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Face aux élèves, déni et envie

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Academic year: 2022

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Par Marjolaine Dorne

Face aux élèves, déni et envie

Enseigner devient chaque jour plus difficile. Pourquoi ? Manque de formation face à des élèves impossibles à canaliser. Et manque de soutien parfois de la part de la direction des établissements.

Ce n’est que le début de l’année scolaire mais il se sent déjà très fatigué. Pourtant Thierry Quenum, la cinquantaine, professeur remplaçant dans un collège de la banlieue parisienne, connaît bien le métier. En trente ans d’exercice, il en a vu défiler des collèges et des lycées, sillonnant le nord et l’est de la France, découvrant le milieu ouvrier et agricole. Avec son lot de difficultés : problèmes d’alphabétisation, chahut incessant en classe… Cette fois-ci, la rentrée avec les collégiens a été plus dure : « Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu affaire à des élèves de troisième. Un vrai choc. C’est simple, je passe mon temps à faire de la discipline, à batailler contre un petit noyau d’élèves qui s’en fichent ouvertement, poussent des cris dès que j’écris au tableau. Le reste de la classe, qui voudrait bien travailler, a aussi du mal à se tenir pendant le cours. Leur capacité de concentration équivaut à la durée d’un clip vidéo. La télé est devenue tellement tentaculaire qu’elle fait concurrence à l’école », s’indigne le professeur.

« Ils sont incapables de s’autodiscipliner. Toute la journée, je suis confrontée à des élèves insolents. Ils font comme si je n’existais pas, s’interpellant entre eux à voix haute. Les sanctions ne leur parlent plus, et ils sont en permanence dans une logique d’affrontement avec le prof, renchérit Véronique Bouzou, professeur de français dans un collège ZEP de la banlieue parisienne et auteur du livre Ces profs qu’on assassine. « Les enseignants sont de plus en plus pressurisés. Bien souvent, si l’un d’entre nous est absent, le collègue “garde” la moitié de sa classe.

Parfois, on assure aussi les heures de permanence. » Autorité contestée

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En proie à une fatigue nerveuse et physique, leur autorité est contestée, leur intégrité physique parfois menacée. Enseigner serait-il devenu un enfer ? C’est ce que raconte Charlotte Charpot dans son livre, Madame vous êtes une prof de merde !. Aujourd’hui reconvertie dans la finance, cette jeune Alsacienne était pleine d’« enthousiasme et d’énergie » à l’idée d’aller enseigner dans les zones les plus difficiles. Là ou elle pouvait être le plus utile. Or, sur le terrain, la réalité est tout autre. Même si la jeune femme de vingt-huit ans n’a pas connu les agressions physiques, elle a, au bout de sept années d’enseignement en France et en Belgique, rendu son tablier. Lasse d’affronter des adolescents en rupture, l’indifférence de la hiérarchie et des parents incapables d’exercer leur autorité.

Selon le Snes, syndicat majoritaire des enseignants de collèges et lycées, 60 % des professeurs disent être épuisés, surtout ceux en fin de carrière et particulièrement à la fin du trimestre. Pour Elisabeth Labaye, secrétaire national du Snes, « l’épuisement vient de la contradiction entre les espoirs et les envies des professeurs de faire réussir les élèves et les difficultés à les faire travailler ou à les intéresser à la discipline. Pour eux, il faut une médecine du travail plus présente dans l’Éducation nationale ».

Autre problème, le manque de formation. « Nous avons une formation universitaire trop abstraite. Nous devons nous substituer aux parents mais nous n’avons pas été préparés à cela, tempête Véronique Bouzou. Les formateurs ne sont pas au courant que nous sommes face à des élèves qui sont largués. Avec une culture générale très pauvre. Dans un de mes cours, certains avaient du mal à faire la différence entre Hitler et Molière, d’autres ne savaient pas ce qu’était un infinitif. C’est très grave. »

« À l’IUFM, on nous apprend à faire des cours, on nous sensibilise à la psychologie de l’élève, résume Mélanie Lévêque, jeune professeur de français dans un lycée de la banlieue parisienne, mais on nous donne peu d’outils sur la manière de tenir une classe. Nous n’avons pas de vraies réponses face des situations problématiques. Pendant mon stage, par exemple, mon professeur référent ne m’a jamais vraiment conseillée. Comment se comporter quand un élève devient insolent et ne vous respecte pas ? Vais-je savoir le remettre à sa place tout en gardant mon autorité ? »

Pas facile, d’autant que cette autorité est parfois contestée par une direction elle- même craintive et démagogue. « Combien de fois ai-je vu le principal, la plus haute autorité de l’établissement, se faire insulter et ne rien dire ? Comment voulez-vous ensuite gérer en classe des élèves qui font comme s’ils avaient tous les droits ? En plus, on nous interdit de les exclure de la classe », témoigne

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Véronique Bouzou.

« Nous avons besoin d’une administration en béton qui nous soutienne », renchérit Agnès Orosco, professeur de lettres classiques au lycée d’Albert, dans la Somme, qui se considère malgré tout comme une enseignante heureuse. « Un jour, se souvient-elle, j’avais repéré qu’un des élèves vendait de la drogue. Je l’ai envoyé à la conseillère d’éducation (CPE) et finalement j’ai été convoquée par la direction. Tout ça parce que j’avais osé mettre en question son statut de caïd. » De son côté, Mélanie Lêveque reconnaît avoir eu jusqu’à présent affaire à des équipes éducatives compétentes, faisant bloc avec les professeurs : « L’année dernière, dans le collège de Nanterre où j’étais remplaçante, quand un élève était exclu de la classe, il allait en permanence, le chef d’établissement ne nous contredisait jamais. Les heures de colles étaient gérées par le CPE et, dans les couloirs des salles de cours, tous les surveillants circulaient pour dissuader de commettre des dégradations. »

Y croire encore

Malgré leurs conditions de travail pénibles, la plupart s’accrochent cependant et veulent encore y croire. Tous les moyens sont bons pour redonner un sens à l’école trop souvent perçue comme une inutile succession d’heures de cours. « Ce qui est important, c’est de faire passer la dimension humaine, affirme Agnès Orosco. Pour cela, il faut d’abord leur apprendre à lire. Je peux passer une heure à lire à voix haute un texte difficile avec eux. Et ça paye. Par exemple nous avons étudié Souvenir de la nuit du 4 de Victor Hugo. Ils ont, tout de suite, compris à la lecture qu’il fallait marquer une pause juste après la première phrase : “L’enfant avait reçu deux balles dans la tête”, qu’elle claquait comme un coup de feu.

D’ailleurs, plus tard, une de mes élèves, pas plus intéressée que ça par la littérature, m’a confié que l’étude de ce texte lui avait provoqué des frissons. La dimension émotionnelle est importante pour bien apprendre. »

La confiance placée dans l’élève peut faire bouger les montagnes, Thierry Quenum en sait quelque chose : « En lycée technique et professionnel, la plupart des élèves disent qu’ils n’aiment pas le français, mais c’est une croyance. À des élèves du bâtiment, j’ai réussi à faire étudier un poème baroque protestant et leur faire écouter la musique de Haendel. Je faisais en permanence des références à la construction baroque. Donc, forcément, ils se sentaient tous concernés. C’est un investissement dans le temps mais c’est une question de partage de passion. » C’est de ces moments privilégiés que la reconnaissance du métier peut venir. De

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la plume d’un parent aussi : « J’ai effectué un remplacement de 15 jours à Verdun.

