'implique le contrat adminis- tratif. De même qu'en droit privé, dès qu'un contrat est conclu, tout un régime juridique devient de plein droit applicable, de même en droit public français dès qu'un contrat administratif a été passé, un ensemble de règles spéciales est de plein droit applica- ble ...

» Toutefois ce régime juridique n'est pas aussi précis que celui du droit privé, pour la raison qu'il est beaucoup plus récent. Le législateur, fort heureusement, n'est pas in- tervenu; il n'y a pas de codification. C'est la jurisprudence du Conseil d'Etat qui, à coups d'arrêts successifs, avec des retouches incessantes, par déduction de la notion de service public, construit ce régime juridique spécial. Dès maintenant il existe un ensemble de règles importantes établies, mais chaque jour des additions sont apportées, plus ou moins importantes ».

5. - En matière de contrats de fournitu- res la jurisprudence du Conseil d'Etat fran- çais admet que les tribunaux judiciaires sont compétents si !'Administration a entendu passer un contrat de droit privé. Sinon, le contrat est administratif et relève de la compétence du juge administratif. La dis- tinction est basée sur le contenu même du contrat. n ne suffit pas, pour qu'il y ait contrat administratif, que la fourniture doive être utilisée pour un service public, « il faut que ce contrat, par lui-même et de par sa nature propre, soit de ceux qu'une personne publique seule peut passer, qu'il soit, par sa forme et sa contexture, un contrat adminis- tratif » (8). On le reconnaîtra à la présence de clauses exorbitantes du droit commun et que l'on ne retrouve pas dans les contrats conclus entre particuliers (9). Cette distinc- tion, en pratique, n'est pas facile et les ar- rêts de compétence sont extrêmement nom- breux. (10)

Le contrat de fournitures peut donc être un contrat de droit privé. Par contre le Conseil d'Etat français a décidé, d'une ma- nière assez peu logique, que le contrat de travaux publics est toujours un contrat ad- ministratif.

La distinction entre « travaux » et « four- nitures » a donc des conséquences au point de vue compétence. Les juridictions seront : les tribunaux judiciaires pour les contrats de fournitures qui revêtent la qualification de contrat de droit privé. S'il s'agit d'un

«marché » ou contrat administratif, c'est la juridiction administrative mais celle-ci varie selon l'objet : fournitures ou travaux. Dans le premier cas c'est le Conseil d'Etat, en premier et en dernier ressort. Dans le second c'est le Conseil de préfecture en premier ressort, le Conseil d'Etat en appel. Comme il n'est pas toujours aisé de distinguer un marché de travaux d'un marché de fourni- tures, pas plus qu'un contrat de droit privé d'un contrat administratif, il arrivera fré- quemment que le plaideur pourra hésiter entre deux voire trois juridictions différen- tes avant d'introduire un recours. En fait il faudra souvent « plusieurs années aux par- ties en procès pour aboutir, non pas à un jugement sur le fond, mais à la détermina- tion du juge compétent » (11).

(8) Conclusions du commissaire du Gouverne- ment Léon Blum dans l'affaire « Société du granit porphyroïde des Vosges», 31 juill. 1912, cité par M. Waline, Manuel élémentaire, 1951, p. 567.

(9) M. Waline, Manuel élémentaire de droit ad- ministratif, 1946, pp. 475 et s.; - A. de Lauba- dère, Manuel de droit administratif, 1951, pp. 187 et s.; - J. Le Clère, Les marchés de fournitures et de travaux publics, 1949, p. 8.

(10) J. Le Clère, op. dt., pp. 20 et 133·

(n) J. Le Clère, op. dt., pp. 20 et 23; - Voir également plus loin sub. 25, réf. citées.

§ 2. - La doctrine belge et les arguments avancés pour ranger parmi les contrats administratifs les marchés pour travaux et fournitures.

6. - En Belgique les tribunaux n'ont ja- mais hésité à reconnaître leur compétence lorsqu'ils se trouvaient en présence d'un contrat de travaux ou de fournitures conclu entre !'Administration et un particulier, et à leur appliquer les règles de droit civil. Les distinctions de la jurisprudence française leur sont inconnues. Par contre ils ont décidé implicitement que tout ce qui se rapporte à la période préalable à la conclusion du con- trat - et notamment la désignation de l'ad- judicataire - échappe à leur compétence (12). Jusqu'à l'institution du Conseil d'Etat la passation proprement dite du ·marché ne pouvait donc faire l'objet d'aucun recours juridictionnel. Depuis lors cette dernière juridiction a eu l'occasion plus d'une fois de reconnaître sa compétenèe en cette matiè- re (13).

Les administrations publiques ont toujours considéré également que les contrats conclus par l'Etat étaient entièrement soumis aux règles de droit civil. n ne leur viendra pra- tiquement jamais à l'esprit d'écarter un texte formel, ou d'y ajouter, en invoquant les né- cessités du service public. Elles considèrent, comme les tribunaux, que les termes du contrat, au même titre que les autres con- trats de droit civil, « font la loi des parties ».

D'où les dispositions nombreuses, détaillées et draconiennes des cahiers des charges.