Au bout de deux jours, j’ai reçu une lettre d’une mère me confiant avoir vu son enfant transformé en revenant d’un de mes cours. »

Il faut faire confiance aux élèves

À la FCPE et à la PEEP, les deux plus grandes associations de parents d’élèves, on reconnaît que le métier de professeurs est difficile. Il ne s’agit plus de transmettre un savoir mais bien souvent de donner des repères d’éducation. « Il faut arrêter de penser la relation élèves, parents, profs comme un trio infernal, estime Christiane Allain, secrétaire générale de la FCPE, et davantage tisser une relation de confiance entre les parents et l’équipe éducative, par des contacts réguliers. Le problème, c’est que tout passe par le cartable de l’enfant, excluant de fait un certain nombre de familles, illettrées ou parlant mal le français. » Par ailleurs, si les professeurs doivent faire face à une exigence de plus en plus grande de parents devenus des consommateurs d’école, « l’équipe éducative doit aussi faire confiance aux élèves et arrêter de leur dire qu’ils sont nuls, considère Philippe Vrand, président national de la PEEP, il serait d’ailleurs intéressant d’intégrer dans la formation à l’IUFM un module concernant la relation aux parents. » Il rappelle aussi que, face à certains professeurs défaillants, la direction de l’établissement a le devoir d’activer sa hiérarchie.

M. D.

Par Marjolaine Dorne

« Le savoir-faire est trop

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dévalorisé »

Hervé Hamon décrypte les racines du malaise des enseignants et propose des portes de sortie. Entretien.

Quelle est selon vous la mission du professeur ?

Elle est double : enseigner, éduquer. Ce qui n’est évidemment pas la même chose.

Il ne s’agit pas, selon une formule polémique trop utilisée, de seulement « transmettre le savoir » comme si l’élève était une sorte de récipient inerte. Il s’agit de préparer ce récipient à recevoir, mais aussi d’entrer en interaction avec lui, et de lui donner accès à tout un arsenal de valeurs. Bref, c’est complexe, et c’est difficile.

Quelles sont les racines du mal-être des enseignants ?

C’est d’abord d’être au contact d’enfants ou d’adolescents, indéfiniment jeunes, tandis que le maître, lui, vieillit. Voilà qui, par définition, est anxiogène : échouer face à l’enfant, voir l’enfant échouer, c’est inacceptable. Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle des maîtres en difficulté s’acharnent à démontrer que c’est la faute des jeunes, qu’on leur donne un public impossible – manière de s’exempter et d’exempter l’institution. Cela s’explique ensuite par une contradiction. De loin, les fonctionnaires ont une situation très enviable. Quasiment pas de chef, pas de contrôle, juste une inspection de routine tous les cinq ans. Apparemment, ils sont les rois dans leur classe. Le problème, c’est que, dans maints secteurs, le roi est nu. Et comme ce dernier n’a aucune expérience du travail en commun, comme il ne peut interroger un « patron », il se tait, intériorise sa frustration ou son désarroi, voire les retourne contre lui-même. Les enseignants traditionnels ont ainsi jalousement construit un système de protection qui les mine.

Sont-ils trop idéalistes ?

Ce qui fait défaut aux enseignants, c’est de se définir comme des professionnels capables de mettre en commun leurs performances et leurs insuffisances, et de remédier collectivement à ces dernières. Les élèves en difficulté, c’est malheureusement normal dans notre système. Mais beaucoup de profs continuent à penser que c’est leur problème personnel ou celui de l’élève. Quand il y a partage des savoirs pratiques, on voit bien que la « communauté éducative » se sent beaucoup mieux et est infiniment plus efficace.

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Le métier a t-il changé ?

Oui, parce que les élèves ont changé. Le niveau de formation des jeunes Français est devenu plus ambitieux et les populations, du coup, sont plus hétérogènes. Par ailleurs, le fait d’ouvrir le collège à toute une classe d’âge, et de vouloir la conserver à l’école jusqu’en fin de troisième, a été une révolution. Mais on a enfourné de force dans un moule conçu pour une élite des populations différenciées. Alors ça coince. Nombre d’enseignants souhaitent qu’on revienne en arrière, qu’on les débarrasse des éléments difficiles. D’autres plaident qu’on n’a pas vraiment donné leur chance aux plus défavorisés.

Les professeurs sont-ils suffisamment formés et évalués ?

La formation des maîtres était insuffisante – dans ce pays où le savoir-faire est névrotiquement dévalorisé par rapport au savoir académique. Mais Xavier Darcos et Valérie Pécresse ont estimé que c’était encore trop. Plus que jamais, les enseignants vont se former sur le tas, vont être supposés avoir la science infuse.

Le déficit de pédagogie se paie très cher – et ce sont les plus démunis qui règlent l’addition. Quant à l’évaluation, qui avait fait en France des progrès considérables, on s’acharne, par idéologie, à la démanteler.

Que peuvent faire les syndicats ?

Le syndicalisme majoritaire, traditionnellement, se bornait à réclamer des moyens et mettait toutes les difficultés au compte du manque d’argent. Cette fois, il a raison de râler, et il est vrai que les moyens manquent. Mais cela n’exonère pas ce syndicalisme de s’être transformé en machine à dire non, comme tout syndicalisme faible.

Les profs sont-ils arc-boutés sur leurs acquis ?

Ce n’est pas une question d’individus. Pris un par un, les enseignants sont des gens qui veulent bien faire, qui sont assidus et consciencieux. Ce qui ne va pas, c’est l’école elle-même. À l’évidence, elle est organisée pour les maîtres, pas pour les élèves. Qu’on pense aux emplois du temps, aux rythmes scolaires, aux vacances. Qu’on pense aux programmes, dont la monstruosité résulte du découpage en disciplines étanches et concurrentes. Qu’on pense, enfin, à l’orientation.

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Par Marjolaine Dorne

L’école, état stationnaire

Écoliers, collégiens et lycéens reprendront le chemin des classes la semaine prochaine. Qu’en est-il de la fonction d’ascenseur social du système scolaire français ? Permet-il encore de franchir les barrières sociales ?

Où sont les nouvelles Catherine Colonna, ancienne ministre des Affaires européennes, fille d’agricultrice, les Azouz Begag, sociologue et ancien ministre, fils d’ouvrier, les Bernard Charles, directeur général de Dassault Systèmes, normalien et agrégé de mécanique, fils d’agriculteur… Faire une belle carrière professionnelle quand on vient d’un milieu modeste, grâce à l’école, est-ce encore possible aujourd’hui ?

« L’école doit faire réussir tous les élèves », tel était en 2004 le mot d’ordre de l’Éducation nationale. Vœu formidable mais, sur le terrain, la réalité est plus complexe et l’ascenseur social semble grippé. Car, selon une étude du Céreq (centre d’études et de recherches sur les qualifications) réalisée en 2007, dans la génération diplômée en 2004, la situation socioprofessionnelle des jeunes demeure marquée par leurs origines sociales. Ainsi, les individus issus de milieux sociaux modestes, lorsqu’ils travaillent, occupent des catégories socio- professionnelles moins élevées dans la hiérarchie sociale. Plus grave, ils sont presque deux fois plus souvent au chômage que ceux issus de familles de cadres.

La fonction de l’école

Alors, l’école ne tiendrait-elle plus ses promesses d’égalité des chances? « Tout dépend de la fonction qu’on lui accorde, répond Marie Duru-Bellat, sociologue et professeur de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne. Si, dans les années 60-70, certains pouvaient grimper rapidement dans l’ascenseur social,

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c’était davantage grâce à une conjoncture économique exceptionnelle que grâce à l’éducation qui était d’ailleurs réservée aux familles aisées. Aujourd’hui, l’école accueille d’autres enfants culturellement démunis, venus de pays lointains et qui parlent mal le français, accueil qui dénote un progrès ».

Autre problème non négligeable à considérer, la crise économique et le chômage.

« Aujourd’hui, beaucoup de personnes ont le baccalauréat mais il n’a plus du tout la même utilité sociale, renchérit François Dubet, sociologue. Cela engendre alors de l’amertume et du ressentiment. Depuis trente ans, le nombre de diplômés a considérablement augmenté mais le nombre d’emplois correspondants à ces diplômes a, lui, diminué, poursuit le sociologue. En 1964, les trois bacs se valaient, ils permettaient d’accéder à la faculté et aux grandes écoles.

Aujourd’hui, le paradoxe de l’école de masse est de proposer 70 bacs dans un monde scolaire devenu très hiérarchique. Pour faire la différence, on tiendra compte de la filière et de la mention obtenue. Pour grimper les niveaux scolaires et par la suite faire carrière, il vaudra mieux posséder un diplôme scientifique avec une mention “très bien” plutôt qu’un bac professionnel avec deux ans de retard. »

Ici le jeu des stratégies parentales est important. Des stratégies qui commencent d’ailleurs dès la maternelle. « L’école primaire, qui est par définition une institution de proximité, a toujours rassembleé des enfants issus d’un milieu social relativement “homogène”, notamment dans les agglomérations structurées géographiquement », fait remarquer Jean-Daniel Roque, conseiller au ministère de l’Éducation nationale. Par la suite, « ce sont les parents les plus instruits, ou encore les parents enseignants qui, par exemple, utilisent le mieux les possibilités ouvertes par l’assouplissement de la carte scolaire et choisissent le plus souvent pour leur enfant un collège autre que celui de leur secteur, analyse Marie Duru- Bellat. Ce sont encore eux qui plaident pour l’apprentissage des langues vivantes à l’école primaire parfois au détriment de l’apprentissage du français. »

Un mécanisme de sélection scolaire qui, naturellement, se retrouve au niveau des classes préparatoires peuplées majoritairement par des enfants d’enseignants. « Il est plus facile de parler couramment l’anglais après un séjour en Angleterre payé par les parents que de travailler dans un supermarché pour financer la prochaine année scolaire », constate de son côté François Dubet.

Quels sont alors les moyens pour que chaque enfant ait les mêmes chances de réussite, qu’il puisse tirer parti uniquement de son propre mérite ? « Il est urgent de prendre au sérieux les inégalités matérielles et culturelles qui existent entre les familles, tranche Marie Duru-Bellat, il faut égaliser les conditions de vie entre

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les élèves, offrir très tôt un soutien personnalisé à ceux qui sont le plus en difficultés et ne pas les faire systématiquement redoubler. Il faut surtout arrêter de tout miser sur l’école, elle ne peut pas compenser toutes les inégalités. » Un avis partagé par Jean-Daniel Roque : « L’école doit fournir les éléments permettant à chacun de s’insérer dans la société. Il ne faut pas trop lui accorder d’importance et méconnaître le poids des autres facteurs sociaux et économiques.

»

Sur le terrain, la confiance accordée à l’élève est aussi primordiale : « L’effort prioritaire doit porter sur la qualité des intervenants. Il faut qu’avant de choisir cette profession, ils aient la possibilité de mesurer l’importance de la relation personnelle et qu’ils y soient mieux formés », poursuit Jean-Daniel Roque. Ce n’est pas Laure Simon, proviseur d’un établissement secondaire parisien, qui va le contredire : « Il faut que chacun y croit. Les parents doivent soutenir moralement leur enfant, les professeurs doivent arrêter d’enfermer les élèves dans leur situation sociale, tempête-t-elle. Ils doivent arrêter de surestimer les difficultés des enfants issus de milieux populaires. Par ailleurs, ils doivent aussi arrêter de croire que, si un enfant réussit, c’est qu’il a forcément un capital culturel transmis par la famille. Ce n’est pas toujours vrai. Autre exemple : dans mon lycée, il y a deux surveillants d’origine africaine qui font des études supérieures. Or, comme ils se sont liés d’amitié avec les élèves, pour certains professeurs, il est inconcevable que les surveillants aient le bac. Il faut casser ces préjugés-là et lutter contre ces “destins scolaires”. C’est d’ailleurs bibliquement inacceptable ! » Et, pour casser ces « destins scolaires », la promotion de la mixité sociale se révèle indispensable. Une mixité sociale qui favorise les élèves les plus faibles en leur donnant envie de réussir leur scolarité au contact des plus forts, une mixité sociale qui faciliterait l’acquisition des codes pour y arriver. « Certes, avec l’hétérogénéité scolaire, les meilleures élèves y perdent un peu mais ce qu’y gagnent les plus faibles est beaucoup plus important », constate Marie Duru- Bellat.

Élitisme scolaire

L’enjeu est donc de défendre une école juste où chacun aura la possibilité d’acquérir les aptitudes et les connaissances fondamentales « de base ». Une école permettant à tous les élèves de s’en sortir le mieux possible au risque d’aller à l’encontre du principe de plus en plus plébiscité de la discrimination positive. « La France est le pays où l’élitisme scolaire est le plus fort du monde,

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analyse François Dubet. Tout le système vise à produire cette élite. Certes, il est louable de développer des partenariats, comme les conventions Sciences-Po, entre les grandes écoles et les lycées situés dans les quartiers défavorisés. Mais il est illusoire de penser que c’est une manière de régler un problème social. Il faudrait plutôt prendre à bras-le-corps les 25 % d’élèves qui, à l’entrée de la classe de sixième, ne savent pas lire. » De son côté, Marie Duru-Bellat met en garde contre une discrimination positive « qui, en se calant sur des zones et non sur des individus, conduit à une fragilisation des plus faibles et autorise les plus favorisés de ces zones, comme les fils d’instituteurs ou “les bobos de Montreuil”, à en profiter ».

Finalement, une école efficace serait un lieu où la valeur de chacun soit reconnue, où les métiers manuels soient revalorisés, où la formation continue ne profite pas qu’aux plus instruits, où pardoxalement on cesse de croire que tout se joue là.

Bref, faire en sorte que la situation de chacun dépende moins des diplômes que de son parcours, son désir, ses richesses. C’est en tout cas ce que l’on peut défendre.

À lire

Faits d’écoles François Dubet éd. EHESS, 2004 310 p., 21,65 €

Le travail des sociétés François Dubet

Seuil, 2009 348 p., 21 €

Le mérite contre la justice Marie Duru-Bellat

Les Presses de Sciences-Po, 2009 12 €.

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Par Marjolaine Dorne

« L’école, porte de secours du quotidien »

Rudy Z., 21 ans, vient d’un milieu très modeste et a intégré, l’année dernière, une prestigieuse école de commerce, l’ESCP Europe à Paris. Il revient sur son parcours atypique.

Rien n’était gagné d’avance… Je vivais tout seul avec ma mère célibataire et au RMI, mais qui a toujours voulu le meilleur pour moi. Pour que je réussisse ma scolarité, elle s’est souvent sacrifiée, multipliant les petits boulots et ne mangeant que des pâtes. Depuis le primaire, elle s’est toujours beaucoup impliquée, m’a fait bosser et m’a soutenu moralement. De toute façon, j’ai toujours aimé l’école.

C’était comme une porte de secours, une évasion pour oublier la dureté du quotidien. J’ai très tôt montré un goût pour la littérature, toujours le nez plongé dans les livres. J’ai d’ailleurs participé à de nombreux concours.

Au moment de rentrer en sixième, nous avons déménagé à La Ferté-sous-Jouarre, en Seine-et-Marne, et je me suis retrouvé dans un collège qui n’avait pas une très bonne réputation. Puis, deux ans plus tard, j’ai déménagé à Paimpol. Là, je suis allé dans le lycée public de la ville, dont la très mauvaise réputation faisait fuir les meilleurs éléments. Il faut dire que l’ambiance de travail y était très « détendue », les informations pour les programmes d’orientation inexistantes et il n’y avait aucune ambition d’amener les élèves en classe préparatoire. Bref, c’était le lycée de la dernière chance…

Le droit d’être ambitieux

C’est lors d’un salon de l’étudiant à Rennes que j’ai eu le désir d’intégrer hypokhâgne. Ma mère a tout de suite appuyé mon choix. Certes, je viens d’un

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milieu pauvre mais j’ai aussi le droit d’avoir des ambitions. L’autocensure ne fait pas partie de mon vocabulaire. Finalement, j’ai obtenu un baccalauréat section économie avec une mention « très bien ». Mais avec un double handicap : j’avais beau avoir un très bon dossier, mon lycée n’était pas connu et le taux de réussite au bac était très faible.