7. - Ainsi qu'il a été constaté, la doctrine est divisée. Les auteurs qui prônent l'existen- ce des contrats administratifs se fondent sur la notion de service public, au moyen de laquelle certains d'entre eux ont reconstruit tout le droit administratif. Les grandes rè- gles relatives à l'activité du service public ont été dégagées : inaliénabilité de la souve- raineté, égalité des usagers, fonctionnement permanent et régulier. Elles imprègnent tou- te l'activité de l'Etat même lorsque celui-ci utilise des procédés de droit privé. Elles sont à l'origine des nombreuses clauses draconien- nes, exorbitantes de droit commun, qui figu- rent dans les règlements et dans les textes même des contrats. M. A. Buttgenbach sou- tient de plus que même en l'absence de textes certaines règles de droit civil doivent être écartées ou amendées en tenant compte de la nature spéciale de l'action administrative et des services publics (14). C'est cependant M. P. Wigny qui a le plus développé ces théories en faisant appel à un «Droit com- mun supérieur dont le Code civil serait la version applicable aux particuliers et dont une autre version concernerait les personnes publiques» (15). Partant de ces prémisses M. P. Wigny a construit toute une théorie des contrats administratifs en y incluant notamment les théories de l'équation finan- cière et de l'imprévision, manifestement in- spirées des auteurs français (16). Arrivé à ce point le développement de la notion de contrat administratif doit logiquement re- mettre en cause la compétence des tribunaux ordinaires. D'aucuns tirent la conclusion que le contentieux des contrats pour travaux ou fournitures passés par les pouvoirs publics devrait être soustrait aux juridictions civiles pour être attribué au Conseil d'Etat.

8. - Avant d'aborder ce problème de com- pétence il convient de se demander dans quelle mesure ces constructions doctrinales

(12) Voir notamment Brux., 28 janv. 1886, Pas., III, 202; - Liège, 5 janv. 1933, Pas., II, 157·

(13) Voir entre autres l'arrêt Sabca, Rec. jur.

Cons. Etat, 1952, p. 15.

(14) A. Buttgenbach, Droit administratif, Liège, 1948, n° 236.

(15) P. Wigny, Droit administratif, 1953, n° 179·

(16) Ibid., n°8 342 à 369.

se trouvent vérifiées de lege lata et si les dérogations qui existent dans l'état actuel de droit positif permettènt de soutenir que ces contrats doivent être soumis à une dis- cipline juridique autre que celle du droit civil et selon laquelle la notion de service public autoriserait des dérogations qui ne seraient pas fondées sur des textes.

1. - Les lois et arrêtés royaux spécifiques régissent la matière.

9. - Les dispositions de droit public ap- plicables aux marchés de l'Etat sont nom- breuses et variées (17). La procédure de l'ad- judication publique est imposée mais des ex- ceptions sont prévues (art. 21 et 22 de la loi du 15 mai 1846); le prix doit être fixé à forfait et il ne peut être stipulé d'acomptes (art. 20 et 21 de la loi du 15 mai 1846); le décret du 26 pluviôse an II protège l'entre- preneur contre les saisies-arrêts ou opposi- tions de ses créanciers; l'Etat ne peut pas compromettre (18); les administrations sub- ordonnées doivent demander l'autorisation ou l'approbation de l'autorité de tutelle (art.

86 al. 3 de la loi provinciale, art. 81 de la loi communale); il en est de même de certains organismes parastataux (dispositions statu- taires diverses) ; les pouvoirs publics peuvent imposer à leurs créanciers le paiement par l/Officé des comptes de chèques postaux (art. 1 et 2 de la loi du 15 mai 1920); la prescription applicable est de 5 ans (art. 34 et 36 de la loi du 15 mai 1846) ; etc ...

10. - On ne peut tirer, à notre avis, de ces diverses dispositions, fort disparates, au- cun argument en faveur de la théorie des contrats administratifs. Celle-ci avance que des dérogations peuvent être apportées au droit civil même en l'absence de texte en vue de faire face aux nécessités du service public. Or, ici, par hypothèse, il y a un texte.

Du caractère plus ou moins exorbitant de ces règles par rapport à celles du droit civil on ne peut également tirer aucune conclu- sion, pas plus que de la considération qu'elles ont été édictées en vue de sauvegarder l'in- térêt de l'Etat contractant, lequel se confond avec l'intérêt général. Les législations récen- tes en matière de baux à ferme et de baux à loyers, également promulguées dans l'inté- rêt général, contiennent des dispositions encore bien plus dérogatoires aux principes les plus essentiels de notre droit civil; les principes de l'autonomie de la volonté, de la liberté des conventions, de l'exécution de bonne foi. Ces contrats cessent-ils pour au- tant d'appartenir au droit civil ? Sont-ils soumis à une autre discipline juridique, à d'autres méthodes d'interprétation ? Person- ne ne le soutiendra.

II. - Les clauses particulières des contrats

« exorbitantes du droit commun » ou « con- traires à l'ordre public».

11. On sait qu'en France la nature admi- nistrative du contrat est déduite de l'exis- tence de ces clauses (19). Selon certains elles doivent être telles qu'elles seraient con- sidérées comme contraires à l'ordre public si elles figuraient dans un contrat conclu en- tre particuliers (20). Selon d'autres il suffit qu'elles soient « exorbitantes du droit com- mun» (21). Qu'en est-il en Belgique ?

Les auteurs font figurer parmi ces clau- ses:

(17) L'exposé le plus complet et le plus récent en a été fait par M. P. Wigny, Droit administratif, 1953·

(18) Art. 1004 et 83 du Code de procédure ci- vile, voir cependant les lois des 25 oct. 1919, 12 mai 1937 et 18 aolÎt 1928.

(19) Voir sub 5.

(20) M. Waline, Manuel élémentaire de droit administratif, 1951, p. 566.

(21) de Laubadère, Manuel de droit administratif, 1951, p. 190.