J’étais boursier, aussi. Ce qui n’a fait que renforcer les difficultés car les élèves boursiers dans les systèmes de classes préparatoires sont considérés comme des élèves « à problèmes ». J’ai plusieurs fois été refusé dans des établissements prestigieux, comme le lycée Janson-de-Sailly à Paris, pour la simple et bonne raison que le quota de boursiers était atteint. Je trouve la mesure d’autant plus injuste que l’un de mes amis non boursier a été accepté mais avec un moins bon dossier scolaire que le mien.

J’ai finalement été retenu au lycée Carnot dans le 17e arrondissement de Paris, un établissement avec un public venu de tous les horizons, et où les critères comme le taux de réussite au bac et le fait d’être boursier importent peu. Par ailleurs, j’ai eu la chance d’être hébergé par un ami qui ne m’a pas fait payer de loyer. Seul problème, je vivais à l’autre bout de Paris et je devais passer trois heures par jour dans les transports en commun pendant que les autres concurrents, qui habitaient à proximité et chez leurs parents, bachotaient. Pour rattraper le temps perdu, il a bien fallu que je sacrifie des heures de sommeil.

J’étais déterminé. Je savais que j’avais les capacités, je ne voyais pas pourquoi j’aurais laissé ma place à quelqu’un de plus riche que moi. Et puis, je mettais un point d’honneur à réussir pour ne pas décevoir ma famille, je devais faire au mieux. Heureusement, grâce à ma bourse du mérite (650 euros par mois), j’ai pu vivre à Paris sans avoir à travailler.

Après mes deux années de prépa, j’ai donc intégré l’une des meilleures écoles de commerce en France, ESCP Europe. Lors des entretiens de motivation, j’ai mis en avant mes expériences professionnelles puisque chaque été, depuis l’âge de seize ans, je travaille pour financer mes études. Je ne suis non plus jamais allé à l’étranger, du coup j’ai su les convaincre en leur parlant de ma passion des voyages développée à travers… les livres !

Ensuite les difficultés se sont cumulées, d’abord avec les frais de scolarité.

Comme l’école était encore trop chère malgré ma bourse (4 000 euros au lieu de 8 000 euros), pour m’en sortir, il a fallu que je donne des cours tous les mercredis après-midi chez Acadomia. J’ai eu des difficultés dans les choix des destinations où je pouvais étudier. C’est que la particularité de l’école est de posséder cinq campus dans cinq pays d’Europe. Normalement, chaque année, les étudiants

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passent une année dans chaque campus. Cela vaut pour les plus fortunés de la promotion. Je sais d’avance que, financièrement, je suis bloqué, je ne peux pas à la fois payer mes études et m’offrir des années à l’étranger.

À chaque fois, ma situation sociale me rattrape, je ne peux saisir toutes les opportunités proposées par l’école. Peu importe, je gère très bien la frustration.

Depuis que je suis enfant, je suis habitué aux sacrifices, alors un de plus ou de moins… Je vais donc rester à Paris et travailler au sein de la DRH de Schlumberger. Avec ce salaire, je finirai de financer mes études, je n’irai pas à Londres ou à Berlin mais je serai assuré d’une autonomie financière !

Par Marjolaine Dorne

De vraies avancées

Le Parlement a voté des lois importantes entre 2004 et 2009.

C’est avec un bilan assez positif que s’achève la législature du Parlement européen. De 2004 à 2009, l’assemblée a su davantage affirmer sa compétence et son pouvoir lors de réalisations majeures, notamment dans un dossier clé comme la directive des « services ». Le fameux plombier polonais, comme le fait remarquer Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles pour Libération, ne « débarquera pas en France à des tarifs polonais ». Avant d’être adoptée en 2006, cette directive présentée par le commissaire Frits Bolkestein, qui devait libéraliser la libre circulation des services après celle des personnes, a été réécrite en profondeur sous l’impulsion de son rapporteur, la sociale-démocrate allemande Evelyne Gebhardt (voir Réforme n° 3320).

En supprimant le très controversé « principe du pays d’origine » permettant à chaque entreprise de se rendre dans un autre État membre pour une mission de

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courte durée et sans intention de s’y installer selon la réglementation de son propre pays, le Parlement affirme clairement qu’elle devra se soumettre aux lois sociales du pays d’accueil. « Cela a été un combat essentiel, résume Florent Saint Martin, assistant parlementaire et enseignant à Sciences-Po Paris. Au-delà de la politique, cela a été une vraie victoire institutionnelle car les députés ont réussi à surmonter leurs divergences politiques et à se mettre d’accord sur un texte qui permet d’ouvrir plus largement le marché intérieur des services à la concurrence transfrontalière, tout en préservant le modèle social européen. »

Autre combat phare du Parlement : la directive « Reach » adoptée en 2006. Elle impose à l’industrie chimique d’apporter la preuve que ses substances chimiques sont sûres, produites ou importées en quantité supérieure à une tonne par an, soit 30 000 produits concernés. « Au départ, plus de 100 000 étaient visés contre 30 000 à l’arrivée mais il s’agit d’un premier pas, analyse Jean Quatremer, et les industriels qui avaient obtenu du Conseil des ministres de nombreux avantages ont bien compris qu’il est moins facile de faire pression sur le Parlement que sur un État isolé. »

Protection des consommateurs

De son côté, l’eurodéputé Vert luxembourgeois Claude Turmes estime que « c’est une avancée notable faite en matière de protection des consommateurs et de protection de l’environnement. Un progrès d’autant plus grand que cette réglementation sur les produits chimiques tend à faire de l’Union européenne un législateur d’envergure internationale puisque ce texte est pris en compte dans une grande partie du monde ».

Concernant la directive encadrant le temps de travail, l’Assemblée européenne est restée droit dans ses bottes. Les députés se sont prononcés contre la dérogation qui autorise de travailler plus de 48 heures par semaine. Et ce malgré l’accord du salarié. Cette pratique, pourtant répandue en Grande-Bretagne, en Allemagne et dans certains pays de l’Est, a été jugée, par les parlementaires, comme un retour en arrière. Finalement, les dérogations à la durée légale du travail, prévues dans une directive de 1993, restent en vigueur dans les pays qui les pratiquent, « une clause d’exemption ». En revanche, le temps de garde reste du temps de travail. Et tous les États qui estiment le contraire seront poursuivis par la Cour de justice européenne.

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SMS moins chers

En avril dernier, le Parlement a donné son feu vert au durcissement des règles de sécurité maritime. Le « paquet Erika III » qui vise à protéger les côtes européennes des catastrophes maritimes et à améliorer la sécurité des passagers et des membres d’équipage a été adopté. Les huit textes prévoient notamment l’exclusion définitive des navires qui ne respectent pas les normes internationales et une meilleure indemnisation des passagers.

Téléphoner ou envoyer un SMS de l’étranger avec son portable coûtera de moins en moins cher. La nouvelle législation adoptée par le Parlement met en place, à partir de cet été, un barème de prix européen limitant à 0,43 euro par minute le prix d’un appel passé et à 0,19 euro celui d’un appel reçu (HT).

Récemment, les députés ont fait preuve de ténacité face à la France. En plein débat sur « le paquet Télécom », la vaste réforme du secteur européen des télécommunications, les parlementaires ont considéré que suspendre la connexion à Internet en cas de téléchargement illégal exige l’intervention d’une autorité judiciaire et non d’une autorité administrative comme celle d’Hadopi.

L’enjeu de ce texte : protéger avant tout la vie privée des consommateurs. Reste que si le Parlement et le Conseil des ministres ne parviennent pas à un compromis, le paquet Télécom sera enterré et la loi Hadopi validée.

Parmi les enjeux de la période 2009-2014, les députés devront débattre de l’élargissement de l’Union européenne (la Croatie, la Turquie et l’ancienne république yougoslave de Macédoine sont officiellement candidates). Ils devront également prendre part aux préparations de la prochaine grande réforme de la politique agricole commune (PAC), prévue pour 2013. Autre défi : amener les États membres à ratifier enfin le traité de Lisbonne. Un cadre juridique fondamental censé renforcer les pouvoirs du Parlement sur le processus de décision, dans des domaines tels que les affaires intérieures, l’agriculture et le budget.

Le traité ratifié renforcerait l’étoffe démocratique de l’UE en donnant aux citoyens la possibilité d’être entendus de façon plus directe.

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Par Marjolaine Dorne

Rendre les grandes villes habitables, enfin

Que penser des projets du Grand Paris ? Comment imaginer les villes demain ? Que faut-il pour les rendre tout simplement vivables ? Architectes et urbanistes répondent.

Une métamorphose de la capitale s’opère en ce moment même. Cela fait neuf mois que dix prestigieuses agences d’architectes et d’urbanistes planchent sur un projet ambitieux : imaginer la métropole qui serait le premier centre urbain vert du XXIe siècle, de l’après-Kyoto. Tous les projets, présentés au public au Théâtre de Chaillot, le mercredi 29 avril, tournent autour des trois grands thèmes de la métropole de demain que sont le développement durable, les transports et la mixité sociale.

Un « mitage » menaçant

L’enjeu est de taille, à une époque où les villes n’en finissent pas de s’étaler, ou près de 80 % de la population française est urbaine. Et ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter. C’est que le fantasme de posséder son petit pavillon est tenace.

Déjà, en janvier 2007, dans un sondage réalisé par TNS-Sofres pour l’Observatoire de la Ville, un peu plus d’un Français sur deux (56 %) souhaitait

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habiter dans une maison individuelle isolée. Vient ensuite la maison individuelle dans un ensemble pavillonnaire (20 % des personnes interrogées) et le petit habitat individuel en ville (11 %). A des niveaux de citations moindres, on trouve l’habitat haussmannien (5 %).

Pourtant, ce « mitage » du territoire menace chaque jour davantage l’environnement. Pour Marc Rolinet, architecte et urbaniste, « il faut renforcer la densité des villes mais, pour cela, il faut une volonté administrative forte qui marque les limites de la cité. Il faut mieux définir son périmètre pour distinguer le domaine agricole du domaine urbain. Cela a le mérite de favoriser l’agriculture locale et de limiter les importations de fruits et de légumes ». Pour inciter les gens à vivre en ville, et en son cœur même, l’image du centre-ville neuf doit être modifiée dans les esprits.

Et ce changement passe lui aussi par une transformation des modes de vie, impulsée et soutenue par les élus: « Si les politiques ont le courage de virer les voitures de la ville en mettant en place un péage urbain, comme à Oslo ou à Londres, par exemple, alors on aura quelque chance d’en finir avec les nuisances sonores. Il faut que les gens acceptent de vivre ensemble dans des modèles d’habitat plus dense. Pour ce faire, les habitants doivent avoir facilement accès à toutes les activités, installées en pied d’immeubles, comme le cabinet du médecin, la pharmacie, les commerces de proximité. L’avantage est que tout peut se faire à pied ou en vélo », considère l’architecte chargé de la transformation du centre- ville d’Annemasse, en Haute-Savoie.

Dans cette dernière, il s’est attelé à redessiner les lieux et leur morphologie pour que les gens puissent « se sentir bien dans un espace ». Pour ce faire, il faut miser sur une architecture qui alterne les grands et les petits volumes, avec des cafés protégés du vent, orientés au soleil, des rues piétonnières. « Un peu à l’image des villes asiatiques où des tours de 150 mètres de haut côtoient des buildings de quatre étages le long de ruelles très étroites. Et en appliquant la dilution des commerces dans la ville. » Et de préciser que « les tours ne sont pas incompatibles avec la nature ». Pour lui, on doit pouvoir passer du balcon à la loggia pour cultiver son jardin. C’est le principe du jardin ouvrier à l’intérieur de la ville. « Même si ce modèle est “trop hétéroclite” pour l’Europe, considère Marc Rolinet, il peut-être une source d’inspiration. »

Rapprocher les commerces

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Autre initiative à envisager : accepter un mode de distribution différent en supprimant les zones d’activités dans les périphéries. « Au lieu d’avoir un immense parking devant les centres commerciaux, il serait souhaitable de réutiliser les entrepôts laissés à l’abandon dans le centre-ville. Et de généraliser le système de petites camionnettes qui distribuent l’alimentation », souligne-t-il.

Dominique Gauzin-Müller, architecte et commissaire de l’exposition « Habiter écologique » partage cet avis. Pour cette spécialiste de l’architecture éco- responsable, il s’agit de « refaire la ville sur la ville ». En somme, reconvertir le matériel déjà existant en quelque chose de nouveau. « En Allemagne [pays où elle vit, ndlr], beaucoup de friches industrielles ont été transformées en logements pour étudiants », note l’architecte.

Le principe des îlots

Pour favoriser la mixité fonctionnelle, système qui alterne les immeubles d’habitat, de bureaux et de commerce, elle prône le principe des îlots où sont installés une dizaine de parcelles sur quatre ou cinq étages. « Il s’agit de retrouver à l’intérieur d’une grande ville la qualité de vie d’un village. À deux pas de chez soi, il sera possible de travailler et d’aller faire ses courses », poursuit Dominique Gauzin-Müller. Des immeubles gérés par une coopérative d’habitants qui favorise aussi la mixité intergénérationnelle et sociale. Car, selon elle, dans ces quartiers, il est possible et souhaitable de réunir différentes couches sociales grâce au mélange du locatif et de l’accession à la propriété.

Les éco-quartiers

En France, le phénomène des éco-quartiers commence à peine à se développer comme dans la banlieue de Rennes, à Reims, à Chalon-sur-Saône. De son côté, Bruno Maresca, sociologue et directeur de recherche au Credoc, affiche moins d’optimisme : « Si, sur le versant écologique et environnemental, il existe de vraies initiatives, ces nouveaux quartiers urbains apportent peu de changements sociologiques. Jusqu’à présent, les opérations d’immeubles de bureaux et d’habitat n’ont pas plus amené de mixité sociale car les logements étaient destinés à la classe moyenne supérieure. Depuis Haussmann, la France n’a pas su renouveler la question de l’habitat social. Avant, le clivage se faisait au niveau des immeubles, avec les riches en bas et les pauvres en haut. Aujourd’hui, on retrouve cette ségrégation avec des quartiers riches et des quartiers pauvres qui sont des quasi-ghettos. »

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Et l’amélioration des transports pour désenclaver ces banlieues n’y changera, selon lui, rien : « C’est un faux problème, tempête le sociologue. Pour que la banlieue accède à un vrai statut dans la métropole, il faut considérer qu’elle est partie prenante du Grand Paris et de toutes les grandes villes en France. Il faut, par exemple, que toutes les communes proches de Paris aient toutes le label

“Ville de Paris”. »

Si le spécialiste des politiques publiques s’oppose à l’étalement périurbain qui menace la campagne, il plaide, en revanche, pour un élargissement urbain : « Il faut sortir de ce cadre étroit du centre-ville et élargir son horizon. D’ailleurs, l’initiative de la Ville de Paris d’étendre le Vélib’ aux communes limitrophes est à saluer. Cela a du sens de circuler de part et d’autre du périphérique qui, à terme, je l’espère, sera recouvert. Comme cela a du sens de réincorporer des villes plus mélangées au Grand Paris. »

L’enjeu d’aujourd’hui pour demain : se sentir parisien même si l’on habite Pantin.

« La greffe du nouveau et de l’ancien »

Le philosophe Olivier Abel propose ici ses vues sur la ville de demain, à l’heure où s’exposent les projets du Grand Paris. Comment la rendre habitable et écologique ?

Sur quels grands principes fonder, selon vous, la ville de demain ?