(3)

1) le pouvoir de contrôle, de surveillance, le droit d'imposer des directives, de donner des ordres de service. L'entrepreneur est tenu de commencer les travaux au jour qui lui est indiqué par le fonctionnaire dirigeant, celui-ci peut donner l'ordre de les interrompre, les matériaux doivent être agréés, le tracé des ouvrages doit être vérifié, etc. L'Administration inter- vient donc dans la mise en œuvre pro- prement dite de l'ouvrage;

2) le pouvoir d'imposer des amendes pour retard;

3) diverses clauses de forclusion, assez nom- breuses: ainsi, l'entrepreneur doit former toute demande judiciaire se rapportant à l'entreprise au plus tard six mois après la date à laquelle la réception provisoire aura été faite;

4) le pouvoir d'apporter aux travaux toutes les adjonctions, suppressions, modifica- tions quelconques que !'Administration juge convenable de prescrire au cours de l'exé- cution de l'entreprise. L'incidence que ces modifications peuvent avoir sur le prix et la rémunération de l'entrepreneur est également indiquée conventionnellement dans le cahier des charges;

5) le droit pour !'Administration de passer à l'exécution d'office du travail en cas de défaillance du cocontractant et de procéder éventuellement en régie aux frais, risques et périls de l'entrepreneur, en employant au besoin son matériel et ses matériaux.

12. - Il est permis d'estimer qu'aucune de ces clauses n'est contraire à l'ordre public et que la plupart d'entre elles ne sont même pas exorbitantes du droit commun, qu'elles se retrouvent au surplus dans les contrats privés. Le pouvoir de direction et de sur- veillance ne constitue qu'une modalité d'exé- cution du contrat, il ne change pas sa nature et pourrait, tout au plus, avoir des incidences sur un partage éventuel des res- ponsabilités. Les amendes pour retard peu- vent s'analyser en de véritables clauses péna- les, analogues en tous points à celles régies

· par les articles 1152, 1226 et suivants du Code civil (22). Des clauses de forclusion peuvent être inscrites dans les conventions privées. En fait on les retrouve fréquem- ment, dans les polices d'assurance par exem- ple. Bien que les règles relatives à la pres- cription soient d'ordre public il est admis que les conventions particulières peuvent abréger les délais légaux (23). La clause qui réserve au maître de l'ouvrage le droit de modifier unilatéralement les prestations de l'entrepreneur, moyennant décompte, ne peut s'analyser, .contrairement à l'opmion de M.

Waline, en une condition purement potesta- tive (24). On la retrouve également dans des contrats d'entreprise passés entre particu- liers (25). Il en est de même du droit de procéder, en cas de défaillance, à l'exécution d'office du travail aux frais, risques et pé- rils de l'entrepreneur (26). Nonobstant son caractère draconien il peut s'analyser en une modalité d'application de l'articJ.e 1184 du Code civil, lequel n'est pas d'ordre public (27). Sans doute !'Administration disposera de la voie d'exécution directe et ne sera pas tenue de passer par les tribunaux pour obte- nir un titre exécutoire. Ce procédé n'est

(22) A. Delvaux, Traité juridique des bâtisseurs, t. II, n° 410.

(23) H. De Page, t. VII, n°• II34 et 1254 et références citées.

(24) M. Waline, op. cit., p. 615; - Contra : De Page, t. I, n° 155 bis; - Planiol et Ripert, VII, n° 1028; - Aubry et Rau, 58 édit., pp. 105 et 106; - Laurent, XVII, n° 35, p. 72.

(25) A. Delvaux, op. cit., t. Il, n° 334.

(26) Id., n° 405.

(27) De Page, t. II, n° 882; - Planiol et Ripert, t. VI, nu 428 et 436; - Rép. Dr. B., v0 Obliga- tions, nu 253 et 254.

cependant pas non plu~ en lui-même un pri- vilege exclusif de l'Etat; tous les actes notariés sont, en général, susceptibles d'exé- cution parée (28).

13. - Il n'est donc pas nécessaire pour justifier le caractère plus ou moins draconien de ces stipulations de soustraire la matière des marchés passés par l'Etat à l'application du droit commun. La « règle d'ordre public de l'égalité des contractants» dont M. Wali- ne (29) semble faire un principe général, n'est qu'une pure conception philosophique qui ne résiste pas à l'épreuve de droit positif. Bien au contraire, le régime du droit des obliga- tions, issu du Code civil, est celui de la li- berté des conventions, laque1le exclut, en fait, l'égalité. Pour établir celle-ci dans une cer- tame mesure et pour atténuer l'inégalité fon- damentale et naturelle des individus, une intervention spéciale et postérieure du légis- lateur s'est avérée nécessaire, comme en ma- tiere de contrat de travail et d'emploi, de baux à ferme ou à loyer, etc ... (30). Partout ailleurs la liberté reste la regle fondamentale et les contrats de droit privé retletent 1idele- ment l'inégalité naturelle des parties. Il n'y a pas que l'Etat qui stipule en sa faveur des clauses jugées «exorbitantes». Il suffit de penser aux contrats de vente à tempéra- ment, de prêt hypothécaire, aux poilces d'assurances, aux contrats de transport et à d'autres contrats, dits « d'adhésion », dans lesqueis les st1pu1at1ons sont red1gees excm- sivement par une des parties, et, naturelle- ment, en 10nct10n prmcipalement de ses in- téréts, l'autre partie ne pouvant pratiquement

S'Y soustraire. M. Van Dievoet a estimé, avec raison, que certains de ces contrats-types ne sont pas toujours con10rmes à l'équité (31).

lls font néanmoins la loi des parties et sor- tent leurs el!ets. Ce n'est que tres exception- nellement, par exemple en matiere de dé- charge de responsabilité, que les triounaux ont parfois re1usé de les sanctionner.

14. - Pas plus que le caractère « exorbi- tant» de ces clauses, celui d'une non-con- iormité éventuelle à l'ordre puonc ne pourra tournir d'argument en taveur de la théorie des contrats administrati1s. Cette notion d'ordre public est dominée principa.1.ement par celle de l'intérêt public. « La loi d'ordre public est .celle dont les dispositions sont ordonnées en vue de l'existence même de

!'Etat et pour le bien de la chose publique » (;:$2). Le procureur général Terlinden a dit d'autre part « Est d'ordre public, la loi de sauvegarde ou d'intérêt public» (33). L'Etat contractant représente bien l'intérêt public.

On peut donc concevoir qu'il stipule en sa taveur certaines clauses qui pourraient être considérées comme nulles si elles étaient insérées dans un contrat passé entre parti- culiers. S'agissant de l'Etat, ces clauses de- viendraient conformes à l'ordre public. En

les reconnaissant et en les sanctionnant les tribunaux ne se départiraient nullement de leur mission traditionnelle et de la concep- tion habituelle de leur pouvoir d'interpré- tation. Ainsi en matière de responsabilité civile ont-ils dégagé, en partant des mêmes textes, des principes différents suivant qu'ils se trouvent en présence de personnes privées ou de personnes publiques. Leur pouvoir d'ap- préciation, par exemple, est beaucoup plus

(28) De Page, t. III, n° 89; - Voir également plus loin sub 19.

(29) Op. cit., 1951, p. 566.

(30) Voir sur ces idées, notamment, G. Ripert, Le régime démocratique et le droit civil moderne, 1948, pp. 165 et S.

(3 l) E. Van Dievoet, Le droit civil en Belgique et en Hollande de 1800 à 1940, 1948, p. 289; - Voir également De Page, t. II, n°8 463 et 476.

(32) Cass., 21 avril 1921, Pas., I, 338 et 30 oct.

1924, Pas., I, 561.

(33) Conclusions sous Cass., u mai 1922, Pas., I, 296.

étendu dans le premier cas que dans le se- cond (34). De même les conventions qui ont pour objet de fausser les enchères sont nulles

dans le cas d'une adjudication faite par l'Etat, mais peuvent être valables en d'autres cas (35).

Si cette conception de l'ordre public est exacte il faudrait en conclure que l'Etat contractant échappe, dans une certaine me- sure aux sujétions auxquelles doivent se soumettre les particuliers, sans que l'on puisse en déduire que les règles du droit civil ne lui sont pas applicables ou que ces contrats sont régis par un autre domaine de droit.

III. - Indépendamment de tout texte, cer- tains principes généraux du droit adminis- tratif.

15. - Certains principes de base du droit administratif, déduits de la notion de service public, sont-ils de nature à conférer au ré- grme juridique des marchés passés par l'Etat au statut propre et spécifique, celui des contrats administratifs ? Il s'agit de l'im- possibilité d'exécuter l'Etat et du droit, pour cemi-ci, de toujours mettre fin unilatérale- ment et en dehors de tout texte à un contrat s'il le juge nécessaire (aucun droit acquis ne peut prevaloir contre le service public). Il s'agit également de droit d'exécution d'office et de celui de moditier unilatéralement les contrats c'est-à-dire d'augmenter ou de di- minuer les presta.tions du cocontractant sans

demander son accord. Ces a.eux dernieres prerogatives se trouvent dans les cahiers des charges mais certams auteurs estiment qu'el- les existent en toute hypothèse et qu'il est inutile de les stipu1er par écrit. Il s'agit, enrm, de. la théorie de l'imprévision.

A. - Impossibilité d'exécuter l'Etat.

16. - Personne n'a le droit d'exécuter l'Etat. Si celui-ci doit une somme d'argent à un particulier ce dernier ne dispose pas des voies d'exécution qui lui seraient normale- ment ouvertes vis-à-vis d'autres débiteurs.

Les auteurs citent généralement à l'appui de cette regle, déduite de la notion de servie&

public (le fonctionnement permanent et ré- gulier du service exige que l'Etat puisse choisir lui-même quand et comment il effec- tuera le paiement) un arrêt de la Cour d'ap- pel de Bruxelles du 27 juin 1921 (Pas., 1922, II, 53) qui s'exprime ainsi :

« Attendu que la législation belge n'ouvre pas les voies d'exécution forcée contre l'Etat, parce que ses créanciers ne peuvent entra- ver la marche des services publics auxquels le Gouvernement est obligé de pourvoir.»

Le principe qu'il est impossible d'exécuter l'Etat est, de fait, une réalité du droit posi- tif. Il existe de lege lata mais sa justifica- tion peut reposer sur des textes. L'article 537 du Code civil dispose que les biens qui

(34) Si l'auteur du fait dommageable est une personne privée, les tribunaux portent un jugement complet sur l'entièreté de l'acte qui fut à l'origine de la lésion, compte tenu de toutes les contingences particulières et de toutes les circonstances de fait.

Si au contraire, l'auteur de la faute est une per- sonne publique, les tribunaux auront soin de ne pas empiéter sur le pouvoir discrétionnaire de !'Ad- ministration. Leur pouvoir d'appréciation devient beaucoup plus limité. L'exemple classique cité par les auteurs est le suivant : en cas d'accident causé par le mauvais état d'une route, ou d'un chemin, il n'y a faute que si la route n'est pas dans l'état correspondant à la décision de !'Administration, mais l'opportunité et le contenu de cette décision échappent à toute appréciation. Les tribunaux ne portent donc plus un jugement complet sur l'en·

tièreté de l'acte incriminé, comme dans le premie1 cas.