Il est essentiel tout d’abord que les espaces puissent être réinventés de génération en génération. Un ville ne peut être figée dans un rapport ancien/nouveau intouchable, avec par exemple un centre historique préservé et une périphérie moderne, qui change. Simplement parce que toute vie humaine se définit par cette greffe de nouveau sur l’ancien…

Ces relations ancien/nouveau doivent être réhabilitées et articulées entre elles.

Car l’ancien pour l’ancien, c’est la mort. Et le nouveau ne peut se construire sur le vide. Telle est, selon moi, une condition incontournable de l’habitabilité des villes.

Après ce rapport au temps, que diriez-vous du rapport à l’espace ?

L’autre principe qui me paraît important est en effet que les quartiers, les espaces ne soient pas cantonnés à une seule fonction, ce qui va à l’encontre d’un certain modernisme à la Le Corbusier. La ségrégation spatiale crée forcément la ségrégation sociale, on l’expériemente tous les jours.

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Je pense que les villes en damier, comme les villes grecques hier, comme New York aujourd’hui, qui juxtaposent des quartiers qui sont à la fois des lieux de vie, de travail, de culture, de sociabilité, fonctionnent mieux que des villes où la différenciation centre/périphérie est trop radicale. Il est important qu’il y ait du maillage, qui autorise une pluralité des centres. Et que les espaces et les monuments soient susceptibles d’une pluralité d’usages et de significations.

Une église, un marché, un musée n’auront pas le même sens pour les uns et les autres, et il est essentiel que les mêmes configurations spatiales puissent être diversement interprétées.

Paris souffre-t-il de ce travers, en offrant une juxtaposition de fonctions ? Oui et non dans la mesure où Paris joue plusieurs rôles et il est bon qu’il en soit ainsi. Paris est une capitale mais aussi une ville cosmopolite, une ville méditerranéenne, une ville touristique. Elle vit de plusieurs centralités et il est précieux que cela demeure. On ne peut obliger tout le monde à perdre ses repères en arrivant à Paris et à adopter le même mode de vie.

Pourtant Paris reste une ville très concentrée ?

Paris est en effet une ville profondément monarchique et la jacobinisme de la République n’a fait qu’accentuer cet état de fait. D’où la nécessité aujourd’hui de contrebalancer ce mouvement, de casser le rapport centre/périphéries. Il faudra plus d’excentricités à la ville. Il sera tout aussi nécessaire de créer, comme le disent certains projets du Grand Paris, de véritables centres ailleurs.

Que dire des modes de transports ?

La centralité de Paris trouve ici un avantage, c’est que Paris est une ville relativement concentrée. Et comme le « chacun dans sa voiture » est devenu un modèle impossible, du fait de ses nuisances environnementales et de son inefficacité, la ville s’apprête à une mue importante, qui doit compléter un système de transports lui aussi encore trop marqué par l’opposition centre- banlieues. Un réseau de transports publics plus dense, plus diversifié, plus écologique va apparaître et apparaît déjà comme une évidence.

Propos recueillis par Nathalie Leenhardt

Pour aller plus loin

Exposition « Le Grand Paris » du 30 avril au 22 novembre

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Entrée libre

Cité de l’Architecture et du Patrimoine palais de Chaillot

1, place du Trocadéro et du 11-Novembre, 75116 Paris Habiter écologique

Exposition du 13 mai au 1er novembre, même adresse.

À lire : la revue écologiK

Par Marjolaine Dorne

Une Cour fragile

Comment travaille la Cour pénale internationale ? Quels obstacles rencontre-t-elle

?

Les juristes en rêvaient depuis 150 ans. Le rêve est devenu réalité, en juillet 2002, avec la création d’une Cour pénale internationale (CPI). Une juridiction permanente et à vocation universelle. Son objectif : ouvrir des enquêtes, poursuivre et juger des personnes accusées de crimes les plus graves, le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

« Cet instrument juridique est novateur car il met en cause la responsabilité des individus, explique Hervé Ascensio, professeur de droit international à l’Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. Et ce, contrairement aux juridictions antérieures comme les tribunaux de Nuremberg ou de Tokyo qui jugeaient les hauts responsables nazis ou les criminels de guerre japonais, et plus récemment les tribunaux spéciaux pour le Rwanda, l’ex-Yougoslavie, qui s’occupaient de

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situations politiques précises et spécifiques. La Cour pénale internationale possède, elle, une compétence générale. »

Treize mandats d’arrêt et quatre personnes arrêtées

Soit une avancée majeure dans le combat contre l’impunité puisque désormais tout chef d’État devra répondre de ses actes devant la justice. Une avancée politique aussi car il est toujours difficile de bâtir une juridiction au-dessus des États. D’où l’importance ici de la notion de traité car « il suppose que les pays qui ont signé le traité de Rome, en 1998, s’engagent à poursuivre les criminels et acceptent de donner une compétence à la Cour sur leur territoire. Celle-ci n’a toutefois pas la primauté sur les juridictions nationales, elle leur est subsidiaire », souligne l’universitaire.

Si cette institution a mis quatre ans pour être opérationnelle, le chemin pour mettre en place une justice internationale est long. Jusqu’à présent, la Cour a délivré 13 mandats d’arrêt.

Seules 4 personnes ont été arrêtées et remises à la Cour pour être jugées. « Elle est une jeune adolescente, elle n’a que 11 ans, on ne peut qu’espérer des progrès », estime, pour sa part, François Roux, co-avocat français de Duch, l’ancien directeur du centre de détention S-21 de Phnom-Penh, et membre, à la création de la CPI, d’un groupe d’experts auprès du greffier pour mettre en place les codes de déontologie. Si le juriste fait partie « de ceux qui regrettent qu’elle mette tant de temps à poursuivre les criminels », il se dit satisfait du travail abattu par la Cour et, notamment, de l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, le gros poisson de la CPI, accusé d’être le cerveau de crimes sexuels de masse commis par ses éléments durant deux tentatives de coup d’État, en République centrafricaine, en octobre-novembre 2002 et février-mars 2003.

Mais la difficulté majeure réside dans les enquêtes. « Il s’agit de situation où les conflits sont en cours : la république démocratique du Congo, même si le procureur n’a pour l’instant émis des mandats d’arrêt sur l’Ituri, le nord de l’Ouganda, la République centrafricaine et la région soudanaise du Darfour, explique Mariana Pena, déléguée de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme. Ce qui signifie sur le terrain une grande discrétion et la protection des témoins sur place. Mais les défis sont à tous les stades. Avec le cas Béchir, au Soudan, les poursuites vont être très difficiles car la CPI ne dispose pas de sa propre force de police. Son arrestation ne pourra se faire que si le régime est renversé car ce pays n’a pas ratifié le traité. »

Autre difficulté, le cohabitation de la CPI avec le système juridique anglo-saxon basé sur la «

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common law », un facteur de ralentissement des procès. Une procédure qui prévoit en effet le contre-interrogatoire systématique des témoins et qui permet aux avocats de mener eux- mêmes leurs enquêtes. En juin 2008, le premier procès devant la cour de Thomas Lubanga a été suspendu afin de protéger le droit de l’accusé à un procès équitable.

Le procureur n’a pas pu communiquer aux avocats de la défense des éléments de preuves, fournis à titre confidentiel par l’ONU et d’autres organisations, tendant à disculper ou à atténuer sa culpabilité. « Avec le cas Lubanga, la décision de la Chambre préliminaire de garantir le respect du droit qu’ont les accusés d’avoir accès à toutes les informations pouvant prouver leur innocence montre que cette juridiction est déterminée à se conformer aux normes les plus strictes en matière de justice », note Simon Foreman, avocat et président de la Coalition française pour la CPI.

Plusieurs enquêtes en cours dans le monde

Si la vocation de la CPI est théoriquement universelle, pourquoi traiter en priorité des dossiers africains ? « Pour une raison historique, répond Simon Foreman, les trois États (RDC, Ouganda, RCA) où se déroulent les enquêtes ont demandé à la Cour de venir chez eux.