(35) De Page, t. I, n° 43. - Sur l'interprétation des tribunaux en cas de litige entre un particulier et !'Administration, voir A. Buttgenbach, Modes de gestion des services publics en Belgique, 1942, n° 84.

(4)

n'appartiennent pas à des particuliers ne peuvent être aliénés que dans les formes et suivant les règles qui leur sont propres. Or, l'aliénation des biens de l'Etat est réglée par une série de lois qui ne prévoient pas la possibilité de l'exécution (36). Les biens de l'Etat sont donc insaisissables et cette rè- gle peut être dégagée sans faire appel à la notion de service public.

B. - Droit de résiliation d'office.

17. - Dans le même ordre d'idées on peut citer un arrêt de la Cour de cassation du 14 février 1935 (R. A., 1935, p. 214) qui s'ex- prime ainsi en ses considérants : « Attendu que si la commune contracte, sans demander ni attendre que la décision de créer la rue soit approuvée par l'autorité supérieure et qu'elle croit ensuite devoir refuser de rem- plir ses engagements il ne peut, à la vérité, être enjoint par les cours et tribunaux d'exé- cuter des travaux publics que l'autorité com- pétente estimerait n'être plus commandés par l'intérêt communal ou par l'intérêt géné- ral; mais les particuliers ne sont pas dans ce cas de refus d'exécution privés de droit civil d'obtenir des dommages-intérêts ou in- demnités tenant lieu à leur égard d'exécution et la commune ne s'exonère pas de cette dette en se bornant à invoquer que l'appro- bation de l'autorité supérieure n'a été ni octroyée ni refusée».

La solution du litige aurait pu être trouvée dans l'article 1794 du Code civil : « Le maître peut résiner, par sa seUle volonté, le marché à 1or1ait, quoique l'ouvrage soit déjà com- mencé, en dedommageant l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise». On remarquera que cette disposi- tion contient en germe la fameuse tneone de l'équat10n financiere, qui a fait fortune en France. On sait qu'elle a été étendue par la jurisprudence aux marchés où il n'y a pas de forrait ainsi qu'à toutes les entreprises à f or1ait, qu'elles soient ou non relatives à l'exécution de bâtiments (37).

Le droit pour l'Etat de résilier unilatéra- lement un marché peut donc également trou- ver son fondement dans le droit civil et en dehors des principes de droit administratif.

C. - Droit de modification unilatérale.

18. - Les marchés conclus par l'Etat peu- vent donc être résiliés par sa seule volonté

(art. 1794 du Code civil). Peuvent-ils de même faire l'objet de modifications unilaté- rales qui, sans en changer la nature et sous réserve d'indemnisation, aboutissent à aug- menter ou à diminuer les prestations du co- contractant ?

La question est théorique car les cahiers des charges contiennent souvent les clauses réservant un tel pouvoir à !'Administration.

A défaut de stipulation expresse la solution serait trouvée en fait par voie d'avenant.

Les administrations publiques sont, ainsi qu'il a été remarqué, pénétrées de l'idée que les contrats passés par elles sont entièrement soumis aux règles de droit civil. Or, en droit privé la convention fait la loi des parties.

Elles tenteront donc de conclure un avenant, parfois aux prix de certaines concessions.

Aussi les conflits sont rares et la jurispru- dence, sur ce point précis, inexistante. Dans l'état actuel les tribunaux, appliquant les principes de droit civil, ne seraient vraisem- blablement pas disposés à reconnaître au profit de l'Etat un droit de modification uni- latérale des marchés dès lors que rien n'a été prévu dans le contrat initial et que ces modifications revêtent quelque importance

(36) Cons. Leurquin, Code de -la saisie-arrêt, n"5 74 et 75 et réf. citées; - Note sous Brux., 22 nov. 1907, Pas., 1908, II, p. 55.

(37) Rép. Dr. B., v0 Devis et marchés, n"5 131 et 132 et références citées.

(38). Un tel privilège serait, au reste, des- tructif de la notion même du contrat: obli- ger un industriel à livrer quinze mille pai- res de bottines à l'armée alors qu'il ne s'est engagé qu'à en livrer dix mille ne revient-il pas, pratiquement, à substituer le régime de la réquisition à celui de la convention ?

En France la jurisprudence du Conseil d'Etat a parfois admis ce droit de modifi- cation unilatérale. Les auteurs sont divisés.

Certains ont tenté une justification en se plaçant exclusivement sur le terrain du droit civil (39). D'autres ne l'ont admis que pour la «partie réglementaire du contrat» par opposition à la «partie contractuelle» (40).

D. - Droit d'exécution d'office.

19. - L'Administration dispose de la voie d'exécution d'office et du privilège du préa-

lable. Contrairement aux particuliers elle ne doit pas obtenir un titre pour exécuter et, au besoin, requérir la force publique.

Ce principe de droit administratif ne peut être admis sans nuances. Il existe des excep- tions qui sont relevées par les auteurs. Ainsi nul ne peut être détenu sans mandat judi- ciaire régulier (Constitution, art. 7).

La matière est délicate et n'a pas fait l'objet, jusqu'à présent, d'un étude complète et approfondie. Le privilège de l'exécution d'office peut-il modifier la nature juridique des marchés passés par l'Etat ? Dans quelle mesure est-il exorbitant du droit commun ? En cas de stipulation expresse il convient de se demander, pour tenter de résoudre le problème, si le marché passé par l'Etat con- stitue un acte authentique ou un acte sous

(38) Selon M. A. Delvaux (Traité juridique des bâtisseurs, t. II, n° 350), les modifications unilaté- rales du contrat d'entreprise ne sont admises que s'il s'agit de modifications de détail n'entraînant pas pour l'entrepreneur de conséquences domma- geables. Toute autre solution serait contraire au principe que les conventions doivent s'exécuter de bonne foi.

(39) M. J. L'Huillier («Les contrats administra- tifs tiennent-ils lieu de loi à !'Administration», Rec. Dall., 1953, p. 90) se base sur l'article n35 du Code civil aux termes duquel « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature». Il raisonne comme suit « ce que le code appelle l'usage porte ici le nom de pratique administrative.

Lorsque la pratique généralement suivie dans les administrations publiques comporte l'insertion: systé- matique, dans une certaine variété de contrats, de clauses réservant à l'autorité contractante le pou- voir de mettre fin au contrat ou de modifier l'éten- due des prestations stipulées à son profit par une décision unilatérale, ces clauses doivent être consi- dérées comme sous-entendues lorsque, dans un cas particulier, !'Administration a omis de les faire figurer dans l'un de ces contrats ». Cette argumen- tation n'est guère convaincante : il s'agirait d'abord de démontrer l'existence réelle de cet usage, ce qui n'est pas facile; d'autre part l'omission de la clause pourra très souvent être interprétée comme impli- quant aussi bien la volonté de l'exclure que celle de l'inclure.

(40) M. G. Jèze ( « Le régime juridique du con·

trat administratif», Rev. dr. pub!., 1945, p. 258) distingue la « partie réglementaire du contrat )) et la << partie contractuelle ». La première peut être modifiée unilatéralement par !'Administration qui tiendrait ce privilège de son pouvoir réglementaire, lequel est inaliénable. La partie « contractuelle » au contraire lierait l'Etat au même titre qu'un parti- culier. Cette explication peut être utile pour cer- tains contrats, tels celui de concession, qui ont di- rectement pour objet l'organisation d'un service pu- blic et dont la partie « réglementaire » peut être facilement dégagée. Tel n'est pas le cas pour les marchés, qui ressemblent en tous points aux con- trats privés.

seing privé. Il semble que la thèse de l'au- thenticité puisse être défendue (41) : ne s'agit-il pas d'un acte passé par un minis- tre, en vertu d'une disposition légale ( 42) ou par un fonctionnaire délégué et assermenté, dans l'exercice de ses fonctions? Si l'on ad- met cette conception le privilège de l'exécu- tion d'office semble ile plus rien offrir d'ex- ceptionnel : tous les actes authentiques, en droit privé, ont la voie d'exécution pa- rée (43).

Si on refuse la qualité d'acte authentique aux marchés passés par l'Etat, opinion dé- fendable, la voie d'exécution d'office devient un privilège exorbitant, qui ne trouve plus sa justification dans les principes de droit civil.

Qu'en est-il en l'absence de toute stipula- tion expresse? Les opinions sont divergentes.

Il semoie que le droit d'exécution d'office ne puisse être admis (44). Ce privilège est exceptionnel et dangereux, il serait indiqué de le limiter aux cas où il n'existe aucune autre procédure d'exécution (45). Tel n'est pas le cas pour les marchés: en l'absence de stipulation expresse l'article 1184 du Code civil est de plein droit applicable.

l!:. - La théorie de l'imprévision.

On sait que cette théorie a été élaborée par les puolicistes français et qu'elle vise a réajuster d'une maniere prétorienne les prestations des parties en fonct10n de cir- consliances économiques nouvelles et impré- vis11J1es lors de la 10rmation du contrat. La tneorie de l'imprévision n'est pas admise en droit civil belge et les tribunaux hésiteront naturel.l.ement à l'appllquer aux marchés pas- ses par l'Etat.

La question n'a été que très rarement posée devant eux et cela non pas tellement à cause Cie la position arretée par la jurisprudence que parce que l'Etat, après chaque guerre ou devaluation a pris spontanément, sous forme de lois de portée générale, des mesu- res destmées à réajuster ses contrats (46).

D'autre part les contrats à long terme con- tiennent presque toujours des clauses de va- riation des prix qui réalisent conventionnel- lement l'adaptation.

Admettre la théorie française de l'impré- vision qui tend à réaliser ce réajustement au moyen de décisions juridictionnelles préto- riennes reviendait à conférer aux marchés passés par l'Etat, sur ce point tout au moins, un caractère réellement exorbitant. ùne tel- le évolution ne paraît cependant pas s'im- poser de lege f erenda en présence des clau- ses de variation de prix et des lois de portée générale. Les premières font la loi des par- ties. Les secondes s'apparentent aux mesu- res par lesquelles un contractant adapte spontanément et sans y être obligé ses pres- tations aux conditions économiques nouvel- les. De pareils accommodements, bien qu'ex- tra-juridiques, sont de pratique courante entre particuliers (en matière de baux par exemple).

(41) En ce sens : Cass., 27 avril 1893, Pas., I, 200; - Contra : De Page, t. III, n° 754.

(42) L., 15 mai 1846, art. 19.

(43) Voir De Page, III, n<>s 88, 89 et 7 46. Il faut noter cependant que, pratiquement, les marchés pas- sés par l'Etat ne contiennent jamais la formule exé- cutoire visée par l'article 545 du Code de procédure civile.

(44) Dans ce sens : Poorterman, Entreprises de travaux, p. 152; - Contra : Giron, Dictionnaire de droit administratif, v0 Exécution des actes de l'autorité, n° 6; - P. Wigny, Droit administratif, 1953, n° 362. - Consulter également E. De Fays, Notariat d'Etat.