Conformément au principe de complémentarité, elle n’intervient que si la justice locale est dans l’incapacité de faire son travail correctement. » En pratique, ce principe de complémentarité est difficile à appliquer. Par exemple, en Ouganda, le procureur de la CPI a uniquement lancé des mandats d’arrêt à l’encontre des mouvements rebelles. Pourtant, les membres du gouvernement sont loin d’être irréprochables. « Comme les informations étaient uniquement livrées par les autorités ougandaises, il avait besoin d’elles pour travailler, explique Mariana Pena, d’où la perception auprès de la population locale d’une instrumentalisation de la Cour. »

D’autres situations, à travers le monde, sont en cours d’analyse. Le bureau du procureur s’est ainsi rendu plusieurs fois en Colombie pour évaluer les enquêtes nationales sur des crimes pouvant relever de la compétence de la Cour. D’autres processus sont en cours en Géorgie et en Afghanistan. Cependant, la non-ratification des grandes puissances, que ce soient les États-Unis, la Russie, la Chine ou Israël, limite considérablement le travail de la Cour. « Le système international est régi par des rapports de force, ces pays ont un puissant droit de veto au Conseil de sécurité, rappelle Simon Foreman. Ce deux poids, deux mesures n’est pas la faute des juges de la CPI qui font tout ce qu’ils peuvent pour garder leur indépendance à la fois par rapport au procureur de leur institution et aux États qui cherchent toujours à faire pression. »

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Sur le plan financier, la CPI a coûté depuis sa création environ 511 millions d’euros et le budget pour l’année 2009 est de 101 229 900 euros, répartis entre 106 États. « Une goutte d’eau par rapport aux opérations de maintien de la paix des Nations unies dont le budget pour l’année 2008-2009 est de 7 milliards de dollars, considère William R. Pace, président de la coalition des ONG pour la CPI. Dans les années à venir, les juges seront plus nombreux, devront aller sur place, il faudra un budget plus important pour communiquer les procédures aux victimes. » Reste que cette institution permanente revient moins cher que les juridictions pénales internationales temporaires qui l’ont précédée. Comme le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie dont le budget sur l’année 2008-2009 est d’environ 259 millions de dollars et 347 millions de dollars. Le prix de la justice.

Par Marjolaine Dorne

“Ne pas appliquer une justice punitive”

Questions à Rony Brauman, essayiste, professeur à Sciences-Po Paris, ancien président de Médecins sans frontières. Il critique l’accusation de génocide portée par la CPI contre le président soudanais El-Béchir, sans nier la stratégie de terreur. Elle joue à contre-emploi.

Approuvez-vous le mandat d’arrêt lancé par la CPI le 4 mars dernier à l’encontre d’Omar El-Béchir ?

Les motivations telles qu’elles sont exprimées par le procureur Moreno Ocampo sont très discutables. Je ne nie pas du tout qu’il y ait une stratégie de terreur, des massacres, des crimes collectifs. Plus de 2 millions de déplacés internes et 150 000 morts, cela montre bien l’ampleur de cette histoire tragique.

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Mais de là à parler de génocide, de là à dire que 5 000 personnes meurent en moyenne chaque mois, de là à affirmer que les camps de déplacés sont des camps de la mort (d’ailleurs, ce ne sont pas des camps mais des regroupements, et les gens circulent librement), de là à prétendre que le génocide se poursuit en affamant les populations, il y a un abîme. Au contraire, dans ces camps, on revit, on se soigne, on s’éduque, on fait du commerce… Bref, ce sont des camps de la vie.

En outre, le procureur a d’abord jugé que les conditions de l’enquête n’étaient pas réunies, cela ne l’a pas empêché de conclure. Les crimes de guerre ou contre l’humanité ont été commis et justifient le mandat d’arrêt. D’ailleurs, les juges de la chambre préliminaire ont retenu ces accusations et ont écarté l’accusation de génocide. Mais il ne faut pas oublier cette situation paradoxale : Béchir est un coupable idéal, c’est un chef d’État cynique qui dirige une junte corrompue, mais en justice la question de la vérité factuelle est la plus importante.

Quelle est alors la solution pour retrouver la paix ?

Depuis plusieurs années, les efforts internationaux se sont concentrés sur des stratégies punitives, l’intervention armée et la justice punitive, du fait de l’énorme campagne autour de cette guerre. L’alternative est l’engagement dans des négociations.

Par exemple, en incitant les groupes rebelles, avec le tact et la fermeté dont on a besoin dans ce genre de situation, à se rassembler pour construire une plate- forme de négociations, en aidant les deux parties à fixer un calendrier, en utilisant la menace de saisie des comptes des dignitaires du régime à l’étranger, de rétorsion commerciale. Tout cela s’inscrit dans le temps. La résolution du problème primordial du Darfour, c’est la guerre et cela ne peut se faire que par un compromis entre les parties combattantes.

Le mandat d’arrêt n’a-t-il pas un pouvoir dissuasif ?

Je ne le crois pas. Vu depuis d’autres endroits que l’Europe, cela apparaît comme un acte d’arbitraire, de punition sélective qui vise certains chefs d’État qui n’ont pas le bonheur d’être protégés par les grandes puissances. Ce « deux poids, deux mesures » ressort plus fortement que l’avancée d’un droit. Transposer ce qu’un tribunal dans un cadre national et démocratique incarne sur la scène internationale, c’est oublier le primat de la règle des rapports de force et des intérêts croisés qui sont sans partage, même si elle est tempérée par l’ONU et les

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organisations internationales.

Certes, entre un tribunal national et la CPI, il y a des règles de procédure, un esprit juridique qui sont communs mais les conditions dans lesquelles cette justice est rendue sont radicalement différentes. Dans des crimes de masse, il n’est pas possible de juger tous les criminels. Un pays ne peut pas sortir d’une situation de conflit en jetant dans ses geôles des milliers de gens qui ont combattu d’une manière qui était alors considérée comme légitime, voulue par l’autorité ou par les forces de rébellion. C’est une façon immédiate de susciter de nouvelles violences

La CPI devrait-elle laisser faire les institutions judiciaires soudanaises ?

Il est nécessaire que la société soudanaise, le moment venu, puisse examiner ses propres turpitudes, les responsabilités des uns et des autres dans les crimes commis. Il est préférable de faire confiance aux sociétés, aux institutions qu’elles veulent se donner plutôt que de vouloir de l’extérieur appliquer une justice punitive qui n’est pas comprise à Khartoum.J’ai des amis soudanais à Paris dont la famille et les amis, opposants de longue date au président, ont tendance à faire corps autour de lui pour faire face à une espèce d’agression extérieure.

La guerre, ce n’est pas comme une fracture d’un membre, on ne rabiboche pas en plâtrant. Il ne s’agit pas de redresser les torts et de figer une situation en attendant que la société se consolide. Comme si c’était le préalable à la guérison de ce mal qu’est la guerre.

Propos recueillis par Marjolaine Dorne

Par Marjolaine Dorne

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Jeune senior recherche colocataire

Pour surmonter la solitude ou gonfler les petites retraites, de plus en plus de seniors choisissent de vivre ensemble.

Comment faire face à la solitude des grandes villes quand on est âgé et qu’on dispose d’une petite retraite ? Comment ne pas vivre reclus, en marge de la société ? Ces questions, Christiane Baumelle se les pose depuis la canicule de 2003. Séduite par le film, L’auberge espagnole, cette psychosociologue a décidé de partager sa maison de Vannes en trois appartements, pour en faire « un petit collectif de seniors ». Et de créer l’association la Trame pour briser la solitude des aînés. Le concept, bien ancré en Allemagne, Hollande ou Belgique, commence à se mettre en place en France. « Avant de pouvoir vivre ensemble, les gens doivent se connaître. Des petits groupes se forment progressivement, font des essais de vie commune, se distraient et créent des liens en allant au cinéma, au restaurant, en organisant des balades, explique Christiane Baumelle. Les futurs habitants se choisissent par cooptation, cela prend du temps car il faut aller au-delà de la chaleur immédiate et tenir compte des valeurs et de la personnalité de chacun. » Un temps nécessaire, donc, car cette démarche est un vrai projet de vie, organisé longtemps à l’avance et qui suppose de se séparer de sa maison, de ses meubles, voire de changer de région.