(45) P. Wigny, Droit administratif, 1953, n° 210.

(46) Ainsi, par exemple, la loi du 11 octobre 1919 modifiée par celle du 23 juillet 1924.

(5)

IV. - Conclusion.

21. Le droit des obligations offre ·de très grandes possibilités et une souplesse remar- quable car une de ses règles dominantes reste celle de la liberté des conventions, qui font la loi des parties. Les tribunaux, de leur côté, ont traditionnellement un très· large pouvoir d'appréciation {47) et ils ont eu fré- quemment la possibilité de s'en servir pour dégager, par exemple en matière de respon- sabilité civile, des principes qui tiennent compte de la nature particulière de l'action administrative.

L'Etat peut donc protéger ses intérêts, qui se confondent avec ceux de la collectivité, en insérant dans ses contrats telles clauses qu'il estime nécessaires, et dont la plupart se retrouvent du reste dans les conventions particulières. Il n'existe aucune raison de croire que les tribunaux devront pour les sanctionner faire appel à d'autres principes que ceux du droit commun. Les « privilèges » du droit administratif en particulier peuvent presque toujours, en cette matière, être jus- tifiés par les règles du droit civil. Certains d'entre eux sont, au surplus, contestables.

Est-ce à dire que les principes de droit civil peuvent être transposés ne varietur et ne devront jamais faire l'objet de certaines adaptations. Il serait dangereux de l'affir- mer à priori et d'une manière absolue. Il est certain néanmoins que les dérogations éven- tuelles seront exceptionnelles et que l'on ne pourra en déduire l'attribution aliX marchés passés par l'Etat d'un statut sui generis im- pliquant comme corollaire, le recours à une discipline juridique différente, à d'autres mé- thodes d'interprétation. On ne peut notam- ment soutenir, dans l'état actuel du droit positif, que la notion de service public auto- rise, d'une manière générale, telles déroga- tions qui ne seraient pas justifiées par un texte. Loin de faire de cette notion la pierre angulaire du droit des marchés de l'Etat il

y aurait lieu, en toute hypothèse, de ne l'in- voquer que très accessoirement et dans des cas strictement limités.

Les marchés passés par l'Etat ne sont pas, dans l'état actuel du droit positif belge, des contrats administratifs dans le sens que la plupart des auteurs modernes attachent à

cette expression.

§ 3. - Les marchés passés par l'Etat et leur appartenance aux contrats

administratifs envisagés

«de lege ferenda »

22. - La théorie des contrats administra- tifs, d'origine essentiellement française, peut faire valoir en sa faveur divers arguments.

Le principal est le danger de limiter l'action administrative en la coulant dans des textes qui ne peuvent tout prévoir, ou dans ~es

règles du droit privé qui n'ont en vue que la protection d'intérêts particuliers, alors que le service public exige que l'Etat garde les mains libres pour pouvoir veiller, quoiqu'il arrive, à l'intérêt général. D'autre part on fait remarquer que l'Etat n'est pas, en fait, un contractant comme un autre. Il dispose de pouvoirs tout à fait spéciaux et qui lui sont impartis à raison même de sa mission.

C'est ainsi qu'en légiférant en matière fis- cale, sociale ou économique, il peut modifier profondément la situation de son cocon- tractant, réduire à néant les marges bénéfi- ciaires les mieux calculées ou, au contraire, les gonfler au delà de la toute prévision.

Cet argument est très exact et permet de justifier, en équité, la théorie de l'imprévi-

(47) Voir, entre autres, J. Boulanger, «La mé- thode depuis le Code civil de 1804 au point de vue de l'interprétation judiciaire>>, J. T., 13-20 avril 1952.

sion et celle de l'équation financière telles qu'elles existent en France, mais il met en cause la responsabilité de l'Etat législateur.

Cette responsabilité n'est pais et ne peut être retenue lorsqu'il s'agit de contrats entre particuliers et on ne voit pas pourquoi un sort différent serait fait aux marchés de l'Etat. Quant au premier argument nous croyons avoir démontré que le droit civil, tel qu'il est interprété par les tribunaux, per- met de faire face à toutes les nécessités en matière de marchés. Les administrations pu- bliques, en tous cas, s'en accommodent par- faitement et ce n'est pas de leurs milieux qu'émanent les critiques dirigées contre les insuffisances de droit privé.

23. - Quant aux inconvénients ils sont, à notre avis, majeurs et devraient justifier la plus grande prudence avant d'entrer dans la voie indiquée par les auteurs dont plusieurs sont, cependant, éminents. Ils concernent à la fois la sécurité juridique et la compétence.

24. - Admettre la théorie des contrats ad- ministratifs revient à substituer le droit pré- torien au droit écrit. Les normes du droit civil et les stipulations du contrat pourraient être amendées par l' Administration et par les tribunaux en fonction des nécessités du service public. Le danger d'une pareille in- novation est d'introduire pour une période indéterminée mais assurément fort longue une insécurité à peu près totale dans un domaine où, cependant, le droit civil offre un ensemble de règles stables et connues dégagées par les tribunaux. L'Etat serait sans doute le premier à en subir les con- séquences car les industriels ne manque- raient pas d'inclure dans leurs prix une marge de sécurité nouvelle et peut-être considérable. Ils seraient, en tous cas, d'autant plus fondés à le faire, et cela non- .obstant une application éventuelle de la théorie de l'équation financière, que les pos- sibilités d'arbitraire de !'Administration se- raient singulièrement accrues. L'application de la notion de service public soulèvera en effet, presque toujours, des questions de pure opportunité qui, comme telles, échapperont fatalement à tout contrôle juridictionnel.

25. - Une attribution éventuelle du con- tentieux des marchés au Conseil d'Etat ne peut davantage être défendue raisonnable- ment. Notre droit positif n'est sans doute pas parfait.· Il offre, comparé au droit français, l'avantage inappréciable de l'unité de juri- diction. Tous les marchés passés par l'Etat relèvent en Belgique de la compétence des tribunaux ordinaires dès lors qu'il y a con- trat conclu. En France certains contrats qualifiés « de droit privé » sont également de la compétence des tribunaux judiciaires, d'autres contrats « administratifs» relevant soit du Conseil d'Etat, soit du Conseil de Préfecture. Les auteurs estiment que cette double eompétence soulève des problèmes malaisés à résoudre: il faut souvent plusieurs années aux parties en procès pour obtenir non pas une décision sur le fond mais un simple arrêt de compétence (48). Cette con- statation a encore été faite récemment par deux juristes français (49). Parlant des ava- tars des justiciables M. A. de Laubadère (50)

(48) Voir sub 5.

(49) Dans la revue sommaire de jurisprudence de la «Revue de droit public» de 1952, M. G. Pe- quignot estime que « nos arrêts sont toujours aussi peu explicites sur la notion de clause exorbitante.

Ils apparaissent même, parfois, contradictoires )) (p.

193). M. L. Muracciole, de son côté, «Lorsqu'on examine un contrat de !'Administration la première question est toujours de savoir si l'on se trouve en présence d'un contrat de droit administratif ou d'un contrat de droit privé. Le problème reste très déli- cat à résoudre en pratique, si l'on s'en réfère aux très nombreux arrêts d'irrecevabilité rendus par le Conseil d'Etat» (p. 510}.

citait, le cruel aphorisme de La Bruyère

« Orante plaide depuis dix ans en règlement de juges; elle saura dans cinq ans quel est son juge et dans quel tribunal elle aura à plaider le reste de sa vie ».

26. - Certes, cette situation doit être at- tribuée partiellement à l'engorgement ef- frayant du Conseil d'Etat français et a donc un caractère contingent. On ne peut cepen- dant espérer que le Conseil -d'Etat, en Bel- gique, arrive à dégager rapidement les cri- tères qui s'imposent si le Conseil d'Etat français n'y est pas parvenu après des di- zaines d'années. On ne peut davantage espé- rer éviter la double compétence de juridic- tions en confiant, sans exceptions, la totalité du contentieux des marchés au Conseil d'Etat. Même en France on a dû finir par admettre l'existence de contrats purement privés, quoique passés par !'Administration.

Nier l'existence de ces contrats reviendrait, en surplus, à priver l'Etat d'un moyen d'ac- tion qui peut être très précieux, ne fût-ce que par la sécurité juridique plus grande qui l'accompagne. Est-il bien nécessaire d'ail- leurs de faire intervenir la notion de service public avec tout son contenu, lorsqu'il s'agit de la livraison de fournitures de bu- reau, de la prise de quelques litres d'es- sence par une automobile de l'Etat à une pompe de passage, ou de menus frais de réparation et d'entretien ? Ne sera-t-il pas toujours plus expédient et plus conforme à la réalité, de considérer ces opérations com- me ressortant exclusivement du droit privé.

27. - La notion de service public est de plus en plus critiquée et remise en question en France, où on lui reproche principale- ment son imprécision fondamentale (51). Il semble cependant difficile de la rayer du droit administratif et il paraît, au contraire, impossible de traiter scientifiquement une matière comme celle des organismes parasta- taux sans l'avoir sans cesse présente à l'es- prit. Encore faut-il éviter d'en faire la pana- cée qui donne la clef de tous les problèmes.

Le droit strictement privé doit rester un moyen d'action utilisable par l' Administra- tion. Ainsi que l'enseigne M. A. de Laubadère

« Le rattachement du régime administratif à la notion de service public, tel qu'il était primitivement conçu, entraînait exclusion du droit privé et de la compétence judiciaire dès qu'était en jeu une activité de service public. Or, une telle exclusion a cessé d'être absolue. On a assisté à une pénétration du droit privé et du régime administratif dans la gestion des services publics. C'est la juris- prudence de ces trente dernières années qui a consacré et développé cette évolution » (52).

En ce qui concerne plus particulièrement les marchés passés par l'Etat des idées s'appa- rentant étroitement à celles ici développées ont été défendues par M.A. de Grand Ry dans une remarquable communication faite à l'In- stitut Belge des Sciences Administratives le 9 novembre 1953.

Ainsi, tant en France qu'en Belgique les partisans d'un droit administratif entière- ment autonome s'opposent à ceux qui prô- nent une certaine pénétration du droit stric- tement privé dans les rapports juridiques qui unissent l'Etat aux administrés. Il faut sou- haiter que leur dialogue continue.

Y. DOUXCHAMPS.

(50) A. de Laubadère, « Réflexions sur la crise de droit administratif français>>, Rec. Dall., 1952, p. 5.

(51) Voir G. Marange, <<Le déclin de la notion de service public», Rec. Dall., 1947, p. 45; - A.

de Laubadère, «Réflexions sur la. crise du droit ad- ministratif français», Rec. Dall., 1952, p. 5; - J.

Rivera, cc Existe-t-il un critère du droit administra- tif», Rev. dr. pub!., avril-juin 1953·

(52) A. de Laubadère, Manuel de droit admi- nistratif, p. 3 r.

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