L’initiative « autogestionnaire et écologique » baptisée Cocon3S, « convivialité senior solo », se veut une alternative aux maisons de retraite. Au mieux, elle permet d’en retarder l’échéance : « L’intérêt est de se retrouver dans une maison vivante au contact d’autres personnes. Au quotidien, on se laisse moins aller, on est stimulé intellectuellement et physiquement. Et quand on vit à plusieurs, si quelqu’un est malade, on peut s’entraider et faciliter l’hospitalisation à domicile

», poursuit notre interlocutrice. L’avantage est financier aussi. « Lorsque l’on vit dans une grande maison, on partage les frais de loyer, d’électricité, d’abonnement téléphonique, on se déplace avec une seule voiture. » Pour Christiane Baumelle, « il s’agit de ne pas dépendre de ses enfants et de ne pas les culpabiliser quand ils ne peuvent pas nous accueillir. »

Vie partagée

Rien à voir pour autant avec les groupes communautaires des années 70 ou les résidences sécurisées destinées aux jeunes retraités : « Le cocon est un lieu à la

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fois protecteur et ouvert aux autres générations. » Pour preuve, à Nanterre, en région parisienne, un cocon de quatre personnes, dont une étudiante, vient de voir le jour. Le propriétaire de la maison, Yves, un jeune retraité de soixante-deux ans, a aménagé trois studios indépendants de 20 m² avec salle de bains, kitchenette et une pièce commune. « C’est le dosage de la vie partagée à la demande », explique cet ancien médecin généraliste. Adepte des nouvelles expériences, mais surtout ayant besoin de cultiver les échanges, Yves a déjà expérimenté plus jeune la vie communautaire, pendant cinq ans, au sein d’un écovillage. « Avec le recul, cette forme de cohabitation demande énormément d’efforts et de compréhension à l’égard des autres. » La recette d’un futur succès de ce mode de vie pourrait être « une bonne dose de partage et d’humilité intellectuelle », conclut-il.

Autre initiative, la colocation intergénérationnelle. De nombreuses associations ont vu le jour pour mettre en relation des seniors ayant une chambre disponible chez eux et les étudiants en mal de logement. C’est le cas de Jacqueline, soixante- huit ans, qui habite seule en proche banlieue ouest de Paris dans un pavillon qui lui appartient et dans lequel elle dispose de chambres libres. Sa retraite n’est pas énorme mais, en même temps, elle veut rester chez elle le plus longtemps possible. L’année dernière, elle a décidé de louer une chambre à Célia, une jeune fille de dix-neuf ans, originaire du Midi, venue faire ses études à Nanterre.

Le courant est tout de suite passé : « C’est comme si elle était ma petite-fille, nous passons du temps ensemble le soir, nous parlons énormément, et nous jouons aux cartes, raconte Jacqueline. Elle me rend des petits services comme faire les courses ou aider à la cuisine. » Pour Célia, Jacqueline est un repère, elle lui permet de s’habituer à la vie trépidante parisienne. Financièrement, elle s’en sort mieux que si elle louait une chambre de bonne de 10 m². Une aide précieuse pour une première expérience de vie hors du domicile parental.

Charlotte, soixante-dix ans, est une retraitée très active, entourée par sa famille.

Elle n’a pas vraiment besoin de complément de revenus. Elle a pourtant proposé une chambre de sa grande maison à un étudiant avec une demande un peu spéciale : apprendre à se servir d’un ordinateur. C’est Benjamin, vingt-deux ans, en 5e année d’une école de marketing, qui est devenu son professeur. Il l’a aidée à choisir son ordinateur et lui a installé sa connexion Internet !

À noter

www.cocon3s.fr

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www.leparisolidaire.com

Par Marjolaine Dorne

Chaleur humaine

Cet établissement protestant accueille des résidents dont beaucoup sont atteints par la maladie d’Alzheimer. Avec respect et foi, comme l’a voulu son fondateur, un catholique ami d’un pasteur luthérien.

Menue et avec des yeux bleus éclairés d’une tendresse tirant vers la candeur, elle ressemble à une jeune fille. Pourtant, Madeleine Charpentier, à quatre-vingt- quinze ans, est la doyenne de la fondation Lambrechts, une maison de retraite protestante, située à Châtillon, aux portes de Paris. Sa rencontre avec les lieux, vingt-cinq ans plus tôt, fut « un vrai coup de foudre ». Depuis, Madeleine Charpentier vit dans une chambre aménagée « selon ses propres goûts », donnant sur un parc fleuri, aux arbres centenaires. « Dès que je suis arrivée ici, j’ai eu une impression très favorable. Au-delà des activités proposées comme l’atelier de couture, de musique, d’écriture, j’ai apprécié l’accueil de la maison et, notamment, l’ouverture d’esprit des directeurs-pasteurs qui ne tenaient pas compte de mes convictions, se souvient -elle avec émotion. Il n’y avait rien de discriminant et, en tant qu’athée convaincue, j’ai pu y trouver ma place sereinement, tisser des liens amicaux avec les différents directeurs et participer à la fête de Noël. Ils ont été touchés par ce geste et, moi, je les ai remerciés de

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respecter mes opinions. »

Études bibliques et culte

Trouver sa place à 80 ans, voire plus, dans un lieu nouveau, une chose difficile à réaliser surtout lorsque l’on doit renoncer du jour au lendemain à son domicile et à ses habitudes. C’est le cas de Marcelle Huchet, installée, depuis 10 ans, dans une petite chambre, avec tout ce qu’elle possède. Sa vue diminuait progressivement et, à terme, elle aurait été complètement dépendante. La vieille dame a immédiatement préféré prendre le taureau par les cornes et poser ses valises à la fondation. « Peu de pensionnaires font le choix de venir d’eux-mêmes, explique Joanita Trzesicki, la directrice de l’établissement. Ils viennent parce que leur état de santé s’est soudainement dégradé. Notre rôle est de les aider à se reconstruire en leur offrant un environnement paisible et serein en lien avec les valeurs chrétiennes et humaines propres à cet établissement. »

Et, si Marcelle Huchet a choisi une maison de retraite protestante, ce n’est pas par hasard : « C’est un établissement de bonne réputation, je connaissais une personne qui avait déjà vécu ici. Je suis protestante et, comme je suis aveugle, j’ai besoin que quelqu’un me lise la parole de Dieu, de l’entendre lors des études bibliques et du culte. C’est fondamental pour ma foi », confie-t-elle dans un sourire.

à l’origine de cette institution, « une histoire pleine d’humanité ». Le comte Charles Lambrechts, d’origine catholique et ami d’un pasteur luthérien, avait été très touché par les difficultés sociales rencontrées par les protestants. Des hommes et des femmes mal accueillis dans les hôpitaux, voire laissés pour compte s’ils restaient fidèles à leur foi. Choqué par tant de discrimination, le comte rédigea alors un testament en faveur de ceux qui, infirmes, aveugles, pauvres et malades, « souffraient dans leur foi ». C’est un peu pour cette raison que Cécile Deslaurens Chavannes a choisi de finir sa vie à la fondation, dans « ce lieu où l’on peut aménager son petit chez-soi et qui respire quelque chose de particulier ».

Volubile, la vieille dame, d’une famille protestante depuis des générations, parle avec enthousiasme de la générosité « exceptionnelle » de ce comte qui a tant fait pour ses ancêtres marginalisés. La dimension spirituelle qui règne dans la maison a aussi été déterminante : « Je suis diabétique et je décline considérablement chaque jour. Pour me préparer à mon départ, j’ai besoin d’être nourrie spirituellement en allant au culte dans la chapelle, en étant accompagnée régulièrement par le pasteur. »

Références

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